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Lula et Chávez : deux tournées, deux voies
Par Raúl Zibechi
Mondialisation.ca, 13 août 2007
Alai 13 août 2007
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https://www.mondialisation.ca/lula-et-ch-vez-deux-tourn-es-deux-voies/6535

Durant la première semaine d’août l’Amérique latine a été le témoin de deux importantes tournées de présidents avec des propositions diamétralement opposées, réalisées par Luiz Inacio Lula da Silva et Hugo Chávez.

Beaucoup d’observateurs et d’analystes préfèrent éviter le fait que deux des principales figures du continent ont entrepris des tournées qui mettent en évidence les difficultés de l’intégration régionale. Lula a visité cinq pays: le Mexique, le Honduras, le Nicaragua, Panamá et la Jamaïque, avec l’objectif de promouvoir les agro-combustibles. Chávez a visité aux mêmes dates l ‘Argentine, l’Uruguay, l’Équateur et la Bolivie, pour signer des accords qui impulsent l’intégration.

Celle de Lula pourrait s’appeler la « seconde tournée de l’éthanol ». La première, souvenons-nous, a été réalisée par George W. Bush début mars de cette année, quand il a conclu des accords à long terme avec Lula pour promouvoir les agro-combustibles. Maintenant le président du Brésil a voyagé pour contribuer à ce que les entrepreneurs de son pays installent des usines d’éthanol de canne à sucre dans les pays d’Amérique centrale. Au Mexique, première étape de son voyage, Lula a impulsé un accord entre la compagnie étatique Pemex et la transnationale Petrobras pour l’exploration et l’exploitation de pétrole dans les eaux du Golfe du Mexique. L’accord est intéressant pour Petrobras étant donné que l’entreprise est leader mondial en extraction de brut en eaux profondes, technologie que l’entreprise mexicaine ne possède pas.

La gauche mexicaine a réagi vivement. Andrés Manuel Obrador, victime d’une fraude électorale aux élections de 2006 au bénéfice de l’actuel président Felipe Calderón, a averti que Petrobras peut servir de « fer de lance » pour privatiser Pemex, un objectif largement caressé par les multinationales. « Je le respecte beaucoup, mais le mouvement que je représente, une opposition réelle, authentique, n’accepte pas qu’on livre la richesse pétrolière mexicaine à des étrangers, sous aucune modalité », a dit López Obrador au sujet des démarches de Lula, selon La Jornada du 6 août. Le leader mexicain a indiqué que Petrobras cherchera du pétrole dans les Caraïbes et en échange conservera une partie des hydrocarbures trouvés, ce qui ne comporte aucun risque car on sait où sont les gisements. Derrière Petrobras, argumente t-il, viendront les autres multinationales.

Sur les agro-combustibles, Lula a dit qu’il comptait sur l’appui du Mexique, « dans la campagne pour établir un marché mondial des combustibles plus propres, bon marché et renouvelables. Nous avons l’opportunité de démocratiser l’accès à de nouvelles sources d’énergie multipliant la création d’emplois et diversifiant la matrice énergétique ». Il est évident que le président du Brésil ne prend pas en considération les arguments invoqués ces derniers mois par Fidel Castro, parmi bien d’autres, contre ces énergies. Au Nicaragua, Lula a offert à Daniel Ortega son appui pour que ce pays se transforme en pionnier des agro-combustibles dans la région. « C’est complètement inadmissible et un crime de produire de l’éthanol à partir du maïs », lui a répondu le Nicaraguayen.

En Jamaïque, Lula a inauguré une usine de déshydratation de l’éthano,l propriété d’investisseurs jamaïcains et brésiliens, et au Honduras et à Panamá il a signé des accords pour le développement des combustibles à partir de la canne à sucre. Le quotidien Folha de Sao Paulo, le 5 août, a rappelé les motifs de fonds du Brésil pour étendre l’éthanol dans cette région. « L’intérêt est d’utiliser l’Amérique centrale comme plateforme d’exportation d’éthanol aux USA; ces pays ont des accords de libre-échange avec les Usaméricains et n’ont pas de limites pour l’exportation d’éthanol ». Le Brésil apporte la technologie et les capitaux, les Centre-Américains le travail semi-esclave dans les plantations de canne à sucre, et ainsi la puissance émergente parvient à ouvrir un marché protégé auquel elle a d’énormes difficultés à accéder. La manière de penser de Lula est transparente: « Ensemble nous pouvons constituer une puissance économique mondiale » a t-il dit à Felipe Calderón, le président de droite du Mexique.

 

  

La tournée de Chávez a été très différente. En Argentine il a signé un accord avec Nestor Kirchner pour l’achat de 500 millions de dollars en bons argentins et s’est engagé à acheter une quantité similaire dans quelques mois. Cet accord est vital étant donné qu’à la suite de la cessation de paiements de 2001, l’Argentine n’a pas accès aux crédits internationaux. De plus, il a signé un accord pour la construction d’une usine de regazification de gaz liquide vénézuélien à Bahia Blanca, alors que l’Argentine souffre d’une sérieuse crise énergétique. En Uruguay, il a signé un Traité de Sécurité Energétique avec Tabaré Vazquez, par lequel les entreprises d’état Ancap et Pdvsa vont travailler à doubler la capacité de production de la raffinerie uruguayenne et une entreprise mixte a été créée pour extraire du brut de la Bande de l’Orénoque, considérée comme la première réserve mondiale. Ainsi l’Uruguay s’assure de l’énergie à long terme.

Cette fois Vazquez et Kirchner sont tombés d’accord. « Quel autre gouvernement du monde a fait une offre d’une telle ampleur et grandeur », a déclaré l’Uruguayen. « Nous autres Argentins devrions être et sommes reconnaissants, parce que tout ce dont nous avons besoin a été accordé », a dit un ministre très proche de Kirchner.

En Équateur, Chávez a conclu un investissement de 5.000 millions de dollars avec Rafael Correa pour la construction d’une raffinerie dans la province de Manabi, pour produire 300.000 barils de brut par jour, dans ce qui sera la plus importante raffinerie de la côte du Pacifique. En Bolivie, Chávez et Evo Morales ont conclu un accord destiné à la création de l’entreprise pétrolière bi-nationale Petroandina (entre YPFB et Pdvsa), qui aura comme premier objectif d’investir 600 millions de dollars dans l’exploration en Bolivie. Avec la naissance de YPFB-Petroandina, la Bolivie retrouve son droit d’explorer et d’exploiter ses hydrocarbures.

Les difficultés pour que le Venezuela entre dans le Mercosur ont été présentes dans la tournée. Jusqu’à maintenant les parlements d’Argentine et d’Uruguay ont ratifié l’adhésion du pays de Chávez au bloc. Le Paraguay et le Brésil retardent le processus. On sait que le parlement de Brasilia ne veut pas approuver l’entrée, du fait d’une majorité de centre-droit, bien que le gouvernement puisse faire valoir ses alliances. A Buenos Aires, Chávez a déclaré dans une réunion restreinte (Página 12 du 8 août) que les heurts entre le Venezuela et le Brésil ne viennent pas d’une « dispute de leadership » mais d’ « une confrontation de modèles énergétiques ». Les uns travaillent pour l’intégration sur la base du partage du pétrole et du gaz, s’assurant ainsi l’autonomie énergétique. Les autres se battent pour une intégration basée sur les agro-combustibles, impulsant la même politique que l’Empire.

Article original, ALAI,  publié le 11 août 2007.

 

Traduit par Gérard Jugant.  Gérard Jugant et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.

 

Raul Zibechi est Uruguayen. Journaliste, commentateur et écrivain, il est responsable de la section internationale de l’hebdomadaire Brecha, édité à Montevideo. En 2003, il s’est vu décerner le Prix latino-américain de journalisme José Marti.

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