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Note de rédaction. « Guerre nucléaire. Le jour d’avant. »
Par Jean Toschi Marazzani Visconti
Mondialisation.ca, 19 octobre 2021
Éditions Delga
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Le 12 juin 1901 le physicien français Henri Becquerel identifia et quantifia pour la première fois la radiation provenant d’un échantillon d’uranium. Le phénomène sera ensuite classé par une autre scientifique française, Marie Curie, comme radioactivité.

Cette découverte, à l’aube du 20ème siècle, ouvrait la voie à un avenir inimaginable, au progrès en tout domaine, médical, énergétique, à des découvertes qui annonçaient richesse et bonheur pour toute l’humanité. Mais elle ouvrait aussi sur le développement de la radioactivité dans le domaine militaire et, à la suite, sur l’utilisation de la menace nucléaire comme suprématie politique. Un siècle plus tard, à la merveille scientifique se substitue la crainte diffuse d’un danger sournois et immanent.

L’Association des Scientifiques Atomiques étasuniens, responsable des extraordinaires développements du nucléaire et consciente de sa propre responsabilité, a déplacé l’aiguille de l’Horloge de l’Apocalypse, le compteur symbolique du risque nucléaire, de 3 minutes avant minuit en 2015 à 2,5 minutes avant minuit en 2017.

Manlio Dinucci, avec son livre Guerre Nucléaire. Le jour d’avant, explique avec une précision documentée l’histoire de nos soixante-dix dernières années de vie avec le nucléaire, et dénonce qui sont ceux qui, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, l’utilisent sans hésitations en regard de la sécurité des êtres vivants, et comment ils veulent nous amener à la catastrophe, au désert nucléaire.

Tout commença en août 1945. le Président des Etats-Unis Harry Truman, prit une décision terrible : le lancement d’une bombe atomique sur le Japon pour mettre fin à la guerre, déjà terminée en Europe. Il ordonna au Commandant de l’Aviation dans le Pacifique, Carl Spaaz, de larguer l’engin sur une ville de moyenne dimension. Quatre villes furent choisies pour leur importance et leur position. Finalement le sort tomba sur deux d’entre elles, Hiroshima et Nagasaki, en partie à cause de banales raisons météorologiques. Le 6 août 1946 une forteresse volante étasunienne largua la bombe qui explosa sur Hiroshima. Une immense boule de feu enveloppa la petite ville, se transformant en un énorme nuage de fumée en forme de champignon. Cette forme caractéristique deviendra l’image classique de la catastrophe nucléaire redoutée. Le bombardement causera la mort immédiate d’au moins cent mille personnes dans un rayon d’un kilomètre et demi de l’épicentre de l’explosion. Les radiations toucheront plusieurs autres dizaines de milliers de personnes qui continueront à mourir dans les années suivantes. On avait libéré un monstre irrépressible, invisible et hautement mortel.

Le Président Truman avait-il réellement choisi de larguer l’engin seulement pour mettre fin à la guerre dans le Pacifique ? Rien n’est moins sûr. On sait bien désormais que le Japon avait offert sa reddition à travers divers canaux diplomatiques, mais posait comme condition inaliénable de ne pas toucher à la figure de l’Empereur. Les minorités de gauche aux USA étaient opposées à  disculper de ses responsabilités le plus grand responsable du militarisme japonais, et Truman, curieusement sensible soudain aux requêtes de la gauche, se fit fort de ce refus pour ignorer les avances de la diplomatie japonaise. Est-il possible que le Président étasunien, en frappant le Japon, ait en réalité voulu menacer et re-dimensionner le rôle des Soviétiques, véritables vainqueurs du nazisme en Europe ? (Gian Luigi Nespoli et Giuseppe Zambon, Hiroshima-Nagasaki, Zambon editore, Vérone 1997). 

Les premiers reportages des villes bombardées laissèrent les gens pétrifiés devant cette énorme force inconnue. La monstrueuse quantité de morts et blessés, de pathologies inconnues et incurables causées par les radiations, impressionna le monde entier, remettant aux États-Unis la palme de nation invincible. 

Ensuite le Pentagone continuera à financer les recherches nucléaires et, vers la fin de la présidence d’Eisenhower, le complexe militaro-industriel commencera à influer la politique étasunienne, exaspérant le péril du communisme et d’une possible invasion soviétique en Europe. Cet état de guerre non déclarée poussait vers une course au réarmement qui faisait fonctionner à pleine puissance les usines, tandis que les alliés européens, Grande-Bretagne et France, s’activaient pour se doter à leur tour de la bombe atomique et ainsi pouvoir accéder à la table des puissants. L’URSS évidemment brûla les étapes pour récupérer le retard technologique qui la séparait des USA. Le nucléaire entrait sur la scène politique internationale comme dissuasion entre les forces opposées pendant la guerre froide.

Pendant de longues années on a redouté qu’une erreur dans la salle des “boutons” puisse mettre un terme à l’existence de l’humanité. Ce n’est qu’après le dissolution de l’Union Soviétique et après les divers traités pour le contrôle du réarmement nucléaire, se succédant au fil des années, qu’on a cru ne plus avoir à redouter le nucléaire. Mais, comme le montre le livre de Dinucci, c’était une fausse sensation de sécurité, parce que recherche et production de nouvelles armes très sophistiquées ont continué en silence.

Nous sommes aujourd’hui de nouveau face aux États-Unis qui défient la Russie en gardant un oeil sur la Chine, dans une situation semblable à celle de la guerre froide ; mais beaucoup plus redoutable parce que, à la différence des années 70, où les antagonistes s’étaient mis d’accord pour un ultime appel téléphonique avec le fameux téléphone rouge avant toute action définitive, actuellement tous les adversaires savent que la victoire n’appartient qu’à celui qui lancera le premier missile.

Le Washington Post révèle : “on autorise des attaques préventives contre des États qui seraient sur le point d’acquérir des armes de destruction de masse”. En pleine syntonie avec la théorie du PNAC (Project for a new American Century, Projet pour un nouveau siècle américain) formulée par les néo-cons et de plus en plus appliquée par la politique étasunienne :

L’histoire du XXème siècle aurait dû nous apprendre qu’il est important de modeler les circonstances avant que les crises n’émergent et affronter les menaces avant qu’elles ne deviennent tragiques. L’histoire de ce siècle aurait dû nous enseigner à embrasser la cause d’un leadership américain… établir une présence stratégique militaire dans le monde entier à travers une révolution technologique dans le domaine militaire, décourager l’émergence  de toute super puissance compétitive, lancer des attaques préventives contre n’importe quel pouvoir menaçant les intérêts américains”.

Du récit de la naissance de la bombe atomique et de l’anéantissement des deux villes japonaises jusqu’à la nouvelle course aux armements, dans un parcours de neuf chapitres denses d’informations et de détails documentés, Manlio Dinucci introduit le lecteur dans le monde du nucléaire et de la politique qui l’a accompagné sur fond de scénario international changeant. L’auteur nous révèle des incidents nucléaires inconnus, le danger de centrales atomiques obsolètes et d’attentats contre elles, l’emploi d’uranium appauvri dans les bombardements sur la Yougoslavie et l’Irak, les guerres cachées, les guerres mandatées, les guerres au Moyen-Orient, la naissance de l’Isis, les complicités étasuniennes inquiétantes dans l’armement des terroristes islamistes, l’Otan et la Cia au travail en Ukraine, la dangereuse expansion de l’Otan dans les pays de l’Est européen vers la Russie.

La politique extérieure étasunienne semble diviser l’Europe en deux entités : d’un côté la nouvelle Europe, constituée d’ex-satellites de l’Union Soviétique -Républiques Baltes, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Bulgarie et Roumanie- et de l’autre la partie fondatrice de l’Ue. La première est considérée comme l’alliée la plus étroite, où l’on fait confluer financements, armes, soldats et bases de missiles à déployer contre la Russie ; la seconde est tenue sous contrôle, pour qu’elle n’ose pas tresser des rapports économiques et financiers avec la Russie et d’autres nations inscrites dans le livre noir étasunien, sous peine de lourdes menaces de sanctions et crises bancaires. Quasiment toute l’Europe est membre de l’Otan et accueille un grand nombre de bases militaires qui hébergent armes et bombes nucléaires en Italie, Belgique, Pays-Bas et Allemagne. Il est évident que l’Europe a une position de sujétion envers les États-Unis, et se trouve considérée probablement comme le ventre mou entre les forces en présence.

Un chapitre du livre décrit les nouvelles armes et ouvre sur un panorama de guerres des étoiles : le changement des armes cinétiques en armes à énergie directe. Plus de balles, mais des impulsions électromagnétiques, ondes de chaleur, cyber-armes et autres diableries de science-fiction que nous n’avions vues qu’au cinéma et, de ce fait, pensions de pure fantaisie. Aujourd’hui elles sont une réalité terrible, tels les drones miniaturisés aux usages les plus divers, tueurs sur commande ou transporteurs de mini-nukes, vecteurs d’épidémies ou tout simplement insectes espions. Incroyable est le développement des systèmes spatiaux et des avions robots pour détruire les satellites de communications des adversaires et pour envoyer des armes dans l’espace.

Au final de cette extraordinaire cavalcade le long de l’histoire de nos dernières années, le livre explique l’actuelle position du pouvoir étasunien, retranché dans une défense à outrance de ses privilèges face à l’émergence d’autres puissances. À cet effet la pression militaire étasunienne augmente dans chaque continent. Le Pentagone contrôle directement 4.800 bases et autres installations militaires. Le monde se trouve divisé en six zones, chacune soumise au contrôle d’autant de Commandements Combattants Unifiés des États-Unis. À ces Commandements s’en ajoutent trois opérationnels à l’échelle mondiale qui dirigent les forces nucléaires terrestres, navales et les opérations dans l’espace et le cyber-espace, la guerre électronique et de missiles ; les opérations spéciales et les opérations psychologiques ; le transport, la mobilité et l’approvisionnement des armées.

Dinuccci raconte avec précision les fonctions de chacun, et le panorama décrit est impressionnant parce que tout se déroule parallèlement à notre vie quotidienne, dans la quasi totale ignorance du public, qu’on laisse volontairement inconscient du fait que les bases constituent le premier objectif destiné à absorber un lancement sous attaque.

Jean Toschi Marazzani Visconti

Ce livre reconstitue l’histoire de la course aux armements nucléaires de 1945 à nos jours, avec en toile de fond le scénario géopolitique mondial, contribuant ainsi à combler le manque d’informations habilement créé sur cette question d’une importance vitale. Le sentiment qu’une guerre nucléaire est désormais inconcevable s’est répandu et la dangereuse illusion que l’on peut vivre avec la bombe a été créée. C’est-à-dire avec un pouvoir destructeur qui peut effacer l’espèce humaine et presque toute autre forme de vie. Nous pouvons éviter cela en nous mobilisant pour éliminer les armes nucléaires de la surface de la Terre. Tant qu’il est encore temps, le jour d’avant.

Manlio Dinucci : Journaliste et géographe, ex-directeur exécutif pour l’Italie de l’International Physicians for the prevention of Nuclear War, association qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1985. Porte-parole du Comitato no Guerra no Nato (Italie) et chercheur associé du Centre de recherche sur la Mondialisation (Canada). Prix international de journalisme 2019 pour Analyse géostratégique du Club de periodistas de México.

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