Oncle Sam face à la Russie en Syrie orientale : le scénario du cauchemar
L’effondrement imminent d’ISIS a lancé une course aux territoires dans la partie orientale de la Syrie, riche en pétrole, jetant l’une contre l’autre les forces soutenues par les États-Unis et la coalition dirigée par la Russie en Syrie, l’Iran et le Hezbollah. C’est le scénario de cauchemar que tout le monde voulait éviter. Les armées de Washington et de Moscou convergent maintenant sur la même zone, tout en augmentant considérablement la probabilité d’une conflagration entre les deux superpuissances nucléaires. La seule manière dont un conflit peut être évité est qu’une partie recule, ce qui semble de plus en plus improbable.
La situation peut être facilement expliquée. La vaste étendue de territoire capturée par ISIS diminue constamment en raison de la persévérance obstinée de l’armée arabe syrienne (SAA) qui a libéré la plupart des campagnes à l’ouest de la rivière Euphrate, y compris l’ancien bastion de l’ISIS à Deir Ezzor, une garnison critique au centre des combats. ISIS subit également une pression au nord où le SDF [kurde], soutenu par les États-Unis, pilonne leur capitale Raqqa tout en déployant des troupes et des chars vers le sud en direction des champs de pétrole de la province de Deir Ezzor.
Washington a précisé qu’il voulait que son armée par procuration contrôle la zone à l’est de l’Euphrate, établissant une partition tranquille entre l’est et l’ouest. Les États-Unis veulent également contrôler les vastes ressources pétrolières de Deir Ezzor afin de fournir un flux de revenus fiable pour aider à l’émergence du mini-État kurde.
Le président syrien Bachar al Assad a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’accepterait jamais le partage du pays. Mais la décision ne sera pas prise par Assad seul. Ses partenaires de la coalition à Moscou, Beyrouth et Téhéran contribueront également à façonner le règlement final. En ce qui concerne Poutine, il semble extrêmement improbable qu’il risque une guerre prolongée et sanglante avec les États-Unis simplement pour reprendre chaque mètre carré du territoire syrien. Le président russe permettra probablement aux États-Unis de garder leurs bases dans le nord-est à condition que des zones critiques soient concédées au régime. Mais où se dessine la ligne ? C’est la question.
Les États-Unis veulent contrôler la zone à l’est de l’Euphrate, y compris les champs pétrolifères lucratifs. C’est pourquoi ils ont déployé des troupes du SDF dans le sud, même si elles sont encore nécessaires à Raqqa. En début de semaine, il semblait que l’armée syrienne avait pris l’avantage sur le SDF lorsque les troupes et les véhicules blindés de la première ont traversé l’Euphrate en direction de l’est vers les champs de pétrole. Mais les rapports qui ont été publiés jeudi dernier indiquent que le SDF leur a damé le pion. Selon South Front :
« Jeudi, les forces démocratiques syriennes (SDF) soutenues par les États-Unis (…) ont capturé les champs de pétrole de Tabiyeh et d’al-Isba dans la campagne au nord-ouest de Deir Ezzor, selon des sources pro-kurdes. (…) Si ces rapports sont confirmés, le SDF contrôlera plus de la moitié de la réserve de pétrole de la Syrie. De plus, cela signifie que le SDF a bloqué au moins en partie la voie de l’armée syrienne SAA sur la rive est de la rivière Euphrate. » (“Syrian Democratic Forces Capture Key Oil Fields In Deir Ezzor”, Front Sud).
C’est un revers majeur pour la coalition russe. Cela signifie que la SAA soutenue par l’armée de l’air russe devra se battre contre un groupe qui, jusqu’à présent, a été un allié dans la guerre contre ISIS. Maintenant, il est clair que le SDF, principalement kurde, n’est plus allié, c’est un ennemi qui veut voler les ressources de la Syrie et créer un État sur le flanc est de celle-ci.
La nouvelle de l’arrivée du SDF sur les champs de pétrole est venue quelques heures seulement après que le porte-parole du ministère de la Défense russe, le major-général Igor Konashenkov, a émis un vif avertissement aux États-Unis et au SDF que la Russie procéderait à des représailles si les attaques de mortier ou de roquettes de SDF continuaient.
Citation : « La Russie a déclaré sans équivoque aux commandants des forces américaines à Al Udeid Airbase (Qatar) qu’elle ne tolérerait aucun bombardement à partir des zones où le SDF est stationné (…) Le feu à partir de ces positions sera éliminé avec tous les moyens nécessaires. »
Rétrospectivement, il semble que le SDF ait déjà décidé de se séparer clairement du gouvernement, sans aucun doute sur ses intentions. Washington utilise le SDF pour saisir les champs de pétrole et revendiquer, pour elle-même, toute la partie de la Syrie à l’est de l’Euphrate. Il ne fait aucun doute que ces unités de combat du SDF sont accompagnées de forces spéciales américaines qui fournissent des communications capitales, un soutien logistique et tactique. Cette opération comporte les empreintes digitales de Washington, partout.
Le vendredi matin, les forces loyalistes dirigées par les 5e Corps d’assaut des chasseurs contre ISIS, ont établi un contrôle total sur le village de Khusham, sur la rive est de la rivière Euphrate, près de la ville de Deir Ezzor. Le village, stratégiquement situé, bloque une route clé reliant la zone détenue par le SDF aux champs pétrolifères d’Omar.
Vous-voyez la photo ? Les forces soutenues par les États-Unis et les membres de la coalition russe opèrent maintenant sur le même théâtre essayant de saisir les mêmes pans de terres pétrolifères. Cela a tous les aspects d’une collision frontale majeure.
Poutine est un homme prudent et raisonnable, mais il n’abandonnera pas les champs de pétrole de la Syrie sans se battre. En outre, Assad a besoin des recettes pétrolières pour financer la reconstruction de son pays dévasté. Tout aussi important, il a besoin du territoire à l’est de Deir Ezzor pour une route terrestre reliant Beyrouth, Damas, Bagdad et Téhéran, la soi-disant autoroute arabe. Le travail de Poutine consiste à agréger autant de morceaux du pays qu’il faudra pour créer un État viable. Donc, alors qu’il peut permettre au SDF et à l’armée américaine d’occuper des parties du nord-est, il ne va pas abandonner des ressources cruciales ou un territoire stratégiquement situé.
Alors, qu’est-ce que tout cela veut dire ? Cela signifie-t-il que la Russie soutiendra les tentatives d’Assad de libérer les champs pétrolifères, même si cela devait déclencher une guerre plus large avec les États-Unis ?
Oui, c’est exactement ce que cela veut dire. Poutine ne veut pas la castagne avec l’oncle Sam, mais il ne va pas abandonner un allié non plus. Donc, il y aura une confrontation car aucune des parties n’est disposée à renoncer à ce qu’elle estime nécessaire pour réussir.
Donc, vous l’avez vu. Alors que l’impasse commence à prendre forme dans l’est de la Syrie, les deux superpuissances rivales se préparent pour le pire. De toute évidence, nous avons atteint le moment le plus dangereux dans cette guerre de six ans.
Mike Withney
Article original en anglais :
Uncle Sam vs. Russia in Eastern Syria: the Nightmare Scenario
CounterPunch, le 22 septembre 2017
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker francophone