Maïs et infamies
Felipe Calderón, l’allié des transnationales
Une manière d’occulter la réalité est de répéter un mensonge jusqu’à l’épuisement, en espérant que certains finiront par le croire. La question du maïs au Mexique fournit de nombreux exemples de cette technique de calomnies et de tromperie infamante.
Il y a quelques mois, l’augmentation du prix de la tortilla (galette de maïs) a engendré un énorme malaise dans le pays. Au vu de l’importance de cette plante au Mexique, d’où elle est originaire, la nouvelle a été diffusée dans tous les grands journaux du globe.
La majorité des médias ont expliqué que l’augmentation du prix du maïs était due à la hausse de son prix sur le marché mondial suite à la demande de ce grain comme agro-combustible.
Néanmoins, l’augmentation du prix de la tortilla a été beaucoup plus importante que l’augmentation du prix du grain, et les grandes entreprises du commerce et de l’industrie du maïs ont largement profité de la conjoncture pour faire de juteux bénéfices.
Certains d’entre eux, comme Cargill [un des principaux traders de grain, de nourriture au monde, société dont le siège est dans le Minnesota – Etats-Unis ; elle est implanté dans 66 pays et emploie quelque 154’000 salarié·e·s], avaient même accaparé du maïs mexicain qu’ils ont ensuite vendu à plus du double de son prix d’achat.
Le gouvernement mexicain [1] est intervenu, et dans une réunion invraisemblable à laquelle participaient entre autres les grandes transnationales de la distribution et de l’industrialisation du maïs. Il y a été décidé de fixer l’augmentation du prix de la tortilla à 40%.
Et cela a été présenté par les médias, comme un frein à l’augmentation de prix de la tortilla – en faveur du public – alors qu’en réalité, cette décision équivalait à une légalisation de l’augmentation disproportionnée de prix imposée par les grandes entreprises. L’accord, qui devait se prolonger jusqu’au 30 avril, a récemment été renouvelé jusqu’au mois d’août 2007.
À cette occasion, les grandes entreprises de distribution, de transfromation et d’utilisation industrielle du maïs en tant que fourrage, ont exigé, outre le maintien du prix élevé de la tortilla, de payer des prix plus bas aux producteurs.
C’était effectivement l’heure de reconnaître que l’augmentation précédente ne correspondait pas à une réalité. En d’autres mots, ils ont exigé de gagner sur tous les plans. Et une fois de plus, «on» a signé l’ «accord», comme s’il s’agissait d’un acte de bienfaisance de la part du gouvernement mexicain afin de défendre les intérêts de la population. En fait, il s’agissait de légaliser le pillage et favoriser une série de transnationales, ce qui est le propre du gouvernement de choc de Felipe Calderón 1.
Parallèlement à ces arrangements, d’autres fronts de la guerre du maïs ont été activés par les entreprises et le gouvernement mexicain contre les paysans et la majorité de la population.
D’un côté, le Centre d’Etudes Economiques du Secteur Privé (CEESP), qui fait partie du Conseil de Coordination des Entreprises [Organisation du patronat mexicain] – auquel appartiennent ceux-là même qui ont bénéficié de la crise de la tortilla – a publié des «études» indiquant que pour le Mexique la sortie de la crise exige la production de maïs en tant qu’agro-combustible, et que cela implique à son tour l’utilisation de maïs transgénique.
Si je mets le terme d’«études» entre guillemets, c’est parce que, selon sa propre définition, «le CEESP finance toutes ses activités de recherche grâce aux dons de ses sponsors». Autrement dit, les recherches pour savoir ce qui convient à Chaperon Rouge sont financées par le loup.
On comprendrait mal, sinon, comment cette prétentieuse «étude» peut ignorer le fait que la productivité du maïs en tant qu’agro-combustible est très basse, et que si l’on ajoute les coûts liés au pétrole qu’implique sa production et traitement (agrotoxiques, gasoil pour les machines, le transport, la transformation en éthanol, le raffinage, etc), le bilan énergétique est négatif.
Autrement dit, ce n’est pas une solution en ce qui concerne le changement climatique – alors que c’est là, théoriquement la raison pour laquelle on favorise ce choix – mais bien le contraire.
Néanmoins, pour les Etats-Unis c’est effectivement une bonne affaire, car les faits évoqués précédemment ne l’intéressent pas. Il suffit qu’il se publie des études partielles qui apparaissent comme positives – à condition qu’on ne les analyse pas de trop près – qui lui servent d’alibi pour verser encore plus de subsides à ses propres producteurs de maïs, maintenant avec le prétexte de lutter contre le réchauffement climatique global.
Comme il s’agit également d’une affaire juteuse pour les entreprises les plus puissantes de la planète – celles de l’automobile et du pétrole – et celles du commerce international des céréales, les producteurs de végétaux transgéniques et d’agrotoxiques, tous se sont unis pour obtenir des législations et des règlements financiers qui facilitent le nouveau commerce.
Dans ce cas, l’objectif est d’obtenir que beaucoup de pays entrent en concurrence – avec des prêts de la Banque Mondiale (BM) et d’autres banques multinationales qui vont augmenter les dettes extérieures de ces pays – pour leur vendre la matière première qu’ils demandent pour les agro-combustibles. Cette prolifération entraînera, quelle que soit la culture, une baisse du prix.
Le Mexique ne constituerait pas une exception dans cette dure concurrence, ni en ce qui concerne la canne à sucre, ni avec d’autres culture et encore moins avec le maïs. Pire: le Mexique a beaucoup plus à perdre avec la contamination de son maïs natif avec les transgéniques non comestibles qu’on veut utiliser comme agro-combustible.
Outre leur complicité pour manigancer cette fine étude, les transnationales qui dominent le commerce des semences [entre autres, l’helvétique Syngenta, filiale de Novartis] insistent sur le fait que le Mexique doit planter du maïs transgénique. Ils ont déjà essayé d’obtenir cela à trois reprises, mais ont été repoussés parce qu’elles ne remplissaient pas les démarches légales.
Cette exigence a été refusée par la vaste majorité de la société mexicaine, y compris les paysans, les indigènes, les scientifiques, les consommateurs, les artistes. En effet, cela porterait atteinte à l’intégrité du maïs, l’un des patrimoines les plus importants du Mexique, créé et cultivé par des millions de paysans et d’Indigènes durant des millénaires.
Néanmoins, tout porte à croire que trois transnationales pèsent plus lourd pour le gouvernement que des milliers d’années d’histoire et la volonté du peuple mexicain. En effet, on se prépare à signer un règlement de la loi Monsanto (appelée bien à tort «de biosécurité») qui leur permettra de contaminer – légalement maintenant – les agriculteurs et les paysans avec du maïs transgénique.
Ce qu’ils n’arriveront pas à faire, même en répétant inlassablement leurs mensonges, c’est d’occulter l’opération de tromperie infamante. (Trad. A l’encontre)
Silvia Ribeiro est chercheuse du Groupe ETC [Erosion, Technology and Concentration]
1. Le gouvernement de Felipe Calderón est composé, entre autres, d’Agustin Carstens qui contrôle le Secrétariat du Trésor ; il était sous-directeur gérant du Fonds monétaire international. Le « «parrain» Francisco Ramírez Acuña – dénoncé par les organisations humanitaires pour délits de torture, détentions arbitraires et mise au secret de prisonniers – est doté de pouvoirs pour coordonner des actions de «sécurité nationale». Le gouvernement Calderon est proche des intérêts élitistes du Consejo Coordinador Empresarial (organisme du patronat mexicain) et de firmes transnationales ainsi que de Washington.
20 mai 2007