Maïdan reloaded : changement de régime en Arménie

Quand neuf législateurs sur 105 mènent un mouvement de plus en plus violent pour renverser un gouvernement élu via ce qui est finalement devenu un coup d’Etat militaire de basse intensité, c’est normalement le signe inquiétant qu’une dictature, et non une démocratie s’annonce.
La révolution de couleur en Arménie a été une réussite, et le politicien hyper-nationaliste et oligarque au petit pied Nikol Pashinyan a pu faire pression sur l’ancien président et aujourd’hui ex-premier ministre Serzh Sargsyan pour qu’il démissionne, malgré l’insistance de ce dernier sur le fait que « une force politique [celle de Nikol Pashinyan] qui a fait 7-8% des voix dans cette élection, n’a pas le droit de parler au nom de la nation » et de « faire du chantage à l’État ». La fin de son gouvernement est arrivée rapidement après que ses nouveaux amis de l’UE l’aient trahi en exigeant la relaxe de Pashinyan et d’autres provocateurs arrêtés (y compris deux terroristes poseurs de bombes présumés), et que Sargsyan ait obtempéré. Cela a coïncidé avec des centaines de soldats sortant des casernes pour se joindre aux « manifestants », ce qui a déclenché des menaces de sévères sanctions légales à leur encontre par des représentants patriotes de l’armée.
Malheureusement pour l’ordre constitutionnel de l’État, le désormais ex-premier ministre a suivi les pas de son homologue Ukrainien Ianoukovitch et refusé de recourir à la force pour résoudre cette crise hybride, choisissant plutôt de démissionner plutôt que d’obéir au devoir légal espéré par sa population et de restaurer l’ordre dans les rues. Nous ne savons pas encore si les soldats conspirateurs ont été envoyés dans les rues par ceux de leurs commandants alignés sur le lobby de la diaspora arménienne basée en Californie, qui tente de téléguider la révolution colorée, ou s’il ont désobéi en masse à leurs supérieurs pour sortir dans les rues. Mais quelle que soit la réponse, cet incident démontre une fracture sérieuse dans les forces armées, qui continuera sûrement à être exploitée.
Cette combinaison de militaires « rebelles » dans les rues couplée à une minorité de politiciens hyper-nationalistes qui ont pris le contrôle de milliers de jeunes esprits, et fait du chantage à l’État pour qu’il accède à sa volonté de changement de régime, implique que l’Arménie ne verra pas ce qui est superficiellement considéré comme « la démocratie occidentale », mais, de façon inquiétante, elle pourrait voir la sorte de dictature dysfonctionnelle qui s’est formée chez sa voisine, l’Ukraine « révolutionnaire », dont « l’Euromaïdan » à Kiev, il y a cinq ans de cela, reflète fidèlement ce qui vient de se passer à Erevan.
Le point-clé est que l’Arménie va très probablement se tourner encore plus vite vers l’Occident qu’elle ne l’a fait jusqu’ici, avec sa diaspora californienne de type Gulen sur le point de prendre le pouvoir sur l’État à travers ses représentants locaux, et ses citoyens forcés d’accepter le remplacement de leur oligarques pro-russes par des oligarques pro-américains. La Russie a beaucoup à perdre avec ce qui vient de se passer, parce que les hyper-nationalistes de type Pravy Sektor pourraient tenter de rediriger la colère de la société contre le partenaire historique de l’Arménie aujourd’hui associé au président destitué Sargsyan, que le président Poutine avait félicité pour « son accession à ce poste de responsabilité qui réaffirme son autorité politique et le soutien de la population aux grande réformes prévues pour résoudre les défis socio-économiques de l’Arménie. »
Si « convaincants » soient les efforts de la puissante diaspora arménienne (et tout particulièrement celle de la Californie) pour présenter la dernière révolution de couleur de l’Amérique comme une « victoire pour la démocratie et pour le peuple », il ne faut pas oublier que Sargsyan a cédé à la pression de l’UE, tout comme Ianoukovitch l’avait fait, et a autorisé le renversement de son gouvernement par des forces politiques dont il avait lui-même dit hypocritement, 24 heures avant sa chute, qu’elles ne représentaient que 7-8% des voix et n’avaient « pas le droit de parler au nom de la nation » ou de « faire du chantage à l’État ». Nous ne pouvons que conjecturer sur ce qui a pu se passer entre-temps pour le faire changer aussi vite d’avis, bien que cela puisse avoir un rapport avec le coup d’État militaire mené par ce qui pouvait être des troupes « rebelles ».
Quoi qu’il en soit, la démocratie n’a pas gagné en Arménie – la dictature a vaincu – et l’avenir du pays n’a pas eu l’air plus sombre depuis bien longtemps, mais comme dans le sillage immédiat de « l’Euromaïdan », la majorité du peuple n’a pas encore réalisé ce qui s’est passé, et quelques-uns ne le réaliseront jamais.
Andrew Korybko
Paru sur Eurasiafuture sous le titre What Happened In Armenia Was A Defeat For Democracy
Traduction Entelekheia
Suite : L’anarchie arménienne est seulement bonne pour les USA