ONU : Une 31ème  résolution pour passer outre la souveraineté syrienne…

« Tout homme civilisé a deux patries: la sienne et la Syrie »

André Parrot (1901-1980) archéologue français et directeur du Louvre

Le 13 décembre 2018, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2449, initiée par le Koweït et la Suède, par 13 voix pour et 2 abstentions [Chine et Russie]. Elle reconduit, pour une durée de 12 mois, la résolution 2165 (2014) et donc le Mécanisme de surveillance de l’aide humanitaire expédiée en Syrie via des points de passage frontaliers, avec l’ACCORD des pays voisins, mais une simple NOTIFICATION de l’Organisation des Nations Unies aux autorités syriennes. 

Les quatre points de passage cités sont Bab al-Hawa et Bab al-Salam (frontière syro-turque) ; Al-Ramtha (frontière syro-jordanienne) ; Al-yaarubiyah (Gouvernorat de Hassaka à la frontière syro-irakienne).

Le lecteur trouvera le texte du projet de résolution [ici, sur le site un.org/press/fr ] et le texte intégral de la réponse du délégué permanent de la Syrie auprès des Nations Unies, le Dr Bachar al-Jaafari, ci-dessous.

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Merci Monsieur le Président,

Parmi les paradoxes remarquables de cette session fondamentalement consacrée à la situation humanitaire en Syrie, toute la Syrie et non une partie de la Syrie, le fait que certains collègues, notamment les délégués du Koweït, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, se soient manifestement et singulièrement focalisés sur un angle très restreint des effets de la résolution 2165 : les opérations humanitaires qualifiées de « transfrontalières ». 

Ils en ont tous parlé en préambule de leurs interventions, ce qui signifie que tout ce qui les intéresse est d’arriver à passer outre la souveraineté syrienne. C’est là la raison d’être de cette reconduction, tandis qu’ils font mine d’ignorer le fait que ces opérations dites « transfrontalières » couvrent à peine 5% des aides humanitaires consacrées aux Syriens, tandis que 95% des aides proviennent de l’intérieur des frontières syriennes, non de l’extérieur. Et ce, évidemment, en fermant les yeux sur l’exploitation des passages transfrontaliers avec la Turquie pour l’acheminement d’armes et de terroristes, non d’aides humanitaires. 

Une longue histoire que nous vous avons exposée à maintes reprises, tandis que des dizaines d’officiers des douanes et de juges, turcs, se sont retrouvés incarcérés dans les prisons de leur pays pour avoir témoigné de ce fait. En d’autres termes, du fait que les véhicules qui empruntent ces passages transfrontaliers transportent des armes, non des aides humanitaires. 

Un fait établi en dépit duquel, d’aucuns continuent à discuter du sexe des anges au bout de bientôt huit années d’une guerre terroriste menée contre mon pays par une coalition internationale diabolique.

Monsieur le Président, 

Nous discutons aujourd’hui du 58ème rapport du Secrétaire général sur la situation humanitaire en Syrie. Comme chacun le sait, le Conseil de sécurité a tenu des centaines de réunions officielles et non officielles et a adopté nombre de résolutions à ce propos [31 jusqu’ici, NdT]. Je pense que le temps est venu pour qu’il se pose la question suivante : « Toutes ces réunions et résolutions ont-elles pour objectif l’amélioration de la situation humanitaire en Syrie, ou bien s’agit-il pour certains d’en user pour faire pression sur le gouvernement syrien et exploiter les douleurs et les souffrances des Syriens comme denrée d’un médiocre commerce politique ?

Nous, nous disons que si, comme certains le prétendent, l’objectif de tout cela est d’améliorer la situation humanitaire en mon pays, ce qui est attendu aujourd’hui ne consiste pas à adopter de nouvelles résolutions ou à tenir des réunions spectaculaires, mais à agir comme suit : 

Premièrement : Aider le gouvernement syrien à lutter contre les groupuscules résiduels de terroriste armés ; les organisations terroristes armées étant la cause principale de l’installation de la crise humanitaire et de sa détérioration, y compris la crise des déplacés et des réfugiés. Tout observateur soucieux du bien-être des Syriens peut constater que la crise humanitaire ne s’est installée que dans les régions envahies par les organisations armées et les régions où des forces étrangères sont illégalement présentes. Damas compte 8 millions d’habitants et ne souffre pas d’un problème humanitaire, tout comme Alep, Homs et Hama, villes désormais libérées des terroristes et sous contrôle des autorités syriennes. Aujourd’hui, vous avez tous évoqué la situation à Al-Tanf et Al-Roukbane. Or, qui protège les terroristes daechistes à Al-Tanf ? N’est-ce pas les États-Unis ? 

Deuxièmement : Assumer les responsabilités du Conseil de sécurité par une action sérieuse et immédiate visant l’arrêt de la destruction systématique des infrastructures syriennes, des attaques et des massacres commis par la Coalition internationale illégitime menée par les États-Unis, et œuvrer à ce que les pays qui en font partie respectent les dispositions de la Charte des Nations Unies et les résolutions du Conseil de sécurité ; lesquelles affirment refuser les crimes d’agression et d’ingérence dans les affaires intérieures des États, ainsi que la mise en danger de leur sécurité régionale. 

Troisièmement : Lever immédiatement les mesures coercitives unilatérales ayant grandement nui aux citoyens syriens, comme l’ont souligné mes collègues délégués de la Fédération de Russie et de Bolivie. Qu’ils en soient remerciés. Certains délégués les ont qualifiées de « sanctions », ce qui n’est pas les cas, car non imposées par le Conseil de sécurité mais prises par certains pays, dont des représentants sont présents dans cette salle, et sont rejetées par la communauté internationale. En effet, les Nations Unies sont contre les mesures coercitives unilatérales, sujet que nous avons voté à maintes reprises au sein des Assemblées générales des Nations Unies. Leur maintien constitue le principal obstacle à l’amélioration des conditions de subsistance des Syriens, faute de pouvoir répondre aux besoins essentiels d’une vie normale dans un contexte de retour des déplacés et des réfugiés chez eux. 

Quatrièmement : Renforcer le soutien humanitaire international afin de répondre à ces besoins, étant donné que le financement est loin d’avoir atteint le niveau espéré, comme l’a déclaré M. Lowcock ; d’autant plus que, dans leurs forums spectaculaires, les donateurs subordonnent leurs aides à des conditions politiques contraires aux principes du travail humanitaire, refusent la réhabilitation des installations publiques syriennes susceptibles de renforcer la résilience des Syriens et le retour des déplacés et des réfugiés dans la dignité et en toute sécurité. Et aujourd’hui, nous avons entendu nos collègues représentants des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, dire très clairement qu’ils subordonnaient la reconstruction et le retour des réfugiés à leurs conditions politiques ; conditions posées pour cesser leur soutien au terrorisme.

Cinquièmement : Arrêter la politisation de la situation humanitaire, y compris la divulgation de chiffres et de renseignements trompeurs. Arrêter d’ignorer les faits et les évolutions sur le terrain. Naturellement, disant cela, nous disposons de témoignages, de chiffres et de preuves à l’appui. Ainsi, lorsqu’on vous dit que tel mois, seuls 4 ou 5 convois humanitaires ont atteint leur destination en Syrie, ce n’est pas vrai. Il y a quelques jours, j’étais à Damas où j’ai rendu visite au Directeur du Croissant-Rouge. Je l’ai interrogé sur le nombre total de convois acheminés depuis le début de cette année. Voici les documents… Le nombre total de convois acheminés par le seul Croissant-Rouge et arrivés à destination, Monsieur Lowcock, est 182… 182 convois et d’aucuns vous égarent, au sein même de ce Conseil de sécurité, en parlant de 4 convois seulement. Et puis, lorsqu’ils envoient un convoi à Al-Tanf ou Al-Roukbane, avec notre autorisation, ils le livrent aux terroristes, non aux 50 000 civils qui méritent d’être aidés et dont je vous ai déjà parlé.

Le convoi rendu à Al-Tanf, Monsieur Lowcock, a fini entre les mains des terroristes et vous le savez ! 

Monsieur le Président, 

La reconduction de la résolution 2165 ne reflète pas l’évolution de la situation sur le terrain depuis son adoption le 14 juillet 2014, vu qu’il n’est plus nécessaire d’inclure des zones classées comme assiégées ou difficiles d’accès, car désormais libérées. 

À ce stade, j’affirme une fois de plus que le gouvernement syrien est celui qui tient le plus à offrir toutes sortes d’aides humanitaires à tous ses citoyens, où qu’ils se trouvent sur tout le territoire syrien. C’est son devoir. Il s’en acquitte au mieux en coopération avec le Croissant-Rouge arabe syrien. Et il ne faillira pas à cet engagement.

J’affirme aussi que mon pays tient à coopérer avec les Nations Unies et ses partenaires humanitaires, conformément aux directives régissant la coordination et la promotion de l’action humanitaire, lesquelles insistent sur le respect de la souveraineté et de l’indépendance des États, sur le rôle de l’État concerné dans la supervision de la distribution de l’aide humanitaire sur son territoire, ainsi que sur le respect des principes de neutralité, d’impartialité et de non-politisation. 

En d’autres termes, en Syrie, il y a un État que tous doivent respecter conformément aux résolutions de ce Conseil, aux dispositions de la Charte et aux principes du droit international. Tel est l’essentiel. Par conséquent, que certains utilisent un vocabulaire tendancieux, ici ou là, est indigne de ce Conseil et de ceux qui en usent. 

L’insistance de certains membres sur la reconduction de la résolution 2165 et leur ignorance délibérée des remarques de fond, formulées par mon gouvernement ainsi que par d’autres États membres, n’annulent en rien les défauts de ses effets, constatés depuis le premier jour de son adoption. Permettez que je signale brièvement quelques-uns de ces défauts pour éventuellement les éviter lors d’une prochaine séance :

  1. Le centre de l’action humanitaire en rapport avec la crise syrienne part de Damas, la capitale syrienne, non de bureaux situés à Gaziantep en Turquie, ou ailleurs, comme cette reconduction voudrait le promouvoir. 
  2. L’obtention de l’autorisation de la Syrie avant l’entrée des aides humanitaires à travers sa frontière est un principe fondamental, conformément à la résolution 46/182 de l’Assemblée générale. Il ne suffit donc pas de le lui notifier. Pourquoi ? 
  3. Parce que cette notification est parfaitement comparable au mécanisme « consultatif » qui vous a été avancé par les présentateurs du projet de résolution d’aujourd’hui. Ils vous ont dit nous avoir consultés. C’est vrai. Mais ils n’ont absolument pas tenu compte de nos observations. 
  4. Jusqu’ici, le mécanisme de surveillance des Nations Unies est incapable de vérifier l’arrivée de l’aide humanitaire aux bénéficiaires désignés, vu qu’actuellement la grande majorité des convois passe par la frontière turco-syrienne en direction des régions contrôlées par les groupes terroristes armés, lesquels la confisquent et se chargent de la distribuer à leurs acolytes et à leurs familles, comme cela vient encore de se produire pour l’aide destinée à Al-Tanf. D’ailleurs, cette incapacité dure depuis 4 ans, vu l’exploitation vicieuse des passages transfrontaliers par les pays voisins pour soutenir les groupes armés et écouler ce qu’ils ont pillé des usines, des sites archéologiques et pétrolifères. 
  5. Comme je viens de l’expliquer, le programme de l’aide transfrontalière fut et reste limité en comparaison de l’assistance fournie à l’intérieur du territoire syrien. 
  6. Les fonctionnaires du Bureau de la coordination des affaires humanitaires [OCHA] n’ont pas fait grand cas de la transparence requise, n’ont pas garanti à la communauté internationale que les aides transfrontalières arrivent bien à leurs destinataires et non aux groupes armés, comme ils n’ont pas suffisamment expliqué en quoi consistent les entreprises indépendantes et les tiers partenaires censés contrôler les arrivages vers les destinataires et les dépôts, malgré nos demandes répétées.
  7. Hay’at tahrir al-Cham [ex-Front al-Nosra, branche d’Al-Qaïda], inscrite sur la liste des organisations terroristes de votre Conseil, a imposé des taxes sur l’aide transfrontalière, notamment au passage de Bab al-Hawa à la frontière syro-turque ; ce qui correspond à un financement direct du terrorisme en violation des résolutions de ce même Conseil, en particulier, les résolutions 2178, 2253 et 2396. Situation tout à fait comparable au versement de millions de dollars à Daech et au Front al-Nosra posté au Golan syrien occupé, sous prétexte du payement de rançons pour la libération d’otages détenus par ces organisations terroristes; ce qui est là aussi une violation flagrante de votre résolution 2368. 

Pour conclure, Monsieur le Président, 

Mon pays a un Gouvernement, un Peuple, une Armée et une image très claire de qui est l’ami et qui est l’ennemi. Et nous savons fort bien que notre confrontation au terrorisme est une guerre que nous imposent les parrains de ce terrorisme, afin d’épuiser nos énergies. Et ce, dans le but de mettre à exécution leurs plans iniques dans notre région, commençant par la liquidation de la Cause palestinienne et allant jusqu’à noyer les peuples dans un obscurantisme sanglant, nourri par l’idéologie extrémiste wahhabite, l’ignorance et la collaboration au profit des agendas de la destruction et du chaos. 

Aujourd’hui, plus que jamais, le gouvernement de mon pays est déterminé à lutter contre le reste de groupuscules armés terroristes à Idleb et en dehors d’Idleb, vu qu’il est déterminé à exercer son droit de se défendre et d’expulser toutes les forces d’invasion étrangères entrées illégalement dans notre pays. 

Des forces d’invasion étrangères dont mon collègue délégué des États-Unis a parlé en nous disant, avec arrogance, que son pays a dépensé 8 milliards de dollars pour des aides humanitaires en Syrie. Des aides au terrorisme qu’il a qualifiées d’aides humanitaires ! 

Nous continuerons à réhabiliter les régions détruites par les terroristes et à ramener la situation à la normale, pour que le peuple syrien puisse jouir de nouveau de la vie à laquelle il s’était habitué avant qu’on ne lui impose cette guerre de la terreur, et aussi pour permettre aux citoyens syriens de revenir dans la patrie qu’ils ont été obligés de quitter à cause du terrorisme et des mesures économiques restrictives unilatérales ayant frappé l’essentiel de leur vie.

La réussite du projet des parrains du terrorisme destructeur et des assassins du droit international, ailleurs, ne signifie absolument pas que leur projet concernant notre pays passera. Nous leur promettons l’échec de leurs projets et conspirations. 

Merci, Monsieur le Président

Dr Bachar al-Jaafari

Délégué permanent de la Syrie auprès des Nations Unies

13/12/2018

Transcription et traduction par Mouna Alno-Nakhal

Source : Vidéo / The Syrian Mission to the United Nations

https://www.youtube.com/watch?v=vDGpFXxNaqw



Articles Par : Dr. Bachar al-Jaafari

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