Négociation de la dernière chance : La fin du calvaire du peuple syrien?
«Quand le vieux lion se meurt, même les chiens ont du courage et lui arrachent les poils de sa moustache.»
Proverbe syrien
Un scoop incroyable pourtant à eu lieu ! L’opposition syrienne serait prête à des discussions avec le pouvoir syrien en vue de fin de la crise qui dure depuis 22 mois. Pourquoi ce brusque revirement quand on sait que «l’opposition syrienne de l’extérieur» a toujours refusé de négocier avec Bachar Al Assad demandant au préalable son départ, voire son jugement ? Cette « opposition extérieure », – contrairement à l’opposition courageuse de l’intérieur qui ose braver le régime in situ pour des idéaux, de démocratie d’alternance de respect de la dignité humaine- qui a jailli du néant véritable patchwork avec des tendances idéologiques à l’opposé l’une de l’autre : Jugez en plutôt : on y trouve des Syriens ayant fait leur vie en Occident , des anciens apparatchiks aigris de ne plus être dans le premier cercle . La première «opposition» constituée de Français-Syriens – bien introduits par les services français – bien intégrés dans la société syrienne tels que Borhan Ghalioun, professeur de sociologie – que nous avons connu plus inspiré dans ses écrits sur l’Islam Politique, de Basma Kodmani, fille d’un ambassadeur syrien en France – qui a cautionné le système Al Assad pour les besoins de sa carrière et celle de sa fille chercheuse au CNRS- , a été rapidement débordée par l’aile fondamentaliste.
Au fil des mois, plusieurs personnalités se sont succédé notamment un Chiite en vain. Le projet occidental qui avait programmé la chute du domino syrien – indispensable si on veut démolir ensuite l’Iran- était de fédérer des troupes aux antipodes les unes des autres. Le grand paradoxe de l’Occident c’est qu’il faut démolir le pouvoir en place en s’associant des salafistes comme ce fut le cas en Libye, comme c’est le cas en Syrie actuellement mais si la politique veut qu’on les combatte ailleurs, aucun état d’âme: On les poursuit sans répit au Mali bien qu’ils aient été chouchoutés en Libye à tel point qu’ils se sont servi dans le supermarché des armes dans une Libye chaotique après le lynchage de Kadhafi!
La médiation internationale dans la guerre en Syrie, menée depuis l’été dernier par le diplomate algérien Lakhdar Brahimi, n’a pas donné pour le moment de résultats. MM.Ban et Brahimi ont relevé «l’absence d’une position internationale qui pourrait mener à une transition» politique, comme le prévoit l’accord de Genève de juin dernier.
La Syrie, une autre réalité
Quelle est la réalité du terrain? Deux visions: celle des médias occidentaux qui nous présentent une Syrie à feu et à sang en plein chaos, diabolisant le pouvoir en place, et l’autre plus sereine sur les rares images où l’on voit la vie suivre son cours malgré les problèmes, les voitures circulent, les gens vaquent à leurs occupations. Malgré les difficultés , l’embargo, les fonctionnaires travaillent, reçoivent leur pays dans un pays qui tente de rester debout
Lisons à ce propos ce que décrit la journaliste La publication Anastasia Popova dans un documentaire diffusé sur la chaîne Russia 24:
«Nous sommes restés là-bas sept mois au total, à partir d’août 2011 alors que le pays n’était alors pas encore en guerre, jusqu’à maintenant et la guerre bat son plein. (…) Ce qui nous a frappés le plus lorsque nous sommes arrivés en août et ce, jusqu’en décembre, est la différence entre ce qu’on nous disait de la Syrie à l’extérieur du pays et ce qui se passait réellement à l’intérieur du pays. Parfois on atteignait l’absurdité la plus totale. Par exemple, nous recevions un appel de nos rédactions pour nous rendre dans tel ou tel square où une manifestation contre le gouvernement était réprimée par des blindés et l’artillerie: nous y allions et il ne s’y passait absolument rien, mis à part quelques piétons présents et un policier régulant la circulation.(1).
La Journaliste de Russia 24 explique la genèse de la tentative de déstabilisation :
« Puis les provocations ont commencé, des gens furent tués pour leur appartenance religieuse. Cependant, le gouvernement répondait aux demandes de paix. Les lois furent modifiées. Une commission a été créée pour un dialogue national incluant presque tous les groupes d’opposition. Grâce au travail de cette commission et par référendum national, une nouvelle Constitution a été adoptée. Mais pour les principaux acteurs intéressés, ce n’était pas la fin de l’histoire. Ils ont réuni ce qui peut être nommé «l’opposition étrangère», composée surtout de gens qui avaient vécu en Europe depuis plus de 40 ans. Ils se sont donc tournés vers l’unique alternative qui leur était ouverte: renverser le gouvernement en place avec des armes. Ils ont commencé à opposer les confessions religieuses les unes contre les autres, et en même temps à envoyer des insurgés étrangers. On peut en lire la preuve dans le dernier rapport de l’ONU qui liste des gens armés de 29 pays différents qui se battent contre l’armée syrienne! (…) Ces armes sont tout d’abord envoyées vers la Turquie, puis données aux FSA par des officiers turcs à la frontière. Une journaliste libanaise a été témoin de cet échange et elle a essayé de le filmer mais elle a été arrêtée et détenue en Turquie 3 jours, et on lui a cassé sa caméra. (…) Par ailleurs, les États occidentaux fournissent de l’argent à l’opposition, qui est surtout composée d’étrangers ». (1)
« A cause de tout cela conclut elle, il est difficile de nommer ce qui se passe en Syrie guerre civile. Même s’ils ont réussi à diviser la population, et si dans certaines familles une partie se bat pour le gouvernement et l’autre est contre. Il est toujours facile d’attaquer le messager quand vous n’aimez pas le message. (…) Les gens lisent des rapports écrits depuis de confortables chambres d’hôtels au Liban, citant des informations non vérifiées d’activistes FSA ». (1)
Pour l’une de ces activistes, la journaliste rapporte :
«Il n’y a pas eu de réels progrès sur les fronts et cela a affecté nos sponsors qui ne nous avaient pas envoyé de munitions… Même les gens en ont marre de nous. Nous étions des libérateurs mais maintenant ils nous dénoncent et manifestent contre nous.» (1)
Dans le même ordre de la manipulation des médias nous lisons sur le site du Grand Soir :
«A la veille de chaque réunion onusienne sur la Syrie, de chaque visite en Syrie d’un acteur majeur de la politique internationale ou de chaque revers militaire de la rébellion, soyez-en sûrs: un nouveau massacre de civils sera commis, médiatisé par la rébellion et imputé au régime de Damas. Ce fut le cas lors des massacres de Houla, de Treimsa et de Karm el-Zeitoun. L’exécution de près de 80 jeunes Syriens à Alep perpétrée en début de semaine semble être du même acabit. Il survient, en effet, au moment où le médiateur international, Lakhdar Brahimi, publiait son nouveau rapport sur la Syrie devant le Conseil de sécurité de l’ONU. (…) Les observateurs indépendants épinglent en effet de nombreuses mises en scène de massacres de «civils» où l’on voit des corps de «pro-gouvernementaux» alignés aux côtés de rebelles tués par l’armée, dans le but d’accréditer la thèse du prétendu «génocide» organisé par le régime. (2)
Comment alors expliquer que finalement l’Occident, malgré un forcing immoral des médias occidentaux, découvre finalement que c’est l’impasse? Et qu’il faille discuter pour une transition –inter syrienne- ce que la Chine et la Russie n’ont cessé de proclamer. Dans ces conditions on peut comprendre le sens du du dernier scoop: « Les Américains soutiennent avec force la proposition de dialogue avec le régime «lancée par le chef de l’opposition syrienne Moaz Al-Khatib.» Qui dit Américains implique le suivisme des vassaux.
Depuis la fin janvier en effet, Al-Khatib se dit prêt à dialoguer avec des représentants du régime «qui n’ont pas de sang sur les mains». Il a précisé le lundi 4 janvier qu’il souhaitait que le régime mandate le vice-président Farouk Al-Chareh. «Nous tendrons la main dans l’intérêt du peuple et pour aider le régime à partir en paix», a déclaré Al-Khatib à la chaîne Al Jazeera. «Je dis à Bachar Al Assad , regarde dans les yeux de tes enfants et essaie de trouver une solution ». « Nous nous entraiderons alors dans l’intérêt du peuple ».
Son initiative avait fait grincer des dents au sein de la coalition. Mais, dimanche 3 février, le porte-parole de cette dernière, Walid al-Bouni, a affirmé que «la majorité» de ce rassemblement soutenait cette voie. On se souvient. Dès octobre 2012, la Turquie avait suggéré une transition négociée avec Al-Chareh, réputé critique de la répression. Le chef de la coalition pose toutefois deux conditions préalables: la libération «des 160.000 personnes» détenues dans le cadre du soulèvement contre le régime et le renouvellement des passeports des Syriens de l’étranger – dont beaucoup ont quitté le pays de façon illégale – dans les ambassades afin qu’ils ne soient pas arrêtés à leur retour.
On se souvient pourtant que le président Bachar Al Assad avait proposé, début janvier, un plan de sortie de crise prévoyant un dialogue national à Damas, catégoriquement refusé jusqu’ici par l’opposition qui pose comme condition sine qua non le départ de M.Assad. Mardi, l’opposition tolérée s’est dit prête à établir un processus politique de dialogue entre régime et opposition pour mettre en application l’accord de Genève qui prévoit une transition en Syrie. Mardi 4 février, le médiateur international Lakhdar Brahimi avait demandé au Conseil de sécurité d’agir d’urgence, dénonçant «l’horreur» de la guerre civile peu après la macabre découverte à Alep. Pékin a ainsi de nouveau appelé mercredi à un «dialogue national» que les autorités syriennes assurent organiser pour trouver une issue au conflit mais qui permettrait une transition entièrement contrôlée par le régime actuel et est donc rejetée par l’opposition et la communauté internationale. (3)
Un autre signe en faveur de la paix est que pour la première fois depuis 1979 l’Iran renoue avec l’Egypte. Ceci est intéressant car les deux présidents ont une vision différente du conflit syrien. Morsi veut le départ de Bachar Al Assad, l’Iran le soutient. M. Ahmadinejad, qui doit assister au 12e Sommet de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) prévu mercredi et jeudi au Caire, a été accueilli au pied de la passerelle de l’avion par le chef d’Etat égyptien Les deux présidents ont eu un entretien à l’aéroport sur «les moyens de régler la crise syrienne pour mettre fin à l’effusion du sang, sans intervention militaire» et sur «les moyens de renforcer les relations entre l’Egypte et l’Iran». Par ailleurs, des responsables iraniens ont rencontré, ces derniers jours, pour la première fois le chef de l’opposition, ils ont d’ailleurs salué la proposition de dialogue de M. Khatib, emboîtant le pas à la Russie. Lundi, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a affirmé dans une interview que la guerre n’était «pas la solution» en Syrie. «Il ne doit pas y avoir de guerre confessionnelle en Syrie». Ce ballet diplomatique intervient alors que la population syrienne est épuisée par près de deux ans de tueries, de destructions et d’une terrible dégradation de la situation humanitaire. (4)
Qui est Moaz Al Khatib?
On apprend aussi, que pour la première fois le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov a rencontré samedi 2 février le chef de la coalition nationale de l’opposition syrienne, Ahmed Moaz Al Khatib, en marge des travaux de la 49e conférence de Munich sur la sécurité.
«La Russie a une certaine vision mais nous accueillons favorablement des négociations pour soulager la crise», a déclaré Ahmed Moaz Al Khatib à l’issue de l’entretien. Avant leur discussion, Sergueï Lavrov avait affirmé devant la conférence que l’insistance de Joe Biden à réclamer le départ du président syrien était contre-productive. (…) Le président syrien déclare vouloir poursuivre son mandat jusqu’à son terme en 2014 et insiste sur son droit à se représenter. (…) (5)
Thierry Meyssan nous en parle:
«Totalement inconnu du public international, il y a une semaine encore, Cheikh Moaz Al Khatib a été propulsé président de la coalition nationale syrienne, représentant l’opposition pro-occidentale au gouvernement de Damas. Décrit par une intense campagne de relations publiques comme une haute personnalité morale sans attaches partisanes ou économiques, il est en réalité membre des Frères musulmans et cadre de la compagnie pétrolière Shell. L’émiettement de l’opposition syrienne armée reflète les conflits entre les États qui tentent de «changer le régime» de Damas. On retiendra surtout le Conseil national (CNS), dit aussi Conseil d’Istanbul parce qu’il fut constitué là-bas. Il est tenu d’une main de fer par la Dgse française et financé par le Qatar. Enfin, l’Armée syrienne libre (ASL), principalement encadrée par la Turquie, regroupe la plupart des combattants. Si la création de la coalition nationale acte la reprise en main de l’opposition armée par Washington, elle ne règle pas la question de la représentativité. Rapidement, diverses composantes de l’ASL s’en sont désolidarisées. Surtout, la coalition exclut l’opposition hostile à la lutte armée, notamment la coordination nationale pour le changement démocratique d’Haytham Al Manna ».Le choix du cheikh Ahmad Moaz Al Khatib répond à une nécessité apparente: pour être reconnu par les combattants, il fallait que le président de la Coalition fut un religieux, mais pour être admis par les Occidentaux, certains médias en font déjà un leader «modèle» »(6).
«. Ainsi, poursuit Thierry Meyssan, décryptant les «méthodes américaines» de relooking un grand quotidien US le présente comme «un produit unique de sa culture, comme Aung San Suu Kyi en Birmanie». Voici le portrait qu’en dresse l’Agence France Presse (AFP): Né en 1960, cheikh Ahmad Moaz Al Khatib, «Cheikh Al Khatib est une figure de consensus qui bénéficie d’un véritable soutien populaire sur le terrain», souligne Khaled Al Zeini).».
La vérité est toute autre. En réalité, il n’y a aucune trace que cheikh Ahmad Moaz Al Khatib ait jamais étudié les relations internationales et la diplomatie, mais il a une formation d’ingénieur en géophysique et a travaillé six ans pour la Al Furat Petroleum Company (1985-91).(6)
« En 1992, il hérite de son père cheikh Mohammed Abu Al Faraj al-Khatib la prestigieuse charge de prêcheur de la Mosquée des Omeyyades. Il est rapidement relevé de ses fonctions et interdit de prêche dans toute la Syrie. En 2003-04, il revient en Syrie comme lobbyiste du groupe Shell lors de l’attribution des concessions pétrolières et gazières. Il revient à nouveau en Syrie début 2012 où il enflamme le quartier de Douma (banlieue de Damas). Arrêté, puis amnistié, il quitte le pays en juillet et s’installe au Caire. Sa famille est bien de tradition soufie, mais contrairement aux imputations de l’AFP, il est membre de la confrérie des Frères musulmans» (6)
En fait, quels que soient les fondements des «manoeuvres» de tout bord, il faut espérer que cette fois-ci, c’est le bout du tunnel pour le peuple syrien. Il est possible que la transition avec Farouk Echar’e vice-président pourra permettre un passage de témoin en douceur ; Al Assad ayant annoncé son départ en 2014. C’est le temps qu’il faut pour mettre en place de nouvelles élections qui permettront ce faisant, l’avènement, il faut l’espérer de Syriennes et de Syriens aux commandes d’un pays rendu inutilement exsangue par les occidentaux ,mais qui ne tardera pas, s’il n’y a pas d’ingérence à s’auto-réparer, retrouver les équilibres interethniques et inter-religieux qui ont mis des siècles à sédimenter
Une civilisation qui a vu naître l’enfance de l’humanité (Pensons à Ugarit) ne peut pas disparaître comme cela. Le reshaping du Moyen-Orient ne se fera pas comme prévu, la Syrie a été le grain de sable qui a bloqué la machine infernale du broyage des identités et des espérances. Bachar Al Assad a fait son temps, il devra partir au plus tard dans moins d’un an. Le moment est venu pour réconcilier les Syriens entre eux, tourner le dos aux manoeuvres de division et qu’enfin la paix règne dans cette région du Moyen Orient qui chaque fois s’est réconciliée avec elle-même depuis le déclenchement des Croisades par un certain pape Urbain II.
Cela commença, en effet, avec la destruction de Jérusalem et la mise à mort de ses habitants en juillet 1099. Bien plus tard, ce fut le harcèlement de l’Empire Ottoman, « l’homme malade de l’Europe » avec notamment les évènements de Damas dont le fondement fut le début des ingérences anglo-françaises qui ont imposé au sultan, un moutassarif ( gouverneur) de confession chrétienne pour les régions chrétiennes . Ce fut, en creux, la partition de la Syrie (Bilad Acham) . Partition concrétisée une cinquantaine d’années plus tard, en 1917 par les accords de Sykes Picot qui ont contribué au dépeçage de l’empire ottoman, suivi concomitamment de la fameuse déclaration de Balfour, ce dernier une deuxième fois après Dieu, donna un foyer aux Juifs, une Terre où les Palestiniens vivent depuis trente siècles. Mais ceci est une autre histoire.
Chems Eddine Chitour
1. Anastasia Popova et Olivier Turquet, janvier 27, 2013
http://www.mondialisation.ca/syrie-une-autre-realite/5320709
2.
http://www.legrandsoir.info/syrie-encore-un-massacre-qui-tombe-a-pic-pour-la-rebellion.html
5. François d’Alançon, http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Moscou-noue-le-dialogue-avec-l-opposition-syrienne-_NG_-2013-02-03-906844
6.Thierry Meyssan http://www.comite-valmy.org/spip.php?article2995, le 9 novembre 2012
Pr. Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enm-edu.dz