Mohamed Seghir Babès : Un homme d’Etat qui allie l’élégance à la compétence

«Le chêne qui s’écroule fait beaucoup plus de bruit que la forêt qui pousse.» Proverbe chinois.

Mohamed Seghir Babès a été ravi à l’affection des siens et à la haute considération que la société porte à ce haut fonctionnaire au long cours. Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a rendu hommage au président du Conseil national économique et social (Cnes) Mohamed Seghir Babès, dans un message de condoléances où il a salué sa compétence et son dévouement au service de la nation et de ses institutions. Ces mots bien pesés mesurent plus que cent discours le sacerdoce de Mohamed Seghir Babès. «Après une vie vouée au service de la nation et riche en apport et en contributions, fort d’une compétence avérée», «le défunt s’est employé toute sa vie durant à accomplir au mieux et avec dévouement ses devoirs à travers toutes les fonctions et responsabilités qu’il a assumées, donnant le meilleur exemple à ses compagnons et toute une génération de cadres qui s’appliquent avec sérieux, discrétion et sincérité».

Qui est Mohamed Seghir Babès?

Dans une contribution originale toute en finesse, Madjid Berkane, du journal L’Expression nous dit tout ou presque sur l’homme et son apport à la construction de la nation algérienne:

«Rien que pour la coupe originale de ses cheveux inspirant l’intellectualité et la sagesse, le visage du défunt sera longtemps retenu dans la mémoire de ses concitoyens. Né le 10 mars 1943, Babès a fait partie après avoir terminé ses études avec brio parmi les premiers administrateurs que l’Algérie indépendante a eu à la tête de son Administration. Haut fonctionnaire au niveau de plusieurs secrétariats de départements ministériels (intérieur, hydraulique et santé), Mohamed Seghir Babès, politologue et économiste de formation, a pu se faire distinguer facilement dans son travail par ses qualités professionnelles et humaines. Apprécié pour ses qualités, le défunt s’est vu nommé à deux reprises en tant que membre du gouvernement, la première fois en tant que ministre de la Santé, et la seconde fois en tant que conseiller auprès du président de la République Abdelaziz Bouteflika. Cela avant qu’il ne se voit chargé de la présidence du Cnes en 2005 par le président de la République. Confiant en ses capacités de bel orateur et en sa force de convaincre, le chef de l’Etat l’a chargé de sillonner le pays et de rencontrer la société civile, pour à la fois l’écouter et enregistrer ses propositions s’agissant de l’amélioration du service public et la lutte contre la corruption. Une mission que Mohamed Seghir Babès a pu accomplir avec perfection. En témoigne la forte assistance des citoyens, des associations et des responsables locaux aux assises qu’il a organisées à travers tout le territoire national. Parallèlement à cette mission, le directeur du Cnes s’entretenait régulièrement avec de nombreuses personnalités nationales et internationales dans le but d’écouter leurs points de vue et de débattre des questions d’actualité.» (1)

Trois idées forces structurent son parcours d’une douzaine d’années au Cnes: son obsession pour une économie de la connaissance, sa soif d’égalité des citoyens qui lui a fait sillonner l’Algérie profonde qui a le plus souffert de la décennie noire, mais aussi la nécessité de traduire dans les faits la Réconciliation nationale par une écoute permanente où chacun des orateurs dans ces grands rassemblements de la société civile se sentait important car le président Babès avait le don de mettre les gens à l’aise et d’être en phase en face de doléances qui pouvaient paraître oiseuses à d’autres, mais que le président Babès bonifiait pour en tirer la substantifique moelle. Il était aussi à l’aise en présence des universitaires que nous étions, mais aussi avec les hautes personnalités scientifiques, des institutions internationales du Pnud, des Cnes des pays occidentaux, et africains.

Dans une contribution remarquable le professeur d’économie Ammar Belhimer a fait d’une façon beaucoup plus élégante l’éloge mérité du sacerdoce de Mohamed Seghir Babès, au vu de sa vision du futur pour le pays. Extraits:

«L’homme n’a pas d’ego surdimensionné, comme nombre de nos responsables. Il est le chef magistral d’un orchestre qu’il aime composer sur la base de la compétence, hors de toute considération régionaliste, clientéliste ou partisane. C’est un rassembleur hors pair qui tient en horreur l’exclusion et les anathèmes. Il était de toutes les manifestations scientifiques, d’où qu’elles émanent, et de tous les échanges d’excellence. (…) Il disait creuser les sillons d’où écloront, à plus ou moins brève échéance, les oasis du savoir et de l’innovation. Le défi est d’aller vers un nouveau régime de croissance tiré par le savoir-faire et l’innovation (…)» (2)

Les multiples chantiers du Cnes

Le Cnes a été de toutes les batailles, l’obsession du président Babès était la réussite du pays qui devait sortir par le haut de la malédiction du pétrole en investissant à marche forcée dans l’Homme. Dans une contribution que j’avais appelée Le brainstorming du Cnes, à l’occasion de l’organisation du forum économique et social. Je suis de ceux qui croient peut-être naïvement en tous les sauveurs de l’Algérie. A ce titre, sous la présidence de Mohamed Seghir Babès le Cnes propose une démarche cohérente à même de participer à l’avènement d’une économie durable.

«Si l’indépendance du pays, lit-on dans le préambule, a été le point de départ du lancement des grands projets de développement, il n’en demeure pas moins que l’indépendance économique censée hisser la société algérienne à un niveau de développement auquel elle a aspiré depuis plusieurs décennies, n’est pas tout à fait acquise malgré les gros budgets attribués aux secteurs socioéconomiques et que la dépendance de l’extérieur représente une menace pour le pays si les dispositions pour éliminer «l’État providence» soutenu par une recette des hydrocarbures faramineuse, ne sont pas prises immédiatement. N’ayons pas honte, poursuit le Cnes, ou peur de présenter le «tableau noir» de l’actualité du pays et du malaise du citoyen algérien. La véritable appréhension réside dans la stagnation du pays à plusieurs niveaux marquant une incompréhension (jusqu’à quand?) de la société qui peine à trouver son équilibre et d’une administration «absente» entachée de tous les maux liés notamment à une corruption interminable et donc une médiocrité inqualifiable. Sommes-nous capables s’interroge le Cnes, de construire notre pays sur des bases saines et durables?» (2)

Les constats faits par le Cnes sont durs et courageux. Ils sont à la hauteur des défis à lancer. Les dysfonctionnements sont pointés du doigt:

«Aujourd’hui, elle se doit de relever les défis les plus stratégiques allant de la sécurité territoriale à la sécurité alimentaire en passant par l’éducation nationale et la santé. Des défis qui permettront de rendre la société plus stable et plus équilibrée (…) Dans ce contexte mondial où l’anarchie règne en passant outre les instructions onusiennes, il serait intéressant de prendre le mot d’ordre sécurité » comme ligne de conduite dans les travaux du forum.» Capital humain et économie du savoir comme garants de l’avenir martelait Mohamed Seghir Babès, sont les clés de l’avenir L’initiative du Cnes est à bien des égards, une dernière tentative de repartir du bon pied.» (3)

Le Développement local pierre angulaire du Développement humain  durable

A sa façon, Mohamed Seghir Babès a été un précurseur du Développement humain durable par le Développement local. Pour cela il a sillonné le pays de long en large portant çà et là la bonne parole, mobilisant la société civile et lui donnant une utopie. Il fut l’un des stabilisateurs par le verbe de la société en invitant tous les acteurs locaux la société civile dans son ensemble. Pour lui, la gouvernance locale est la seule garante de la durabilité. Une illustration par les pays vient étayer l’analyse en démontrant que les principes fondateurs d’interdépendance et d’éthique du Développement durable sont partiellement appliqués.

Toutefois, le caractère durable des pays est limité par nombre de difficultés. Dans le même ordre, un symposium international sur le thème

«Développement humain et société du bien-être à l’aune de l’agenda post-2015» a eu lieu le 8 juin 2014 à Alger, Le symposium était organisé par le Conseil national économique et social (Cnes) en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Outre les délégations du Cnes, des représentants des experts du Bureau du rapport sur le développement humain (Hdro) et des diverses institutions du Système des Nations unies ayant vocation à intervenir dans l’élaboration des indices du développement humain, ont pris part au symposium qui a eu pour objectif de «susciter une plus grande synergie entre les parties prenantes dans l’évaluation du développement humain, tant au niveau national qu’au niveau international, dans une perspective de parachèvement des OMD et de leur transmutation en Objectifs du développement durable (ODD) dans l’agenda post-2015.»

Sa dernière prouesse de génie est d’avoir «arraché» avec tout le savoir-faire dont il était pétri la mise en place en Algérie d’un Institut du développement durable du Pnud. Institut qui gagnerait à être conforté tant il est vrai que le futur sera structuré par la nécessité d’aller vers le Développement humain durable.

Le souci de la paix sociale par la justice sociale

Dans un mémorandum en date du 9/8/2012 le Cnes et l’Ugta soucieux de la préservation du pouvoir d’achat ont signé ensemble un mémorandum où ils appellent notamment, à la sauvegarde du pouvoir d’achat des citoyens, la relance de la production nationale. Ils proposent de tendre vers un impôt équitable grâce à une fiscalité directe plus équilibrée pour tous les acteurs contribuant à la croissance économique, de lutter contre l’inflation en développant des mécanismes de contrôle effectif du respect des règles de la concurrence et des prix du marché et aussi en développant la concurrence là où elle fait défaut par l’accroissement de l’offre issue de la production nationale et la sauvegarde du pouvoir d’achat qui peut être obtenue par la mise en place d’un système de crédit à la consommation réservé exclusivement aux produits fabriqués localement dont le taux d’intégration nationale dépasse les 30%. Les deux institutions pointeront du doigt la formation défaillante, et la fuite des compétences. Ils proposent de réserver une partie des disponibilités foncières aux jeunes entreprises porteuses de projets innovants pour accélérer l’émergence de la nouvelle économie. Enfin, les deux institutions proposent des Mesures exceptionnelles pour les wilayas du Sud.

La visibilité de l’Algérie à l’extérieur

Infatigable défenseur d’une  Algérie en phase avec le mouvement du monde , le président Babès donnait une visibilité au pays. Ainsi, un symposium de haut niveau devant traiter de la réforme de l’Aicesis (Association internationale des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires) s’est tenu à Alger en 2012. Cette décision a été prise lors de l’Assemblée générale de l’Aicesis qui vient de se tenir à Rome (Italie) au cours de laquelle l’Algérie a été élue à la présidence de cette institution.

« C’est un grand honneur pour l’Algérie de présider cette institution durant ce mandat qui sera mis à profit pour faire entendre avec force la voix des sociétés civiles organisées au sein des Conseils économiques et sociaux », soulignera Mohamed Seghir Babès. L’Algérie continuera à plaider comme elle l’a fait depuis trois ans pour un rôle accru de l’Aicesis qui doit par conséquent avoir le format adéquat qui permette aux sociétés civiles d’avoir leur mot à dire dans la prise de décision dans le contexte des mutations en cours dans le monde, notamment à la lumière des événements en Afrique du Nord, en Afrique et au Moyen-Orient. La société civile revendique sa place dans le système de gouvernance. C’est une réalité aussi bien à l’échelle internationale qu’au niveau national. Les Etats généraux de la société civile ont été explicités sur ce point, a relevé Mohamed Seghir Babès, précisant que les cinq ateliers sont dans le comité de suivi des recommandations qu’il s’agit de concrétiser. L’objectif, soulignera le président du Cnes, est de faire en sorte que la société civile ait un ancrage constitutionnel. Nous voulons avoir notre mot à dire dans la démocratie participative a-t-il précisé.» (4).

Pendant son mandat, le président Babès avait souvent appelé à la constitutionnalisation du Cnes en vue de mener à bien ses missions. «Nous sommes, pour un certain nombre de choses, aux avant-postes, mais du point de vue statut, le Cnes n’est pas constitutionalisé» pour mener ses missions, a déclaré Mohamed Seghir Babès. Pour Mohamed Seghir Babès, l’Algérie dispose des capacités pour améliorer la gouvernance, récusant l’option de la «rupture cataclysmique» entreprise par certains pays arabes pour réformer leur modèle de gouvernance. «Nous avons largement les moyens de mener les réformes de l’intérieur du système avec les moyens de l’Etat», en indiquant que le montage d’un système de gouvernance démocratique «doit nécessairement permettre la pleine expression de la société civile».

C’est dire si en définitive sous la direction éclairée de Mohamed Seghir Babès le Cnes a essayé dans le rôle consultatif qui lui a été imparti d’apporter sa pierre à l’édifice d’une Algérie qu’il voulait prospère, qui a vaincu ses démons de la corruption, du régionalisme, du népotisme pour faire émerger l’Algérien féru de savoir à même de prendre en charge le destin de ce pays.

Le président Babes et sa sollicitude  envers le savoir

C’est dire si en définitive sous la direction éclairée de Mohamed Seghir Babès le Cnes a essayé dans le rôle consultatif qui lui a été imparti d’apporter sa pierre à l’édifice d’une Algérie qu’il voulait prospère, qui a vaincu ses démons de la corruption, du régionalisme, du népotisme pour faire émerger l’Algérien féru de savoir à même de prendre en charge le destin de ce pays.

Je l’ai personnellement constaté par sa présence aux multiples Journées sur l’énergie que j’organise depuis vingt ans, où il prenait le temps malgré ses multiples tâches de venir le 16 avril de chaque année discuter avec les élèves ingénieurs et les féliciter pour leurs visions généreuses du futur en les encourageant toujours à aller plus loin dans la quête de la science.

C’est dans ce cadre, et il faut lui rendre justice, il fut à la base de la mise en place  de l’Académie des Sciences en Algérie , je peux témoigner pour l’avoir  aidé à le faire , il pu avec son doigté et son réseau de connaissances rentrer dans le saint des saints constitué par l’Académie des Sciences du  Quai Conti en France. Un programme cohérent fut mis en place et l’Algérie aurait gagner à s’inspirer des critères qui devaient prévaloir quant à la constitution du premier creuset des « Académiciens » . Il répétait souvent qu’il ne fallait pas se tromper pour bâtir sur du solide et partir du bon pied dans le domaine des savoirs sans  approximation aucune !

Je veux témoigner  aussi, à titre personnel de la stature de Mohamed Seghir, homme éclectique, pétri de cultures -qui dit-on a fait ses humanités- avec toujours le souci élégant du consensus. Le président Babès avait l’habitude de miser sur les hommes et souvent en dépit de nos multiples tâches par ailleurs, nous ne rechignions pas à donner un coup de main tant nous étions convaincus que sa vision du futur nous paraissait juste. Nous avons souvent eu des conversations et j’en ressortais grandi et reconnaissant et confiant dans l’avenir qu’il y ait encore en Algérie des hommes capables de ce type de réflexion globale sur le monde. Notamment sur la nécessité du vivre ensemble qui faisait partie de ses préoccupations.

Il restera pour beaucoup d’entre nous le modèle d’homme d’Etat dont le nombre est limité en ce sens que -contrairement aux nombreux hommes politiques qui ne pensent qu’aux prochaines élections, pense aux générations futures. A ce titre Mohamed Seghir Babès a servi la patrie et comme l’écrit si bien Victor Hugo: «Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie, Ont droit qu’à leur cercueil, la foule vienne et prie. Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau. Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère; Et, comme ferait une mère, La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau!» Rien à ajouter. Reposez en paix cher ami. Vous avez bien mérité de la nation.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 

1.http://www.lexpressiondz.com/actualite/262194-il-a-accompli-sans-faute-ses-missions.html

2.Ammar Belhimer, http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/03/09/article. php?sid =210480&cid=2

3.Chems Eddine Chitour  http://chemseddine.over-blog.com/article-une-algerie-fascinee-par-l-avenir-le-brainstorming-du-cnes-118644269.html

4. M.Brahim    http://www.elmoudjahid.com/fr/mobile/detail-article/id/14722

Article de référence :

http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur _chitour/262271-un-homme-d-etat-qui-allie-l-elegance-a-la-competence.html



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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