Obama rencontre la « coalition anti-EI » alors que les tensions grandissent entre les Etats-Unis et la Turquie.

Le président Barack Obama a rencontré mardi 14 octobre sur la base aérienne d’Andrews les chefs militaires de plus de vingt pays. Ceux-ci forment ce qu’il a vanté être une coalition internationale pour combattre l’Etat islamique en Irak et au Levant (EI) dans une nouvelle guerre américaine au Moyen-Orient, lancée sans approbation ni des Nations Unies ni du Congrès américain.

Les responsables de la Maison Blanche et du Pentagone avaient signalé avant la réunion qu’on ne s’attendait à aucune nouvelle décision ou engagement de la part des participants à cette rencontre. « Il s’agit d’une rencontre pour discuter de la vision, des défis et de la voie à suivre, » a dit un porte-parole du général Martin Dempsey, le président du Comité des chefs d’état-major des forces armées américaines, qui dirigeait la réunion.

De la même façon, Alistair Blakely, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, a décrit la rencontre comme « une occasion de faire le point sur les progrès accomplis jusque là par la coalition et de continuer d’aligner et de pleinement intégrer les capacités uniques des partenaires de la coalition. »

A l’issue de la réunion sur la base aérienne qui se trouve tout près de Washington, Obama avait lui-même fait devant les médias des commentaires informels. « Cela va être une campagne de long terme, » a-t-il dit. « Il y aura des périodes de progrès et il y aura des reculs. »

Ces derniers furent manifestes ces derniers jours: un nombre assez limité de frappes aériennes américaines ne purent empêcher les combattants de l’EI en Syrie de s’emparer de la ville de Kobané, majoritairement kurde, à la frontière turque ni ses cohortes en Irak de prendre pratiquement toute la province d’al-Anbar, en majorité sunnite, tout en menaçant les banlieues et l’aéroport de Bagdad.

Washington n’a pu dissimuler le fait que la séance photo idéalisée de la base aérienne d’Andrews avait été éclipsée par les virulents désaccords qui avaient publiquement opposé quelques jours auparavant le gouvernement Obama et l’allié régional clé qu’est la Turquie.

La conseillère à la Sécurité nationale d’Obama, Susan Rice, a annoncé dimanche 12 octobre qu’Ankara avait accédé à la demande des Etats-Unis d’utiliser la base aérienne turque d’Incirlik, où quelque 5.000 personnels militaires américains sont stationnés, dans le but d’effectuer des frappes aériennes à la fois contre l’Irak et la Syrie.

En moins de 24 heures, les responsables turcs niaient catégoriquement qu’un tel accord ait été conclu. Ils ont ajouté que même une proposition que la Turquie participe à l’armement et à la formation de « rebelles syriens modérés » afin d’en faire une force terrestre contre l’EI et un jour contre le gouvernement syrien du président Bachar al Assad, devait encore être finalisé. En fait, la Turquie, en collaboration avec une antenne de la CIA mise en place près de la frontière syrienne, a fourni depuis le lancement de l’insurrection armée en Syrie, il y a environ trois ans, de l’aide et un abri à l’intérieur de la Turquie aux soi-disant rebelles, dont des éléments comme l’EI et le Front al-Nosra, affilié à al Qaïda.

Le gouvernement Obama a annoncé l’accord rejeté par Ankara manifestement pour démontrer un soutien et un élan international en faveur de son intervention impérialiste dans la région. Mais cela eut l’effet inverse.

Les intérêts contradictoires et divergents des divers éléments formant la coalition d’Obama ont été révélés, une coalition qui comprend la Turquie, les despotes monarchiques sunnites arabes des Etats du Golfe, la France, l’Allemagne (qui s’est abstenue de toute action militaire directe), quelques pouvoirs européens de moindre importance et les alliés les plus proches de Washington, le Canada et l’Australie.

Washington et la Turquie ont tous deux soutenu la guerre de changement de régime en Syrie dans laquelle l’EI est apparue comme le groupe antigouvernemental le mieux armé parmi un assortiment de milices islamistes sunnites. Si le gouvernement Obama se sert actuellement de la campagne contre l’EI pour réaffirmer l’hégémonie américaine dans la région, y compris par le biais d’un changement de régime à Damas, il est toutefois en désaccord avec la Turquie au sujet de la tactique et du moment exact de cette campagne.

Le gouvernement turc du président Recep Tayyip Erdogan a exigé que Washington accepte d’instaurer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie et de créer une zone tampon sur le territoire syrien comme conditions préalables à sa participation à la guerre menée par les Etats-Unis. Ces propositions visent en premier lieu à écraser la région autonome établie le long de la frontière par les Kurdes syriens qui sont des alliés du mouvement nationaliste kurde de Turquie PKK et à transformer la guerre américaine en un effort direct pour le renversement du gouvernement Assad.

Washington insiste pour poursuivre une stratégie de « l’Irak d’abord », axant son intervention sur une « dégradation » et une « destruction » des forces de l’EI à l’intérieur de l’Irak ; il a effectué des opérations limitées en Syrie avec l’autorisation du régime Assad, même s’il insiste pour dire que le gouvernement à Damas n’est pas « légitime ».

Erdogan a bien fait comprendre lundi 13 octobre l’ampleur des désaccords en ordonnant aux avions de combat turcs de lancer des frappes aériennes, non pas contre l’EI en Syrie mais contre le PKK dont les combattants sont, aux côtés des milices kurdes irakiennes et syriennes, les seules forces terrestres à s’opposer efficacement à l’avance de l’EI dans ces deux pays. En Irak, elles ont opéré en coordination tacite avec les « conseillers » militaires américains, malgré qu’elles figurent sur la liste des organisations terroristes étrangères du Département d’Etat.

La Turquie a affirmé que ses frappes aériennes dans le Sud de la Turquie ont été menées en représailles des attaques du PKK contre des bases militaires turques, ce que le PKK lui-même nie. Ces attaques, les premières depuis les négociations de paix commencées il y a près de deux ans entre le gouvernement et le PKK, font suite à une semaine de violents affrontements survenus partout en Turquie et qui ont coûté la vie à au moins 35 personnes alors que des Kurdes turcs qui représentent près de 20 pour cent de la population sont descendus dans les rues pour protester contre le blocus par Ankara de la ville assiégée de Kobané.

La presse turque a rapporté cette semaine que des forces turques n’ont pas seulement empêché que les combattants kurdes, les armes et les munitions n’arrivent à Kobané, mais ont même refusé l’entrée de la ville aux combattants kurdes blessés, les laissant mourir à la frontière.

Ces dernières frappes aériennes risquent faire capoter les pourparlers de paix entre Ankara et le PKK, ravivant une guerre civile qui a coûté quelques 40.000 vies au cours des trois dernières décennies.

Erdogan s’est également servi d’un discours prononcé lundi à l’université Marmara à Istanbul pour déclarer que la plus grande menace à laquelle la Turquie était confrontée étaient les « nouveaux Lawrence d’Arabie » qui déstabilisaient la région. Il faisait référence à l’officier britannique T.E. Lawrence qui contribua à organiser l’insurrection arabe contre l’empire ottoman turc – alors allié de l’Allemagne dans la Première Guerre mondiale.

Erdogan s’en est pris au PKK, aux journalistes et aux adversaires politiques mais n’a pas mentionné l’EI. Au lieu de cela, il a mis en garde que ces forces « faisaient des accords Sykes-Picot tout en se cachant derrière la liberté de la presse, une guerre d’indépendance ou le djihad. »

Les accords Sykes-Picot, conclus en 1916, avaient organisé le découpage des anciennes provinces arabes de l’empire ottoman – dont l’Irak et la Syrie, ainsi que le Liban, la Jordanie et la Palestine, pour en faire des colonies de l’impérialisme britannique et français. L’accord fixait les limites artificielles de la division imposée par les impérialistes dans la région et en faisait des Etats-nations distincts, un système qui se trouve actuellement dans un état d’effondrement avancé sous le poids combiné de ses propres contradictions internes et de la pression incessante due à des interventions impérialistes prédatrices successives.

« Chaque conflit qui est survenu dans cette région a été conçu il y a un siècle, » a dit Erdogan. « Il est de notre devoir de mettre fin à cela. »

Le découpage que craint Erdogan le plus est l’émergence d’un Kurdistan indépendant, la raison pour laquelle son régime cherche à boucler Kobané et à permettre à l’EI de s’acharner sur ses défenseurs kurdes. Sa réponse réactionnaire semble être une relance de l’hégémonie turque dans la région dont le premier pas serait la mise en place d’un régime islamiste sunnite à Damas.

Dénonçant cette stratégie la semaine dernière, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères pour les affaires arabes et africaines, Hossein Amir-Abdollahian, a accusé le gouvernement Erdogan de poursuivre une politique « néo-ottomane » au Moyen-Orient. Il jura que Téhéran ne permettrait pas au gouvernement syrien, son unique allié arabe, d’être renversé par des puissances extérieures. Il a dit aussi que l’Iran cherchait à aider les Kurdes à Kobané, le prélude possible d’un soutien iranien à une nouvelle insurrection kurde à l’intérieur de la Turquie.

Si la guerre menée par les Etats-Unis n’a réalisé aucun progrès notable contre l’EI ni en Irak ni en Syrie, elle est déjà en train de créer de vives tensions, susceptibles de déclencher un conflit qui serait capable d’embraser la région toute entière et s’étendre au-delà.

Bill Van Auken

Article original, WSWS, paru le 15 octobre 2014



Articles Par : Bill Van Auken

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