L’Italie sous tutelle étasunienne. Une liste qui en dit long.

Que ce soit sous l’étiquette OTAN ou directement sous l’étiquette du Pentagone la liste des installations militaires des États-Unis sur le territoire italien publiée récemment par le nouveau parti communiste italien  http://nuovopci.it – est impressionnante. Tous nos remerciements à notre amie M-A P. qui a traduit ce document dont la portée politique est considérable.

C’est ce que nous allons tenter d’expliquer en quelques lignes.

Les trois armes : Terre USARMY, Air USAIRFORCE et mer  USNAVY  y sont présentes et  elles disposent sur place de tous les matériels et munitions nécessaires. Elles  y ont installé d’importants  postes de commandement régionaux c’est à dire dépassant les limites de l’Italie. En outre la présence permanente d’importants effectifs militaires étasuniens déployés sur le sol italien démontre que la plupart de ces bases sont toujours opérationnelles. S’y ajoutent enfin des camps d’entrainement pour des personnels de l’OTAN.

Sont également nombreuses sur tout le territoire des installations radio, radar et télécommunications qui permettent la surveillance par le Pentagone de l’ensemble du bassin méditerranéen, Mer Noire comprise, du détroit de Gibraltar au Canal de Suez. 

Cet énorme dispositif a été mis progressivement en place depuis l’entrée de la République italienne dans l’OTAN en 1949. La constitution italienne de 1946 peut bien déclarer que le pays refuse la guerre cela n’empêche pas un autre pays de pouvoir la faire à sa place. L’Italie peut à bon droit être considérée comme un protectorat étasunien puisqu’aucun de ses gouvernements depuis la guerre n’ a refusé cette tutelle. 

Cet encasernement de l’Italie s’est fait en plusieurs étapes toutes liées à des épisodes successifs des relations internationales en Europe et dans le bassin méditerranéen. Sans évidemment prétendre à balayer en quelques lignes l’histoire de l’Italie depuis la seconde guerre mondiale, nous avons essayé de cerner certaines périodes ou évènements-clés dans la mise sous tutelle de l’Italie par les États-Unis/ OTAN.

Premier temps : la guerre froide et la création de l’OTAN : au sortir de la guerre le parti communiste italien, PCI, qui a pris une part très importante à la libération du nord du territoire est avec le PCF le plus grand parti communiste d’Europe. S’appuyant sur le Vatican et la mafia italo-américaine (Lucky Luciano) les États-Unis, prenant le contrôle des nouveaux services de renseignement italiens et manipulant l’opinion, interviennent pour empêcher toute victoire communiste aux élections législatives de 1948. Bien que le PCI n’ait en rien menacé de recourir à la voie insurrectionnelle (Togliatti, secrétaire général du PCI, de retour de Moscou accepte de rappeler au pouvoir la monarchie de Savoie et le principe d’un gouvernement d’union – Svolta di Salerno), les USA organisent une résistance clandestine à un éventuel coup d’état en recyclant d’anciens cadres fascistes. Paradoxalement la seule tentative de coup d’état viendra d’un général des carabiniers  (De Lorenzo) qui, mis à la tête de cet appareil clandestin, se croira tout puissant et tentera de l’utiliser à son profit. Le tuteur s’y opposera.

Cette structure clandestine est aujourd’hui connue sous le nom de Gladio, organisée par la CIA autour des services secrets italiens. Bien que niée par tous les gouvernements italiens elle  a fonctionné jusqu’à la chute de l’URSS. Et Il a fallu attendre 1990 pour que le Président du Conseil Giulio Andreotti reconnaisse officiellement son existence et dévoile les documents officiels l’attestant. Il se peut que ce type d’activité clandestine se poursuive aujourd’hui sous d’autres formes, l’important étant qu’y soient associés les services secrets italiens et les services étasuniens, CIA, DIA et NSA.

Par la suite; les activités de Gladio ont été sans cesse adaptées à la conjoncture politique italienne et internationale. Centrées au début sur le contrôle de l’activité du PCI, elles prennent un premier tournant en 1969 après l’automne chaud dans les usines italiennes et l’émergence de groupes d’extrême-gauche qui mettent en cause le contrôle de la classe ouvrière par la PCI. De 1969 à 1974 Gladio va donc organiser des attentats qui seront faussement attribués à la mouvance d’extrême-gauche (par exemple l’attentat de la Piazza Fontana à Milan) et où la magistrature entravée ne parviendra pas à trouver des coupables. L’objectif est clair : criminaliser une extrême-gauche elle-même très diverse mais où s’expriment des courants anti-impérialistes critiques et des États-Unis et de l’URSS.

L’année 1974 est un tournant : la dictature portugaise est tombée en avril et la liquidation de Carrerro Blanco successeur de Franco en Espagne annonce la fin prochaine du franquisme.  Pour les États-Unis le choix est simple : favoriser dans ces deux pays la démocratie parlementaire (même en la mâtinant en Espagne d’une pincée de monarchie constitutionnelle), tout en empêchant le succès de partis communistes sortis de la clandestinité. Surgit alors d’un débat entre les partis communistes espagnol, français et italien le projet eurocommuniste qui, tirant les enseignements du Printemps de Prague, décident de s’émanciper de la tutelle de Moscou.

Ils espèrent ainsi prendre une grande place dans le nouveau concert de la démocratie parlementaire voire accéder à des responsabilités gouvernementales. En France le programme commun de la gauche en 1972 est une concrétisation de cette politique. 

En Italie cette politique est soutenue par le dirigeant démocrate-chrétien Aldo Modo sous le nom de « compromis historique ». Ce compromis est refusé par les Brigades Rouges qui décident alors de passer à la lutte armée et décideront en 1978 d’enlever celui qui est président du Conseil depuis 1974 et doit présenter à la Chambre, le jour même de l’enlèvement, le gouvernement de compromis historique avec, pour la première fois, la participation des communistes de Berlinguer, et finalement d’assassiner Aldo Moro. Ce jour même de l’enlèvement d’Aldo Moro arrive en Italie le représentant spécial du Président Carter Steve Pieczenik .  Il est venu donner les ordres de Washington : le risque d’introduire le PCI au gouvernement ne doits pas être pris. Conclusion : Moro ne doit pas être sauvé. Pieczenik a confirmé cette position dans le livre qu’il a publié «We killed Moro ». La démocratie-chrétienne a abandonné Moro et les BR vont l’assassiner après 55 jours de captivité. Les Brigatistes n’ont pas obtenu ce qu’ils demandaient, à savoir la libération de leurs prisonniers, le compromis historique est terminé, y compris en France où le programme commun est abandonné.

À ce moment là la lutte contre les BR et leur élimination définitive deviennent l’objectif central de Gladio autour de qui se mobilise l’ensemble de l’appareil d’état italien. Andreotti va lui succéder comme président du Conseil mais sans participation communiste. Fin du Compromis historique en Italie et, jusqu’à l’autodissolution du PCI en 1990, les communistes italiens n’accèderont jamais plus au gouvernement. Parallèlement la politique étasunienne de démocratisation limitée porte ses fruits en Espagne et au Portugal où des dirigeants socio-démocrates revenus d’exil (Felipe Gonzales et Mario Soares) arrivent au pouvoir dans des coalitions où les communistes ne trouvent pas leur place. Il s’ensuivra quasi mécaniquement l’entrée de l’Espagne (mai 1982) dans l’OTAN (le Portugal dictatorial comptant lui au nombre des fondateurs en 1949).

Pour parachever l’opération anti-communiste de reprise en main de l’Italie en octobre 1978, le Vatican joue son rôle habituel et le concile élit le cardinal polonais Karol Wojtyla comme pape.  Un pape slave sorti du cœur du Comecon ! Beau succès pour l’empire !

La disparition d’Aldo Moro ne met pourtant pas un terme aux activités terroristes de Gladio qui outre sa participation à la capture des membres du commando des BR qui ont tué Moro doit consolider le bloc répressif autour de la démocratie chrétienne et pour ce faire organise des attentats aveugles destinés à terroriser la population, le plus connu étant celui de la gare de Bologne en 1980. S’installe alors au pouvoir une coalition réunissant la Démocratie-chrétienne, le Part socialiste italien, le parti républicain, le parti social démocrate italien et le parti libéral italien dénommée le Pentapartito qui met en place un système dit lottizzazione de partage entre les 5 associés de tous les lieux de pouvoir en Italie : grandes entreprises nationales, autoroutes, banques….et des ressources financières qui vont avec.

La chute de l’URSS et l’auto-dissolution du PCI qui se transforme en Parti démocrate (Pd) permettent à Andreotti de lever le voile (tout le voile ?) sur Gladio et sur la période qui s’achève dite de la première république, où la corruption de tous les partis au pouvoir, qui ont plongé les mains dans la richesse publique qu’ils ont partagée entre eux comme le ferait une mafia, a suscité un immense dégoût populaire. Il va s’exprimer sous forme d’un soutien à l’opération « Mains propres » conduite par des magistrats (au premier rang desquels Di Pietro) enfin libérés des immenses pressions subies pendant la période précédente. Mais ils ne sont pas porteurs d’un projet de « gouvernement des juges » qui de toutes manières ne conviendrait pas à la bourgeoisie italo/otanienne ; va alors émerger en 1994, sur les décombres puants du Pentapartito, le parti de droite Forza Italia fondé par Silvio Berlusconi qui avec ses chaines de télévision maitrise les nouveaux modes de propagande de masse et a l’appui de l’extrême-droite. Le système Berlusconi qui s’installe va dominer la vie politique italienne pendant 17 ans et va permettre au « cavaliere » d’être deux fois encore à la tête du gouvernement. Il sera à ce poste le fidèle parmi les fidèles du parrain étasunien GW Bush et on lui doit la répression brutale de la manifestation de Gênes contre le G8 en Juillet 2001. 

Cette violence délibérée exprimait la volonté du camp impérialiste de donner un coup d’arrêt au mouvement altermondialiste, à l’époque seul mouvement international critique de l’impérialisme globaliste mis en place à partir de la chute de l’URSS, dont les sommets avaient de plus en plus d’écho et qui rassemblait des militants des pays occidentaux et des pays du Sud. 

Amnesty International a qualifié cette répression de manifestants pacifiques de « plus grande violation des droits humains et démocratiques dans un pays occidental depuis la Seconde Guerre mondiale ».

  Cette permanence de l’emprise étasunienne sur la vie politique italienne facilitée par l’action du Vatican ne pouvait que faciliter l’implantation massive de l’armée étasunienne sur le sol italien. Le document du (n)pci ne donne pas de détail sur la progression de cette implantation tout au long de 7 décennies mais tout indique que l’armée étasunienne n’a jamais été freinée dans cette expansion.

Un des plus gros succès de cette tutelle a été l’agression de la Serbie par l’OTAN au printemps 1999. En effet le plus actif et le plus déterminé des protagonistes des bombardements de la Serbie qui ont visé non pas l’armée serbe mais la population et les infrastructures économiques du pays a été le président du Conseil italien Massimo D’Alena, ancien dirigeant du PCI devenu dirigeant du Parti Démocrate (PD). Un très spectaculaire retournement de veste.

L’Italie a  ensuite pris toute sa place dans la guerre infinie contre le terrorisme initiée par Bush le 12 septembre 2001 y compris dans l’agression de la Libye en 2011 ; et même si dans ce cas Sarkozy lui a volé la vedette comme propagandiste de la guerre Otanienne elle a gardé toute son importance dans les opérations militaires en raison de sa position géographique. En effet Berlusconi, qui est alors chef du gouvernement, a signé en 2008 un traité d’amitié avec la Libye et va tenter d’éviter le recours à la guerre. Cette réticence passagère lui vaudra d’être mis sur la touche par les parrains de l’OTAN et par ses opposants en Italie. Il finira par se plier de mauvais gré à la décision de Washington, l’agression militaire de la Libye aura lieu et il démissionnera en novembre 2011 peu après la liquidation de Kadhafi. Mis à l’index, il ne reviendra plus jamais au cœur du pouvoir. Désobéir au patron se paye un jour ou l’autre.

Les péripéties suivantes de la vie politique italienne : l’effondrement des partis traditionnels et l’émergence soudaine d’un nouveau  parti -les 5 Etoiles- pas plus que l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni du parti d’extrême-droite Fratelli d’Italia (et formée politiquement par le Berlusconisme) ne changeront en rien le positionnement atlantiste du pays sur toutes les questions internationales.

À noter enfin que chaque fois que surgissent de ces fréquentes péripéties électorales des parlements d’où il s’avère impossible d’extraire une majorité de gouvernement, les réseaux militaro-politiques comme Gladio, l’ambassade des États-Unis et le Vatican agissent dans les profondeurs de la société et arrive au pouvoir un « technicien » de « consensus » comme les Prodi, Ciampi, Monti et autres : le chef d’œuvre étant le passage direct de Mario Draghi de la Présidence de la Banque centrale européenne à la présidence du conseil italien. Il s’agit d’un cas extrême où ce n’est plus l’« État Bourgeois » qui défend les intérêts du Capital mais c’est la Capital qui prend lui-même et directement la direction de l’État Bourgeois. À cette aune le cas Macron est un peu différent puisque le banquier Rothschild a été hybridé avec la technocratie d’État via l’Inspection des Finances.

La permanence de l’influence otanienne se manifestera par la participation italienne à toutes les opérations militaires impériales depuis 1990 ainsi que par la mise en place progressive de la partie industrielle du « complexe militaro-industriel » italien aujourd’hui bien développé autour de quelques grands noms comme FINCANTIERI et LEONARDO ;  sujet qui mérite une présentation plus détaillée d’autant plus que les liens entre le CMI italien et le CMI français se sont approfondis. 

 Le seul changement, c’est-à-dire la sortie de l’OTAN, ne peut venir que d’un mouvement de masse populaire prolongé. Le document du (Nouveau) Parti Communiste Italien s’inscrit très opportunément dans cette démarche qui a aujourd’hui un écho populaire en Italie.  

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Pour consulter la liste cliquez sur le lien suivant :

Liste (grande partie si ce n’est toutes) des installations USA-OTAN en Italie, distribuées par région

(http://www.nuovopci.it/voce/comunicati/com2023/com14-23/Com.CC_14-2023_Non_dare_tregua_al_governo_Meloni.html )

Traduit de l’italien par M-A P pour le Comité Comprendre et Agir contre la Guerre (COMAGUER Marseille)



Articles Par : Comaguer

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