Oaxaca: la «commune» réprimée

Finalement, le gouvernement de droite de Vincente Fox (Parti d’action nationale – PAN) joue la carte politico-militaire afin d’écraser le soulèvement populaire. Les blindés, les hélicoptères et les troupes des forces spéciales (Police fédérale préventive – PFP) ont attaqué la ville d’Oaxaca – capitale de l’Etat du même nom – et l’ont mise à feu et à sang, détruisant les barricades, symbole du «double pouvoir» qui s’étendait depuis quatre mois.


Une démocratie nouvelle: l’APPO

L’Etat d’Oaxaca vit une situation de «guerre interne» stimulée par Ulises Ruiz Ortiz, gouverneur arrivé au pouvoir suite à une élection frauduleuse. Depuis son arrivée au poste de gouverneur, Ruiz, membre du PRI [Parti révolutionnaire institutionnel, qui a historiquement dirigé le pays, comme un parti unique], a mis en œuvre une administration fondée sur des méthodes de gangster et autoritaire. Il a suspendu, de facto, les garanties constitutionnelles et violé les droits les plus élémentaires de la personne humaine.

Au matin du 14 juin 2006, Ruiz a ordonné une opération brutale afin de déloger les enseignants en grève qui occupaient la place centrale d’Oaxaca. Deux jours plus tard, une marche réunissant quelque 300’000 personnes exige la démission du gouverneur. Le 21 juin 2006, les enseignants, les organisations syndicales, les «indigènes» (Indiens), les étudiants, les habitants des quartiers populaires, les Comités de famille et les fermiers ont créé une Assemblée populaire des Peuples d’Oaxaca (APP0). L’objectif de l’APPO était de créer un espace de discussion pour que le peuple se réapproprie sa souveraineté et décide qui le représente.

Mouvement assembléiste et autogestionnaire

L’APPO incarne un mouvement autonome, d’autodéfense communautaire, de quartier, syndical, communal. Elle constitue un réseau d’alliances capable d’initier des actions de résistance et de désobéissance civile. Le mouvement s’est caractérisé de plus par une «direction collective» et une pratique démocratique dans tout le processus de prise de décisions. Il s’agit d’un véritable mouvement assembléiste et autogestionnaire, avec des germes de double pouvoir populaire.

Son arme essentielle a été la résistance civile et pacifique, sans laisser de côté l’organisation de moyens d’autodéfense – comme la construction de barricades – et l’utilisation de diverses radios communautaires afin d’informer et d’alerter la population pour tout ce qui avait trait aux développements du conflit et aux possibles mesures répressives du gouvernement. Par exemple, depuis la radio de l’APPO [voir le site: www.assembleapopulardeoaxaca.com] ont été émis des communiqués appelant à se mobiliser, des chansons de la «guerre civile» espagnole qui accompagnaient le Venceremos, hymne adopté par la Coordination nationale des travailleurs de l’éducation (CNTE), à laquelle le corps enseignant d’Oaxaca adhère depuis 1979.

La base sociale de ce soulèvement est le résultat d’une large convergence des masses urbaines pauvres, des jeunes étudiants et des chômeurs, des communautés indiennes, des organisations syndicales, des enseignants démocratiques et de diverses ONG engagées aux côtés de la lutte populaire.

Oaxaca: heure zéro

Le 19 octobre, l’APPO appelle à une «insurrection pacifique populaire» pour le 1er décembre 2006, jour où le nouveau président Felipe Caldéron, du PAN, prend ses fonctions. Le mot d’ordre de l’assemblée était le suivant: «Si Ulises [Ruiz Ortiz] ne part pas, Caldéron ne passera pas!» Le Ministère de l’intérieur (Secretaria de Gobernacion) a averti les enseignants que si la grève n’était pas interrompue il mettrait en place «une vaste opération pour rétablir l’ordre».

Le 27 octobre, des bandes d’hommes de main armés du PRI liés au gouverneur Ulises Ruiz et aux forces paramilitaires ont attaqué les grévistes et les animateurs de l’APPO qui campaient sur la place centrale (le Zocalo) et en divers endroits de la ville. Le bilan provisoire est de plus de 10 morts, parmi lesquels le cameraman indépendant américain Bradley Roland Will, qui fournissait des images à Indymedia. Il y eut des dizaines de blessés et, de suite, une masse d’arrestations. Ce fut l’occasion que mit à profit le gouvernement de Vicente Fox pour envoyer des troupes fédérales et commencer, dès le 28 octobre 2006, une répression sauvage.

Répression et immobilisme politico-institutionnel

Le 29 octobre, dans l’après-midi, la PFP a pris position au centre de la ville, après avoir détruit les barricades, utilisé des armes à feu, des gaz lacrymogènes. Durant des heures, les affrontements se sont poursuivis. L’APPO a abandonné le Zocalo à 19 heures. Elle s’est repliée sur la Cité universitaire. De nombreuses arrestations ont été opérées. Les prisonniers furent transférés vers la zone militaire 28, y compris par hélicoptère. Les forces armées ont pris le contrôle, bâtiment après bâtiment, des «lieux de pouvoir» que l’APPO occupait. Toute négociation a été refusée par le gouverneur. La résistance populaire, partout, a été très forte. Mais les forces de polices et militaires ont systématiquement utilisé blindés, armes à feu, gaz, etc.

Comme le souligne l’historien et sociologie Adolfo Gilly dans le quotidien La Jornada, en date du 30 octobre 2006, «l’ensemble des organisations politiques et syndicales institutionnelles, malgré les différences qui les opposent, à l’heure de l’épreuve, ont laissé Oaxaca dans la solitude».

Puis, Adolfo Gilly souligne que l’on n’a assisté à aucune de ces grandes manifestations qui eurent lieu, en 1994, pour empêcher le déclenchement d’une guerre contre la zapatisme, ou encore en décembre 1997 lors du massacre de quelques dizaines «d’indigènes» de la communauté d’Acteal, dans la municipalité de Chenalho (Chiapas).  Amer, il conclut: «la routine électorale… les a tous gagnés. Il y a des déclarations, des protestations aussi, mais rien au plan des mobilisations comme cela a pu être fait il y a peu à l’occasion de la bataille électorale» [allusion aux mobilisations massives organisées par Lopez Obrador du PRD lors des résultats contestés de l’élection présidentielle].

Sa première conclusion: a fonctionné «le vieux pacte entre le PRI et le PAN, qui se mobilisent aujourd’hui en défense d’Ulises Ruiz et contre le peuple d’Oaxaca; cela a provoqué 15 morts afin de soutenir un gouverneur répudié et pour s’opposer à un mouvement social légitime du peuple d’Oaxaca. Maintenant, ils font appel à la PFP et à des éléments de l’armée au sein de la PFP, ce qui est une démonstration de leur impuissance et de leur discrédit pour trouver des solutions politiques…».

Puis, Adolfo Gilly insiste sur le fait que le PRD (de Lopez Obrador), que son Front ample progressiste et sa para-institutionnelle Convention démocratique nationale n’ont ni voulu, ni pu mobiliser en défense des forces populaires d’Oaxaca. Le peuple d’Oaxaca est laissé seul. Vincente Fox va, peut-être, exiger quelques concessions du gouverneur d’Oaxaca pour tenter d’éviter d’autres soubresauts dans une partie du pays; l’important, pour l’alliance PAN-PRI, ayant été accompli.

La solidarité internationale, certes tardive pour beaucoup – dont nous-mêmes –, en Europe se développe. Partout, il est possible de faire des piquets devant les ambassades du Mexique. La «commune d’Oaxaca» n’a pas dit son dernier mot. (réd)

* Résumé effectué sur la base des données fournies par Correspondencia de Prensa, Brecha et le quotidien mexicain La Jornada.



Articles Par : Rédaction à l`encontre

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