Moyen-Orient – Des messages très précis à un moment très critique

A un moment de frictions où les négociations et les messages de force se confondent, le jeu international et régional du « bord du gouffre » semble être à son apogée. Alors que l’alliance conduite par la Russie et composée principalement par l’Iran, la Chine et d’autres alliés, la Syrie en tête, tente de consolider ses acquis et de continuer à avancer sans entrer en confrontation directe avec les Etats-Unis, Washington semble incapable de tolérer ou d’accepter les progrès qui confèrent à cette alliance la supériorité en Asie et mettent Israël et l’Arabie Saoudite dans une situation délicate. Et tandis que le déploiement militaire américain se réduit, Washington semble prêt à tous les coups bas au-dessous de la ceinture, espérant forcer ses adversaires à un retrait et éviter la confrontation.
En parlant des sanctions contre l’Iran et la Russie, particulièrement dans le secteur énergétique, le langage utilisé par Washington équivaut pour Moscou et Téhéran à une déclaration de guerre. La réunion d’hier des ministres russe et américain de l’énergie a été une étape dans le cycle de négociations comportant des offres mutuelles, mais n’a abouti à aucun accord sauf la poursuite des négociations ; tandis que Washington annonçait de nouvelles sanctions sur le programme russe North Stream qui achemine le gaz en Europe du Nord, malgré l’offre russe pour des concessions sur le marché européen permettant aux sociétés américaines de gaz de schiste d’avoir une part, comme l’avait promis Vladimir Poutine au président américain au sommet d’Helsinki. Les Américains, qui ont besoin de ce profit et misent sur l’inclusion d’autres dossiers régionaux, surtout en Syrie et en Iran, se heurtent au rejet russe qui va jusqu’à retirer l’offre relative au gaz de schiste si les États-Unis continuent l’escalade des sanctions.
En Irak, les frictions politiques et sécuritaires américano-iraniennes et les messages mutuellement envoyés sont à l’apogée. Washington, qui connaît son incapacité à résister à un affrontement direct avec les forces de la résistance, tente de lier cette confrontation à l’escalade avec l’Iran qu’elle menace de faire payer toute attaque contre des bases américaines en Irak. Dans une déclaration sur la chaîne Al-Manar, le commandant des gardiens de la révolution avait en effet invité ceux qui ont des bases militaires situées dans un périmètre de deux mille kilomètres autour de l’Iran de vérifier la précision des missiles iraniens. Au Yémen, l’Arabie Saoudite essaie de faire échouer les pourparlers de Genève en prévision de la dernière attaque, au cours de laquelle elle tente de modifier la situation militaire dans la région de Hodeïda. Washington est fortement favorable à l’attaque saoudienne, comme l’indiquent les déclarations des ministres des Affaires étrangères et de la Défense devant le Congrès en soutenant que l’Arabie Saoudite observe les normes requises pour éviter les pertes civiles, malgré la reconnaissance onusienne et internationale des massacres commis par l’Arabie Saoudite. La cause humanitaire est toujours le portail qui couvre les positions de Washington pour soutenir toute guerre ou mettre la pression pour y mettre fin.
C’est à ce moment qu’ont lieu des manœuvres militaires russo-chinoises sans précédent, les premières du genre, impliquant 300 000 officiers et soldats, ainsi que tout l’arsenal des armes terrestres, maritimes et aériennes. Ces manœuvres sont supervisées par le président russe Vladimir Poutine et s’appellent « Vostok (Orient) 2018″, pour annoncer une préparation conjointe russo-chinoise face à tout défi militaire. Le message, par son timing et son contenu, est clair, comme celui de l’Iran, pour dire à Washington que l’escalade mènera à la confrontation, et nous y sommes prêts si vous le souhaitez.
Les messages « du bord du gouffre » sont échangés avec, en arrière-plan, une décision de ne pas entrer en collision. Cela signifie qu’ils négocient à travers des messages, et que le champ d’affrontement à Idlib est le seul espace disponible pour marquer des points, avec, cette fois, des paris américains pour réaliser quelque chose à Hodeïda. Mais à Idlib, la course russo-iranienne et américaine était pour gagner la position de la Turquie. Et c’est la Russie-Iran qui l’a gagnée, tandis que le Front Al-Nosra est devenu l’armée américaine que les Etats-Unis espéraient protéger par la Turquie, par le miroitement d’un canton dirigé par Ankara dans le nord de la Syrie, légitimant l’existence d’un canton dirigé par Washington à l’est de l’Euphrate ; une partition qui donne légitimité à la partition et une occupation qui donne légitimité à l’occupation. Devant la détermination et la résolution de trancher définitivement, la Turquie a changé de position et s’est engagée à lutter contre Al-Nosra. Là-bas, tout le monde est prudent, tout le monde observe et tout le monde attend.
Nasser Kandil
Article original en arabe : http://www.al-binaa.com/archives/article/196991
Traduit par Rania Tahar.