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MALI : Ingérence humanitaire ou nouveau sahelistan ? (Quatrième partie)
Par Ali El Hadj Tahar
Mondialisation.ca, 15 février 2013
Le Soir d'Algérie
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Les arsenaux illégalement détenus en Libye et au Mali dépassent donc ceux de certains Etats de la région, c’est ce qu’ont montré les attaques du camp militaire et de l’unité méhariste de Ménaka, ainsi que les garnisons de Tessalit et d’Aguelhok les 17 et 18 janvier 2012.

Les arsenaux des «révolutionnaires» libyens semblent avoir été créés intentionnellement pour l’usage local permanent et une distribution régionale et internationale, également permanente. Pourquoi les Occidentaux n’ont-ils pas fait pression sur le Qatar pour récupérer les armes à la fin du «printemps libyen» ? L’ambassadeur américain, Christopher Stevens, sera tué à Benghazi, avec trois autres fonctionnaires Etasuniens : dommage collatéral côté américain de temps en temps pour faire vrai… Apparemment, cette mort va même servir à Hillary Clinton, questionnée par le Congrès, de se plaindre de la maigreur du budget de sécurité des ambassades et des représentations diplomatiques ! Après la mort de Christopher Stevens, les armes ont continué à voyager entre la Libye et les autres pays d’Afrique, la Libye et la Turquie, la Turquie et le Yémen… En toute légalité, car ils passent dans les ports de pays de l’OTAN (Turquie) et disposent des documents douaniers d’embarquement et de débarquement pour arriver chez les terroristes, dont ceux du groupe syrien An-Nousra, qui sera enfin mis sur la liste des terroristes, comme si le pays de la CIA pouvait être le dernier informé ! Avec la bénédiction de l’Amérique et des autres puissances occidentales, la Libye et la Turquie sont devenus des centres d’approvisionnement du terrorisme en Syrie, au Yémen, en Somalie, au Mali et ailleurs, car le but aujourd’hui est de transformer les routes du terrorisme en véritables autoroutes. D’autant qu’aujourd’hui, les payeurs sont le Qatar et d’autres pays du Golfe. Bon pour le complexe militaro-industriel ! Quel rôle a joué le pouvoir libyen dans la crise malienne ? Il n’y a pas de doute que le «partenariat» dont parle Obama(1) est toujours de rigueur, plus puissant que lors de la première guerre d’Afghanistan. Erdogan, Hamad, le roi Abdallah et maintenant des gouvernements serviles des «printemps arabes» participent à détruire la nation arabe pour servir l’impérialisme américain. Au Mali, des camps d’entraînement de rebelles étaient signalés en hiver 2011 avec des formateurs français, selon certains journaux maliens. Lorsque la formation est terminée, la logistique à point et que sur les portables le signal est donné, ils passent à l’attaque, tous ensemble, le même jour, comme cette génération spontanée des «Printemps arabes» est-il possible que des groupes qui viennent d’être créés et qui sont donc supposés ne pas se connaître peuvent-ils agir de concert ? Comment peuvent-ils avoir un pareil sens de l’organisation, de la stratégie et de la planification s’il n’y a pas un coordinateur général, un chef hiérarchique qui les chapeaute tous ? Cet autre indice essentiel permet de dire que leur création et leur action obéissent à un plan qui les dépasse et dont ils ne sont que les instruments. Ainsi donc, le 17 janvier 2012, le MNLA, Ansar Dine et Aqmi mènent conjointement des attaques contre des casernes maliennes et conquièrent les principales villes du septentrion, dont Kidal, Gao et Tombouctou. L’alliance contre-nature des «séparatistes» et des pseudo-islamistes n’a étonné personne mais elle atteste que tous ces mercenaires n’ont aucune conviction religieuse ou politique réelle et qu’ils opèrent dans une même logique pour un même commanditaire, en fait qu’ils ne sont que des pions dans un plan étranger, tout comme la nébuleuse mère Al-Qaïda, dont les patrons ne sont pas dans des grottes mais dans des bureaux de banques, d’agences de renseignements, de bureaux de présidences ou de chefferies de gouvernements.

La Françafrique au service de l’Oncle Sam

Le président malien, ATT, dira alors au sujet d’un attentat contre une caserne perpétré par les rebelles du MNLA et consorts : «Soixante-dix de nos jeunes étaient alignés sur le sol. Les Noirs avaient les poignets ligotés dans le dos. Ils ont été abattus par des balles tirées à bout portant dans la tête. Ceux qui avaient la peau blanche, les Arabes et les Touareg, ont été égorgés et souvent éventrés. Je suis étonné par le silence des organisations internationales sur ces atrocités. Que dit la Cour pénale internationale ?» L’alliance MNLA, Ansar Dine, Aqmi et Mujao fait 100 morts dans les rangs de l’armée malienne en deux jours mais qui se soucie de la mort de soldats maliens ? Silence radio de la France, des Etats-Unis, de l’Angleterre mais lorsque le territoire est bien occupé, que les pions sont en place, la France se dit préoccupée et veut s’ingérer… Après l’occupation du Nord-Mali, à la demande du président ATT, l’Algérie tente de régler le problème de manière diplomatique et, le 2 février 2012, des discussions sont organisées à Alger entre le gouvernement malien et les représentants de l’ancien mouvement rebelle touareg, l’ADC, un ancien mouvement des Touareg dont faisaient partie les chefs des nouveaux mouvements fantoches usurpant l’un la cause touareg et l’autre, l’Islam : Iyad Ag Ghali et Mohamed Ag Najem. La situation empire au Mali, alors certains militaires et politiques veulent faire porter le chapeau au président ATT, accusé de laxisme. Evidemment, comme dans le scénario arabe, un «printemps malien» a lieu les 1er et 2 février 2012, dans la ville de garnison de Kati, puis à Gao et à Bamako pour protester contre la «mauvaise conduite de la guerre» et le manque de ressources des militaires. Toujours légaliste, le président ATT déclare le 24 février 2012 que les élections présidentielles allaient avoir lieu comme prévu le 10 juin 2012 : un projet qui semble compromettre certains plans… ATT avait commandé du matériel militaire mais il restera bloqué dans les ports d’Abidjan, de Conakry et de Dakar. Comme un complot en marche dans diverses capitales… La cargaison comprenait 140 blindés et semi-blindés, 50 lanceurs d’obus, des véhicules de transport de troupes, des Kalachnikov, des munitions, et aurait permis l’éradication des mercenaires… Il y avait aussi des avions Soukoï russes, comme tout le reste du matériel, en attente dans certains ports européens. Alors un coup d’Etat a lieu, comme à la veille de maintes interventions coloniales françaises. Le coup d’Eat a été fomenté par une junte militaire conduite par le capitaine Haya Sanogo et pompeusement appelée Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat : beaucoup de Maliens y ont vu la main de la France. Si on a la fibre un tant soit peu nationaliste, fait-on un coup d’Etat en pleine tempête ? Fait-on un putsch alors que le président sortant est à seulement deux mois et a dit sur RFI qu’il n’avait pas l’intention de se représenter ? Ne peut-on pas déduire que le putsch a eu lieu afin que l’Etat ne puisse pas se défendre ? D’ailleurs, selon l’écrivain William Engdahl, le capitaine putschiste Sanogo a comme par hasard suivi une formation dans le cadre du programme américain, le Trans Sahel Conter Terrorism Partnership qui dépend de l’Africom et qui forme des éléments des armées de sept pays sahariens, un projet impérialiste dont nous parlerons plus loin. Pour William Engdahl, ce putsch «porte la marque du commandement américain en Afrique, Africom et une tentative de militariser toute la région et ses ressources naturelles. » La main de la France y est aussi, en tant que sous-traitant. La CIA considère le Mali comme une tête de pont stratégique, et le plus facile à occuper. Son jeu sournois consiste à donner des rôles de partenaire junior et de supplétifs à ses subordonnés (France, Qatar), elle jouant présentement un rôle plus discret en arrière-plan. Devenue le monte-charge de l’Africom, la Françafrique s’occupe aussi des besognes militaires de sauvetage pour redorer un blason d’ancien colonisateur sur le dos d’un «Islam intolérant». L’objectif américain est la mainmise sur les ressources de l’Afrique, de ce Sahel et cette région MENA qui représentent des ressources immenses quasiment inexploitées : or, manganèse, cuivre et autres minerais rares. Cela passe aussi par une balkanisation de la région en utilisant un vieux projet de De Gaulle datant de 1957 pour le Grand Sahara, comme une adaptation hollywoodienne d’un mauvais scénario français. Tout concorde, car les Etats-Unis et les Français ont un même objectif, en dépit des particularismes d’intérêts. La trahison des élites et la compromission de certains leaders, c’est sur quoi comptent les impérialistes. L’Algérie fait malheureusement partie de ce Plan Sahel. Les impérialistes n’auront pas à se salir les mains, les mains sales des régimes se chargeront de tout. Le putsch fragilisera davantage le Mali, occasionnant le chaos dans l’armée et autorisant l’occupation de toute sa zone septentrionale. Evidemment, «soucieux de la légalité», la France et les Etats-Unis condamnent fermement le coup d’Etat : qu’aurait-on pensé s’ils ne l’avaient fait ? À la suite du putsch, les autorités financières mondiales décident de suspendre leurs aides au Mali : cela aura des conséquences directes sur l’armée, et facilitera la pénétration terroriste. Mireille Fanon- Mendes-France, fille de Frantz Fanon et experte aux Nations unies, écrit que «cet « embargo » financier a été renforcé par un « embargo » politique. L’Organisation internationale de la Francophonie a suspendu le Mali dès le 30 mars ; l’Union africaine dès le 23 mars et la Cédéao dès le 27 mars. Il aura fallu la quasi-certitude d’une intervention militaire pour que certaines instances reviennent sur leur décision de bannir le Mali de leur communauté internationale.» Comme un air de préméditation sur tous les plans…

La partition d’un pays en un temps record

Des villes tombent les unes après les autres : Kidal, Tessalit, Tinzawaten, Hombori. Des milliers de Maliens fuient vers le Niger, le Burkina Faso, l’Algérie et la Mauritanie. Le MNLA ne commencera à accepter les appels du dialogue d’Alger que lorsqu’il aura renforcé ses bases, conjointement avec Ansar Dine et Aqmi. Début avril, tout le nord du Mali est entre les mains des différentes factions mercenaires. Vers les 5 et 6 avril 2012, le MNLA déclare unilatéralement l’indépendance de l’Azawad : jamais cession d’un pays n’aura été aussi facile. D’un coup, le MNLA prend 850 km2 alors que «l’Azawad» ne fait que 350 km2, si tant est qu’il ait la légitimité sur une seule parcelle d’un pays membre de l’ONU. Evidemment, on a tout fait pour que le MNLA soit le plus faible, car les factions dites djihadistes ont recruté à tour de bras avec l’argent qatari. Le MNLA a un bureau à Paris, don de l’Elysée à ses pions. Un autre chapitre du terrorisme peut alors commencer, tel que prescrit par un scénariste quelque part dans une même officine de généraux. On y voit des scènes similaires à celles de l’Afghanistan, des coups de fouets, des mains coupées, etc. Le 13 mars 2012, le chef d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali, envoie une vidéo proclamant qu’il se bat pour l’imposition de la charia, credo qui permet de rameuter des mercenaires dans le cadre de l’alliance transnationale du terrorisme. L’argent qatari et les agents du terrorisme international disséminé dans le monde se positionnent. Sur le terrain, les «djihadistes» se filment en train de détruire des monuments classés par l’Unesco : les chaînes mondiales, CNN, France 24 et Euronews les passent en boucle. Un peu comme ces bouddhas détruits par les gentils talibans aidés par les Etats-Unis à coups de millions de dollars/an et qui, subitement devenus fous, se mettent à détruire un «patrimoine précieux». Dix années durant, ils avaient tué et pillé tout en étant soutenus mais lorsqu’il fallait en faire des méchants loups pour les médias, la caméra est braquée sur des sites-phares, qui suscitent la «consternation internationale». L’image choc : plus parlante pour l’Occident que celle des femmes enfermées et empêchées d’étudier. La destruction des bouddhas a eu lieu quelques jours seulement avant le 11 septembre 2011… Le WTC… Cela permettra aux Etats-Unis de se rappeler que les talibans afghans – financés par la CIA et les Saoudiens – hébergeaient un certain Ben Laden, lui aussi brusquement devenu méchant… Ceux qui ont mis la Mali à genoux pleurent maintenant pour les mausolées islamiques de Tombouctou. Ayant joué le rôle de cheval de Troie, le MNLA peut être recalé au rôle de figurant.

A. E. T.

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