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L’Otan, la nouvelle Sainte Alliance
Par Mikis Theodorakis
Mondialisation.ca, 06 avril 2016
Le Saker allemand
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/lotan-la-nouvelle-sainte-alliance/5518955

Le nouveau Moyen Âge

Il y a dix sept ans aujourd’hui qu’a débuté la longue série des guerres et des agressions de l’Otan visant à obtenir des changements de régime ; le 24 mars 1999, l’Otan a commencé à bombarder Belgrade. Peu importe comment on juge le conflit d’alors – la violation du droit international intervenue à l’époque perdure encore aujourd’hui. Et il ne reste presque personne pour ignorer encore le résultat – le mélange de bases américaines, de bordel et de centrale mafieuse connu sous le nom de Kosovo – qui est la conséquence de cette action. À l’époque, l’Otan s’est posée à la fois en juge et en bourreau, et les États ayant participé au crime ont depuis lors, dans des compositions diverses, laissé une large traînée de sang autour du globe.

Vidéo du bombardement de Belgrade de mars à juin 1999. Par parenthèse, l’Otan était à ce moment-là en mesure d’identifier sans problème les stocks de pétrole pour les bombarder, ce qu’elle ne réussit désespérément pas avec Daech, bizarre, bizarre !

 

Depuis ces événements, ce qui était une fois la gauche allemande est profondément divisé. Les Verts, de parti de la paix qu’ils étaient, se sont transformés en parti de la guerre, mais jusqu’ici, on n’a pas réussi à les traiter comme le parti de la guerre réactionnaire qu’ils sont effectivement. Le fait qu’aujourd’hui beaucoup de gens ne savent plus à quoi correspondent, concrètement, les notions de gauche et de droiteest la conséquence de cette trahison.

C’est probablement aussi cette attaque qui a incité les éléments encore fonctionnels de l’appareil de sécurité russe à se soucier de remplacer Eltsine, la marionnette ivre, par Vladimir Poutine. Car à cette date on pouvait déjà deviner qu’à l’avenir, un destin semblable serait préparé pour chaque pays osant opposer ses propres intérêts aux diktats du Quartier général de l’Otan.

Le 26 mars 1999, un grand concert de solidarité du compositeur Mikis Theodorakis a eu lieu à Athènes, sur la place Syntagma. Auparavant, il a publié dans le quotidien grec To Vima un texte qu’on ne peut rétrospectivement que qualifier de prophétique. Si on se demande pourquoi la Grèce a dû être si minutieusement détruite par la politique d’austérité de la Troïka, alors il se peut que la résistance grecque de l’époque contre la politique de l’Otan en soit une des raisons.

Dagmar Henn

Voici le texte de Mikis Theodorakis : L’Otan, la nouvelle Sainte Alliance

Les événements en Yougoslave nous ont surpris…

Les événements en Yougoslavie nous ont surpris. Moins les bombardements en soi – nous nous y étions habitués avec la guerre du Golfe – mais beaucoup plus l’irruption d’une NOUVELLE ÈRE sur la scène internationale. Une ère qui jette aux poubelles de l’Histoire l’époque qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, celle qui a établi les règles internationales dans le cadre desquelles nous avons vécu pendant la dernière moitié de ce siècle, et cela à des conditions qui avaient été acceptées par tous.

Les années qui ont suivi la chute du nazisme et la fondation des Nations Unies n’ont assurément pas été idylliques ; la plupart d’entre elles ont été marquées par les rivalités de la Guerre froide, la menace atomique et d’innombrables conflits de toutes sortes qui ont coûté d’innombrables victimes à l’humanité.

Le grand vaincu de cette période est le communisme, tant dans sa forme étatique que comme idéologie et domination d’un parti. Les efforts de deux siècles de recherche et d’application de l’idéal socialiste, dans le but de construire une société plus juste et plus humaine, se sont écroulés en une seule nuit et ont installé le capitalisme en vainqueur au centre de la forteresse du communisme, à Moscou, et de là, dans tous les pays du socialisme réel, à quelques exceptions près.

La proclamation des États-Unis comme unique superpuissance en a été la conséquence naturelle. Pour eux, il n’y a plus d’adversaire à craindre, tandis que, parallèlement à cela, leur pénétration et leur domination économique ne se heurtent plus à aucun obstacle sérieux.

L’Europe qui émerge de l’union monétaire ne peut pas être considérée comme un adversaire sérieux de la domination mondiale des États-Unis, puisque les fonds américains ont veillé à pénétrer profondément l’économie européenne et à jouer un rôle essentiel et déterminant dans les décisions économiques de l’Europe.

Les intérêts économiques, les marchés, les réserves pétrolières et la garantie d’un fonctionnement normal par les sociétés supranationales, ainsi que tout ce qui a à voir avec le contrôle intégral des États-Unis sur toutes les zones périphériques du globe : rien de plus normal, que tout cela ne soit assuré que par une puissance économique sans concurrence, mais aussi par une concentration des moyens de destruction sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

Que veulent les États-Unis sinon imposer leur volonté et leurs intérêts presque sans contrôle à toute la terre ?

Nous devons étudier cela, étudier ce qui, à notre avis, fonde le début d’une NOUVELLE ÈRE dans l’histoire de l’humanité et s’exprime dans la guerre d’extermination menée contre la Yougoslavie, pour faire nos comptes de ce qui se passe chez nos voisins et quelles en seront les conséquences pour notre vie nationale.

Si nous analysons les événements d’après les critères habituels du droit international à notre époque, tels qu’ils sont exprimés par l’existence de l’ONU, alors je crains que nous ne fassions erreur.

Ce qui apparaît automatiquement, en fait, ce sont les facteurs économiques de l’industrie de l’armement, dont on sait qu’ils constituent l’élément essentiel du développement, tant aux États-Unis que dans les grands pays européens, et qu’ils font des affaires en or sur ce nouveau théâtre militaire : chacun peut donc prétendre que ces intérêts se cachent tout simplement derrière les bombardements.

Il est connu que ces intérêts ont mené jusqu’à aujourd’hui à une grande quantité de conflits locaux, qui ont culminé, entre autres, dans la guerre du Golfe il y a dix ans, sans qu’on n’ait tenu compte du Conseil de sécurité et de l’ONU. En tout cas, les États-Unis se sont efforcés de préserver les apparences.

Dans le cas de la Yougoslavie, il est devenu évident que le directoire des pays membres de l’Otan ne s’est pas contenté de traiter l’ONU avec mépris, mais qu’il a tout fait pour que ce mépris soit perçu par les médias, comme si on voulait envoyer un message aux quatre points cardinaux.

Et ce message est clair :

– le droit international, tel qu’il a été défini dans les statuts de l’ONU, est aboli,

 le sens et la substance de la souveraineté des États sont abolis,

– l’équilibre de l’ordre mondial est aboli.

Qu’est-ce qui est proposé à la place ?

Une nouvelle Sainte Alliance avec les États-Unis à sa tête, entourée des pays européens les plus puissants, pour fonder le nouveau directoire qui utilise le cadre de l’Otan pour attirer les autres pays d’Europe dans le piège et les neutraliser.

La Sainte Alliance proclame l’Otan, c’est-à-dire son organe guerrier, comme sa plus haute instance, dont les nouveaux principes constituent la seule loi à laquelle tous les peuples du monde doivent se plier.

La découverte de la sensibilité humaine est, il faut l’avouer, un mouvement sage, qui a pour but de neutraliser les réactions que les peuples d’Europe et d’Amérique, ainsi que l’opinion mondiale en général, peuvent manifester au premier stade de la création et de l’annonce du nouvel instrument de la domination mondiale.

En réalité, il ne s’agit pas d’obtenir une soumission, mais une identification enthousiaste, comme on la voit d’ailleurs chez les Américains, une identification qui, à mon avis, dépasse de loin les seules réalisations économiques et autres.

Cette identification se reflète dans l’opinion publique des pays européens, chez les acteurs politiques, sociaux et autres, et même au sein des gauches européennes : il est tout simplement impossible que d’un instant à l’autre, tous soient frappés de cécité collective, qu’ils ne voient ni ne comprennent ce qui est évident, et qu’ils justifient cette concentration de moyens d’une destruction massive et sans précédent d’individus, de populations et de services humanitaires. Comme si les Balkans et leurs habitants étaient le lieu et les enfants d’un dieu inférieur qui ne les concerne pas. Là, parler encore de destruction écologique sonne comme une plaisanterie de très mauvais goût.

Alors que se passe-t-il ?

J’ai peur que les Européens n’aient que trop bien compris et qu’ils se trouvent heureux que leur souverain les compte parmi ses élus.

Après tout, ne sont-ils pas supérieurs, d’une certaine manière ? N’appartiennent-ils pas à la même race ? Ceux qui ont représenté la majorité opprimée, que les États-Unis ont justifiée avec les immigrés, auxquels aujourd’hui leur progéniture et bientôt les cosmocrates – les dirigeants de la planète – tendent la main et invitent à appliquer le NOUVEL ORDRE DES CHOSES, qui sont soucieux de s’assurer sur les ruines de la Yougoslavie et montrer, avec cet exemple, à tous ceux qui veulent encore s’opposer aux ordres des nouveaux maîtres de la terre, ce qui les menace.

Pour conclure cet article, je me demande si derrière tout cela, ne se cachent pas de vieilles différences culturelles.

L’homme occidental, qui est libéré de ses phobies de la Guerre froide, qui voit ses ennemis ruinés et s’enivre de sa puissance, a-t-il senti en lui sa vieille suffisance et son envie de domination économique, politique, militaire et culturelle totale ?

A-t-il de nouveau revêtu son armure de Croisé ?

Avez-vous bien compris ?

Est-ce le début d’un nouveau Moyen Âge ?

***

Le soir du concert, Theodorakis a complété ce texte par un bref discours :

«Hier, à Washington, les Nations Unies ont signé l’arrêt de mort, l’assassinat du droit international. Hier, à Washington, la loi de la jungle, le droit du plus fort a été signé. Les États-Unis peuvent maintenant, avec les pays européens, juger tous ceux dont ils pensent qu’ils n’entrent pas dans leurs plans. Ce n’est pas exagéré de dire que nous entrons dans un nouveau Moyen Âge. Vêtements et souliers chauds, foulards de coton et gants… une nouvelle ère glaciaire arrive.

Quand les bombardements ont commencé, j’ai dit que les violations du droit international et les meurtres qui ont été mentionnés ne servaient que d’excuses, que ce sont les mêmes discours, et les conventions pour une solution, et que leur but principal est de transformer la Yougoslavie en une terre brûlée, et ils le feront s’il n’y a pas de résistance. Ils veulent faire de la Serbie un désert de cendres et de sang afin que cela serve d’exemple aux autres victimes, et ils disent : «Voyez ce qui arrive lorsque vous n’obéissez pas.»

Nous, les Grecs, pouvons être fiers, car nous sommes les seuls qui sont unis et déterminés à dire NON à la barbarie ! Nous nous tenons aux côtés de nos frères serbes, des victimes, et nous voulons couvrir le hurlement des sirènes et le sifflement des fusées avec notre chant. Belgrade, aujourd’hui nous chantons pour toi !

Chantons tous ensemble bien fort, afin d’être entendus. Nous sommes avec vous, alors soyez courageux ! La justice est de votre côté, et la justice finit toujours pas vaincre à la fin. Je pourrais dire que nous devrions chanter pour que les Européens nous entendent, mais je crains que ce ne soit une perte de temps. Presque tous là-bas sont aveugles et sourds. »

Mikis Theodorakis

Commémorons aujourd’hui les victimes d’alors : le peuple Yougoslave et le droit international.

 

Article original en grec. Traduit et publié en allemand sur le Saker allemand.

Traduit du grec à l’allemand par Guy Wagner, traduit de l’allemand par Diane, vérifié par jj, relu par nadine pour le Saker francophone

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