Maîtres de l’univers mais pas de leur propre destin

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Ils étaient les maîtres de l’univers. A présent, ils ne sont même pas maîtres de leur propre destin.

Ce sont les titans de Wall Street, les grands directeurs des banques qui brandissaient des trillons de dollars d’argent emprunté et qui décidaient si les devises, les matières premières et même les pays devaient croître ou s’effondrer – et dont les propres poches se remplissaient de centaines de millions de dollars en bonus annuels.

Ils en sont désormais réduits au statut de directeurs d’agences, convoqués au siège de la Banque de Subvention Fédérale pour être réprimandés, recevoir quelques mauvaises nouvelles concernant leur salaire de l’année prochaine et pour une réunion budgétaire épineuse.

Lundi, ils ont étés rassemblés en masse au Département du Trésor des Etats-Unis pour apprendre que le gouvernement fédéral allait prendre de grosses participations dans leurs sociétés, que ça leur plaise ou non ! Hier, avec l’annonce officielle de l’interférence peut-être la plus étendue de l’histoire du gouvernement étasunien dans l’économie de marché, ils ont pris conscience d’un nouveau monde humiliant. C’est un monde qui a répudié leurs pratiques d’affaires d’argent facile et leurs considérations pour un capitalisme sanguinaire, une répudiation qui est arrivée, non pas à cause d’une quelconque épiphanie morale, mais parce qu’il a été démontré qu’ils sont bien trop dangereux pour la prospérité de nous tous.

Tous les membres du club étaient là. A la barre, le Secrétaire au Trésor Henry Paulson, qui n’est entré dans la politique qu’en 2006, après avoir été détourné de son boulot à 35 millions de dollars par an chez Goldman Sachs. De l’autre côté de la table, deux de ses anciens adjoints chez Goldman, son successeur, Lloyd Blankfein, et John Thain, qui dirige à présent Merrill Lynch. John Mack, de Morgan Stanley, Jamie Dimon, de JPMorgan Chase, et Vikram Pandit, de Citigroup, étaient également présents.

Le peuple américain a appris beaucoup de choses sur le style de vie des dirigeants de Wall Street, alors que la crise se déployait – les vols en hélicoptère vers les parcours de golf alors que des milliards de dollars étaient détruits ; les « parachutes dorés » multimillionnaires lorsque les pilotes s’éjectent de leurs sociétés condamnées.

Dick Fuld, le PDG de Lehman Brothers, convoqué devant le Congrès des Etats-Unis le mois dernier, était incapable de compter la quantité d’argent qu’il avait pris de la société durant son passage aux commandes. Il contestait les 500 millions de dollars annoncés, pensant que 350 millions de dollars étaient plus en phase avec la réalité. Avec l’inégalité salariale à son zénith depuis les années qui ont précédé la Grande Crise de 1929, il n’est peut-être pas surprenant que la population en général ait associé « Wall Street » et « avidité » dans le lexique.

Et comme tous les clubs d’élites, ils ont un sens facile de supériorité. Dans le passé, lorsque ces titans descendaient à Washington, c’était pour commandes sur les plats sur le menu privilégié du libre échange. En entrée, moins de régulation. En plat de résistance : moins d’impôts. Au dessert : aider à ouvrir de force les marchés étrangers. Ensuite, un deuxième service pour moins de régulation.

Il est remarquable de voir à quelle vitesse leur structure idéologique s’est effondrée. A chaque étape, il y avait une réticence à utiliser le gouvernement comme solution à la crise bancaire, jusqu’à ce que les événements dictent qu’il fallait le faire. Il y a juste trois semaines, M. Paulson rejetait la notion selon laquelle le gouvernement devrait prendre le contrôle des banques. Son plan d’utiliser 700 milliards de dollars de l’argent du contribuable pour racheter les actifs hypothécaires toxiques était minutieux, précisément parce qu’il a quasiment essayé d’orchestré une solution proposée par le marché. Seulement, le tourbillon de nationalisations initié par Gordon Brown a obligé à prendre un virage à 180 degrés qui a finalement humilié Wall Street.

L’un des présidents le plus souvent cité de la Réserve Fédérale est William McChesney Martin, qui a occupé ce poste durant des années 50 et 60. Il a dit que son travail consistait « à retirer le saladier de punch juste au moment où la fête commençait ». Avec des gouvernements sur le pont qui pratiquaient le laissez-faire et un successeur de McChesney Martin, Alan Greenspan, au bar servant des réductions de taux d’intérêt dans des verres à liqueur, personne n’a plus retiré le saladier de punch.

George Bush a décrit la scène de cette année, en disant : « Wall Street a pris une cuite et elle a maintenant la gueule de bois », mais nous n’en sommes même pas encore au stade de la gueule de bois. Nous en sommes seulement à tituber dans la rue et à rentrer ivres-morts en taxi. Il ne faut pas s’attendre à ce que ces anciens maîtres de l’univers se réveillent avec leur dignité intacte.

Article original : « Masters of the universe but not of their own destiny » , The Independant, 15 octobre 2008.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]



Articles Par : Stephen Foley

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