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L’Otan pousse l’UE vers une nouvelle Guerre froide
Par Manlio Dinucci
Mondialisation.ca, 25 mai 2014
ilmanifesto.it
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Silence politico-médiatique sur la réunion des chefs d’état-major des États membres de l’Otan, qui s’est déroulée à Bruxelles les 21-22 mai. Pourtant il ne s’est pas agi d’une rencontre de routine, mais d’un sommet qui a énoncé une nouvelle stratégie qui conditionnera l’avenir de l’Europe. Il suffit de penser que 23 des 28 pays de l’UE sont en même temps membres de l’Otan : en conséquence les décisions prises par l’Alliance, sous leadership étasunien indiscuté, déterminent inévitablement les orientations de l’Union européenne.

C’est le général US Philip Breedlove —c’est-à-dire le Suprême commandeur allié en Europe, nommé comme toujours par le président des États-Unis— qui a énoncé à Bruxelles le point de virage : « Nous sommes à la décision cruciale de comment affronter, sur le long terme, un voisin agressif ». À savoir la Russie, accusée de violer le principe du respect des frontières nationales en Europe, en déstabilisant l’Ukraine en tant qu’État souverain et en menaçant les pays de la région orientale de l’Otan. Le prêche vient du pupitre d’une alliance militaire qui a démoli par la guerre la Yougoslavie, jusqu’à séparer même le Kosovo de la Serbie ; qui s’est étendue à l’est, en englobant tous les États de l’ex-Pacte de Varsovie, deux de l’ex-Yougoslavie et trois de l’ex-URSS ; qui a pénétré en Ukraine, en prenant le contrôle de positions clés dans les forces armées et en entraînant les groupes néo-nazis utilisés dans le putsch de Kiev. Il est significatif qu’à la réunion des chefs d’état-major des pays de l’Otan, le 21 mai à Bruxelles, ait aussi participé le général Mykhallo Kutsyn, nouveau chef d’état-major ukrainien. En même temps le secrétaire général de l’Otan Anders Fogh Rasmussen, en visite à Skopje, a assuré que « la porte de l’Alliance reste ouverte à de nouveaux membres », comme la Macédoine, la Géorgie et naturellement l’Ukraine. L’expansion à l’est continue donc.

L’Otan, prévient le Suprême commandeur en Europe, doit entreprendre une « adaptation stratégique pour affronter l’utilisation du côté russe de manœuvres improvisées, cyber-activités et opérations secrètes ». Ceci « coûtera de l’argent, du temps et des efforts ». Le premier pas consistera en l’augmentation ultérieure de la dépense militaire de l’Otan, déjà supérieure aujourd’hui aux 1 000 milliards de dollars annuels : à cette fin le secrétaire étasunien à la Défense Chuck Hagel a pré-annoncé une réunion, à laquelle participeront non seulement les ministres de la Défense mais aussi ceux des Finances, réunion dont le but est de pousser les alliés à augmenter leur dépense militaire.

Le scénario de l’ « adaptation stratégique » de l’Otan va bien au-delà de l’Union européenne, en s’étendant à la région Asie-Pacifique. Là —sur la vague des accords russo-chinois, qui rendent vaines les sanctions occidentales contre la Russie en lui ouvrant de nouveaux débouchés commerciaux à l’est— se préfigure la possibilité d’une union économique eurasiatique en mesure de contrebalancer celle des USA et de l’UE, que Washington veut renforcer avec le Partenariat transatlantique pour le commerce et les investissements (TTIP). Les accords signés à Pékin ne se limitent pas aux fournitures énergétiques russes à la Chine, mais concernent aussi des secteurs à haute-technologie. Par exemple, est à l’étude le projet d’un gros avion de ligne qui, produit par une joint-venture russo-chinoise, ferait concurrence à ceux de l’Étasunien Boeing et de l’Européen Airbus. Un autre projet concerne la construction d’un super-hélicoptère pouvant transporter une charge de 15 tonnes.

La question de fond, substantiellement ignorée dans la campagne des élections européennes, est : l’Union européenne doit-elle suivre les États-Unis dans l’ « adaptation stratégique » de l’Otan qui porte à une nouvelle confrontation Ouest-Est non moins dangereuse et coûteuse que celle de la Guerre froide ? Ou bien doit-elle se désaliéner pour entreprendre son chemin constructif en repoussant l’idée de jeter l’épée sur le plateau de la balance, en augmentant la dépense militaire, afin de conserver un avantage que l’« Occident » voit de plus en plus diminuer ?

L’unique signal qui vient de l’UE est une insulte à l’intelligence : la Commission européenne a décidé que, à partir de 2014, dans le calcul du Produit national brut (PNB) la dépense pour des systèmes d’arme soit considérée non pas comme une dépense mais comme un investissement pour la sécurité du pays.

Pour augmenter le PNB de l’Italie, nous investissons donc dans les F-35 [1].

Manlio Dinucci

Article original : Il Manifesto (Italie)

Traduction : Marie-Ange Patrizio

[1] « Le F-35, l’escroquerie du siècle », Réseau Voltaire, 30 avril 2014.

 

Branle-bas hier dans les médias (français) : les chefs d’état-major (français) se mobilisent et menacent de démissionner…

Exemple :

« Budget des armées : la mise en garde de Jean-Yves Le Drian à Manuel Valls »
http://www.lefigaro.fr/politique/2014/05/22/01002-20140522ARTFIG00332-…

Extraits :
« Dans une lettre que Le Figaro a consulté[e], le ministre de la Défense signifie au premier ministre sa grande préoccupation face aux graves conséquences militaires, industrielles et sociales d’un coup de rabot supplémentaire. François Hollande prendra sa décision « dans les prochaines semaines ». […]

Pour 2014, afin d’éviter une « impasse politique », le ministre souhaite la mobilisation des 500 millions de recettes exceptionnelles prévues par la LPM (dans son article 3). Il propose le lancement d’une nouvelle tranche de programme d’investissement d’avenir (PIA), « adossée à des cessions d’actifs de participations publiques », en clair la vente par l’État de parts qu’il détient dans des grandes entreprises du secteur de la défense ».

Autrement dit, vendre ce qui nous appartient : à qui ?
m-a

 

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