Netanyahu, inculpé de corruption, refuse de démissionner

La mise en accusation longtemps attendue du Premier ministre Benjamin Netanyahu pour de graves accusations de corruption, de fraude et d’abus de confiance découlant de trois affaires de corruption de longue date a porté à un point critique la crise politique qui a bloqué le pays depuis un an.

Netanyahu, âgé de 70 ans, a refusé de démissionner de son poste de Premier ministre face à ces accusations.

Au lieu de cela, il s’en est pris à la police, aux enquêteurs, au procureur général et à l’ensemble du système judiciaire, dénonçant l’acte d’accusation comme une «tentative de coup d’État» visant à mettre fin à son régime. Dans un discours provocateur, il a utilisé des termes tels que «coup d’État gouvernemental contre le Premier ministre», «calomnies», «processus d’enquête corrompu», «monde de la criminalité», «fabrication de dossiers», «subornation de témoins» et «extorsion».

Son but était d’inciter ses partisans d’extrême-droite à s’opposer au système judiciaire et à les encourager à descendre dans la rue pour le défendre.

Jeudi, le procureur général Avichai Mandelblit a annoncé les chefs d’inculpation, après quatre jours d’audience préliminaire le mois dernier et des semaines de discussions dans son bureau. S’exprimant lors d’une conférence de presse, Mandelblit, qui a longtemps été un proche associé politique de Netanyahu et a été nommé à ce poste grâce à cela, a déclaré que sa décision avait été prise «avec un cœur lourd, mais de tout cœur». Il a souligné qu’il ne s’agissait pas de politique de gauche ou de droite et que l’application de la loi n’était pas une question de choix.

Il a déploré l’atmosphère extraordinairement violente et durement critique qui a entouré tout le processus, en déclarant que «tout en menant une audience professionnelle, nous avons été témoins de tentatives répétées de délégitimer des personnes impliquées» dans les enquêtes. Il a défendu ses collègues en disant: «Ces personnes ont agi pour des motifs appropriés.»

Netanyahu, tristement célèbre pour ses fréquentations avec l’élite financière, était couvert de «cadeaux», ce qu’il ne nie pas, de la part d’amis fortunés comme acomptes pour des faveurs, soulignant à quel point les politiciens israéliens sont dans la poche des réseaux de médias et des grandes entreprises. Lui et sa famille, comme presque tous les premiers ministres israéliens après le premier, David Ben Gourion, ont du faire face à de nombreuses allégations de corruption et même à des enquêtes préliminaires. Son prédécesseur immédiat, Ehud Olmert, a été condamné à une peine de prison pour délit de corruption alors qu’il était maire de Jérusalem, avant de devenir Premier ministre.

Mais Netanyahu est le premier Premier ministre à être mis en accusation pour des infractions qui auraient été commises en occupant ce poste. S’il est reconnu coupable, il pourrait purger jusqu’à 10 ans de prison, après une procédure judiciaire pouvant durer sept ans. Les scandales qui l’entourent et la perspective d’une longue peine d’emprisonnement l’ont incité à organiser des élections anticipées en 2015 ainsi que des élections anticipées en avril de cette année, puis à dissoudre le Parlement dans le but préventif de forcer une seconde élection en septembre et récemment de refuser de former un gouvernement d’union nationale avec le parti d’opposition du Bleu et Blanc, ce qui devrait précipiter une troisième élection.

Derrière toutes ces manœuvres sordides se trouvait – et c’est encore le cas – sa quête d’un gouvernement qui puisse lui procurer une loi pour assurer son immunité des poursuites. Il souligne à quel point la politique israélienne a été subordonnée aux intérêts personnels de la famille Netanyahu et aux couches politiques et grand patronat qu’il représente.

Les enquêtes, qui traînent depuis des années, démontrent, sur la base des enregistrements diffusés jusqu’à présent, des cas de corruption établis. Elles donnent un aperçu dévastateur de la nature de la politique israélienne et de la manière dont l’influence politique et les faveurs sont achetées et vendues au profit des entreprises et de l’élite politique au détriment des travailleurs, tant au pays qu’à l’étranger, dans ce que les politiciens israéliens aiment à affirmer est «la seule démocratie au Moyen-Orient». La réalité est qu’Israël n’est pas différent à cet égard des régimes capitalistes corrompus du monde entier ou du régime de style mafieux qui caractérise son parrain à la Maison-Blanche.

Netanyahu est inculpé dans l’affaire la plus importante, l’affaire 4000, également connue sous le nom d’affaire Bezeq, de corruption, de fraude et d’abus de confiance. L’affaire concerne des allégations selon lesquelles le milliardaire des télécommunications Shaul Elovitch aurait fourni à Netanyahu une couverture favorable sur son site d’informations Walla en échange de faveurs de la part des régulateurs.

L’affaire 2000, dans laquelle il est accusé de fraude et d’abus de confiance, est liée aux tentatives infructueuses de Netanyahu de parvenir à un arrangement avec Arnon Mozes, éditeur du quotidien Yedioth Ahronoth, pour une couverture plus favorable, en échange d’atteintes à son rival parmi les publications gratuites, Israel Hayom, un journal pro-Netanyahu fondé et financé par le magnat des casinos américain Sheldon Adelson.

Dans l’affaire 1000, Netanyahu est également accusé de fraude et d’abus de confiance. L’affaire concerne la réception de cadeaux et d’avantages substantiels offerts par plusieurs hommes d’affaires fortunés, dont le bienfaiteur bien connu de Netanyahu, le milliardaire et producteur d’Hollywood, Arnon Milchan, apparemment en échange de son intervention auprès du secrétaire d’État américain John Kerry pour un visa de 10 ans, qui a finalement réussi. Netanyahu et sa famille ont également reçu des cadeaux du milliardaire australien James Packer, qui auraient pour objectif d’obtenir la citoyenneté israélienne ou le statut de résident permanent pour des raisons fiscales. L’obtention de telles largesses selon l’accusation, signifiait que Netanyahu était impliquée dans un conflit d’intérêts.

Le procureur général Mandelblit a également inculpé les deux plus grands magnats des médias israéliens, Shaul Elovich et Arnon Mozes, pour leur rôle dans les arrangements de contrepartie.

La mise en accusation de Netanyahu s’inscrit dans une crise politique sans précédent, avec l’incapacité de former un gouvernement après deux élections dans l’impasse. La veille, Benny Gantz, ancien chef de l’armée et chef de l’opposition, qui n’a aucune divergence politiques de fond avec Netanyahu, avait annoncé qu’il n’a pas été en mesure de réunir une coalition avec le bloc Likoud de Netanyahu. Il a blâmé Netanyahu pour l’impasse, l’accusant de n’insister que sur le meilleur intérêt d’une personne» et d’utiliser «des insultes, des calomnies et des vidéos enfantines» pour saboter ses efforts.

Netanyahu s’accroche au poste de Premier ministre afin d’empêcher toute poursuite judiciaire, le temps d’obtenir une loi lui accordant une immunité. Il a également mené une campagne brutale contre toute tentative de Gantz de former un gouvernement minoritaire avec le soutien de la liste commune arabe, une coalition de partis politiques dirigée par des citoyens palestiniens d’Israël, affirmant qu’un tel gouvernement renforcerait le «terrorisme».

Il reste 19 jours à la Knesset, qui compte 120 sièges, pour empêcher une troisième élection. Cela dépend de la capacité des législateurs à nommer quelqu’un pour former un gouvernement qui puisse obtenir le soutien de 61 législateurs, ce qui dépend du Likoud d’assumer l’élection d’un nouveau chef pour remplacer Netanyahu.

Le procureur général devrait informer le président, Reuven Rivlin, qu’un MK (membre de la Knesset) inculpé de corruption et de fraude ne pourrait pas recevoir le mandat de former un gouvernement – au lieu de rester Premier ministre par intérim – une décision que Netanyahu contesterait devant les tribunaux, qui vraisemblablement ne lui donneraient pas gain cause.

Les commentaires des médias ont été extraordinaires, pointant les conflits acharnés, sans explications, au sein des cercles dirigeants. Amit Segal de Channel 12 a écrit dans le Yediot Ahronot: «Ce ne sera pas une élection, ce sera une guerre civile sans armes», ajoutant: «Il existe une large base électoral qui croit en ce que Netanyahu a dit hier, mais elle est loin d’être suffisante pour assurer la victoire.»

Un autre chroniqueur, Sima Kadmon, a comparé Netanyahu à l’empereur romain Nero, en écrivant: «Il restera figé en train de regarder le pays à la proie des flammes […] il ne quittera pas [la résidence du Premier ministre] sans laisser de terre brûlée.»

Chemi Shalev, a écrit dans Ha’aretz, que Netanyahu avait réagi à la nouvelle de son acte d’accusation comme un «tyran égocentrique» et un «criminel de droit commun», ajoutant que cela rappelait le comportement de Trump lors de ses audiences de mise en accusation, tandis que Yossi Verter a averti que le fait que Netanyahu se présente comme une victime de «chasse aux sorcières kafkaïennes» met le pays dans «un grand danger». Il a ajouté: «L’homme avec les mains du volant se bat pour sa survie et il est capable de tout.»

David Horovitz a écrit dans le Times of Israel que la gestion de ses affaires criminelles par Netanyahu exacerbait les divisions internes, affirmant que: «Ce à quoi Israël doit faire face est des semaines, des mois, voire des années de divisions internes exacerbées entre les partisans de Netanyahu et leurs opposants, avec des conséquences potentielles qu’on hésite même à préciser par écrit.»

Israël Hayom, le journal gratuit pro-Netanyahou, dans une tentative de discréditer le procureur général, a comparé l’enquête menée sur deux des assistants de Netanyahu comme rappelant les techniques utilisées par l’ex-Union soviétique, accusant Mandelblit d’établir un nouveau précédent juridique «que la couverture [médiatique] sympathique est un pot-de-vin» et de conclure que l’acte d’accusation de Netanyahu avait fait chuter la confiance du public dans le système judiciaire, qui selon lui était déjà à «son plus bas niveau», encore plus bas.

Dans de telles conditions, il devient de plus en plus essentiel que la classe ouvrière ne se range pas derrière l’une ou l’autre faction réactionnaire de la classe dirigeante, mais qu’elle adopte sa propre position indépendante face à la crise. La classe ouvrière doit s’orienter vers la croissance de la lutte des classes en Israël et dans toute la région, ce qui témoigne de la primauté de la classe sur l’ethnicité et la religion.

La question clé est de fournir à ce mouvement de la classe ouvrière une compréhension de ses propres objectifs et de la manière dont ils peuvent être réalisés. Cela signifie construire une direction politique pour sortir du carcan imposé par les dirigeants syndicaux et les partis politiques perfides et diriger ces luttes vers le renversement du capitalisme et l’instauration du socialisme.

Jean Shaoul

 

 

Article paru en anglais, WSWS, le 23 novembre 2019



Articles Par : Jean Shaoul

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