Notre Obama
POUR LE MOMENT, il semble que, dans trois jours, l’incroyable arrivera : le pays « blanc » le plus important du monde élira un président noir.
Cent quarante trois jours après l’assassinat de Abraham Lincoln, l’homme qui a libéré les esclaves, et 40 ans après l’assassinat de Martin Luther King, le rêveur du Rêve, une famille noire occupera la Maison blanche.
Cela aura d’énormes implications dans beaucoup de directions. L’une d’elles est un message galvanisant en direction de la catégorie de gens à l’échelle mondiale à laquelle j’appartiens : celle des Optimistes.
EN QUOI un optimiste diffère-t-il d’un réaliste ? Ma définition est qu’un réaliste voit la réalité telle qu’elle est. Un optimiste voit la réalité telle qu’elle pourrait être.
Antonio Gramsci, penseur communiste italien, croyait dans « le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté ». Je ne suis pas d’accord. En réalité, pour celui qui est versé dans l’histoire mondiale, il est facile d’être pessimiste, mais pour chaque enseignement pessimiste, il y a un enseignement optimiste (et vice-versa malheureusement).
Un an avant l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler, peu de personnes croyaient cela possible. Mais c’est arrivé, et un chapitre noir s’est ouvert dans les pages de l’Histoire. D’un autre côté, un an avant la chute du Mur de Berlin, pratiquement personne ne croyait que cela arriverait de son vivant.
Au début de 1947, on croyait difficilement que dans l’année l’État d’Israël verrait le jour. A la même époque, au début de 1947 également, pratiquement personne n’imaginait que la Naqba (désastre) s’abattrait sur les Palestiniens. Mais c’est arrivé.
David Ben-Gourion avait l’habitude de dire que tous les experts sont experts en ce qui est arrivé, pas en ce qui est en train d’arriver. Ce n’est pas totalement vrai. Les écrivains de science fiction ont prédit beaucoup de choses. Et dans ce pays aussi, il y a eu quelques prophètes de malheur qui ont averti de ce qui pourrait arriver à Israël s’il persistait dans la voie qu’il était en train de prendre. Mais en principe c’est vrai : les experts analysent la situation existante et ont tendance à extrapoler pour l’avenir. Mais l’avenir est fait par les êtres humains, qui ne sont jamais totalement prévisibles
Dans un monde dans lequel une personne comme Barack Hussein Obama peut apparaître de nulle part et arriver en peu d’années au plus haut niveau de la politique mondiale – rien n’est prévisible, et donc tout est possible. Comme le dit l’ancienne maxime juive : « Tout est possible et peut être envisagé ».
Pour tous les optimistes du monde, le message de ces élections est : Oui, nous pouvons ! Le bien et le mal sont entre nos mains. Et si nous le voulons, comme le disait Herzl, ce n’est pas un conte de fée.
CELA ME RAPPELLE l’histoire de l’Allemand, du Français, de l’Anglais et du Juif qui décidèrent d’écrire quelque chose sur les éléphants. L’Allemand va en Afrique, en revient dix ans plus tard et fait un ouvrage de cinq volumes. « Un avant-propos à une introduction générale sur les origines de l’éléphant africain ». Le Français revient au bout d’un an et écrit un court et charmant volume : « La vie amoureuse des éléphants ». L’Anglais revient une semaine après son départ et produit une brochure : « Comment chasser l’éléphant ». Le Juif reste chez lui et écrit un essai sur « l’éléphant et la question juive ».
Durant les quelques dernières semaines, les Juifs en Amérique et en Israël ont été interrogés : Est-il bon pour les Juifs ?
Une contribution à la réponse fut fournie par les citoyens américains en Israël qui se préparent à voter. Selon les rapports de presse, presque tous sont juifs, la plupart d’entre eux sont orthodoxes et la plupart ont choisi McCain.
L’Israël officiel a eu du mal à cacher sa peur d’Obama. Un noir. Un homme dont le grand-père était musulman. Dont le deuxième prénom est Hussein. Autant d’inconnu. Effrayant.
Obama, pour sa part, a tout fait pour montrer qu’il soutiendrait le gouvernement israélien exactement comme ses prédécesseurs. Il s’est aplati devant l’AIPAC. Il s’est entouré des assistants juifs de Bill Clinton et leur a laissé entendre qu’ils bénéficieraient du même statut dans sa future administration. Mais allez croire aux promesses d’un candidat aux élections. Elles sont aussi fiables qu’une pelure d’ail, comme on dit en hébreu.
Certaines personnes croient aux promesses. J’ai reçu un message électronique d’un Anglais : « Alors au lieu des Juifs néoconservateurs qui ont dirigé Washington, nous aurons les Juifs sionistes qui gouvernèrent sous Clinton. Quelle est la bon dieu de différence ? »
Mais l’Israël officiel est très angoissé. La chaine publique de télévision a répandu une propagande pro-McCain tout à fait ouvertement (alors que sur la chaine commerciale 10, le commentateur Nizan Horowitz a soutenu Obama de façon exubérante.) Un officiel de haut niveau a confié au Haaretz que Nicolas Sarkozy l’avait mis en garde en privé contre l’inexpérience inquiétante d’Obama – histoire (qu’elle soit vraie ou fausse) destinée à servir la campagne McCain avec des arguments de combat dans sa lutte pour le vote juif en Floride. Dans une démarche scandaleuse, l’ambassadeur de droite israélien à Washington, Salai Meridor, s’est déplacé pour rencontrer la seule Sarah Palin !
ALORS, EST-IL « bon pour Israël » ? Selon la vieille méthode juive, cette question doit être accompagnée d’une autre question : « Pour quel Israël ? » Il n’y a pas qu’un seul Israël, comme il y a pas qu’un seul États-Unis.
George W. Bush, notre ami dévoué, a trahi sa « vision » et donné à Ariel Sharon la permission globale d’élargir les blocs de colonies, dont chacun est une mine meurtrière sur la route de la paix. Il a empêché Israël de faire la paix avec la Syrie, qu’il avait ajouté à « l’Axe du mal ». Ses invasions de l’Afghanistan et de l’Irak ont donné un immense coup de pouce aux fondamentalistes musulmans anti-Israéliens, à la domination progressive du Liban par le Hezbollah et au développement du Hamas en Palestine. Pas étonnant que Osama Ben-Laden prie Allah pour une victoire de McCain. (Peut-être est-ce le seul espoir qui reste à MacCain.)
Le prédécesseur de Bush, Bill Clinton, autre grand ami d’Israël, aida Ehoud Barak après Camp David à répandre le mensonge : « J’ai remué ciel et terre, leur ai offert tout ce qu’ils voulaient, Arafat a rejeté toutes mes offres généreuses, nous n’avons pas de partenaire pour la paix. » Cette litanie porta un terrible au camp de la paix israélien, duquel il ne s’est pas relevé à ce jour. En même temps, les colonies ont été développées tous azimuts, au su et avec l’approbation tacite de l’Administration Clinton. Et cela n’est pas étonnant : sous Clinton, tous les sujets relatifs au conflit israélo-palestinien étaient dans les mains d’un groupe de sionistes juifs. Il n’y avait pas un seul Arabe dans le circuit.
Il y a ceux qui rassurent les gens qui ont peur d’Obama à Jérusalem. Même s’il veut changer les choses, disent-ils, il ne le pourra pas. Les supporters d’Israël (officiel) dominent le parti démocrate, qui jouit du soutien et de dons généreux des électeurs juifs dans ces élections elles-mêmes. Les supporters d’Israël (officiel) domineront le nouveau Congrès, comme ils dominaient le précédent. Comme par le passé, un homme politique qui ne soutiendra Israël qu’à100% au lieu de 110%, fera un harakiri politique.
C’EST tout à fait vrai, mais j’ose encore espérer qu’Obama se révélera être un ami de l’Autre Israël, l’Israël qui cherche la paix.
Il promet le changement. Je crois que pour lui ce n’est pas une phrase vide de sens, mais quelque chose de plus profond qui est enraciné dans son tempérament.
La chose qui est en train d’arriver cette semaine n’est pas qu’une nouvelle transition d’un parti à un autre parti, alors que la différence entre les deux est minime. Le nouveau venu est une personne qui a la capacité, et apparemment aussi la volonté, de faire des choses qui sortent de l’ornière et qui voit tout avec un nouveau regard.
Cela arrive de temps en temps aux États-Unis, qui, de ce point de vue, sont supérieurs aux autres démocraties, et spécialement la nôtre. Une nouvelle personne arrive au pouvoir et, comme dans un kaléidoscope, tout semble différent.
Pour autant que les intérêts nationaux des États-Unis sont concernés, le « grand Moyen-Orient » n’est pas un théâtre d’action secondaire. C’est l’un des plus importants, et la nouvelle Administration devra s’en occuper dès le tout début. C’est aussi l’endroit où les échecs catastrophiques de Bush sont les plus évidents.
Quand Obama et ses gens – et j’espère que ce seront des nouveaux, pas les épaves de l’ère Clinton – examineront ce sujet, ils seront obligés d’arriver à une conclusion qui va de soi : que la haine des États-Unis qui bouillonne du Maroc au Pakistan est inextricablement liée au conflit israélo-palestinien ? C’est ce qui a tout empoisonné. C’est une carte maîtresse dans les mains du sunnite Osama Ben-Laden et du chiite Mahmoud Ahmadinejad. Cette conclusion était déjà claire dans le rapport Baker-Hamilton, que Bush a jeté dans la corbeille à papier.
Cette conclusion en entraîne une autre : qu’il est dans l’intérêt de l’Amérique de tourner une nouvelle page dans notre région et de travailler vraiment à une paix israélo-palestinienne, israélo-syrienne, israélo-arabe et peut-être israélo-iranienne. Cette conclusion était apparente dès le lendemain du 11 septembre. J’ai écrit à l’époque que ceci arrivait, d’une minute à l’autre, comme l’inévitable leçon d’un désastre. J’ai eu tort. Bush et les bushistes sont allés dans la direction opposée, et ont rendu la situation dix fois pire. J’espère que cela arrivera maintenant.
En d’autres termes, j’espère de tout mon cœur qu’Obama continuera de soutenir Israël, mais pas l’Israël des tyrans, des imposteurs et des hypocrites, qui prétendent être en train de négocier pour la paix alors qu’ils étendent les colonies, durcissent l’oppression dans les territoires occupés et parlent du bombardement de l’Iran. Ce n’est pas cet Israël-là qui devrait être soutenu par le nouveau président, mais l’Israël qui est prêt à faire la paix, prêt à payer le prix pour la paix, et qui réclame une Administration américaine qui donne l’élan décisif à l’initiative.
LES CONSEILLERS d’Obama peuvent répondre par une question : D’accord, mais où est-elle cette direction israélienne qui répondra à une telle initiative ?
Où est l’Obama israélien ?
Nous ne pouvons répondre à cela que par un silence embarrassé. Nous ne pouvons pas désigner quelqu’un dans l’arène politique israélienne qui soit prêt à s’atteler à cette tâche.
Mais un optimiste posera une autre question : Hier seulement vous n’aviez pas d’Obama non plus. Il est apparu, parce quelque chose est arrivé de profond dans la psyché nationale des États-Unis. Il y avait une attente et il y avait une aspiration pour une personne qui parlerait la langue de l’espoir, de l’audace, du changement. Et quand il est apparu, les gens indifférents se sont réveillés et l’ont suivi avec enthousiasme. D’autant plus que la situation était mauvaise et qu’il était clair que la vieille manière ne conduisait qu’au pire.
Cela peut arriver ici aussi. Notre Obama peut apparaître soudainement s’il y a une demande. Si le peuple finit par en avoir assez de tous ces politiciens, dépourvus de vision et de courage, qui occupent notre scène politique aujourd’hui. Si l’exigence pour le changement est assez forte pour passer d’une phase de rouspétance dans les rencontres de veille du Sabbah à la phase de mobilisation et d’actions. Alors il deviendra clair que nous aussi avons une jeune génération et que notre public indifférent peut changer radicalement.
La victoire de l’Obama américain peut très bien donner une grande impulsion à l’émergence d’un Obama israélien, avec un peu de chance aussi charmant que l’original. La victoire en Amérique signifierait pour nous, en paraphrasant un poète hébraïque : s’il y a un Obama israélien, qu’il se manifeste immédiatement !
Article original en anglais, « Our Obama« , Gush Shalom, 1er novembre 2008.
Traduit de l’anglais pour l’AFPS: SW.
Uri Avnery est journaliste et cofondateur de Gush Shalom.