Mali : Ingérence humanitaire ou nouveau Sahelistan ? (Deuxième partie)
La boîte de Pandore libyenne devient un enfer
Après avoir été amené par le FMI à une crise économique grave qui ne permettait même pas l’achat de munitions, le Mali est livré à une horde de mercenaires qui viendront bientôt conquérir le nord du pays et permettre à la France d’y venir jouer au cow-boy en engageant un budget de 630 millions d’euros dans l’opération Serval qui rappelle celle de l’opération Epervier au Tchad. D’ailleurs, le serval est aussi un animal, un félin proche du chat sauvage.
Comme l’opération Serval, l’opération Epervier a été déclenchée début février 1986 par la France pour soutenir le putschiste Hissène Habré après le franchissement du 16e parallèle par les forces armées libyennes venues soutenir Goukouni Oudëi, le président renversé en 1981. Depuis, les Français sont au Tchad… Le Mali a été volontairement amené à cette situation où son armée ne pouvait plus accomplir ses missions de défense du territoire. L’ajustement structurel a engendré un Etat failli et une armée en faillite. C’est aussi simple que cela. D’ailleurs, fin janvier et début février 2012, des manifestations de femmes de militaires craignant pour leurs maris face aux hordes d’Ansar Dine et du MNLA scandaient : «Des munitions pour nos hommes.» Une cargaison d’armes et de munitions aurait empêché le drame malien et, par conséquent, celui d’In Amenas d’avoir lieu. L’effacement de sa dette aurait permis à Bamako de recruter des soldats pour régler ses problèmes dans la dignité et surtout sans ces 800 000 déplacés, ces morts et ces bras coupés. Le président Amadou Toumani Touré (ATT) savait que la «révolution» libyenne allait avoir des répercussions gravissimes sur son pays. Mais le 22 mars, il fera l’objet d’un coup d’Etat. L’armée commence alors à battre en retraite face aux mercenaires organisés en bandes aux appellations différentes mais aux mêmes objectifs. La suite des événements on la connaît, du moins surtout du point de vue occidental qui a réussi à déformer toutes les informations d’ordre historique, politique, géographie et économique sur un pays qui est pourtant à nos frontières et dont le destin est intimement lié au nôtre. Nos journaux et nos chaînes de télévision reprennent les mensonges issus du plan du général de Gaulle… C’est parce que nous sommes culturellement et médiatiquement sous-développés que nous faisons l’objet de manipulations occidentales qui détruisent nos nations. L’ex-président malien, ATT, en exercice jusqu’au 21 mars 2012, s’était inquiété de la déstabilisation de son pays par la crise libyenne, et ce, bien avant le retour au Mali d’un millier de soldats touareg qui faisaient partie de l’armée de Kadhafi. Evidemment, seule une poignée d’entre eux rejoindra les terroristes et les «rebelles», car la dignité et le sens de l’honneur des Touareg et leur attachement à leur pays d’origine sont identiques en Algérie, au Mali, au Niger, au Burkina Faso ou en Libye. Très vite, pour le Mali, la boîte de Pandore libyenne devient un enfer. Comme aucun pays n’a voulu donner de munitions au Mali ni effacer sa dette pour lui permettre de se prendre en charge militairement, aucun des pays membre de l’OTAN n’a exigé des «rebelles» libyens la restitution des armes qui leur ont été distribuées pour en découdre avec Kadhafi. C’est l’amiral Giampaolo Di Paola, président du Comité militaire qui regroupe les chefs d’état-major des pays de l’OTAN, qui a alerté l’opinion internationale : «Plus de 10 000 missiles sol-air» qui représentent «une sérieuse menace pour l’aviation civile» pourraient sortir de Libye et se retrouver entre de mauvaises mains «du Kenya à Kunduz», a-t-il dit, selon Der Spiegel(dimanche 2 octobre 2012). Quant au général libyen, Mohamed Adia, chargé de l’armement au sein du ministère de la Défense du Conseil national de transition (CNT), il a estimé à «environ 5 000» le nombre de SAM-7 «toujours manquants et dans la nature», supputant déjà que certains de ces missiles seraient déjà tombés entre de mauvaises mains. Ni Londres, ni Washington, ni Paris n’ont réagi à ces informations, sachant au moins leur destination vers les «révolutionnaires» syriens.
Ces armes que le Qatar laisse aux terroristes…
Pour précipiter la chute de Kadhafi, l’OTAN a distribué 20 000 tonnes d’armes et de munitions aux groupes «révolutionnaires» par l’entremise du ministre de la défense du Qatar, en qualité de payeur de la facture. En septembre 2011, l’OTAN l’a également chargé de récupérer les armes en question, mais il a laissé des arsenaux entiers à disposition du Groupe islamique combattant en Libye (GICL), filiale d’Al-Qaïda. Le 10 novembre 2012, Mahmoud Jibril, leader du CNT et chef du parti Alliance des forces nationales libyennes, vainqueur des élections du 7 juillet 2012, disait sur la chaîne irakienne Al Hurra que le Qatar refusait toujours de récupérer les armes qu’il a distribuées aux groupes rebelles qui ont «libéré» son pays, ce qui suppose que Doha a aussi le contrôle sur ces groupes. En vérité, ce sont les Etats-Unis et la France qui sont les premiers responsables de cette situation car le Qatar ne peut laisser des armes dans la nature sans blanc-seing. Cette information, parmi d’autres dont celles qui filtrent des déclarations officielles, conforte la thèse d’une conspiration au Mali. En tout cas, il y a une évidence indéniable : l’effet domino de la «révolution» libyenne ne se limite pas à l’Afrique car il touche directement la Syrie et le Yémen : Obama a d’ailleurs reconnu (24 janvier 2013) que les arsenaux de Kadhafi sont utilisés dans ce pays. Il ne dit pas comment ils sont arrivés aussi loin et qui les a amenées, afin de ne pas endosser la responsabilité si une folie était commise contre un avion civil, quelque part dans le monde. Obama ne peut pas ignorer l’affaire du Lutfallah II, du bateau venu de Libye, qui est passé par l’Égypte et la Turquie et qui a été arraisonné par la marine libanaise, avec des tonnes d’armes à son bord : le président du Parlement libanais Nabih Berri a alerté l’opinion internationale, disant que le navire «ne portait des armes pour les anges». Tous les théâtres d’opération du terrorisme sont interconnectés car le terrorisme est un système transnational avec les mêmes opérateurs et agents de différents niveaux jusqu’à des chefs d’Etat, des députés, des ministres, des chefs de services de renseignements et des marchands d’armes comme lors de la première guerre d’Afghanistan, lorsque des ministres saoudiens et du Golfe ainsi que les directeurs des plus grandes banques et sociétés étaient fiers de financer Ben Laden, le chouchou des Américains qu’il aidait à se débarrasser du méchant Russe communiste. Autrefois, le méchant c’était le Russe, avant lui le Nippon, puis l’Allemand, aujourd’hui le musulman… L’impérialisme se fabrique des ennemis selon la conjoncture. Le livre House of Bush, House of Saudde Craig Unger démonte cette alliance contre-nature des Etats-Unis avec le régime corrompu d’Arabie Saoudite, pas seulement avec la firme multimilliardaire Ben Laden. Aujourd’hui, le commanditaire du terrorisme international est toujours le même bien qu’il donne l’impression d’être polymorphe. Le but ici est aussi de montrer la face de ce Dark Vador au masque de métal. En outre, le transfert des armes d’un pays dont le gouvernement est issu des «printemps arabes» à l’axe qui veut imposer de nouveaux «printemps arabes» indique que ces «révolutions» ont été fabriquées dans des officines et que le plan est toujours opérationnel. Non seulement une foule de régimes aux ordres est née mais une infinité de traîtres et d’agents de l’Occident ont été introduits dans les rouages de tous ces Etats, à tous les niveaux. Ils s’occupent, à différents niveaux de hiérarchie, à rendre possible ce trafic d’armes destinées aux terrorises et qui a amené le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Guennadi Gatilov, à dire que «les menaces de l’opposition syrienne d’abattre des avions civils est le résultat de livraisons irresponsables des Manpad (les systèmes portatifs de défense aérienne)». Certains médias ont révélé (début août 2012) que l’Armée syrienne libre avait obtenu environ 20 de ces Manpad (Man Portable Air Defence dont le modèle célèbre est le Stinger) de la Turquie. Selon les experts russes, l’Arabie Saoudite et le Qatar seraient derrière ces livraisons. C’est Obama lui-même qui a autorisé (fin août 2012) la livraison d’armements lourds aux rebelles anti-Bachar ; et Hillary Clinton a fait une déclaration demandant aux mercenaires syriens de ne pas déposer les armes le jour-même où le «mufti» d’Al Jazeera, Al-Qardaoui, a fait une fatwa en ce sens. Les milliers d’armes saisies par l’armée syrienne sur les terroristes n’ont rien à voir avec l’arsenal russe de Kadhafi ; et une dizaine des Stinger a été saisie récemment dans ce pays. La Turquie ne se contente pas d’abriter des terroristes, de les entraîner et de les envoyer avec des armes en pays voisin, où elle est responsable de l’envoi de 90% des 100 000 terroristes qui ont pillé et massacré dans ce pays : elle a envoyé deux bateaux chargés d’armes aux djihadistes au Yémen, la dernière saisie de ces armes par les autorités yéménites a eu lieu le 25 janvier 2013. Un pays membre de l’OTAN et vassal de l’Amérique, peut-il se permettre d’envoyer des armes à Al-Qaïda au Yémen sans blanc-seing ? En 2011, la division Intelligence de l’OTAN (qui n’a rien à voir avec la CIA) estimait à 200 à 300 hommes le nombre des éléments d’Al-Qaïda parmi les combattants libyens anti-Kadhafi qui, il faut le dire, étaient soutenus par des officiers américains : parmi eux, des chefs du Groupe islamique des combattants libyens (GICL) dont Abdelkrim Belhadj, Ismael As-Salabi et Abdelhakim Al-Assadi… Comme en Afghanistan, en Bosnie, en Tchétchénie, mercenaires d’Al-Qaïda et soldats américains ont combattu sur le même front en Libye. Le terrorisme est devenu transnational et ses armes lui sont livrées à domicile dans des bateaux et cargos de pays de l’OTAN. De nombreux auteurs, officiels, anciens officiers des renseignements dont des Américains, de nombreux écrivains – dont Peter Dale Scott, David Ray Griffin, Thierry Meyssan, Michel Bounan, Nafeez Mosaddeq Ahmed, Gerhard Wisnewski, Mathieu Kassovitz – apportent des preuves de l’instrumentalisation du terrorisme par des Etats, aujourd’hui de plus en plus nombreux à en faire un moyen de pression et/ou de destruction d’autres Etats. Le président nigérien cité plus haut parlait de terrorisme transnational. Le chercheur Ghaleb Kandil l’écrit aussi : «Ce sont les États-Unis qui ont géré la guerre en Syrie, ont mis sur pied des chambres d’opération en Turquie, où siègent des agents de la CIA chargés de coordonner les efforts internationaux et régionaux de mobilisation des terroristes du monde entier pour les envoyer en Syrie. Les responsables américains se vantent publiquement d’avoir fourni du matériels de communication modernes aux gangs armés, et ils n’ont exprimé aucun regret, même après avoir reconnu qu’une grande partie de ces équipements est tombée aux mains des combattants qaïdistes du Front An-Nosra ; une organisation qu’ils ont tardivement inscrit sur leur liste terroriste, dans laquelle ils pourraient inclure d’autres groupes prochainement, sans pour cela modifier leur position au sujet des engagements sur l’arrêt de la violence.»
A. E.-T.
(A suivre)
1) Obama a promis de créer un «partenariat» avec les pays-valets.
Mali : ingérence humanitaire ou nouveau Sahelistan ? (Première partie) , 08 février 2013