Mobilisation contre l’apathie américaine sur la torture

Une chaîne de télévision y consacrait mercredi sa « question du jour » : « Les Etats-Unis doivent-ils ou non torturer les suspects de terrorisme ? » Les téléspectateurs étaient invités à répondre par téléphone ou par courrier électronique. Un seul s’est interrogé sur la question elle-même. « A ce rythme-là, a-t-il écrit, ne risque-t-on pas d’avoir bientôt un débat pour ou contre le génocide ? »

A quelques exceptions près, le débat sur la torture est devenu d’une grande banalité aux Etats-Unis. Il figure cette semaine en couverture de l’hebdomadaire Newsweek et fait l’objet de trois sondages publiés en deux jours. Si l’on en croit ces enquêtes, il ne se trouve pas beaucoup plus d’un tiers des Américains pour dire que la torture n’est jamais justifiée.

Selon le Pew Research Center de Washington, 46 % des sondés estiment que la torture est parfois ou souvent justifiée ; 17 % qu’elle ne l’est que rarement. Seuls 32 % adoptent la position qui correspond aux recommandations du CICR ou de la Convention internationale de 1994, à savoir qu’elle n’est jamais justifiée.

Les responsables de l’institut de sondage ont eux-mêmes été surpris. « Malgré Abou Ghraib, malgré Guantanamo, le nombre de gens qui estiment que la torture est justifiée ne baisse pas par rapport aux années précédentes, commente Carroll Doherty, du Pew Research Center. Dès qu’il s’agit de terrorisme, le public semble prêt à aller très loin dans le sens de la prévention. »

L’institut a aussi interrogé des représentants de « l’élite », des professionnels du monde des affaires, de la diplomatie, de la défense, des médias. L’opposition à la torture est plus forte dans ces milieux. Et les militaires figurent parmi les plus hostiles : 49 % estiment que cette pratique n’est jamais justifiée (pour 36 % seulement des représentants des médias).

Les militaires affirment que l’on n’obtient rarement des informations fiables sous la torture. Le sénateur républicain John Mcain, qui fait campagne contre les mauvais traitements, essaye de le faire comprendre aux Américains. Il raconte souvent qu’il a ainsi donné aux Nord-Vietnamiens, qui cherchaient à obtenir les noms de ses camarades, ceux de l’équipe de football des Green Bay Packers.

Malgré ses limites, les partisans de la torture continuent à mettre en avant le cas d’un danger imminent, le scénario dit de « la bombe à retardement ». Un scénario très cinématographique où le personnage principal n’a plus que quelques minutes pour faire parler le suspect sinon une bombe nucléaire risque d’exploser. « Dans ce cas-là, vous me passez les tenailles et le chalumeau et je fais ce qu’il faut, écrit le blogueur Dean. Mais même là je veux que vous me forciez à comparaître devant un tribunal pour expliquer pourquoi j’ai fait cela. »

 

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Une détenu de la prison de Guantanamo, le 14 janvier 2002. | GAMMA/8380
 

« C’EST LA GUERRE »

Ce débat dépasse les clivages politiques. A gauche, le blogueur Oliver Willis partage le même avis. Il ne soutient pas « le type de torture qui est prôné par la Maison Blanche », nous dit-il. « Mais je crois que nous devrions pouvoir utiliser la force pour extraire des informations », ajoute-t-il. Michael Smerconish, sur le Huffington Post, cite un célèbre ancien combattant de la seconde guerre mondiale, à qui il demandait conseil. « C’est la guerre, a répondu le vieux soldat. Qu’est ce que les droits de l’homme ont à faire là-dedans ? C’est la guerre et tu te bats. Fin de la conversation. »

La même idée d’exception pour cause de guerre est défendue depuis 2002 par l’administration. L’un des artisans, au département de la justice, de la politique de mise entre parenthèses des conventions de Genève, John Yoo, aujourd’hui professeur à Stanford, s’expliquait mercredi sur la chaîne publique : « Certains ne croient pas que le 11-Septembre a marqué le début d’une guerre. On l’entend aux expressions qu’ils emploient : coupables ou innocents. Ce sont des idées qui viennent du système de justice criminelle. » « En temps de guerre, ajoute-t-il, vous ne détenez pas les gens parce qu’ils sont coupables. Vous les gardez prisonniers pour les empêcher d’attaquer les Etats-Unis dans le futur. Ce n’est pas une question de culpabilité ou d’innocence. Il n’y a pas de punition ni d’inculpation. La détention est purement préventive. »

Les conservateurs s’insurgent contre le fait que l’on appelle torture les techniques de stress élaborées par le Pentagone, telles que l’utilisation de la privation de sommeil, de la présence de chiens, du port continu de la cagoule, du simulacre de noyade… Certains ont beaucoup ironisé sur le fait que le passage de femmes dévêtues dans les salles d’interrogatoires était dénoncé par les organisations humanitaires. Pour un spécialiste de droit international, qui préfère rester anonyme, la question culturelle est manifestement absente de la réflexion des Américains. « Il y a des pratiques qui sont assimilées à de la torture pour les musulmans et pas pour les chrétiens, explique cette source. C’est la raison pour laquelle il ne peut pas y avoir véritablement de définition. » Le débat est d’autant plus vif que le Pentagone tarde à publier le nouveau manuel du soldat, qui doit fixer les règles d’interrogatoires. On sait déjà qu’il comportera une annexe confidentielle.

LES MESURES

L’ENQUÊTE. Des enquêteurs américains coopéreront avec une commission d’investigation irakienne qui sera chargée de l’enquête sur les tortures et abus commis par les forces de sécurité irakiennes, ont annoncé des officiels américains cités vendredi 18 novembre par le New York Times. L’enquête portera sur tous les centres de détention en Irak.

L’AMENDEMENT MCCAIN. Mardi 15 novembre, le Sénat américain a adopté un amendement sur l’Irak demandant des comptes à l’administration Bush. Il a aussi confié l’adoption de l’amendement proposé par le sénateur républicain John McCain contre la torture. L’amendement McCain interdit les traitements cruels et dégradants.



Articles Par : Corine Lesnes

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