Mélenchon, le PIR et l’Etat-colon

Quel pays européen expédie ses troupes dans dix pays africains (Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Mauritanie, Côte d’Ivoire, Gabon, République centrafricaine, Somalie, Djibouti) ? Quel pays européen participe au pillage des ressources naturelles de ce continent en y soutenant des pouvoirs corrompus ? Quel pays européen a occupé l’Afghanistan, détruit la Libye et semé le chaos en Syrie sous des prétextes humanitaires auxquels personne ne croit ? Quel est le pays européen où il est impossible de dénoncer le colonialisme sioniste sans être taxé d’antisémitisme ? Ne cherchez pas : c’est la “patrie des droits de l’homme”.

Cette glorieuse république que le monde entier nous envie, il serait temps qu’elle balaye devant sa porte, non ? Il faudrait, pour commencer, que sa classe politique daigne regarder en face les contradictions dont elle détourne les yeux pour ne pas les voir. De la droite, évidemment, on n’attendra rien. Non qu’elle soit plus cynique que la gauche, mais elle n’a jamais eu pour habitude de s’émouvoir du sort de ces populations auxquelles deux siècles de prédation coloniale et néo-coloniale ont légué des territoires dévastés, des cultures déracinées et des Etats de pacotille.

A gauche, on s’auto-congratule à propos de la laïcité, on se gargarise avec les valeurs de la république et on se félicite de l’énième campagne contre le communautarisme. Mais on oublie généralement que les valeurs dont on se réclame gagneraient à être défendues au-delà des frontières du petit monde auquel on appartient. Où est la condamnation sans appel de la politique néo-coloniale de la France en Afrique ? Où est la dénonciation claire et nette des compromissions de Paris avec l’Etat-colon ? Où est la protestation sans équivoque contre la participation française à l’ingérence impérialiste en Syrie ?

Manifestement, le sort des peuples meurtris par le colonialisme et le néo-colonialisme n’est pas la priorité. En revanche, on trouve le temps d’écrire à l’une des ambassades officieuses d’Israël en France pour lui exprimer un soutien chaleureux. C’est ce que vient de faire Jean-Luc Mélenchon en écrivant à la Licra une lettre dans laquelle il formule de graves accusations contre Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République. Le corps du délit ? Une déclaration qui date de mars 2015 : “Les juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe”.

Pour Mélenchon, cette phrase “est une déclaration antisémite avérée”, explique-t-il dans sa réponse à la Licra. “Je condamne une telle déclaration comme je condamnerai tout ce qui attribue à un groupe humain un choix politique du seul fait de son appartenance religieuse ou ethnique supposée. Cette sorte d’assignation est à mes yeux caractéristique du racisme. Et il ajoute même : “Dans le cas particulier du racisme antisémite, elle renvoie à une longue tradition meurtrière dont il faut toujours craindre les résurgences et tout faire contre ce qui y concourt”.

Si la phrase incriminée, isolée de son contexte, peut être mal interprétée, on ne voit pas pourquoi elle devrait l’être en un sens antisémite, d’autant que l’intéressée a récusé cette interprétation et n’a jamais été poursuivie à ce sujet. C’est un point essentiel, particulièrement dans un pays où certaines officines font un procès en sorcellerie pour un pet de lapin. Dans sa diatribe, Mélenchon donne donc l’impression de poursuivre des fantômes, et l’allusion à “la longue tradition meurtrière” frise le grotesque. Mais bon, puisqu’il a décidé de traiter d’antisémite une adversaire politique en dépit de ses dénégations, il le fait.
Ainsi s’est-il payé le luxe de faire coup double. Tout en écrivant une lettre d’amour au bureau local de l’Etat-colon, il conspue un groupe qui n’a pas 1% de l’influence dont jouit le lobby-qui n’existe-pas-et-dont-on-n’a-pas-le-droit-de-parler. Mais ce n’est pas tout. Voilà qu’il mène cette opération en plein centenaire de la Déclaration Balfour ! Au moment où le peuple palestinien dénonce cette forfaiture, on ne peut pas dire que le chef de la gauche française lui témoigne sa sympathie. En déclarant sa flamme à une officine sioniste au pire moment et sous un prétexte douteux, Mélenchon a commis une faute politique.

Mais il est assez avisé pour savoir que rien ne se dit impunément, et la thèse de l’erreur de communication ne tient pas une seconde. On ne pourra donc interpréter cette démarche autrement que comme un signe explicite d’allégeance. Avec ce geste, il marque lui-même la limite qu’il s’interdit de franchir sur la question coloniale. On avait déjà relevé l’ambiguïté de ses propos à propos de la guerre de libération algérienne, curieusement qualifiée de “guerre civile”. Et d’ailleurs, n’est-il pas un admirateur de ce Mitterrand qui fut le bourreau des militants algériens durant les années sombres ?
Cette participation au concert de casseroles sur l’antisémitisme peut paraître d’autant plus paradoxale qu’il en fut lui-même victime. On peut alors émettre l’hypothèse qu’en s’acharnant contre le PIR il entend faire la démonstration aux yeux de ses censeurs qu’il ne mange pas de ce pain-là. Au fond, il se blanchit en jetant l’anathème sur les autres, transformés en bouc-émissaire de sa propre peur d’être à nouveau calomnié. Antisémite, lui ? Oh non jamais ! La preuve, c’est qu’il n’hésite pas à sacrifier plus petit que lui, immolant le PIR pour mieux embrasser la Licra.

Parmi les amis de la Palestine, je doute qu’ils soient nombreux à apprécier le geste. Le plus cocasse, c’est qu’en se ralliant au discours dominant sur l’antisémitisme, il justifie les analyses d’un courant de pensée pour qui la république ne se remet pas de son héritage colonial. En voulant extirper le PIR, cette gauche qui ne cesse de faire allégeance à l’entité sioniste nourrit l’argumentaire décolonial qu’elle croit combattre. Oui, la question coloniale reste pendante, et il est probable qu’elle le restera aussi longtemps que la gauche n’aura pas secoué le joug du dernier Etat-colon.

Bruno Guigue



Articles Par : Bruno Guigue

A propos :

Ancien élève de l’Ecole normale supérieure et de l’Ecole nationale d’administration, Bruno Guigue est un ex-haut fonctionnaire français. Chercheur en philosophie politique et analyste politique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident », « Faut-il brûler Lénine ? » et « Les Raisons de l’esclavage », publiés chez L’Harmattan. Chroniqueur de politique internationale, il a publié des centaines d’articles diffusés en huit langues par plusieurs dizaines de sites d’information indépendants.

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