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Opération Barbarossa 2 : Le gambit de la Baltique
Par Christopher Black
Mondialisation.ca, 02 juin 2016
New Eastern Outlook 29 février 2016
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https://www.mondialisation.ca/operation-barbarossa-2-le-gambit-de-la-baltique/5528602

Vendredi 26 février, un jour avant que la trêve limitée en Syrie ne prenne effet, le Conseil de l’Atlantique, l’éminent think tank de l’OTAN, a publié un rapport sur l’état de préparation de l’OTAN pour combattre et gagner une guerre contre la Russie. Le rapport se concentre sur les États baltes.

Le rapport, intitulé Alliance en péril, indique en sous-titre Renforcer la défense européenne à l’ère des turbulences et de la concurrence. Les couches de distorsions, les demi-vérités, les mensonges et les fantasmes obscurcissent bien sûr le fait que ce sont les pays de l’OTAN qui ont causé des turbulences, du Moyen-Orient à l’Ukraine. L’OTAN n’est responsable de rien dans ce rapport, à part de protéger la paix. La Russie est l’État agresseur suprême, avec l’intention de porter atteinte à la sécurité de l’Europe, et même l’intention de l’attaquer, une «menace existentielle» que l’OTAN doit se préparer à repousser.

Une image intéressante, qui apparaît juste en dessous de la page de titre, est le logo du groupe Airbus, en lettres aussi grandes que le titre, et une déclaration que la publication est un produit du Centre Brent Scowcroft sur la sécurité internationale, en partenariat avec Airbus. Puis vous avez le logo de la grande entreprise, entrelacé avec la machine militaire américaine. Dépeignant ainsi une des principales caractéristiques du fascisme à l’Ouest : l’interdépendance et le partage du pouvoir du complexe militaire et des corporations occidentales.

Le Centre Scowcroft est nommé ainsi d’après le nom du général Brent Scowcroft de l’armée américaine, qui, entre autres, a été conseiller national à la sécurité pour les présidents Ford et Bush, et dernièrement conseiller du président Obama, et est un vieil associé de Henry Kissinger. Le Général Scowcroft est intéressant pour une autre raison. Le 11 septembre 2001, Scowcroft était à bord d’un avion de l’US Air Force E-4B, connu sous le nom de National Airborne Operations Command Center.

Le E-4B est une version militarisée du Boeing 747. Son but est de fournir au président américain, au vice-président et aux chefs d’état-major un centre de commandement aéroporté, qui pourrait être utilisé pour exécuter des plans de guerre et coordonner les activités du gouvernement au cours d’une urgence nationale.

L’avion était posé sur le tarmac de la base d’Andrews de l’US Air Force, à la lisière de Washington, attendant de décoller pour Offutt, une base aérienne dans le Nebraska, le siège de la Strategic Air Command, lorsque le premier avion a frappé le World Trade Center à New York.

Censément, l’E-4B devait prendre part à un exercice militaire déjà prévu appelé Global Guardian impliquant une guerre nucléaire simulée. Quelques minutes seulement après le décollage, cependant, le Pentagone a été frappé par un certain type d’engin aérien et l’E-4B a immédiatement été retiré du prétendu exercice, devenant alors le centre de commandement et de contrôle du gouvernement américain actuel. Il a ensuite continué vers Offutt Air Base dans le Nebraska, où il a livré Scowcroft et son personnel au Centre de commandement national, leur destination d’origine, et où il a été rejoint plus tard ce jour-là par le président Bush et son personnel.

Scowcroft était alors chef du Foreign Intelligence Advisory Board et conseiller et ami du président Bush. Il ne faisait pas partie des forces armées, ayant pris sa retraite. C’était un civil. C’est Scowcroft qui plus tard a déconseillé aux États-Unis d’attaquer seuls l’Irak et qui a appelé à la construction d’une coalition pour envahir la place, afin de donner une couverture aux États-Unis, ce qui a finalement transpiré. Ni sa présence à bord de l’E-4B ce jour-là, ni pourquoi cet avion était prêt à être mis en action juste avant l’attaque du World Trade Center pour un exercice militaire présumé [Encore un ? Décidément… Ndt] impliquant une éventuelle guerre nucléaire, n’a jamais été expliqué de manière adéquate.

Je digresse, mais je suis sûr que vous ne pouvez pas me blâmer, car mon argumentaire ci-dessous va développer l’idée selon laquelle l’OTAN mettra en scène une série d’actions dans les pays baltes en utilisant des méthodes de guerre hybride, ou simplement en fabriquant des images qui seront utilisées pour créer un nouveau mythe destiné à justifier la guerre, le mythe que la Russie tente de s’emparer de la région baltique.

Le rapport vise essentiellement à fournir de la propagande aux gouvernements européens concernés, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne et la Norvège, propagande dont ils peuvent abreuver les gens par le canal des médias – qu’ils contrôlent pour la plupart – pour justifier l’augmentation des dépenses militaire et des forces militaires pour faire face à une menace de la Russie.

Il déclare à la page 6 que

L’invasion russe de Crimée, son soutien aux séparatistes et son invasion de l’est de l’Ukraine, ont effectivement déchiré le règlement post-guerre froide de l’Europe. Le président Vladimir Poutine a brisé toutes les conceptions d’un partenariat stratégique avec l’OTAN; à la place, la Russie est maintenant un adversaire stratégique de facto. Plus dangereusement encore, la menace est potentiellement existentielle, parce que Poutine a construit une dynamique internationale qui pourrait mettre la Russie sur une trajectoire de collision avec l’OTAN. Au centre de cette collision, il y aurait les populations russophones importantes dans les États baltes, dont les intérêts sont utilisés par le Kremlin pour justifier des actions agressives de la Russie dans la région. Aux termes de l’article 5 du Traité de Washington de l’OTAN, tout mouvement militaire de Poutine sur les États baltes déclencherait la guerre, potentiellement à l’échelle nucléaire, parce que les Russes intègrent des armes nucléaires dans tous les aspects de leur pensée militaire.

Cela conforte les avertissements lancés toute l’année dernière, d’un mouvement par l’OTAN dans les pays baltes, qui serait justifié par les opérations de guerre hybrides sous faux drapeau menées par l’OTAN, comme je l’ai dit à plusieurs reprises dans d’autres articles. C’est souligné par la recommandation figurant dans le rapport que «pour dissuader tout empiétement russe dans les pays baltes, l’OTAN devrait établir une présence permanente dans la région […] afin d’empêcher un coup d’État russe […]»

Tout au long du rapport, l’ennemi imaginaire est la Russie. Chaque segment écrit par un expert en analyse militaire de chacun des pays concernés dans le rapport, contient la propagande standard sur la Russie, et sur le fait que l’Europe est vulnérable et sur le point de tomber aux mains des hordes russes.

Le niveau d’intelligence qu’ils attendent du public doit être très faible, s’ils pensent vraiment qu’un document aussi fantaisiste pourrait être pris au sérieux comme une description de la réalité ou que leurs intentions pourraient ne pas être comprises pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire criminelles. Toute personne intelligente recevant un tel document le jetterait automatiquement à la poubelle. Dans ce cas, il faudrait immédiatement le récupérer pour y jeter un second coup d’œil, parce qu’ils nous disent ce qu’ils vont faire, ce qu’ils préparent. J’ai écrit dans mon dernier article que l’augmentation de l’accumulation de forces de l’OTAN, en Europe de l’Est en particulier, présente une certaine similitude avec celle des nazis lors de l’invasion de la Russie en 1941, l’opération Barbarossa. Cela en fait donc une opération Barbarossa 2.

Ce nouveau rapport ajoute du crédit à l’attente d’actions dangereuses dans les États baltes pour lesquelles la Russie sera blâmée. Ce n’est sans doute pas une coïncidence si le rapport a été publié au moment où le cessez-le-feu syrien devait entrer en vigueur. Les États-Unis, clairement bernés, mis hors jeu et hors combat par les Syriens, les Russes, les Iraniens et leurs alliés en Syrie, ont été forcés d’adhérer à un cessez-le-feu russe proposé récemment. Mais déjà, les Américains ont parlé de leur Plan B, le découpage de la Syrie, leur intention depuis le début. Nous pouvons nous attendre à ce qu’ils fassent tout leur possible pour le miner, s’engager dans une stratégie de lutte et de palabre, en gardant la Russie occupée en Syrie, avec une tension constante dans le Donbass, harcelant ses alliés que sont la Chine et l’Iran. Et maintenant nous pouvons nous attendre à ce qu’un nouveau front puisse être ouvert dans les États baltes. Quel gambitl’Otan va-t-elle utiliser pour créer ce front et une confrontation directe avec la Russie ?  Qui peut le dire? Mais il y en aura un – le gambit de la Baltique.

Bien sûr, il va sans dire, mais je vais le dire encore une fois, que tout cela est illégal en vertu du droit international, en vertu de la Charte des Nations Unies, qui prescrit les seuls moyens acceptables de régler les différends internationaux. Selon le Statut de Rome, le document pourrait être utilisé comme preuve contre les personnes qui l’ont écrit et fonder un procès sur la base d’une accusation de complot en vue de commettre des crimes de guerre. Mais je doute que le procureur de la Cour pénale internationale demandera à en lire une copie pour rédiger un acte d’accusation. Le procureur de la Cour ne fera absolument rien du tout pour que le rapport arrive sur son bureau, surtout si cela implique des pays sur lesquels elle a des compétences.

L’aspect inquiétant du document au final est qu’il appelle à la modernisation nucléaire. Ce qui signifie un réarmement et l’augmentation de la construction d’armes nucléaires et de systèmes de lanceurs, un appel pour plus d’armes nucléaires en provenance des mêmes pays qui pendant des mois ont attaqué la Corée du Nord pour avoir ce même genre d’armes. Vous devez le leur accorder : ils ont beaucoup de nerf. Le problème est qu’ils en ont trop et il semble vraiment qu’ils soient fous.

Alors, que peut faire la Russie? Eh bien, les Russes ont démontré le bluff américain en Syrie, alors pourquoi ne pas le faire à nouveau? Ce monde ne peut pas avoir la paix, sauf si la paix est la seule façon dont les choses peuvent être faites. La seule façon pour cela, est d’éliminer les armes nucléaires de sorte qu’aucune nation ne puisse plus menacer l’existence d’aucune autre. La section française du rapport signale avec joie que les groupes de désarmement nucléaire en France ne se donnent même plus la peine de mentionner la question. Aussi, seules de très faibles résistances peuvent être attendues ce trimestre. Cela vaut pour le monde entier. Mais si la Russie devait jeter le gant et appeler au désarmement mutuel, un rejet par les Américains soulignerait pour le moins l’importance pour l’humanité du désarmement nucléaire et ferait clairement savoir au monde qui est l’État agresseur. Sinon, ce sera le gambit des Balkans et tout ce qui va suivre.

Christopher Black

Article original en anglais : Operation Barbarossa 2: The Baltic Gambit, The New Eastern Outlook, 29 février 2016.

Traduit par Hervé, relu par nadine pour le Saker Francophone

Christopher Black est un avocat pénal international basé à Toronto, il est membre du Barreau du Haut-Canada et il est connu pour un certain nombre de cas très médiatisés, impliquant des droits humains et des crimes de guerre, en particulier pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

 

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