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Observations sur la démocratie à la mode de Washington
Par Barry Grey
Mondialisation.ca, 25 janvier 2007
WSWS 25 janvier 2007
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/observations-sur-la-d-mocratie-la-mode-de-washington/4587

La vie politique dans la capitale américaine est de plus en plus un exercice de tromperie et d’auto-illusion. Il n’est pas long pour l’observateur objectif de discerner que derrière les formes traditionnelles de la démocratie parlementaire — les débats au Congrès, les votes, les audiences des comités et le reste —, la machinerie d’une dictature présidentielle est en voie de consolidation et est déjà opérationnelle dans des secteurs clés de la politique intérieure et de la politique étrangère.

L’administration Bush a réussi à s’accaparer, en grande partie parce qu’un Parti démocrate complice et couard et des médias corrompus y souscrivent, des pouvoirs pour lesquels elle n’est ni supervisée ni imputable à un degré sans précédent dans l’histoire des Etats-Unis. Sur la base de la théorie pseudo-constitutionnelle du « pouvoir exécutif unitaire » et des soi-disant pouvoirs en temps de guerre du commandant en chef (en vertu de la « guerre au terrorisme », une guerre bidon qui n’a jamais été officiellement déclarée et qui est sans limites) la clique de droite à la Maison-Blanche viole de façon routinière les normes constitutionnelles et les statuts légaux, snobe le Congrès et entreprend des actions qui violent de façon flagrante les droits démocratiques du peuple américain.

Ceux qui sont impliqués — les responsables de l’administration, les juges, les membres du Congrès, la presse de Washington — sont bien au courant de l’état avancé du déclin des procédures démocratiques traditionnelles et du développement des formes de gouvernance propres à un Etat policier. Et pourtant, les formalités des processus parlementaires continuent, avec le consentement mutuel de toutes les parties impliquées, de ce qui est un village de Potemkine démocratique, maintenues en partie pour garder le peuple dans l’ignorance sur l’état de péril dans lequel se trouvent leurs droits démocratiques.

Il y a des débats et des conflits internes, qui deviennent parfois très chauds, sur la sagesse, la légalité et l’usage, en réponse aux affirmations les plus éhontées de pouvoir absolu que fait l’administration. Mais il n’est pas permis à de telles disputes de résonner hors des confins de l’establishment de Washington.

Entre eux, dans les bureaux, les clubs et les lieux où l’on étanche sa soif, les habitués de la capitale font de l’humour noir sur le plus récent outrage de l’administration à la démocratie et aux principes de l’équilibre entre les différentes branches du gouvernement. Mais puisqu’ils ont tous intérêt à maintenir le monopole politique des deux partis, au moyen duquel l’élite de la grande entreprise et de la finance affirme ses intérêts essentiels, et qu’ils défendent tous le capitalisme américain et ses visées impérialistes de par le monde, ils continuent à jouer le jeu comme si rien n’était changé.

L’audience de procureur-général américain, Alberto Gonzales, jeudi dernier devant le comité judiciaire du Sénat a offert le dernier exemple du mutisme et du mépris de l’administration envers le Congrès et de l’impotence des législateurs.

La journée précédant l’audience, Gonzales a annoncé à la commission que l’administration avait obtenu l’autorisation d’un membre anonyme du Tribunal sur la Loi de contrôle du renseignement étranger (FISA) nécessaire pour poursuivre son programme, implémenté par l’Agence de sécurité nationale, de surveillance électronique des appels téléphoniques et courriels des Américains. Il est tout à fait évident que cela était une manoeuvre visant à fournir une feuille de vigne judiciaire à une invasion illégale et inconstitutionnelle de la vie privée, à mettre un terme aux procédures légales intentées contre le programme, et à fournir à Bush et à d’autres représentants de l’administration une couverture légale dans le cas d’une éventuelle poursuite criminelle contre eux.

Lors de l’audience au Sénat, Gonzales a carrément refusé de répondre aux questions des membres de la commission à propos du contenu de l’autorisation accordée par le juge de la FISA, dont le nom n’avait pas été divulgué, ou de quelque aspect du programme d’espionnage en cours.

Au cours de ses interventions, le président démocrate de la commission, Patrick Leahy, a déclaré : « Pendant les 32 ans qui ont suivi mon arrivée au Sénat, à l’époque du Watergate et du Viêt-Nam, je n’avais jamais assisté à une telle situation où notre constitution, nos droits fondamentaux et même les Américains étaient aussi menacés par leur propre gouvernement. »

Mais ce qu’aucun des critiques du gouvernement à la commission n’ont osé affirmé est le fait évident que le but de tels programmes d’espionnage n’est pas la protection du peuple américain contre des menaces étrangères ou des attaques terroristes, mais plutôt de préparer une répression d’Etat totale contre ceux qui s’opposent aux politiques du gouvernement.

La semaine précédente, la commission judiciaire du Sénat avait tenu une audience sur le développement des programmes gouvernementaux de prospection de données qui a dévoilé des informations sur la création rapide d’un appareil d’Etat policier « Big Brother ».

Dans ses premières affirmations, Leahy a déclaré : « L’administration Bush a énormément augmenté son utilisation de technologie de prospection de données, à savoir, la collecte et la surveillance de grandes quantités de données personnelles et sensibles afin d’identifier des habitudes et des relations. Durant les dernières années, l’utilisation de la technologie de prospection de données par le gouvernement fédéral a explosé, sans qu’il n’y ait de surveillance de la part du Congrès ou de mesures complètes pour protéger la vie privée.

« Selon un rapport du Bureau général d’audit de mai 2004, au moins 52 agences fédérales différentes utiliseraient à l’heure actuelle une technologie de prospection de données. Au moins 199 programmes de prospection de données différents sont mis en oeuvre ou planifiés par le gouvernement fédéral…

« La très grande majorité de ces programmes sont utilisés pour amasser et analyser de l’information sur des citoyens ordinaires… Ils partagent cette information personnelle privée avec des gouvernements étrangers. Ils la partagent avec des employeurs du secteur privé. Le seul groupe avec lequel ils ne partageront pas cette information est celui des citoyens américains auxquels ils l’auront soutirée. » 

Un des témoins était l’ancien membre du Congrès provenant de Géorgie, Bob Garr, un républicain résolument conservateur qui a joué un rôle de premier plan dans la campagne de destitution du président Bill Clinton. Garr, un droitiste libertaire et opposant au contrôle des armes ayant des liens étroits avec la National Rifle Association, est critique de la politique nationale d’espionnage et de la prospection de données. Son témoignage révèle une image saisissante de l’offensive menée contre les droits démocratiques et la constitution américaine.

« En tant qu’ancien membre du Congrès, » dit-il dans une déclaration écrite, « j’ai été déçu de voir le Congrès réduire sa responsabilité à l’égard du peuple américain et de rester assis en silence tandis que la Constitution est vidée de toute signification…

« La prospection de données menace sérieusement les premier, second, quatrième et cinquième amendements de la Constitution. C’est presque la moitié de la Charte des droits ! Où cela va-t-il finir ? Avec l’abrogation de la Constitution pour que la Maison-Blanche n’ait plus à se soucier de ces lois si encombrantes ? »

Le sénateur Arlen Specter, le républicain le plus important sur le comité judiciaire du Sénat, remarquait avec nonchalance durant de l’audition, « vous seriez abasourdi par le peu que nous apprenons lors des sessions à huis clos ». Il faisait référence à ces rencontres derrière des portes closes entre le comité et les administrateurs officiels durant lesquelles les législateurs reçoivent des briefings sur les aspects sensibles et classifiés des programmes gouvernementaux.

Après l’audition, j’ai demandé à Leahy, le président du comité : « Comment peu découvrez-vous à ces sessions à huis clos ? »

Leahy répliqua : « Nous ne découvrons pas grand-chose. Nous en apprenons plus sur les programmes secrets dans les médias publics que nous n’en avons jamais appris dans les rencontres classifiées. Après un certain temps j’ai cessé d’y aller parce je trouve beaucoup plus d’informations en lisant les journaux. »

J’ai alors demandé à Barr: « Où en sommes-nous quant à l’absence de contrôle et de supervision du Congrès sur la branche exécutive ? »

Barr répliqua : « Je pense que c’est difficile à dire parce que nous ne savons même pas ce que la branche exécutive fait. Nous avons quelques indications parce que de temps à autre il y a une fuite… Donc, nous avons quelques indications que c’est rendu extrêmement loin. Je dirais que c’en est au point où la situation est hors de contrôle… »

J’ai alors demandé : « Comment proche sommes-nous d’une dictature présidentielle ? Jusqu’à quel point les citoyens devraient-il s’inquiéter ? »

« Je pense que les citoyens devraient être extrêmement inquiet », a dit l’ancien congressiste.

WSWS, article original paru le 24 janvier 2007.

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