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Olé – Olé, Olé, Olé
Par Uri Avnery
Mondialisation.ca, 07 juillet 2008
Gush Shalom 7 juillet 2008
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https://www.mondialisation.ca/ol-ol-ol-ol/9529

Qu’est-ce qui a passionné les Israéliens cette semaine?

Qu’est-ce qui les a « scotchés » à leurs postes de radio et de télévision ?

Qu’est-ce qui les a fait se précipiter aux kiosques pour acheter des journaux ?

Le drame à la Knesset, lorsqu’il est apparu que ses membres pourraient agir contre les lois de la nature en votant leur propre destitution ? La violation de la Tahdiyeh (la trêve) autour de la bande de Gaza après l’exécution de militants du Jihad à Naplouse ? Les négociations de paix avec la Syrie ? La discussion sur les échanges de prisonniers avec le Hezbollah au nord et le Hamas au sud ?

Ne soyez pas ridicules.

Le sujet qui a provoqué une explosion frénétique de passion, c’est le championnat de football européen, l’Allemagne contre la Turquie, l’Espagne contre la Russie.

Quels jeux ! Quels buts ! Ouah !

EN COMPARAISON, les jeux qui se déroulaient sur la scène politique étaient relégués au rang de simple attraction. Par exemple : le jeu d’Ehud Olmert pour assurer sa survie.

Depuis qu’il est établi qu’il est indubitablement corrompu, son gouvernement a perdu le capital le plus important de tout gouvernement dans une société démocratique : la confiance.

Personne ne croit plus ce que dit ce gouvernement. Toutes ses décisions sont suspectes à priori – de n’avoir pas été prises pour leur valeur, mais comme moyen de gagner un mois, une semaine, une journée d’existence de plus. C’est là un gouvernement qui n’a pas les moyens de gouverner.

Cela me rappelle une scène d’un vieux film tiré du roman de Jules Verne « Le tour du monde en quatre-vingt jours ». Pour gagner un pari, le héros devait traverser le continent américain en train dans le minimum de temps. Lorsque la locomotive se trouve à court de charbon, il démonte les wagons, l’un après l’autre, pour alimenter le foyer de la locomotive avec le bois de leurs parois et de leurs sièges. Ensuite, il entreprend de démonter la locomotive elle-même jusqu’à ce qu’il n’en reste que la machine, la chaudière et les roues.

Le gouvernement d’Israël est comme ce train. Pour survivre, il est en train de sacrifier tous ses atouts.

Ehoud Barak a posé un ultimatum : si Olmert n’est pas remplacé, lui, Barak, va mettre fin à la coalition. Mais, à l’approche de l’échéance, il a compris qu’Olmert allait l’entraîner avec lui dans ce terrible abîme qui a nom élections.

D’après tous les sondages, des élections amèneraient le Likoud au pouvoir. Les deux Ehoud ont désespérément cherché une issue. Maintenant ils sont comme deux boxeurs épuisés qui s’étreignent l’un l’autre pour éviter de tomber.

Olmert survit pour le moment. Les primaires du parti Kadima n’auront lieu qu’en septembre – un parti fictif dont la situation s’apparente à celle de son fondateur, Ariel Sharon, maintenu en vie grâce à une assistance respiratoire et incapable de se mouvoir.

Jusqu’à quand ? Septembre ? Mai 2009 ? Novembre 2010 ? Personne ne le sait. Mais une chose est sûre : c’est un gouvernement incapable de faire quoi que ce soit.

EXEMPLE N° 1 : la Tahdiyeh (la trêve)

L’armée souhaitait un cessez-le-feu, parce qu’elle ne disposait d’aucun moyen pour mettre un terme au lancement de missiles depuis la bande de Gaza, et que la dernière chose qu’elle veut c’est d’avoir à la réoccuper – une opération qui serait coûteuse, dangereuse et aléatoire.

Elle souhaitait et en même temps ne souhaitait pas le cessez-le-feu. En bonne logique elle le souhaitait, mais, au plan des sentiments elle n’en voulait pas.

La semaine dernière, j’ai écrit ici qu’il serait facile de mettre fin au cessez-le-feu : « L’armée tuera une demi-douzaine de militants du Jihad islamique en Cisjordanie. L’organisation ripostera par le tir d’une salve de Qassams sur Sdérot. L’armée déclarera que c’est une violation de l’accord et répondra par une incursion dans la Bande de gaza… ». Mais cependant, je ne prévoyais pas que cela arriverait si tôt. C’est pourtant bien ce qui s’est produit : l’armée a exécuté deux militants du Jihad islamique en Cisjordanie, le Jihad islamique a riposté en tirant des Qassams, l’armée a réactivé le blocus…

Quelqu’un a-t-il pris la décision de cette provocation ? Olmert ? Barak ? Le chef d’état-major ? Le général commandant la division ? Personne n’en dit mot. Une seule chose est certaine : il n’y a pour ainsi dire pas de gouvernement présent. 

EXEMPLE N°2 : L’échange de prisonniers.

Le médiateur allemand a enfin mis au point un accord pour l’échange de nos deux prisonniers détenus par le Hezbollah contre quelques prisonniers libanais. On pense que tous les deux ont été mortellement blessés au moment de leur capture et qu’ils sont morts depuis longtemps. Mais ce n’est pas confirmé : le Hezbollah n’en dit rien.

Dans la religion juive, le « rachat des prisonniers » est un devoir sacré. Au Moyen-âge, lorsqu’un juif de Londres était capturé par des pirates turcs, les juifs d’Istanbul étaient tenus par leur religion de payer sa rançon. Dans l’armée israélienne, on a fait du rachat des prisonniers la règle la plus importante : de la même façon que l’on n’abandonne pas un soldat blessé sur le terrain, on n’abandonne pas un prisonnier aux mains de l’ennemi. Plus d’une fois, des centaines de prisonniers palestiniens ont été échangés contre un seul israélien.

La seconde guerre du Liban a été engagée (du moins officiellement) avec pour objectif de libérer ces deux prisonniers sans avoir rien à donner en échange. Pour cela on a sacrifié la vie de 150 soldats et civils israéliens et de plus de 1000 combattants et civils libanais. Sans résultat. S’il en est ainsi, comment peut-on s’opposer à la libération de cinq prisonniers libanais pour obtenir leur retour ?

Le problème tient à un mythe. L’un des cinq prisonniers à libérer est Samir Kuntar qui, avec ses camarades, porte la responsabilité d’une attaque particulièrement brutale en Israël. Le « meurtrier Kuntar » (comme on le désigne toujours dans nos media) figure dans la mémoire nationale comme un monstre, coupable d’avoir assassiné la famille Haran d’une façon particulièrement horrible. Au Liban, naturellement, il est considéré comme un héros national, auteur d’un exploit audacieux en plein territoire ennemi.

« Le rachat des prisonniers » d’un part, le refus de libérer un « monstre » d’autre part. Quelqu’un doit prendre une décision. Olmert l’a prise. Le jour suivant il prenait la décision opposée. Deux jours plus tard, il changeait de nouveau de décision. Á chaque fois en fonction du même critère : qu’est-ce qui va l’aider à survivre ? Qu’est-ce qui est le plus populaire ?

On observe le même comportement pour le soldat Gilad Shalit, prisonnier du Hamas dans la Bande de Gaza. Au moins nous savons qu’il est vivant. Le Hamas lui permet d’adresser un message de temps en temps.

Ici le problème tient à un autre mythe : « Ils ont du sang sur les mains ». Et pas n’importe quel sang, mais « du sang juif », comme répètent avec insistance les faiseurs de discours. Le Hamas exige la libération de centaines de ses combattants qui ont pris part à des attaques. Et voilà de nouveau un dilemme : « le rachat des prisonniers » contre « du sang juif ».

Toute cette affaire est ridicule. Dans une guerre, il y a du sang répandu. Nous avons tous « du sang sur les mains ». J’en ai. Et certainement Ehoud Barak aussi.

« La mort et la vie sont au pouvoir de la langue » nous rappelle la Bible (Proverbes 18, 21), et cela s’applique à la langue écrite. Dites « soldat capturé » au lieu de « soldat kidnappé », « prisonniers de guerre palestiniens » au lieu de « criminels palestiniens », « combattants ennemis » au lieu de « meurtriers avec du sang sur les mains », et tout apparaît plus simple. Mais les bruyants media, toujours en quête de plus d’audience, jettent de l’huile sur le feu par le choix de leurs mots.

C’est pourquoi, Olmert ne peut pas décider. Qu’est-ce qui est le plus populaire ? La libération du soldat qui a déjà passé deux années entières dans un sombre cachot et dont la vie est en  danger, ou le refus de libérer « des meurtriers » qui ont « du sang sur les mains?” Des sondages d’opinion sont régulièrement faits discrètement, et il n’y a encore pas de décision.

EXEMPLE N° 3 : La Syrie

Il semble qu’il y ait des négociations. Il semble qu’on y parle de paix. Les Turcs invitent les négociateurs d’Israël et de Syrie dans un hôtel et vont faire la navette entre les chambres pour des négociations « indirectes ».

Tout cela est du théâtre. Ils boivent du vin dans des verres vides. Personne ne croit sérieusement à une paix qui exigerait le retrait des colonies israéliennes du Golan. Et pendant ce temps, les colonies continuent de s’étendre.

L’idée qu’Olmert possède la force morale et politique nécessaire pour liquider ces colonies est ridicule. Lui-même ne l’imagine pas. En réalité, il ne fait même pas le moindre effort pour préparer l’opinion publique à une telle éventualité. Même dans le meilleur des cas, cela ne serait possible qu’après un travail déterminé et persévérant de persuasion, qui ne manquerait pas de provoquer des réactions particulièrement orageuses dans la population.

Alors pourquoi cette mise en scène? Chacune des parties a ses propres raisons :

            – Bachar al-Assad l’exploite, avec un grand talent, pour se sortir de « l’axe du mal », pour prévenir une attaque militaire américaine contre lui (devenue déjà hautement improbable) et rompre les liens qui l’isolent.

            – Le gouvernement turc, menacé par ses ennemis internes, comme l’armée et les juges, y gagne du prestige et sert son objectif majeur : rejoindre l’Union européenne.

            – Même l’actif Nicolas Sarkozy y flaire une opportunité. Après être venu ici pour un voyage de séduction, assisté de sa brillante épouse (sa critique des colonies a été presque passée sous silence par les media), il souhaite maintenant recevoir Olmert et Assad à Paris, pour un grand show, autour de la même table (mais sans se serrer la main). Qui peut dire non à quelqu’un qui s’apprête à assurer la présidence tournante de l’Union européenne, et qui à l’ambition de devenir Napoléon IV ?

            – Mais Olmert est, bien entendu, celui qui a le plus à y gagner. Cette semaine, depuis la tribune de la Knesset, il a hurlé en réponse aux sifflets railleurs des membres du Likoud : « Vous ne voulez pas la paix ! »

Et le voilà : ce n’est pas Olmert le corrompu, pas Olmert l’incapable, mais Olmert le brave, se sacrifiant sur l’autel de la paix, lui qui d’une minute à l’autre va réaliser le rêve de générations, si seulement on lui permet de rester au pouvoir. .

EXEMPLE N° 4 : La Palestine

Tout ce qui précède s’applique encore plus aux relations avec la Palestine. Ils se rencontrent. Ils s’embrassent. Ils échangent des promesses. Il y a une foule de médiateurs, qui tous veulent recueillir quelque chose pour eux-mêmes.

Cette semaine une manifestation particulièrement odieuse s’est déroulée à Berlin, avec le soutien d’Angela Merkel, qui nous a fait aussi récemment l’honneur d’un pèlerinage d’hommage. Il s’est agi d’une rencontre « pour les Palestiniens ». De quoi n’ont-ils pas parlé ? De l’occupation. Des colonies. Du mur. Des milliers de prisonniers que nous détenons. Et du nettoyage ethnique qui se poursuit à Jérusalem.

Et alors, de quoi ont-ils parlé ? De l’entraînement de la police palestinienne qui va garantir la sécurité de l’occupation. De la construction de prisons palestiniennes pour enfermer les membres du Hamas. La chose principale, c’est la loi et l’ordre – la loi et l’ordre de l’occupation.

Et qui étaient les vedettes là-bas ? L’inévitable Tony Blair. La tragi comique Condoleeza Rice. Et, naturellement, Tzipi Livni ( qui a exigé, ce même jour, que l’armée israélienne pénètre à Gaza). Tous, mais vraiment tous agissent pour la paix.

IL FUT UN TEMPS où les Israéliens s’intéressaient à la fois au football et à la politique. Ils montraient une passion aussi intense pour l’un et l’autre. Maintenant il ne leur reste plus que le football, un jeu qui se pratique suivant des règles transparentes. Ce que l’on voit, c’est ce qui se passe réellement sur le terrain. On peut assister à un match sans dégoût, alors que la politique suscite mépris et aversion.

Voilà le prix que nous payons pour la survie d’Olmert.

Article original, « Ole – ole, ole, ole, ole« , Gush Shalom, 28 juin 2008.

Traduit de l’anglais pour l’AFPS: FL

 Uri Avnery est journaliste et cofondateur de Gush Shalom.

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