Livre: Histoire des services secrets algériens: du MALG au DRS

Préface du livre de Lyès Laribi, parue sous le titre : L’Algérie enchaînée – Ed. Erick Bonnier – Encre d’Orient – 2016*

Lyès Laribi, auteur de ce livre, n’a pas froid aux yeux car il sait ce qu’il en coûte de dénoncer le système policier qui tient le peuple algérien en coupe réglée – pour le meilleur et surtout le pire – depuis l’indépendance du pays.

Arrêté, humilié, torturé, parce qu’animateur d’un syndicat étudiant indépendant réclamant plus de démocratie, Lyès Laribi n’a eu de cesse – depuis sa libération et son départ avisé pour l’exil – de témoigner de ce qu’il a vu et subi – avec ses compagnons de misère– dans les prisons de la région d’Alger et dans un camp de concentration du désert du Sahara (1).

Cet ouvrage, écrit dans le français parlé par les algérois, s’adresse d’abord au peuple algérien, victime – comme il l’a été – d’une machine répressive devenue démente entre les mains de militaires dépravés. Il s’attaque cette fois au saint des saints du régime : son service de renseignement et de répression, son faiseur de rois, connu sous différents acronymes depuis sa fondation pendant la guerre d’Algérie : MALG, SM, DRS, et récemment DSS.

Autant le dire tout de suite, l’Histoire des services secrets algériens est un bâton de dynamite jeté sur la camarilla de généraux prédateurs, d’hommes politiques corrompus et d’affairistes véreux qui dirigent actuellement le pays et qui sont prêts à tout – vraiment à tout – pour garder le pouvoir.

Infiltrations

Au départ était le MALG – créé par Abdelhafid Boussouf –, colonne vertébrale du Front de Libération National (FLN). Il a approvisionné les combattants en armes et munitions, écouté les transmissions de l’armée française, démasqué et éliminé les agents infiltrés par Roger Wybot, directeur de la DST, Paul Grossin, chef du SDECE… ou mieux par le capitaine Paul Léger qui était parvenu, clandestinement, à prendre un temps en main la Zone Autonome d’Alger (ZAA). Depuis, nombreux sont les Algériens qui croient à la survie d’un réseau clandestin – Hizb al França, le parti de la France– composé de moudjahidine retournés, de soldats et officiers algériens déserteurs de l’armée française (dits péjorativement DAF), conduisant leur pays à sa perte. Ils n’ont peut-être pas tout à fait tort, l’Algérie étant quelques cinquante années plus tard, véritablement « au bord du gouffre », pour reprendre une expression employée par Kaïd Ahmed, un temps secrétaire général du Parti du FLN.

La chasse aux fondateurs du FLN

En 1962, le MALG, instrumentalisé par certains de ses membres, a dépossédé son fondateur, les dirigeants des maquis et le GPRA –Gouvernement provisoire de la République algérienne siégeant à Tunis – de leur victoire. Le colonel Houari Boumediene, basé à Oujda, au Maroc, formé par Boussouf et promu chef de l’armée des frontières, a fomenté avec succès un coup de force pour porter au pouvoir Ahmed Ben Bella, un des chefs historiques du FLN, « nationaliste arabe et progressiste » comme on disait à cette époque.

Une main de fer

Bâtir une nation indépendante n’est pas une mince affaire, surtout lorsque le pays est miné par les ambitions des uns, les insatisfactions des autres, les séquelles léguées par la colonisation, la guerre et le jeu des puissances étrangères : celui de la France d’abord, des Etats-Unis, de l’Egypte de Nasser ensuite, et accessoirement ceux de l’URSS. Le 17 juin 1964, le colonel Boumediene s’est débarrassé de Ben Bella avant que ce dernier ne l’écarte, puis a éliminé physiquement, ou neutralisé politiquement, les pères fondateurs du FLN qui s’opposaient à lui. Lyès Laribi en décrit la chasse impitoyable.

Le président Boumediene, austère et intègre, tenait son pays d’une main de fer. On peut regretter qu’à cette époque le développement du pays – prometteur – ne se soit pas déroulé dans des conditions plus démocratiques, notamment par la reconnaissance de l’amazighité – la berbérité – comme composante de l’identité algérienne. Jusqu’au décès du président Boumediene en décembre 1978, suite à une maladie peut-être provoquée, la SM (nouvelle appellation du MALG), dirigée par Kasdi Merbah – formé dans les écoles du KGB – veillait à ce que les intellectuels communistes moscoutaires ou trotskystes, ou les adeptes du grand penseur musulman Malek Bennabi, à l’origine de la renaissance du courant islamique algérien, ne dépassent pas les lignes rouges qui leur étaient assignées.

Cinquième colonne

Elu président en 1979, parce qu’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé, le colonel Chadli Bendjedid mesurait-il les conséquences de sa décision de purger la direction de la SM de ses « Malgaches » – nom donné aux anciens du MALG – pour les remplacer en 1990 par des DAF aux motivations plus que douteuses ? Abdelhamid Brahimi, ancien Premier ministre (1984-1988), accuse quatorze d’entre-eux d’avoir déserté sur ordre et d’être une cinquième colonne au service des intérêts français. Parmi eux, le général-major Khaled Nezzar, ancien sous-officier de l’armée française ayant rejoint très tardivement les rangs de l’ALN (Armée de Libération Nationale) qui dirigera la répression sanguinaire du soulèvement populaire provoqué par l’arrêt du processus électoral qui devait porter démocratiquement le Front islamique du Salut (FIS) au pouvoir.

Nommé ministre de la Défense en 1990 par Chadli qu’il allait renverser deux ans plus tard, aidé par un autre DAF – Larbi Belkheir, ombrageux et puissant directeur de cabinet présidentiel, puis ministre de l’Intérieur – Nezzar rebaptisa les services secrets algériens DRS – Département du Renseignement et de la Sécurité – et en donna la direction au général Mohamed Mediène, dit Toufik. Une page se tournait : c’en était fini de « La Mecque des révolutionnaires », l’Algérie allait entamer sa descente aux enfers.

Des révolutionnaires devenus tortionnaires

Après les massacres de Sétif, de Guelma et des gorges de Kherrata en 1945 – 45 000 morts selon les nationalistes algériens – le général Paul Duval, chargé de la répression des « indigènes ,» a déclaré qu’il avait donné à la France « la paix pour dix ans ».

Général Nezzar… après la guerre civile que vous avez provoquée et qui a coûté à l’Algérie entre 150 000 et 250 000 morts et 18 000 disparus – en grande majorité victimes des forces gouvernementales -, combien de temps donnez-vous encore au régime actuel avant qu’il ne s’effondre ?

Dans sa « Lettre à des amis algériens devenus tortionnaires » parue en 1992 (Albin Michel), l’avocat Jacques Vergès, défenseur des prisonniers du FLN pendant la guerre d’Algérie, écrit : « Il y a trente ans, je dénonçai la pratique de la torture par la police et une partie de l’armée française en Algérie. Si on m’avait dit, alors, que la torture serait à nouveau utilisée contre les Algériens et par ceux qui se prétendent les héritiers de la révolution, quoique sans illusions sur les hommes, je ne l’aurais pas cru. Sans doute ai-je été naïf. Nous le fûmes tous». Lyes Laribi estime à 500 000 le nombre d’Algériens – catalogués à tort ou à raison d’islamistes – passés alors entre les mains des tortionnaires de la police politique.

(1) Dans les geôles de Nezzar (Editions Paris-Méditerranée, Paris, 2002)

Nota :

Lyès Laribi évoque les « petits services » rendus par les services secrets algériens à leurs homologues occidentaux – SDECE, CIA, KGB et même Mossad – parmi lesquels un coup de pouce donné au SDECE qui pourchassait Ilich Ramirez-Sanchez, dit Carlos. Ils auraient ainsi laissé entrer en Algérie une équipe de tueurs chargés de l’assassiner. J’ai écrit à Carlos pour lui demander s’il s’en souvenait. Du fond de sa cellule à la Maison centrale de Poissy, il me l’a confirmé : « Les agents français étaient piégés en Algérie. Envoyés pour me tuer, ils furent arrêtés par la Sureté générale et expulsés, sous la menace d’être tués la prochaine fois. En effet, les « services » algériens nous ont instrumentalisés pour identifier les agents des services de l’OTAN, dont des Français ». Carlos qualifie de « trahison » le comportement du colonel Ahmed Draïa qui dirigeait la Sureté générale et qui avait laissé se dérouler l’opération du SDECE sans les prévenir. Il ajoute que les tueurs remis à la Sureté générale avaient en fait été arrêtés par la Sécurité Militaire (SM).

Lyès Laribi fait également état de tentatives de déstabilisation de l’Algérie ourdies dans les années 70 que je peux confirmer pour m’y être intéressé. Permanent de l’Association de Solidarité Franco-Arabe (ASFA), présidée par Louis Terrenoire, ancien ministre du général de Gaulle, j’ai vite appris – comme on dit « de sources bien informées » – que le mystérieux Groupe Charles Martel qui terrorisait la communauté algérienne immigrée à coups d’attentats et d’assassinats émanait de cercles gravitant autour du SDECE, du président Valéry Giscard d’Estaing et de Michel Poniatowski, son ministre de l’Intérieur, tous deux anciens membres de l’OAS. Aussi, quand une non moins mystérieuse organisation appelée Soldats de l’Opposition Algérienne (SOA) fit son apparition en revendiquant un attentat contre le quotidien El Moudjahid et en menaçant de soulever la Kabylie, je me doutais que les ordres et la logistique provenaient des mêmes milieux. L’épilogue fut des plus pitoyables : la SM arrêta les « pieds nickelés » manipulés par le SDECE qui furent échangés contre on ne sait quels engagements quelques années plus tard.

* Histoire des services secrets algériens : du MALG au DRS (Erick Bonnier Editeur – Encre d’Orient – 2016 – 20 euros)

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Articles Par : Gilles Munier

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