L’Isle-Verte annonce-t-elle le Québec de demain ?

L’incendie qui a ravagé une résidence pour personnes âgées à L’Isle-Verte soulève des questions sur le sort qu’on réserve aux aînés dans notre société.

Photo : La Presse canadienne (photo) Ryan Remiorz

L’incendie qui a ravagé une résidence pour personnes âgées à L’Isle-Verte soulève des questions sur le sort qu’on réserve aux aînés dans notre société. À l’égard de leur sécurité, les politiciens font-ils preuve de laxisme ?

La récente tragédie de L’Isle-Verte n’est pas le legs d’un passé révolu. Après plusieurs incendies semblables, c’est une illustration du sort qui attend nombre de futurs pensionnaires de « l’âge d’or ». Sous le choc, en attendant les enquêtes en cours, on cherche une explication simple, cigarette perdue ou absence de gicleurs. Pourtant, à la lumière de tragédies connues, une explication plus inquiétante s’impose : l’incurie politique.

Souvent, en cas d’incendie résidentiel, « un article de fumeur » sera mentionné. Parfois aussi, on parle de déficience électrique ou, plus rarement, d’une main criminelle. Mais, de nos jours, on s’attend à trouver surtout des détecteurs de fumée, sinon des déclencheurs d’alarme. Et, dans les institutions ou résidences logeant des personnes vulnérables, les gicleurs semblent une exigence de sécurité élémentaire.

D’après un relevé de La Presse au Québec, plus de la moitié des résidences« accréditées » sont encore dépourvues de gicleurs. Dans une telle situation, en cas d’incendie, les décès seront beaucoup plus nombreux (7,3 pour mille feux contre 1,3 avec des gicleurs, selon la National Fire Protection Association des États-Unis). D’autres résidences au Québec n’en possèdent qu’en partie. Partout, sans coupe-feu et structures résistantes, le risque reste donc grand qu’un incendie mène à la catastrophe.

Là où des gens sont malades, handicapés ou inaptes à réagir, leur survie dépend du personnel en place et du service d’incendie. Or, le personnel de nuit est parfois insuffisant. Il sera débordé par le nombre de résidents à prévenir et à mettre en sécurité. Les pompiers, eux, font face au dilemme d’avoir à combattre le feu et à évacuer les résidents. S’il s’agit de sapeurs volontaires ou à temps partiel, leur intervention pourra prendre plus de temps. Dans tous les cas, l’urgence se compte en minutes.

Les pouvoirs publics sont conscients, certes, de l’importance des mesures de prévention. Mais les gouvernements, comme la population, sont plus prompts à réagir aux cas de maltraitance qu’aux lacunes en matière de sécurité. Pourtant des foyers bâtis dans les années 1960, comme la maison Maimonides, ou plus récemment, par des associations Alzheimer, sont exemplaires à cet égard. Comment expliquer que d’autres foyers n’aient pas encore été « mis à niveau » et présentent des dangers sérieux ?

L’aile de la Résidence du Havre construite en 2002 avait un coupe-feu : ses résidents ont échappé à l’incendie. Le Code national du bâtiment imposait alors un mur en maçonnerie ou en béton. Or, révèle The Gazette, ces exigences ont été supprimées à Ottawa en faveur d’autres matériaux, laissant vulnérables des foyers nouvellement construits. Après l’explosion de Lac-Mégantic, s’agit-il d’un autre cas de normes publiques dictées par des promoteurs privés ?

Au Québec, rapporte aussi le journal anglo-montréalais, les résidences pour personnes âgées ne sont pas tenues d’être reliées à une centrale d’alarme incendie. D’après la Régie du bâtiment, toutefois, ce sera obligatoire en mars prochain, mais pour les nouvelles résidences seulement. Pour les résidences déjà construites, cette exigence n’entrera en vigueur qu’en mars de l’année 2016. Que l’Ontario accuse aussi des retards sera d’une mince consolation pour les vieux du Québec qui brûleront entre-temps.

Le Québec, certes, ne manque pas de règlements ni d’inspections. Pour les garderies, les rapports des inspecteurs sont publics et facilement accessibles. Aurait-on plus de vigilance pour les tout-petits que pour les gens de « l’âge d’or » ? Dans le cas des inspections de résidences, en effet, il faut passer par la Loi d’accès à l’information, procédure encore fort commode pour cacher les failles d’un ministère ou l’incurie d’un ministre.

D’autres aberrations sont officielles. Ainsi, le code du Québec n’exigerait pas de gicleurs pour des résidences de moins de six étages. La « source » de la Gazette s’est-elle ici trompée, peut-on se demander, tellement la chose paraît invraisemblable. À L’Isle-Verte, la partie de l’immeuble qui a disparu avec la plupart de ses résidents n’avait que trois étages. Mais bien malin qui s’y retrouvera dans le fouillis des lois et règlements sur le bâtiment.

Et, comme le confirment les scandales dans la construction, on trouve aussi des manquements professionnels jusque parmi les architectes. En milieu urbain, on l’a vu à la commission Charbonneau, l’omertà fut généralement de règle, jusqu’aux révélations des journalistes. On n’ose imaginer quelle protection est encore garantie au public en milieu rural, ce Québec notoirement dépourvu de médias aptes à détecter les solidarités malsaines.

« Droits acquis », que de négligences mortelles commet-on en ton nom ! Les lois rétroactives n’ont pas bonne réputation, il est vrai, mais dans les questions de vie et de mort, pourquoi faudrait-il tolérer l’intolérable ? Que les résidences soient publiques ou privées, de plus en plus de retraités sont appelés à y vivre. Surtout s’ils ont besoin de soins médicaux, en vertu de quoi les exposerait-on à des risques insensés ? Voilà un exemple où la « clause grand-père » n’est qu’avocasserie indéfendable.

Les politiciens ne sont pas seuls en cause, toutefois. Les vieux de L’Isle-Verte ne pouvaient sans doute pas prévoir que certains d’entre eux finiraient leurs jours dans une tragédie comme celle de la Résidence du Havre. Mais les baby-boomers d’aujourd’hui gagneraient à exiger dès maintenant plus de dignité et de sécurité dans les foyers collectifs qui les accueilleront dans le Québec de demain.

Jean-Claude Leclerc

pour Le Devoir

 



Articles Par : Jean-Claude Leclerc

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