Notre classe politique est-elle devenue folle ?

Les « narratives » officielles marchent de plus en plus sur la tête, les interprétations des événements versent de plus en plus dans le sadisme, la paranoïa et/ou les interprétations délirantes (exemples, les dénonciations de « l’ingérence russe » dans les élections et la vie politique occidentales, les manifestations de joie après les missiles de Trump ou l’hystérie anti-Assad accompagnée de ventes d’armes décomplexées à l’Arabie Saoudite, qui bombarde pourtant ouvertement les civils du Yémen). Ceux qui sont à l’origine de ces narratives haineuses et déconnectées sont-ils fous ? Le journaliste anti-guerre Justin Raimondo se pose très sérieusement la question. Et en journaliste consciencieux, il a cherché des réponses. (Le site Entelkheia)

Photo : Justin Raimundo


J’écris ceci le dimanche de Pâques, un jour de résurrection et d’espoir au moins dans le calendrier chrétien, mais cette lumineuse promesse semble un peu superficielle au vu de ce qui se passe dans notre monde, et surtout aux États-Unis : ce qui ressemble à une épidémie de maladies mentales dans notre classe politique.

Je dis cela parce que nous avons un groupe de gens – des journalistes, des politiciens, et d’autres Personnes Très Sérieuses – qui ont haï le nouveau président Trump depuis le début. C’est Hitler, c’est Mussolini, c’est Pepe la grenouille ! [1] C’est ceci, c’est cela, c’est notre cauchemar national ! Et pourtant, à la minute où il commence à bombarder des étrangers, il n’est soudainement plus si mauvais, après tout. Au Washington Post, David Ignatius, le représentant des positions de la CIA, dit qu’il « devient un leader crédible en matière de politique étrangère ». Ruth Marcus avance que nous sommes témoins d’une « normalisation de Donald Trump ». Finalement, écrit-elle avec enthousiasme, « la rationalité s’éveille » chez le 45ème président ! Parmi les élites libérales, les cris d’allégresse sont presque universels. Comme l’a noté Ann Coulter :

« Les présentateurs des journaux télévisés sur le câble se pâmaient, ‘Trump est devenu président des USA ce soir’ ! Sur MSNBC, Brian Williams a appelé le bombardement ‘beau’ trois fois en moins d’une minute. Le sénateur Lindsey Graham (une des ‘femmes du Sénat’, selon la juge Ruth Bader Ginsburg [2]) a comparé Trump à Reagan. Le New York Times a intitulé un article « En attaquant la Syrie, Trump a laissé parler son coeur ».

Le plaisir manifeste que le bombardement a procuré à Fareed Zakaria (CNN, le Washington Post) semblait indiquer que, pour lui, c’était pratiquement une expérience érotique. Et cette étrange soif de sang ne s’est pas limitée à la forteresse du commentateurs libéraux de gauche – loin de là. Quand nous avons largué la MOAB sur l’Afghanistan, Kimberly Guilfoyle a pratiquement eu un orgasme en direct sur Fox News. Assise dans une courte robe rouge, la poitrine frémissante de passion, les lèvres entrouvertes, un sourire d’extase plaqué sur son visage trop maquillé, elle a salué le bombardement comme si c’était le moment le plus chaud d’un film pornographique : « L’Amérique est de retour ! » Oh, ouiiiii !!!

Cette folie est une pandémie, et elle ne tourne pas seulement autour du culte de la guerre. Ce nouveau sadisme est également aromatisé à une épice, la paranoïa. Un parti politique majeur est aujourd’hui en proie à une illusion paranoïaque selon laquelle les Russes contrôlent le gouvernement des États-Unis, et que l’un de ses agents est installé dans le Bureau ovale, où on l’appelle « Mr le président ». En outre, quelqu’un qui est invitée à écrire pour le New York Times, et est considérée comme une journaliste sérieuse nous dit… mais voyez par vous-mêmes.

Ok, Louise Mensch est probablement carrément cintrée ; [1] il n’empêche que nous n’avons pas moins de deux investigations du Congrès sur cette théorie du complot, et que le Washington Post, le New York Times, CNN, et Rachel Maddow (MSNBC) font de leur mieux pour la valider. La paranoïa, habituellement cataloguée maladie mentale, est aujourd’hui considérée comme une idéologie de plus ; non plus un phénomène marginal, mais le débat de fond même et la préoccupation principale de ce que nous appelons « libéralisme » dans ce pays.

NdT: Louise Mensch considère une manifestation violente d’extrême gauche comme « organisée par des acteurs russes pour donner une mauvaise image à la gauche, qui sera ensuite ciblée par des botnets »

De sorte que nous avons à la fois le sadisme et la paranoïa comme symptômes de la maladie mentale de notre classe politique – et ces deux symptômes s’accompagnent généralement d’une autre caractéristique déplaisante : le délire de grandeur. Cette forme de folie vient souvent dans le sillage du sadisme et de la paranoïa, et nous pouvons en voir la manifestation dans la croyance selon laquelle les USA, un pays au bord de la banqueroute et qui n’a pas gagné une seule guerre depuis la Deuxième Guerre mondiale, peut résoudre les problèmes du monde en larguant des bombes.

En Syrie, par exemple, nous avons une guerre avec au moins six côtés belligérants, dont le gouvernement syrien, les Turcs, les Kurdes, les rebelles islamistes « modérés », al-Qaïda et Daech. Et notre classe politique se lève pour applaudir le président Trump parce qu’il a lancé 59 missiles contre une base militaire syrienne. L’effet en a été pratiquement zéro – même si cela a empiré encore un peu plus la situation – et malgré tout, à cause des applaudissements, on pourrait penser que les USA ont accompli quelque chose de grandiose. Oh, mais on nous a dit que « cela a envoyé un message ». Tout comme le largage d’une méga-bombe en Afghanistan, c’était un acte purement symbolique.

La pensée magique et symbolique [4] se retrouvent dans la psychose : quand la souffrance psychique exclut la perception de la réalité, l’esprit a recours à des représentations imaginaires, et ceci est également un symptôme de paranoïa. Un esprit malade prête des significations à des phénomènes sans lien entre eux. Cesser d’établir des liens de causalité fallacieux constitue le début de la guérison.

A mesure du développement de sa psychose, une personne qui souffre de maladie mentale commence à avoir des hallucinations : la pensée symbolique se manifeste en images créées par le cerveau. Un ancien psychotique décrit le processus :

« La réalité d’une hallucination est analogue au fait de rêver dans la même pièce qu’une télévision allumée. La réalité physique de la télévision s’insère dans les symboles du rêve de la personne, mais la personne expérimente le rêve, pas la télévision. De la même façon, les thèmes et événements de la vie de la personne s’insèrent dans les symboles des hallucinations de la personne psychotique, et cette fusion entre la réalité et l’imaginaire crée un monde parallèle qui devient la réalité pour le psychotique ».

Imaginons ensuite que les gens de la télévision soient eux-mêmes psychotiques : dans leurs « reportages » sur ce qu’ils considèrent comme des informations, et sur la signification de ces informations, ils projettent leur propres hallucinations. Oui, ils parlent de choses qui se sont réellement produites – la frappe de missiles en Syrie, le MOAB largué en Afghanistan – mais ils insèrent ces faits dans une réalité parallèle, une « narrative » de surpuissance délirante.

Notre société traverse un épisode qu’on ne peut décrire que comme une psychose de masse. Est-elle temporaire, ou allons-nous vers une débâcle mentale généralisée ? Cette affection mentale ne touche-t-elle que la classe politique, ou est-elle contagieuse ? Est-elle en train de contaminer la population générale via les médias ? Et, plus important, y a-t-il une cure ?

Je n’ai pas les réponses à la plupart des ces questions, mais je sais une chose : oui, les médias sont la courroie de transmission qui projette le sadisme, la paranoïa et la folie générale de cette classe politique malade, et la véhicule jusqu’à la population générale. Antiwar.com n’est certainement pas la cure, c’est l’équivalent de quelques aspirines quand un patient a de la fièvre – tout particulièrement une fièvre guerrière. Nous faisons ce que nous pouvons pour soulager quelques-uns des symptômes du mal américain, mais j’ai bien peur que nous ayons besoin d’un médicament beaucoup plus fort que quelques aspirines.

Justin Raimondo

 

Article original en anglais : « Is Our Political Class Mentally Ill?« ,  Antiwar.com, 17 avril 2017

Traduction Entelekheia

Le journaliste libertarien Justin Raimondo a fondé et dirige le site Antiwar.com (en français Anti-guerre.com). Il a publié plusieurs livres.

Notes de la traduction :

[1] Pepe the frog (Pepe la grenouille) est l’une des référents visuels de l’alt-right américaine.[2] Le prénom de ce sénateur néocon est plutôt féminin, ce qui entraîne des erreurs régulières.[3] De son propre aveu, Louise Mensch souffre de troubles psychiatriques. Le problème étant que, malgré son état, ses théories du complot sont reprises avec le plus grand sérieux par des médias institutionnels.[4] On trouve des exemples quotidiens de pensée magique, par exemple dans la superstition. L’idée selon laquelle une journée sera gâchée parce qu’on a rencontré un chat noir, parce qu’on est passé sous une échelle, etc, est évidemment fausse. La superstition n’est pas pathologique parce que même si elle les entretient, la personne superstitieuse reconnaîtra volontiers l’irrationalité de ce type de croyances ; mais plus largement, la pensée magique (l’attribution de rapports de causalité erronés, donc, et également les idées de toute-puissance individuelle) est typique de certains états psychotiques. « On note (chez le schizophrène) une altération du système logique: causes et effets ne sont plus en rapport. La pensée magique y est présente (ce qu’il pense se réalisera, de façon imperméable à l’expérience), ainsi que la pensée symbolique. » (Schizophrénie et maladie schizophrénique, extrait)

La pensée symbolique n’est pas non plus pathologique en elle-même, mais poussée à son point extrême chez les personnes psychotiques, elle le devient parce que la personne ne fait plus la différence entre symbole et réalité. Le symbole (qui est la représentation d’une réalité concrète ou d’une idée) supplante chez lui la réalité ou l’idée représentées. Exemple : si, au yeux d’une personne schizophrène, un homme à cheveux longs « ressemble à Jésus », elle sera convaincue que c’est Jésus. De la même façon, pour nos polticiens et médias, puisque des missiles ont été lancés par Trump, même contre une base secondaire à demi-déserte, alors ils ont forcément changé toute la donne en Syrie, et les Russes vont devoir s’incliner devant la puissance occidentale. Ce qui explique peut-être pourquoi, à la suite des missiles américains, le ministre des Affaires étrangères britannique Boris Johnson est allé voir les Russes pour leur demander de cesser de soutenir Assad et de se joindre à la coalition occidentale contre Daech, évidemment sous commandement américain. Inutile de rappeler qu’après avoir déclaré que Johnson avait « perdu tout contact avec la réalité » (nageait-il en pleine pensée magique/symbolique ?), les Russes ont rejeté sa proposition.



Articles Par : Justin Raimondo

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