Mauricio Macri gouverne par décret, les Argentins manifestent

Des dizaines de milliers d’Argentins ont manifesté, hier, à Buenos Aires contre une série de mesures prises par le président Mauricio Macri, par décrets, en une semaine depuis son investiture du 10 décembre dernier, quelque 29 « Decretos de Necesidad y Urgencia (DNU). Macri a joué la stratégie « choc et effroi », assenant décrets sur décrets tels des coups de massue ; les argentins eux ont réagi, en descendant dans la rue.

Mauricio Macri, président argentin en fonction depuis une semaine, a du vouloir exhiber son autorité, face à une victoire courte, une majorité fragile, une coalition mouvante, et l’absence de majorité au Congrès. Créant le « choc et l’effroi » à la veille des fêtes, faisant valser les têtes au sein des institutions. La réaction ne s’est pas fait attendre fasse au risque de voir resurgir les vieux démons.

Convoqués par les réseaux sociaux, réunissant différents partis politiques et pas uniquement celui précédemment au pouvoir, même si l’ex candidat Scioli et plusieurs anciens ministres était présents, des syndicats, des représentants des mouvements sociaux, les manifestants ont protesté contre le mode de gouvernance et plusieurs mesures prises ces derniers jours. Il s’agit pour beaucoup de défendre ce qui a été fait ces dernières années face à la montée du néolibéralisme, en terme notamment d’acquis sociaux, de modèle d’inclusion, mais de défendre aussi le respect des procédures institutionnelles.

Ils ont protesté contre la désignation par décret lundi de deux juges de la Cour suprême par Mauricio Macri, sans avoir recours au Sénat (alors qu’il pouvait convoquer le sénat en session extraordinaire ou attendre la reprise de la session parlementaire en mars prochain) ; Cette décision a crée lundi la stupeur et l’indignation dans le pays ; une procédure, de l’avis de plusieurs constitutionnalistes , inédite en Argentine sous la démocratie, et qui donc renvoie aux vieux démons, qui pouvait être susceptible de nullité. Le président Macri, face au rejet massif de la nomination des juges en direct, a finalement décider de la reporter à l’année prochaine.

Ils ont aussi manifesté contre l’annulation programmée de la loi contre la concentration dans les médias mise en place en 2009. Décriée par les grands groupes de presse qui ont fait la campagne de Macri, cette loi -anti concentration- pourtant qui n’est que la pale copie de ce qui existe tant dans les pays comme la France et les Etats-Unis.

Concernant la « normalisation » de l’économie selon l’expression du nouveau Ministre de l’économie Prat-Gay, qui a des relents des années 90, la levée du contrôle des changes va entrainer une dévaluation de la devise argentine, et donc attiser l’inflation. Les prix de la farine s’étaient déjà envolés avant son investiture anticipant cette dévaluation. Cela ne sera pas neutre sur le pouvoir d’achat à moins de fortes hausses de salaires. Les argentins sont aussi allés dans la rue pour réclamer l’ajustement des salaires après la dévaluation qui a suivi la levée du contrôle des changes, face à une hausse des prix qui a précédé déjà ces mesures avant même l’investiture.

Le dispositif de contrôles des changes avait été créé pour freiner une fuite des devises affaiblissant les réserves de la Banque Centrale argentine (BCRA), c’était aussi un moyen de limiter l’évasion fiscale, et le blanchiment d’argent, car pour acheter des dollars, les acquéreurs devaient justifier d’être à jour de leur déclaration fiscale et d’avoir des besoins cohérents avec leurs revenus déclarés.

Les Argentins ont toutefois ces derniers mois eux-mêmes alimentés le système qui va aboutir de facto a une dévaluation. La course aux dollars depuis des mois était dans une spirale ne répondant plus à des raisons objectives et étant alimentée par des acteurs dominant le marché noir de la devise ou dollar bleu, comme certaines grandes multinationales. La capacité mise en place par le gouvernement Macri de pouvoir d’acheter jusqu’à 2 millions de dollars par mois, ne concernera pas, on le comprend bien le commun des argentins, surtout avec une dévaluation à la clef, mais risque de favoriser l’évasion fiscale !

Estelle Leroy-Debiasi*

El Correo, Paris 18 décembre 2015

Estelle Leroy-Debiasi est journaliste professionnelle, Diplômée en Economie, ex rédactrice en chef du quotidien économique La Tribune.

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