Les États-Unis d’Amérique, Israël et l’Arabie saoudite en ont marre de l’Iran et de ses alliés au Moyen-Orient. Mais malgré la guerre menée contre la Syrie et le Hezbollah au Liban, l’invitation au gouvernement irakien à affaiblir al-Hashd al-Shaabi, la tentative de soumettre Gaza et de réprimer les Houthis au Yémen, il n’a pas été possible de rompre les puissantes alliances iraniennes à travers le Moyen-Orient. De plus, grâce à des élections démocratiques, les alliés de l’Iran au Liban et en Irak ont ​​réussi à faire partie du Parlement et à avoir des ministres dans les cabinets des pays respectifs. De plus, en Syrie, le puissant allié de l’Iran, le président Bachar al-Assad, continue de diriger le pays malgré des années de guerre et les tentatives, par le biais d’interventions étrangères et nationales, de le renverser du pouvoir. Mais les manifestations civiles – avec des revendications légitimes contre la corruption et la mauvaise gestion de la richesse par l’élite en Irak et au Liban au fil des années – provoquent des ravages dans ces pays, ébranlant la stabilité et mettant ainsi l’Iran et ses alliés en alerte. L’Axe de la Résistance organise régulièrement des réunions pour évaluer la situation, les menaces éventuelles et le degré d’implication des puissances étrangères dans les rues pour tenter de réduire l’Axe.

Au Liban, après deux semaines de manifestations couvrant l’ensemble du pays, le Premier ministre libanais Saad Hariri a proposé sa démission et est devenu un tuteur, dirigeant un cabinet également démissionnaire. Cette action a calmé les manifestants pendant quelques jours, mais il n’est pas certain que cela satisfasse les jeunes Libanais sans emploi et affamés, ainsi que ceux qui luttent contre la corruption. Ils s’attendent à ce que leurs revendications soient également prises en compte à moyen et long terme. Dans le même temps, il faut tenir compte de l’escalade de la dette nationale.

Il n’est pas clair qu’un nouveau gouvernement se formera ce mois-ci, ni même dans les mois à venir. Hariri a discuté de ses plans avec les principaux partis politiques, affirmant sa volonté de former un cabinet de technocrates. Son but est de répondre à certaines des demandes des manifestants, mais également de renvoyer le puissant membre chrétien du Parlement (MP) et ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, à la tête du plus grand groupe de députés du pays. La demande de Hariri a été contestée car “un chef politique – Hariri dirige un grand parti – ne peut diriger un cabinet non politique sans un gouverneur mixte composé d’hommes politiques et de technocrates qualifiés”. Par exemple, d’autres options ont été avancées pour demander à Hariri de former un gouvernement politico-technocrate pour sortir le pays de l’impasse actuelle.

Les complications nationales et internationales sont énormes et affectent de manière cruciale le succès ou l’échec de tout futur gouvernement libanais. L’administration américaine en particulier – comme annoncé par le département d’État – attend, au coin de la rue, de pouvoir imposer de nouvelles sanctions au Liban et en particulier aux alliés du Hezbollah. Bassil, gendre du Président et puissant allié du Hezbollah, est considéré par le Département d’État américain comme persona non grata en raison de son soutien explicite à l’ennemi déclaré de Washington, le Hezbollah, un groupe politique chiite, qui a noué une alliance avec le groupe politique chrétien le plus puissant du pays. Cette alliance inquiète énormément tous les ennemis du Hezbollah car elle confère à l’allié iranien une dimension non sectaire et un soutien international via les chrétiens du Liban. Les États-Unis se retrouvent avec un petit allié chrétien, Samir Geagea, qui était il y a quelques années l’allié le plus proche d’Israël et qui est devenu le plus cher partisan de l’Arabie saoudite. Les hommes de Geagea sont dispersés dans les rues du Liban, empêchant les civils d’accéder à leurs affaires et demandant au Hezbollah de déposer les armes.

Cela pousse le Hezbollah à tenir ses alliés proches proche de lui, partageant avec eux un destin commun et consolidant son emprise nationale sur l’arène politique du pays. Par conséquent, la question à clarifier ici est de savoir si l’avenir promet un gouvernement prospère ou – ce qui est le plus probable – un vide politique.

De manière générale, les critiques les plus sévères à l’égard du Hezbollah, allié de l’Iran au Liban, et de son corps armé le plus puissant viennent des médias grand public, qui trouvent apparemment intéressant d’associer l’Iran et ses alliés à chaque événement. En réalité, très peu de voix, dans les rues du Liban, se font entendre contre le Hezbollah. Celles-ci proviennent principalement de régions sous le contrôle du dirigeant des «Forces libanaises», Samir Geagea, qui émarge sur les feuilles de paie des États-Unis et de l’Arabie saoudite avec pour objectif clair de renforcer son image. Les ministres de Geagea ont offert leur démission dès le premier jour des manifestations pour se démarquer du gouvernement auquel ils appartenaient ces dernières années. Il a été le seul à quitter le cabinet. Ses hommes ferment les rues sur des sections importantes des principales routes dans les zones à prédominance chrétienne pour améliorer ses conditions de négociation dans tout futur cabinet.

Ce qui est inhabituel, c’est le rôle de l’armée libanaise et de son commandant en chef, le général Josef Aoun, parent du président actuel Michel Aoun. En fait, l’armée est régie par le code d’urgence n ° 3, ce qui lui permet d’intervenir pour protéger le pays contre les menaces internes et externes. Des sources au sein du commandement militaire ont déclaré :

“Le général Aoun subit la pression des États-Unis qui l’ont invité à ne pas utiliser l’armée contre les manifestants, même si ceux-ci ferment les routes principales qui relient tout le pays du sud au nord et à l’est. Des délégations de l’ambassade des États-Unis se sont rendues régulièrement auprès du général pour s’assurer que le pays était ‘sous le contrôle des manifestants’ plutôt que sous celui des forces de sécurité. Le comportement du chef de l’armée gêne le président, un allié du Hezbollah, dans le but de montrer que le mandat du président est instable en raison de ses choix politiques et de son lien avec le Hezbollah, ce qui devrait permettre au commandant du chef de l’armée de devenir président. A l’avenir”.

Des sources bien informées à Beyrouth estiment que la fermeture de la route reliant le sud du Liban à Beyrouth et la vallée de la Bekaa et Beyrouth – fiefs de chiites – ne constitue pas un geste innocent. Le but est d’amener le Hezbollah dans les rues et de déclencher une nouvelle guerre civile dans le pays, le déstabilisant pour les années à venir.

Le Hezbollah semble très conscient de ce plan et de son potentiel négatif.

Elijah J. Magnier

 

Traduit de l’anglais par jj Gabriel.

Deuxième partie :

Manifestants au Liban et en Irak: les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite en ont assez de l’Iran (2/4)

 

Troisième partie :

Manifestants au Liban et en Irak: les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite en ont assez de l’Iran (3/4)

 

Manifestants au Liban et en Irak: les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite en ont assez de l’Iran (4/4)

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Photo : Le 4 novembre 2019, des photos prises lors de l’ouverture du mur de Berlin le 9 novembre 1989 sont projetées sur des immeubles de l’Alexanderplatz à Berlin, dans le cadre des célébrations du trentième anniversaire de l’événement. John MacDougall/AFP

Trente ans plus tard, la fête n’est plus aussi belle que le 9 novembre 1989 quand est tombé le mur de Berlin sous la pression des Berlinois de l’Est venus vérifier s’il était bien « ouvert » comme venait de le déclarer, lors d’une conférence de presse, le porte-parole nouvellement nommé du SED (le parti communiste au pouvoir en RDA).

On en oublierait presque la liesse de ces Berlinois de l’Est déferlant à pied ou dans leurs petites voitures Trabant vers Berlin-Ouest où les accueillaient à bras ouverts les Berlinois de l’Ouest qui avaient, à leur tour, investi le mur devant la porte de Brandebourg. Aujourd’hui, c’est plutôt le désenchantement qui primerait. Les termes de « Wessis » et de « Ossis », qui avaient pratiquement disparu du vocabulaire courant ces dernières années, font leur retour ; on évoque également un « rétablissement du mur dans les têtes », tant serait grand le fossé entre l’Est et l’Ouest. La montée de l’extrême droite dans les Länder de l’Est, dans des proportions nettement plus importantes que dans l’Ouest du pays, est un indice parmi d’autres de ce malaise.

Günter Schabowski

On voit également réapparaître l’idée que l’unification n’aurait été rien d’autre qu’une « annexion » suivie de « prédations » ouest-allemandes, comme l’écrivent deux journalistes berlinois dans le Monde Diplomatique de novembre 2019. La chaîne de télévision LCP fait s’exprimer dans son documentaire « À l’est de nos mémoires », diffusé le 2 novembre dernier, l’ancien procureur général de la RDA, Hans Bauer, qui s’insurge contre l’idée que l’on puisse qualifier la RDA d’« État de non-droit » et rappelle les mérites de son anti-fascisme et de sa politique de « compréhension internationale ». Il fait ainsi revivre les mythes fondateurs de la RDA quand il aurait fallu les interroger et les déconstruire. Dans ce contexte qui voit renaître la nostalgie d’un pays disparu – ce qu’on appelle en Allemagne « Ostalgie » (nostalgie de l’Est) –, il apparaît nécessaire de vérifier si l’Allemagne de l’Est a effectivement été la grande perdante de l’unification.

Le mur, novembre 1989. Reuters

Les attentes des Allemands de l’Est en 1989-1990

Le service de la sécurité de l’État, la Stasi, connaît parfaitement les motifs qui poussent à l’été 1989 les Allemands de l’Est à fuir leur pays : problèmes d’approvisionnement, absence de libertés individuelles, impossibilité de se rendre librement à l’Ouest, insuffisance des services, carences de l’encadrement médical, mauvaises conditions de travail et inégalités face aux promotions, stagnation des salaires, comportement bureaucratique des cadres de l’État et des entreprises, politique d’information pratiquée par la RDA, etc.

Même s’ils reconnaissent les aspects positifs du régime – la sécurité de l’emploi et le sentiment d’être pris en charge par l’État –, les citoyens de RDA et, spécialement, les forces vives du pays, les 25-40 ans, sont nombreux à emprunter dès qu’ils le peuvent le chemin de l’Ouest. Le mouvement de fuite semble irrésistible. Le slogan des premières manifestations en RDA est alors « Wir wollen raus ! » (Nous voulons partir). Il est pourtant bientôt relayé par un autre : « Wir bleiben hier ! » (Nous restons ici). C’est celui des mouvements de citoyens qui ont éclos un peu partout en RDA, particulièrement à Leipzig et Berlin, dans le courant des années 1980. Leur objectif est de transformer par le dialogue la RDA en un véritable État démocratique et socialiste. Dans la rue, ils scandent qu’ils sont le peuple (« Wir sind das Volk ! »). L’ouverture du mur met très vite un terme à leur illusion d’une troisième voie en RDA. À ce slogan succède, en effet, un autre qui, lui, affirme que « nous sommes un seul et même peuple » (« Wir sind ein Volk »). Le gouvernement Modrow, mis en place le 13 novembre, favorise la réflexion sur la « question allemande » en évoquant la création d’une confédération réunissant RDA et RFA, une idée qui a été validée au préalable à Moscou. Le chancelier Helmut Kohl propose quelques jours plus tard, dans son plan en 10 points, d’aller plus loin encore pour aboutir un jour à la création d’une fédération en bonne et due forme, donc d’un État allemand fédéral unifié.

L’unification n’a assurément pas ouvert la voie à la recherche en Allemagne d’une démocratie socialiste comme le souhaitait une partie des mouvements de citoyens qui ont fait la révolution pacifique de l’automne 1989 ; mais elle a satisfait le besoin de liberté et de voyager des Allemands de l’Est. Elle les a par ailleurs, comme nous allons le voir, contraints à réviser l’image idéalisée qu’ils avaient de l’Allemagne de l’Ouest.

Ouverture du « rideau de fer » lors du pique-nique européen de Sopron, à la frontière austro-hongroise, le 19 août 1989. Tamás Lobenwein/Paneuropean Picnic’ 89 Foundation

Les contrecoups de l’union monétaire

Les slogans utilisés lors des manifestations sont révélateurs de l’évolution des mentalités en RDA. Ils tournent désormais autour du deutschmark ouest-allemand, le DMark : « Si le DMark ne vient pas à nous, c’est nous qui irons à lui ! » En clair, les fuites d’est en ouest ne cesseront pas tant que le DMark n’aura pas été introduit en RDA, où il joue d’ailleurs, depuis des années déjà, le rôle de monnaie parallèle. Le nouveau gouvernement est-allemand formé au terme des premières élections libres du 18 mars 1990 et dirigé par le premier ministre Lothar de Maizière (CDU), engage rapidement le processus de réunification. La première étape est l’introduction du DMark en RDA à compter du 1er juillet 1990. Par le traité d’union monétaire, la RDA adopte en même temps l’essentiel des principes politiques, économiques et sociaux de la RFA, il conduira à la signature le 31 août du traité d’unification (textuellement : traité établissant l’unité de l’Allemagne) qui prendra effet le 3 octobre et par lequel les Länder nouvellement rétablis en RDA adhèrent, au terme de l’article 23 de la Loi fondamentale qui devient ainsi la constitution de l’ensemble de l’Allemagne.

File d’attente devant une banque lors du passage en RDA au deutschmark. DPA

Bien que prévenu par le président de la Banque fédérale, Otto Pohl, des dangers d’une union monétaire rapide à un taux de conversion qui ne correspondrait pas à l’état de l’économie est-allemande, le chancelier Kohl choisit pour les salaires et les prix courants un taux de conversion 1 à 1 entre le Mark ouest-allemand et le Mark est-allemand, avec cependant des aménagements non négligeables pour l’épargne et les biens fonciers, ce qui porte le taux de conversion global à environ 1 pour 3. Ce qui importait au chancelier, c’était de ne pas donner aux Allemands de l’Est le sentiment d’être déclassés par rapport à l’Ouest. Un taux de 1 à 3 ou même à 4 aurait été plus réaliste mais, estimait-il, psychologiquement inacceptable.

L’union monétaire a pour effet de livrer sans préparation les entreprises est-allemandes à l’ensemble du marché allemand, européen et mondial en même temps qu’elles sont privatisées. Les faillites entraînent la disparition de quelque 3,5 millions d’emplois sur les 10 millions préalablement existants. La RFA a choisi pour la RDA une fin brutale plutôt qu’une lente agonie. Les taux de chômage grimpent au début des années 1990 jusqu’à près de 20 % en moyenne dans des régions devenues les nouveaux Länder de l’Est. H Kohl avait promis aux Allemands de l’Est des « paysages florissants » mais c’est le désenchantement qui s’installe. Les Allemands de l’Est contribuent eux-mêmes dans une certaine mesure à l’effondrement de leur économie en négligeant leurs produits au profit de ceux de l’ouest. La construction de la Trabant est abandonnée dès 1990 parce que peu performante, peu confortable et extrêmement polluante. Aujourd’hui, sur les chaînes de montage de Zwickau, en Saxe, ce sont des Golf qui sont assemblées. Les restructurations engagées par un office fiduciaire (Treuhand) pour gérer, conformément à des critères de rentabilité sur un marché ouvert, la privatisation des entreprises après leur assainissement ou leur restitution à leurs anciens propriétaires – un processus qui provoquera des retards à la re-création d’emplois – sont achevées en un temps record de quatre années.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

L’unification poursuivait, entre autres objectifs, celui d’endiguer le flot des fuites d’Est en Ouest. À compter de 1990, il ne s’agit plus de fuites mais de mouvements migratoires internes. Et ils demeurent considérables. Ces migrations contribuent à la désertification de territoires entiers de l’ex-RDA en même temps qu’au vieillissement et à la masculinisation de leurs populations, dans la mesure où ce sont les plus jeunes qui partent pour l’ouest, et davantage les femmes que les hommes. Jusqu’en 2017, 3,7 millions d’Allemands de l’Est sont passés à l’ouest. Dans le même temps, 2,45 millions d’Allemands de l’Ouest sont venus s’installer à l’Est, ce qui donne pour les Länder de l’Est un solde démographique négatif de 1,2 million de personnes.

Premier indice que l’unification, au moins sur le plan démographique, est en train de se faire : en 2017, pour la première fois, l’installation d’Allemands de l’Ouest en Allemagne de l’Est a dépassé celle des Allemands de l’Est à l’Ouest. L’explication en est l’attractivité de villes telles que Potsdam, à la périphérie de Berlin, et surtout de Leipzig. Ce phénomène réduit la pertinence des notions de « Wessis » et d’« Ossis ».

Le 9 octobre 2019, des personnes allument des bougies formant l’inscription « Leipzig 89 » pour commémorer le rassemblement pacifique tenu trente ans plus tôt dans cette ville, alors en RDA, pour réclamer l’ouverture de la frontière avec la RFA.
images/Eckehard Schulz

Il reste que, malgré les transferts financiers d’Ouest en Est (de l’ordre d’1,6 billion d’euros de 1990 à 2017) visant à mettre à niveau l’Allemagne de l’Est, celle-ci n’est toujours pas parvenue à rattraper l’Ouest en termes de performances économiques et de niveau de vie. En 1990, le PIB par habitant était à l’Est de 7 343 euros (contre 22 687 à l’Ouest). En 2018, il fut de 29 664 (contre 42 971 euros). Il a donc été multiplié par quatre en près de trente ans. Il ne représente toutefois que 69 % du PIB par habitant à l’ouest, mais ce ratio était de 32 % en 1990.

La productivité (PIB non par habitant mais par salarié) de l’Est ne s’élevait en 1990 qu’à 43 % de celle de l’Ouest ; elle est désormais de 82 %. Le chômage a décliné partout en Allemagne, y compris à l’Est. Entre 2010 et 2018, le taux de chômage dans les anciennes régions de RDA est passé de 12 % à 6,9 % ; en 2018, il a été de 4,8 % à l’ouest, une différence donc de 2 points de pourcentage, le taux de chômage pour l’ensemble du pays étant de 5,2 %. Les salaires pratiqués à l’Est sont encore de 16,9 % inférieurs à ceux de l’Ouest, ce qui serait dû en partie au fait que les entreprises sont moins nombreuses à adhèrer aux conventions collectives à l’Est (45 %) qu’à l’Ouest (56 %).

L’Allemagne de l’Est va mieux, mais continue d’accuser un indéniable retard par rapport à l’Ouest. C’est pourquoi le gouvernement fédéral vient de mettre en place, sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, une « Commission pour réaliser dans toute l’Allemagne des conditions semblables de vie » dont le plan porte en priorité sur l’aide à l’emploi, l’aide aux communes surendettées, l’amélioration de la couverture des territoires ruraux par les réseaux mobiles et l’Internet à très haut débit, ainsi que leur meilleure intégration dans le réseau routier.

Une génération n’a pas suffi à réaliser pleinement ce qu’on appelle en allemand l’« unité intérieure » du pays ». Celui-ci, du fait de la déconfiture des grands partis traditionnels et de la poussée de l’extrême droite, donne même aujourd’hui plutôt le sentiment que l’Est et l’Ouest seraient plus séparés que jamais. Il n’en reste pas moins indéniable que de réels progrès ont été réalisés. En réalité, ce sont les mentalités qui évoluent le plus lentement…

Jérôme Vaillant

 

Jérôme Vaillant : Professeur émérite de civilisation allemande, Université de Lille

Comment éviter l’apocalypse nucléaire?

novembre 8th, 2019 by William Perry

Dans une interview donnée au Bulletin of Atomic Scientists, l’ancien secrétaire américain à la Défense William Perry, directeur émérite de Nuclear Threat Initiative et fondateur du William J. Perry Project destiné à sensibiliser le grand public sur le danger des armes nucléaires, expose ses propositions pour éviter l’apocalypse nucléaire.

Il maintient notamment qu’il est nécessaire, par des simulations réalistes ou des œuvres de fiction, de montrer la catastrophe nucléaire telle qu’elle pourrait se produire, afin que les dirigeants prennent conscience du danger réel de la situation ainsi que les mesures adéquates pour s’en éloigner.

De même, il estime indispensable que Washington adopte une politique de no-first-use, afin d’éviter le risque d’une erreur de calcul résultant dans guerre nucléaire accidentelle.

Enfin, il estime que les projets actuellement étudiés par plusieurs Etats pour développer les armes nucléaires tactiques ou de faible puissance ne sont qu’une manière de préserver une technologie militaire obsolète et désormais bien plus nocive que bénéfique à la sécurité internationale.

 

Résumé en français par l’IDN

Lire l’article en anglais

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L’intérêt principal de la France dans la région de l’Europe du Sud-Est n’était fondamentalement pas politique mais économique. La région était perçue par les responsables politiques français comme étant essentiellement importante en raison des trois points suivants :

  • En tant qu’espace privilégié pour l’investissement de la capitale financière française.
  • En tant que région étant le lien routier le plus approprié avec l’Empire ottoman.
  • En tant qu’ancrage de la domination économique française sur l’Est de la Méditerranée 1.

La politique française du statu quo dans les Balkans

À cet égard, la pénétration économique française dans la région, suivie d’un investissement du capital financier français dans tous les pays des Balkans, a connu un succès notable dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est particulièrement vrai pour la Serbie, la Bulgarie et la Grèce. Le Royaume de Serbie est devenu l’un des pays des Balkans les plus dépendants des capitaux financiers français, surtout après 1881, date à laquelle l’entreprise française General Union a accordé le prêt le plus élevé pour la construction de la première ligne ferroviaire de Serbie (Belgrade-Niš). La Serbie est devenue plus dépendante de la capitale française en 1910 lorsque la banque franco-serbe a été créée avec la prédominance de la capitale française. Ainsi, à la veille des guerres des Balkans de 1912-1913, les capitaux français d’investissement dominaient en Serbie. Toutefois, les concessions économiques françaises étaient étroitement liées à la politique française dans la région. En conséquence, le gouvernement français contrôlait dans une large mesure la politique étrangère de la Serbie.

Cependant, l’objet principal de l’assujettissement financier français dans la région de l’Europe du Sud-Est était, en fait, l’Empire ottoman. Les financiers et hommes d’affaires français ont financé environ 32% de la Compagnie des chemins de fer de Bagdad, tandis que 63% du prêt de l’État ottoman devait être payé pour la France. Néanmoins, ce qui était le plus important, c’était qu’un nombre prédominant d’actions de la Banque Ottomane de l’État appartenait à la France. Ainsi, les entrepreneurs français ont obtenu des concessions très importantes pour la construction des lignes ferroviaires ottomanes en Anatolie, en Arménie et en Syrie. Par la suite, les concepteurs de la politique étrangère française en relation avec les Balkans ont dû sérieusement prendre en considération les intérêts économiques des financiers et des hommes d’affaires français. Les entrepreneurs français, cependant, afin de gagner de l’argent à l’intérieur de l’Empire ottoman, ont réalisé que l’Empire ottoman ne devait pas être territorialement et politiquement désintégré ou démembré. En outre, ils soutenaient l’idée d’une réforme ottomane économique, institutionnelle et politique ainsi que sur la prospérité. Pour faire court, le capital financier et les investissements français ne faisaient des bénéfices que dans un Empire ottoman réformé et prospère, mais pas dans un Empire politiquement désintégré. Le principe fondamental de cette économie politique est devenu la référence en matière de politique du statu quo français dans les Balkans 2.

L’approche française à l’égard de la Ligue des Balkans de la Serbie, du Monténégro, de la Bulgarie et de la Grèce, en particulier en ce qui concerne l’accord serbo-bulgare, avait deux poids deux mesures. D’une part, Paris était en désaccord avec la création d’une telle alliance si elle était dirigée contre l’intégrité territoriale ottomane. D’un autre côté, Paris a soutenu l’établissement de l’alliance au cas où elle accepterait une orientation politique anti-austro-hongroise, mais pas une orientation anti-ottomane. Le gouvernement français l’a clairement fait remarquer au premier ministre bulgare, M. Geshov : les objectifs de la France à l’Est étaient de préserver à la fois l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman et le statu quo politique dans les Balkans.

Il faut dire que la politique française de bonnes et très amicales relations avec l’Empire ottoman remonte déjà à 1535, lorsque le gouvernement français a conclu le premier accord bilatéral avec le sultan ottoman et la Sublime Porte (le gouvernement) 3. Lors des préparatifs des guerres des Balkans de 1912-1913, le premier ministre français Raymond Poincaré rendit visite à l’empereur russe à Saint-Pétersbourg en août 1912, et il fit remarquer que la Ligue des Balkans de la Bulgarie, la Serbie, le Monténégro et la Grèce n’était pas la bienvenue en France car elle était conçue comme la coalition militaire et politique anti-ottomane 4.

Serbian Day
Une affiche pour la « Journée serbe » organisée en France le 25 juin 1916, montrant des soldats français et serbes côte à côte.

 

La principale raison de l’animosité française à l’égard de la Ligue des Balkans était l’évaluation française qu’un tel bloc politico-militaire serait sous le contrôle politique russe et finalement utilisé contre les intérêts économiques et politiques français dans les Balkans. L’article du contrat de 1912 entre la Serbie et la Bulgarie sur le rôle d’arbitre de l’empereur russe Nicolas II dans la controverse serbo-bulgare sur la division de la Macédoine a rendu Paris soupçonneux quant à la conception de toute forme de coopération des pays des Balkans. En d’autres termes, la Ligue des Balkans de 1912 était considérée par la France comme une alliance militaro-politique sous le patronage de la Russie, qui serait utilisée par l’empereur russe pour aider la Russie à gagner le détroit et Constantinople. L’administration française n’a donc pas accordé de prêt d’État à la Bulgarie à l’automne 1912, craignant que ce prêt (180 millions de francs) ne soit utilisé pour changer le statu quo balkanique, c’est-à-dire pour la guerre contre l’Empire ottoman 5, comme le soulignent les mémoires politico-diplomatiques de Raymond Poincaré 6. La presse française, comme le journal parisien le Figaro, partageait son opinion. Cependant, lorsque les pays des Balkans eurent déjà vaincu l’Empire ottoman au printemps 1913, la diplomatie française tenta de coopérer avec la Russie afin de transformer l’alliance en bloc militaire contre la double monarchie d’Autriche-Hongrie 7.

La politique britannique de l’équilibre des pouvoirs en Europe et dans les Balkans

La politique britannique dans les Balkans, de même que la politique française, a suivi essentiellement ses propres intérêts économiques dans la région. Les capitaux financiers du Royaume-Uni étaient présents dans chacun des pays des Balkans, mais ont surtout exercé une influence dans l’Empire ottoman. Au début du XXe siècle, les marchands britanniques contrôlaient la plus grande partie du commerce ottoman d’import-export 8. Par exemple, 35 % des importations ottomanes totales provenaient du Royaume-Uni. Les entrepreneurs britanniques se sont montrés particulièrement intéressés par l’exploitation des champs pétrolifères ottomans au Moyen-Orient. Autre exemple, la compagnie anglo-persane avec la compagnie Shell avait environ 75% des investissements dans la Compagnie Pétrolière Turque qui avait le monopole de l’exploitation du pétrole dans l’Empire ottoman. La situation était similaire en ce qui concerne le commerce ottoman du coton, qui était principalement entre les mains des Britanniques. Désormais, le golfe Persique était considéré par les hommes d’affaires britanniques comme le terrain de la première priorité de la stratégie économique et politique de la Grande Bretagne envers l’Empire ottoman. Cependant, la Russie avait un intérêt similaire sur le Golfe alors qu’elle était un allié militaro-politique du Royaume-Uni. Les compétitions russo-britanniques sur les champs pétrolifères persans et ottomans et d’autres richesses naturelles ont été temporairement réglées par l’accord sur les zones d’influence entre Saint-Pétersbourg et Londres en 1907. Selon cet accord, le territoire persan était divisé sur les sphères d’influence économique et politique du nord de la Russie et du sud-est de la Grande-Bretagne. Néanmoins, le territoire principal (partie centrale de la Perse), pomme de discorde entre la Russie et le Royaume-Uni, est resté indivisé. La ligne d’influence russe s’étendait de la rivière Heri-Rud à l’est jusqu’à la ville de Jäsd au sud et finalement au sud du Kurdistan à l’ouest. La bande de démarcation britannique de la sphère d’influence en Perse va de la ville de Burudschänd au nord-est à la ville de Kirman à l’ouest et se termine dans le port de Bändär Abbas au sud9.

Peace conference
Faisal bin Hussein bin Ali al-Hashemi (au centre) avec des délégués dont Lawrence d’Arabie (le troisième à droite, avec la coiffe) à Versailles pendant la conférence de paix de Paris en 1919.

 

Pour le Royaume-Uni, le golfe Persique avait un autre point d’importance car, dans cette région, la ligne ferroviaire Bagdad-Basra devait être terminée. Ainsi, afin d’élargir son propre territoire du protectorat dans la région du golfe Persique, la politique étrangère britannique s’est efforcée d’arracher les terres du Koweït à l’Empire ottoman et de créer un État koweïtien semi-indépendant sous le patronage britannique. La première phase de ce plan a été achevée avec succès en 1899, tandis que la seconde a été réalisée en 1913, c’est-à-dire pendant les guerres des Balkans 10.

Des sources historiques indiquent que l’Empire ottoman a été forcé de céder le territoire du Koweït en 1913 au protectorat de la Grande Bretagne afin d’obtenir le soutien britannique sur la question de l’Albanie – une province de l’Empire ottoman qui était alors sous l’occupation militaire de la Serbie et de la Grèce. La stratégie diplomatique britannique considérait son influence dans le golfe Persique comme un contrepoids à l’influence austro-italienne en Albanie et dans le détroit d’Otrante. Ce n’est pas par amour de la vérité que l’establishment britannique au pouvoir a exigé, lors de la Conférence de Londres des ambassadeurs sur l’Albanie, d’obtenir le protectorat britannique sur le Koweït en échange du protectorat austro-hongrois et italien sur l’État indépendant albanais de jure qui devrait être reconnu après les guerres des Balkans de 1912-1913 11.

L’influence politique de la diplomatie britannique dans l’Empire ottoman a été maintenue par de nombreux officiers et représentants britanniques qui ont travaillé dans différents secteurs des bureaux et organisations de l’État ottoman. Les Britanniques sont devenus en premier lieu influents dans les ministères ottomans en tant que conseillers employés dans les différents secteurs du gouvernement.

La capitale financière britannique a progressivement été de plus en plus présente dans la vie économique de la Serbie pendant et après la « guerre douanière »serbo-austro-hongroise de 1906-1911. Les financiers britanniques étaient intéressés par le projet de construction d’une ligne de chemin de fer Adriatique pour relier Belgrade à la mer Adriatique. Selon le projet de construction, l’une de ses branches traverserait la Serbie jusqu’au Danube et à la mer Noire, tandis qu’une autre relierait l’Albanie à Salonique et Istanbul. La partie cruciale du commerce britannique avec l’Albanie, la Grèce, la Serbie et le Monténégro était détenue par le Comité des Balkans des frères Begston. Cependant, la politique du Comité des Balkans était d’obtenir un statut autonome pour la Macédoine et l’Albanie au sein de l’Empire ottoman afin de fournir de meilleures conditions pour l’investissement de ses capitaux dans cette région 12.

La politique étrangère britannique à l’égard de l’Empire ottoman et de l’Europe du Sud-Est était intégrée à la politique générale britannique à l’égard des affaires européennes. Cette politique soutenait l’idée de maintenir « l’équilibre européen des pouvoirs ». En raison de cette politique, l’Empire ottoman a protégé sa propre intégrité territoriale pendant des décennies. La Grande Bretagne préfère, de même que la France, maintenir en vie l’« homme malade sur le Bosphore » pour la simple raison de ne pas permettre à la Russie de profiter de la désintégration de l’Empire ottoman et d’établir son protectorat sur les chrétiens orthodoxes des Balkans 13. En fait, le Royaume-Uni est le principal adversaire à la conception russe de créer un grand État slave uni des Balkans sous son égide. Cependant, après la Révolution des jeunes turques pro-allemande de 1908 à Istanbul 14 et, à partir de la même année, l’annexion austro-hongroise de la Bosnie-Herzégovine 15, les Britanniques ont commencé à coopérer plus étroitement avec la Russie et la France dans les Balkans. L’objectif de ce partenariat était d’empêcher la pénétration de la « Marche vers l’Est » germanique en Europe du Sud-Est et au Proche-Orient. Le ministre britannique des Affaires étrangères Edward Grey a lancé l’idée d’une coalition balkanique dans les années qui ont suivi comme une barrière à la pénétration plus profonde des Habsbourg dans les Balkans 16. La diplomatie britannique a travaillé pour inclure la Grèce dans la coalition afin d’exercer sa propre influence sur la Ligue des Balkans. Dans le même temps, la Grèce ferait une alliance qui ne serait pas en mesure de se soumettre à la politique russe dans les Balkans 17.

La Russie avance vers le détroit

L’influence financière de la Russie dans les économies des pays des Balkans au début du XXe siècle était nettement moindre que celle de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie, de l’Italie, de la Grande-Bretagne et de la France. En outre, l’influence financière russe dans la vie économique ottomane était presque inexistante. Les échanges commerciaux entre la Russie et l’Empire ottoman étaient sous-développés. De plus, contrairement aux autres membres des grandes puissances européennes, la Russie n’avait pas une seule concession pour la construction d’une ligne ferroviaire dans l’Empire ottoman. Cependant, la présence des capitaux russe s’est progressivement accrue en Bulgarie et en Serbie après le Congrès de Berlin de 1878. Les entrepreneurs russes n’ont toutefois pas réussi à obtenir des concessions de construction ferroviaire très importantes pour les lignes Sophia-Ruse et du Danube vers la mer Adriatique. C’était jusqu’à présent l’indicateur le plus pertinent que la Russie perdait ses positions politico-économiques en Europe du Sud-Est, principalement pour le compte de la double monarchie d’Autriche-Hongrie.

La capitale russe mit les pieds en Serbie en 1867 lorsque le gouvernement serbe du prince Mihailo (Michael) Obrenović obtint le premier prêt de l’État russe. Le prêt était alloué à la préparation militaire de la Serbie à la guerre contre l’Empire ottoman. La nature principale de ce prêt était d’ordre politique, mais non économique. Ce cas avec le prêt russe indique que la Principauté de Serbie de l’époque avait l’intention de lier son destin politique aux événements à venir avec la Russie 18. Il montre clairement deux missions diplomatiques des diplomates serbes Jovan Marinović et Milan Petronijević à Moscou et à Saint-Pétersbourg respectivement à l’automne 1866 et au printemps 1867 19. Durant sa visite à Moscou en novembre 1866, J. Marinović promit au gouvernement russe que l’Empereur russe serait informé sur chaque action diplomatique de la Serbie en Europe du Sud Est. En fait, l’obligation de la Serbie était la première condition sous laquelle le gouvernement impérial russe était disposé à soutenir la Serbie et sa politique étrangère 20. Le deuxième prêt de la Russie à la Serbie fut pris en 1876 à nouveau pour préparer la guerre contre l’Empire ottoman (au moment de la grande crise orientale de 1875-1878). Ce lien politico-économique serbe avec la Russie a conduit le gouvernement serbe à conclure le premier contrat commercial avec la Russie en 1892.

La politique de la Russie à l’égard de l’Empire ottoman était totalement différente des politiques britannique et française à l’égard du même pays. Alors que Londres et Paris avaient l’intention de prolonger l’existence territoriale de l’Empire ottoman dans les Balkans, les politiciens de Saint-Pétersbourg visaient à créer un nouvel ordre balkanique mais sans la présence ottomane dans la région. En d’autres termes, selon la conception russe de la résolution de la question balkanique, l’Empire ottoman devait perdre toutes ses possessions européennes avec la capitale Istanbul et le détroit 21. Le Bosphore, la mer de Marmara et les Dardanelles, toutes parties du territoire de l’Empire ottoman, étaient pour le commerce et la marine russes d’une importance capitale. Par conséquent, le premier objectif de la politique étrangère russe était d’obtenir le contrôle sur ces trois objets d’intérêt géostratégiques. Les Russes croyaient que cette idée ne pourrait se réaliser que dans le cas où Istanbul (Constantinople) serait sous administration russe directe ou au moins sous protectorat. Bientôt, selon le concept russe de réorganisation des affaires balkaniques, la place de l’Empire ottoman n’était réservée qu’à l’Asie Mineure, mais pas au Sud-Est de l’Europe 22. Le contrôle du détroit avec Constantinople est devenu un véritable mythe historique russe 23. Les Russes avaient particulièrement peur que l’Allemagne occupe le détroit dans le cas de la désintégration territoriale ottomane. Selon l’opinion russe, dans ce cas, c’est toute la vie économique du sud de la Russie qui serait encadrée par l’Allemagne 24. Les détroits étaient importants pour l’économie russe car ils reliaient le commerce de la mer Noire russe aux marchés de la Méditerranée et de l’Extrême-Orient. En outre, le détroit était le principal lien outre-mer entre les possessions de la mer Baltique russe et les terres du sud de l’Empire russe. L’exportation par la Russie de maïs du territoire de l’Ukraine actuelle et de pétrole russe du Caucase dépendait fortement du libre passage dans le détroit et la mer de Marmara 25.

La diplomatie russe a constaté que le meilleur moyen d’obtenir le protectorat de la Russie sur le détroit et la mer de Marmara était de soutenir le mouvement de libération des Slaves orthodoxes des Balkans contre l’autorité ottomane. Enfin, la Serbie, le Monténégro et la Bulgarie indépendants mais sous protectorat russe, devraient fournir à la Russie un débouché sur la Méditerranée 26. Cette tâche politique était cachée dans la politique de solidarité pan-slave, comme l’a souligné le ministre russe des Affaires étrangères, Sazonov, en 1914 27. En raison du caractère significatif du détroit pour la stratégie économique et politique russe, les Balkans avaient la première importance dans la politique étrangère russe. Cette région était considérée comme plus importante que le reste de l’Europe, le Moyen-Orient et l’Extrême-Orient. De plus, la Constantinople byzantine (l’Istanbul ottomane) était considérée par les empereurs russes depuis l’époque d’Ivan le Terrible (au pouvoir de 1533 à 1584) 28 comme un centre spirituel de la culture et de la civilisation russe et orthodoxe (comme la troisième Rome) 29. Le Bosphore et les Dardanelles avaient la même importance en Russie que l’Albanie pour l’Italie ou le Golfe Persique au Royaume-Uni.

bosporus-bridge
Le pont du Bosphore, Istanbul, Turquie (aujourd’hui)

Le principal adversaire russe dans les Balkans était la monarchie des Habsbourg (la double monarchie d’Autriche-Hongrie à partir de 1867) depuis la première guerre Russo-Ottomane en 1677-1681. La lutte entre ces deux grandes puissances européennes sur les sphères d’influence en Europe du Sud-Est n’a été que temporairement réglée en 1782 lorsque l’impératrice russe Catherine la Grande et l’empereur autrichien Joseph II ont divisé les Balkans en sphères d’influence russe et habsbourgeoise. La ligne de division, en l’occurrence, allait de Belgrade à la mer Adriatique. Les territoires situés à l’est de cette ligne appartenaient à la zone russe du protectorat, tandis que les terres situées à l’ouest de la ligne revenaient à la zone de favoritisme autrichienne. En fait, les terres serbes étaient partagées entre la Russie et l’Autriche tandis que l’Albanie actuelle était donnée à la Russie. C’est le premier et le seul exemple de l’Autriche renonçant à sa revendication sur le territoire de l’Albanie, la cédant à la Russie. La marine impériale russe commença à appliquer cet accord par l’occupation des îles ioniennes en 1799. Cette action militaire fut conçue comme une ouverture pour la pénétration plus profonde ultérieure de la Russie dans les Balkans de l’Est exactement via le territoire de l’Albanie 30. Cependant, pendant tout le XIXe siècle, le territoire de l’Albanie était sous la sphère d’intérêt de l’Autriche, non de la Russie. De plus, la diplomatie russe signa deux accords avec la double monarchie d’Autriche-Hongrie sur le statu quo balkanique en 1897 et 1903. En conséquence, le territoire de l’Albanie actuelle avec la Macédoine occidentale et le Kosovo-et-Métochie était reconnu comme une zone sous influence austro-hongroise 31.

L’importance de l’Albanie pour la politique étrangère russe est réapparue pendant l’occupation militaire serbo-grecque du territoire actuel de l’Albanie en 1912-1913, terre de l’Empire ottoman. À l’époque, seule la Russie soutenait la Serbie et la Grèce dans leur politique contre l’indépendance de l’Albanie, tandis que tous les autres membres des grandes puissances européennes s’opposaient au projet russe de diviser l’Albanie en deux parties. En même temps, pendant la crise albanaise, un nombre important d’habitants musulmans d’Albanie ont exprimé leur loyauté envers l’Empire ottoman. L’intention russe de diviser l’Albanie entre la Serbie et la Grèce en 1913 était, en fait, la compensation à Belgrade et Athènes pour le projet de la Russie de donner à la Bulgarie de grandes concessions territoriales en Macédoine et en Thrace. De plus, la diplomatie russe eu l’idée en 1914-1915 d’unir la Serbie avec le Monténégro, le Kosovo-et-Metochie, la Dalmatie, l’Albanie du Nord et la Bosnie-Herzégovine en un seul Etat fédéral de la nation serbe 32. Cette idée était vivante lors de la création de la Ligue des Balkans en 1912 et son principal protagoniste est devenu l’ambassadeur de Russie en Serbie, N. Hartvig 33. Cependant, pendant les guerres des Balkans de 1912-1913, l’ultime cession russe de l’Albanie à l’Autriche-Hongrie et à l’Italie en 1913 s’est produite avec la conviction profonde de l’Empereur que la question albanaise provoquerait la troisième guerre des Balkans, ce pour quoi la Russie n’était pas préparée à ce moment là. L’Albanie était considérée dans la conception de la politique étrangère russe dans les Balkans comme le territoire qui devait contrecarrer la pénétration des Italiens et des Habsbourg en direction du détroit 34, et Constantinople où « les clés de la maison russe avaient été »35.

Vladislav B. Sotirović

 

 

Article original en anglais : South-East Europe In The International Relations At The Turn Of The 20th Century (IV), Oriental review, le 9 mai 2019.

Traduit par Fabio, relu par Kira pour le Saker Francophone

Notes

  1. Documents diplomatiques français 1871−1914, Vol. VI−VII, Paris, 1933
  2. Sur cette question, voir dans Georgeon F., L’ économie politique selon Ahmed Midhat, Edhem E. (ed.), Première rencontre internationale sur l’Empire ottoman et la Turque moderne, Istanbul, 1991, 464−479; Inalcik H., Quataert D. (eds.), An Economic and Social History of the Ottoman Empire, 1300−1914, Cambridge, 1994; Kunelarp S., “Les Ottomans à la découverte de l’Europe: Récits de voyageurs de la fin de l’Empire”, Etudes turques et ottomans: Documents de travail, theme issue on “Voyageurs et diplomates ottomans,” № 4, December 1995, 51−58
  3. Поповић В., Источно питање, Беогрaд, 1928, 56
  4. Renuvin P., Evropska kriza i prvi svetski rat, Zagreb, 1965, 144. Voir aussi August T., The Selling of the Empire: British and French Imperialist Propaganda, 1890−1940, Westport, 1985
  5. Балканската война или pуската оранжева книга, София, doc. № 11, 8 (Documents diplomatiques du ministère russe des Affaires étrangères sur les Balkans d’août 1912 à juillet 1913)
  6. Poincaré R., Les Balkans en feu, Paris, 1923, 33. Sur le même problème, voir plus dans Becker J. J., The Great War and the French People, Leamington Spa, 1985
  7. Documents diplomatiques français, Vol. VI, doc. № 229. Sur cette question, voir dans[Jelavich B., A Century of Russian Foreign Policy, 1814−1914, Philadelphia, 1964; Thaden E., Russia and the Balkan Alliance of 1912, University Park Pennsylvania, 1965; Jelavich B., Russia’s Balkan Entanglement, 1806−1914, Cambridge, 1991; Геллер М., История Российской империи, Vol. III, Москва, 1997
  8. Taylor A. J. P., The Struggle for Mastery in Europe 1849−1918, Oxford, 1954, 504
  9. Westermann Großer Atlas zur Weltgeschichte, Braunschweig, 1985, 134
  10. Palmowski J., A Dictionary of Contemporary World History from 1900 to the Present Day, Oxford−New York: Oxford University Press, 2004, 358
  11. Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Correspondance politique, Turquie, Guerres balkaniques, Conférence de Londres; Decision of the Ambassadors’ Conference, Nov. 9, 1921, Simmonard A., Essai sur l’independence Albanaise, Paris, 1942; Commission Internationale de délimitation des frontières de l’Albanie. Frontière Serbo-Croato-Slovene-Albanese. Protocole de délimitation, Florence, 1926. Cette question a fait l’objet d’un traitement plus approfondi, dans Puto A., Albanian Independence and the Diplomacy of the Great Powers 1912−1914, Tirana, 1978; Puto A., The Albanian Question in the International Acts of the Period of Imperialism, 1912−1918, Vol. I−II, Tirana, 1987
  12. Балканската война или pуската оранжева книга, София, doc. № 11, 18−21 (Documents diplomatiques du ministère russe des Affaires étrangères sur les Balkans d’août 1912 à juillet 1913)
  13. Taylor A. J. P., The Struggle for Mastery in Europe 1849−1918, Oxford, 1954, 504−506; Janković B., The Balkans in International Relations, Hong Kong, 1988, 89−119. Sur la même question, voir Rossos A., Russia and the Balkans: Inter-Balkan Rivalries and Russian Foreign Policy, 1908−1914, Toronto, 1981
  14. Sur la Révolution des jeunes Turcs de 1908, voir Lévt-Aksu N., Georgeon F., (eds.), The Young Turk Revolution and the Ottoman Empire: The Aftermath of 1908, London−New York: I.B.Tauras, 2017
  15. Sur les perspectives britanniques concernant la crise de l’annexion de 1908-1909, voir Demirci S., British Public Opinion Towards the Ottoman Empire During the Two Crisis: Bosnia-Herzegovina (1908−1909) et The Balkan Wars (1912−1913), Gorgias Pr Llc, 2010
  16. Thaden E., Russia and the Balkan Alliance of 1912, University Park Pennsylvania, 1965, 120. Sur la même question, voir Taylor A. J. P., The Habsburg Monarchy 1809−1918. A History of the Austrian Empire and Austria-Hungary, London, 1990, 276−302, Seton-Watson R. W., Britain in Europe 1789−1914
  17. British documents on the Origins of the War, 1899−1914, Vol. IX, doc. № 461; Drosos D., La Fondation de l’ Alliance Balkanique, Athènes, 1929
  18. Миљковић Д., Прилози расветљавању привредних односа Србије и Русије у XIX   веку, Београд, 1956, 11−16 (documents)
  19. Дипломатски архив, Београд, Архива Илије Гарашанина, Letter from Schtackelberg to Ignatiev, Wien, November 27, 1866. ans cette lettre, il y a un concept concernant la conversation entre Marinović et Gorchakov.; Ibid., Писмо Гарашанина Ристићу, Београд, 11. децембар, 1866; Ibid., Мариновић J., “Питање о градовима”; Haus-Hof und Staats-Archiv, Wien, Letter from Beist to Prokresch, Vienna, December 20, 1866; Ibid., Marinović’s papers, Letter from Prince Mihailo to Bismarck, Belgrade, October 24, 1866; Дипломатски архив, Београд, Архива Јована Ристића, Писмо Гарашанина Ристићу, Београд, фебруар 1867; Ibid., Писмо Гарашанина Ристићу, Београд, 11. мај 1867; Дипломатски архив, Београд, Архива   Илије Гарашанина, Писмо Гарашанина Ристићу, Београд, 11. мај 1867, концепт; Ibid., Писмо Гарашанина Петронијевићу, Београд, 20. мај, 1867, концепт; Дипломатски архив, Београд, Записник седница од 31. маја 1867; Ристић Ј., Последња година спољашње политике кнеза Михаила, Београд, 1895, (memoires), 15, 45; Ловчевић С. (уредник), Писма Илије Гарашанина Јовану Мариновићу, Зборник САНУ, том II, № XXII, Београд, 1931
  20. Дипломатски архив, Београд, Политички односи, Писмо Мариновића Горчакову, Београд, 17. фебруар, 1867, концепт; Ibid., Letter from Stremoukov to Marinović, St. Petersburg, February 9, 1867; Дипломатски архив, Београд, Хартије Јована Мариновића, Letter from Shishkin to Marinović, Belgrade, March 1867
  21. A ce sujet, voir l’entretien entre le représentant du ministère français des Affaires étrangères, Maurice Paléologue, et l’ambassadeur de Russie en France, Izvolsky, à l’adresse suivante Taylor A. J. P., The Struggle for Mastery in Europe 1849−1918, Oxford, 1954, 505; Paléologue M., An Ambassador’s Memoirs, London, 1923
  22. A ce sujet, voir Taylor A. J. P., “The War Aims of the Allies in the First World War”, Pares R., Taylor A. J. P. (eds.), Essays Presented to Sir Lewis Namier, London, 1956; Balsover G. H., “Aspects of Russian Foreign Policy, 1815−1914”, Pares R., Taylor A. J. P. (eds.), Essays Presented to Sir Lewis Namier, London, 1956
  23. Адамов Е. А., Константинополь и проливы по секретным документам б. Министерства иностранных дел, Москва, 1926
  24. Rapport du ministre russe des Affaires étrangères, Sazonov, à l’empereur russe Nicolas II, décembre 1913
  25. L’économie russe a énormément souffert lorsque, pendant la guerre italo-ottomane de 1911-1912, les autorités ottomanes n’ont fermé le détroit que pendant deux semaines en avril 1912
  26. Gottlieb W. W., Studies in Secret Diplomacy During the First World War, London, 1957, 148−162. Sur cette question, voir plus dans Дякин В. С., Русская буржуазия и царизм в годы первой мировой войны (1914−1917), Ленинград, 1967; Покровский М. Н., Царская Россия и война, Москва, 1924; “Die Internationalen Beziehungen im Zeitalter des Imperialismus”, II, 7 II, № 493. Winston Churchill a déclaré au cours des premiers mois de la Première Guerre mondiale que les soldats russes ne combattront bravement que si le détroit est la tâche de leur victoire
  27. Sazonov S., Les années fatales, Paris, 1927
  28. Sur le règne d’Ivan le Terrible, voir Anisimov J., Rusijos istorija nuo Riuriko iki Putino: Žmonės. Įvykiai. Datos, Vilnius: Mokslo ir enciklopedijų leidybos centras, 2014, 131−146
  29. Sur cette question, voir Mango C., Byzantium and its Image, London, 1984; Mango C., Byzantium The Empire of New Rome, New York, 1982; Shevchenko I., Ideology, Letters and Culture in the Byzantine World, especially “Constantinople viewed from the eastern provinces”and “Byzantium and the eastern Slavs after 1453”, London, 1972; Johnson R. M., The Third Rome: Holy Russia, Tsarism and Orthodoxy, The Foundation for Economic Liberty, Inc., 2004
  30. Pour en savoir plus sur la question orientale au XVIIIe siècle, voir Sorel A., La question d’orient au XVIIIe siècle, Paris, 1889; Driault E., La question depuis ses origines jusqu’à nos jours, Paris, 1898. A propos du caractère géopolitique de la question orientale et de la Russie, voir dans Перишић С., Нова геополитика Русије, Београд: Медија центар Одбрана, 2015, 56−60
  31. Хвостов В. М., История дипломатии, II, Москва, 1963, 345−351; Динев А., Илинденската епопеја, II, Скопје, 1949, 5−10
  32. Дипломатски архив, Београд, Извештај министарства спољних послова Србије војној врховној команди, телеграф послат из Ваљева 3. октобра 1914. г., документ бр. 5714; Архив Југославије, Београд, Фонд Јоце Јовановића Пижона, Дневници Ј. Ј. Пижона, кутија бр. 54, документ бр. 247. On the Russian diplomacy during the First World War, voir Трубецки Н. Г., Рат на Балкану 1914−1917. и руска дипломатија, Београд: Просвета, 1994 (memoires)
  33. Международние отношения в епоху империализма. Документы из архивов царского и временого правителъства 1878−1917, том XX, Москва, 1938,   Report by the Russian representative in Belgrade from September 20, 1912; Балканската война или pуската оранжева книга, Софиа, doc. № 36, 19−20 (les documents diplomatiques du ministère russe des Affaires étrangères sur les Balkans d’août 1912 à juillet 1913)
  34. Sur ce problème, voir Проект захвата Босфора в 1896 г., Красный Архив, том IV−V, (XLVII–XLVIII), Москва−Ленинград, 1931; Хвостов В. М., История дипломатии, том II, Москва, 1963
  35. Покровский М. Н., Царская Россия и война, Москва, 1924
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Qui peut protéger les Arméniens de Syrie?

novembre 8th, 2019 by Ahmad al-Khaled

Immédiatement après son lancement en octobre, l’opération Peace Spring menée par la Turquie dans le nord de la Syrie est devenue un mal de tête énorme pour toutes les parties au conflit syrien, mais avant tout pour les États-Unis. Washington s’est retrouvé coincé entre deux options mutuellement exclusives: sauver les relations avec son alliée à l’OTAN, la Turquie, ou tenir les promesses faites aux Kurdes syriens, un partenaire clé des États-Unis en Syrie.

Ces mêmes Kurdes sont devenus l’objectif ultime de l’opération lancée par la Turquie, qui considère les Forces démocratiques syriennes à dominance kurde comme un groupe terroriste en raison de ses liens présumés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan. La création d’une zone dite de sécurité devrait stabiliser la situation le long de la frontière entre la Turquie et la Syrie, selon Ankara.

Cependant, outre les Kurdes, la région frontalière accueille d’autres minorités vulnérables qui ont de bonnes raisons de rester prudent en ce qui concerne l’offensive turque. La diaspora arménienne vient en tête de liste.

Environ 20 000 Arméniens vivent dans les provinces du nord de la Syrie. Bien que la majeure partie de la population syro-arménienne soit concentrée dans la sécurité de la ville d’Alep, des communautés arméniennes subsistent également dans un certain nombre de villes situées le long de la frontière, notamment Tell Abyad, Hassaké, Qamichli, etc.

Après le lancement de l’opération turque, certaines de ces communautés sont devenues témoins d’affrontements armés et de bombardements. À Tell Abyad, où l’artillerie turque a ciblé de nombreux quartiers, la situation est devenue tellement dangereuse que les dirigeants de la diaspora locale ont décidé d’évacuer les familles arméniennes.

Sous la pression des États-Unis, les factions armées kurdes qui contrôlaient Tell Abyad ont refusé de coopérer avec le gouvernement syrien, manquant ainsi l’occasion de faire entrer l’armée arabe syrienne dans la ville pour empêcher l’offensive de l’armée turque et de ses mandataires. Le seul espoir de sécurité des Arméniens syriens repose désormais sur l’accord improbable entre la Turquie et la Russie.

Des sources bien informées ayant connaissance des résultats des négociations récentes entre Recep Erdogan et Vladimir Poutine ont indiqué que la sécurité de la diaspora arménienne de Syrie était à l’ordre du jour de la rencontre. Les autorités turques doivent encore le confirmer officiellement, mais il existe de nombreuses preuves indirectes mais solides en faveur de cela. Les chefs militaires turcs se sont déclarés prêts à rencontrer les dirigeants de la diaspora arménienne de Tell Abyad pour discuter de la possibilité d’entamer la reconstruction de l’église chrétienne locale endommagée lors du bombardement.

Ahmad al Khaled

Special Monitoring Mission to Syria

Photo en vedette : Église arménienne détruite par le groupe terroriste EI à Alep.

Source  de l’image :

tweeter d’Aram Iskenderian, 28 décembre 2015 via sputniknews.com.

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DIAL publie dans ce numéro d’octobre une série d’analyses sur les événements des dernières semaines en Équateur. S’il est bien sûr difficile d’appréhender des processus toujours en cours, il nous semble important néanmoins d’amorcer la réflexion, quitte à y revenir plus tard au fil des évolutions. L’auteur de ce texte, Mario Unda, est sociologue et militant du mouvement populaire urbain. L’article a été traduit et publié sur le site À l’Encontre, le 16 octobre 2019.


Il y a quelques heures [le 13 octobre], le dialogue entre le gouvernement et le mouvement indien s’est terminé par l’annonce que le décret 883, publié le 2 octobre, a été abrogé et remplacé par un nouveau décret, qui doit être rédigé par des représentants du mouvement indien et du gouvernement. En conséquence, la grève a été levée. Il est maintenant possible de faire un premier bilan, provisoire, bien sûr.

Retour de la résistance populaire

La résistance populaire, qui avait subi des années de répression et de persécution sous Rafael Correa, a conquis à nouveau une place importante. Pendant les 11 jours de paralysie, divers secteurs sociaux se sont mobilisés : au premier rang, les transporteurs, les Indiens et les travailleurs. Les transporteurs ont annoncé une grève qui a duré deux jours et s’est terminée après la négociation d’une augmentation du tarif des transports. Mais cela n’a pas arrêté la vague sociale : le mouvement indien et le mouvement syndical, qui préparaient déjà des actions contre les politiques gouvernementales, ont occupé la scène et ont attiré la solidarité des étudiants de plusieurs universités qui ont organisé des brigades de soins de santé et l’accueil dans des foyers, notamment pour les femmes et enfants indiens ; puis des groupes féministes ont commencé à agir et, enfin, pendant les deux derniers jours, se sont mis en action de larges secteurs des classes populaires et moyennes de la population urbaine. Comme cela s’était déjà produit auparavant, les gens se « construisent » au cours de la lutte, de manière un peu organisée et un peu spontanée. Comme toute confluence sectorielle ayant ces caractéristiques, son avenir reste à définir. Et elle sera un élément central de la réalité dans l’avenir immédiat.

Confluences et fragmentations du mouvement populaire

La confluence dans la conjoncture présente certaines différences par rapport aux précédentes, qui s’étaient articulées autour d’un mouvement social : les étudiants dans les années 1970 ; le mouvement syndical dans les premières années de la décennie suivante ; le mouvement autochtone entre 1992 et 2002 ; ou « l’explosion » de la classe moyenne urbaine en 2005. Maintenant, cependant, l’axe était une confluence difficile et incomplète d’Indiens et de travailleurs.

Une partie des effets de l’attaque du corréisme sur les mouvements sociaux a été l’affaiblissement des jonctions entre eux, l’émergence de soupçons et la prédominance des particularismes. Au cours de ces 11 jours de lutte, une tendance au rapprochement a pu être observée comme aussi les limites auxquelles ce rapprochement est confronté. C’est pourquoi le gouvernement, bien que défait, a été capable de faire bouger les lignes, dans le but gagner du temps. Sa tactique a toujours été de diviser la mobilisation en répondant à des revendications particulières : l’augmentation des tarifs a démobilisé les transporteurs. Puis il a essayé de séparer les Indiens des travailleurs : à un moment donné, le gouvernement et les médias ont cessé de faire référence aux revendications du mouvement syndical et se sont concentrés sur l’offre d’une compensation pour le secteur agricole. Au début il n’a pas obtenu de résultats, mais finalement il a réussi à séparer les deux acteurs centraux du mouvement populaire lors de « dialogues ». Dimanche 13 octobre, il a rencontré les Indiens pour discuter du décret 883 et a reporté à mardi 15 octobre un éventuel dialogue avec le mouvement syndical, qui aura sûrement lieu sans la pression de la mobilisation populaire massive. En même temps, il cherche à séparer les travailleurs publics du reste du mouvement syndical, en annonçant sa volonté de revoir les mesures qui les touchent particulièrement : réductions salariales et vacances.

Le gouvernement a ainsi montré sa volonté de négocier des fragments du paquet austéritaire afin de maintenir la possibilité de mettre en œuvre les noyaux centraux du modèle néolibéral : privatisations et surexploitation du travail et de la nature. Le temps nous dira s’il réussira ou non dans son entreprise. Et le temps nous dira aussi si les mouvements populaires réussissent, après ces journées intenses, à se réengager dans des initiatives et des convergences essentielles pour faire face aux défis à venir. La construction d’un horizon politique clair et d’un programme d’action est indispensable pour avancer sur cette voie.

Une première confrontation avec les tendances répressives et antidémocratiques de la bourgeoisie

Le gouvernement de Lenín Moreno (au pouvoir depuis mai 2017), après un début hésitant, est devenu l’expression de la volonté néolibérale des groupes monopolistes et du FMI. Cela s’est produit au milieu d’une série d’épisodes de lutte acharnée, dans lesquels le gouvernement s’est de plus en plus plié aux souhaits des secteurs économiques, mais sans mettre pleinement en œuvre les mesures demandées, de sorte que ses actions ont toujours été considérées comme insuffisantes par ces derniers. La signature de la lettre d’intention avec le FMI a scellé le passage du gouvernement au néolibéralisme, mais il a retardé la mise en œuvre des mesures requises. La même lettre d’intention avec le FMI en expliquait la raison : l’annexe 3 faisait référence aux risques de déclenchement de mobilisations sociales dans le sillage des mesures qui seraient mises en œuvre.

Cela a entraîné le déploiement de deux tendances : la première, la solidification rapide du bloc au pouvoir, avec un discours unique tenu par le gouvernement et le FMI, les milieux d’affaires et leurs intellectuels organiques, le gouvernement états-unien et la grande presse. Tout cela indiquait une mise en œuvre rapide de mesures « douloureuses mais nécessaires ». Ce qui trouva son expression dans une intense campagne médiatique au cours du dernier semestre 2019.

La seconde : le bloc au pouvoir est parvenu rapidement à la conclusion que ce programme ne pouvait être imposé que par la violence. Au fil du temps, la virulence, l’inflexibilité, les menaces ont gagné de l’espace dans leurs déclarations. Le point culminant de cette période de conflit a été atteint. Il révèle clairement la nature répressive et antidémocratique de la bourgeoisie et du néolibéralisme. Il ne s’agissait pas seulement d’accuser les manifestants d’être des vandales, des délinquants et des terroristes, mais de les menacer de l’application du Code pénal inventé par Rafael Correa. Ce code prévoit des peines de trois ans de prison pour participation aux manifestations. Le ministre de la défense, l’ex-militaire Oswaldo Jarrín [dont la démission a été demandée par la CONAIE], a lancé une menace ouverte aux résonances fascistes : il parle de l’utilisation des armes à feu contre les gens mobilisés et rappelle que les militaires sont prêts pour la guerre. La Fédération nationale des chambres de commerce et d’industrie de l’Équateur a diffusé un manifeste dans lequel elle demande au gouvernement « l’action immédiate des forces armées et de la police nationale pour rétablir l’ordre et la paix sociale en stricte application de l’état d’urgence », ainsi que « la persécution judiciaire des auteurs, des complices et des manifestants encapuchonnés, ainsi que des auteurs matériels et intellectuels des crimes commis, en application du Code pénal organique général » [1].

Les actions gouvernementales vont dans le même sens : quelques heures après le début des manifestations, l’état d’urgence est décrété pour 60 jours (réduit à 30 par une Cour constitutionnelle complaisante), suivi d’une militarisation et d’un couvre-feu. Les chiffres présentés par le Bureau du Médiateur montrent qu’il ne s’agit pas d’une simple bravade : entre le 3 et le 13 octobre, la répression gouvernementale a fait au moins 7 morts, 1340 blessés et plus de 1150 détenus. C’est la plus grande brutalité contre une mobilisation sociale depuis 30 ans.

Cependant, ni la répression ni la menace n’ont réussi à arrêter la mobilisation. La dernière mesure de couvre-feu, mise en place par les Forces armées entre 15 heures le samedi 12 et 15 heures le dimanche 13 octobre, n’a même pas pu être appliquée : le « cacerolazo », devenu une véritable fête populaire dans les quartiers de Quito, a empêché son application. Il reste cependant un constat : la mise en œuvre du modèle néolibéral recourra à la violence la plus brutale et le bloc au pouvoir a révélé son caractère violent et criminel. De plus, cette mentalité répressive a commencé à imprégner certains secteurs de la classe moyenne.

Le populisme et la crise de la démocratie

Deux autres questions pour conclure ces premières réflexions. La première : il semble que le retour au néolibéralisme ne pourra pas facilement stabiliser son règne, et la « crise structurelle » de l’État, dont Agustín Cueva [2] parlait à l’époque, se présente à nouveau devant nous comme un horizon inévitable. Si la crise des 25 ans de l’étape néolibérale précédente nous a apporté un populisme éphémère, la crise du populisme nous replonge dans le néolibéralisme ; mais cette nouvelle vague néolibérale est déjà née en période de crise : la violence toujours plus débridée des classes dirigeantes et de leurs gouvernements en est le premier signe. La première résistance sociale constitue la réponse qui est déjà en gestation. Le résultat de cette imbrication tend à déboucher sur un contexte de démocratie fragile et restreinte.

La seconde réflexion est la suivante. Comme nous l’ont montré ces onze jours de lutte intense, la « construction du peuple » sera aussi un champ de conflits. La droite s’y acharnera, combinant sa violence retrouvée avec des tentatives de mobilisation des masses. Le populisme de Correa s’y engagera également. Il a démontré ces jours-ci qu’il a encore la capacité d’avoir un impact dans les secteurs urbains populaires, comme il l’avait démontré récemment, lors des élections locales de mars dernier. Et le mouvement populaire sera aussi présent activement sur ce terrain, c’est-à-dire les mouvements sociaux autonomes, probablement structurés autour des travailleurs et des Indiens ; ils seront au centre des conflits provoqués par les tentatives d’application du modèle néolibéral. La tendance qui réussira à prédominer donnera le ton et la couleur des temps à venir – qui ont déjà commencé…

La droite et le néolibéralisme ont perdu une première bataille, mais peut-on supposer qu’ils s’arrêteront là ? C’est peu probable. Une fois le dialogue terminé, le différend sur le contenu du nouveau décret qui remplacera le décret 883 s’ouvre : cela nous dira quelque chose. Le dialogue proposé entre le gouvernement et les travailleurs sera-t-il achevé le mardi 15 octobre ? Quels seront les prochains mouvements du bloc néolibéral au pouvoir ? Soutiendront-ils Moreno ou préféreront-ils s’en débarrasser ? Le mouvement populaire saura-t-il trouver et construire les voies pour des confluences et des articulations sectorielles ou va-t-il se perdre dans les strictes limites des intérêts particuliers ? La seule chose certaine semble être qu’un nouveau cycle de résistance populaire contre le néolibéralisme a commencé. Il a commencé avec beaucoup de force, mais il aura une tâche beaucoup plus difficile à accomplir.

Mario Unda


-Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3509.
- Traduction par la rédaction d’À l’Encontre d’un texte envoyé par l’auteur. Traduction légèrement modifiée par Dial.
- Source (français) : À l’Encontre, 16 octobre 2019.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, les traducteurs, la source française originale (À l’Encontre – https://alencontre.org) et l’adresse internet de l’article.

 

Notes 

[2Agustín Cueva (1937-1992), sociologue et historien équatorien, a animé les débats sur la « théorie de la dépendance ». Il a reçu le Prix Ensayo de Editorial Siglo XXI pour son travail El desarrollo del capitalismo en América Latina, dans lequel il propose, d’un point de vue marxiste, une analyse de la « transition latino-américaine au capitalisme » au XIXe siècle, selon la voie « junker » [en référence aux grands propriétaires terriens de la Prusse], et explore la formation sociale « comme coexistence de divers modes de production ». Il a été président de l’Association latino-américaine de sociologie et directeur de la Division des hautes études à la faculté des Sciences politiques et sociales de la UNAM – note À l’Encontre.

 

Mario Unda est sociologue et militant du mouvement populaire urbain.

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Chan Tong-kai, résident de Hong Kong et principal suspect du meurtre de sa petite amie il y a plus d’un an et demi, lors de vacances à Taïwan, a pu sortir de prison le 23 octobre après une détention pour blanchiment d’argent ; le jour même où la loi d’extradition de sa ville de résidence doit être formellement suspendue. Cette affaire controversée a exposé un trou dans le système légal de la Région administrative spéciale, qui empêche la ville de l’extrader vers Taïwan pour qu’il y soit jugé pour le crime qu’il est accusé d’avoir commis, et dont il est dit qu’il l’a avoué lors de sa garde à vue.

La ville avait adopté une loi, début 2019, pour rectifier le problème et garantir que les suspects tels que Chan Tong-kai puissent être envoyés à Taïwan pour y être jugés, à la demande des juridictions où on les suspecte d’avoir enfreint la loi. Mais des radicaux politiques ont relayé une image fausse de la loi d’extradition, afin de provoquer de grandes manifestations anti-gouvernementales, qui ont été de plus en plus violentes au cours de l’été.

Rétrospectivement, cette initiative légale, lancée avec de bonnes intentions, a été exploitée comme déclencheur pour mettre en mouvement un projet de déstabilisation défini à l’avance.

Chan Tong-kai, un habitant de Hong Kong, accusé d’avoir assassiné sa petite amie à Taïwan l’an dernier, s’incline devant les médias à Hong Kong, en Chine, le 23 octobre 2019 /VCG Photo

 

Des violences ont continué malgré l’annonce du dirigeant de la ville que la loi serait suspendue, mais on s’émeut de nouveau fortement, du fait qu’il est à prévoir que la justice ne sera pas rendue, Chan Tong-kai ayant été libéré le même jour.

Carrie Lam, dirigeante de la région administrative spéciale de Hong Kong, s’exprime lors d’une conférence, HKSAR, Chine, le 20 août 2019 /VCG Photo

Hong Kong, en tant qu’entité de la République de Chine responsable et respectueuse de la loi, ne peut pas violer ses propres lois pour extrader ce personnage à Taïwan, si la loi n’est pas adoptée pour autoriser le gouvernement à ce faire, si bien qu’il sera techniquement un homme libre dès l’instant où il aura mis le pied hors de prison.

C’est alors que le suspect a créé la surprise, en souscrivant aux invitations d’un homme d’Église anglican, qui l’exhortait à se rendre aux policiers. Mais les prétendues « autorités » taïwanaises ont refusé sa courageuse démarche, exigeant ce qui est décrit par les médias comme des « discussions formelles dans un cadre légal », ou pour l’exprimer différemment, une extradition légale de sa personne par Hong Kong, malgré le fait que la loi en question, qui aurait permis cette décision de bon sens, n’entrera pas en œuvre, résultat des désordres agités politiquement qui ont éclaté à Hong Kong tout l’été.

Taïwan n’est pas sans savoir que Hong Kong ne peut pas réaliser légalement cette extradition, et sa demande peut être interprétée comme une priorisation de la politique sur la justice, aux fins de créer un scandale, rendant impossible à Chan Tong-kai de répondre à la justice pour le crime qu’il a reconnu avoir commis.

Aucune entité faisant preuve d’une quelconque responsabilité politique n’aurait rejeté le désir d’un suspect de se rendre auprès des tribunaux après avoir fui le territoire où le crime suspecté a été commis ; et pourtant, c’est exactement ce que fait Taïwan, montrant au monde entier l’artificialité de sa situation politique, et illustrant le fait qu’elle ne mérite aucune reconnaissance internationale.

Sauf à ce que Taïwan soit prise d’un élan de justice de dernière minute et que le bon sens finisse par l’emporter, la libération de Chan Tong-kai provoquera sans aucun doute de très fortes émotions de la part du peuple de cette île, d’Hong Kong, de la Chine, et même du monde entier. Quelle farce en effet qu’un assassin ayant avoué puisse échapper à la justice du simple fait que le territoire sur lequel il a commis son crime refuse d’accepter sa reddition volontaire pour des raisons politiques! On n’aurait certes pas imaginé d’avance qu’un tel scénario pût se produire, mais les faits donnent raison à la majorité de pays du monde qui refusent de reconnaître Taïwan.

La poignée d’États qui persistent à reconnaître Taïwan devraient avoir honte de soutenir tacitement cette posture profondément anti-éthique des soi-disant « autorités » taïwanaises, et sont donc complices des violations flagrantes des normes en matière de justice criminelle internationalement reconnue.

Le choix de Taïwan de faire passer la politique avant la justice est fortement répréhensible, et totalement intéressé. Mais ce même choix pourrait provoquer un retour de flamme, si les membres responsables de la communauté internationale le condamnent avec fermeté, et si les résidents de Taïwan manifestent pacifiquement en masse pour exprimer leur opposition à cette décision, et attirent l’attention du monde sur leur réprobation en la matière.

Andrew Korybko

 

Article original en anglais : Taiwan proves how irresponsible it is by placing politics over justice, cgtn.com, le 23 octobre 2019.

Traduit par José Martí, relu par Camille pour le Saker Francophone

 

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

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Les médias hégémoniques tiennent pour acquis que la coalition de droite (Tous contre le Front Large) fera du candidat du Parti National de droite, Luis Lacalle Pou, le prochain président des Uruguayens, après 15 ans de gouvernement de la coalition de centre-gauche du Front Large. Du moins, c’est ainsi qu’ils préparent l’imaginaire collectif.

Imagen relacionadaLa stratégie officielle de déplacement vers le centre ne semble pas avoir donné d’autre résultat qu’un harakiri, sachant que la gauche n’est pas renforcée. La gauche « radicale » (Unité Populaire) est sortie du Parlement et a été remplacée par les conservateurs du Parti Écologiste Intransigeant Radical (PERI). Deux nouveaux partis d’extrême droite sont entrés au Parlement : le Parti du Peuple (PG), dirigé par Edgardo Novick, et le Cabildo Ouvert (CA) d’extrême droite, dirigé par le Général Guido Manini Ríos.

L’histoire du Cabildo Ouvert (Cabildo Abierto) commence avec le Général Manini Ríos promu chef de l’armée par le gouvernement de Tabaré Vázquez accompagné par le défunt Ministre de la Défense Eleuterio Fernández Huidobro, qui s’est ensuite consacré à la politique depuis son poste, insubordonné au gouvernement et critique de la justice.

Il semble parfois que les campagnes pour le scrutin aient été développées sans tenir compte des données fournies par le vote de dimanche dernier. Il semblerait que le dirigeant du Front Large (FA) n’accorde pas beaucoup d’importance au fait qu’il ait perdu 170 000 voix et que cette fois les citoyens ne lui aient pas accordé la majorité parlementaire.

Face au second tour du scrutin du 24 novembre, le FA consolide un discours qui parie sur « l’indépendance » de chaque électeur, au-delà de ce que Lacalle Pou négocie avec les dirigeants des partis, et souligne l’opposition des projets, mais n’ajoute pas à sa campagne « positive » la réalité que les pays voisins vivent à cause des politiques néolibérales.

Pendant ce temps, Lacalle Pou et les principaux dirigeants du Parti Coloré insistent sur une histoire construite par l’ancien président (libéral) Julio María Sanguinetti : « nous choisissons entre l’officialisme et une coalition gouvernementale « multicolore » dirigée par le Parti National (PN), qui laisserait le FA comme une minorité isolée ».

Les deux partis d’opposition ont obtenu, ensemble, un nombre de voix très similaire à celui du FA. Par conséquent, la coalition de gouvernement avec la majorité parlementaire souhaitée par Lacalle Pou n’existera que si le Cabildo Ouvert (CA) de Manini y participe. Ce dernier ne semble pas avoir l’intention (pour l’instant) de changer son image de sauveur de la patrie, d’outsider qui mettra un terme au désordre, pour celle d’un partenaire dans l’arrangement des autres.

Les médias imposent l’imaginaire collectif que l’opposition a déjà gagné au deuxième tour du 24 novembre. Mais, pour devenir une véritable option de victoire, l’opposition devrait travailler sur un projet commun en très peu de temps et les positions qu’elle a adoptées sur de nombreuses questions sont très différentes.

Les analystes soulignent que s’il n’y a pas de processus sérieux d’accord, l’instabilité politique et la stagnation économique ne tarderont pas à se manifester en Uruguay.

Resultado de imagen para uruguay segunda vueltaLe Front Large conservera une voix forte au Congrès, ainsi que sa grande capacité à convoquer des organisations sociales et syndicales, et il sera très difficile d’adopter une législation abrogeant les droits acquis au cours des 15 dernières années ou des changements fondamentaux dans les stratégies et politiques sociales. Essayer de le faire serait inviter la protestation massive, qui ne tarderait pas à descendre dans la rue.

Grâce aux médias, la question de la sécurité est devenue une préoccupation majeure dans les médias uruguayens, bien que les données sur les crimes ne soient pas significatives par rapport à d’autres pays.

L’un des slogans du Front Large était « Pas un vote pour les bottes » et la réforme constitutionnelle de la militarisation de la sécurité publique n’a pas prospéré, mais les militaires sont arrivées au Parlement pour rester, avec la figure messianique, despotique, oligarchique et conservateur du Général Guido Manini.

Deuxième tour

Il semble parfois que les campagnes en vue du scrutin, qui provoquent une dynamique de polarisation avec seulement deux possibilités de vote, vont se développer sans prendre en compte les données fournies par le vote de dimanche dernier.

Les élections d’octobre ont eu trois grands résultats : la chute du FA (de 48% à 40%) et l’irruption du Cabildo Ouvert (de 0 à 11% des voix), et l’augmentation du nombre d’électeurs qui n’ont pas opté au premier tour pour l’une des deux options soumises au vote. Le « bocal à poissons » où aller à la pêche du vote est plus difficile.

Lors du scrutin de 2014, la taille de ce « bocal à poissons » était de 21%, en 2019 de 32%, soit 685 000 personnes (258 000 voix de plus qu’en 2014) n’ont pas opté pour le PN ou le FA. Et quel que soit le vainqueur, que 2009 ou 2014 se répète, la marge sera très faible, disent les experts.

Peut-être que certains électeurs de Daniel Martínez du 27 octobre se sentent défaits à l’avance, parce qu’il estime que pour les deux chambres du Parlement des majorités ont déjà été élus, totalement engagées dans un programme néolibéral néfaste. Mais beaucoup de gens ne croient pas à ces histoires simplifiées et extrémistes.

Il y a des gens dans l’opposition qui ne partagent pas l’optimisme publicitaire de Luis Lacalle Pou selon lequel il a « déjà gagné » au second tour, même sans avoir fait une proposition programmatique de ceux dont il espère le soutien (et les votes) : d’abord ils me soutiennent et ensuite on discute des projets et quotas gouvernementaux, a-t-il dit à Ernesto Talvi et Pablo Mieres.

Il y a des Uruguayens et des Uruguayennes qui hésitent à continuer de croire à ces histoires simplifiées et extrémistes, comme, par exemple, que Martínez est une marionnette du président vénézuélien Nicolás Maduro ou que Lacalle va essayer un gouvernement de type bolsonarien. Mais les débordements sociaux en Équateur et au Chili font penser à plus d’un qu’un gouvernement d’hommes d’affaires ne signifiera pas une réponse similaire du peuple.

Le FA consolide un discours qui parie sur « l’indépendance » de chaque électeur, au-delà de ce que Lacalle Pou négocie avec les « chefs » de parti, et souligne l’opposition des projets. Il fait appel au raisonnement du peuple, tandis que la propagande de l’opposition fait appel aux sentiments, à la perception.

La régression du Front

https://sc2.elpais.com.uy/files/article_default_content/uploads/2019/10/21/5dadeea9c7e8f.jpegLe processus que traverse le Front Large est un processus de régression idéologique évidente, dans les conquêtes, l’organisation populaire et aussi en matière électorale. La bureaucratie du Front Large, tirée vers le centre-droite, a enterré les bases de sa propre existence, démantelant la participation populaire. Le troisième gouvernement du Front Large, le deuxième de Tabaré Vázquez, était un gouvernement de droite.

Il y a eu un changement évident au FA et dans son gouvernement qui, au cours de ces années, ont réprimé les protestations, alourdi les peines et fait l’éloge des investissements étrangers et des accords commerciaux, une attaque contre l’idéologie de son électorat.

Il a fait un effort pour émigrer de la gauche vers le centre gauche et de là vers le centre. Les vieux lions révolutionnaires sont devenus des agneaux végétaliens apprivoisés. Mais dans ce changement, il a perdu son essence, tandis que le centre-droite du pays s’est déplacé vers l’extrême droite. Aujourd’hui, le FA ne semble pas être une coalition, ni un parti, et peut-être n’est-il plus une machine électorale.

Parfois, cela fait si mal d’entendre des gens de l’extérieur parler de la théorie du possible, en particulier des ONG sociales-démocrates qui dominent l’éventail universitaire uruguayen. Les secteurs du quiétisme et de la bureaucratie du Front Large ne prêtent pas attention aux autocritiques.

Leurs arguments sur le virage vers le centre tombent devant la réalité : les groupes du FA avec le plus de votes et de représentation ont été le Mouvement de Participation Populaire dirigé par Pepe Mujica et le Parti Communiste. Le vote du Parti Socialiste a été décevant. Le Front Liber Seregni, qui regroupait l’Assemblée uruguayenne, le Nouvel Espace et l’Alliance Progressiste, la droite du Front Large, n’existe plus.

https://media.cdnp.elobservador.com.uy/092018/1537532883956/_GB_4946.JPGLe Front Large s’est déconnecté de la base populaire, n’ayant recours aux comités de base que lors des élections, et a donné la priorité aux politiques monétaires et aux instructions du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale, qui sont très éloignées des besoins des travailleurs et de la population en général. Les derniers gouvernements du Front Large étaient plus proches des entreprises transnationales et du néo-développement que des petites et moyennes entreprises nationales qu’ils devaient promouvoir et défendre.

L’entêtement des anciens dirigeants du FA à ne pas permettre la croissance des nouvelles générations en paie le prix. Au sein de la bureaucratie du FA et avec le soutien des médias hégémoniques, ils ont bombardé la figure de l’ancien vice-président Raúl Sendic, jusqu’à le faire démissionner. En décembre 2018, le FA a résolu sa non-habilitation pour une période de 17 mois, ce qui signifie qu’il n’a pas pu se présenter pendant le cycle électoral actuel.

Daniel Martínez, candidat à la présidence du FA, a 62 ans. Plutôt jeune à côté de Mujica (84), Tabaré Vázquez (79), Danilo Astori (79). Parmi les membres du FA, Martínez a devancé Oscar Andrade, un ouvrier, politicien et secrétaire général du syndicat de la construction, âgé de 45 ans.

La social-démocratie, sans approfondir ni radicaliser ses projets, donne de l’oxygène aux partis et mouvements de droite qui se déguisent en option de changement, mais qui sont en réalité l’option du système. Un point que je développerai dans une autre analyse est l’influence de la Maçonnerie de Parva Domus sur la politique uruguayenne.

Particularités du « paisito » (petit pays)

L’Uruguay a un système de vote trop strict, qui exige 50 % plus une voix pour gagner au premier tour. Dans la plupart des cas où il y a un scrutin, le pourcentage oscille entre 35 et 45% et dans d’autres cas, il est conditionné pour dépasser une différence de 10%. Le Front Large l’a emporté de plus de 10% sur le deuxième, le Parti National. En d’autres termes, si les normes argentines étaient en vigueur en Uruguay, Daniel Martínez aurait gagné au premier tour.

Ses votes se sont concentrés principalement à Montevideo et à Canelones, les départements où sa population urbaine est la plus nombreuse et où se concentre son militantisme politique, ainsi que l’activité économique et culturelle du pays, qui démontre l’incapacité des gouvernements successifs du FA à générer une culture politique, à faire connaître ses réalisations, à étendre ses droits et ses opportunités, à débattre avec le peuple, à faire participer ce dernier au processus de transformation.

Le processus que le FA a développé est un pas en arrière dans les conquêtes, l’organisation populaire et les élections, en se penchant vers le centre de l’arc politique, en perdant des piliers idéologiques, en se transformant en une machine électorale qui, comme cela a été démontré le 27 octobre, n’est pas bien huilée.

Certains analystes parlent d’un énorme transfert de voix du FA au Cabildo Ouvert, surtout dans les départements frontaliers avec le Brésil. Le FA a remporté Rivera en 2014 et cinq ans plus tard, il s’est classé quatrième. D’autres soulignent que la perte de voix avait une dimension de classe, puisque les principales pertes se sont produites dans les régions les plus pauvres du pays, qui avaient voté pour la première fois massivement pour le FA en 2014.

La réalité a également montré l’incapacité de la soi-disant gauche radicale à capter le mécontentement d’un gouvernement de droite dans les secteurs populaires, qui semble-t-il a fini par voter pour l’extrême droite.

Il ne fait aucun doute que l’autocritique que le Front Large doit faire est sérieuse et profonde. Sinon, il y aura un archipel de groupes et de petits groupes. Une autocritique de la base au dôme. Les secteurs du quiétisme et de la bureaucratie ne s’y intéresseront pas. Mais ceux qui comprennent que ce système doit être changé et que cette avancée de la droite va porter un coup brutal aux secteurs qui sont au bord du précipice, devraient lutter pour ébranler les racines de tout cela.

Alors que beaucoup ont littéralement donné leur vie pour le projet du Front Large depuis 1971, beaucoup d’autres ont voulu effacer du dictionnaire de la gauche le prolétariat, la lutte des classes, le capitalisme, l’internationalisme et la conscience de classe.

Les processus d’intervention ne peuvent être laissés de côté avec une pénétration progressive du fondamentalisme religieux, aux mains de centaines de pasteurs et d’apôtres pentecôtistes, étasuniens et brésiliens. Le Parti National a des législateurs qui sont ouvertement soutenus par les communautés religieuses et qui se disent redevables. Selon des analystes locaux, plusieurs de ces groupes nichent maintenant dans le parti d’extrême droite Cabildo Ouvert.

Marche des membres de l’Église évangélique au Palais législatif
31 octobre 2018, Montevideo – Uruguay

Pour eux, le Front Large est le diable, parce qu’il a adopté des lois sur l’avortement sans risque, les mariages égalitaires, les programmes établis pour la santé sexuelle et reproductive, parmi de nombreuses mesures d’équité entre les sexes. Le bras opérationnel des États-Unis pour la pénétration du fondamentalisme religieux est Capitol Ministries, établi dans l’administration de Donald Trump, qui est venu en Uruguay pour travailler avec la classe politique de droite il y a environ un an, rappelle la chercheuse Marcia Rivera Hernandez.

Cette nouvelle religiosité conservatrice, qui inclut aussi un renouveau de l’Opus Dei dans l’Église Catholique, rejette catégoriquement les propositions progressistes visant à organiser une société fondée sur l’équité et les droits de l’homme.

En Uruguay également, les changements technologiques redéfinissent le monde du travail et de l’emploi, et l’on craint beaucoup pour la création d’emplois. Les candidats de l’opposition ont proposé de créer des emplois – comme si c’était quelque chose de très simple – tout en dénonçant l’entrée des migrants, importante pour un pays dont la croissance démographique est presque nulle.

Cette droite sujette à l’ingérence étrangère risque de déstabiliser ce « petit pays à peine visible sur la carte », avec un peu plus de 3,2 millions d’habitants, et d’en faire un autre lieu de turbulence permanente, au profit des prédateurs nationaux et transnationaux.

Avec un gouvernement centriste, un candidat centriste en campagne centriste, le FA est sur le point de perdre le gouvernement après 15 ans. Le Parti National est un favori pour le deuxième tour, bien que son vote au premier tour ait été légèrement inférieur à 30% en 2009 et 2014.

Le Parlement issu de l’élection du 27 octobre est très conservateur. Le Parti National, le Parti Coloré et le Cabildo Ouvert, s’ils parviennent à former une coalition, auront une solide majorité dans les deux chambres pour imposer un programme de réforme néolibérale, d’ajustement et de répression, main dans la main avec le fascisme de Manini, le McCarthyisme de Sanguinetti et un banc évangélique influent qui a considérablement grandi.

Aram Aharonian

Article original en espagnol : El harakiri centrista del Frente Amplio y la amenaza de un triunfo de la derecha, estrategia, le 3 novembre 2019.

Traduit par Réseau International

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Le 22 octobre dernier, le président syrien rendait une visite surprise au front nord-ouest, où la province d’Idleb est occupée par les milices du terrorisme international, dont Erdogan s’est porté garant dans le cadre du processus d’Astana, lancé en janvier 2017 et fondé sur un accord tripartite turco-irano-russe en vue de la cessation des hostilités en Syrie. 

Le président a affirmé aux soldats de l’Armée arabe syrienne que le front d’Idleb était aussi prioritaire que le front nord-est [Al-Jazira] envahi par les États-Unis, la France, etc., sous prétexte de soutenir les Kurdes séparatistes aussi bien avant qu’après leur lâchage partiel par l’administration américaine. 

Le même jour fut signé l’accord turco-russe entérinant un retrait total des forces kurdes , considérées comme terroristes par Erdogan, jusqu’à 30 Kms de la frontière turque et le long des 440 Kms séparant le fleuve Euphrate de l’Irak, tandis que la Turquie se contenterait de 120 Kms et de 30 Kms de profondeur entre Tal Abyad et Ras al-Aïn, au lieu de sa prétendue « zone de sécurité » de 450 Kms de long. 

Un accord russo-turc qui a semé le doute quant à l’allié russe, lequel n’a jamais cessé de défendre la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriales syriennes, et dont la parole est généralement plus crédible que les résolutions des Nations Unies aux yeux des Syriens. 

C’est justement la partie traitant de ce sujet que nous avons extrait de l’entretien accordé, le 31 octobre, par le président Bachar al-Assad aux journalistes de deux chaines nationales syriennes : Al-Souriya et Al-Akhbariya. [NdT]. 

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Question : Des questions ont été soulevées dans la rue syrienne au sujet de l’accord russo-turc du 22 octobre, notamment sur le maintien du statu quo dans la région de l’agression turque entre Tal Abyad et Ras al-Aïn sur une profondeur de 32 Kms. Certains ont interprété cet accord comme une légitimation de l’occupation turque, d’autant plus qu’il ne mentionne aucun rôle attribué à la Syrie au sein de cette région. Que répondez-vous à cela ? 

Président Al-Assad : Premièrement, les principes russes ont été clairs tout au long de cette guerre et bien avant qu’une base russe ne soit installée en 2015, afin de soutenir l’Armée syrienne en s’appuyant sur le droit international, la souveraineté de la Syrie et son unité territoriale. C’est là un sujet qui n’a varié, ni avant, ni après, ni selon les différentes circonstances. 

Or, la politique russe s’appuie à travailler sur la réalité des faits, ce qui a permis de réaliser deux choses : d’abord, le retrait des groupes armés du nord vers le sud en coordination avec l’Armée syrienne et, en retour, la montée de l’Armée syrienne vers le nord dans la région non occupée par le Turc. Ce résultat est en soi positif, bien qu’il n’annule pas l’effet négatif de la présence turque, d’ici à son expulsion définitive d’une manière ou d’une autre. 

En effet, l’accord russo-turc est provisoire et d’une durée déterminée. Prenons, pour exemple, les zones de désescalade à l’une quelconque des étapes, quand certains ont cru qu’elles seraient irrévocables et autoriseraient les terroristes à rester indéfiniment dans les régions [dont ils avaient pris le contrôle]. Non, la vérité est que c’était là une occasion de protéger les civils, d’une part ; d’autre part, de trouver des possibilités de dialogue avec les terroristes afin qu’ils sortent de ces zones ultérieurement. 

Nous devons donc distinguer entre les objectifs ultimes -ou les stratégies- et les tactiques. Ce premier aspect fait qu’à courte échéance cet accord est bon. Mais permettez que je vous éclaire sur d’autres aspects qui vont dans ce même sens. 

Pour commencer, mis à part le fait que l’intrusion turque exprime les ambitions nuisibles de la Turquie, elle traduit aussi la volonté américaine. Le Turc a ses convoitises et la relation russe -établie à partir des principes et des intérêts russes- est une bonne relation car, d’un côté, elle bride ces convoitises ; d’un autre côté, elle coupe la route au jeu américain dans le nord du pays. 

Puis, pour plus de clarté, j’aborderai la récente proposition allemande directement soutenue par l’OTAN. L’Allemand -ne s’exprimant qu’au nom de l’Amérique et l’OTAN étant l’Amérique- a parlé de rétablir la sécurité dans cette même région, via une tutelle internationale. En d’autres termes, il s’agit là aussi d’une tentative visant à consacrer la sortie de l’État syrien de la région et la partition. 

Donc, par cet accord, le Russe a bridé le Turc, a coupé la route à l’Américain et a aussi coupé la route à l’appel à l’internationalisation proposé par l’Allemand.

C’est pourquoi nous disons que cet accord est un pas positif qui ne permet pas de tout concrétiser, puisque l’occupation turque n’a pas soudainement pris fin, mais il réduit les dommages et prépare la voie vers la libération de cette région dans un avenir que nous espérons très proche.

Question : Monsieur le Président, puisque vous avez décrit cet accord comme étant temporaire. Vu que la Turquie, telle que nous la connaissons, ne respecte ni accords ni engagements, la question est : que se passera-t-il si elle ne sortait pas des régions passées sous son contrôle lors de sa récente agression ? Vous avez déclaré à maintes reprises que l’État syrien utilisera tous les moyens pour se défendre. En pratique, l’accord russo-turc n’a-t-il pas empêché l’utilisation de ces moyens ?

Président Al-Assad : Prenons un autre exemple, celui d’Idleb dans le cadre du processus d’Astana, lequel stipule que la Turquie doit en sortir, ce qu’elle n’a pas fait, tandis que nous, nous sommes en train de travailler à la libérer. Une libération qui a pris une année de retard, au cours de laquelle toutes les chances ont été données au processus politique, aux dialogues politiques et aux diverses tentatives cherchant à en faire sortir les terroristes. Toutes les possibilités ont été épuisées et, finalement, nous avons entrepris sa libération, évidemment progressive, par une opération militaire.

Il en ira de même pour la région nord du pays une fois que toutes les possibilités politiques auront été épuisées, en tenant compte du fait qu’Erdogan vise depuis le début de la guerre à créer un problème entre le peuple turc et le peuple syrien, afin que le peuple turc devienne notre ennemi. Ce qui se produirait en cas d’affrontement militaire, alors que l’armée turque était avec l’armée syrienne et coopérait jusqu’à l’extrême limite avec nous, jusqu’à ce qu’Erdogan se retourne contre elle. 

C’est pourquoi, dans notre travail, il nous faut tenir à ce que la Turquie ne soit pas un État ennemi. Actuellement Erdogan et son groupe sont des ennemis. C’est lui qui mène ces politiques. Mais jusqu’ici, la plupart des forces politiques en Turquie s’opposent à ses politiques. Nous devons faire attention à ne pas transformer la Turquie en ennemie et c’est là le rôle des amis : le rôle russe et le rôle iranien. 

Question : Permettez, Monsieur le Président, que je complète l’idée en rappelant les actions entreprises ces derniers temps par les Turcs et par Erdogan en particulier, notamment la turquification, la construction d’universités, l’imposition de certaines langues. Ce sont des procédures de quelqu’un qui ne pense pas sortir. Puisque vous avez dit qu’il sortirait tôt ou tard, qu’en est-il des mesures disponibles ? 

Président Al-Assad : Exactement. Si Erdogan avait eu l’intention de sortir d’Idleb, il serait déjà sorti. Naturellement, vous pourriez me dire qu’à Idleb n’y a pas une véritable armée. [Voir en fin d’article la liste des milices de la prétendue opposition syrienne, soumise à Erdogan et qualifiée d’« armée nationale syrienne » ; NdT]. 

Mais l’arène syrienne est une seule arène et un même théâtre d’opérations, de l’extrême sud à l’extrême nord du pays. Le Turc est l’agent américain pour cette guerre. Partout où nous nous sommes battus, nous combattions l’agent turc. Et s’il ne sort pas par tous les moyens [précités], il n’y aura d’autre choix que celui de la guerre. C’est une évidence. Cependant, je dis qu’à court terme nous devons laisser place au processus politique sous ses diverses formes. Faute de résultats, nous serons face à un ennemi et nous irons à la guerre. Il n’y a pas d’autre choix. 

Question : Pourtant, en dépit de ce qui précède, certains ont dit que le retrait américain du nord de la Syrie, suivi du lancement de l’agression turque, puis de l’accord russo-turc entrent dans le cadre d’un accord américano-russo-turc. Qu’en dites-vous ?

Président Al-Assad : Un tel discours est destiné à prétendre que le Russe était d’accord ou qu’il avait fermé les yeux sur l’intrusion turque. Non, ce n’est pas la vérité. Plus d’un an auparavant, il s’était inquiété du sérieux de cette proposition [turque]. Nous savions tous qu’elle était sérieuse, mais qu’elle était bridée par les ordres ou la volonté des Américains. Peut-être que certains reprochent à la Russie des prises de position ayant mené à ce résultat, comme c’est le cas aux Nations Unies. Cependant, comme je viens de le dire, le Russe travaille sur des faits et, par conséquent, tente de créer toutes les conditions politiques nécessaires à l’ouverture d’une voie de sortie [du Turc] de la Syrie, de limiter les dommages causés par la Turquie ou de limiter ses ambitions, encore plus dommageables, par l’occupation de davantage de territoires. 

La Russie ne fait certainement pas partie d’un tel accord [américano-turco-russe]. Les accords russes ont toujours été annoncés publiquement, le texte détaillé de l’accord russo-turc a immédiatement été annoncé dans les médias, ainsi que notre accord conclu avec les Kurdes avec la médiation et le soutien de la Russie. 

Question : En revanche, les réunions entre Américains et Turcs ne sont pas annoncées. Vous avez souvent dit que la zone tampon était le premier objectif d’Erdogan depuis le premier jour de la guerre sur la Syrie. Le président Obama avait refusé la création d’une telle zone. Aujourd’hui, nous voyons des actions probablement contraires. Est-ce à dire qu’Obama est meilleur que Trump ?

Président Al-Assad : Nous ne devons parier sur aucun président américain. Qu’Erdogan déclare « Nous avons décidé d’entrer [en Syrie] et nous avons prévenu les Américains » ; autrement dit, essaye de se faire passer pour une superpuissance ou pour le maître de sa décision, n’est qu’un jeu entre lui et les Américains. 

Or, au tout début, les Américains et l’Occident n’ont autorisé personne à s’ingérer, car ils pensaient que les manifestations se développeraient et règleraient l’affaire. Ce ne fut pas le cas. L’affaire ne s’est pas réglée comme ils le souhaitaient. Ils sont passés aux armes. L’affaire n’a pas été réglée pour autant. Ils se sont alors tournés vers les groupes terroristes extrémistes dont la folle doctrine devait réussir à la régler militairement. Mais ils n’ont pas réussi. À l’été 2014, ce fut le rôle de Daech de disperser les efforts de l’Armée arabe syrienne ; ce qu’il a réussi. C’est à ce stade que la Russie est intervenue. Tous les paris sur le terrain militaire ayant alors échoué, l’intrusion turque est devenue nécessaire pour renverser la table. Tel est le rôle de la Turquie. 

Quant à l’une de vos questions concernant Trump, ma réponse pourrait vous surprendre. Je vous dirai qu’il est le meilleur président américain. Pourquoi ? Non pas parce que sa politique est bonne, mais parce qu’il est le plus transparent. Tous les présidents américains commettent toutes sortes de péchés capitaux politiques et de crimes, prennent des prix Nobel, se présentent en tant que défenseurs des droits de l’homme, des valeurs américaines nobles et uniques et des valeurs occidentales en général, mais ils ne correspondent qu’à un groupe de criminels représentant et exprimant les intérêts des lobbies américains que sont les grandes sociétés de l’armement, du pétrole, etc. Trump parle en toute transparence et dit : « Nous voulons le pétrole ». Telle est la réalité de la politique américaine, au moins depuis la Deuxième Guerre Mondiale. « Nous voulons nous débarrasser d’un tel ». « Nous voulons rendre un service contre telle somme d’argent ». Oui, telle est la réalité de la politique américaine. Que pouvons-nous espérer de mieux qu’un ennemi transparent ? 

Question : Le commandant des milices FDS, Mazloum Abdi, a déclaré par voie de presse qu’avant le retrait [américain] Trump leur avait promis de contacter les Russes afin de trouver une solution à la question kurde, par le biais d’un accord entre les Russes et l’État syrien donnant aux Kurdes une chance de se défendre. Cet accord a-t-il réellement été conclu Monsieur le Président ? Et quel est le sort des régions non frontalières de la Jazira syrienne [nord-est de la Syrie], lesquelles étaient sous le contrôle des milices armées desdites FDS ? Ont-elles été effectivement remises à l’État syrien ? Si oui, de quelle façon ? Militaire uniquement ? Ou bien militaire avec le retour des institutions étatiques syriennes ?

Président Al-Assad : Que ce contact ait eu lieu ou pas, tout ce que l’Américain dit n’est pas crédible. Et qu’il l’ait dit à un ami ou à un ennemi ne change rien au fait qu’il ne nous faut pas compter avec. Alors, ne perdons pas notre temps sur ce point. Le seul accord russe avec les Kurdes correspond au rôle russe -dont nous avons déjà parlé- dans l’accord entre l’Armée arabe syrienne et les Kurdes -ou plutôt les groupes kurdes qui se désignent eux-mêmes par le sigle FDS, pour ne pas stigmatiser les Kurdes- en vue de l’entrée de notre Armée [dans les territoires qu’ils contrôlaient]. Bien entendu, l’Armée syrienne ne peut pas entrer dans un but uniquement militaire et sécuritaire. Son entrée signifie l’entrée de l’État syrien et donc l’entrée de tous les services qu’il doit assurer. 

Cet accord a donc eu lieu. Nous sommes entrés dans la plupart des régions mais pas complètement. Il reste encore des obstacles face auxquels nous intervenons directement, car nous avons avec ces groupes des relations très anciennes datant de bien avant l’intrusion de la Turquie. Certains nous répondent positivement, d’autres pas. Mais l’entrée de l’Armée arabe syrienne sera indubitablement étendue [à toutes ces régions], parallèlement au retour des institutions étatiques ; autrement dit : parallèlement au retour de l’autorité de l’État. 

Je répète que ce retour se fait progressivement, le règlement de certaines réalités sur le terrain nécessitant du temps. L’absence de l’État a créé de nouvelles réalités au niveau de la population et nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les groupes armés nous remettent leurs armes spontanément. Nous l’exigeons, mais notre politique doit rester progressive, rationnelle et réaliste ; son but ultime étant le rétablissement du contrôle total de l’État. 

Question : Après tout ce qui s’est passé ; après leurs attaques contre l’État syrien, ses citoyens et son Armée ; après le rôle nuisible qu’ils ont joué tout au long de ces années de guerre ; après leur inféodation évidente à l’Américain ; après tout cela Monsieur le Président, nous Syriens, pouvons-nous revivre ensemble avec les Kurdes ? 

Président Al-Assad : Soyons précis. Ce sujet est constamment soulevé publiquement et parfois en séances privées. Je sais que vous posez ces questions abstraction faite de vos convictions personnelles. Mais, ce qui s’est passé au cours de cette guerre est une déformation des concepts. Par conséquent, dire que telle frange de la population est qualitativement positive ou négative est subjectif, irrationnel et même antipatriote. 

Certes, des Kurdes ont fait office d’agents et de pions inféodés à l’Américain, mais des cas similaires existent parmi les Arabes, aussi bien dans la région d’Al-Jazira [nord-est de la Syrie] que dans d’autres régions. La faute du groupe de kurdes en question est qu’ils se sont fait passer pour des représentants non seulement des Kurdes, mais aussi des Arabes et de toutes les diverses franges de la Jazira. Et, l’Américain est venu les soutenir via des armes et de l’argent, évidemment pris chez certains États arabes du Golfe, afin de consacrer leur autorité sur toutes les autres franges. 

Dès lors, nous nous sommes mis à croire que tous ceux qui se retrouvaient là dedans étaient des Kurdes. Non. Désormais, nous devons en parler en tant que « partis » auxquels nous avons à faire. Quant aux Kurdes, la plupart d’entre eux ont toujours eu de bonnes relations avec l’État syrien. Ils sont toujours restés en contact avec nous, proposant des idées véritablement patriotes, réagissant positivement à l’entrée de nos troupes dans certaines régions avec autant de bonheur et de joie que les autres franges de la population. Par conséquent, leur évaluation [telle que posée par la question] est inexacte. Sinon, cela signifie que la Syrie ne sera plus jamais stable.

Question : Mais alors, Monsieur le Président, quel est le problème avec les Kurdes, même avant la guerre ? Où réside le problème ?

Président Al-Assad : Ces groupes existent depuis des décennies bien que nous les ayons soutenus en risquant d’en payer le prix par un affrontement militaire avec la Turquie, en 1998. À l’époque, nous les soutenions en partant de leurs droits culturels. De quoi nous accusent-ils ? Ils accusent l’État syrien et parfois le Parti Baas de chauvinisme, alors que lors du recensement de 1962 ce parti n’était même pas au pouvoir. Et maintenant, ils nous accusent nous-mêmes de priver cette frange de citoyens de ses droits culturels. 

Supposons que ces accusations soient fondées. Est-ce possible que je sois à la fois une personne ouverte et fermée [à la diversité] ? Est-ce possible que l’État soit à la fois tolérant et ouvert, intolérant et fermé [à la diversité] ? C’est impossible. Prenons l’exemple de la dernière frange de citoyens ayant intégré le tissu social syrien : celle des Arméniens. 

Les Arméniens ont toujours été des patriotes par excellence, cette guerre ayant indiscutablement confirmé ce fait. Il n’empêche qu’ils ont leurs propres églises, leurs propres associations et, sujet plus délicat, leurs propres écoles. Mais lorsque vous êtes invités à assister à n’importe laquelle de leurs célébrations, à l’occasion d’un mariage ou d’autres occasions  -j’ai des amis arméniens et j’assistais à leurs fêtes en d’autres temps- vous les entendrez chanter des chansons de leur patrimoine, suivies par des chansons patriotes de dimension politique. Y a-t-il une liberté supérieure ? Et ce, en sachant que cette frange de la diaspora arménienne mondiale est celle qui s’est le moins dissoute dans la société environnante. Elle s’est intégrée mais elle ne s’est pas diluée et a conservé toutes ses caractéristiques. 

Pourquoi serions-nous ouverts ici et fermés ailleurs ? Parce qu’existent des propositions séparatistes et que nous voyons circuler des cartes faisant la  promotion d’un Kurdistan syrien comme partie d’un grand Kurdistan. Nous avons le droit de défendre l’intégrité de notre territoire et de nous méfier des projets séparatistes, mais nous n’avons aucun problème avec la diversité syrienne. Au contraire, nous considérons que cette diversité est belle et riche. Une richesse qui signifie « force ». 

Cependant la diversité est une chose et la partition, le séparatisme et le dépeçage du pays en sont une autre absolument contraire. Tel est le problème. 

[…]

Question : Le président Donald Trump a déclaré son intention de maintenir un certain nombre de ses soldats en Syrie, de déployer certaines unités aux frontières jordanienne et israélienne, tandis que d’autres unités protègeraient les champs pétrolifères. Qu’en pensez-vous et comment réagira l’État syrien face à cette présence illégale ?

Président Al-Assad : Abstraction faite de ces déclarations, l’Américain est un occupant. Il est présent au nord, au sud, à l’est et à l’ouest et le résultat est le même. Encore une fois, nous ne tenons pas compte de ses déclarations mais de la réalité. Comment réagir à cette réalité ? En fonction des priorités militaires, comme je l’ai déjà dit, c’est-à dire que nous avons certaines régions à libérer avant d’en arriver aux régions que l’Américain n’a pas quittées. Je n’userai pas de rodomontades en vous disant que nous enverrons notre Armée combattre l’Amérique. Nous parlons d’une grande puissance, en avons-nous les moyens ? Je pense que le sujet est clair pour nous les Syriens. 

Irons-nous vers la résistance ? Dans ce cas, le sort de l’Américain sera comparable à ce qui s’est passé en Irak. Mais, le terme « résistance » nécessite une disposition populaire contraire à la collaboration [avec l’ennemi]. Dès lors, le rôle naturel de l’État est de créer toutes les conditions susceptibles de soutenir toute forme de résistance nationale contre l’occupant, laquelle n’a rien à voir avec la mentalité coloniale américaine ou la mentalité commerciale qui vient coloniser une région pour l’argent, le pétrole, etc.

Il est illogique de passer en revue tous les facteurs d’influence et d’oublier que le principal facteur qui a amené l’Américain, le non-Américain et le Turc dans cette région est le Syrien collaborateur et traître. Traiter tous les autres facteurs revient à traiter les symptômes alors qu’il faut traiter les causes. Nous devons traiter avec ce Syrien là et tenter de restaurer la notion de patrie au sein de la société, de telle sorte que la traîtrise ne soit pas juste un point de vue, au même titre qu’une différence d’opinion politique. Lorsque nous réaliserons cela, je vous assure que l’Américain sortira parce qu’il n’aura plus le loisir de rester et qu’il n’en aura pas la force, bien qu’il soit une grande puissance. C’est ce que  nous avons constaté au Liban, à un moment donné, ainsi qu’en Irak à un stade ultérieur. Je crois que c’est la bonne solution.

[…] 

Question : Après avoir abordé les diverses interprétations consécutives à votre récente visite surprise à Idleb, j’aimerais vous interroger sur un autre aspect de la situation dans cette province. Une situation que Geir Pederson [Envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie] a abordé dans un entretien en la décrivant de « complexe ».De son point de vue, il faut éviter une opération militaire à grande échelle car elle ne contribuera pas à résoudre le problème, mais aura de graves conséquences humanitaires. Qu’en dites-vous ? Et pensez-vous que le processus de libération pourrait effectivement être retardé ? 

Président Al-Assad : Si Pederson possède les outils et la capacité de résoudre le problème sans opération militaire à grande échelle, c’est une bonne chose. Pourquoi n’avance t-il pas la solution s’il en a une vision claire ? Nous n’avons pas d’objection. Le problème est finalement très simple : il peut se rendre en Turquie et la convaincre de convaincre à son tour les terroristes d’opérer la séparation entre les civils et les milices armées, les premiers seraient amenés dans une région et les seconds dans une autre. Ce qui rendrait l’opération encore plus facile, c’est s’il pouvait distinguer celui qui est armé de celui qui ne l’est pas. Mais, la vérité est que le processus de lutte contre le terrorisme ne se fait pas en théorisant, en dissertant ou en sermonnant.

Quant au retard du processus de libération, si nous avions attendu les résolutions de l’ONU -en fait, quand nous parlons de résolutions de l’ONU, nous parlons de décisions des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de ceux qui les suivent- nous n’aurions libéré aucune région de la Syrie depuis le début de la guerre. Ces pressions n’ont pas d’effet sur nous, bien qu’il arrive parfois que nous prenions en compte telle ou telle situation politique comme je l’ai déjà dit, pour ne pas leur fournir de prétextes. Mais lorsque toutes les possibilités sont épuisées, l’action militaire devient nécessaire afin de sauver les civils. 

Je ne peux pas sauver les civils en les laissant à la merci du milicien armé. La logique occidentale qui appelle à l’arrêt de l’opération militaire pour protéger les civils est une logique inversée, sciemment et hypocritement bien entendu, vu qu’elle prétend que laisser le civil sous l’autorité du terroriste le protège. Ce sont les militaires qui protègent les civils et lorsque vous laissez le civil sous l’autorité du terroriste, vous lui rendez service et vous participez à l’assassinat du civil. 

Question : Monsieur le président, vous n’attendez pas une résolution de l’ONU. Mais attendez-vous une décision de la Russie? Les Russes peuvent-ils retarder l’opération [de libération] ? Il y a déjà eu des arrêts d’opérations militaires annoncées vers Idleb. À chaque fois, certains ont parlé de pressions russes pour cause d’arrangements personnels avec les Turcs. Quelle est la vérité d’un tel discours ? 

Président Al-Assad : Le mot « pression » n’est pas précis. Nous menons, avec les Russes et les Iraniens, une même bataille militaire et une même bataille politique. Nous ne cessons de nous concerter pour saisir le moment opportun en fonction des circonstances. À plusieurs reprises, nous avons convenu ensemble d’une date d’opération qu’il nous a fallu reporter, à cause d’éléments nouveaux militaires ou politiques. 

Nous, nous voyons ce qui est lié au niveau local, l’Iran voit ce qui est lié au niveau régional, et la Russie voit ce qui est lié au niveau international. D’où la complémentarité. D’où le dialogue. 

[…]. 

Mais, il n’y a pas que le rythme rapide d’évènements nouveaux qui nécessite le report des opérations. Il y a aussi la nécessité de sortir les civils [des champs d’opération] et de leur ouvrir la voie vers les régions que nous contrôlons ; ce qui contribue à sauver des vies. Une autre de nos priorités est de préserver la vie de nos soldats, ce que nous avons réussi dans certains cas grâce à une solution politique. 

Les données pouvant influencer une décision, ou la reporter à plus tard, sont nombreuses. Ce n’est ni le lieu, ni le moment de les passer en revue. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un problème de « pressions ». Le Russe tient autant que nous à lutter contre le terrorisme ; sinon, pourquoi enverrait-il son aviation militaire ? Et le timing est donc le résultat de nos concertations.

 

Source : Vidéo sous titrée en anglais

Entretien avec le président Bachar al-Assad :

https://www.youtube.com/watch?time_continue=376&v=4QRd3TNNbLA

Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca

 

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Photo : Abdelhak Bouhafs

«Aux grands hommes la patrie reconnaissante»

Cette fin d’octobre a vu l’Algérie perdre trois de ses meilleurs fils dans l’indifférence la plus totale des médias et des pouvoirs publics si ce n’est celle de leurs frères de combat du domaine pétrolier, ceux qui les ont connus et appréciés. On l’aura compris, ces cadres de valeur étaient les pionniers d’une certaine vision de l’engagement d’un grand djihad toujours renouvelé pour l’émergence d’une Algérie du développement à laquelle ils avaient cru de tout leurs cœurs. Je veux nommer Abdelhak BouhafsMessaoud Chettih Hammoutène qui iront rejoindre l’armée des sans-grade à l’instar de ceux qui les ont précédé dans l’échelle actuelle des valeurs, dans ce pays où c’est mal vu d’être compétent. Quelques fulgurances aussi : les noms d’Ali Boudjadja et Mohamed Rafaâ Babaghayou, Ramdane Hammoutène me viennent aussi à l’esprit pour illustrer le combat de ces  pionniers du développement.

Abdeljak Bouhafs Un homme de conviction intransigeant

C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai appris le décès de Abdelhak Bouhafs. On aura tout dit de son parcours sans faute  dans le domaine des hydrocarbures et notamment comme président directeur général de Sonatrach . Je l’ai connu sur le tard et nous nous sommes, dès le départ, entendus. C’était le début pour moi des Journées sur l’énergie. Comme j’avis décelé chez lui cette disposition pour les sciences et la recherche, je le sollicitais souvent. C’est avec lui que nous avons pensé aux Journées scientifiques et techniques qui ont vu le jour à l’IAP avec un autre pétrolier, directeur général de l’IAP, père fondateur de l’AIG. Nous garderons de lui le souvenir de quelqu’un d’intègre qui a su insuffler à Sonatrach un souffle de modernisme à travers le projet Promos. C’est un dirigeant qui avait pour Sonatrach de grandes ambitions. Il s’investissait corps et âme dans tout ce qu’il entreprenait. Il a fait de l’AIG (Association des Ingénieurs du Gaz) qu’il a aussi mis sur pied, une des associations les plus actives d’Algérie. Il a milité pour que les actions de l’AIG, tant sur le plan national qu’à l’international, contribuent à promouvoir l’image du gaz naturel comme énergie propre.

Pour l’histoire, les « Journées scientifiques et techniques » ont été initiées à la faveur de la célébration du trentième anniversaire de Sonatrach. Abdelhak Bouhafs en parle : « J’ai dit à la faveur, je devrais ajouter avec la ferveur qu’exprime naturellement, à des dates symboliques, une population animée d’un projet d’avenir, fédérée sur des valeurs et motivée par des objectifs qualitatifs. C’est une manifestation qui procédait du projet Promos (Processus de modernisation de Sonatrach) Le souvenir qui me revient, est celui de l’engouement des cadres de Sonatrach, ingénieurs, financiers, juristes, pour cette manifestation. Ils se sont emparés de cet espace de rencontre et d’échange, pour faire part de leur expérience et pour écouter celle des autres. (…) » (1)

« Dans le monde actuel  poursuit il , les changements s’opèrent à un rythme accéléré et ont généralement une ampleur planétaire, n’épargnant aucun havre, aucune citadelle. Il n’y a pas de situations acquises, mais des positions dynamiques, conquêtes permanentes dans un espace concurrentiel. L’innovation technologique constitue le point nodal dans la conquête dynamique de position compétitive et par conséquent de survie. Il ne faut pas cependant oublier que l’innovation technologique et sa mise en œuvre est l’affaire des ressources humaines. C’est la première richesse de l’entreprise. » (1)

La philosophie  avant gardiste du développement de Sonatrach 

Abelkaks Bouhafs, avec ses conviction voulait toujours convaincre  à partir d’une ambition pour Sonatrach.  Ainsi à  une question d’un site étranger :

« Comme vous le savez, nos lecteurs sont en perpétuelles recherches d’opportunités d’investissements. Dans quel secteur d’activités souhaiteriez vous attirer des partenaires ? »

Bouhafs répond :

« La première opportunité est traditionnellement l’exploration et l’association pour développer la meilleure récupération du gisement qui est déjà exploité par Sonatrach. Nous avons un projet de développement important dans la pétrochimie, dans la transformation des hydrocarbures. La pétrochimie constitue le deuxième secteur où il existe de nombreuses opportunités de partenariats qui peuvent intéresser des partenaires de taille et de caractéristique très différenciées, car dans un programme de pétrochimie nous avons des petits projets de transformation qui nécessitent de petits capitaux. Créer de l’emploi est un retour en capital rapide aux grands complexes, et la production de produits de base ne peut être faite qu’avec des partenaires qui peuvent partager les capitaux, apporter une part de technologie et développer une part de marché. » (2) 

Abdelhak Bouhafs était conscient qu’une entreprise pétrolière qui n’investissait pas dans la recherche n’irait pas loin. Cette préoccupation il me la faisait partager quand nous en parlions. Il voulait mettre en place non seulement un Centre de recherches digne de ce nom, mais de plus, il voulait que Sonatrach, à l’instar des grandes entreprises, devrait avoir son université conçue comme un lieu d’échanges, de débats et de création de savoir qui rassemble des experts de tous horizons: chercheurs, entrepreneurs, dirigeants ou encore étudiants. Créant ainsi une pluralité de parties prenantes qui permet d’engager des débats contradictoires, stimulés par une entière liberté de parole. 

Les Journées Scientifiques et techniques ( JST ) étaient un premier jalon. Le centre de recherches prévu à Oran devait être l’un des maillons de l’ouverture scientifique de la Sonatrach. La dernière fois que je l’ai vu, il était venu la veille à Polytechnique et nous avions discuté outre des JST, de la Journée de l’énergie de l’Ecole polytechnique prévue comme de tradition le 16 avril de chaque année. Journée durant laquelle je lui avais demandé d’intervenir.

Il m’avait invité à aller avec lui à Hassi Messaoud à ce fameux meeting où il a appris en pleine réunion qu’il n’était plus président-directeur général après avoir été abîmé une première fois dans les mêmes conditions au milieu des années 90, et avoir accepté de reprendre le harnais de la gestion d’une entreprise aussi importante pour le pays. On l’aura compris, cette belle utopie s’effilocha au fil des ans, à ma connaissance la recherche n’est pas à l’ordre du jour des préoccupations actuelles du pays. 

Messaoud Chettih : Une compétence et un patriotisme permanent

Un autre cadre de valeur et non des moindres qui vient de nous quitter, Messaoud Chettih, a montré lui aussi, la pleine mesure de son talent de dirigeant dans la gestion optimale du complexe d’El Hadjar. La conjoncture des années de braise, le manque de moyens, la gestion approximative du pays et surtout l’avènement d’une faune de trafiquants en tous genres, malgré les difficultés du pays amenèrent par une série de circonstances, mais aussi par l’injustice des puissants, des cadres de haut niveau de Sider à subir les accusations de mauvaise gestion, la gestion ayant décidé à tort de leur incarcération ; ce sera le cas de monsieur Messaoud Chettih et de ses collaborateurs. Ils seront réhabilités quarante mois plus tard sans aucune reconnaissance. Tout ceci pour s’être opposés à la mafia du béton qui aura raison de leur patriotisme.

Le plaidoyer de Messaoud Chettih à la barre

Accusé de tous les maux même les plus dégradants Messaoud Chettih  a voulu convaincre rationnellement le président du  tribunal  La journaliste  Shehrazad Hadid  du journal Le Matin   rapporte : 

«Dans cette affaire Sider, Monsieur le président du tribunal, , déclare  Messaoud  Chettih , vous ne connaissez que les 10% de l’iceberg apparents. Les 90 % autres de la partie cachée, nul ne pourra mesurer son ampleur, ni sa gravité.» Cette introduction à la barre de M. Chetih, ex-P-DG de Sider, au sixième jour du procès au tribunal criminel d’Annaba, sera suivie par des révélations fracassantes. En novembre 1995, l’entreprise Sider s’est redressée en couvrant 80 à 90% de l’approvisionnement du marché national en rond à béton. Ce redressement, selon M. Chetih, a dérangé les intérêts de certaines forces occultes qui sont passées à l’action pour détruire l’entreprise dont il est responsable. (…).

«Nous avons été confrontés à moult opérations illégales manifestées par ces mêmes barons», avouera M. Chetih, avant de révéler un secret devenu trop lourd à supporter. Il s’agit de la ligne de crédit BCI dite à tirage rapide de 300 millions de dollars que le gouvernement italien avait accordée à l’Algérie pour l’achat de matériaux de construction fabriqués en Italie. L’interlocuteur affirme que les opérateurs privés ont pris plusieurs dizaines de millions de dollars de ce crédit sans fournir la contrepartie en dinars. Trafic et complot ont caractérisé toutes les démarches. Il en est ainsi des 240 000 tonnes de rond à béton fabriqué en Yougoslavie à partir de rail déclassé, qui ont fait l’objet de trafic sur l’étiquetage, et ce, avec la complicité d’un trader allemand qui délivrait de faux certificats d’origine, avant de faire embarquer la marchandise à destination de l’Algérie » (3)

«  Selon Chetih,  poursuit la journaliste  Shehrazad Hadid   deux sociétés écrans dans ce domaine ont été créées, une en Italie et l’autre en Autriche. La première gérée par des Algériens est une société d’ameublement. Quant à la seconde, elle avait pour objectif de surfacturer les produits en provenance de l’Ukraine et de les vendre en Algérie. La différence dans les bénéfices sera versée dans des comptes spéciaux. Plus grave encore, cette société autrichienne faisait entrer en Algérie un rond à béton radioactif fabriqué à Tchernobyl. Des centaines de logements et villas furent ainsi construits à travers le territoire national avec ce produit aussi dangereux que mortel.  «Le rond à béton se vendait au port et parfois même avant que le bateau n’accoste. A titre d’exemple, 17 500 tonnes de rond à béton radioactif ont été importés en une seule opération», affirme Chetih. Outre ces pratiques mafieuses, était fixé à la clientèle par les barons privés le prix du rond à béton en ajoutant un supplément sur les prévisions de pertes de change. «Voici les 90 % de l’iceberg masqués», conclura M. Chetih avant de rejoindre le box des accusés ». (3)

Comme rapporté par le journal, Le Libre Penseur, en substance, toute la stratégie de la mafia du béton était d’écarter par tous les moyens Sider. Pour casser les prix. Elle importe du rond à béton chez des traders inconnus russes et surtout ukrainiens qui après Tchernobyl ont réussi à vendre du rond à béton irradié. Une vive polémique éclata à l’époque lorsque les responsables de Sider eurent pointé du doigt les importateurs privés, leur reprochant de se fournir, à vil prix, auprès d’un trader algérien basé en Italie, qui importait de l’acier ukrainien irradié transitant par la péninsule. 

Ce qu’il faut savoir c’est que l’irradiation neutronique de l’acier provoque des évolutions microstructurales qui, à la longue, modifient les propriétés de cet acier. En règle générale, un réacteur nucléaire utilisant des cuves en acier devrait être démonté au bout de 25 ans limites supérieures de résistance, avec naturellement des contrôles permanents de l’état de fragilisation de l’acier qui, graduellement, ne remplit plus son rôle. C’est à n’en point douter, un danger réel qu’il ne faut pas sous-estimer. D’autant que des dizaines de milliers de logements ont été construits avec cet acier. 

Le témoignage, poignant, que livrera un des ex-cadres dirigeants de feue Sider, qui n’est pas près d’oublier ce qu’Ouyahia et ses protégés avaient fait subir à ses ex-collègues : « Dans le bâtiment, ces orientations avaient un double objectif : à l’arrêt, du fait de la longue pénurie sévère de rond à béton, les chantiers relatifs au programme de réalisation de milliers de logements sociaux devaient être relancés. C’est dans ce cadre que l’État s’était appuyé sur Sider, qui avait ses réseaux commerciaux sur le marché international à l’effet de satisfaire les besoins dudit programme gouvernemental, à lui seul, le complexe El Hadjar était incapable de couvrir ces besoins. C’est ce que fera Sider avec les premiers achats d’importantes quantités de rond à béton auprès de différents fournisseurs connus sur le marché international. » (4)

Ainsi, un cadre de très haute valeur de la sidérurgie algérienne qui avait été jeté en prison pour privatiser El Hadjar. Le 21 février 1996, les principaux dirigeants de Sider qui coiffait le complexe sidérurgique d’El Hadjar, alors public, étaient mis en prison avec des chefs d’inculpation gravissimes. Le principal inculpé était Messaoud Chettih, alors P-DG de Sider. Il sera condamné, le 23 octobre 1997, à dix ans de prison. Quarante mois après, un nouveau procès l’innocentera, ainsi que ses collègues. Les responsables abîmés sont légion et l’Etat actuel ne reconnaît pas ses fautes, il ne réhabilite pas les cadres injustement accusés. Comment dans ce cas ne pas comprendre cette frilosité des dirigeants de société qui sont littéralement tétanisés, ne prenant plus aucune initiative du fait de la pénalisation arbitraire de l’acte de gestion? 

Décidément, le sort s’est acharné sur lui car à l’arrivée de Bouteflika,Messaoud Chettih est désigné au poste de P-DG d’Algérie télécom (entre 2002 et 2004). Toutefois, dès le retour de Ahmed Ouyahia au Premier ministère, Chettih est limogé et même accusé dans une affaire qu’il avait lui-même dénoncée auprès de la justice. Curieusement, en allant dans le privé, Messaoud Chettih a fait fructifier une entreprise dans de grandes proportions. C’est dire son potentiel, lui qui avait choisi d’abord de servir son pays avant d’être abîmé comme l’a été aussi Abdelhak Bouhafs

L’entreprise de détricotage minutieux de l’outil industriel

 On ne peut pas comprendre le sort de ces hauts cadres au service du pays sans avoir connaissance de la vision des dirigeants de l’époque .Sans verser dans la nostalgie, l’impression que nous avons est que les gouvernements à partir de 1980 ont minutieusement cassé les outils de production existants, au nom de la mondialisation. Pis encore, la décennie noire l’a été aussi pour le tissu industriel. Le rouleau compresseur mis en branle, dès la décennie 1990, a désarticulé les entreprises publiques. La privatisation anarchique a cassé le reliquat des défenses immunitaires Rien n’a échappé à la curée. L’entreprise Snic qui avait investi dans trois complexes de 80 000 tonnes de détergents chacun, a été dissoute. Achetés pour une bouchée de pain par une firme allemande, licencié les travailleurs, fermé les usines. Ce qui l’intéressait en fait, c’était le marché algérien. Le détergent que nous fabriquions de bout en bout, était importé et conditionné. C’était la régression totale. Ce sera aussi le sort des entreprises du batiment, de la Snlb, de la Snmc. C’est un miracle que la capacité du raffinage n’ait pas été bradée. Et nous sommes bien contents d’avoir cette capacité de 22 millions de tonnes, d’autant que rien de pérenne n’a été construit depuis. 

Il vient que le secteur public fort de ses ressources humaines peu nombreuses, mais de haute compétence, compétentes et engagées, fut mis parterre. La machine à broyer judiciaire va s’en charger opportunément. Plus de 6000 cadres furent incarcérés. Des dizaines d’entreprises publiques économiques nationales (EPE) et près de 1 000 entreprises publiques locales (EPL), et par le licenciement de plus de 600 000 travailleurs. 

Conclusion

L’Algérie à travers la  perte de ces pionniers  des frères de combat dans toutes les luttes que nous avons menées sur le front du développement avec, le feu sacré qui les habitait pour seul récompense et ambition celui   de voir l’Algérie réussir. Ils auront connu la souffrance digne, ils auront connu l’ingratitude des hommes et ont toujours su rester dignes. De cette dignité de l’Algérie profonde, aussi bien à  l’ouest et au Sud du   Ils n’ont pas jailli du néant,  il ont  fait le parcours complet du combattant du développement pétrolier en en gravissant toutes les échelles. Pour notre génération, le 24 février qui fut, à bien des égards, un marqueur identitaire. 

Qui se souvient en effet,  du fameux coup d’éclair dans un ciel serein que fut la décision de Houari Boumediene qui annonçait à la face du monde par son mémorable «Kararna ta’emime el mahroukate» «Nous avons décidé souverainement de nationaliser les hydrocarbures». Ayant fait partie de cette génération, de pionniers des années 1970 qui avaient le feu sacré. Nous avons cru et donné le meilleur de nous-mêmes car il y avait une utopie mobilisatrice. 1971 la force de frappe de toute l’Algérie (environ un millier de diplômés se trouvaient à Cherchell). 

Après le discours, toute cette intelligence était répartie sur les différents challenges du pays (hydrocarbures, Transsaharienne, Barrage vert, les 1 000 Villages agricoles, l’éducation, l’université, la santé militaire). Tout était à construire, tout était à inventer.   L’amour du pays était la défense de ses intérêts étaient logiciel de fonctionnement de ces battants intransigeants avec eux-mêmes et incorruptibles  Cela me rappelle la phrase de Mohamed Rafaâ qui acceptait de négocier jusqu’à une certaine limite, mais quand cela devenait inacceptable avec du chantage presque, il disait alors non, avec les termes du terroir suivant : «Tebki mou, matebkich ma.» (Que sa mère pleure, mais pas la mienne).  On aura compris sa mère, c’était l’Algérie. 

A la tête de Sonatrach, Bouhafs en a payé le prix à deux reprises. Nommé DG de Sonatrach en 1989, Abdelhak Bouhafs apprendra son limogeage en 1995, en lisant une dépêche de l’APS. Revenu aux commandes de l’entreprise en janvier 2000, il sera de nouveau démis de ses fonctions 13 mois après sa nomination. Messaoud, lui aussi, connut les foudres des dirigeants sans être réhabilité. 

L’expérience des industries industrialisantes qui avait bien démarré avec des jeunes cadres compétents a explosé en plein vol en moins de deux décennies. Les jeunes cadres qui étaient sur le front du développement n’ont pas démérité. Même actuellement à la retraite, ils se sentent concernés par le destin du pays et ne s’empêchent pas de donner leur avis. L’Algérie actuelle ne leur fait pas de place, alors que c’est un vrai think tank valable, qui est payé avec une monnaie qui n’a plus cours :  l’amour du pays. 

Des hommes dont l’honnêteté, la foi, la droiture, la sincérité, les compétences, le patriotisme et l’ouverture d’esprit durant toute leur carrière étaient des exemples d’intégrité, à suivre, mais qui n’ont pas cours dans l’échelle actuelle des valeurs. C’était des météores, qui ont sacrifié leurs vertes années au service d’un honorable idéal : l’algérianisation à outrance de l’encadrement de l’amont, l’ouverture sur l’universel et l’ambition pour faire de l’Algérie, un pays moderne, fasciné par le savoir. Je garde d’eux l’image d’hommes accomplis, modestes, c’était des êtres entiers, mêlant rigueur, intelligence, clairvoyance et esprit, tout en finesse. Ils ont fait leur devoir dans toute la noblesse du terme. Nous ne les oublierons pas et nous n’oublierons pas leur combat pour une Algérie fascinée par l’avenir et qui doit garder son rang dans un monde de plus en plus difficile. Que Dieu vous fasse miséricorde vous avez bien mérité de la patrie. 

La Deuxième République, à laquelle nous aspirons, remettra les choses à leur place et il est à espérer que nous avons divorcé définitivement avec les comportements mafieux au sommet de l’Etat. Chacun sera jugé à l’aune de sa valeur ajoutée et non de sa capacité de nuisance. A l’instar de Bouhafs et de Chettih, des moudjahidine sur le front du développement. Ce seront les compétences technocratiques patriotiques et intègres qui sauveront le pays.

Professeur  Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

 

 

Notes :

1.http://www.eldjazaircom.dz/index.php?id_rubrique=294&id_article=3282

2.11 septembre 2000 http://www.winne.com/topinterviews/Algeria-Sonatrach.htm

3. Shehrazad Hadid  Les révélations de Chetih Le Matin  5 décembre 1999  

4.https://www.lelibrepenseur.org/affaire-sider-ouyahia-la-tache-indelebile/

Article de référence :  https://www.lexpressiondz.com/nationale/bouhafs-chettih-nous-ont-quittes-323252

 

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Tentative de coup d’État en Bolivie

novembre 6th, 2019 by Romain Migus

L’analyse du journaliste franco-argentin, Marco Teruggi, EN DIRECT DE LA PAZ, BOLIVIE. Une interview indispensable pour comprendre les enjeux de ce qui est en train de se jouer dans ce pays andin.

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Le cinéaste John Pilger a assisté à la dernière audience de Julian Assange et a observé non seulement qu’Assange souffre visiblement de mauvais traitements en prison, mais que sa défense n’a pas eu une chance équitable de faire valoir ses arguments contre son extradition vers les États-Unis.

GREG WILPERT : Bienvenue à Real News Network. Je suis Greg Wilpert, d’Arlington, en Virginie.

Julian Assange s’est récemment vu refuser un report de son audience d’extradition prévu en février 2020. L’audience sur le report a eu lieu le 21 octobre et, selon les observateurs présents, il pouvait à peine parler en phrases cohérentes. Réagissant à l’audience, le Rapporteur des Nations Unies pour les droits de l’homme, Nils Melzer, a averti vendredi dernier qu’Assange continue de présenter des symptômes de torture psychologique. Melzer avait rendu visite à Assange en mai et avait fait procéder à un examen approfondi de son état physique et psychologique. Dans sa déclaration de vendredi, Melzer a déclaré : « Malgré l’urgence médicale de mon premier appel et la gravité des violations alléguées, le Royaume-Uni n’a pris aucune mesure d’enquête, de prévention et de réparation en vertu du droit international. »

En plus des préoccupations concernant le traitement d’Assange à la prison de Belmarsh, à l’extérieur de Londres, beaucoup ont également exprimé des doutes quant à l’impartialité de la procédure engagée contre lui. Assange fut emprisonné en avril dernier lorsque l’ambassade équatorienne, où il avait obtenu l’asile politique, a autorisé la police à l’arrêter. Il fut ensuite condamné à 50 semaines de prison pour avoir violé sa liberté sous caution en 2012. L’administration Trump a depuis lors demandé l’extradition d’Assange pour 17 chefs d’accusation d’espionnage pour lesquels il pouvait être condamné à une peine de 170 ans de prison aux États-Unis.

John Pilger se joint à moi pour discuter des derniers développements dans l’affaire Julian Assange. Il a suivi de très près l’affaire Assange et a assisté à l’audience du 21 octobre. Il est journaliste et documentariste primé. Son film le plus récent est The Coming War on China. Merci de vous joindre à nous, John.

JOHN PILGER : Merci à vous.

GREG WILPERT : Commençons par l’état d’Assange. Comme je l’ai dit, vous étiez présent à la dernière audience. Quelle était votre perception de son état et de son apparence ?

JOHN PILGER : Eh bien, j’étais à la dernière audience, et j’avais vu Julian environ une semaine auparavant, je l’ai donc vu de près à plusieurs reprises récemment. Je suis d’accord avec l’évaluation de Nils Melzer. C’est très difficile à dire. Son état physique a radicalement changé. Il a perdu environ 15 kilos. Le voir au tribunal faire des efforts pour dire son nom et sa date de naissance fut vraiment très émouvant. Je l’ai vu lorsque j’ai rendu visite à Julian à la prison de Belmarsh, il a du mal au début puis arrive à se ressaisir. Je suis toujours impressionné par la résilience de cet homme car, comme le dit Melzer, rien n’a été fait pour changer les conditions imposées par le régime carcéral. Rien n’a été fait par les autorités britanniques.

Cela a été presque souligné par la manière méprisante dont ce juge, ce magistrat, a conduit cette audience. Nous avions tous le sentiment que toute cette mascarade, car cela avait tout l’air d’une mascarade, avait été préprogrammée. Assis devant nous, sur une longue table, se trouvaient quatre Américains de l’ambassade des États-Unis ici à Londres, et l’un des membres de l’équipe du procureur faisait de rapides allers-retours pour recueillir des instructions auprès d’eux. Le juge l’a vu et l’a autorisé. C’était absolument scandaleux.

Lorsque Julian a essayé de parler et de dire qu’on lui refusait les moyens dont il avait besoin pour préparer sa défense, on lui a refusé le droit d’appeler son avocat américain. On lui a refusé le droit d’avoir n’importe quel type de traitement de texte ou d’ordinateur portable. Certains documents lui ont été refusés. Comme il l’a dit, « je suis même privé de mes propres écrits », c’est-à-dire ses propres notes et manuscrits. Cela n’a pas changé du tout, et bien sûr, l’effet sur son moral – c’est le moins qu’on puisse dire – a été très important, et c’était visible au tribunal.

GREG WILPERT : Oui, j’aimerais approfondir un peu la question de l’équité de ce procès. Craig Murray, qui est un blogueur et qui a également participé à la dernière audience, a écrit sur un certain nombre de choses, que vous avez également mentionnées. Il mentionne expressément la juge de district Vanessa Baraitser, et l’une des choses qu’elle a faites a été de rejeter complètement la demande d’Assange de déterminer si la procédure d’extradition était même légale. C’est-à-dire, selon le droit britannique, « l’extradition ne sera pas accordée si l’infraction pour laquelle l’extradition est demandée est une infraction politique ». Que pensez-vous de cette question ? L’infraction commise par Assange est-elle politique, et que pensez-vous de la réaction du juge à cette demande ?

JOHN PILGER : Je connais très bien son avocat, Gareth Peirce, et ce n’est pas quelqu’un qui se met en colère. Mais je l’ai vue avant et après l’audience, et elle était très fâchée du fait que, comme elle l’a dit, « Nous sommes à une audience d’extradition, fondée sur un traité entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, et il y a un article dans ce traité qui dit », comme vous venez de le mentionner, « personne ne peut être extradé si », et je paraphrase, si les prétendues infractions sont de quelque manière politiques. Et d’après la loi, ce n’est pas une question d’opinion, elles sont politiques. Toutes les accusations concoctées en Virginie, sauf une, sont fondées sur la loi de 1917 sur l’espionnage, qui était une loi politique utilisée pour poursuivre les objecteurs de conscience pendant la Première Guerre mondiale.

C’est politique. Il n’y a pas d’accusation. Il n’y a aucun fondement pour poursuivre cette procédure d’extradition et, de façon presque perverse, le juge a semblé l’admettre dans son mépris pour la procédure. Chaque fois que Julian Assange parlait, elle feignait un désintérêt, un ennui, et chaque fois que ses avocats parlaient, c’était la même chose. Chaque fois que le procureur parlait, elle était attentive. L’aspect théâtral de cette audience a été tout à fait remarquable. Je n’ai jamais rien vu de tel. Puis, très précipitamment, lorsque l’avocat de Julian Assange a demandé que l’affaire soit reportée – elle a dit : « Nous ne serons pas prêts en février » – la juge a rejeté la demande d’un revers de la main.

Non seulement cela, mais elle a dit que l’affaire d’extradition se déroulerait devant un tribunal qui est en fait adjacent à la prison de Belmarsh. Il fait presque partie de la prison. C’est loin de Londres. Vous avez donc, sinon un procès secret, mais un procès ou une audience d’extradition dans laquelle très peu de places sont disponibles pour le public. C’est un endroit très difficile d’accès. Ainsi, tous les obstacles ont été placés sur la voie d’une audience équitable pour Assange. Et je ne peux que le répéter, il s’agit d’un éditeur et d’un journaliste condamné pour rien, inculpé pour rien en Grande-Bretagne, dont le seul crime est le journalisme. Cela peut sembler être un slogan, mais c’est vrai. Ils veulent le punir pour avoir dénoncé les crimes de guerre scandaleux, l’Irak, l’Afghanistan, ce que les journalistes sont censés faire.

GREG WILPERT : J’aimerais aussi vous poser des questions sur le soutien qu’Assange semble recevoir ou pas. Il semble que les médias qui ont énormément bénéficié du travail d’Assange ne mentionnent guère son cas, et encore moins le soutiennent. De plus, des groupes de défense des droits humains comme Amnesty International ont exhorté le Royaume-Uni à ne pas extrader Julian, mais ne sont pas emparés de son cas. Je viens de vérifier. Ils ne font pas campagne comme ils le font normalement pour les prisonniers politiques. Comment expliquez-vous ce manque d’intérêt des médias et des groupes de défense des droits humains pour la situation d’Assange ?

JOHN PILGER : Parce que de nombreux groupes de défense des droits humains sont profondément politiques, Amnesty International n’a jamais fait de Chelsea Manning une prisonnière d’opinion. C’est vraiment honteux. Chelsea Manning, qui a été torturée en prison, et ils n’ont pas, comme vous le dites, soulevé le cas de Julian. Pourquoi ? Eh bien parce qu’ils sont une extension. L’extension d’une classe dirigeante qui s’attaque maintenant presque systématiquement à toute forme de dissidence réelle. Au cours des cinq ou six dernières années, les dernières brèches, les dernières niches, les derniers espaces dans les médias grand public pour les journalistes, qu’ils soient des journalistes ordinaires ou des journalistes comme Assange, mais pas seulement Assange, aussi pour des gens comme moi et d’autres, ont été fermés.

Les médias grand public, certainement en Grande-Bretagne, avaient toujours maintenu des espaces ouverts. Ils ont été fermés, et je pense qu’il y a généralement, dans tous les médias, une crainte de s’opposer à l’État dans une affaire comme l’affaire Assange. Voyez comment toute cette obsession pour la Russie a consumé les médias avec tant d’histoires absurdes. L’hostilité, l’animosité envers Julian. Ma propre théorie est que son travail a fait honte à tant de journalistes. Il a fait ce que les journalistes auraient dû faire, et ne font plus. Il a fait le boulot de journaliste. C’est la seule explication. Je veux dire, quand vous prenez un journal comme The Guardian, qui a publié à l’origine les révélations de WikiLeaks sur l’Irak et l’Afghanistan, ils se sont retournés contre Julian Assange de la manière la plus féroce qui soit.

Ils l’ont exploité pour une chose. Un certain nombre de leurs journalistes se sont extrêmement bien débrouillés avec leurs livres, leurs scénarios hollywoodiens, et ainsi de suite, mais ils se sont retournés contre lui personnellement. C’est l’un des phénomènes les plus inédits que j’aie jamais observés dans le journalisme. La même chose s’est produite au New York Times. Encore une fois, je ne peux que supposer pourquoi. C’est qu’il leur fait honte. Nous avons un désert journalistique en ce moment. Il y en a quelques uns qui font encore leur travail, qui s’opposent encore au pouvoir en place, qui n’ont toujours pas peur. Mais il y en a si peu maintenant, et Julian Assange n’a peur de rien. Il savait qu’il allait au devant de beaucoup de problèmes avec l’État britannique, l’État américain, mais il a quand même continué. C’est un vrai journaliste.

[…]

 

Article original en anglais : Julian Assange’s Extradition Process Is ‘A Charade’, The Real News, le 5 novembre 2019.

Traduction « un procès mascarade pour des médias mascarades » par VD pour le Grand Soir .

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Un train à grande vitesse panasiatique a quitté la gare – et laissé l’Inde derrière. Le Partenariat Économique Régional Global (RCEP), qui aurait été le plus grand accord de libre-échange au monde, n’a pas été signé à Bangkok. Il sera probablement signé l’année prochaine au Vietnam, à condition que New Delhi aille au-delà de ce que l’ANASE, avec une finesse diplomatique qui cache à peine la frustration, décrit comme « des questions en suspens, qui restent sans solution ».

Le partenariat réunissant 16 nations – les 10 de l’ANASE plus la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et, en théorie, l’Inde – aurait réuni 3,56 milliards de personnes et 29% du commerce mondial.

Comme on pouvait s’y attendre, il a été présenté comme le grand évènement parmi les nombreuses réunions très médiatisées liées au 35e sommet de l’ANASE en Thaïlande, alors que le RCEP intègre de facto davantage les économies asiatiques à la Chine, alors que l’administration Trump est engagée dans une bataille à grande échelle contre tout de l’Initiative Ceinture et Route à Made in China 2025.

Le vice-Ministre chinois des Affaires Étrangères Le Yucheng a été franc : « Ce sont les 15 nations qui ont décidé d’avancer en premier« . Et il a ajouté « il n’y aura aucun problème pour les 15 nations à signer le RCEP l’année prochaine« , lorsque le Vietnam prendra la présidence de l’ANASE.

Il n’est pas difficile de comprendre où se situe le « problème ».

Mahathir « déçu »

Les diplomates ont confirmé que New Delhi a présenté une série de demandes de dernière minute en Thaïlande, forçant beaucoup de gens à travailler tard dans la nuit, sans succès. Le Ministre thaïlandais du commerce, Jurin Laksanawisit, a essayé de faire bonne figure : « La négociation d’hier soir a été concluante« .

Ce n’était pas le cas. Le Premier Ministre malaisien Mahathir Mohammad – dont l’expression faciale sur la photo de famille était inestimable, puisqu’il serrait la main d’Aung San Suu Kyi à sa gauche et de personne à sa droite – avait déjà vendu la mèche. « Nous sommes très déçus« , a-t-il ajouté : « Un pays fait des demandes que nous ne pouvons pas accepter« .

L’ANASE, qui élabore un monument au protocole pointilleux et au sauvetage de la face, insiste sur le fait que les quelques questions en suspens « seront résolues d’ici février 2020« , le texte des 20 chapitres du RCEP achevé « en attendant la résolution d’un membre« .

Le RCEP s’étend sur un vaste territoire, couvrant le commerce des biens et services, l’investissement, la propriété intellectuelle et le règlement des différends. Le « problème » indien est extrêmement complexe. En fait, l’Inde a déjà conclu un accord de libre-échange avec l’ANASE.

Dans la pratique, le RCEP étendrait cet accord aux autres grands pays, dont la Chine, le Japon et la Corée du Sud.

New Delhi insiste sur le fait qu’elle défend les agriculteurs, les propriétaires de laiteries, l’industrie des services, les secteurs de l’industrie automobile – en particulier les voitures hybrides et électriques, et les très populaires véhicules à trois roues – et surtout les petites entreprises dans tout le pays, qui seraient dévastées par un tsunami accru de marchandises chinoises.

L’agriculture, le textile, l’acier et les intérêts miniers en Inde sont totalement contre le RCEP.

Pourtant, New Delhi ne mentionne jamais les produits japonais ou sud-coréens de qualité. Tout tourne autour de la Chine. New Delhi soutient que la signature de ce qui est largement interprété comme un accord de libre-échange avec la Chine ferait exploser son déficit commercial déjà important de 57 milliards de dollars par an.

Le secret à peine déguisé, c’est que l’économie de l’Inde, comme le montre l’histoire, est fondamentalement protectionniste. Il est impossible qu’une éventuelle suppression des droits de douane agricoles protégeant les agriculteurs ne provoque pas un cataclysme social.

Modi, qui n’est pas vraiment un homme d’État audacieux avec une vision globale, se retrouve entre le marteau et l’enclume. Le président Xi Jinping lui a proposé un « plan sur 100 ans » pour le partenariat Chine-Inde lors de leur dernier sommet bilatéral informel.

L’Inde est membre du BRICS, elle fait partie de la troïka Russie-Inde-Chine qui est actuellement au centre du BRICS et est également membre de l’Organisation de Coopération de Shanghai.

D’un point de vue géopolitique et géoéconomique, il n’est guère logique que l’Inde soit exclue du RCEP – ce qui signifie exclue de l’intégration de l’Asie de l’Est et du Sud-Est. La seule solution réalisable pourrait être un accord bilatéral complexe entre l’Inde et la Chine dans le cadre du RCEP.

Reste à savoir si les deux acteurs seront en mesure d’y parvenir avant le sommet du Vietnam en 2020.

Réunir le tout

L’Inde n’était qu’une partie de l’histoire de la fête du sommet en Thaïlande. Lors de l’important Sommet de l’Asie de l’Est, tout le monde discutait activement de multiples voies vers le multilatéralisme.

L’administration Trump vante ce qu’elle appelle la Stratégie Indo-Pacifique Libre et Ouverte – qui est encore une autre stratégie de confinement de facto de la Chine, rassemblant les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie. L’Indo-Pacifique est très présent à l’esprit de Modi. Le problème est que « l’Indo-pacifique », comme le conçoivent les États-Unis, et le RCEP sont incompatibles.

L’ANASE, au contraire, a élaboré sa propre stratégie : Perspectives de l’ANASE sur l’Indo-Pacifique (AOIP) – qui intègre tous les principes habituels de transparence, de bonne gouvernance, de développement durable et de règles, ainsi que des détails sur la connectivité et les différends maritimes.

Tous les 10 pays de l’ANASE sont derrière l’AOIP, qui est, en fait, à l’origine une idée indonésienne. Il est fascinant de savoir que Bangkok et Jakarta ont travaillé ensemble à huis clos pendant pas moins de 18 mois pour parvenir à un consensus complet au sein des 10 de l’ANASE.

L’histoire la plus marquante de la Thaïlande a été, en fait, la convergence d’une myriade d’initiatives en faveur de l’intégration asiatique. Le Premier Ministre chinois Li Keqiang a fait l’éloge des perspectives d’intégration de Ceinture et Route avec ce que l’on appelle le Plan Directeur des Activités de l’ANASE, qui est la partie connectivité de l’AOIP.

Le Sud-Coréen Moon Jae-in s’est empressé de vanter les mérites de sa politique du Sud, qui est essentiellement l’intégration de l’Asie du Nord-Est et du Sud-Est. Et n’oublions pas la Russie.

Lors du sommet de l’ANASE sur les affaires et les investissements, le Premier Ministre russe Dmitri Medvedev a tout mis ensemble : l’éclosion du Partenariat de la Grande Eurasie, unissant l’Union Économique Eurasiatique, l’ANASE et l’Organisation de Coopération de Shanghai, sans parler, selon lui, des « autres structures possibles », qui est un code pour Ceinture et Route.

Ceinture et Route est en train de développer ses liens avec le RCEP, l’Union Économique Eurasiatique et même le Mercosur d’Amérique du Sud – quand le Brésil aura finalement viré Jair Bolsonaro du pouvoir.

Medvedev a noté que cette fusion d’intérêts a été unanimement soutenue lors du sommet Russie-ANASE à Sotchi en 2016. Le Vietnam et Singapour ont déjà conclu des accords de libre-échange avec l’Union Économique Eurasiatique, et le Cambodge, la Thaïlande et l’Indonésie sont sur le point de le faire.

Medvedev a également noté qu’un accord de coopération commerciale et économique entre la Chine et l’Union Économique Eurasiatique a été signé fin octobre. Vient ensuite l’Inde, et un accord commercial préférentiel entre l’Union et l’Iran a également été signé.

En Thaïlande, la délégation chinoise n’a pas abordé directement la Stratégie Indo-pacifique Libre et Ouverte des États-Unis. Mais Medvedev l’a fait, avec force :

« Nous sommes favorables au maintien du système efficace de relations d’État à État qui a été mis en place sur la base de l’ANASE et qui a fait ses preuves au fil des ans. À cet égard, nous pensons que l’initiative US constitue un défi sérieux pour les pays de l’ANASE, car elle peut affaiblir la position de l’association et la priver de son statut d’acteur clé dans la résolution des problèmes de sécurité régionale« .

Les sommets vont et viennent. Mais ce qui vient de se passer en Thaïlande restera une nouvelle illustration graphique de la myriade d’initiatives concertées menant à une intégration progressive et irréversible de l’Asie – et de l’Eurasie. C’est à Modi de décider quand et si il veut monter dans le train.

Pepe Escobar

 

Article original en anglais :

Asia’s Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP): The RCEP Train Left the Station, and India, Behind

Cet article a été publié initialement en anglais par Asia Times

Traduction par Réseau International

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Vendredi dernier, alors que la septième année de la guerre menée par la France au Mali touchait à sa fin, une attaque contre un avant-poste de l’armée malienne à Indelimane, près de la frontière avec le Niger, a tué 49 soldats. Cette attaque, l’une des plus meurtrières visant l’armée malienne, montre clairement que l’impérialisme français n’a pas réussi à stabiliser le gouvernement malien. Au lieu de cela, il s’est enlisé, avec ses alliés, dans un bourbier sanglant.

Vers midi, l’escouade de 80 soldats maliens postés à Indelimane a essuyé des tirs de mortier, suivis d’attaques répétées d’hommes armés à moto. Au moment où les renforts de l’armée malienne ont pu arriver à Indelimane, plus tard dans la journée, la plupart des soldats étaient morts. Quelques dizaines ont réussi à s’enfuir, mais l’armée malienne, qui a d’abord fait 53 morts, a indiqué que plusieurs de ses soldats ainsi que des armes et du matériel étaient toujours manquants.

Samedi, un soldat français du 1er régiment de Spahi basé à Valence, Ronan Pointeau, a été tué lorsque son véhicule a fait exploser une bombe en bordure de route dans la même zone.

Ces attaques se sont déroulées dans un contexte de recrudescence de protestations contre les opérations militaires menées par la France, ancienne puissance coloniale dans la région, qui s’étendent du Mali au Burkina Faso et au Niger.

L’État islamique (EI) a revendiqué la responsabilité des deux attentats dans des communiqués publiés sur Telegram. «Les soldats du califat ont attaqué une base militaire où des éléments de l’armée malienne apostate sont postés dans le village d’Indelimane, dans la région de Ménaka» explique le premier communiqué de l’EI. Plus tard, ils ont ajouté: «Les soldats du califat ont visé un convoi de véhicules des forces françaises […] près de Indelimane dans la région de Ménaka en faisant exploser un dispositif explosif.» Les deux communiqués ont été signés par la «Province d’Afrique de l’Ouest» de l’EI.

La dernière attaque contre l’armée malienne survient un mois seulement après deux attaques meurtrières contre les troupes maliennes, à Boulkessi et Mondoro, dans le sud du pays, près du Burkina Faso, qui ont fait 40 morts.

Les médias français admettent ouvertement que Paris, ses alliés européens au Mali (Berlin en tête) et le régime néocolonial malien ne parviennent pas à endiguer une vague croissante d’opposition armée. Yvan Guichaoua, chargé de cours à l’Université du Kent, spécialisé dans la guerre du Mali, a déclaré à Radio France Internationale (RFI): «Nous voyons non seulement un caractère relativement avancé sur le plan technologique dans ces attaques. Mais aussi des attaques qui mobilisent un nombre toujours plus grand d’hommes, ce qui montre que les mouvements djihadistes peuvent recruter et maintenir des forces relativement importantes.»

Faisant un commentaire sur l’armée malienne, Le Point écrit: «Sans le soutien aérien français, elles seraient souvent en grande difficulté face aux coups de main de plus en plus hardis des djihadistes. Malgré ses moyens, le dispositif français est lui aussi à la peine, les militaires de Barkhane intervenant la plupart du temps après coup, dans une chasse aux terroristes qui se dispersent dans la nature […] L’ennemi semble à chaque fois s’être volatilisé, se regroupant seulement pour passer à l’action afin éviter de se faire repérer.»

Si la France et ses alliés perdent la guerre au Mali et dans le Sahel, c’est surtout parce qu’ils mènent une guerre de pillage impopulaire, néocoloniale. Cette guerre vise avant tout à sécuriser les intérêts impérialistes français et européens au détriment de leurs adversaires de grande puissance.

Paris a lancé la guerre du Mali après la sanglante guerre de l’OTAN contre la Libye en 2011. Les milices touarègues employées par le régime libyen détruit par l’OTAN ont fui à travers le désert du Sahara vers le nord du Mali. La guerre, facilitée par la décision de l’Algérie d’accorder aux bombardiers français des droits de survol de la France sur l’Algérie vers le Mali et vice-versa, a à peine stoppé un effondrement du régime malien. Cependant, en bombardant et en envahissant le nord du Mali, les forces françaises n’ont fait que provoquer une opposition croissante.

La région est stratégique non seulement comme fournisseur d’or et d’autres matières premières clés, dont l’uranium pour les centrales nucléaires françaises et européennes. Mais aussi comme zone de rivalité croissante entre l’Amérique, la Chine, la Russie et les puissances européennes. Berlin, qui remilitarise agressivement sa politique étrangère pour impliquer son armée dans des conflits meurtriers à l’étranger, a accepté d’envoyer ses forces au Mali pour soutenir la guerre française en 2016.

Ces déploiements visent non seulement à piller les principales matières premières stratégiques. Ils visent aussi à mettre en place des réseaux de camps de concentration, comme ceux de Libye et de la ville nigérienne d’Agadez, pour retenir les réfugiés et les empêcher de fuir en Europe.

Depuis la guerre de l’OTAN en Libye, la rivalité géostratégique s’est rapidement intensifiée en Afrique subsaharienne. La Russie a signé des contrats pour former des forces dans la République centrafricaine voisine et vend pour des milliards de dollars d’armes au Mali ainsi qu’en Égypte, au Kenya, au Nigeria, en Angola et en Algérie. La Chine lance d’importants projets d’infrastructure à travers l’Afrique, dont un chemin de fer reliant la capitale malienne de Bamako au port sénégalais de Dakar. Elle vend aussi des armes et des biens de consommation bon marché.

Le Point écrit que ces nouvelles puissances, «venues bousculer le pré carré des anciennes puissances coloniales comme la France et la Grande-Bretagne, elles n’en bousculent pas moins les États-Unis, un peu sur la défensive… à travers le monde et donc en Afrique aussi.»

Ces conflits géostratégiques se développent entre les puissances impérialistes, la Russie, la Chine et diverses puissances régionales. Toutefois, en même temps, il y a une recrudescence croissante des protestations des travailleurs et des opprimés dans l’ancien empire colonial français. En parallèle, des grèves et des protestations de masse comme celles des «gilets jaunes» éclatent en France et en Europe. Ainsi, les conditions nécessaires émergent pour la construction d’un mouvement international de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste au Mali et dans le Sahel.

En février, les manifestations des jeunes et des travailleurs ont commencé à exiger le renversement du régime en Algérie. Avec sa population importante et sa position stratégique centrale en Afrique de l’Ouest, le régime algérien est la clé des tentatives françaises pour dominer la région.

De plus en plus, cependant, des manifestations de masse éclatent dans les pays du Sahel pour exiger le retrait des troupes françaises. Ils soulignent la collusion entre la France et les puissances de l’OTAN et Al-Qaïda en Syrie et ailleurs pour discréditer les justifications de la guerre. Ils soulèvent aussi des questions sur la complicité française dans les attaques et les massacres ethniques dans la région.

En mai, après une vague d’attaques, des milliers de jeunes ont marché dans la capitale nigériane de Niamey pour exiger le retrait des troupes françaises. Ils criaient des slogans tels que «À bas les bases militaires étrangères», «À bas l’armée française», «À bas l’armée américaine», «À bas les djihadistes et Boko Haram» et «Notre pays est indépendant depuis le 3 août 1960».

Le mois dernier, une manifestation a eu lieu dans la ville malienne de Sévaré, près de Mopti, qui a incendié les bureaux locaux de la mission de l’ONU au Mali (Minusma). Les manifestants ont adressé une pétition aux responsables de l’ONU. Ils ont demandé le retrait des troupes françaises et des troupes parrainées par l’ONU de la région. Ils scandaient aussi des slogans comme «La France quitte notre pays», «Minusma dehors, Barkhane dehors, nous avons tout compris» et «Minusma est une base terroriste qui reçoit de l’argent de l’ONU».

Des manifestations ont également éclaté dans le nord du Burkina Faso, près de la frontière avec le Mali, après qu’une unité djihadiste eut tué 16 personnes dans la grande mosquée de Salmossi. Par la suite, des milliers de personnes ont manifesté dans la capitale, Ouagadougou. Ils ont créé des slogans tels que «l’armée française hors du Burkina Faso» et «les troupes étrangères hors d’Afrique» lors d’un événement qualifié de «journée d’action anti-impérialiste».

Alex Lantier

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 5 novembre 2019

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Les manifestants et les forces de sécurité irakiennes se sont affrontés lundi à la périphérie de la zone verte fortement fortifiée de Bagdad, faisant au moins six morts et des dizaines de blessés de plus alors que les manifestations de masse qui ont envahi le pays entrent dans leur deuxième mois.

Les affrontements de lundi ont eu lieu après que les manifestants eurent franchi de force le pont Ahar, qui enjambe le Tigre, et ont pénétré dans la zone verte, une zone d’accès restreint qui abrite les bâtiments gouvernementaux et les résidences des hauts responsables, ainsi que les ambassades et les bureaux des entrepreneurs militaires et autres organisations étrangères. Les foules se seraient approchées à moins de 500 mètres du bureau du Premier ministre et auraient atteint le siège de la télévision publique irakienne.

Les manifestants ont mis le feu à des pneus et à des bennes à ordures et jeté des pierres à l’intérieur de la zone verte, qui a été rapidement inondée par les forces de sécurité qui ont tiré à balles réelles ainsi qu’avec des gaz lacrymogènes de qualité militaire et des canons à eau.

Les affrontements ont eu lieu le lendemain d’un affrontement fatal entre les forces de sécurité et une foule qui a tenté de prendre d’assaut le consulat iranien dans la ville sainte chiite de Karbala, au sud de Bagdad.

Anti-government protesters chant slogans durDes manifestants antigouvernementaux scandent des slogans lors d’une manifestation à Bagdad vendredi[Crédit : AP Photo/Khalid Mohammed].

La dernier tuerie a fait plus de 260 morts depuis le début des manifestations début octobre, avec des milliers de blessés, parfois grièvement blessés par des balles réelles, des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes lancées en tir tendu sur les manifestants.

Vendredi ont eu lieu les plus grandes manifestations de masse depuis l’invasion américaine de 2003, où des foules qui ont envahi la place Tahrir de Bagdad ainsi que les larges avenues qui y débouchent. Elles ont été organisées malgré l’armée irakienne, qui a tenté de réprimer les manifestations en imposant un couvre-feu tous les soirs. Sans tenir compte de l’ordre, les foules sont restées sur la place pendant la nuit, érigeant des tentes et occupant un bâtiment de 18 étages surplombant la zone, qui a été surnommée la «montagne de la Révolution».

Le Premier ministre Abdul Mahdi a fait une déclaration dimanche soir appelant à la fin des manifestations et déclarant qu’«il est temps que la vie revienne à la normale». L’appel exprimait les craintes croissantes au sein de l’oligarchie dirigeante irakienne corrompue que des sections croissantes de la classe ouvrière se joignent au mouvement de masse et menacent sa richesse et son pouvoir.

Mahdi a en particulier condamné les barrages routiers qui ont fermé Umm Qasr, le principal port irakien du golfe Persique dans la ville de Bassorah, au sud du pays, ainsi que la participation aux manifestations de travailleurs pétroliers devant les principales installations pétrolières du sud du pays. Il y a également une grève continue des enseignants qui a fermé des écoles dans une grande partie du sud de l’Irak, ainsi que des employés du secteur public. Dans de nombreuses villes, des édifices gouvernementaux ont été fermés, parfois drapés de banderoles proclamant: «Fermé sur ordre du peuple.»

Mahdi a averti que la fermeture du port et la menace pour les champs pétroliers risquaient de «causer de grosses pertes dépassant les milliards de dollars.»

Comme l’ont montré les événements de lundi, cet appel n’a manifestement pas produit l’effet escompté. Les protestations sont motivées par le chômage de masse, en particulier parmi les jeunes Irakiens, y compris ceux qui sortent de l’université pour se retrouver sans emploi. Elles sont en outre alimentées par de fortes inégalités sociales et la conscience que les «milliards» de revenus pétroliers que Mahdi craint de perdre affluent dans les poches des capitalistes étrangers et nationaux et des politiciens corrompus, plutôt que de profiter aux masses irakiennes.

Les remarques de Mahdi se sont également distinguées par leur omission de mentionner une promesse faite quelques jours plus tôt par le président Barham Salih selon laquelle Mahdi était prêt à démissionner dès qu’un remplaçant approprié aurait été trouvé, et que des élections anticipées auraient lieu après l’élaboration d’une nouvelle loi électorale.

Même si Mahdi démissionnait, cela seul, avec les maigres concessions sociales que le gouvernement a faites, ne pacifierait pas les centaines de milliers de personnes qui sont descendues dans la rue. Elles exigent la fin de toute la configuration politique imposée par l’occupation militaire américaine qui a suivi l’invasion criminelle américaine de l’Irak en 2003, ainsi qu’une transformation sociale fondamentale.

Le mot d’ordre scandé par les manifestants irakiens est le même que celui utilisé par les Égyptiens et les Tunisiens en 2011: «Le peuple veut la chute du régime.»

Dans le cas de l’Irak, le régime imposé par les États-Unis a été construit sur des lignes sectaires réactionnaires visant à promouvoir la stratégie de division du gouvernement de Washington. Les postes au sein de l’État et le butin ont été répartis entre les partis chiites, sunnites et kurdes qui étaient censés représenter leurs populations ethno-religieuses respectives, tout en pillant les ressources du pays pour remplir leurs propres poches et récompenser leurs partisans.

La révolte qui a éclaté depuis le mois dernier est dirigée contre tout ce système réactionnaire et a explicitement rejeté la religion et l’ethnicité en tant que lignes de division politique, posant à la place les intérêts de classe.

La crainte de ce mouvement au sein de l’establishment irakien au pouvoir s’est fortement exprimée dans les efforts visant à empêcher toute propagation des protestations dans les zones sunnites de la province d’Anbar, qui ont été dévastées par la prétendue «guerre contre l’EI».

Human Rights Watch (HRW) a rapporté lundi que les forces de sécurité avaient arrêté deux hommes à Anbar pour avoir affiché des déclarations de solidarité avec les manifestations sur Facebook. L’organisation a cité le cas de Sameer Rashed Mahmoud, qui a publié un commentaire disant que les étudiants et les employés du secteur public devraient faire la grève pour soutenir les manifestations du 26 octobre. En moins d’une heure et demie, la police antiterroriste a fait une descente à son domicile et l’a arrêté pour le message, l’accusant d’incitation. Depuis, il est emprisonné sans inculpation.

Un deuxième cas cité par HRW est celui d’un homme de 25 ans qui a également exprimé sa solidarité avec les manifestations sur sa page Facebook le 26 octobre. En quatre heures, cinq voitures de police sont venues chez lui pour l’embarquer. «Ils l’ont frappé et l’ont accusé d’incitation aux protestations, avant de le menotter et de le mettre dans l’une de leurs voitures», a déclaré un parent.

Les forces de sécurité d’Anbar ont publié une déclaration appelant tous les habitants de la province «à se rendre au travail et à poursuivre les travaux de construction, à préserver la sécurité, à soutenir les forces de sécurité et à bénéficier des leçons du passé, dont la province n’a obtenu que destruction, tueries et déplacements de populations.» Il s’agissait là d’une menace indéniable de nouveaux massacres en réponse à toute tentative d’imiter les manifestations de Bagdad.

Le caractère des protestations de masse a entravé les relations de l’Iran avec le gouvernement irakien, qui se sont concentrées sur les partis sectaires chiites, dont les dirigeants politiques, tels que Mahdi, se sont volontairement offerts comme fonctionnaires dans le régime fantoche mis en place sous l’occupation américaine.

La semaine dernière, l’Ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de l’Iran, a déclaré: «Je saisis cette occasion pour dire à ceux qui se soucient de l’Irak […] de remédier en priorité à l’insécurité», tout en avertissant, «Les agences de renseignement américaines et occidentales, avec l’aide financière des pays de la région, sont à l’origine des troubles dans cette région.»

Alors que l’impérialisme américain fera sans aucun doute tout pour exploiter la crise en Irak pour servir ses propres intérêts dans la région, l’explosion sociale qui a eu lieu non seulement là-bas, mais aussi au Liban voisin, est alimentée par une intensification des inégalités sociales, la colère face aux conditions de pauvreté et de chômage et la haine envers les élites dirigeantes corrompues qui sont totalement subordonnées aux intérêts du capital financier international.

Dans la mesure où la bourgeoisie iranienne a cherché à défendre ses propres intérêts dans la région en nouant des alliances avec ces élites dirigeantes, elle a rejoint l’impérialisme américain comme cible de la colère des manifestants.

Washington a réagi avec prudence aux événements en Irak, où il maintient des milliers de soldats et d’entrepreneurs militaires, utilisant le pays comme base pour ses opérations en Syrie également.

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a conseillé au gouvernement irakien d’«écouter les demandes légitimes du peuple irakien», tout en mettant en garde toutes les parties – les forces de sécurité et leurs victimes – contre la «violence».

Bill Van Auken

 

 

Article paru en anglais, WSWS, le 5 novembre 2019

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Abu Bakr al-Baghdadi: fabriqué et tué par la CIA

novembre 5th, 2019 by Marc Vandepitte

Maintenant qu’Abou Bakr al-Baghdadi, le dirigeant de l’EI, a été éliminé, beaucoup manifestent leur joie et leur soulagement aux États-Unis et en Occident. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que ce groupe terroriste barbare est un produit de leur propre politique étrangère dans la région.

L’émergence de l’EI

En 2003, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont envahi l’Irak. À l’époque, il était peu question d’Al-Qaïda ou d’autres groupes terroristes djihadistes dans la région. Après l’invasion, l’armée US a été confrontée à un violent soulèvement. Pour l’écraser, des escadrons de la mort ont été utilisés, exactement comme en Amérique latine, avec ce que les Américains avaient appelé «l’option Salvador». De plus, dans cette sale guerre, sunnites et chiites ont été délibérément montés les uns contre les autres, la tactique consistant à diviser pour régner. C’est dans cette orgie de violences sectaires provoquées qu’Al-Qaïda s’implanta en Irak sous le nom d’ «État islamique d’Irak» (EII).

Puis vint le prétendu printemps arabe de 2011. Pour renverser Kadhafi, l’OTAN collabora avec le Groupe de combat islamique libyen (GCIL) sous la direction d’Abdelhakim Belhaj, ancien dirigeant d’Al-Qaïda en Libye. Lorsque le soulèvement a commencé en Syrie, Belhaj a envoyé des centaines de combattants armés dans ce pays pour expulser Assad du pouvoir. Les services de sécurité des États-Unis et de la Grande-Bretagne ont coopéré pour transférer les arsenaux libyens vers les rebelles syriens.

En 2012, les États-Unis, la Turquie et la Jordanie ont mis en place un camp d’entraînement pour les rebelles syriens à Safawi, dans le nord de la Jordanie. Des instructeurs français et britanniques  étaient également impliqués. Certaines parties de ces groupes rebelles allaient plus tard rejoindre l’État islamique.

Il y avait de nombreux Syriens dans les rangs d’Al-Qaïda en Irak. Au début de la guerre civile en Syrie, beaucoup d’entre eux sont rentrés dans leur pays d’origine pour établir le Front al-Nusra. En avril 2013, Abou Bakr al-Baghdadi, dirigeant de l’EII, a déclaré que son groupe et Al-Nusra avaient fusionné sous le nom d’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL), puis d’un État islamique d’Irak et de Syrie (EIIS, connu sous le nom d’ISIS en anglais). Al-Qaïda s’en est toutefois éloignée et les deux organisations terroristes ont suivi leur propre chemin.

C’est dans ce nid de guêpes qu’ISIS, appelée plus tard IS, a pris naissance et est devenu puissant. L’organisation terroriste s’est développée rapidement, a conquis beaucoup de terrain à partir de 2014 et s’est proclamée califat en juin de la même année. Les services de renseignement militaires US (DIA) savaient depuis quelque temps qu’un tel califat était en préparation. Mais, selon Michael Flynn, ancien conseiller à la sécurité nationale du président Trump, le gouvernement US a détourné le regard. Un tel califat constituait un excellent tampon sunnite pour affaiblir la Syrie et réduire l’influence de l’Iran chiite.

Graham Fuller, l’un des analystes les plus respectés du Moyen-Orient et ancien agent de la CIA, est très clair: « Je pense que les États-Unis sont l’un des principaux créateurs d’ISIS. Les États-Unis n’avaient pas prévu la formation du groupe État islamique, mais leurs interventions destructrices au Moyen-Orient et la guerre en Irak étaient les causes fondamentales de la naissance du groupe État islamique. »

Rien de nouveau sous le soleil

Le flirt du Pentagone avec des groupes islamistes extrémistes n’est pas nouveau. Rappelez-vous les moudjahidines, à partir de 1979, ils ont été recrutés, armés et entraînés par les États-Unis pour renverser le gouvernement communiste d’Afghanistan. Rambo 3 de Sylvester Stallone est une version hollywoodienne de cette collaboration. C’est à partir de ces groupes de moudjahidines qu’Al-Qaïda et Oussama Ben Laden sont apparus plus tard.

Dans les années 90, les combattants extrémistes et encore plus violents des talibans sont devenus les partenaires privilégiés de Washington en Afghanistan. Cette coopération a pris fin lorsqu’il est devenu évident que les talibans ne pouvaient plus servir les intérêts des États-Unis.

Au cours de la guerre civile de Yougoslavie (1992-1995), des milliers de combattants d’Al-Qaïda ont été emmenés par avion du Pentagone en Bosnie, pour soutenir les musulmans de la région.

En 1996, l’Armée de libération du Kosovo (UCK) a été formée par des officiers d’Al-Qaïda juste de l’autre côté de la frontière avec l’Albanie. Au même moment, des soldats britanniques et étasuniens apportaient leur aide.

Nous avons déjà évoqué la coopération entre le Groupe de combat islamique libyen (GCIL) et l’OTAN pour renverser Kadhafi. Après 2011, cette organisation terroriste a formé une alliance avec les rebelles islamistes du Mali. Ces derniers, avec les Touaregs, ont réussi à conquérir le nord du Malipendant plusieurs mois. Grâce aux bombardements de l’OTAN, le GCIL avait pu piller les dépôts d’armes de l’armée libyenne. Les mêmes armes que les djihadistes utilisent aujourd’hui en Syrie, en Irak, au Nigeria, au Tchad et au Mali. Le Financial Times établit un lien entre ces événements et la rivalité géopolitique avec la Chine: «La militarisation de la politique américaine en Afrique après le 11 septembre a toujours été controversée. Elle est perçue dans la région comme une tentative de renforcer le contrôle des ressources par les États-Unis et contrer le florissant rôle commercial de la Chine.  »

Il ne peut pas non plus être exclu que les services de renseignements occidentaux soient directement ou indirectement impliqués dans les activités terroristes des Tchétchènes en Russie et des Ouïghours en Chine.

Nous parlons donc d’une politique systématique et délibérée de la part de Washington et de ses alliés pour garder le contrôle de la région.

La stratégie du chaos

Aujourd’hui, la guerre contre le terrorisme s’est transformée en son contraire: la propagation de la terreur. Les opérations ratées en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie montrent clairement que les États-Unis et l’Occident ne sont plus en mesure de modeler la région du Moyen-Orient comme ils le voudraient.

Washington et ses alliés risquent de perdre de plus en plus leur emprise et se tournent davantage vers des sous-traitants de la pire espèce. Ils soutiennent que «si nous ne pouvons pas contrôler la zone nous-mêmes, alors personne d’autre ne le fera non plus».

C’est ce que l’on pourrait qualifier de stratégie du chaos, ou peut-être mieux de «le chaos de stratégie». En tout cas, c’est le summum de l’immoralité.

Une chose est sûre. La terreur dans la région ne sera pas éradiquée par les mêmes forces qui l’ont amenée à la vie. Ou comme une source insoupçonnable telle que Dominique de Villepin, ancien ministre français de l’Intérieur et des Affaires étrangères, le dit clairement:

«Les guerres perdues en Afghanistan, en Irak et en Libye favorisent le séparatisme, les États en déroute, la loi effrontée des milices armées. Jamais ces guerres n’ont permis de vaincre les terroristes envahissant la région. Au contraire, elles légitiment les plus radicaux. … Chaque intervention occidentale crée les conditions pour la suivante. Nous devons arrêter cela.  »

Marc Vandepitte

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La grande coalition allemande a officiellement prolongé l’opération militaire en Syrie et en Irak, qui dure depuis plus de quatre ans. Le gouvernement a pris la décision la semaine dernière.

La décision concernait la prolongation jusqu’en mars de l’année prochaine des opérations des avions de combat et avions de ravitaillement Tornado, qui opèrent à partir de la base jordanienne d’Al-Azraq. Les missions d’entraînement de l’armée dans le centre de l’Irak et dans le nord sous contrôle kurde ont été prolongées plus loin encore jusqu’au 31 octobre 2020.

La proposition de la ministre de la défense nationale Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) de créer une zone de sécurité dans le nord de la Syrie avec 30 000 à 40 000 soldats européens dirigés par l’Allemagne fait également l’objet d’un travail intensif. Der Spiegel a annoncé le week-end dernier que l’Allemagne pourrait envoyer 2500 soldats pour intervenir en Syrie. L’armée allemande a supposé un scénario dans lequel la zone serait divisée en secteurs de 40 km de large sur 30 km de profondeur. Dans l’un de ces secteurs, l’Allemagne pourrait diriger une force internationale en tant que «nation cadre» et fournir trois bataillons prêts au combat.

Le magazine d’actualités donne un aperçu de la manière concrète dont les plans de guerre sont préparés. Les stratèges militaires du ministère de la défense parlent d’une «proposition complète» qu’ils présenteront: «des unités de reconnaissance, des forces spéciales, des chars « boxers », des armes lourdes, de l’artillerie, des soldats et des dragueurs de mines.» L’armée allemande croit aussi qu’elle peut fournir son propre soutien aérien à ses troupes, « A la fois des missions de reconnaissance avec des avions « Tornado » et du combat armé avec des avions « eurofighter »». Il n’y a que deux domaines où «nous compterions sur une assistance: des hélicoptères et des soins médicaux.»

Dans une déclaration intitulée «Non à une zone de sécurité germano-européenne en Syrie! le World Socialist Web Site a récemment expliqué que les plans du gouvernement s’inscrivaient dans les traditions de la politique de guerre et de conquête des nazis. Nous avons écrit: «L’intervention militaire de l’Allemagne en Syrie ne vise pas à combattre le «terrorisme» ni à« garantir la «désescalade» ou la «paix», comme le prétend la propagande officielle. Les véritables objectifs de guerre sont la subordination néocoloniale du pays, ainsi que la région du Moyen-Orient, riche en énergie et stratégiquement importante, et l’expulsion de centaines de milliers de réfugiés dans une zone de guerre.»

Le débat au Parlement sur la prolongation des missions déjà en cours a montré à quel point cette évaluation était correcte. Quatre-vingts ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, des hommes politiques de tous les partis prônent ouvertement des politiques de guerre et de violence militaire, affirmant que c’est le seul moyen de défendre les intérêts impérialistes allemands au Moyen-Orient et dans le monde. Lors de la discussion de la motion présentée par la grande coalition, des représentants du gouvernement et des partis d’opposition ont cherché à renchérir sur leurs diatribes militaristes.

Pour le gouvernement, le discours le plus agressif a été prononcé par Johann Wadephul. «Ce qui se passe en Syrie et en Irak doit être au centre de nos intérêts en matière de sécurité», a déclaré le leader adjoint du groupe parlementaire CDU / CSU. «Nos intérêts fondamentaux en matière de sécurité, nos intérêts allemands et européens, nous obligent à poursuivre la lutte contre le régime ignoble de l’Etat islamique.» L’intervention au Moyen-Orient correspond en particulier à «notre responsabilité. Nous sommes la nation la plus forte d’Europe. Nous sommes actuellement au Conseil de sécurité des Nations Unies. Avec la Bundeswehr, nous avons l’une des forces de combat conventionnelles les plus puissantes du monde occidental.»

Wadephul a explicitement appuyé les plans de guerre de Kramp-Karrenbauer. Dans le nord-est de la Syrie, «nos propres intérêts en matière de sécurité, nos obligations internationales et les attentes de nos partenaires qui ont besoin d’aide déterminent ce que nous faisons.» Il faut «reconnaître que les États-Unis d’Amérique sont en recul, n’assumant plus leurs responsabilités de soi-disant policiers du monde et de gardien des intérêts occidentaux.»

La conclusion des élites allemandes est claire: Berlin et l’Europe doivent remplacer les États-Unis à l’avenir en tant que «policiers du monde» et que principale machine de guerre impérialiste. «C’est pourquoi il est correct», a déclaré Wadephul, «que nous menions ce débat en Europe depuis un certain temps. Le débat a débuté en 2014 lors de la Conférence sur la sécurité à Munich avec les contributions du président allemand, le ministre des affaires étrangères et de notre ministre de la défense. En tant qu’Allemands, nous savons que nous devons assumer plus de responsabilités dans ce type de crise.»

Les critiques de l’opposition sur la politique de guerre du gouvernement s’apparentent exclusivement à la droite. Gerold Otten, qui siège au comité parlementaire de la défense au nom de l’AfD d’extrême droite, s’est vanté que la proposition de Kramp-Karrenbauer eut été d’abord lancée par son parti.

«L’AfD demande depuis longtemps la création d’une zone de protection des Nations Unies et l’intégration de la Russie sur la question de l’avenir de la Syrie» Toutefois, il reste à déterminer «comment cette zone de sécurité sera appliquée dans la pratique». L’influence politique de l’Allemagne, dit-il, est «minime […] en raison de décennies de faiblesse auto-imposée.»

Pour les Démocrates libéraux, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, membre suppléant de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, a demandé que les missions se poursuivent au-delà de la période proposée par le gouvernement et qu’elles soient davantage intégrées dans les structures de l’OTAN.

«Les opérations des Tornado ne seront pas terminées dans cinq mois. À ce stade-ci en particulier, il convient de les prolonger [ …] La mission de formation en Irak sera intégrée à la mission de l’OTAN. Si vous faites cela, nous vous soutiendrons», a-t-elle déclaré.

La politique de guerre est également soutenue par les partis d’opposition nominalement de gauche. Dans la mesure où ils expriment des critiques, leurs préoccupations tournent autour de l’orientation stratégique et de l’affirmation plus agressive de l’impérialisme allemand au Moyen-Orient.

Selon Alexander Neu, représentant du Parti de gauche au sein du comité parlementaire de la défense, Kramp-Karrenbauer (AKK) «a gêné le gouvernement fédéral aux yeux de la République fédérale», car elle ne s’est pas concertée avec «le gouvernement syrien, les alliés et les partenaires de la coalition» à propos de son «idée». Neu se plaint que «l’Allemagne et l’Occident» n’ont «aucune influence et aucun crédit en Syrie», ce qui rend «l’initiative proposée par AKK […] un sujet discutable, sans conséquence». Il a appelé la chancelière à «déclarer enfin ce que la Turquie fait en Syrie […] est une violation du droit international.»

Tobias Lindner, porte-parole du Parti vert en matière de politique de défense, s’est exprimé dans le même sens. «Si nous voulons vraiment réaliser quelque chose sur la scène internationale», a-t-il déclaré, il est impossible de «s’y prendre d’une manière que les partenaires de la coalition, la CSU, le public et même les dirigeants militaires du ministère de la défense le découvrent à travers les média.»

Il a ensuite déclaré que son parti soutenait le retour de l’impérialisme allemand sur la scène mondiale, tout en ajoutant qu’il devait être mieux préparé.

«Oui, nous, les Verts, voyons aussi que l’Allemagne a une responsabilité dans le monde […] Mais quiconque parle sérieusement de la responsabilité de l’Allemagne dans le monde […] ne peut pas se permettre de mener une politique étrangère aussi mal conçue et irresponsable que celle dévoilée ces derniers jours.»

Johannes Stern

 

 

Article paru en anglais, WSWS, le 3 novembre 2019

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Voir Naples et mourir…

novembre 5th, 2019 by Mondialisation.ca

Sélection d’articles :

Le plan de la Maison-Blanche pour étouffer l’Iran

Par Philip Giraldi, 04 novembre 2019

Il y a une certaine ironie dans le désir souvent exprimé par le président Donald Trump de se retirer des guerres sans fin qui ont caractérisé la « guerre mondiale contre le terrorisme » lancée par George W. Bush en 2001. Le problème, c’est que Trump a exprimé ces sentiments à la fois lorsqu’il se présentait aux élections et pas plus tard que la semaine dernière, sans rien faire pour provoquer le changement. En fait, le « retrait » de la Syrie, qui a fait l’objet d’un grand battage médiatique…

 

L’expert de l’ONU sur la torture sonne à nouveau l’alarme et dit que la vie de Julian Assange pourrait être en danger

Par Nils Melzer, 04 novembre 2019

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Nils Melzer, a exprimé son inquiétude face à la détérioration continue de la santé de Julian Assange depuis son arrestation et sa détention au début de cette année, affirmant que sa vie était désormais en danger. M. Assange a été envoyé dans une prison de haute sécurité du Royaume-Uni le 11 avril 2019, où il continue d’être détenu dans le cadre d’une demande d’extradition américaine pour espionnage pour avoir exposé des preuves de crimes de guerre et d’autres fautes en Irak et en Afghanistan.

 

4 novembre, voir Naples et mourir 

Par Manlio Dinucci, 05 novembre 2019

C’est Naples, et non pas Rome, qui le 4 novembre a été au centre de la Journée des Forces Armées. Sur le Front de mer Caracciolo ont défilé 5 bataillons.  Mais le point fort a été l’aire d’exposition inter-forces, qui a reçu pendant cinq jours Piazza del Plebiscito surtout des jeunes et des enfants. Ils ont pu monter à bord d’un chasseur bombardier, conduire un hélicoptère (…), s’entraîner avec des instructeurs militaires, pour aller ensuite au port visiter un navire d’assaut amphibie et deux frégates (FREMM). Une grande “Foire de la guerre” montée dans un but précis : le recrutement.

 

Au Liban, l’éveil d’un peuple et la naissance d’une nation

Par Jad Kabbanji, 05 novembre 2019

Le 17 octobre 2019 restera certainement une date à retenir dans l’histoire du Liban. Quelle que soit l’issue de cette révolte populaire, le pays n’en sortira que transformé. Beaucoup de questions se posent quant à l’origine, la nature et l’avenir de ce mouvement. Il ne s’agit pas ici de répondre en détail à toutes ces interrogations, mais plutôt, d’esquisser une analyse d’un mouvement de protestation qui pourrait mener à la naissance d’une nation.

 

Alerte sur la sophistication des techniques d’endettement illégitime via la téléphonie mobile

Par Eric Toussaint, 05 novembre 2019

A l’ère de la téléphonie mobile généralisée, on assiste à une sophistication des techniques employées par certaines firmes capitalistes pour généraliser l’endettement illégitime des classes populaires. Au Kenya, pays de 50 millions d’habitants, considéré comme à la pointe de la téléphonie mobile et de la digitalisation, des firmes capitalistes ont développé les crédits par téléphone en proposant différentes applications qui permettent aux usagers de contracter un crédit très rapidement et facilement.

 

 

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Qatar – L’éducation comme arme

novembre 5th, 2019 by Andre Vltchek

Il ne semble pas y avoir de limite aux richesses jetées par les fenêtres par les Qataris. Ce petit royaume de 2,6 millions d’habitants regorge de palais en or ridiculement somptueux, la plupart d’entre eux construits avec très mauvais goût. Il déborde de voitures de course Lamborghini et de limousines Rolls Royce, et maintenant, même les trottoirs sont ridiculement climatisés (l’air froid souffle d’en bas, dans une chaleur de 35°C).

Dirigé par la Maison des al-Thani, l’État du Qatar est vraiment un lieu étrange : selon le dernier recensement effectué début 2017, sa population totale était de 2,6 millions d’habitants, dont 313 000 citoyens qataris et 2,3 millions « d’expatriés », tant les travailleurs migrants à bas salaires que les professionnels occidentaux prodigieusement rémunérés.

Les étrangers font tout : balayer les sols, nettoyer les ordures, cuisiner, s’occuper des bébés, piloter des avions de Qatar Airways, pratiquer des opérations médicales et construire des tours de bureaux. Les travailleurs manuels sont discriminés, battus, trompés, humiliés. De nombreux travailleurs migrants meurent dans des « circonstances mystérieuses ». Mais ils continuent de venir, principalement parce que le Qatar, avec son PIB par habitant de 128 702 dollars, est le pays le plus riche du monde, et parce qu’il existe une demande énorme pour des centaines de professions différentes. Peu importe que les avantages soient réservés aux « autochtones », alors que le salaire minimum pour les étrangers n’est que d’environ 200 $ par mois.

Enfermé dans un différend amer avec ses voisins, dont l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, le Qatar se rapproche de plus en plus de ses meilleurs alliés, les États-Unis et le Royaume-Uni. La base aérienne d’Al Udeid accueille plus de 100 appareils de l’US Air Force (USAF), de la Royal Air Force (RAF) et d’autres partenaires de la Coalition de la Guerre du Golfe. Il abrite le quartier général avancé du Commandement central des États-Unis, le 83e Groupe expéditionnaire aérien de la RAF et la 379e Escadre expéditionnaire aérienne de l’USAF. À l’heure actuelle, au moins 11 000 militaires US y sont affectés en permanence. La base aérienne d’Al Udeid est considérée comme l’aéroport militaire le plus important de la région, utilisé pour des opérations dans des pays comme la Syrie et l’Afghanistan.

Le Qatar a joué un rôle extrêmement important dans la déstabilisation de la Syrie et d’autres pays du Moyen-Orient. Elle a répandu des dogmes religieux fondamentalistes, ainsi que des croyances capitalistes extrêmes.

***

Le Qatar dispose de beaucoup d’argent et utilise une partie de ses fonds pour divers « programmes éducatifs », qui sont étroitement liés à l’appareil de propagande occidental, en particulier US et britannique, mais aussi wahhabite. Des experts internationaux recrutés en Occident ont promu des concepts extrêmes comme la privatisation des écoles, empêchant les gouvernements d’élaborer des programmes d’études et diffusant des doctrines pro-occidentales et pro-marché dans la région et au-delà.

Sous le couvert de « sauver les enfants », des fondations et des programmes qataris font la promotion du fondamentalisme musulman, ainsi que de la commercialisation de l’éducation. Et ce n’est pas seulement au Qatar, mais aussi en Somalie, au Sud-Soudan et au Kenya.

Alors qu’à l’Université du Qatar, j’ai remarqué que même les bibliothèques étaient séparées (comme on pouvait s’y attendre, un membre du personnel de l’ONU basé au Qatar m’a dit que la « Bibliothèque des hommes » est incomparablement mieux fournie que celle des femmes), le Qatar veut se présenter comme un leader régional dans l’enseignement supérieur, en s’appuyant sur une philosophie et une attitude régressives.

Naturellement, l’objectif principal est de maintenir le statu quo dans la région.

En termes de qualité de l’éducation, les choses ne fonctionnent pas non plus au Qatar. Avec tous ces énormes budgets dépensés, ou plus précisément gaspillés, le Qatar n’a pas grand chose dont il peut être fier.

Selon l’OCDE :

« En 2012, le Qatar s’est classé troisième en partant de la fin sur les 65 pays de l’OCDE participant au test PISA de mathématiques, de lecture et de compétences pour les jeunes de 15 et 16 ans, au même titre que la Colombie ou l’Albanie, malgré un revenu par habitant le plus élevé du monde » .

Depuis lors, la situation ne s’est guère améliorée, bien que les statistiques sur le sujet ne soient soudain pas facilement accessibles.

***

Fin octobre 2019, j’ai assisté à une conférence organisée par le Center for Conflict and Humanitarian Studies, organisée par le Doha Institute for Graduate Studies.

A l’exception d’un expert hautement qualifié de l’ONU (qui travaillait depuis des années sur le terrain, en Syrie et dans d’autres endroits détruits par l’Occident et ses alliés du Golfe), le panel des orateurs était composé de personnes basées et choyées au Qatar.

La ligne qui a été tirée ici était prévisible :

Le professeur Frank Hardman a expliqué comment les États de la région « sont devenus faibles », et comment le secteur privé devrait s’y prendre et faire pression en faveur des réformes de l’éducation.

Maleiha Malik, directrice exécutive de la Protection de l’Éducation dans l’Insécurité et les Conflits (PEIC), de la Fondation Éducation Avant Tout, a fait un discours des plus stupéfiants. Elle a parlé de l’importance de protéger les écoles vulnérables ainsi que les enfants, dans les zones de conflit, et des mécanismes juridiques internationaux « qui sont maintenant en place », destinés à traduire en justice ceux qui détruisent les écoles et les élèves.

Bref, un discours typique du courant dominant du « développement » et des ONG.

Le Qatar est loin d’être un pays où l’on est libre d’exprimer son opinion.

Mais je n’avais plus de patience. J’ai travaillé dans d’innombrables zones de guerre et de conflit, partout dans le monde. Et ce que j’ai vu à l’Institut d’Études Supérieures de Doha n’était rien de moins qu’un processus d’endoctrinement à la fois des participants à la conférence et des étudiants.

J’ai exigé qu’ils me laissent parler. Quand le micro m’a été transmis, j’ai dit que j’avais besoin d’une réponse exacte :

« Professeur Malik, j’ai une question pour vous. J’ai couvert des dizaines, voire des centaines de conflits et de guerres dans le monde entier. J’ai vu des centaines d’écoles brûler. J’ai vu des centaines d’enfants mourir. La plupart de ces atrocités ont été déclenchées par les États-Unis, l’Europe ou les deux. Tout a commencé bien avant ma naissance, bien sûr, ça continue jusqu’à aujourd’hui » .

J’ai vu l’horreur sur les visages des organisateurs. Ils me dévoraient des yeux, ils me suppliaient d’arrêter. Très probablement, cela ne s’est jamais produit ici, avant. Tout était filmé, enregistré. Mais je n’étais pas prêt à arrêter.

Les élèves d’Aula n’ont pas réagi. Ils étaient clairement conditionnés à ne pas être excités par les discours prononcés par des « éléments » hostiles au régime.

J’ai continué :

« Professeur Malik, je vous demande, j’exige de savoir s’il y a eu un seul cas où les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Australie ou tout autre pays occidental ont été jugés et condamnés, par les mécanismes internationaux que vous avez mentionnés plus tôt… Condamnés pour le meurtre de millions d’enfants, ou pour les bombardements de milliers d’écoles, notamment au Vietnam, au Laos, au Cambodge, puis en Irak, en Afghanistan, en Syrie ? Pour, en ce moment, essayer de faire mourir de faim des enfants au Venezuela ? Pour empêcher les gens, dont les enfants, d’avoir accès aux médicaments… »

Puis je me suis tourné vers Frank Hardman :

« Professeur Hardman, ne sont-ils pas des États que vous qualifiez de « faibles », dans une telle situation, parce qu’ils sont agressés et terrorisés par l’Occident, par les pays historiquement impérialistes ? »

Silence total.

Puis, j’ai conclu :

« Ne serait-ce pas le moyen le plus efficace de protéger les écoles et les enfants, si nous nous assurions que l’Occident et ses alliés cessent enfin de détruire des dizaines de pays dans le monde ? »

Le président de la conférence, le professeur Sultan Barakat, s’est immédiatement mis au travail pour tenter de limiter les dégâts :

« Professeur Malik, évidemment, la question est à propos de ce qui se passe en Palestine…«

Mais la professeur Malik était une dure guerrière, comme moi, seulement de l’autre côté. Elle savait précisément que tout cela dépassait les frontières d’Israël et de la Palestine. Israël et la Palestine en faisaient partie, mais ce n’était pas le seul problème ici. Elle a balayé le Sultan Barakat et m’a suivi à la gorge :

« Il ne s’agit pas de l’Occident ! Il ne s’agit pas d’un groupe de pays. Tous les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU sont responsables ! Regardez la Russie, commettant des atrocités en Syrie… »

Et le match des cris a commencé. Notre « débat de Doha » personnel.

« Quelles atrocités ? » Je lui ai crié dessus. « Prouvez-le« .

« Nous avons des preuves » .

« Vous ? » J’ai demandé. « Vous êtes allé en Syrie ? Ou est-ce que c’est parce que vos supérieurs vous ont donné ce qu’ils appellent des preuves ? Vous mettez la Russie, un pays qui sauve la Syrie et le Venezuela, au même niveau que les pays qui assassinent des centaines de millions de personnes aux quatre coins du monde ? »

Je me suis souvenu combien de fois au cours de cette « conférence », l’USAID avait été mentionnée. Toutes les références étaient occidentales. Ici, les gens des pays arabes parlaient et pensaient comme le FMI, ou The Economist.

Je me suis assis. Je n’avais rien d’autre à ajouter.

La discussion contrôlée a repris d’une manière ou d’une autre. Les visages des étudiants sont restés impassibles.

Le soir, j’ai rencontré pour le dîner un camarade avec qui j’avais l’habitude de travailler en Afghanistan. Doha est un endroit étrange. Un lieu de rencontres inattendues.

***

Le Qatar fait aux arts ce qu’il fait à l’éducation.

Le lendemain, j’ai essayé de visiter plusieurs musées dont le pays se vante en ligne et à travers ses publicités. Tous étaient fermés, à l’exception du Musée des Arts Islamiques, qui était autrefois gratuit pour le public, mais qui exige maintenant des droits d’entrée de 15 $.

L’État monstrueusement fragmenté et ses citoyens investissent maintenant des milliards de dollars en achetant des œuvres d’art du monde entier. Se vanter à ce sujet. Manipulation du contenu. Comme il manipule, ce qui est produit dans ses studios de cinéma « internationaux ».

En partant de Doha pour Beyrouth sur Qatar Airways, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas un seul citoyen qatari travaillant à bord. Les pilotes venaient du Royaume-Uni et d’Australie, tandis que les agents de bord ont été recrutés aux Philippines, en Inde et en Afrique.

Quelques minutes après le décollage, une publicité agressive a commencé à promouvoir Educate a Child (EAC), un programme de la Fondation Éducation Avant Tout.

Au Qatar, tout semble interconnecté. Des bases militaires US mortelles, la « politique étrangère », les arts, et oui, même l’éducation et la charité.

Andre Vltchek

 

Article original en anglais : Qatar – Education as a Weapon, New Eastern Outlook, le 4 novembre 2019.

Traduit par Réseau International

Photo. Campagne de communication : « Maintenir les relations » – Nairobi, Kenya (CC – Flickr – ITU Pictures)

A l’ère de la téléphonie mobile généralisée, on assiste à une sophistication des techniques employées par certaines firmes capitalistes pour généraliser l’endettement illégitime des classes populaires.

Au Kenya, pays de 50 millions d’habitants, considéré comme à la pointe de la téléphonie mobile et de la digitalisation, des firmes capitalistes ont développé les crédits par téléphone en proposant différentes applications qui permettent aux usagers de contracter un crédit très rapidement et facilement.

La phase actuelle de la microfinance est caractérisée par l’essor des services « bancaires » octroyés par des entreprises qui n’ont pas de licence bancaire (c’est-à-dire qui n’ont pas l’autorisation d’exercer le métier de la banque) et qui, en conséquence, ne doivent rendre des comptes ni aux autorités de régulation du secteur bancaire ni à la banque centrale.

Les autorités du Kenya vantent les avantages comparatifs de l’économie du pays en mettant en avant son avance technologique par rapport au reste de l’Afrique, notamment le développement de l’argent mobile (entendez la monnaie de crédit qui est véhiculée par les téléphones mobiles) et les autres innovations issues de la Silicon Savannah de Nairobi. On parle de Silicon Savannah de Nairobi en faisant référence à la Silicon Valley des États-Unis, berceau de Microsoft, d’Apple, etc.

40 % des adultes auraient un compte bancaire c’est-à-dire beaucoup moins que les 70 % qui utiliseraient l’argent mobile. En Tanzanie, le pays voisin, 18 % des adultes auraient un compte bancaire et près de 20 % utilisent l’argent mobile. Au Kenya, il y a au moins 49 plateformes internet de crédit.

« Lorsque vous faites une recherche ’Prêts Kenya’ »
Source : FSD Kenya, Tech-enabled lending in Africa, Kenya School of Monetary Studies. Page 49.

La plus grande d’entre elle est Safaricom [1] qui contrôle 2/3 du marché kenyan de la téléphonie mobile a lancé une offre de services bancaires via M-Shwari et M-Pesa : elle prête de l’argent et elle en prend en dépôt sur un compte d’épargne. A la mi-2018, après un peu moins de deux ans d’activités, Safaricom’s M-Shwari avait octroyé des crédits pour un montant de 230 milliards de shillings [2] (soit environ 2 milliards € ou 2,3 milliards US$).

Parmi les firmes qui proposent de l’argent mobile on trouve deux sociétés basées en Californie, Tala et Branch. Elles s’adressent aux « investisseurs » des États-Unis en leur disant que s’ils investissent leur argent auprès d’elles, ils feront de juteux profits, Tala a réussi à collecter 109 millions de dollars US et Branch en a réuni 260 millions. Voir Boston Review, « Perpetual Debt in the Silicon Savannah ».

L’argent mobile aboutit à une nouvelle forme d’esclavage ou de servitude

Il faut bien avoir en tête que ce type de firmes utilisent à fond l’effet de levier c’est-à-dire qu’elles prêtent pour un volume qui peut aller jusqu’à 30 fois les fonds dont elles disposent. Et pour équilibrer leur bilan, elles empruntent aussi 30 fois plus que leurs fonds propres [3].

Dans des articles de propagande en faveur des nouvelles formes de crédit, communément appelé FinTech (Financial Technology Industry, l’industrie de la technologie financière), on peut lire ce qui suit : « La logique sous-tendant le recours aux téléphones mobiles est simple, comme le montre le cas du Kenya : 30 millions d’abonnements ; les prix de communication sont parmi les plus bas du monde ; 73 % des adultes kényans se servent d’argent mobile, et 23 % y recourent au moins une fois par jour. »

On croit rêver en poursuivant la lecture de l’article mentionné : « La technologie permet ainsi à des millions de ménages à faible revenu d’organiser leur vie privée et professionnelle aussi efficacement et de manière aussi flexible que les ménages plus aisés. »

La réalité est toute différente et ce type de crédit, loin de libérer ceux et celles qui y recourent, aboutit à une nouvelle forme d’esclavage ou de servitude. Les classes populaires empruntent de l’argent via leurs téléphones mobiles pour couvrir des dépenses de première nécessité : rembourser la traite d’un emprunt afin d’éviter un défaut de paiement, acheter de la nourriture, payer les frais scolaires, payer des frais de santé, payer la note de téléphonie mobile, payer des frais de transport public…

À ce stade du développement de ce type d’endettement, on dispose de données insuffisantes sur la répartition hommes / femmes parmi la clientèle des firmes d’argent mobile. Mais il est clair que les femmes constituent pour les sociétés capitalistes une cible très importante. Pour reprendre leurs termes, c’est un marché potentiel énorme qu’il faut réussir à « conquérir » et à « pénétrer ». Selon une étude réalisée dans cette perspective, les femmes sont jusqu’ici surtout réceptrices des versements d’argent mobile réalisés par des hommes.

Les classes populaires empruntent via leurs téléphones mobiles pour couvrir des dépenses de première nécessité

Voici les recommandations qu’on trouve dans une étude financée par US AID (l’agence gouvernementale des États-Unis en matière de coopération au développement), la Fondation Bill et Melinda Gates et la compagnie Mastercard :

« Pour accroître la portée et l’impact de leurs opérations, les opérateurs d’argent mobile ne peuvent laisser de côté la population féminine, qui représente la moitié de leur base de clientèle potentielle. La diffusion des services d’argent mobile auprès de ce public reste néanmoins faible car de nombreuses barrières freinent leur adoption et leur utilisation par les femmes, comme par exemple le faible niveau d’alphabétisation ou le fait de ne pas posséder de téléphone portable. Les opérateurs peuvent utiliser un certain nombre de tactiques pour surmonter ces barrières liées au sexe, en modifiant notamment leurs méthodes de marketing et de distribution. Cela comprend une offre de produits adaptée aux besoins propres des femmes, des campagnes de marketing auxquelles elles peuvent s’identifier, et du personnel féminin de qualité capable de susciter la confiance des clientes à l’égard des services d’argent mobile afin de les fidéliser à long terme. »

Cette étude rédigée en 2014 par Claire Pénicaud Schwarwatt et Elisa Minischetti porte le titre très suggestif : « L’autre moitié du marché. Les femmes et l’argent mobile ».

Voici un autre extrait de la même étude :
« La population féminine représente la moitié de la base de clientèle potentielle sur tous les marchés. Les opérateurs d’argent mobile qui ignorent la répartition par sexe de leur base de clientèle prennent le risque de passer à côté d’un énorme segment de marché. Les femmes tendent plus souvent à recevoir de l’argent mobile qu’à en envoyer. Les entretiens avec les opérateurs d’argent mobile montrent que sur de nombreux marchés, les femmes reçoivent plus souvent de l’argent mobile qu’elles en envoient, alors que les émetteurs de transferts sont principalement de sexe masculin. Ces statistiques montrent que les femmes financièrement dépendantes constituent un segment de marché important car elles utilisent les services d’argent mobile pour recevoir des transferts en provenance de membres de leur famille et/ou des prestations sociales en provenance d’organismes gouvernementaux ou caritatifs. Les opérateurs d’argent mobile ont eu tendance à se concentrer sur le côté « actif » des transactions (les émetteurs) et moins sur le côté « passif » (les bénéficiaires), oubliant que les bénéficiaires contribuent tout autant à la réussite d’un réseau. D’autres catégories de femmes représentent également des segments prometteurs : certains opérateurs ciblent ainsi les femmes chefs d’entreprise ou les étudiantes avec des propositions de valeur différentes »

Les femmes constituent pour les sociétés capitalistes une cible très importante

On voit à quel point les firmes capitalistes pourraient renforcer l’oppression et l’exploitation des femmes des classes populaires par le biais du développement de ces nouvelles formes de crédits.

Les nombreuses plateformes digitales qui proposent des crédits prélèvent des taux d’intérêt élevés et de nombreux frais. Elles mènent d’intenses campagnes pour gagner des clients et leur faire ouvrir un compte via leur téléphone mobile. Pour convaincre les clients, elles ne précisent pas clairement les conditions du contrat. Par exemple Safaricom qui octroie des prêts qui vont de l’équivalent de 100 shillings (soit environ 1 US$ ou un peu moins d’1 €) jusqu’à des sommes beaucoup plus élevées, prélève immédiatement une commission équivalente de 7,5 % sur le moindre crédit de courte durée. Les clients multiplient les petits emprunts pour faire face à des nécessités urgentes et paient chaque fois l’équivalent de 7,5 %.

En cas de défaut de paiement, ces firmes ont les moyens de harceler les personnes endettées pour obtenir le remboursement et ajoutent de lourdes pénalités. Comme elles disposent des numéros de téléphone de tous les correspondants de leurs clients, certaines d’entre elles menacent de téléphoner aux personnes de leur carnet d’adresse. Et si malgré la menace, le client n’arrive quand même pas à rembourser, elles passent à l’action en téléphonant aux membres de leur famille, à leur employeur, etc. Cela entraîne une situation de stress terrible, cela génère un sentiment de honte, cela conduit à des drames familiaux, à la perte de l’emploi et peut mener à de véritables catastrophes jusqu’au suicide.

Pour rappel les sociétés de téléphonie mobile disposent non seulement des carnets d’adresses de leurs clients, elles ont accès à leurs communications (sms, communications orales, e-mails…) et elles peuvent savoir où leurs clients se trouvent et quels déplacements ils effectuent. Elles peuvent également connaître l’état financier de leur client qui utilisent des comptes bancaires en ligne. On sait que la protection des données est très faible, voire inexistante dans certaines circonstances.

Pour échapper aux banques et aux usuriers traditionnels, une des issues qui s’offraient aux personnes surendettées était de quitter leur domicile, quitter leur village ou leur ville. Avec l’argent mobile, cela devient beaucoup plus difficile car via l’utilisation du téléphone mobile, même en changeant de fournisseurs, il est plus facile de retrouver les personnes surendettées qui tenteraient de disparaître des « radars ». D’autant que des firmes se spécialisent dans l’activité de recherche sur les réseaux mobiles.

Les nombreuses plate-forme digitales qui proposent des crédits ne précisent pas clairement les conditions du contrat

2,7 millions, c’est le nombre élevé de Kényans qui figurent en 2017 sur la liste des mauvais payeurs pour ce type de services financiers mobiles. C’est la preuve de l’ampleur des difficultés de remboursement auxquelles une grande partie des clients sont confrontés. Un autre chiffre abonde dans le même sens : 400 000 mauvais payeurs sont sur la liste noire parce qu’ils ont fait défaut sur un crédit inférieur à 2 €.

De manière évidente, les firmes qui se sont lancées dans l’argent mobile, comptent sur l’endettement permanent de leurs clients : elles cherchent à ce qu’ils fassent continuellement appel à leurs services afin de continuer à recevoir des remboursements. Les clients s’endettent pour rembourser et afin de surmonter un manque chronique de cash pour faire face à des dépenses de la vie courante ou à des accidents de la vie.

Safaricom a ouvert au début de l’année 2019 une nouvelle application appelée Fuliza. Safaricom Fuliza s’adresse aux clients de Safaricom qui sont en défaut de paiement pour leur proposer de petits crédits à court terme avec une prime de risqueservant à rembourser les emprunts M-Shwari et M-Pesa. Safaricom Fuliza au cours de son premier mois d’activité a prêté 6 milliards de shillings (environ 52 millions €, ) – voir Boston Review, « Perpetual Debt in the Silicon Savannah »).

On pourrait également mentionner Okoa Jahazi qui octroient des crédits en lien direct avec Safaricom pour l’utilisation de la téléphonie mobile. Okoa Jahazi – Safaricom s’adresse notamment aux plus pauvres des clients en leur proposant de contracter un crédit de téléphone qui peut être aussi limité que 10 shillings (soit mois de 0,1 € ou 0,1 US$).

Il est clair que le Kenya et la Tanzanie dans une moindre mesure constituent des terrains d’expérimentation et de sophistication des techniques d’endettement abusif générant des dettes privées illégitimes et souvent illégales. D’autres marchés sont visés : le Nigeria dont la population atteint 200 millions, l’Inde dont la population dépasse 1 300 millions et le Mexique (130 millions). La société Branch international [4] basée en Californie et dont nous avons parlé plus haut compte plus de 3 millions de clients au Kenya, au Nigeria, en Tanzanie, ainsi qu’en Inde et au Mexique. Cette société utilise les informations provenant des utilisateurs de smartphone y compris les infos GPS, les listes d’appels réalisés, les carnets d’adresse, les messages envoyés y compris ceux concernant les états financiers des clients et l’historique de leur dépenses et de leurs revenus afin de déterminer leur solvabilité (credit worthiness). Ensuite cette société vend ses analyses à d’autres sociétés. En Afrique, cette société octroie des prêts qui vont de 2 US$ à 700 US$ en prélevant un taux d’intérêt qui va jusqu’à 21 % au Nigeria ainsi qu’en Tanzanie et jusqu’à 14 % au Kenya [5].

« Détails du prêt : Capital : 1.000 ; Intérêts : 152 ; Total : 1.152 ; Taux mensuel : 16,29 % »
Source : Yomi Kazeem, « A $170 million funding round is the latest big-ticket fintech deal in Africa », Quartz Africa, 8 avril 2019.

Branch a passé des accords avec la société Visa pour étendre son activité aux commerçants qui acceptent en paiement les cartes Visa.

Les capitalistes qui se spécialisent dans ce secteur « banquent » ou misent sur les classes populaires et réussissent à en tirer un maximum de profit, les gouvernements complices comme celui du Kenya qui les tolère et qui en profite (puisqu’il est actionnaire de Safaricom aux côtés de Vodafone – voir note 1) en tirent aussi un bénéfice.

Il faut dénoncer le discours dominant sur l’inclusion financière des classes populaires. L’inclusion financière telle qu’elle se déroule réellement met à la merci du capital, de la concurrence et du marché une masse de plus en plus importante de personnes. L’inclusion financière telle que promue par des institutions comme la Banque mondiale, par les grandes entreprises bancaires et par des fondations comme celles de Bill Gates ou de Ford, vise à détruire ce qui subsiste des mécanismes de solidarité collective telles les tontines, ces structures par lesquelles des femmes mettent en commun leurs maigres ressources sans passer par l’endettement auprès d’institutions financières. Ces structures existent sous des formes différentes dans une grande partie de l’Afrique et dans d’autres continents. En marchandisant l’accès au crédit, en mettant à la merci des prêteurs privés un nombre croissant de personnes, l’inclusion financière signifie plus de souffrance, moins de liberté, moins de protection des données personnelles, plus de misère et plus d’individualisme.

Les firmes capitalistes qui se spécialisent dans la monnaie mobile « banquent » sur les classes populaires

Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue les fondements structurels de la nécessité de s’endetter pour faire face à des nécessités élémentaires. Le fondement, c’est l’offensive du capital qui a pour nom néolibéralisme et qui consiste notamment à comprimer les salaires, à précariser les emplois, à réduire radicalement la quantité et la qualité des services publics, à augmenter les frais de santé, d’éducation, de transport, à alourdir les taxes indirectes frappant le plus durement ceux d’en bas.

Si on veut combattre les nouvelles formes de dettes illégitimes, il faut non seulement interdire les pratiques abusives mais il faut aussi appliquer des politiques radicales avec pour effet d’augmenter le revenu des classes populaires, améliorer et augmenter les services publics, assurer leur gratuité. Il faut aussi renforcer toutes les mesures concrètes nécessaires pour assurer l’émancipation des femmes et mettre fin aux mécanismes d’oppression capitaliste patriarcale.

Il convient également de retirer des mains des capitalistes le secteur financier et le transformer en véritable service public sous contrôle citoyen. Il s’agit donc de socialiser le secteur bancaire (voir Patrick Saurin et Éric Toussaint, Comment socialiser le secteur bancaire).

La technologie de l’argent mobile pourrait être réellement mise au service de la population si elle était un monopole de service public. C’est ce qu’avait tenté l’Équateur en 2010-2011 [6]. Cette expérience devrait être reprise et améliorée. C’est d’ailleurs ce que demande la Confédération des Nations Indigènes de l’Équateur (CONAIE) dans son mémorandum remis au gouvernement le 31 octobre 2019 [7].

Eric Toussaint

Notes :

[1]Les deux actionnaires principaux de Safaricom sont l’État kenyan qui en possède 35 % et Vodaphone, la filiale kenyane de la firme britannique Vodaphone, qui en possède 40 %.

[2]A la date du 3 novembre 2019, 100 shillings = 0,9 € ou 1 US$

[3]L’effet de levier permet à une société financière de prêter sous une forme ou une autre jusqu’à plus de 30 fois le volume de ses fonds propres et de contracter des dettes en proportion d’un même multiplicateur.

[5]Attention si on annualise les taux en question, on arrive à des chiffres beaucoup plus élevés qui atteignent ou dépassent 100%.

[6]Banco Central del Ecuador, Regulación No. 017-2011 sobre el dinero electronico – http://felaban.s3-website-us-west-2.amazonaws.com/regulaciones/archivo20140717160248PM.pdf

[7]Voir bas de la page 11 et haut de la page 12 de CONAIE, Entrega de propuesta alternativa al modelo económico y social – https://conaie.org/2019/10/31/propuesta-para-un-nuevo-modelo-economico-y-social/ publié le 31 octobre 2019

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Le 17 octobre 2019 restera certainement une date à retenir dans l’histoire du Liban. Quelle que soit l’issue de cette révolte populaire, le pays n’en sortira que transformé. Beaucoup de questions se posent quant à l’origine, la nature et l’avenir de ce mouvement. Il ne s’agit pas ici de répondre en détail à toutes ces interrogations, mais plutôt, d’esquisser une analyse d’un mouvement de protestation qui pourrait mener à la naissance d’une nation.

Du mandat à la révolution 

La République libanaise est née officiellement en 1926 alors que le pays est toujours sous mandat français. Cette première république s’est construite sur la base du partage confessionnel du pouvoir entre les différentes communautés du pays en faveur des chrétiens, en particulier de la communauté maronite. Le confessionnalisme politique est par la suite renforcé par la signature du Pacte national en 1943 à la veille de l’indépendance du pays. Ainsi, un système clientéliste et corrompu est né. Il mènera le pays vers plusieurs guerres, dont la guerre civile de 1975 à 1990. Celle-ci se termine avec la signature de l’accord de Taëf en 1989 et la naissance de la deuxième République libanaise.

Alors que cette seconde république devait, selon les textes,(1) se dégager petit à petit du confessionnalisme, elle l’a renforcé. C’est lors de cette phase allant de la fin de la guerre civile à nos jours que la corruption et le clientélisme, intimement liés au confessionnalisme, ont pris des proportions inégalées. Ainsi, si la confiance semble désormais rompue entre le peuple et le pouvoir, il est important de noter que c’est la gestion catastrophique du pays lors des trente dernières années qui est à l’origine du mouvement de protestation actuel. Les crises soulignant la mauvaise gestion publique se sont succédé :  crise de l’électricité, crise des déchets, crise écologique, crise économique et mauvaise gestion de la crise des réfugiés syriens. De plus, il y a une profonde remise en question de l’état civil régi par le confessionnalisme, notamment de toutes les lois qui discriminent la femme libanaise. 

Deux crises conjoncturelles ont précédé cette révolte : la gestion déplorable des feux de forêt qui ont ravagé le Liban à la mi-octobre et la détérioration de la livre libanaise face au dollar américain. Alors que le pays fait face à d’importants feux de forêt qui se sont déclarés à partir du 14 octobre, le scandale des hélicoptères éclate. Trois hélicoptères acquis par le gouvernement en 2009 pour lutter contre les feux de forêt n’ont pu être utilisés, faute de maintenance de la part du ministère de l’Intérieur, accentuant davantage la colère d’un peuple qui voit son pays dévasté sous ses yeux alors qu’il perd jour après jour le peu de pouvoir d’achat qu’il lui reste. En effet, depuis septembre, le Liban fait face à une pénurie de dollars américains alors que la livre libanaise est indexée sur la devise américaine depuis des décennies. Alors que le taux de change officiel reste inchangé à 1507,5 livres libanaises pour 1 dollar, sur le marché noir, le dollar se vend à plus ou moins 1700 livres. L’écart entre les deux devises continue à se creuser, sans que le gouvernement prenne de réelles mesures pour lutter contre cette situation.

La remise en cause du confessionnalisme politique

D’abord, il faut situer cette révolution en marche dans un contexte mondial et régional de contestations des inégalités socio-économiques et politiques. Plusieurs pays d’Amérique latine (2) ont connu dernièrement des mouvements de protestation très violents dirigés contre des gouvernements corrompus et antipopulaires. Depuis plusieurs mois, des soulèvements se déroulent également en Irak, en Algérie et au Soudan dans une indifférence quasi générale des médias. L’éveil est donc global et la cible a un nom : l’élite oligarchique.

Au Liban, cette élite est à la fois détentrice du pouvoir économique et politique. Elle se maintient au pouvoir par l’entremise de partis politiques confessionnels qui ont mis le pays en coupes réglées.(3) L’État libanais ne représente qu’une vache à lait visant à enrichir par tous les moyens possibles et imaginables cette ploutocratie. C’est dans ce cadre et alors que les feux ravagent le pays et que le pouvoir d’achat se détériore que le gouvernement libanais a décidé le 15 octobre d’appliquer une taxe sur les communications via l’application WhatsApp. Cette énième tentative de soutirer de l’argent à un peuple qui lutte plus que jamais pour sa survie quotidienne représente l’étincelle qui a déclenché les événements qui se sont déroulés depuis le 17 octobre.

Si par le passé le Liban a connu plusieurs épisodes de contestations sociales, cette fois-ci, un stade a été dépassé. Il ne s’agit plus de revendications conjoncturelles, mais bien d’une remise en cause de tout un système qui génère la corruption et le clientélisme. Plus précisément, c’est la structure du système qui est rejetée à savoir, le confessionnalisme politique. Cette prise de conscience représente la plus importante avancée de ce mouvement et la plus grande crainte du régime et de ses alliés. C’est à travers le rejet de ce système que se structure actuellement la solidarité entre les différentes régions mobilisées avec un seul objectif en tête, la fin du régime confessionnel.

 Un régime aux abois

Pour les forces du régime, appellation désormais en vogue dans les milieux insurgés rappelant l’unicité de cette élite au pouvoir et transcendant ainsi les divisions confessionnelles, l’incompréhension est totale. La réponse du pouvoir ne s’est pas fait attendre. À peine quatre jours après le début du mouvement, le gouvernement annonce la mise en place d’une série de mesures visant à limiter le mécontentement. Celles-ci vont bien au-delà de l’annulation de la taxe sur l’application WhatsApp sans remettre en question la légitimité du gouvernement. 

Face au refus des manifestants de cette série de réformes, toute la classe politique libanaise a tenté, dans un premier temps, d’assurer la mort du mouvement grâce à un retour des divisions confessionnelles au sein de la société. Toutefois, la rue n’est pas tombée dans le piège confessionnel. Face aux hommes de main des partis politiques, les places fortes ont tenu bon, et ce, grâce à la solidarité de tout un pays. À chaque fois qu’un rassemblement est visé par les milices, la police ou l’armée, les manifestants présents dans d’autres régions du pays envoient des messages de solidarité à travers les réseaux sociaux, fédérant davantage le pays tout entier autour du même objectif, à savoir la chute du régime confessionnel. Ce sentiment de solidarité qui se transforme petit à petit en un sentiment patriotique effraie le pouvoir, car, au bout du chemin, il y a inévitablement une déconfessionnalisation du pays.

Ces derniers jours, il y a eu une évolution dans le discours des hommes politiques. Face à l’intransigeance du peuple, différents partis confessionnels ont commencé un rétropédalage et désormais, c’est la course à celui qui accorde le plus de garanties aux révolutionnaires. Non seulement la démission du gouvernement est intervenue sous la pression populaire le 29 octobre, mais il a été question pour la première fois dans un discours présidentiel du passage du régime confessionnel à un État civil moderne. En outre, les discours (4) du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, depuis le 17 octobre marquent également cette évolution. Alors que dans les deux premiers discours il a rejeté les principales revendications du mouvement, à savoir la chute du gouvernement et l’organisation des élections législatives anticipées, dans sa dernière intervention, il insiste sur le fait que le nouveau gouvernement devrait prendre en considération toutes les revendications des manifestants.

L’unité du pays au bout du chemin 

Alors que depuis des décennies les mouvements séparatistes prolifèrent dans de nombreux pays, au Liban, c’est l’inverse. En effet, le peuple s’est soulevé pour exiger l’unité d’un pays divisé sur des bases confessionnelles. Cette unité s’est construite sur le rejet d’un régime qui attise les divisions, et ce, pour mieux contrôler le peuple. Mais d’où vient la force de ce mouvement qui a fait chuter un gouvernement d’union nationale au sein duquel tous les partis confessionnels les plus importants sont représentés ?

Premièrement, le Liban vit une des plus graves crises économiques de son histoire. Alors que par le passé, l’oligarchie a toujours réussi à s’en sortir grâce au clientélisme, cette fois-ci, la crise touche tous les partis confessionnels alors que l’État est au bord de la banqueroute. Ces derniers n’ont plus d’argent à distribuer et ne peuvent plus faire appel en masse à leurs hommes de main pour réprimer le mouvement ou attiser la discorde confessionnelle. Au contraire, même à l’intérieur de ces partis, le mécontentement est grand. Ainsi, de nombreux militants de ces partis sont descendus grossir les rangs des manifestants. Le système est donc en train de se déliter de l’intérieur.

Deuxièmement, la force du mouvement est à rechercher à l’intérieur de ses différentes composantes.(5) Il est primordial de noter à présent que la jeunesse née après la guerre civile est massivement présente dans les rues. Cette génération courageuse et déterminée qui ne craint pas les balles et les coups des militaires, des policiers et des milices confessionnelles est le cœur battant de cette révolution. Moins perméable que les générations précédentes au chantage à la guerre confessionnelle, elle mène son combat quotidiennement dans les rues et sur les réseaux sociaux. Dans son dernier discours, le président Michel Aoun s’est adressé directement à cette jeunesse à plusieurs reprises tout en soulignant qu’elle est désormais une actrice clé de la contestation en cours et plus généralement de la société libanaise.

Après la chute du gouvernement, il s’agit désormais de constituer un gouvernement provisoire dit de salut public, excluant toutes les anciennes forces politiques liées au régime confessionnel. D’après les revendications populaires, ce gouvernement doit avoir trois principales tâches : la stabilisation de la situation économique, la lutte anticorruption et l’organisation d’élections anticipées selon une loi électorale non confessionnelle. De l’évolution du rapport de forces, actuellement en faveur de la rue, dépendra la mise en application stricte de ces demandes.

Jad Kabbanji

 

 

 

Notes :

1.https://www.un.int/lebanon/sites/www.un.int/files/Lebanon/the_taif_agreement_english_version_.pdf

2.Équateur, Chili et Haïti.

3.Entre autres, et pour ne nommer que les plus importants : Amal et Hezbollah (chiites), Force libanaise et Courant patriotique libre (chrétiens maronites), Courant du futur (sunnites), Parti socialiste progressiste (druzes).

4.19 et 25 octobre et 1er novembre. 

5.La présentation des acteurs de la révolution doit être le sujet d’un autre article.

 

 

 

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4 novembre, voir Naples et mourir 

novembre 5th, 2019 by Manlio Dinucci

C’est Naples, et non pas Rome, qui le 4 novembre a été au centre de la Journée des Forces Armées. Sur le Front de mer Caracciolo ont défilé 5 bataillons. 

Mais le point fort a été l’aire d’exposition inter-forces, qui a reçu pendant cinq jours Piazza del Plebiscito surtout des jeunes et des enfants. Ils ont pu monter à bord d’un chasseur bombardier, conduire un hélicoptère avec un simulateur de vol, admirer un drone Predator, entrer dans un char d’assaut, s’entraîner avec des instructeurs militaires, pour aller ensuite au port visiter un navire d’assaut amphibie et deux frégates (FREMM). Une grande “Foire de la guerre” montée dans un but précis : le recrutement.

70% des jeunes qui veulent s’engager vit dans le Mezzogiorno, surtout en Campanie et Sicile où le chômage des jeunes est de 53,6%, par rapport à une moyenne Ue de 15,2%. La seule qui leur offre un emploi “sûr” est l’armée. 

Après les sélections, le nombre des recrutés s’avère cependant inférieur à celui qui serait nécessaire. Les Forces armées ont besoin de plus de personnel, parce qu’elles sont engagées dans 35 opérations dans 22 pays, de l’Europe orientale aux Balkans, de l’Afrique au Moyen-Orient et à l’Asie. Ce sont les “missions de paix” effectuées surtout là où l’OTAN sous commandement USA a déclenché, avec la participation active de l’Italie, les guerres qui ont démoli des États entiers et déstabilisé des régions entières.

Pour conserver des forces armées et des armements adéquats -comme les F-35 italiens déployés par l’OTAN en Islande, montrés par la Rai le 4 novembre- on dépense en Italie, avec de l’argent public, environ 25 milliards d’euros annuels. En 2018 la dépense militaire italienne est montée du 13ème au 11ème rang mondial, mais USA et OTAN font pression pour une augmentation ultérieure en fonction surtout de l’escalade contre la Russie.

En juin dernier le gouvernement Conte I a “débloqué” 7,2 milliards d’euros à ajouter à la dépense militaire. Au mois d’octobre, dans la rencontre du Premier ministre avec le Secrétaire général de l’OTAN, le gouvernement Conte II a assuré l’engagement à augmenter la dépense militaire d’environ 7 milliards d’euros à partir de 2020 (La Stampa, 11 octobre 2019). On est ainsi en train de passer d’une dépense militaire d’environ 70 millions d’euros par jour à celle d’environ 87 millions d’euros par jour. De l’argent public soustrait à des investissements productifs fondamentaux, notamment dans les régions comme la Campanie, pour réduire le chômage en commençant par celui des jeunes.

Tout autres sont les “investissements” qui sont faits à Naples. La ville a pris un rôle croissant en tant que siège de certains des plus importants commandements USA/OTAN. 

À Naples-Capodichino siège le Commandement des Forces navales USA en Europe, sous les ordres d’un amiral étasunien qui commande en même temps les Forces navales USA pour l’Afrique et la Force conjointe Alliée (Jfc Naples) avec quartier général à Lago Patria (Naples). Tous les deux ans, le Jfc Naples prend le commandement de la Force de riposte OTAN, une force conjointe pour des opérations militaires dans la “zone de responsabilité” du Commandant Suprême Allié en Europe, qui est toujours un général USA, et “au-delà de cette zone”. 

Dans le quartier général de Lago Patria est en fonction depuis 2017 le Hub de direction stratégique OTAN pour le Sud, centre d’intelligence, c’est-à-dire d’espionnage, concentré sur Moyen-Orient et Afrique.

Du commandement de Naples dépend la Sixième Flotte, avec base à Gaeta, qui -informe la vice-amirale USA Lisa Franchetti- opère “du Pôle Nord jusqu’au Pôle Sud”. 

Voilà quel est le rôle de Naples dans le cadre de l’OTAN, définie par le président Mattarella, dans son message du 4 novembre, comme “une alliance à laquelle nous avons librement choisi de contribuer, en protection de la paix dans le contexte international, en sauvegarde des plus faibles et des opprimés et des droits humains”.

Manlio Dinucci

 

Article original en italien :

4 Novembre, vedi Napoli e poi muori

Édition de mardi 5 novembre 2019 de il manifesto

https://ilmanifesto.it/4-novembre-vedi-napoli-e-poi-muori/ 

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

NDT : le 4 novembre est la Journée de l’Unité Nationale et des Forces Armées, commémoration, instaurée en 1919, de l’armistice italien de la Première guerre mondiale (1915-1918 en Italie). 

Vidéo en italien correspondant au texte (PandoraTV):

GENEVE (1er novembre 2019) Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Nils Melzer, a exprimé son inquiétude face à la détérioration continue de la santé de Julian Assange depuis son arrestation et sa détention au début de cette année, affirmant que sa vie était désormais en danger.

M. Assange a été envoyé dans une prison de haute sécurité du Royaume-Uni le 11 avril 2019, où il continue d’être détenu dans le cadre d’une demande d’extradition américaine pour espionnage pour avoir exposé des preuves de crimes de guerre et d’autres fautes en Irak et en Afghanistan. « Alors que le gouvernement américain poursuit M. Assange pour avoir publié des informations sur de graves violations des droits de l’homme, y compris des actes de torture et des meurtres, les responsables de ces crimes continuent de jouir de l’impunité « , a déclaré Melzer.

Le Rapporteur spécial et son équipe médicale ont rendu visite au fondateur de Wikileaks emprisonné en mai et ont indiqué qu’il présentait « tous les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique » et exigé des mesures immédiates pour protéger sa santé et sa dignité.

« Cependant, ce que nous avons vu de la part du gouvernement britannique est un mépris total pour les droits et l’intégrité de M. Assange « , a dit M. Melzer. « Malgré l’urgence médicale de mon appel et la gravité des violations alléguées, le Royaume-Uni n’a pris aucune mesure d’enquête, de prévention et de réparation exigée par le droit international.

En vertu de la Convention contre la torture, les États doivent mener une enquête rapide et impartiale chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. « Dans une réponse rapide envoyée près de cinq mois après ma visite, le gouvernement britannique a catégoriquement rejeté mes conclusions, sans indiquer la moindre volonté d’examiner mes recommandations, et encore moins de les mettre en œuvre, ou même de fournir les informations supplémentaires demandées « , a déclaré l’expert des Nations Unies.

Comme l’avait prédit Melzer, peu après la visite du Rapporteur spécial, M. Assange a dû être transféré à l’unité de soins de santé de la prison. « Il continue d’être détenu dans des conditions oppressantes d’isolement et de surveillance, non justifiées par son statut de détenu « , a déclaré M. Melzer, ajoutant qu’après avoir purgé sa peine de prison pour violation des conditions de sa libération sous caution au Royaume-Uni en 2012, M. Assange était désormais détenu exclusivement en relation avec la demande d’extradition en instance des États-Unis.

« Malgré la complexité de la procédure engagée contre lui par le gouvernement le plus puissant du monde, l’accès de M. Assange à un avocat et à des documents juridiques a été gravement entravé, ce qui porte atteinte à son droit le plus fondamental de préparer sa défense, a déclaré M. Melzer.

« L’arbitraire flagrant et soutenu dont ont fait preuve le pouvoir judiciaire et le gouvernement dans cette affaire suggère un écart alarmant par rapport à l’engagement du Royaume-Uni en faveur des droits de l’homme et de l’État de droit. Cet exemple est inquiétant, d’autant plus que le gouvernement a récemment refusé de mener l’enquête judiciaire tant attendue sur la participation britannique au programme de torture et de restitutions de la CIA.

« À mon avis, cette affaire n’a jamais porté sur la culpabilité ou l’innocence de M. Assange, mais sur le fait de lui faire payer le prix pour avoir dénoncé des fautes graves du gouvernement, y compris des crimes de guerre et la corruption présumés. A moins que le Royaume-Uni ne change d’urgence de cap et n’améliore sa situation inhumaine, l’exposition continue de M. Assange à l’arbitraire et aux abus pourrait bientôt lui coûter la vie. »

Dans son appel urgent au Gouvernement britannique, le Rapporteur spécial a vivement recommandé que l’extradition de M. Assange vers les États-Unis soit interdite et qu’il soit rapidement libéré et autorisé à recouvrer la santé et à reconstruire sa vie personnelle et professionnelle.

Nils Melzer

 

Article original en anglais :

Julian Assange’s Life May be at Risk. UN Expert on Torture Sounds Alarm

Traduction : Romane

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Au milieu de l’excitation suscitée par l’assassinat du chef de l’État Islamique, Abu Bakr Al-Baghdadi, un événement qui a eu un impact considérable sur la sécurité internationale, le Danemark a annoncé, le 30 octobre dernier, qu’il permettrait le passage du projet de gazoduc Nord Stream 2 dans sa zone économique exclusive.

Copenhague a modestement expliqué qu’elle était « obligée d’autoriser la construction de pipelines de transit » en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

Le Nord Stream 2, qui reliera la région russe de Leningrad à la côte baltique de l’Allemagne, en contournant la route traditionnelle via l’Ukraine, vise à doubler la capacité du Nord Stream déjà construit de 1 à 110 milliards de mètres cubes par an, soit plus du quart de la consommation de gaz dans l’Union Européenne.

Le 31 octobre, Gazprom, le géant russe de l’énergie, a déclaré que 83 % de la construction du gazoduc – soit plus de 2100 km – était terminée. Le permis de construire dans la zone économique exclusive danoise au sud-est de Bornholm couvre une section de 147 km de long.

Le pipeline a été achevé dans les eaux russes, finlandaises et suédoises et, pour la plupart, dans les eaux allemandes. Ainsi, le développement de la semaine dernière signifie que la Russie est certaine de terminer le projet d’ici la fin de cette année.

Malgré les tensions croissantes dans les relations de la Russie avec les États-Unis, un projet énergétique de grande envergure est sur le point de voir le jour sur les fonds marins entre la Russie et l’Union Européenne. Les États-Unis veulent étouffer le serpent dans son oeuf, mais l’Allemagne et la Russie l’ont mené à la dernière ligne droite.

Le projet devrait assurer un approvisionnement sûr et stable de l’Europe en gaz. L’approvisionnement en gaz compétitif de la Russie permettra aux clients européens d’économiser environ 8 milliards d’euros sur leur facture de gaz en 2020.

Plus important encore, selon une étude menée par l’Université de Cologne EWI, « lorsque Nord Stream 2 sera disponible, la Russie pourra fournir plus de gaz à l’UE, ce qui réduira la nécessité d’importer du GNL plus cher. Par conséquent, le prix à l’importation des volumes de GNL restants diminuera, ce qui réduira le niveau global des prix dans l’UE-28« .

C’est là que le bât blesse. L’Europe est devenue un champ de bataille du gaz naturel pour les États-Unis et la Russie. Bien sûr, en plus d’être un marché prisé, l’Europe est aussi un champ de bataille politique entre les États-Unis et la Russie.

La Russie dominait traditionnellement le marché européen, tandis que l’Union Européenne semble vouloir se sevrer du gaz russe, étant donné les implications géopolitiques d’une dépendance excessive vis-à-vis de Moscou pour sa sécurité énergétique. D’autre part, les États-Unis cherchent à accroître leurs exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’Europe et sont confrontés à un grand concurrent ingénieux qui ne peut être délogé du marché, la Russie.

En 2018, la Russie devenait le plus grand fournisseur de gaz naturel de l’UE. Selon les dernières données de la Commission européenne sur les importations de produits énergétiques de l’UE en octobre, onze États membres ont importé en 2018 plus de 75 % de leurs importations nationales totales de gaz naturel de Russie.

La Russie dispose de plusieurs gazoducs en service, ce qui lui donne un grand avantage pour réduire les coûts de transport pour les consommateurs européens par rapport aux importations de GNL plus coûteuses en provenance des États-Unis. De toute évidence, la géoéconomie et la géopolitique sont toutes deux en jeu ici.

Le leadership transatlantique des États-Unis est largement conditionné par le climat des relations entre l’Europe et la Russie en général et entre l’Allemagne et la Russie en particulier. Washington est tout à fait conscient que Nord Stream 2 peut constituer le fondement d’une relation stable et prévisible entre l’Europe et la Russie, ce qui irait à l’encontre de la projection de l’administration Trump selon laquelle la Russie est une puissance révisionniste que les États-Unis sont déterminés à contrer.

En résumé, Washington craint que l’achèvement du Nord Stream 2 ne porte un coup sévère aux relations transatlantiques, même si, à première vue, les États-Unis soutiennent que le projet va à l’encontre des sanctions occidentales imposées à la Russie après son annexion de la Crimée.

En fait, cet argument n’est qu’un sophisme, puisque la dépendance de l’Europe à l’égard des approvisionnements énergétiques russes est un héritage de l’époque de l’Union Soviétique. Moscou est partie prenante dans la préservation de sa réputation de fournisseur stable et fiable d’énergie pour l’Europe à des prix compétitifs. Le nœud du problème est que le consommateur européen préfère le gaz russe, moins cher, aux exportations coûteuses de GNL en provenance des États-Unis.

Pendant ce temps, la crise ukrainienne a alerté la Russie sur la réalité géopolitique qu’elle pourrait être vulnérable aux pressions politiques US, ce qui a à son tour provoqué son pivot énergétique vers la Chine. Gazprom vise à devenir le premier exportateur de gaz de la Chine d’ici 2035. Lorsque le gazoduc Pouvoir de Sibérie (en construction en Sibérie orientale pour le transport du gaz vers les pays d’Extrême-Orient) entrera en service plus tard cette année, il livrera 38 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an à la Chine, ce qui en fera le deuxième plus gros client de gaz en Russie après l’Allemagne.

Toutefois, paradoxalement, les exportations de gaz russe vers l’Europe ne font que croître ces dernières années. En 2018, les ventes de gaz de Gazprom à l’Europe et sa part du marché européen du gaz ont atteint des niveaux record. Cette tendance ne peut que se poursuivre puisque les gazoducs Nord Stream 2 et Turk Stream, qui seront mis en service sous peu cette année, livreront 86,5 milliards de mètres cubes supplémentaires par an en Europe.

En termes simples, la dépendance de l’Europe à l’égard du gaz russe reste une réalité et, la production de gaz du continent étant en déclin, l’Europe doit importer des volumes de gaz beaucoup plus importants, dont une grande partie viendra de Russie.

Ce qui est étonnant, c’est la résistance acharnée de l’Allemagne aux moyens de pression US visant à abandonner Nord Stream 2. Les États-Unis ont même menacé de sanctionner les entreprises allemandes ; le Congrès US a adopté des résolutions appelant à mettre fin à la construction du gazoduc. L’économie manufacturière allemande dépend des importations pour 98 % de son pétrole et 92 % de son approvisionnement en gaz, et le gaz bon marché est l’élément vital de son économie basée sur les exportations.

Mais alors, il pourrait politiquement y avoir plus à cela qu’il n’y paraît. Serait-ce une coïncidence si l’Allemagne résiste également à la pression US pour exclure le géant technologique chinois Huawei de ses réseaux 5G ? Comme pour Nord Stream 2, Washington a avancé le même argument à propos de Huawei – les préoccupations de sécurité nationale. Mais l’Allemagne a snobé les appels des États-Unis.

Le magazine The Economist a écrit il y a quelques mois que : « L’océan Atlantique commence à avoir l’air terriblement large. Pour les Européens, les États-Unis semblent de plus en plus éloignés« . Certes, l’avènement de Nord Stream 2 est un signe supplémentaire que les relations transatlantiques sont actuellement confrontées à des défis importants.

Les divisions politiques entre les États-Unis et l’Europe sont apparues sur un large éventail de questions régionales et mondiales. Bien que les politiques US et européennes à l’égard de la Russie restent globalement alignées, Nord Stream 2 s’est avéré être un point de friction clé entre les États-Unis et l’Europe.

M.K. Bhadrakumar

 

Article original en anglais : Europe’s gas alliance with Russia is a match made in heaven, Indian Punchline

Traduit par Réseau International

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AMLO (Andrés Manuel López Obrador) a donné la priorité aux défis internes du Mexique plutôt que de renforcer son rôle en matière de politique internationale. Toutefois, il a insisté pour marquer un retour aux principes historiques qui caractérisaient autrefois la politique étrangère de son pays.

(18 septembre 2019). Près de neuf mois après l’accession d’AMLO) à la présidence, son administration a apporté une série de nouveautés significatives tant en politique intérieure qu’extérieure. Dans le cadre de la célébration du Jour de l’Indépendance [fête nationale, le 16 septembre, NDT], un examen de la politique étrangère sous l’ère AMLO nous permet d’identifier les contrastes existant par rapport aux derniers mandats sous la gestion du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) [2012-2018, NDT] et du Parti Action Nationale (PAN) [2000-2012, NDT].

« Nous allons mener une politique étrangère non-protagoniste, nous ne voulons pas être celui qui voit la paille dans l’œil du voisin et pas la poutre dans le sien. La meilleure politique étrangère est la politique intérieure »[i] : voilà la promesse d’AMLO pendant la campagne électorale. Il a ainsi donné la priorité à la résolution des conditions internes du Mexique plutôt qu’au renforcement de son rôle sur la scène internationale. Toutefois, il a insisté sur le retour aux principes de la politique étrangère mexicaine tels qu’ils sont consacrés par l’article 89, paragraphe X, de sa Constitution :

« Mener la politique étrangère et conclure des traités internationaux, ainsi que mettre fin, dénoncer, suspendre, modifier, amender, retirer des réserves et formuler des déclarations interprétatives à leur sujet, en les soumettant à l’approbation du Sénat. Dans la conduite d’une telle politique, le chef du pouvoir exécutif devra observer les principes normatifs suivants : l’autodétermination des peuples ; la non-intervention ; le règlement pacifique des différends ; l’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force dans les relations internationales ; l’égalité juridique des États ; la coopération internationale pour le développement ; le respect, la protection et la promotion des droits de l’homme ; la lutte pour la paix et la sécurité internationales « [ii].

Le fait que ces principes soient au cœur de la politique étrangère [mexicaine] est lié à la Doctrine Estrada, promue en 1930 par le Ministre des Affaires étrangères de l’époque, Genaro Estrada Felix. Cette doctrine est d’abord née sur le papier dans une note rédigée par Estrada, qui sera plus tard reconnue comme un document officiel de la politique étrangère mexicaine.

Ce document prend comme point de départ l’expérience du Mexique dans la recherche d’une reconnaissance internationale. En effet, ce pays latino-américain avait dû faire des concessions aux grandes puissances afin d’être reconnu comme un État souverain, en particulier par les États-Unis. En ce sens, Genaro Estrada considérait la pratique de la déclaration de reconnaissance comme quelque chose de méprisant et qui pouvait atteindre à la souveraineté des autres nations (Soler 2002)[iii]. Ainsi, le Mexique allait fonder sa politique étrangère sur les principes d’autodétermination des peuples et de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États. Des principes qui, de surcroît, sont conformes à ce qui est consacré aujourd’hui dans la Charte des Nations Unies.

C’est cette doctrine qui explique pourquoi le Mexique a été le seul pays d’Amérique latine à ne pas avoir rompu ses relations diplomatiques avec Cuba en 1962 lors de la crise qui a entraîné l’expulsion de l’île des Caraïbes de l’Organisation des États américains (OEA).[iv] En effet, la Doctrine stipule expressément que le Mexique n’a pas à se prononcer sur la légitimité des gouvernements d’autres pays, ni à les qualifier, bien qu’il se réserve le droit de modifier ses représentants diplomatiques présents dans un autre État, en plus de ceux accrédités au Mexique : « Maintenir ou retirer, lorsqu’il le juge approprié pour ses agents diplomatiques, et continuer d’accepter, lorsqu’il le juge approprié, les agents diplomatiques similaires que les nations respectives ont accrédités au Mexique, sans qualifier, ni hâtivement ni a posteriori, le droit que possèdent les nations étrangères » (Soler 2002 ; 41).

Mais l’esprit de cette doctrine a été mise de côté par plusieurs gouvernements [mexicains]. En effet, les principes de la politique étrangère mexicaine ont été modifiés par les présidents Vicente Fox et Felipe Calderón -du PAN-, qui ont inclus « la défense de la démocratie » comme nouveau principe directeur. C’est ce qui leur permettra d’étriller les relations avec Cuba et plus tard, au président Enrique Peña Nieto [du PRI, NDT], d’assumer un rôle prépondérant dans la condamnation du gouvernement bolivarien du Venezuela.

Avec le gouvernement d’AMLO, la Doctrine Estrada s’impose comme une pierre angulaire. Elle est couplée à l’adoption d’un rôle de non-protagoniste sur le plan international. Selon l’actuel président, ceci :  » (….) ne signifie pas que nous allons nous isoler, mais que nous allons nous adapter aux principes constitutionnels : à la non-intervention, à l’autodétermination des peuples, à la coopération pour le développement, au règlement pacifique des controverses, au respect des droits humains « .[v] La coopération pour le développement est essentielle dans la politique étrangère menée par AMLO ; un de ses objectifs répond à la protection des ressortissants [mexicains] dans d’autres pays ainsi qu’à la prévention de la migration. Cette condition a amené son gouvernement à réduire des budgets destinés à sa représentation à l’étranger et à les réorienter vers des projets d’infrastructure. [vi]

Lors de la passation de pouvoir [le 1er décembre 2018, NDT], AMLO a clairement indiqué que son pari politique visait le respect de l’autodétermination des peuples. Cela a permis la présence de 20 dirigeants de tous les horizons politiques à sa cérémonie d’investiture, d’Evo Morales [Bolivie] et Nicolás Maduro [Venezuela] -en plus de l’invitation de l’ancienne présidente argentine Cristina Fernández [Argentine]- à des figures réactionnaires telles que Juan Orlando Hernández [Honduras] et Jimmy Morales [Guatemala], ainsi que Lenin Moreno [Equateur], Iván Duque [Colombie] et Martín Vizcarra [Pérou]. Durant cet événement, protocoles et traditions ont été rompus.

Dès le début de son mandat, AMLO s’est vu confronté à un moment historique dans la région : l’auto-proclamation de Juan Guaidó comme président intérimaire du Venezuela et la question de sa reconnaissance internationale. Face à cette situation, AMLO n’a pas cédé sous les pressions du Groupe de Lima. Cet acte diplomatique représente, jusqu’à aujourd’hui, le plus fort symbole du retour à la Doctrine Estrada ainsi qu’une rupture complète avec la politique mise en place par le PRI et le PAN. Ainsi, au sujet de la crise vénézuélienne, le Mexique a choisi de prendre le chemin d’une solution par le dialogue tout en se retrouvant en position d’interlocuteur et/ou de médiateur.

Il est aussi important de noter le soutien donné par tous les pays d’Amérique latine pour que le Mexique devienne un membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. [vii] Le Mexique a déjà été membre dudit Conseil à quatre reprises : i) en 1946, avec Luis Padilla Nervo et Rafael de la Colina ; ii) en 1980-1981, avec Porfirio Muñoz Ledo ; iii) en 2002-2003, avec Adolfo Aguilar Zínser ; et iv) en 2009-2010 avec Claude Heller. La prochaine élection des membres non permanents aura lieu en 2020 et AMLO estime que la place du Mexique est assurée grâce au soutien unanime des 33 États d’Amérique latine.

Par la suite, dans un geste très fort sur le plan symbolique qui allait montrer quelles allaient être ses priorités, AMLO a renoncé à participer à la réunion du G20 [du 28 et 29 juin 2019 à Osaka, au Japon] préférant ne pas quitter le pays afin de continuer de s’occuper des questions domestiques. [viii] Il s’est contenté d’envoyer une lettre au G20 dans laquelle il a abordé les inégalités existant au niveau mondial et la nécessité d’y remédier rapidement étant donné que ce sont celles-ci qui provoquent violence, insécurité, dégâts environnementaux et flux migratoires.

Autre fait notable : neuf mois après le début de son mandat, alors que durant la même période son prédécesseur Enrique Peña Nieto avait déjà effectué 10 voyages à l’étranger, AMLO n’en a réalisé aucun. Une autre preuve de l’engagement de López Obrador de donner la priorité à la politique intérieure sur la politique internationale, transformant cette dernière en une extension de la gestion des affaires domestiques. De cette façon, AMLO a aussi mis un terme à la tradition de rendre visite au gouvernement étatsunien durant les premiers mois de gestion.

Les défis d’AMLO en matière de politique étrangère sont liés à la question migratoire ainsi qu’à la thématique du « développement ». Pour le gouvernement, ces deux questions sont étroitement liées puisque la Présidence estime que c’est en impulsant des projets de développement que les flux migratoires diminueront.

En ce sens, des accords d’investissements ont été conclus entre le Mexique et les Etats-Unis à hauteur de 25.000 et 5.800 millions de dollars respectivement pour lancer des projets de développement dans le sud du Mexique. [ix] Par ailleurs, le Mexique va investir environ 100 millions de dollars en Amérique centrale. [x] Pour citer un exemple, le programme « Semer la vie » – au Salvador- est le résultat d’un investissement de 30 millions de dollars pour produire des aliments et créer des emplois sur une zone de 50.000 hectares, bénéficiant ainsi quelque 20.000 familles.

AMLO maintient aussi fermement sa décision de ne pas accepter le statut de « Pays tiers sûr », contrairement à ce qu’ont fait le Guatemala et le Honduras. [xi] Récemment, le président López Obrador a conclu de nouveaux accords avec le gouvernement étatsunien qui donnent la priorité aux programmes de développement pour mes migrants au lieu de les criminaliser [xii].

Néanmoins, AMLO a fini par accepter de renforcer les effectifs de la Garde nationale (à la frontière sud) et de l’armée (à la frontière nord) pour effectuer des missions de contrôle migratoire, suite aux très fortes pressions du gouvernement de Donald Trump qui menaçait d’augmenter de 5% à 25% les droits de douane sur toutes les marchandises en provenance du Mexique, une augmentation qui aurait dévasté l’économie mexicaine.

Le dossier migratoire est sans aucun doute le principal défi de la politique étrangère du Mexique, un défi qui est directement lié à la politique intérieure. L’annonce d’investissements dans les infrastructures a déjà été critiquée par l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), le Congrès national indigène (CNI) et le Conseil indigène de gouvernement. AMLO se voit ainsi confronté à l’un des dilemmes et contradictions les plus complexes auquel doivent faire face les gouvernements progressistes de la région : l’articulation de l’utilisation des ressources naturelles dans le respect de l’environnement et des droits des populations et peuples originaires affectés par les processus d’extraction.

Nery Chaves Garcia

 

Article original en espagnol : Regresar a los principios: política exterior mexicana en la era AMLO, cela.org, le 18 septembre 2019.

Traduit par Luis Alberto Reygada pour LGS @la_reygada.

NOTES :
[i] https://mvsnoticias.com/noticias/nacionales/la-mejor-politica-exterior…
[ii] https://mexico.justia.com/federales/constitucion-politica-de-los-estad…
[iii] Soler, J. (2002). La Doctrina Estrada. Revista de la Universidad de México, julio-agosto 2002. Disponible en : http://www.revistadelauniversidad.unam.mx/ojs_rum/files/journals/1/art…
[iv] https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-46909829
[v] https://mvsnoticias.com/noticias/nacionales/mexico-tendra-una-politica…
[vi] https://lopezobrador.org.mx/temas/politica-exterior/
[vii] https://www.efe.com/efe/usa/politica/mexico-sera-candidato-al-consejo-…
[viii] https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-48468281
[ix] https://actualidad.rt.com/actualidad/299429-eeuu-mexico-pactan-plan-in…
[x] https://www.elfinanciero.com.mx/nacional/mexico-invertira-100-millones…
[xi] https://www.jornada.com.mx/ultimas/politica/2018/12/21/mexico-no-acept…
[xii] https://www.usatoday.com/story/mexico/2019/09/11/andres-manuel-lopez-o...

 

Nery Chaves Garcia : Diplômée en relations internationales par l’Université nationale du Costa Rica.

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Le « partenariat tous azimuts » noué entre la Russie et l’Inde modifie l’équilibre des pouvoirs en Eurasie en défaveur de la Chine : Moscou ouvre ses portes à New Delhi en Arctique, en Asie du Nord-Est et en Asie centrale.

Récemment, la Russie a pris position en faveur de l’Inde au Cachemire, étayant la « théorie de l’hameçon » qui explique le rapprochement russo-pakistanais observé depuis peu. C’est également la première fois, depuis la fin de la Guerre Froide, que la Russie contredit la Chine sur un sujet international d’importance. Récemment, l’ambassadeur d’Inde en Russie a proclamé que les deux grandes puissances constituaient des « partenaires tous azimuts », et à bien examiner les tenants et aboutissants et le potentiel géostratégique de leurs liens bilatéraux, on comprend qu’il pourrait s’agir de plus qu’une simple hyperbole. Si l’on considère que la Russie s’est rangée du côté de l’Inde sur le sujet du Cachemire, « équilibrant » ainsi diplomatiquement la Chine, on ne peut exclure que l’expansion du partenariat stratégique russo-indien à l’échelle eurasienne puisse également servir à « équilibrer » politiquement et économiquement le poids de la République Populaire de Chine sur le supercontinent.

Pour commencer, la haute stratégie de la Russie pour le XXIème siècle s’auto-envisage comme levier d’« équilibrage » suprême en Eurasie, du fait de ses capacités géographiques et diplomatiques. De quoi permettre à Moscou d’ajuster l’équilibre des pouvoirs (dans le cas présent, entre les camarades des BRICS et les membres de l’OCS, la Chine et l’Inde) dans la direction la plus avantageuse à ses intérêts propres : ce positionnement accorde à la Russie un statut indispensable dans la nouvelle guerre froide. La Russie s’était assez récemment tournée vers la Chine en 2014, suite au coup d’État soutenu par l’Occident en Ukraine. Suite à ces événements, et aux sanctions anti-russes imposées par l’Occident, Moscou s’était empressée de compenser ses pertes économiques en nouant des liens tous azimuts avec Pékin. À présent, les relations russo-chinoises connaissent un point haut historique, sans pour autant être parfaites ni même approcher, lorsqu’on regarde au-delà des ventes d’armements et de matières premières, leur plein potentiel économique.

De nombreuses raisons sous-tendent cet état de faits, et les préoccupations de l’élite économique intérieure russe (les « oligarques »), craignant de se voir en fin de compte « remplacés » en font partie. Cependant, il en résulte que des États de dimensions beaucoup plus petites, comme le Sri Lanka, ont pu se voir intégrés dans le projet des Nouvelles Routes de la Soie, au cours des cinq dernières années. La Russie et la Chine apprécient l’existence de nombreuses complémentarités stratégiques, mais des préoccupations existent de toute évidence au Kremlin face à un possible état de dépendance envers le grand voisin communiste : c’est pour cela que les relations avec l’Inde sont reparties à la hausse, par suite de la rencontre entre Modi et Poutine au Forum Économique de l’Est tenu à Vladivostok. Il ne s’agit pas pour la Russie de « se détourner » de la Chine, ou de s’essayer à la « contenir » agressivement, à l’image de que prône la stratégie « indo-pacifique » étasunienne. Moscou envisage des bénéfices à long terme à faciliter la montée de New Delhi en Eurasie, et ce tout particulièrement dans les zones périphériques à la Chine.

Le « retour en Asie du Sud«  de la Russie implique un renforcement des capacités militaires de l’Inde le long du flanc Sud de la Chine, réalisé via des exportations de systèmes aériens, navals, et anti-aériens. Même si l’ampleur du partenariat entre Inde et Russie s’arrêtait là, on pourrait difficilement nier que ce partenariat constitue un « équilibrage » : Moscou vend certains systèmes militaires du même type à Pékin, comme les S-400. Mais le partenariat russo-indien va bien au-delà de ces aspects de défense, nous allons y revenir. Partant, du point de vue chinois, du vecteur le plus au Nord, et suivant le sens des aiguilles d’une montre jusqu’à l’Ouest, la Russie vient d’inviter l’Inde à investir dans l’extraction de ses ressources énergétiques et minières en Arctique ; cela peut apparaître comme un point mineur, mais n’en amènera pas moins à une présence indienne accrue dans la région. Ce point en soi n’est pas sujet à préoccupations, sauf si l’Inde l’instrumentalise à des fins militaires et se met plus tard à dépêcher des navires de guerre sur la zone pour y faire « escale », ce qui ferait transiter ces navires par la Mer de Chine.

La Russie et l’Inde s’emploient à négocier un pacte logistique militaire semblable au LEMOA (Logistics Exchange Memorandum of Agreement), qui permettra à chacune d’entre elles de s’appuyer sur les infrastructures militaires de l’autre, au cas par cas : cela pourrait également permettre à New Delhi de maintenir une présence militaire semi-permanente ou tournante en Arctique et en Asie du Nord-Est (à Vladivostok). En commençant sans doute sous couvert de protéger ses investissements en extractions de ressources en mer, et de maintenir la « liberté de navigation » du couloir maritime Vladivostok-Chennai (qui finira par s’étendre jusque l’Arctique), l’enjeu est de voir l’activité navale indienne se mettre à traverser de manière régulière le Sud de la Mer de Chine, ce qui constituera un nouveau précédent — du point de vue de la Russie, il s’agira d’une simple contrepartie/« équilibrage » des activités navales chinoises déjà existantes dans l’océan afro-asiatique dit « Indien ».

L’annonce a également été faite que la Russie et l’Inde vont commencer à commercialiser leurs missiles supersoniques Brahmos — qu’elles produisent conjointement—, à d’autres pays, et il est fort possible que le Vietnam soit l’un des premiers clients. Ce pays d’Asie du Sud-Est est impliqué dans un différend maritime bien connu avec la Chine en Mer de Chine du Sud, et le déploiement de missiles Brahmos par sa marine de guerre pourrait changer la donne au niveau régional. Chose peu connue, une filiale de la compagnie d’État russe Rosneft extrait du pétrole dans les eaux contrôlées par le Vietnam, à proximité de la limite Sud-Ouest de la ligne à neuf points chinoise. Moscou a donc un intérêt économique à « équilibrer » Pékin sur cette zone, afin d’y défendre ses investissements. Dans l’hypothèse où le couloir maritime Vladivostok-Chennai deviendrait actif, il est probable que les partenaires vietnamiens que sont la Russie et l’Inde s’intégreront à ce réseau commercial en développement, pourquoi pas en l’intégrant lui-même au « Couloir de Croissance Afrique-Asie » indo-japonais [“Asia-Africa Growth Corridor” (AAGC), NdT].

Le composant maritime du partenariat stratégique russo-indien dans son ensemble — qu’il s’agisse des plate-formes arctiques d’extraction d’énergie, des exercices navals conjoints dans le grand Est, ou des intérêts militaro-stratégiques au Vietnam — pourraient contribuer fortement à une intégration de-facto de la Russie à l’AAGC. Cette possibilité sera d’autant plus concrète si Moscou et Tokyo finissent par signer un traité de paix attendu de longue date, mettant fin à la seconde guerre mondiale (pourquoi pas avec l’Inde comme intermédiaire facilitateur), réglant le statut des îles Kouriles une bonne fois pour toutes. Ce serait également chose assez naturelle que les relations russo-indiennes fassent des petits, et intègrent d’autres partenariats, avec le Japon notamment, si New Delhi commence à étendre sa présence dans les régions arctiques russes et du grand Est, surtout si les motivations à ces partenariats sont (au moins à la surface) économiques. Ici encore la participation possible de la Russie à l’AAGC ne contredirait pas l’objectif énoncé par Poutine d’intégrer l’union économique eurasienne avec les Nouvelles Routes de la Soie. Cependant, le rythme de cette intégration pourrait se voir ralenti, si des compétiteurs chinois ont de meilleures affaires à proposer.

Le dernier théâtre où la Russie est vouée à « équilibrer » la Chine est une ouverture à l’Inde en Asie centrale. La Russie a récemment fait part de son intérêt renouvelé envers le port iranien de Tchabahar, contrôlé par l’Inde, du fait de l’importance de ce dernier comme terminal pour le Couloir de Transport Nord-Sud [North-South Transport Corridor (NSTC), NdT]. Le rayonnement de ce projet à l’Est devrait faire croître l’influence de l’Inde en Afghanistan et en Asie Centrale, zones où la Chine gardait jusqu’ici les mains libres. La Russie est préoccupée à l’idée de ne pas pouvoir accéder à l’Afghanistan une fois la guerre terminée, et de rester écartée de l’Asie Centrale du fait de l’influence économique chinoise dominante. Elle compte donc sur l’introduction de l’Inde comme facteur d’« équilibrage » : l’introduction d’une compétition permettrait à Moscou d’« améliorer ses chances ». En outre, l’Inde reste, contrairement à la Chine, géographiquement éloignée de l’Asie Centrale, si bien qu’une expansion de l’influence économique indienne dans cette région n’est pas de nature à jamais menacer réellement les intérêts russes.

Pour en revenir à une vision plus large, la Russie dispose de motivations économiques et stratégiques claires pour faciliter l’expansion de l’influence indienne dans toute l’Eurasie, afin d’« équilibrer » la Chine. Cela n’exclut aucun développement dans la coopération entre la Russie et la Chine ; au contraire, cela pourrait de fait renforcer le caractère géographique indispensable de la Russie en la mettant en avant aux yeux des deux grandes puissances asiatiques, et donc en jouant sur la compétition entre elles aux fins de maximiser ses bénéfices. La Russie présente des liens durables avec l’Inde comme avec la Chine, et bien que ces liens soient mutuellement contradictoires aux yeux des deux grandes puissances asiatiques, Moscou parie sur l’idée qu’elle pourra jouer de cette dynamique de concurrence entre elles pour rester courtisée au cours du XXIème siècle, et en profiter pour développer les régions de Russie éloignées de la capitale. Sans minimiser les risques induits par une telle stratégie (il en existe de nombreux), l’ensemble de ces éléments éclaire le contexte élargi dans lequel évoluent, dans une vision à long terme, les liens russo-indiens ayant fait l’objet de développements récents.

Andrew Korybko

 

Article original en anglais : The Russo-Indian Partnership & the Changing Balance of Power in Eurasia, pakistanpolitico.com, le 17 octobre 2019.

Traduit par José Martí, relu par San pour le Saker Francophone.

 

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

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Je me trouve dans une rizière du nord du Laos, à quelques kilomètres de la grande ville la plus proche, Phonsavan. C’est tôt le matin mais il fait déjà chaud. À midi, il fera plus de 32 degrés et près de 40 degrés dans la capitale, Vientiane.

J’ai suivi un homme appelé Mark Whiteside dans ce champ. On m’a dit de ne pas m’éloigner, de rester près de lui en tout temps. Maintenant, nous nous tenons l’un à côté de l’autre, et Whiteside pointe du doigt quelque chose de très proche de nous qui fait battre mon cœur.

Il s’agit d’un objet partiellement révélé de la taille et de la forme d’une balle de tennis. C’est une bombe en grappes Blu-26. Que se passerait-il si elle explosait maintenant ?

Whiteside, qui a travaillé dans le déminage en Angola pendant une décennie avant de venir au Laos, il y a environ 18 mois, répond en toute franchise. « Il y aurait des morts, dit-il. Parce que nous sommes tout près ».

Ma collègue Brenda Fitzsimons, la photographe, est encore plus proche de l’objet que nous. Nous serions les victimes. La panique m’envahit soudainement. Je n’ai jamais été aussi près de la mort.

La Blu-26 que nous regardons est l’une des quelque 80 millions de munitions non explosées qui restent au Laos, larguées par les États-Unis entre 1964 et 1973. C’était l’une des 670 bombes similaires à l’intérieur de l’obus d’une bombe à sous-munitions, appelée CBU-24, qui s’ouvrait en plein vol pour laisser tomber son contenu. La plupart des bombes à sous-munitions explosait à l’impact. Celle que nous examinons à présent ne l’a pas fait.

Cette région, Xieng Khouang, est la zone la plus bombardée du Laos. La piste Ho Chi Minh y passait, cette zone a été bombardée pour empêcher les ravitaillements au Vietnam pendant la guerre entre le Nord communiste et le Sud soutenu par les États-Unis.

Whiteside est le directeur technique sur le terrain d’une organisation appelée MAG, ou Mines Advisory Group. C’est l’une des six organisations qui travaillent au Laos. Lentement et minutieusement, mètre carré par mètre carré, ces groupes éliminent des munitions non explosées, ou UXO, vieilles de plusieurs décennies. Un nombre stupéfiant de 270 millions de bombes ont été larguées sur le Laos, au cours de ce que l’on a appelé la guerre secrète, parce que les États-Unis ignoraient ce qu’il s’y passait. Les 80 millions de bombes qui n’ont jamais explosé restent actives, enterrées dans tout le pays.

Il y a eu plus de 580 000 missions de bombardement au Laos entre 1964 et 1973. Une toutes les huit minutes, tous les jours, pendant neuf ans.

Yeyang Yang, 31 ans, avec sa fille Syya (6 ans) chez eux dans le village de Banxang, Phonsavan, Laos. Il brûlait des ordures lorsque la chaleur de l’incendie a enflammé une UXO dans le sol et l’a faite exploser. Photographie : Brenda Fitzsimons

Il lui reste très peu de visage

Quarante-quatre ans après la dernière mission, les bombes larguées par les États-Unis font encore des morts et des blessés. Parmi les survivants, un tiers a perdu un membre ou la vue, et parfois plusieurs membres et la vue. Chaque année, des centaines de personnes sont mutilées, ce qui change leur vie à jamais.

Dans ce pays en développement, où la plupart des gens vivent de la terre, la capacité de faire du travail manuel est essentielle.

Yeyang Yang vit dans une simple maison en bois dans le village de Ban Xang. Yang a 31 ans, mais vous ne pourrez jamais deviner son âge : il ne reste que très peu de son visage d’origine, qui, comme son torse, a été brûlé de façon grotesque en février 2008. C’était un fermier ; à l’époque, il faisait son deuxième travail qui consistait à brûler les ordures de la ville quand une bombe a explosé sous la pile.

Regarder Yang est bouleversant, non seulement parce qu’il est gravement défiguré, mais aussi parce qu’il est clair qu’il a terriblement souffert.

Il n’a plus d’oreille droite, juste un trou sur le côté de la tête. Sa main droite est un amas d’os et de muscles endommagés sans doigts. Son visage semble recouvert d’un masque de plastique fondu de couleur chair. Ses yeux rouges pleurent constamment et ne se ferment pas entièrement.

S’il m’est difficile de regarder Yang en face, je ne peux pas imaginer ce que c’est pour lui de vivre avec une telle défiguration. Il a passé huit mois à l’hôpital et a subi des greffes de peau si douloureuses qu’il a refusé d’en avoir d’autres. « J’avais vraiment peur », dit-il doucement.

L’association caritative World Education a payé son transport, son séjour à l’hôpital et ses médicaments, ainsi que la présence d’un membre de sa famille à Vientiane. Sa femme et son frère sont restés tout le temps. Son cerveau a également été affecté par l’explosion et il a maintenant des difficultés à se concentrer.

« Je suis vraiment, vraiment désolé et triste de ce qui m’est arrivé, dit Yang. J’étais seulement au travail, en train de faire mon travail. Je ne peux plus travailler maintenant . »

Yang n’a pas quitté sa maison, et encore moins son village, pendant des années après l’explosion. Il était gêné, déprimé et isolé de sa famille et de sa communauté. Le système de santé laotien ne fournit pas systématiquement un soutien en matière de santé mentale.

Ce qui a fait la différence pour Yang, c’est le soutien entre pairs offert par World Education. L’organisation l’a mis en contact avec un homme qui avait également survécu à une horrible explosion. Il est venu chez Yang, et ils ont parlé ensemble de leurs expériences.

Maintenant, Yang se rend dans d’autres communautés pour partager son histoire et soutenir d’autres survivants. Il y a quelques années, il n’aurait jamais accepté de parler à un journaliste, encore moins d’être photographié. Son courage et sa capacité d’adaptation sont héroïques.

Pendant que nous parlons, sa fille de six ans, Syva, entre dans la hutte et se blottit entre ses genoux, en le serrant fort dans ses bras. Pour elle, il est simplement le père qu’elle aime, peu importe à quoi il ressemble.

« Ma vie est mieux maintenant« , dit Yang quand je demande, par l’intermédiaire d’un traducteur, à la fin de l’entretien s’il y a autre chose qu’il aimerait dire. « J’ai l’impression d’avoir un rôle important à jouer dans la vie, en aidant les autres survivants à se sentir mieux. Je ne peux plus travailler à la ferme, mais je peux être utile ».

La raison principale du nombre stupéfiant de missions de bombardement était l’emplacement du pays : une partie de la piste Ho Chi Minh, une route qui fournissait les approvisionnements et la main-d’œuvre pour la guerre du Nord Vietnam avec les États-Unis, traversait le pays. La région la plus bombardée du Laos était la province de Xiang Khouang

Il ne pensait pas qu’elle était encore active

Khammeung Phommalein, qui vit dans le village de Leng, a 25 ans et ne peut plus travailler. Le 5 octobre de l’année dernière, il a vu un petit morceau d’obus dans le champ où il travaillait. Il pensait pouvoir utiliser le métal pour faire un couteau, alors il l’a ramené à la maison. Alors qu’il essayait de l’ouvrir ce soir-là, elle a explosé, l’aveuglant. « Il ne pensait pas qu’elle était encore active » dit le traducteur.

Phommalein est assis en face de nous, devant la maison qu’il partage avec sa femme, sa fille et trois générations de beaux-parents.

Il y a des poulets qui picorent des feuilles de maïs et des marmites de maïs qui bouillent sur un feu. Des bulbes d’ail sèchent dans un panier, des piments dans un autre. Quatre générations de la famille sont réunies autour de lui, dont sa femme, Toui, enceinte de leur deuxième fille.

Jusqu’à son accident, Phommalein était le chef de famille et la principale source de ses revenus.

Khammeung Phommalein, 25 ans, à son domicile dans le quartier Kham de Phonsavan, au Laos. Khammeung a été aveuglé par une UXO quand il l’a ramenée à la maison et qu’elle a explosé. Photographie : Brenda Fitzsimons

World Education, qui éduque également les enfants et les sensibilise aux dangers des engins non explosés, aide Phommalein à explorer la possibilité de se former pour devenir masseur.

Ce que World Education ne peut pas faire, c’est changer les faits : Phommalein est maintenant aveugle et ne peut plus faire de travail physique. Il est devenu, de l’avis de ses beaux-parents, un fardeau. Un membre de la famille de Phommalein a demandé en privé à World Education si elle pouvait l’emmener et lui fournir des soins permanents.

« Il fait des cauchemars parce qu’on lui a dit qu’il n’est plus utile à la famille »,me dit un membre du personnel.

Une dizaine de personnes écoutent la conversation que j’essaie d’avoir avec Phommalein, y compris celles qui, bien qu’elles ne lui aient pas dit, ne veulent plus qu’il vive sous leur toit. Phommalein indique cependant clairement qu’il est pleinement conscient de la façon dont ses beaux-parents voient le changement de circonstances économiques depuis qu’il a été aveuglé.

Il dit tristement :

« Comment puis-je aider la famille quand je ne vois rien ? Je ne vois ni les poulets ni les cochons pour les nourrir. Je ne peux pas travailler dans les rizières. Ma femme doit travailler à la ferme maintenant. Nous ne devons plus avoir d’enfants, parce que je ne peux pas subvenir à leurs  besoins » .

Je demande ce qui manque le plus à Phommalein, à part les visages de sa famille, dont sa fille d’un an. Le ciel, peut-être, ou le lever du soleil, ou même son propre visage ? « Cela me manque de ne pas pouvoir travailler dans les rizières« , dit-il avec pragmatisme.

« S’il vous plaît rentrez chez vous et restez à l’intérieur »

Le jour où nous sortons avec Mines Advisory Group (MAG) pour voir le travail qu’ils font, nous nous asseyons d’abord dans une classe pour un briefing d’une demi-heure. Whiteside nous montre une carte du Laos couverte de points rouges, qui montrent où les bombes ont été larguées. Une grande partie de la carte est composée uniquement de points rouges – les zones dites contaminées.

Après le briefing, nous sommes conduits dans une zone où l’une des 12 équipes de MAG travaille. L’organisation compte 16 équipes dans cette seule province, alors ce que nous voyons aujourd’hui se répète 15 fois dans d’autres rizières de la province, sous l’égide d’une seule compagnie d’UXO.

Au centre de contrôle temporaire situé à côté de la rizière, nous recevons un deuxième briefing sur la sécurité. L’équipe que nous observons est composée de femmes, tout comme de nombreuses équipes employées par les sociétés de déminage.

Chaque équipe a un médecin, et à chaque nouveau site, ils font un test dans les hôpitaux les plus proches. Aujourd’hui, si une blessure grave survient, il faudra plus de 45 minutes pour se rendre à l’hôpital le plus proche équipé pour faire face à la situation.

Avant ce voyage, il y avait un long processus administratif entre l’Irlande et le Laos, qui comprenait la demande surprenante de mon groupe sanguin. Ici, à l’arrivée dans une tente le long de la rizière, nous signons d’autres formulaires.

Un homme arrive au centre Cope à Vientiane, au Laos. Le Cope a été créé en 1997 pour répondre au besoin de fournir aux survivants des munitions non explosées (UXO) des soins et un soutien, ainsi que des orthèses et des prothèses qui sont fabriquées sur place au centre. Photographie : Brenda Fitzsimons

Les rizières sur lesquelles travaillent les sociétés de déminage des UXO sont toutes des propriétés privées. Les compagnies discutent à l’avance avec les agriculteurs du moment où ils viendront inspecter et déminer la terre. Ce n’était pas encore la saison du semis de riz, donc le travail de déminage n’interférait pas avec l’agriculture.

Les agriculteurs laotiens labourent les terres non déminées avec prudence : ils ne veulent pas aller trop loin. Frapper une bombe avec une pelle ou une charrue, tomber sur une bombe ou allumer involontairement un feu au-dessus d’une zone où une bombe est enterrée sont les principales causes d’explosion.

Le processus de déminage est laborieusement lent. Chaque mètre carré de terrain doit être méticuleusement parcouru.

La zone est d’abord sectionnée avec de la ficelle. Deux personnes sortent avec un détecteur de métaux qui ressemble un peu à un cadre de lit. S’il vibre – et il vibre toujours – un morceau de bois peint en rouge est placé à côté de l’endroit.

Plus tard, quelqu’un d’autre vient avec un détecteur plus petit, pour identifier plus précisément l’emplacement du métal. Lorsque la vibration s’intensifie, la personne creuse soigneusement le sol jusqu’à ce qu’elle trouve l’objet.

« Dans 95 % des cas, il s’agira d’un éclat d’obus« , dit Whiteside. « Le reste du temps, c’est une UXO ».

Il nous montre un seau en métal tordu – des éclats d’obus provenant des dispositifs qui ont explosé lorsqu’ils ont été lâchés. Lorsqu’une UXO comme le Blu-26 qu’il nous montre est découverte, des piquets de bambou sont placés autour d’elle, avec du ruban avertisseur. À la fin de la journée, chaque UXO découverte explose d’elle-même dans une explosion contrôlée.

Le personnel du Mines Advisory Group (MAG) prépare le déminage d’une rizière pour un agriculteur local à Phonsavan, au nord-est du Laos. Photographie : Brenda Fitzsimons

Chaque jour, l’équipe du MAG enregistre la zone qu’elle a arpentée et déminée, et compte le nombre et la nature de ce qu’elle a découvert. À la deuxième des deux rizières que nous visitons ce jour-là, le décompte, après avoir déminé 63 800 m2 en quatre semaines, est le suivant :

  • 24 bombes en grappe Blu-63.
  • 14 bombes en grappe Blu-26.
  • Huit grenades à fusil.
  • Quatre grenades à main.
  • Un projectile.
  • Une bombe de mortier.

L’un de ces engins est-il plus dangereux que les autres, je demande.

Whiteside rit. « Ils sont tous extrêmement dangereux » , répond-il.

Aujourd’hui, deux bombes Blu-26, qui ont été trouvées l’une à côté de l’autre dans un banc de la rizière, vont exploser. L’équipe du MAG se déploie, chassant le bétail et les autres animaux hors du site.

L’un des membres de l’équipe, Kong Kham Khamphavong, sort avec un mégaphone pour avertir la population locale de l’explosion imminente. « S’il vous plaît, rentrez chez vous et restez à l’intérieur de vos maisons ! Nous sommes sur le point de détruire la contamination » , crie-t-elle.

Les bombes sont entourées de bancs de sable et un câble attaché à des explosifs est déroulé jusqu’à l’endroit où nous nous trouvons, à 300 mètres. Lorsqu’elles explosent, elles font une grosse et forte explosion. Je ne peux pas imaginer que 668 autres explosent en même temps.

Il est stupéfiant de constater que le travail du MAG se répète sur une si grande partie du Laos, jour après jour. Les entreprises de munitions non explosées comptent parmi les plus gros employeurs du Laos.

Enfants se rendant à l’école à pied

Il s’agit de terres civiles sur lesquelles nous nous trouvons, sur lesquelles le fermier a planté son riz pendant des décennies au dessus de ces engins mortels – des terres sur lesquelles ses enfants ont marché jusqu’à l’école, des terres près de sa maison.

Quand le MAG aura fini de déminer ses rizières, il labourera plus profondément, son rendement augmentera et lui et sa famille n’auront plus peur du sol sous leurs pieds.

Le Laos est avant tout un pays rural et agricole, de sorte que des centaines de milliers de personnes vivent dans la peur de ce qui est enfoui dans le sol sur lequel elles marchent tous les jours. Mais les Laotiens sont aussi tellement habitués à voir des UXO qu’ils appellent ces engins des « bombies ». C’est un mot qui sonne inconfortablement affectueux pour un morceau de munition non explosée.

Le centre d’accueil Cope à Vientiane, au Laos. Le Cope a été créé en 1997 pour répondre au besoin de fournir aux survivants d’UXO les soins et le soutien dont ils ont besoin, notamment au moyen d’orthèses et de prothèses fabriquées sur place dans le centre. Photographie : Brenda Fitzsimons

Il existe d’autres exemples de domestication d’objets de guerre : des caisses vides ont été transformées en jardinières de fleurs, en bateaux de fortune ou en clôtures, ou utilisées dans la construction de maisons. La plupart des bars et restaurants de Phonsavan, notamment le restaurant dont le nom brutal est Craters (cratères), ont des étalages saisissants à l’extérieur d’obus, de missiles, de roquettes et de grenades.

« Tout ce que vous voyez sur les étalages n’a pas été désamorcé » , dit Whiteside. Sa maison louée à l’extérieur de Phonsavan  avait un jardin avec un obus non explosé, mis là pour la décoration, comme un nain de jardin surréaliste, qu’il devait avoir mis en sécurité. « Les gens sont habitués à voir des munitions partout, même quand ils ne sont pas en sécurité« .

Son propriétaire n’a accepté qu’à contrecœur que l’on lui enlève l’obus. « J’ai dû lui dire que je travaillais pour une compagnie d’enlèvement des UXO et qu’il ne pouvait pas louer une maison avec un obus non explosé dans le jardin » .

Quatorze personnes

La statistique qui se démarque le plus durant la semaine est le chiffre de 14. Une semaine avant notre arrivée, une fillette de 10 ans du district de Paek, dans la province de Xieng Khouang, a ramassé une de ces bombes à sous-munitions de la taille d’une balle de tennis alors qu’elle rentrait de l’école.

Elle l’a mis dans sa poche pour jouer à la maison, pensant que c’était une boule de pétanque, un jeu populaire au Laos. Quand La Lee est arrivée dans son village, non loin de l’endroit où nous nous tenions ce matin-là dans la rizière, elle a sorti la bombe de sa poche pour la montrer à son cousin. Une réunion de famille avait été planifiée et une foule de personnes se tenait à proximité. La bombe a explosé et La Lee est morte sur le coup. Treize autres, dont beaucoup d’enfants, ont été grièvement blessés.

Une bombe ananas exposée au Cope Visitor Centre à Vientiane, au Laos. Photographie : Brenda Fitzsimons

À Phonsavan, la veille de sortir avec le MAG, je suis allé au centre d’information Quality of Life, dans sa rue principale poussiéreuse. Le Quality of Life travaille avec les survivants de telles explosions. J’ai vu les noms des victimes les plus récentes inscrites au tableau noir, ainsi que la nature de leurs blessures. Un enfant de sept ans a été décrit comme « blessé à l’estomac, au foie, à l’intestin, au pied, à la main et au bras ».

Plus de trois décennies se sont écoulées entre le largage de la bombe qui a tué La Lee, en mars de cette année, et sa naissance, en 2007. Pourtant, elle est morte des suites directes de cette guerre secrète entre 1964 et 1973, une guerre qui n’avait rien à voir avec elle. Les 13 personnes qui ont été blessées avec elle ce jour-là ne sont pas mortes, mais leur vie a changé à jamais. Quatorze personnes d’un village ; un mort, 13 blessés.

Chaque année, des centaines d’autres Laotiens meurent, sont mutilés ou défigurés à cause des munitions non explosées qui se trouvent souvent juste sous la surface des rizières, des villages et même des cours d’école.

Mark Whiteside du Mines Advisory Group (MAG) supervise le déminage d’une rizière pour un agriculteur local à Phonsavan, dans le nord-est du Laos. Photographie : Brenda Fitzsimons

C’est l’ampleur de cet héritage de guerre qui est si difficile à traiter. A lui seul, le MAG a déminé 57,8 millions de mètres carrés de terrain depuis qu’il a commencé à travailler au Laos, en 1994. Chaque organisation de déminage travaille dans une région différente du pays. Chaque jour, 3 000 personnes procèdent à l’arpentage et au déminage de munitions non explosées.

L’argent

Les responsables que nous rencontrons prennent soin de ne pas critiquer, ni même d’exprimer leurs opinions sur la manière dont le pays est gouverné et comment l’argent de l’aide qu’il reçoit est dépensé.

C’est en partie parce que nous sommes accompagnés partout par une attachée de presse du gouvernement, qui prend des notes et nous photographie en travaillant. (Il est étonnamment coûteux de faire un reportage au Laos. Nos frais de visa, d’accréditation et de presse journaliers s’élèvent à environ 410 €. Nous devons également payer une accompagnatrice 50 $ par jour et couvrir le coût de son vol et de son hébergement.) Elle ne nous accompagne pas aux repas, mais elle est une présence silencieuse pour chaque partie de notre reportage.

Plus de 270 millions de bombes à sous-munitions ont été larguées au Laos pendant la guerre du Vietnam et jusqu’à 80 millions n’ont pas explosé. Photographie : Brenda Fitzsimons

Pourquoi avons-nous besoin d’être accompagnées et pourquoi les gens sont-ils si réticents à parler publiquement de ce qui semble être une simple histoire humanitaire de l’héritage de la guerre ?

« L’argent » , suggère une personne à qui nous parlons.

« La corruption » , dit un autre.

Les gens à qui nous parlons en privé, quand notre accompagnatrice n’est pas là, ne peuvent pas offrir de preuves concrètes, mais ils sont sûrs qu’ils sont suivis de temps à autre et que leurs mouvements sont surveillés.

Quelqu’un dit avec regret que leur bureau possède le système de climatisation le mieux entretenu du Laos. Qu’est-ce que ça veut dire ? « Nous pensons que le bureau est sur écoute. Le gouvernement n’arrête pas d’intervenir pour réparer la climatisation quand elle n’en a pas besoin« .

Personnel du Mines Advisory Group (MAG) à la fin d’une longue journée de déminage d’une rizière à Phonsavan, au nord-est du Laos. Photographie : Brenda Fitzsimons

Lorsque Barack Obama s’est rendu au Laos, en tant que président US, en septembre 2016, il a promis 90 millions de dollars d’aide au Laos pour le déminage. Il semble que cette aide n’ait pas encore été payée, en raison d’un désaccord entre les États-Unis et le Laos sur la manière de la dépenser. De plus, 90 millions de dollars n’est pas si impressionnant quand on sait que les États-Unis payaient déjà 15 millions de dollars par an au Laos pour le déminage.

« Ce qu’Obama s’est engagé à faire, c’est de doubler ce montant pendant trois ans« , nous a-t-on dit. « Mais, bien sûr, nous ne sommes pas sûrs d’obtenir ces paiements avant trois ans, étant donné que le président va changer » .

Les États-Unis veulent inspecter le pays afin de déterminer les terres qu’il reste à déminer des UXO, et ils veulent une aide supplémentaire pour financer ce projet. Le gouvernement laotien semble croire qu’une enquête prendra en fait de nombreuses années et que le déminage se poursuivra pendant plusieurs décénies.

Il est suggéré que le gouvernement laotien profite de la présence continue d’organisations d’UXO dans le pays. Ils reçoivent des fonds d’un certain nombre de pays, dont l’Irlande : Irish Aid est l’une des nombreuses organisations internationales qui font des dons à une société appelée UXO Lao. Il est également suggéré que la totalité de cette aide étrangère ne va pas directement aux organisations qu’elle est censée financer, qu’une partie de cette aide est détournée à des fins personnelles. Ce ne serait pas la première fois qu’un pays en développement détournerait de l’argent de l’aide étrangère pour d’autres usages.

Le personnel du Mines Advisory Group (MAG) transporte un détecteur à travers une rizière lors d’une mission de déminage pour un agriculteur local à Phonsavan, dans le nord-est du Laos. Photographie : Brenda Fitzsimons

Ensuite, il y a le coût des explosifs utilisés pour faire exploser des UXO chaque jour. Toutes les entreprises doivent acheter leurs explosifs au gouvernement laotien, qui facture un prix très élevé.

« Diriez-vous que c’est cynique ? » Une personne demande : « Exploitation inappropriée ?« . « Le gouvernement d’un pays fait payer le prix fort aux organisations qui éliminent les UXO, un déminage qui est censé être pour le bien du pays tout entier » .

Si les gens qui travaillent au Laos hésitent à partager leurs points de vue sur le dossier, les touristes étrangers au centre Cope à Vientiane n’ont pas cette réticence. Le Cope, un centre de réadaptation qui fabrique des prothèses de membres, tente également d’expliquer aux touristes les UXO non déminés du pays.

Il y a des cartes, des courts métrages et des enregistrements audio avec des survivants. Une installation d’une bombe à sous-munitions est suspendue au plafond, des « bombies » en tombent. Il existe également de nombreux exemples désamorcés du type d’UXO larguées sur le pays.

Les personnes qui ont écrit dans le livre d’or cette année n’ont pas hésité.

« Rendre l’Amérique grande à nouveau ? Pourquoi ne pas rendre le Laos encore meilleur, et nettoyer le désordre que VOUS avez causé ! Dégoûtant, déchirant et frustrant » – Fiona, UK 11.02.17

« J’ai profondément honte du gouvernement US. Je suis désolé pour ce que les États-Unis ont fait à votre beau pays, et ce que les États-Unis ont fait à votre peuple » – Sheila, USA 02-02-17

« En tant qu’Étasunien, j’ai profondément honte de voir la violence que mon pays a infligée à d’innocents Laotiens. Ce sont des crimes contre l’humanité qui sont restés impunis » – Elias, Maryland, US

« Venir au Laos m’a vraiment ouvert les yeux. Nous n’avions aucune idée des atrocités qui ont eu lieu dans ce beau pays » – Gillian et Simon, 10-02-17

Avant de quitter le centre d’accueil du Cope, j’ai une dernière promenade à faire. Je regarde les touristes qui regardent les expositions : la carte désormais familière du Laos avec les points rouges, l’installation de bombes à sous-munitions, les roquettes désamorcées et les mortiers et grenades. Peu importe où ils se trouvent dans la pièce, chacun d’entre eux a une expression identique : l’incrédulité totale.

Rosita Boland

 

Article original en anglais : Death from below in the world’s most bombed country, Irish Times, le 13 mai 2017.

Traduit par Réseau International

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Le plan de la Maison-Blanche pour étouffer l’Iran

novembre 4th, 2019 by Philip Giraldi

Il y a une certaine ironie dans le désir souvent exprimé par le président Donald Trump de se retirer des guerres sans fin qui ont caractérisé la « guerre mondiale contre le terrorisme » lancée par George W. Bush en 2001. Le problème, c’est que Trump a exprimé ces sentiments à la fois lorsqu’il se présentait aux élections et pas plus tard que la semaine dernière, sans rien faire pour provoquer le changement. En fait, le « retrait » de la Syrie, qui a fait l’objet d’un grand battage médiatique, s’est avéré être davantage un déplacement des moyens militaires existants, les soldats quittant la frontière nord du pays pour prendre de nouvelles positions et continuer de contrôler les champs pétroliers dans le sud-est du pays. En fait, le nombre de soldats US en Syrie a peut-être augmenté avec le transfert d’unités blindées de leur base en Irak.

La volte-face trop caractéristique de Trump sur la Syrie est peut-être due à la pression du Congrès et des médias, qui ont déploré que le départ des troupes US était une grave erreur, mais si cela est vrai, c’est un hommage à la terrible ignorance des colons étasuniens sur le Potomac et de la presstitute qui fait écho à leur myopie bipartisane. En vérité, s’accrocher aux puits de pétrole syriens n’a aucun sens, tout comme la guerre dans le nord n’a servi à rien. La production pétrolière ne suffit pas à payer l’occupation, même si le pétrole est volé et vendu avec succès, rien n’est sûr puisque le reste du monde moins Israël le considère comme la propriété de Damas.

Et pour être sûr, les créatures du Congrès savent tout sur les gagnants et les perdants. Les médias grand public ont été pleins d’absurdités, notamment les affirmations selon lesquelles la Russie, l’Iran et la Syrie ont tous été gagnants en raison du retrait des États-Unis, tandis que la promotion de la démocratie néolibérale au Moyen-Orient a subi une défaite et Israël est maintenant menacé. Et, bien sûr, les États-Unis ont honteusement trahi un autre allié avec les Kurdes tout en perdant toute crédibilité dans le monde entier.

Personne, bien sûr, n’a examiné les affirmations de la bande interventionniste. La manière dont la Russie a gagné en endossant un État client qu’elle ne peut se permettre, ou l’Iran en maintenant une présence extraterritoriale régulièrement bombardée par Israël, n’est pas du tout claire. Le président al-Assad, quant à lui, a la tâche peu enviable de remettre son pays sur pied. Pendant ce temps, les Kurdes se débrouilleront en concluant leur propre accord avec la Syrie et la Turquie, la Russie étant le garant de l’arrangement.

Les vraies raisons du maintien d’une présence militaire US en Syrie sont toutes liées à Israël, qui a longtemps soutenu la fragmentation de ce pays en ses parties constitutives, à la fois pour l’affaiblir en tant qu’adversaire et pour permettre à l’État juif de voler encore plus de ses terres, éventuellement pour inclure la région peu peuplée produisant le pétrole. Israël veut également une présence militaire US solide en Syrie pour empêcher l’Iran d’en faire une base d’attaques de l’autre côté de la frontière, une perspective peu probable, mais qui a trouvé un écho auprès du Congrès US. En effet, la dissuasion de l’Iran est la raison la plus souvent invoquée par Washington et Tel-Aviv pour justifier l’ingérence US en Syrie, où elle n’a d’autre intérêt réel qu’un désir apparemment démentiel de destituer le président Bachar al-Assad.

En fait, toute cette agitation sur ce que Trump pourrait faire ou ne pas faire, ainsi que « l’assassinat » du dirigeant de l’État Islamique Abu Bakr al-Baghdadi, ont permis à la Maison-Blanche de poursuivre tranquillement son principal objectif de politique étrangère, qui est, sans surprise, de détruire l’Iran. Le 28 octobre, le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin était en Israël – bien sûr – où il a annoncé lors d’une conférence de presse avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu que les États-Unis allaient augmenter la pression économique sur l’Iran sur son programme nucléaire, en disant que :

« Nous avons exécuté une campagne de pression maximale pour des sanctions. Ils ont travaillé, ils travaillent, ils coupent le financement. Nous allons continuer d’intensifier, encore et encore… » Se tournant vers Netanyahu, il a ajouté : « Je reviens d’un déjeuner de travail très productif avec votre équipe. Ils nous ont donné un tas d’idées très précises que nous allons suivre« . Netanyahu a répondu : « Je veux donc vous remercier pour ce que vous avez fait et vous encourager, Steve, à faire plus – plus, beaucoup plus« .

Mnuchin le caniche, qui ne semblait pas savoir que l’Iran n’a pas de programme d’armes nucléaires, faisait référence à la dernière série de sanctions, annoncée à Washington trois jours auparavant, qui visent clairement à empêcher l’Iran d’utiliser le système bancaire international pour se livrer à un commerce. Pour atteindre cet objectif, l’administration Trump a cherché à exclure l’Iran du système financier mondial en déclarant que ce pays est une « juridiction de premier plan en matière de blanchiment d’argent« .

La nouvelle désignation, qui vient s’ajouter à la désignation similaire de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) pour la Banque centrale iranienne, exige que les banques US effectuent une « diligence raisonnable spéciale » sur les comptes tenus par les banques étrangères si ces banques étrangères détiennent elles-mêmes des comptes pour des institutions financières iraniennes. La chaîne de sanctions secondaires signifie que, dans la pratique, les banques US feront pression sur leurs correspondants étrangers pour qu’ils ferment tous les comptes tenus au nom des banques iraniennes afin d’éliminer le risque de sanctions. L’Iran sera ainsi encore plus isolé du système financier mondial, car les quelques banques iraniennes non désignées qui restent auront de plus en plus de mal à tenir des comptes à l’étranger.

La désignation de l’Iran par le Trésor comme juridiction principale en matière de blanchiment d’argent rendra impossible pour les quelques banques iraniennes qui traitent à l’échelle internationale de maintenir le nombre limité de comptes à l’étranger qui leur sont encore accessibles. Le blocage de ces comptes, détenus directement par les Iraniens ou par l’intermédiaire d’autres banques, signifiera que les importateurs iraniens ne seront pas en mesure de payer les médicaments ou la nourriture qui entrent dans le pays, les biens dits humanitaires qui sont normalement exemptés des sanctions. Le nouveau règlement de l’OFAC fournit un cadre permettant aux banques de continuer de détenir des comptes iraniens en déposant des rapports mensuels détaillés, mais la paperasserie et les autres procédures sont délibérément onéreuses et il est probable que peu de banques internationales seront intéressées à faire l’effort de se conformer.

L’idée d’un plan coordonné visant à aggraver continuellement le châtiment du peuple iranien a également été suggérée mercredi dernier lorsque l’administration Trump s’est jointe à six pays du Golfe Persique pour sanctionner plus de deux douzaines de sociétés, banques et entités qui, a-t-on affirmé, sont liées au soutien iranien du Hezbollah et d’autres groupes désignés comme terroristes par le Département d’État. Dans un communiqué, le Département du Trésor a annoncé que ces sanctions constituaient la « plus importante désignation conjointe à ce jour » par le Terrorist Financing Targeting Center (TFTC) – qui comprend le Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et les États-Unis. Selon lui, plusieurs des entreprises sanctionnées soutiennent financièrement une filiale du Corps des Gardiens de la Révolution Iranien que les États-Unis avaient qualifiée, cette année, d’organisation terroriste.

Le secrétaire au Trésor Mnuchin, lors de sa tournée au Moyen-Orient, a fait remarquer que « cette action démontre la position unifiée des pays du Golfe et des États-Unis selon laquelle l’Iran ne sera pas autorisé à intensifier ses activités malveillantes dans la région« .

Ne vous y trompez pas, les États-Unis mènent une guerre économique contre l’Iran qui vise indéniablement à rendre le peuple iranien si malheureux qu’il se révolte. Et la punition infligée nuira surtout aux plus pauvres et aux plus faibles, tout en renforçant le soutien au régime au lieu de l’affaiblir. Non seulement l’action de la Maison-Blanche contre l’Iran est immorale, mais elle est aussi illégale puisque l’Iran et les États-Unis ne sont pas en guerre et que l’Iran ne menace en aucune façon les États-Unis. Toute cette affaire n’est qu’un exemple de plus de la façon dont des groupes nationaux puissants, en l’occurrence Israël, ont déformé la politique étrangère US et l’ont poussée dans des directions qui sont à la fois honteuses et qui ne servent aucun intérêt national plausible.

Philip Giraldi

 

 

Article original en anglais :

The White House Plan to Strangle Iran. Trump’s Flip Flop Foreign Policy

Cet article a été publié initialement en anglais par American Herald Tribune

Traduit par Réseau International

Une histoire du 21ème siècle

novembre 4th, 2019 by Dr. Paul Craig Roberts

Dans les années 1990, à la suite de l’abandon du jusqu’au-boutisme soviétique par Gorbatchev, l’Union Soviétique s’est effondrée. Eltsine a alors servi de fantoche de Washington, pendant qu’Étasuniens et Israéliens pillaient la Russie. Le scénario de réarrangement du Moyen-Orient des néocons, était parti avant les événements du 11 septembre 2001.

Les néocons écrivirent que le lancement de leurs guerres au Moyen-Orient, nécessitait « un nouveau Pearl Harbor. » Le prétexte serait d’instaurer la démocratie là-bas, le vrai dessein étant de se débarrasser des gouvernements qui gênent l’expansion d’Israël.

La principale cible d’Israël étant les ressources en eau du Sud-Liban, son armée essaya d’occuper le Sud-Liban. Mais chassée par la milice du Hezbollah, elle dut s’enfuir en Israël. Les Israéliens en conclurent qu’ils se serviraient de leur vassal étasunien pour renverser l’Irak, la Syrie et l’Iran, soit les gouvernements parrains du Hezbollah. Une fois que le pantin étasunien aurait enlevé les obstacles en travers de l’extension d’Israël, privé de soutien financier et militaire, le Hezbollah pourrait être attaqué en toute sécurité par l’armée israélienne, qui n’est bonne qu’à tuer les femmes et les enfants palestiniens désarmés.

Le 11 septembre fut le nouveau Pearl Harbor des néocons.

Le général Wesley Clark, le général étasunien 4 étoiles qui tenait lieu de commandant suprême des forces alliées de l’OTAN, révéla à la télévision que 10 jours à peine après le 11 septembre, se trouvant au Pentagone, un général qui travaillait auparavant sous ses ordres, lui confia que la décision d’envahir l’Iraq avait été prise. C’était avant qu’aucun des liens présumés et non prouvés entre l’Iraq et le 11 septembre ne sortent de la manipulation de la pressitutée par les néocons.

Autrement dit, l’invasion de l’Irak avait été planifiée bien avant le 11 septembre. Tout avait déjà été préparé pour lancer l’opération sous faux drapeau.

Quelques semaines plus tard, après le bombardement sur l’Afghanistan par le régime Cheney / Bush, le général Clark expliqua à la télévision qu’il avait revu son ancien subordonné au Pentagone. Le général avait un mémo décrivant « comment nous allons éliminer sept pays en cinq ans, en commençant par l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et terminer par l’Iran. »

Avec ses 4 étoiles, Clark était l’un des généraux consacrés. Il pensait pouvoir dire la vérité, mais sa révélation n’eut aucun effet. Je suis surpris qu’il n’ait pas été arrêté et torturé comme Julian Assange, pour avoir révélé des ‘secrets confidentiels’.

Oussama ben Laden, un agent de la CIA qui se battait contre les Soviétiques en Afghanistan, et Al-Qaïda, un groupe de miliciens parrainé par la CIA, en lutte contre les Soviétiques en Afghanistan, furent tenus responsables des attentats du 11 septembre, malgré le démenti de ben Laden. Tout le monde sait que les vrais terroristes revendiquent la responsabilité de tout ce qui se passe, qu’ils y soient ou non pour quelque chose. C’est ainsi qu’ils développent leur mouvement. Il est absolument illogique que le supposé chef terroriste ben Laden, ne s’attribue pas la paternité d’une victoire sans précédent dans l’histoire, contre la ‘seule superpuissance mondiale’.

Selon les notices nécrologiques de partout au Moyen-Orient, en Égypte et de Fox News, Oussama ben Laden a succombé en décembre 2001, des suites d’insuffisance rénale et de diverses autres maladies. J’ai publié ces notices nécrologiques largement répandues, sur mon site Internet.

Oussama ben Laden est un homme qui a claboté deux fois. Sa mort en décembre 2001, n’a pas empêché le régime corrompu de Obama de le tuer à Abbottabad, au Pakistan, dix ans plus tard, en 2011, au moment où Obama avait désespérément besoin d’être légitimé. À cause de l’échec de son premier mandat, sa nouvelle nomination était menacée par les challengers.

On nous a montré Obama et les plus hauts responsables de son administration devant un écran de télévision en train de regarder les SEAL zigouiller un ben Laden sans défense. Montrer cette scène bidon était une ânerie, tout le monde voulant que le film de la mort de ben Laden soit rendu public. Personne n’avait pas pensé aux relations publiques. Comme il n’y avait pas de film, le régime Obama s’est mis dans l’embarras. Une rectification a été publiée. C’était un faux reportage de presse, selon lequel Obama et son équipe regardaient le film de l’attaque des SEAL contre les quartiers de ben Laden. D’après la nouvelle histoire, ils écoutaient les informations parlant de l’attaque contre ben Laden.

D’autres problèmes ont surgi. La télévision pakistanaise a interrogé le voisin d’à côté des prétendus ‘quartiers de ben Laden’, à propos de ce qu’il a vu la nuit où les SEAL auraient atterri, occis Oussama ben Laden, puis emporté son cadavre pour l’inhumer en mer depuis un porte-avions.

Le voisin a dit que trois hélicoptères avaient survolé l’endroit et qu’un seul avait atterri. La langue des soldats de l’hélicoptère qui s’était posé était le ‘pachtou’. Les SEAL ne savent pas le pachtou. Il n’y avait pas de forces SEAL.

Le témoin – tout cela est passé à la télévision pakistanaise,  et j’ai des liens dans mes archives, en supposant qu’ils n’ont pas été effacés par Google ou un autre serviteur de l’Empire du Mal – a expliqué que les occupants de l’hélicoptère qui s’était posé sont entrés dans la maison de son ami, qui n’était absolument pas ben Laden, et sont revenus dans les 20 minutes. Il a dit que l’hélicoptère a explosé en décollant, qu’il n’y avait pas de survivants, qu’il y avait des bouts de corps partout. Puis l’armée pakistanaise est arrivée et a nettoyé la zone proche des observateurs. Le témoin a dit qu’aucun autre hélicoptère n’avait atterri.

Le gouvernement des États-Unis a reconnu qu’un hélicoptère avait explosé et s’être démené avec le Pakistan pour faire rapatrier les restes de l’hélicoptère aux États-Unis. Le régime Obama a prétendu que les autres hélicoptères avaient atterri et avaient ramené les corps des SEAL et de ben Laden sur un porte-avions. Les témoins pakistanais sur les lieux ont signalé qu’il n’y avait rien eu de tel. Le seul hélicoptère, dont a fait état la télévision pakistanaise, est celui qui a explosé et il n’y a pas eu de survivants.

Dans ces conditions, comment des SEAL ont-il pu s’échapper avec le corps de ben Laden, pour ensuite le jeter à la mer à partir d’un porte-avions étasunien ?

Le coup de pub de cette fausse nouvelle du régime Obama, a soulevé de nombreux problèmes.

Les deux ou trois mille marins qui se trouvaient sur le fameux porte-avions d’où ben Laden a paraît-il été inhumé en mer, ont écrit chez eux qu’aucune inhumation d’un ben Laden n’avait été faite à partir de leur navire. Sur les porte-avions, comme sur tous les navires de la marine de guerre, des marins sont éveillés à toute heure du jour et de la nuit. Sur ces navires, on ne cesse pas toute activité et on ne va pas se pieuter pendant que se déroulent des inhumations secrètes.

En outre, comme le demandaient ceux qui sont assez intelligents pour en avoir eu l’idée, pourquoi le ‘cerveau’ sans défense a-t-il été zigouillé sans raison, alors qu’il détenait tant de précieuses informations ? Pourquoi son corps a-t-il été jeté, au lieu de s’en servir de preuve ? Pourquoi s’être débarrassé du cadavre qui aurait prouvé que l’individu mort il y a dix ans vivait toujours, malgré son insuffisance rénale, et qu’enfin, après dix ans de traque, il a été assassiné dans un pays étranger non soumis au droit étasunien ? Ces questions n’effleuraient pas la pressetituée, pas plus que le régime Obama.

Sans la presse, les gens sont désarmés. Personne ne leur signale ce qui se trame. La CIA le savait et sa subversion de la presse a donné les pleins pouvoirs à Washington. Les Étasuniens n’apprennent que les informations qui renforcent leur lavage de cerveau.

Nous avons ensuite appris que l’unité SEAL de l’affaire ben Laden, s’est embarquée dans un hélicoptère de transport de troupes de l’époque du Viêt-nam, en violation du règlement interdisant aux membres d’unité SEAL de se trouver ensemble dans le même aéronef. Et tous ont été tués quand l’ancien hélicoptère non blindé a été abattu au-dessus de l’Afghanistan.

Les familles des SEAL ont fait du raffut. Elles ont signalé avoir reçu des messages de leurs fils disant qu’un truc clochait, qu’ils se sentaient en danger. Les familles voulaient qu’on leur explique pourquoi le règlement interdisant d’embarquer tous les membres d’unité SEAL dans le même aéronef, avait été enfreint. Pourquoi ont-ils survolé un territoire hostile à bord d’un hélicoptère antédiluvien ? J’ai rapporté cette information à l’époque, et elle a depuis disparu de Google. Il est évident que les SEAL se demandaient entre eux, « Avez-vous participé à la mission qui a dégommé ben Laden ? » Et aucun n’y avait participé. Washington a donc dû se débarrasser de cette unité SEAL.

Washington s’est dégoté un soi-disant membre de l’équipe SEAL qui a ‘fait la peau à ben Laden’, et l’a envoyé en tournée de conférences. Un livre a été pondu. Un film a été tourné. La pressetituée domptée par la CIA a appuyé la véracité du conte de fées. Les crédules ont été heureux d’apprendre que Oussama ben Laden avait été réexpédié ad patres, juste dix ans après être parti les pieds devant des suites d’insuffisance rénale.

Une population aussi naïve que les Étasuniens n’a aucune chance de discerner la vérité de la fiction. Ce peuple perdu a pour destin la tyrannie. Et ils penseront vivre dans la vérité.

Grâce à la censure de la presse, comme en témoignent le livre ‘Operation Mockingbird’ et Udo Ulfkotte, la CIA a réussi à transformer la population des États-Unis en béni-oui-oui soumis à leur gouvernement, ne s’intéressant qu’à leurs soucis d’apparence et domestiques. Cela permet à l’État profond de contrôler la nation, mais cette armée de zombies est incapable de faire face aux forces armées russes et chinois. L’établissement militaro-sécuritaire s’est emparé des manettes en transformant une fière nation en moutons de Panurge au courant de rien.

Cette histoire, écrite dans les derniers mois de la deuxième décennie du 21e siècle, est la dernière histoire indépendante disponible avant l’âge de la tyrannie.

Paul Craig Roberts

 

 

Article original en école : A History of the 21st Century, le 31 octobre 2019.

Traduction par Pétrus Lombard. Version française publiée par Réseau international.

Photo: Robert O’Neill, un ex-membre des forces spéciales américaines, a affirmé avoir porté le coup fatal à Ben Laden en 2011

Le Liban après Hariri… révolutions de couleur en Bolivie

novembre 3rd, 2019 by Mondialisation.ca

Sélection d’articles :

Liban: Quoi d’autres après la démission de Saad Hariri?

Par Ghaleb Kandil, 31 octobre 2019

Les discussions des salons et des forums politiques invitent soit à négocier de nouveau avec le Premier ministre Saad Hariri, lequel a présenté sa démission, soit à rechercher une autre personne capable de diriger un nouveau gouvernement, suite à ce premier pas célébré en tant que fruit de la « révolution » populaire sur les places bondées de monde.

 

Comment les États-Unis tentent de retourner la Turquie contre la Russie en Syrie

Par Salman Rafi Sheikh, 31 octobre 2019

Alors que la conversation téléphonique de Trump avec Erdogan a ouvert la voie à une sortie étasunienne de la Syrie (nord) et aux incursions ultérieures de la Turquie en Syrie contre les milices kurdes, les retombées mêmes de l’opération turque en Syrie ont conduit à des événements qui semblent être au centre des efforts déployés par les États-Unis pour « apaiser » la Turquie de manière à non seulement réparer les politiques US antérieures, mais aussi à placer délibérément les relations entre la Turquie et la Russie dans une position difficile afin de créer un conflit d’intérêts entre les deux nations en Syrie…

 

L’Amérique du Sud, une fois de plus, mène la lutte contre le néolibéralisme

Par Pepe Escobar, 31 octobre 2019

L’élection présidentielle en Argentine a opposé le peuple au néolibéralisme et le peuple a gagné. Ce qui se passera ensuite aura un impact énorme dans toute l’Amérique Latine et servira de modèle pour les diverses luttes du Sud Global. L’élection présidentielle en Argentine change la donne et n’est rien de moins qu’une leçon graphique pour tout le Sud Global. Pour résumer, elle a opposé le peuple au néolibéralisme. Le peuple a gagné… 

 

65ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération en Algérie: La lutte continue

Par Chems Eddine Chitour, 31 octobre 2019

La lutte du peuple algérien s’insère dans l’histoire de la résistance plus large du Grand Maghreb. C’est  l’épopée de ce peuple depuis trois mille ans jusqu’à la colonisation française. Tout au long de cette «nuit coloniale» selon Ferhat Abbas, l’Algérie a connu aussi une tentative d’éradication de son identité. Après plusieurs révoltes durant près d’un siècle, les Algériens tentèrent aussi la lutte politique, mais c’est la Révolution de Novembre qui a permis l’indépendance et montré que les peuples sont nés pour être libres.

 

Reconstruire la Syrie – sans le pétrole syrien

Par Pepe Escobar, 01 novembre 2019

Ce qui s’est passé à Genève ce mercredi, au sujet de ramener enfin la paix en Syrie, ne pourrait être plus significatif : la première session du Comité Constitutionnel Syrien. Le Comité Constitutionnel Syrien est né d’une résolution adoptée en janvier 2018 à Sotchi, en Russie, par un organe appelé le Congrès du Dialogue National Syrien. Ce comité de 150 membres se compose de 50 membres de l’opposition syrienne, 50 représentants du gouvernement à Damas et 50 représentants de la société civile. Chaque groupe a nommé 15 experts pour les réunions à Genève, tenues à huis clos.

 

L’ébullition de la Bolivie avec l’agitation de la révolution de couleur

Par Andrew Korybko, 03 novembre 2019

La réélection du président bolivien de longue date Evo Morales au premier tour de scrutin, au début du mois, a été exploitée par ses ennemis internes et externes comme l’élément déclencheur d’incitation à des troubles pré-planifiés de révolution de couleur dans cet État socialiste riche en lithium. La Bolivie est en pleine ébullition avec des troubles de Révolution de Couleur après la réélection du président de longue date Evo Morales au premier tour de scrutin, au début du mois.

 

Irak : Le peuple réclame un changement radical de régime

Par Gilles Munier, 03 novembre 2019

Le bilan des victimes de la répression du régime à Bagdad et dans les provinces majoritairement chiites – y compris dans les villes saintes de Nadjaf et de Kerbala – s’alourdit. Plusieurs centaines de manifestants ont été tuées. Les blessés se comptent par milliers. Pour se protéger des snipers, les Irakiens occupent le toit des immeubles. Les tirs à balles réelles ne suffisant pas à terroriser les protestataires, les forces de sécurité utilisent à Bagdad – selon Amnesty  International – des grenades lacrymogènes dites « brise crâne » (inconnues auparavant, fabriquées en Serbie et en Bulgarie).

 

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Manifestation anti-régime place Tahrir, à Bagdad

Le bilan des victimes de la répression du régime à Bagdad et dans les provinces majoritairement chiites – y compris dans les villes saintes de Nadjaf et de Kerbala – s’alourdit. Plusieurs centaines de manifestants ont été tuées. Les blessés se comptent par milliers. Pour se protéger des snipers, les Irakiens occupent le toit des immeubles. Les tirs à balles réelles ne suffisant pas à terroriser les protestataires, les forces de sécurité utilisent à Bagdad – selon Amnesty  International – des grenades lacrymogènes dites « brise crâne » (inconnues auparavant, fabriquées en Serbie et en Bulgarie).

Le Premier ministre Adel Abdel Mahdi, responsable de ces massacres,serait prêt à démissionner, si…. Mais, son départ plus ou moins programmé ne satisfera pas les revendications sociales et politiques des Irakiens chiites qui, depuis au moins 2010, sont sauvagement réprimés… et vaccinés contre les promesses de lendemains qui chantent, qu’elles soient occidentales ou iraniennes.

Un peuple uni contre la « cleptocratie »

Rappel nécessaire : en juin 2010, des manifestations ont fait deux morts à Bassora. Nouri al-Maliki, alors Premier ministre, a aussitôt promis de régler les problèmes d’eau et d’électricité en deux ans, s’il était réélu. Il l’a été, mais la situation s’est détériorée et le mécontentement a gagné la capitale.

Le 25 février 2011, baptisé « Journée de la colère irakienne », environ 5000 Irakiens s’étaient rassemblés place Tahrir, à Bagdad pour réclamer de meilleures conditions de vie,  et condamner la corruption et l’incurie des dirigeants. Paniqué, Al-Maliki avait donné l’ordre de tirer pour empêcher les protestataires  de pénétrer dans la Zone verte. Bilan: 23 tués, plusieurs centaines de blessés, selon le Washington Post. Sur les banderoles, on pouvait lire en arabe des slogans identiques à ceux visant aujourd’hui Adel Abdel Mahdi : «Maliki menteur », « A bas les voleurs », « Où sont les milliards du pétrole ? », « Non au sectarisme, oui à l’unité ».

Des manifestations, baptisées cette fois « Aube de la libération », se sont poursuivies tous les vendredis. Le 9 septembre 2011, le journaliste chiite Hadi al-Mahdi, un des organisateurs des « Journées de la colère », fut abattu de deux balles dans la tête à son domicile, avec un revolver silencieux. Signe que le mécontentement gagnait de plus en plus la communauté chiite : Hadi al-Mahdi était membre d’Al-Dawa, le parti de Maliki. Il animait, sur une radio privée, une émission où il  s’en prenait à la corruption et à l’incompétence des hommes politiques irakiens, quelles que soient leurs tendances.

Fin juillet 2015, de nouvelles manifestations d’ampleur éclataient à Bagdad, Bassora, Nadjaf, Nasiriya…  Par 50° à l’ombre, comme en 2010, la foule en colère criait : « Voleurs, voleurs… » et accusait le régime de corruption. Elle réclamait l’arrestation des dirigeants ayant conduit la société irakienne au désastre. Le principal homme politique visé : Nouri al-Maliki, vice-Président de la République refusait de démissionner

Depuis les résultats des élections législatives de mai 2018, le compte à rebours vers l’inconnu est enclenché. Le bloc Sairoun dirigé par Moqtada al-Sadr l’a emporté sur l’Alliance Fateh de Hadi al-Amiri, chef de la Brigade Badr et des Hachd al-Chaabi. C’est du moins ce que les Etats-Unis ont reconnu, sans être démentis par Téhéran. Le taux de participation n’ayant été, parait-il, que de 20%, c’est dire que les 329 « heureux élus » ne représentent pas grand monde.

Réviser le système étatique

Avec une constitution dictée par les Américains et les Israéliens, dont un des objectifs fixés par Joseph Bidenalors vice-Président des USA– était clairement de partitionner l’Irak en trois régions, la situation du pays ne pouvait aller que de mal en pis. Résultat : l’Irak est aujourd’hui ingouvernable.

Pour tenter de sauver le pays du chaos, Barham Saleh, Président kurde de la République, soutenu notamment par le cheikh sunnite Jamal al-Dhari, propose de réviser le système étatique. Qaïs al-Khazali, chef de la puissante milice chiite Ligue des Vertueux (Asa’ib Ahl al-Haq), n’y serait pas défavorable. L’an dernier, il appelait à transformer le régime parlementaire en régime présidentiel, afin de mettre fin au « système des quotas ethno-confessionnels et à la corruption ».

Mais, qui peut croire que la perspective de longs débats parlementaires est suffisante pour calmer les manifestants qui réclament un changement radical de régime ?

Moqtada al-Sadr : l’éternel retour

Au sein du clergé chiite, des religieux contestataires font entendre leur voix. Parmi eux, le célèbre Marja irakien Kamal al-Haidari qui, de Qom, encourage les manifestants à poursuivre leur combat, ou le Grand ayatollah Hassan al-Moussawi qui demande à Ali Khamenei, Guide de la Révolution iranienne, de « laisser l’Irak tranquille » et qui dénonce l’arrogance des milices soutenues par Téhéran.

Le 29 octobre dernier, Moqtada al-Sadr a rejoint symboliquement les milliers d’Irakiens chiites qui manifestaient à Nadjaf. Bon nombre d’entre eux lui reprochent d’avoir laissé la bride sur le cou d’Adel Abdel Mahdi après l’avoir fait élire Premier ministre, et donc de n’avoir pas insisté pour que ses engagements de réformes et de lutte contre la corruption soient tenus

Moqtada al-Sadr a plus d’un tour dans son sac. Il saura leur répondre. Mais il ne faudrait pas que, comme en 2010, après avoir soutenu les contestataires anti-Maliki, il demande à ceux qui traitent Abdel Mahdi de « roi des voleurs » d’arrêter de manifester contre de nouvelles promesses (sous prétexte, non-dit, que cela met en péril le système confessionnel). Cette fois, la colère est trop grande, cela risque de ne pas marcher.

Et ce n’est pas parce que la contestation est ancrée dans les provinces chiites qu’il faut penser  que les sunnites – turkmènes ou kurdes – et les chrétiens n’en partagent pas les objectifs. Au contraire.

Gilles Munier

 

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La réélection du président bolivien de longue date Evo Morales au premier tour de scrutin, au début du mois, a été exploitée par ses ennemis internes et externes comme l’élément déclencheur d’incitation à des troubles pré-planifiés de révolution de couleur dans cet État socialiste riche en lithium.

La Bolivie est en pleine ébullition avec des troubles de Révolution de Couleur après la réélection du président de longue date Evo Morales au premier tour de scrutin, au début du mois. Le leader socialiste est le seul survivant de la « marée rose » qui a balayé la majeure partie de l’Amérique du Sud au cours de la première décennie du XXIe siècle, mais il a depuis lors reculé de force à la suite de l’opération secrète de changement de régime à l’échelle du continent américain, connue sous le nom « d’Opération Condor 2.0 ». Le pays enclavé de Morales est géostratégiquement situé au cœur de l’Amérique du Sud et riche en lithium qui est récemment devenu une composante essentielle de nombreux gadgets modernes qui forment la base de la société contemporaine, c’est la raison pour laquelle on cherche à le déstabiliser

Les révolutions de couleur et les guerres hybrides qu’elles entraînent sont souvent le résultat de l’exploitation externe des différences identitaires préexistantes dans divers États, la Bolivie ne faisant pas exception. Le pays est encore peuplé en grande partie d’autochtones, bien qu’il existe de graves disparités socioéconomiques au sein de cette population et entre elle et la minorité non autochtone, une situation qui a été institutionnalisée pendant des décennies jusqu’à ce que la montée au pouvoir de Morales corrige ce tort historique et cherche à promouvoir l’égalité. Comme on pouvait s’y attendre, les non-autochtones sont beaucoup mieux lotis que les autochtones, et ce sont eux qui, historiquement, ont formé le noyau de l’opposition anti-Morales.

L’élection présidentielle en Bolivie : Violence et terreur dans tout le pays

Il faut dire aussi qu’ils résident principalement dans les basses terres de l’Est, riches en gaz, alors que la population indigène vit principalement dans les hauts plateaux où le lithium est extrait, et que les premiers sont farouchement opposés aux politiques de redistribution des richesses de Morales qui, selon eux, les privent injustement des revenus qu’ils estiment mériter grâce aux ventes des ressources naturelles qu’ils ont faites. Leur activisme a même brièvement pris la forme du mouvement quasi-séparatiste « Media Luna » (demi-lune) qui pourrait même être ravivé à l’heure actuelle si la déstabilisation s’intensifie. Cela dit, il y a aussi des indigènes qui se sont retournés contre Morales pour leurs propres raisons, que ce soit à cause de la « lassitude envers les dirigeants » ou des incendies de forêt amazonienne.

Pour en revenir à la situation actuelle, il était relativement facile pour les forces extérieures d’encourager les troubles après les dernières élections, d’autant plus que la campagne de Morales pour un quatrième mandat avait déjà été refusée après qu’il ait perdu de justesse un référendum sur cette question il y a quelques années, mais que la décision ait ensuite été renversée par les tribunaux qui lui ont permis de se présenter à nouveau. Cette toile de fond a semé des doutes quant à sa légitimité, qui ont été amoindris par les récents résultats électoraux qui ont finalement révélé qu’il avait remporté 10% de voix de plus que son adversaire le plus proche et évité ainsi un second tour qui aurait pu voir les forces anti-Morales s’unir pour le battre collectivement comme il était très probablement prévu à l’avance.

C’est pour cette raison que les États-Unis et leurs vassaux régionaux font tout ce qui est en leur pouvoir pour discréditer sa dernière réélection puisqu’ils parient sur un second tour où ils estiment avoir les meilleures chances de le destituer « démocratiquement ». Le contexte ethno-politique et régional intérieur du pays le rend propice aux troubles de la Révolution de Couleur, qui sert l’objectif stratégique de renverser Morales ou de le contraindre à coopérer avec les États-Unis au point de devenir un autre de ses mandataires afin de réduire la pression de la guerre hybride qui s’exerce sur son pays. Le plus grand obstacle à ce plan, cependant, est que depuis Morales a de nombreux partisans passionnés qui se battront pour sa présidence.

Il a fait plus que n’importe quel dirigeant dans l’histoire de son pays pour réparer les torts historiques de l’inégalité ethno-régionale et enfin rendre sa dignité à la population majoritairement indigène de Bolivie grâce à sa mise en œuvre efficace des politiques socialistes, de sorte que des millions de personnes auparavant indigentes ont le sentiment qu’elles ont littéralement tout à perdre si elles sont déposées illégalement et si les progrès accomplis au cours des quinze dernières années sont réduits aux temps du néo-colonialisme. La Bolivie pourrait donc très bien être sur la voie de la guerre civile dans le pire des cas, d’autant plus que le chef de l’opposition Carlos Mesa a déjà déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas le résultat de l’audit de l’OEA sur les récentes élections, ce qui suggère fortement que des forces puissantes le poussent à provoquer une révolution de couleur qui pourrait concurrencer la déstabilisation actuelle au Venezuela et finalement minimiser la crise humanitaire créée par la vulnérabilité accrue du pays aux perturbations logistiques.

Andrew Korybko

 

Article original en anglais :

Bolivia’s Boiling with Color Revolution Unrest, le 31 octobre 2019.

Cet article a été publié en anglais initialement par OneWorld.

Traduit par Réseau International

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Lafarge et la Syrie, Total et le réchauffement climatique, BNP Paribas et le Soudan, Vinci et le Qatar… Les procédures judiciaires ciblant les activités douteuses des grandes entreprises françaises à l’étranger se multiplient. Tour d’horizon de plusieurs procès et affaires en cours.

Il pleut des procédures judiciaires contre les multinationales. Ce 23 octobre, les Amis de la Terre France, Survie et quatre ONG locales assignent en référé Total devant un juge français pour empêcher des « violations imminentes » des droits humains dans le cadre d’un projet pétrolier en Ouganda. Le lendemain, la cour d’appel de Paris se prononce sur la validité de la procédure contre l’entreprise Lafarge et de ses anciens dirigeants pour financement du terrorisme en Syrie.

Entre fin septembre et début octobre, au moins trois nouvelles procédures contre des multinationales ont été lancées, ciblant BNP Paribas, EDF et la firme de transport XPO Logistics (États-Unis). Sans oublier le procès du Mediator, qui s’est ouvert le 23 septembre et devrait s’étaler sur plusieurs mois, afin de faire la lumière sur la responsabilité du laboratoire Servier et de l’administration dans ce scandale sanitaire, qui a entraîné plusieurs milliers d’hospitalisations et plus de 1500 décès. Ou encore celui de l’attentat de Karachi, ouvert le 7 octobre, qui devra trancher sur les allégations de corruption impliquant l’entreprise d’armement Naval Group. Ou enfin le procès des suicides au sein de France Télécom, qui s’est tenu au printemps, et dont le verdict est attendu pour décembre.

Les grands procès publics ciblant de grandes entreprises pour leurs atteintes à l’environnement ou aux droits fondamentaux se sont longtemps comptés sur les doigts de la main. Quant à juger des faits survenus hors des frontières hexagonales, il n’en était même pas question.

Mais la situation a changé. L’évolution du droit, notamment la loi sur le devoir de vigilance des multinationales adoptée en France en 2017, ainsi que de nouvelles stratégies militantes ont changé la donne. Qu’il s’agisse d’émissions de gaz à effet de serre, de complaisance avec des violations graves des droits humains, de pollution ou de protection des travailleurs, les tribunaux sont de plus en plus sollicités pour se pencher sur les agissements des grandes entreprises. L’arène judiciaire est clairement devenue une ligne de front entre les multinationales et ceux qui contestent certaines de leurs pratiques irresponsables. Tour d’horizon des principales procédures en cours.

Lafarge mis en examen pour « financement d’une entreprise terroriste » en Syrie

Ce 24 octobre, la Cour d’appel de Paris doit rendre une décision capitale sur la poursuite de la procédure engagée contre Lafarge et ses dirigeants dans l’affaire de leur cimenterie syrienne. En juin 2018, l’entreprise Lafarge SA a été formellement mise en examen pour « financement d’une entreprise terroriste » et « complicité de crimes contre l’humanité », « violation d’un embargo » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Huit de ses dirigeants ont précédemment été mis en examen pour les mêmes chefs d’accusation. En cause : les versements d’argent de Lafarge à Daech et à d’autres groupes armés pour maintenir en activité sa cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie, en 2013 et 2014, malgré la guerre civile. Les sommes en jeu sont évaluées par la justice à 13 millions d’euros. L’association Sherpa, spécialisée dans la défense des victimes de crimes économiques, a joué un rôle clé pour porter l’affaire devant la justice française.

La mise en examen d’une entreprise en tant que personne morale pour des faits de ce type est exceptionnelle. Elle reflète le caractère hautement emblématique de cette affaire. D’ordinaire, les multinationales réussissent soit à négocier des accords à l’amiable, soit à rejeter la responsabilité des fautes sur des cadres subalternes ou sur les dirigeants de filiales locales – comme essaient de le faire aujourd’hui les patrons de LafargeHolcim [1]. Ils ont immédiatement déposé un recours contre cette mise en examen, qui doit être tranché ce 24 octobre.

Dans le même temps, des interrogations se sont exprimées sur le rôle exact des actionnaires de Lafarge – notamment les milliardaires Nassef Sawiris et le Groupe Bruxelles Lambert – ainsi que sur celui de la diplomatie française, qui semble avoir été tenu au courant des agissements de Lafarge. L’ancien ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a été entendu comme témoin.

Total mis en demeure pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre

Quatorze collectivités locales françaises, dont Grenoble et Bayonne, soutenues par les associations « Notre affaire à tous », Sherpa, Les Éco Maires et ZEA, annoncent leur intention de traîner Total devant les tribunaux pour l’obliger à aligner ses activités sur les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Une analyse récemment publiée par le quotidien britannique The Guardian rappelle que l’entreprise pétrolière française est l’un des vingt plus gros émetteurs de gaz à effet de serre au niveau mondial. La tendance ne semble pas près de s’inverser puisque Total continue à ouvrir de nouveaux gisements de pétrole et de gaz partout dans le monde (lire à ce sujet Total et le climat : les masques tombent).

Collectivités locales et associations veulent tenir Total responsable des conséquences du réchauffement des températures, en utilisant pour ce faire la loi sur le « devoir de vigilance » des multinationales adoptée par la France au printemps 2017, dans les dernières heures du quinquennat Hollande. Le premier « plan de vigilance » publié par Total en 2018 dans le cadre de cette loi ne mentionnait même pas l’enjeu climatique.

Le second, publié cette année, a été jugé tout aussi insuffisant par les collectivités, qui ont mis officiellement en demeure l’entreprise pétrolière de l’adapter en y incluant un plan de réduction accélérée de ses émissions de gaz à effet de serre. Cette procédure française s’inspire également d’autres similaires lancées par des collectivités locales aux États-Unis contre les majors pétrolières (lire notre article).

BNP Paribas accusée de « complicité de génocide » au Soudan

Neuf victimes soudanaises, associées à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et à l’ONG américaine Project Expedite Justice, ont déposé plainte le 26 septembre dernier devant le tribunal de grande instance de Paris contre BNP Paribas. Ils accusent la banque d’avoir collaboré avec le gouvernement soudanais entre 2002 et 2008 malgré les sanctions qui lui avaient été imposées par les Nations Unies, les États-Unis et l’Union européenne. Ces sanctions étaient motivées par les massacres commis au Darfour par les forces gouvernementales associées aux milices janjawids. Les plaignants demandent à la justice française d’ouvrir une enquête pénale pour « complicité de torture », « complicité de crimes contre l’humanité », « complicité de génocide », « blanchiment d’argent » et « recel de produits d’activités criminelles ».

BNP Paribas aurait octroyé des crédits au gouvernement soudanais et facilité la vente de son pétrole durant la période couverte par les sanctions. Ces faits, la banque les a en partie reconnus dans le cadre d’une procédure ouverte par l’administration fédérale américaine, qui l’a finalement condamnée à une amende record de 8,8 milliards de dollars en 2014.

Comme le relèvent les ONG, une partie de cette somme a été allouée à des victimes d’attentats terroristes aux États-Unis, mais pas à des victimes soudanaises. On ne sait pas si la justice française acceptera de se déclarer compétente. Rappelons qu’il y a deux ans, en 2017, Sherpa et des associations rwandaises ont également déposé plainte contre BNP Paribas pour sa complicité alléguée dans des ventes d’armes au gouvernement génocidaire de 1994.

Total accusé de déplacements forcés de populations en Ouganda

C’est la première saisie formelle des tribunaux dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance. Ce 23 octobre, les Amis de la Terre France, Survie et quatre ONG ougandaises ont saisi le juge des référés pour imposer à Total des mesures d’urgence afin d’éviter des violations imminentes des droits humains en Ouganda. Le groupe est en train d’y procéder à une deuxième vague de déplacements de populations pour faire place à l’extraction pétrolière et à la construction d’un oléoduc. Selon les plaignants, ces déplacements se font sous la pression, et privent les populations concernées de leurs moyens de subsistance.

En juin, ces ONG ont adressé à Total une mise en demeure officielle à laquelle l’entreprise avait trois mois pour répondre. Outre les déplacements forcés de populations, cette mise en demeure ciblait également les risques d’atteintes à la biodiversité, dès lors que Total et ses partenaires forent dans plusieurs zones d’une extrême richesse naturelle, dont le parc national de Murchison Falls.

Total se prévaut d’une très vague « étude d’impact » qui ne comporte pas, selon les plaignants, de mesures concrètes. La réponse officielle de Total à cette mise en demeure, réitérant les mesures mises en place, n’a pas été jugé suffisante par les ONG qui lui ont donné « rendez-vous au tribunal ». L’audience en référé aura lieu le 8 janvier 2020.

Bolloré et Socfin accusés de spoliation des terres au Cambodge et au Cameroun

Le 1er octobre dernier s’est déroulée une audience de procédure suite à la plainte déposée en 2015 par des paysans indigènes Bunong du Cambodge contre le groupe Bolloré et sa filiale Socfin, qu’ils accusent de les avoir spoliés de leurs terres pour y installer une plantation d’hévéas (lire notre article sur cette audience). On ne sait si le procès sur le fond aura bien lieu ni quand, mais c’est une nouvelle illustration des controverses que ne cessent de générer les activités de Bolloré et de la Socfin (dont Bolloré détient 38 %) dans le secteur des plantations d’huile de palme et d’hévéas.

Selon leur avocat Fiodor Rilov, les plaignants cambodgiens devraient être rejoints par des Camerounais riverains de la Socapalm, une autre filiale de la Socfin gérant des palmiers à huile. Les activités de la Socapalm sont au cœur d’un autre bras de fer judiciaire depuis quelques années. Sherpa et d’autres plaignants avaient accepté de renoncer à porter plainte contre Bolloré et la Socfin en échange d’un processus de médiation, qui n’a finalement pas été mené à terme, le groupe Bolloré rejetant entièrement la faute sur la Socfin, basée au Luxembourg.

En mai dernier, Sherpa et ses partenaires ont assigné Bolloré devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour qu’il mette en œuvre le plan d’action auquel il s’était engagé.

Teleperformance : absence de vigilance face à la répression syndicale aux Philippines ou au Mexique

Spécialiste des centres d’appel, Teleperformance est en pleine croissance. Avec 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 8 milliards de capitalisation boursière, le groupe français a pour clients Orange, Amazon ou encore Apple. Son succès s’est construit en grande partie sur le travail à bas coût. Les principaux pays d’implantation, où sont situés ses 300 000 employés et téléopérateurs, sont l’Inde, les Philippines, le Mexique, les États-Unis, le Brésil et la Colombie. Or, quatre de ces pays – Inde, Philippines, Mexique et Colombie – figurent parmi les pires au monde s’agissant de violations des droits des travailleurs et de répression des syndicalistes, selon un rapport de la Fédération syndicale internationale des services (Uni Global Union) [2].

Est-ce un hasard ? Le syndicat relève que Teleperformance n’a pas pris de mesures concrètes pour s’assurer que ses employés soient représentés de manière adéquat. En 2018, il n’a pas publié de « plan de vigilance » malgré l’obligation légale. Celui de 2019, qui tient en deux pages, ne mentionne pas la problématique des droits syndicaux et de la protection des représentants du personnel.

En juillet 2019, en association avec Sherpa, Uni Global Union a donc mis en demeure le groupe d’y remédier. Le groupe, qui a rappelé s’être « engagé depuis sa création pour garantir le respect des droits fondamentaux de ses employés », vient de publier une nouvelle version de son plan de vigilance.

XPO Logistics : mise en demeure pour recours abusif à la sous-traitance

Autre procédure émanant du monde syndical : celle qui vise XPO Logistics, spécialiste du transport routier et de la logistique, dont le siège européen se situe à Lyon. Ce groupe américain, encore moins connu du grand public que Teleperformance, est très implanté en France depuis le rachat en 2015 de son concurrent tricolore Norbert Dentressangle.

À l’origine de la procédure, la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF), la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) et une alliance internationale de syndicats, la « famille syndicale mondiale XPO ». Ils reprochent à XPO Logistics un recours abusif à la sous-traitance et le projet de devenir une « société sans personnel », avec des entrepôts entièrement automatisés à la manière de ceux qu’imagine Amazon. Une mise en demeure officielle à été adressée ce 1er octobre, dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales.

Vinci : accusé de « travail forcé » au Qatar dans la préparation de la Coupe du monde 2022

Le Qatar s’est engagé à marché forcée dans la construction de stades et d’infrastructures en vue de la Coupe de monde de football 2022. Une aubaine pour les groupes de BTP, dont Vinci. Le groupe français compte l’émirat parmi ses principaux actionnaires et y est présent grâce à une filiale commune avec le Qatar (lire notre enquête : Conditions de travail sur les chantiers du Qatar : quel est le rôle de Bouygues et Vinci ?). Syndicats, journalistes et ONG ont rapidement alerté sur les conséquences humaines de ces grands travaux. Des milliers d’immigrés asiatiques sont exposés à des conditions de travail dangereuses du fait de la chaleur et de l’absence d’équipements de protection, ainsi qu’à des semaines de 70 heures, le tout en situation de travail forcé du fait de la confiscation de leur passeport.

L’association Sherpa a porté plainte contre Vinci pour travail forcé en 2015. Le groupe de BTP a répondu par plusieurs contre-plaintes visant l’association et ses salariés. La menace judiciaire l’a aussi poussé à multiplier les initiatives pour redorer son image. Vinci a signé un accord avec la fédération syndicale internationale du bâtiment. Une visite syndicale d’un jour et demi sur place, en 2018, a conclu que les conditions sur les chantiers étaient satisfaisantes.

Après que la première plainte ait été classée sans suite, Sherpa a déposé une seconde plainte avec constitution de partie civile, sur la base de témoignages d’anciens ouvriers de Vinci et de ses sous-traitants recueillis en Inde. L’association accuse Vinci de « travail forcé », « réduction en servitude », « traite des êtres humains », « travail incompatible avec la dignité humaine », « mise en danger délibérée » et « blessures involontaires ».

EDF mis en cause pour ses éoliennes mexicaines

L’isthme de Tehuantepec, dans l’État de Oaxaca au Mexique, est particulièrement prisé des multinationales pour y installer de grands parcs éoliens. EDF et plusieurs entreprises espagnoles y sont présentes pour y produire une électricité souvent revendue aux usines mexicaines de firmes nord-américaines. Ces projets sont très contestés par les communautés autochtones locales, qui dénoncent des consultations biaisées et l’expropriation de leurs terres traditionnelles. L’un des derniers projets en date, porté par EDF, a provoqué un regain de tension, avec des conflits sur le terrain, et des menaces contre les opposants aux éoliennes.

En France, avec l’assistance d’ONG mexicaines et internationales, des représentants de ces communautés ont déposé un recours devant le « point de contact national », une instance extra-judiciaire sur les multinationales et les droits humains. Constatant que cette démarche ne menait nulle part, elles ont adressé une mise en demeure à EDF le 1er octobre dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance. La bataille se poursuit aussi devant les tribunaux mexicains. EDF, qui assure respecter scrupuleusement les procédures en vigueur au Mexique, n’a pas encore répondu à la mise en demeure.

Samsung mis en examen pour « pratiques commerciales trompeuses »

Certaines industries, comme le textile ou l’électronique, recourent massivement à la sous-traitance internationale, souvent dans des pays asiatiques où les salaires sont bas et les conditions de travail déplorables. De Nike à H&M ou Apple, les grandes marques concernées ont multiplié les « codes de conduite » et programmes de « responsabilité sociale ». Sur le terrain, les abus continuent. Sherpa et ActionAid France, en association avec des organisations syndicales, estiment que ces groupes utilisent en réalité cette communication « éthique » à des fins publicitaires, pour s’acheter une bonne image auprès des consommateurs. Ils ont donc porté plainte pour « pratique commerciale trompeuse » contre Auchan et Samsung (lire ici et respectivement).

Dans le premier cas, c’est le rôle d’Auchan dans la catastrophe du Rana Plaza, au Bangladesh, qui est visé. L’immeuble abritant des ateliers textiles s’est effondré au Bangladesh en 2013, provoquant plus d’un millier de morts, principalement des ouvrières. Dans les décombres, des étiquettes de marques de vêtements appartenant à Auchan ont été retrouvées, parmi de nombreuses autres marques européennes.

Dans le cas de Samsung, c’est la persistance du travail des enfants dans les usines approvisionnant le conglomérat coréen qui est mis en cause. Ces deux plaintes ont d’abord été classées sans suite, mais une seconde plainte contre Samsung, avec constitution de partie civile, a débouché sur sa mise en examen par le tribunal de grande instance de Paris en avril 2019. Les deux associations ont salué un « pas historique » : « C’est la première fois en France qu’il est reconnu par un magistrat instructeur que les engagements éthiques pris par une entreprise sont susceptibles de constituer des pratiques commerciales qui engagent, à ce titre, leur émetteur. »

Perenco : opacité et entrave à la justice

Ce 22 octobre se déroulait une autre audience opposant deux des associations habituées à porter le fer contre les multinationales, Sherpa et les Amis de la Terre, à la « junior » pétrolière Perenco, propriété de la famille Perrodo, 11e fortune française selon le classement du magazine Challenges. La procédure concerne les activités de Perenco en République démocratique du Congo (RDC), depuis longtemps mises en cause par des ONG locales et internationales pour leurs impacts sur l’environnement et les communautés locales (lire notre article Perenco en RDC : quand le pétrole rend les pauvres encore plus pauvres).

Mais un problème se pose : la structuration du groupe Perenco, non coté en bourse, est si opaque qu’il est difficile de comprendre le lien entre la société mère et sa filiale en RDC. Les responsables français récusent toute responsabilité quant à la gestion de leur filiale : « Nos activités congolaises sont gérées par notre filiale qui est indépendante. Nous, à Paris, nous ne faisons qu’apporter un support », a ainsi déclaré un cadre de l’entreprise interrogé par Le Monde.

Sherpa et les Amis de la Terre avaient obtenu une décision de justice forçant Perenco à révéler certains documents établissant ses relations avec la filiale en RDC, mais l’entreprise a refusé à l’huissier de justice mandaté l’entrée de ses locaux.

Olivier Petitjean

Photo : Michael Coghlan CC via flickr

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Le président américain Donald Trump a déclaré récemment que mener des guerres au Moyen-Orient était «la pire des décisions jamais prise dans l’histoire de notre pays». Au lieu d’un large soutien, il s’est heurté à de sévères critiques de la part de la faction de guerre de l’OTAN.

Le 9 octobre, le président américain a réagi par un important message sur Twitter aux reproches contre sa décision de retirer les troupes américaines du nord de la Syrie.

Cette nouvelle disait:

«The United States has spent EIGHT TRILLION DOLLARS fighting and policing in the Middle East. Thousands of our Great Soldiers have died or been badly wounded. Millions of people have died on the other side. GOING INTO THE MIDDLE EAST IS THE WORST DECISION EVER MADE IN THE HISTORY OF OUR COUNTRY! We went to war under a false & now disproven premise, WEAPONS OF MASS DESTRUCTION. There were NONE! Now we are slowly & carefully bringing our great soldiers & military home.»

La traduction française est la suivante:

«Les Etats-Unis ont dépensé 8 billions de dollars pour combattre et maintenir l’ordre au Moyen-Orient. Des milliers de nos magnifiques soldats sont morts ou ont été grièvement blessés. Des millions de personnes sont mortes de l’autre côté. Intervenir au Moyen-Orient a été la pire des décisions jamais prise dans l’histoire de notre pays! Nous sommes entrés en guerre suite à une fausse prémisse maintenant réfutée, celle des armes de destruction massive. Il n’y en avait aucune! Maintenant, nous ramenons lentement et prudemment nos magnifiques soldats et notre armée à la maison.»

Dans les jours ayant suivi ce message sur Twitter, quelques médias anglophones, tel le «Washington Post», ont cité cette déclaration du président, en l’associant généralement à de sévères critiques à son égard. Dans les médias germanophones, c’est d’abord uniquement le site web de «RT-Deutsch» qui a parlé de cette prise de position et l’a commentée le 11 octobre.

C’est surprenant (malheureusement pas trop), car les déclarations de Donald Trump sont une réelle sensation – et elles devraient en fait initier un changement radical de la politique mondiale. Ce n’est pas le contenu qui est sensationnel. L’analyse des guerres américaines au Moyen-Orient est connue depuis longtemps auprès des personnes qui les ont examinées de manière critique. Ce qui est sensationnel, c’est le fait que ces déclarations émanent du président en fonction des Etats-Unis. Depuis 2003, l’année de l’attaque de l’Irak par les troupes américaines, il n’y a eu rien de semblable de la part d’un président américain – ou même d’un responsable gouvernemental des alliés de l’OTAN en Europe.

L’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder avait admis il y a quelques années – lorsqu’il n’était plus chancelier – que la guerre d’agression de l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie en 1999, pendant son mandat de chancelier et avec la participation allemande, était une violation du droit international. Aujourd’hui encore, les responsables de l’OTAN n’en tiennent pas compte – bien que la déclaration de Schröder soit correcte et que des conséquences devraient en découler pour les responsables. Mais rien ne s’est encore produit dans ce sens! Bien que la boîte de Pandore soit ouverte depuis 1999.

Reste à savoir si les déclarations actuelles du président américain auront des conséquences. Toute personne ayant été confrontée à la folie des guerres américaines et de l’OTAN ces dernières années et ayant attiré l’attention sur cette injustice, sur les victimes et les destructions qui y sont associées, peut aujourd’hui s’y référer. La déclaration de Donald Trump devrait être placardée sur de grandes affiches dans chaque ville et chaque village de tous les Etats membres de l’OTAN. Il devrait en être de même dans chaque ville et chaque village de chaque pays du Moyen-Orient, voire dans chaque pays du monde.

Comment voulons-nous affronter notre avenir? Continuer comme au cours des décennies passées, toujours en direction de l’abîme et de la guerre? Ou plutôt en étant conscient que toute décision d’un pays de prendre la voie de la guerre est pour tout pays «la pire des décisions jamais prise dans l’histoire du pays»?

Concernant sa décision de retirer les troupes américaines du nord de la Syrie, le président américain est vivement critiqué par certaines parties. Elles affirment que cette décision est responsable de l’invasion des troupes turques et de la souffrance des Kurdes en présence. Les Kurdes auraient été abandonnés par les Etats-Unis après avoir combattu aux côtés des troupes américaines contre l’EI. Toutefois, on oublie de mentionner que les troupes américaines – tout comme les troupes des autres pays de l’OTAN, y compris la Turquie – n’ont pas le droit d’être sur le territoire syrien.

Le gouvernement syrien ne leur a pas demandé d’aider dans un conflit militaire ou pour quoi que ce soit d’autre. Au contraire, ces troupes étrangères ont depuis longtemps soutenu des groupes terroristes dans le pays, ont combattu violemment le gouvernement syrien et ont occupé illégalement certaines parties du pays. Les Etats-Unis et les autres Etats de l’OTAN avaient décidé cela de manière autocratique et à l’encontre du droit international.

Il n’est pas encore clair si le cessez-le-feu négocié pour cinq jours mènera à un cessez-le-feu durable. Si l’on veut redonner une valeur au droit international, il faut observer les faits suivants. Pour que les Kurdes de Syrie puissent revendiquer et exercer leurs droits légitimes, il est nécessaire que l’Etat syrien puisse réinstaller son monopole du pouvoir étatique sur l’ensemble du territoire national. L’avancée de l’armée syrienne dans le nord du pays pourrait y contribuer. C’est alors qu’il sera peut-être possible, d’entamer des négociations entre le gouvernement syrien et les représentants légitimes des Kurdes afin de clarifier de quels droits et de quels privilèges particuliers les Kurdes pourraient profiter à l’avenir dans le pays. Les négociations intensives menées par le gouvernement russe semblent viser à mettre fin à la guerre et à la violence en Syrie. C’est ce que nous devons avant tout souhaiter à ce pays martyrisé, ses habitants et toutes les personnes voulant à nouveau y vivre en paix.

Karl Müller

Déclaration du Président du Conseil de sécurité des Nations Unies concernant la Syrie

«Le Conseil de sécurité́ se félicite que le Secrétaire général ait annoncé, le 23 septembre 2019, que le Gouvernement de la République arabe syrienne et la Commission syrienne de négociation avaient conclu un accord au sujet d’une commission constitutionnelle crédible, équilibrée et inclusive placée sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies à Genève.

Le Conseil estime que la création de cette commission constitutionnelle, qui sera dirigée et contrôlée par les Syriens, doit marquer le début d’un processus politique visant à mettre fin au conflit syrien conformément aux dispositions de sa résolution 2254 (2015) et dans le plein respect des aspirations légitimes de tous les Syriens.

Le Conseil salue l’action diplomatique menée par l’Envoyé spécial du Secrétaire général, qui a permis que la République arabe syrienne et l’opposition syrienne finalisent leur accord en vue de la création de la Commission constitutionnelle, et souligne qu’il soutient sans réserve l’Envoyé spécial, M. Pedersen, et l’initiative prise par l’Organisation des Nations Unies pour que la première réunion de la Commission constitutionnelle se tienne à Genève (Suisse) d’ici au 30 octobre 2019.

Le Conseil réaffirme qu’il ne saurait y avoir de solution militaire au conflit en Syrie, lequel ne pourra être réglé que par l’application intégrale de la résolution 2254 (2015).

Le Conseil réaffirme son plein attachement à la souveraineté, à l’indépendance, à l’unité et à l’intégrité territoriale de la Syrie.»

New York, le 8 octobre 2019

Source: https://undocs.org/fr/S/PRST/2019/12

Source de l’image en vedette : pixabay

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Reconstruire la Syrie – sans le pétrole syrien

novembre 1st, 2019 by Pepe Escobar

Ce qui s’est passé à Genève ce mercredi, au sujet de ramener enfin la paix en Syrie, ne pourrait être plus significatif : la première session du Comité Constitutionnel Syrien.

Le Comité Constitutionnel Syrien est né d’une résolution adoptée en janvier 2018 à Sotchi, en Russie, par un organe appelé le Congrès du Dialogue National Syrien.

Ce comité de 150 membres se compose de 50 membres de l’opposition syrienne, 50 représentants du gouvernement à Damas et 50 représentants de la société civile. Chaque groupe a nommé 15 experts pour les réunions à Genève, tenues à huis clos.

Cette évolution est une conséquence directe du laborieux processus d’Astana – articulé par la Russie, l’Iran et la Turquie. L’ancien Envoyé de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, a apporté une première contribution essentielle. Aujourd’hui, l’Envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie, Geir Pedersen, joue le rôle d’une sorte de médiateur.

Le comité a commencé ses délibérations à Genève au début de l’année 2019.

Il est crucial de noter qu’il n’y a pas de hauts responsables de l’administration à Damas ni de membres de l’opposition, à l’exception d’Ahmed Farouk Arnus, diplomate de bas rang au ministère syrien des Affaires étrangères.

Comme on pouvait s’y attendre, il n’y a pas d’anciens dirigeants de factions armées dans l’opposition. Et pas de « rebelles modérés ». Parmi les délégués figurent plusieurs parlementaires, anciens et actuels, des recteurs d’université et des journalistes.

Après ce premier tour, le coprésident du comité, Ahmad Kuzbari, a déclaré : « Nous espérons que notre prochaine rencontre aura lieu dans notre pays natal, dans notre Damas bien-aimée, la plus ancienne capitale habitée de l’histoire« .

Même l’opposition, qui fait partie du comité, espère qu’un accord politique sera conclu l’année prochaine. Selon le coprésident Hadi al-Bahra :

« J’espère que le 75e anniversaire des Nations Unies l’année prochaine sera l’occasion de célébrer une autre réalisation de l’organisation universelle, à savoir le succès des efforts déployés sous les auspices d’un envoyé spécial pour le processus politique, qui apportera paix et justice à tous les Syriens« .

Rejoindre la patrouille

Le travail de la commission à Genève se déroule parallèlement à l’évolution constante des faits sur le terrain. Celles-ci obligeront certainement les présidents Poutine et Erdogan à mener davantage de négociations face à face, comme l’a confirmé Erdogan lui-même : « Une conversation avec Poutine peut avoir lieu à tout moment. Tout dépend du déroulement des événements« .

Les « événements » ne semblent pas être aussi incandescents, jusqu’à présent, même si Erdogan, comme on pouvait s’y attendre, libère la bouffée d’une menace dans l’air :

« Nous nous réservons le droit de reprendre les opérations militaires en Syrie si des terroristes s’approchent à une distance de 30 km des frontières de la Turquie ou poursuivent des attaques depuis toute autre région syrienne« .

Erdogan a également déclaré que la zone de sécurité de facto le long de la frontière turco-syrienne pourrait être « élargie », ce qu’il devrait clarifier en détail avec Moscou.

Ces menaces se sont déjà manifestées sur le terrain. Mercredi, la Turquie et les factions islamistes alliées ont lancé une attaque contre Tal Tamr, une enclave chrétienne assyrienne historique située à 50 km de profondeur sur le territoire syrien – bien au-delà de la zone de patrouille de 10 km ou de la zone « sûre » de 30 km.

Des troupes syriennes mal armées se sont retirées sous une attaque féroce et sans couverture russe apparente. Le même jour, l’armée syrienne a publié une déclaration publique appelant les Forces Démocratiques Syriennes à se réintégrer sous son commandement. Les FDS ont déclaré qu’un compromis doit d’abord être trouvé sur la semi-autonomie pour la région du nord-est. Entre-temps, des milliers d’habitants ont fui plus au sud vers la ville plus protégée de Hasakeh.

Deux faits sont absolument essentiels. Les Kurdes syriens ont achevé leur retrait plus tôt que prévu, comme l’a confirmé le ministre russe de la Défense, Sergey Shoigu. Et, ce vendredi, la Russie et la Turquie commencent leurs patrouilles militaires conjointes jusqu’à une profondeur de 7 km de la frontière, qui fait partie de la zone de sécurité de facto du nord-est de la Syrie.

Le diable dans les immenses détails est de savoir comment Ankara va gérer les territoires qu’elle contrôle actuellement et dans lesquels elle prévoit de déplacer jusqu’à 2 millions de réfugiés syriens.

Votre pétrole ? Le mien

Et puis il y a la question lancinante qui ne veut tout simplement pas disparaître : la volonté des États-Unis de « sécuriser le pétrole » (Trump) et de « protéger » les champs de pétrole syriens (le Pentagone), à toutes fins pratiques de la Syrie.

Source de la photo : Asia Times

A Genève, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov – aux côtés de l’Iranien Javad Zarif et du Turc Mevlut Cavusoglu – n’aurait pas pu être plus cinglant. Lavrov a déclaré que le plan de Washington est « arrogant » et viole le droit international. La présence US sur le sol syrien est « illégale », a-t-il déclaré.

Partout dans le Sud, en particulier dans les pays du Mouvement des pays non alignés, on interprète cette situation comme si de rien n’était, pour ce qu’elle est : le gouvernement des États-Unis prend illégalement possession des ressources naturelles d’un pays tiers par une occupation militaire.

Et le Pentagone prévient que quiconque tentera de le contester sera abattu à vue. Reste à savoir si l’État Profond US serait prêt à s’engager dans une guerre chaude avec la Russie pour quelques champs pétroliers syriens.

En droit international, l’escroquerie « sécuriser le pétrole » est un euphémisme pour pillage, pur et simple. Tous les takfiris ou djihadistes opérant dans le « Grand Moyen-Orient » convergeront, perversement, vers la même conclusion : Les « efforts » US à travers les pays de l’Islam sont tous centrés sur le pétrole.

Comparez cela à la participation active de la Russie, de l’Iran et de la Turquie à la recherche d’une solution politique et à la normalisation de la Syrie – sans parler, en coulisse, de la Chine, qui fait discrètement don de riz et vise des investissements généralisés dans une Syrie pacifiée positionnée comme un noeud clé de la Méditerranée orientale des Nouvelles Routes de la Soie.

Pepe Escobar

 

Article original en anglais :

Rebuilding Syria – Without Syria’s Oil

Cet article a été publié initialement en anglais par Asia Times.

Traduit par Réseau International

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Après l’unification de l’Italie de 1859 à 1866, 1 l’administration italienne donna le feu vert à la politique étrangère de création d’une plus grande Italie relativement semblable à l’Empire romain. 2Le projet d’un « nouvel Empire romain »reposait sur l’idée d’un contrôle direct ou d’acquisitions territoriales de certaines portions de la mer Méditerranée, la mer Adriatique, la mer Tyrrhénienne ainsi que de certains territoires en Afrique du Nord et en Asie mineure. Toutefois, après l’échec essuyé par les Italiens dans leur tentative de conquérir l’Afrique éthiopienne durant les années 1886-1896, la politique étrangère italienne se tourna vers les Balkans. 3

L’Italie et les Balkans

Toutefois, les Italiens ont focalisé leur attention sur deux points de mire en Europe du Sud-Est : 1) l’Albanie et 2) l’est du littoral adriatique. Au tournant du XXème siècle (aux alentours de 1900), la presse italienne qualifia ouvertement toute la mer Adriatique de Mare Nostrum italienne (notre mer). Prendre le contrôle de la mer Adriatique devint la principale condition préalable à l’infiltration économique et politique de la péninsule balkanique par les Italiens. L’Albanie et les terres peuplées d’Albanais revêtirent une importance particulière pour la politique italienne dans les Balkans car la principale direction par laquelle l’Italie prétendait percer en Europe du Sud-Est passait par Valona, Elbasan et Bitola pour déboucher sur la baie de Thessalonique. Les Italiens suivirent l’antique route militaire romaine Via Egnatia, qui reliait l’Italie à l’Est (avec Byzance/Constantinople et l’Asie mineure). 4

File:Via Egnatia-fr.jpg

A contrario, la pénétration austro-hongroise dans les Balkans suivit une autre antique route militaire romaine, la Via Militaris, partant de Belgrade (Singidunum) et passant par Sofia (Serdica), Plovdiv (Philippopolis) et Édirne (Adrianopolis) jusqu’à Istanbul (Constantinople). 5

London 1915 and Serbia

Le projet italien de voie ferrée à travers les Balkans constitue la meilleure illustration des plans italiens d’infiltration économico-politique dans l’arrière-pays sud-est européen. Afin de s’impliquer plus activement dans les affaires balkaniques, Rome dut faire en sorte en 1902-1904 que les forces de police assurent la mise en œuvre des réformes requises au sein de la vilayet ottomane Bitola (Monastir). 6 Au cours de l’année 1911, lorsque la guerre italo-ottomane débuta, 7 le capital commercial et financier italien surpassait déjà les investissements austro-hongrois au sein de la région littorale albanaise de la mer Ionique et de la mer Adriatique. Pour ce qui est de l’ensemble du territoire de l’Albanie ottomane, qui constituait le point de mire prioritaire de l’expansion coloniale italienne en Europe du Sud-Est, la prégnance du capital italien dans le pays atteignait la seconde place durant les années 1912-1913 des guerres balkaniques, juste derrière le capital austro-hongrois. Les compagnies commerciales italiennes géraient 25 % des importations et des exportations de Scutari et 30 % de celles du Sud de l’Albanie. La totalité des opérations financières dans les villes de Valona et Durazzo (Durrës) étaient menées par les banques italiennes mais principalement par la Société pour le commerce avec l’Orient.

À la faveur du mariage de l’héritier du trône italien, Vittorio Emanuel Orlando, avec la princesse monténégrine Hélène (Jelena), fille du prince monténégrin Nikola I, la porte vers le Monténégro en 1896 était ouverte pour l’influence capitalistique et politique italienne. Jusqu’à 1912, le capital italien prédominait au sein de l’économie monténégrine. Par exemple, la concession pour construire la première voie ferroviaire monténégrine (Bar-Virpazar) fut attribuée à la Banca Commerciale Italiana. C’est la même banque qui se mit à exploiter le trafic fluvial du Lac de Scutari. 8

Le projet de se servir du territoire albanais comme d’une passerelle vers l’Europe du Sud-Est ainsi que celui de faire du canal d’Otrante le Gibraltar italien, et le souhait de Rome d’annexer Alto Adige (le Tyrol du Sud), l’Istrie et la Dalmatie, amenèrent l’Italie à un conflit ouvert avec Vienne et Budapest pour le contrôle de la mer Adriatique et de l’arrière-pays balkanique. 9 À cette époque, les cercles militaires et politiques bellicistes d’Autriche-Hongrie élaborèrent une devise : « Notre futur est dans les Balkans, l’Italie est notre pierre d’achoppement ». Voulant débarrasser l’Autriche-Hongrie de la plus grande entrave à sa prédominance sur les affaires balkaniques, un ponte des quartiers généraux austro-hongrois, Conrad von Hötzendorf, conseilla à l’Empereur de « s’occuper des affaires italiennes en premier lieu ». 10  Dans le cadre de son entretien avec Conrad von Hötzendorf, l’archiduc Franz Ferdinand, un des héritiers au trône d’Autriche-Hongrie, prédit en février 1913 « Notre ennemi principal est l’Italie, et par le passé, nous avons dû affronter l’Italie pour reconquérir Venise et la Lombardie » 11 (territoires perdus au cours des guerres d’unification de l’Italie).

Le projet austro-hongrois le plus redoutable pour la politique balkanique italienne concernant la région d’Europe du Sud-Est était celui de la Double-Monarchie de faire de l’actuelle Albanie une place forte en vue d’une percée austro-hongroise dans les terres balkaniques. C’est pour cette raison que l’Italie s’échina à contrecarrer les ambitions austro-hongroises de dominer la partie centre-orientale des Balkans. Cela comprenait les zones peuplées par une majorité ou une minorité d’Albanais telles que l’Albanie elle-même, le Kosovo-et-Métochie, le Monténégro oriental et l’Ouest de la Macédoine. En d’autres termes, tenir Vienne-Budapest à l’écart du canal d’Otrante devint un objectif central de la politique italienne dans les Balkans vers 1900. L’Italie devait en outre faire face aux visées serbes sur le territoire du Nord de l’actuelle Albanie, ainsi qu’aux aspirations grecques de prendre possession du l’Épire du Nord (correspondant au sud de l’actuelle Albanie). 12. Cependant, les Albanais ont prétendu que l’Epire du Nord était leur région ethnographique, pour la première fois et de manière claire, par la Première Ligue de Prizren en juin 1878 lorsque, pour la première fois dans l’histoire albanaise, le projet d’une Grande Albanie a été proclamé Бартл П., Албанци од до века века данас, Београд : CLIO, 2001, 94-102]

Désireuse d’empêcher l’Albanie d’éclater à la faveur d’un partage de son territoire entre les Serbes et les Grecs, l’Italie n’apporta pas son soutien à la création de la Ligue balkanique contre l’Empire ottoman car elle craignait qu’elle ne renforce la Serbie et la Grèce. L’attitude de Rome à l’égard de la Ligue balkanique 13se révéla lorsque, tandis que la Serbie, le Monténégro, la Grèce et la Bulgarie déclaraient la guerre à l’Empire ottoman en octobre 1912, l’Italie mit fin à ses opérations militaires en Libye contre les Ottomans pour permettre à ces derniers de renforcer leurs positions militaires dans les Balkans contre les membres de la Ligue. 14 À la même époque, les journaux italiens titraient « les Slaves prendront la mer Adriatique par le Monténégro » ; les Slaves se trouvaient « juste derrière l’Albanie »et allaient prendre possession de la Bosnie-Herzégovine, Trieste, l’Istrie et la Dalmatie dans les années et les décennies à venir. 15 Le représentant de la diplomatie italienne à Vienne alla jusqu’à tenter de persuader le Ministre des affaires étrangères austro-hongrois que la Serbie représentait une plus grande menace pour la Double-Monarchie pour ses intérêts géopolitiques 16 et économiques dans la région. 17 Dès lors, en dépit de l’éventail de griefs que les Italiens entretenaient vis-à-vis de l’Autriche-Hongrie concernant la suprématie sur l’Europe du Sud-Est, leur intérêt commun résidait dans le démantèlement de la Ligue balkanique. Ils aspiraient ensemble à « empêcher la domination slave de la mer Adriatique ». 18

La question de la division des sphères d’influence sur la région du Sud-Est de l’Europe entre les grandes puissances européennes, comprenant l’Italie, fut l’une des principales sources de frictions menaçant de déstabiliser la paix en Europe au tournant du XXème siècle, à savoir :

  • Une rivalité navale entre le Royaume-Uni et le Reich allemand.
  • Le dessein des Français de recouvrer l’Alsace-Lorraine concédée à l’Allemagne en 1871 (à la suite de la guerre franco-prussienne de 1870-1871).
  • Le Reich allemand accusait la Triple Entente de l’ « encercler » mais en réalité, les Allemands étaient dépités devant les résultats de leur politique impérialiste (Weltpolitik) après l’unification allemande en 1871 dans la mesure où leur empire colonial d’outre-mer était modeste comparé à ceux des grandes puissances européennes – l’Italie connut le même syndrome expansionniste après son unification politique dans les années 1860.
  • La Russie suspectait la Double-Monarchie austro-hongroise de nourrir des ambitions vis-à-vis de l’Europe du Sud-Est et s’inquiétait du pouvoir économique et militaire croissant qu’engrangeait le Reich.
  • Le patriotisme nationaliste serbe fondé sur le désir de libérer la nation serbe de la mainmise d’autres États, i.e. l’Empire ottoman et la Double-Monarchie d’Autriche-Hongrie, et de constituer ainsi une plus grande Serbie pour en faire l’État national de tous les Serbes.
  • Les Austro-Hongrois aspiraient à déclencher une « guerre préventive » pour détruire et occuper le petit royaume de Serbie avant que celui-ci ne devienne suffisamment puissant pour entraîner la désintégration de la Double-Monarchie et, dès lors, se transforme en État satellite de la Russie. 19
  • Les Italiens aspiraient à acquérir plus de colonies et de territoires ultra-marins sur le littoral oriental de la mer Adriatique. En d’autres termes, les nations qui avaient été historiquement divisées, comme l’Allemagne ou l’Italie, ne pourraient participer de l’émulation impérialiste qu’à condition de s’unifier et de former une entité politique, militaire et financière cohérente, c’est-à-dire un État-nation. Or, une fois cette unification acquise, leur première initiative sur la scène internationale fut de tenter d’acquérir des territoires ultramarins, c’est-à-dire des colonies. Mais leurs impérialismes furent parmi les plus brutaux du fait de leur émergence tardive par rapport aux autres. 20
  • La Triple-Entente aspirait à maintenir le statu quo en vigueur dans les relations internationales avant la guerre.
Carte des territoires déclarés « irrédents » dans les années 1930. L’irrédentisme italien fut un mouvement nationaliste de la fin du XIXème et du début du XXème siècle aux visées irrédentistes qui promouvait l’unification des zones géographiques dans lesquelles des Italiens ethniques autochtones et des italophones représentaient la majorité ou une minorité importante de la population globale.

Ces griefs et ces tensions débouchèrent sur une succession d’événements politiques dont le point culminant fut l’éclatement de la Grande Guerre durant l’été 1914 au cours de laquelle l’Italie fut largement partie prenante dès le mois de mai 1915. 21 Dans le cadre de la Grande Guerre, l’Italie espérait faire main basse sur les provinces italophones de la Double-Monarchie austro-hongroise ainsi que sur les territoires du littoral oriental de la mer Adriatique. Pour atteindre ses objectifs de guerre, l’Italie ratifia secrètement un Traité de Londres en avril 1915 avec l’Entente Cordiale selon lequel la France, le Royaume-Uni et l’Empire russe promettaient à l’Italie la province de Trente, Trieste, une partie de la Dalmatie, l’Istrie, l’Adalie, certaines îles de la mer Égée (les îles du Dodécanèse ainsi que Rhodes), et un protectorat sur l’Albanie. Les États-membres de l’Entente Cordiale espéraient qu’en fixant une partie des troupes austro-hongroises sur le front italien, les Italiens relâcheraient la pression sur les Russes au bénéfice de la France et de la Grande-Bretagne sur le front de l’ouest. Mais dans les faits, l’armée italienne ne progressa pas beaucoup dans les Alpes face aux soldats austro-hongrois et ses manœuvres furent vaines. Cela eut pour conséquence d’entraver la progression russe sur le front oriental contre l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne.

Vladislav B. Sotirović

 

 

 

 

Article original en anglais: South-East Europe In The International Relations At The Turn Of The 20th Century (III), Oriental Review, le 6 mai 2019.

Traduit par Fabio, relu par San pour le Saker Francophone

Notes 
  1. Sur l’unification de l’Italie, voir Darby G., The Unification of Italy, Seconde édition, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2013. L’unification de l’Italie fut une lutte longue et complexe contre les occupants Habsbourg, des monarques italiens locaux en place depuis le Moyen Âge (par exemple, le Royaume des deux Sicile ou le Duché de Modène), et contre le conservatisme du Vatican. L’idée d’unification était impulsée par le sentiment que l’Italie devait devenir un État moderne, démocratique afin de se projeter dans le monde occidental moderne (Marr A., A History of the World, London : Macmillan, 2012, 404). L’Italie était historiquement marquée par des divisions, des tensions, des conflits et des guerres régionales. Le Nord de l’Italie, particulièrement la Lombardie, connut une forte industrialisation après l’unification qui amena cette partie de la péninsule à être le moteur et devenir la région la plus prospère du pays ainsi que l’une des régions les plus riches d’Europe à la fin du siècle dernier. De son côté, le Sud de l’Italie était dominé par un système de métayage qui maintenait la majorité de la population dans le statut de travailleurs sans terres employés par une minorité de grands propriétaires terriens. L’un des éléments centraux de la politique italienne depuis l’unification jusqu’à la conclusion des Accords du Latran en 1929 fut la relation entre les autorités séculières et l’Église catholique romaine (le Vatican). Après l’unification de l’Italie, dans le cadre de laquelle le Vatican perdit son propre État et de vastes territoires, le Pape interdit en 1918 aux Catholiques romains de prendre part à la mise en œuvre d’un nouvel état italien libéral et laïque (Palmowski J., A Dictionary of Twentieth-Century World History, Oxford : Oxford University Press, 1998, 302‒303). Il était fondamentalement impossible aux Italiens de forger une italianité fondée sur le catholicisme romain pour la simple et bonne raison que le Pape et le Vatican étaient hostiles au mouvement national italien (le Risorgimento). La nature fragmentaire de la société italienne, l’importante diversité linguistique et les multiples identités régionalistes, auxquelles s’ajoutait un conflit social massif ainsi qu’un système éducatif misérable comptèrent au nombre des facteurs qui firent de la nation italienne un projet assez instable et dont la concrétisation est restée problématique jusqu’à nos jours (Berger S., (ed.), A Companion to Nineteenth-Century Europe 1789‒1914, Malden, MA‒Oxford, UK‒Carlton, Australia: Blackwell Publishing Ltd, 2006, 179).
  2. Sur l’histoire de la Rome antique, voir Zoch A. P., Ancient Rome: An Introductory History, Norman: University of Oklahoma Press, 1998; Gibbon E., The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, London: Penguin Books, 2001: Beard M., SPQR: A History of Ancient Rome, New York: Liveright Publishing Corporation, 2015; Baker S., Ancient Rome: The Rise and Fall of an Empire, London: BBC Books, 2007.
  3. Sur la question du colonialisme et de l’impérialisme italiens suite à l’unification en 1861/1866, voir Negash T., Italian Colonialism in Eritrea, 1882−1941: Policies, Praxis, and Impact, Coronet Books Inc, 1987; Ben-Ghiat R., Fuller M. (eds.), Italian Colonialism, New York: Palgrave MacMillan, 2005; Duncan D, Andall J., Italian Colonialism: Legacy and Memory, Peter Lang International Academic Publishers, 2005; Andall J., Duncan D., (eds.), Italian Colonialism: Legacy and Memory, Peter Lang International Academic Publishers, 2005; Finaldi M. G., Italian National Identity in the Scramble for Africa: Italy’s African Wars in the Era of National-Building, 1870−1900, Peter Lang International Academic Publishers, 2009; Finaldi M. G., A History of Italian Colonialism, 1860−1907: Europe’s Last Empire, London−New York: Routledge Taylor & Francis Group, 2017
  4.  O’Sullivan F., The Egnatian Way, Stackpole Books, 1972.
  5. Voir la carte dans Motta G. (Direzione cartografica), Atlante Storico, Novara, Instituto Geografico de Agostini, 1979, 28. L’autre projet de la ligne ferroviaire dans les Balkans était la voie ferrée adriatique préférée de la Serbie mais non soutenue ni par l’Autriche-Hongrie ni par l’Italie et la Bulgarie, Ратковић Б., Ђуришић М., Београда БИГЗ., Београда, Скоко, С, и, Србија Црна Гора Србије у Балканским ратовима ратовима 1912-1913, Друго издање, Београд, БИГЗ, 1972, 19, Ћоровић В., Односи Србије између и града Аустро-Угарске у XX веку, Београд : Библиотека града Београда, 1992, 108-141
  6.  Архив Министарства иностраних дела, Београд, Извештај из Рима, 14. мај 1903, п. бр. 46; Архив Министарства иностраних дела, Извештај из Скопља, 16. XII, 1904; Архив Министарства иностраних дела, Извештај из Рима, п. бр. 31, 101; Documentidiplomatici, Macedonia, Roma, 1906, 151−179, 280−292; Pavolni J. V., Le problème macédonien et sa solution, Paris, 1903, 42−45; British documents on the Origins of the War, 1899−1914, Vol. V, 71
  7. Beehler H. W. C., The History of the Italian-Turkish War : September 29, 1911 to October 18th, 1912, Annapolis, MD, 1913
  8. Ђуришић М., Први балкански рат 1912−1913, том III, Београд, 8−9; Јовановић Ј. М., “На двору црногорском, поводом успомена барона Гизла”, Записи, бр. II/1, 10−13; Ракочевић Н., Политички односи Црне Горе и Србије 1903−1918, Цетиње, 1918
  9. Sur le concept d’irrédentisme et son rôle dans la politique européenne, voir dans Kornprobst M., Irredentism in European Politics, Cambridge : Cambridge University Press, 2008
  10. Pribram A. F., Die politischen Geheimverträge Österreich-Ungarns 1879-1914, ester Band Wien, 1920, 267-268 ; Feldmarschall Conrad, Aus meiner Dienstzeit 1906-1918, volume III, Leipzig-München, 1922, 171
  11. Dedijer V., Sarajevo 1914, Beograd 1966, 245 ; Diplomat Archive, Presbiro, Beograd, Timbre italien, juin 1913
  12. Le territoire de l’Epire du Nord faisait partie du projet d’une Grande Idée – la création d’un État national unifié des Grecs. A propos de l’édification de la nation et du projet de la Grande Idée, voir dans Clogg R., A Concise History of Greece, New York : Cambridge University Press, 1992, 47-99
  13. La Ligue des Balkans a été créée en mars 1912 lorsque la Bulgarie, la Serbie, la Grèce et le Monténégro ont signé des accords bilatéraux. Leur première revendication a été des réformes profondes pour les territoires encore sous l’empire ottoman dans les Balkans, puis, quand elles n’ont pas été satisfaites, ont déclaré la guerre. Pagden A., World at War : The 2,500-Year Struggle Between East and West, Oxford-New York : Oxford University Press, 2009, 390
  14. Néanmoins, pendant la guerre italo-ottomane de 1911-1912, l’Italie a conquis le nord de Tripoli et, plus tard, en 1914, a occupé une grande partie de la Libye, la déclarant partie intégrante du pays en 1939, Isaacs A. et al (eds.), Oxford Dictionary of World History, Oxford-New York : Oxford University Press, 2001, 317
  15. Tribuna, juin 1913
  16. Sur la géopolitique, voir dans Dodds K., Global Geopolitics : A Critical Introduction, Harlow, Angleterre : Pearson Education Limited, 2005
  17.  Готлиб Готлиб В. В, Тайная Тайная дипломатия дипломатия во во время первой первой мировой войны войны, Москва, 1960, 214
  18. Pribram A. F., Die politischen Geheimverträge Österreich-Ungarns 1879-1914, Wien-Leipzig, 1920, 292-293
  19. Lowe N., Mastering Modern World History, quatrième édition, New York : Palgrave Macmillan, 2005, 5-7
  20. Marr A., A History of the World, Londres : Macmillan, 2012, 439. A propos de l’expansion coloniale des Etats d’Europe occidentale, voir dans Del Testa W. D. et al (ed.), Histoire mondiale. Rencontres culturelles de l’Antiquité à nos jours : The Age of Discovery and Colonial Expansion 1400s to 1900s, Volume Three, New York : Référence Sharpe, 2004. Sur la terreur coloniale et le génocide, voir dans Naimark M. N., Genocide : A World History, Oxford-New York, Oxford University Press, 2017, 34-85
  21.  Sur la Grande Guerre, voir dans Hernández J., Pirmasis pasaulinis karas, Kaunas : Obuolys, 2011
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La Réserve fédérale (la Fed) américaine a réduit son taux d’intérêt de base de 0,25 point de pourcentage lors de sa réunion mercredi, la troisième réduction de ce type depuis juillet, mais elle a indiqué qu’il pourrait s’agir de la dernière réduction de l’année.

Les marchés financiers, qui préconisaient une baisse des taux d’intérêt (95 pour cent des analyses s’y attendaient), ont déjà intégré dans leurs perspectives l’indication d’une pause des mouvements des taux pour le reste de l’année. En effet, lors de sa conférence de presse, le président de la Fed, Jerome Powell, a pratiquement exclu toute hausse de taux dans un avenir proche.

L’indice S&P 500 a clôturé en grimpant à son deuxième sommet en une semaine. L’indice a augmenté de 0,3 pour cent pour dépasser son record précédent. L’indice a augmenté de 22 pour cent cette année, principalement à cause de ce que Powell a appelé un changement «substantiel» de la politique monétaire de la Fed.

Il a déclaré lors d’une conférence de presse que la Fed avait commencé l’année en espérant relever les taux d’intérêt, mais qu’elle avait ensuite adopté une attitude de «patience» avant de procéder à des baisses de taux en juillet. Malgré l’attente improbable d’une nouvelle réduction en décembre, les marchés ont célébré l’indication claire que le flux d’argent bon marché se poursuivrait.

«La Réserve fédérale vient de planter un gros piquet dans le sol pour indiquer la direction des taux futurs», a confié un analyste financier au Wall Street Journal. «Les marchés estiment que, indépendamment des problèmes commerciaux, il y aura une très longue pause sur les futures hausses de taux.»

Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, prend la parole lors d’une conférence de presse à Washington, le mercredi 30 octobre 2019. La Réserve fédérale a réduit ses taux pour la troisième fois cette année. (Photo AP / Susan Walsh)

 

La dernière décision de la Fed souligne le contenu essentiel de classe de la politique économique américaine: des quantités illimitées d’argent ultra-bon marché pour les oligarques financiers de Wall Street afin de poursuivre leurs opérations spéculatives, associées à des mesures d’austérité, des réductions de salaire, des cadences de travail accélérées et des licenciements pour les travailleurs.

La décision de la Fed intervient quelques jours seulement après la fin de la grève chez GM, à l’issue de laquelle la société, qui travaillait de concert avec la bureaucratie du syndicat United Auto Workers, a obtenu l’augmentation du nombre de travailleurs temporaires, qui peuvent être embauchés et licenciés quand bon lui semble, et l’expansion de la soi-disant «économie de petits boulots» au cœur de l’industrie de base.

Ce ne sont pas simplement des phénomènes parallèles. Ils ont une relation de cause à effet. Le marché boursier est stimulé par l’offre d’argent bon marché, mais les bénéfices des élites financières reposent en définitive sur l’extraction sans cesse intensifiée de la plus-value de la classe ouvrière. Ainsi, plus l’inflation des marchés financiers par l’afflux d’argent est forte, plus les attaques visant les travailleurs afin d’augmenter le niveau d’exploitation doivent être brutales et d’une grande portée.

La Fed a d’abord cherché à justifier ses dernières réductions en affirmant que les réductions de taux constituaient une «police d’assurance» contre les risques pesant sur l’économie posés par les tensions commerciales, en particulier le conflit américano-chinois, et la menace d’un Brexit sans accord.

Lors de sa conférence de presse, Powell a déclaré que ces risques s’étaient quelque peu atténués au cours de la période récente, avant de préciser que la politique consistant à fournir de l’argent bon marché se poursuivrait néanmoins indéfiniment.

L’augmentation des taux d’intérêt, a-t-il déclaré, était «en réalité une question d’inflation», et il faudrait une «hausse persistante» avant que la Fed n’envisage de relever ses taux. Les attentes quant à l’inflation étaient importantes et la Fed devait mener une politique monétaire pour les réaliser, a-t-il poursuivi. Il a ensuite indiqué que la Fed envisageait d’aller encore plus loin et a évoqué la nécessité de réfléchir à de nouvelles politiques visant à rendre plus crédible l’objectif d’inflation à 2 pour cent.

Étant donné que l’inflation reste constamment en dessous de l’objectif de 2 pour cent et ne montre aucun signe de hausse, cela revient à garantir aux marchés financiers une politique «accommodante» continue.

D’autres remarques ont montré que la politique monétaire de la Fed n’avait absolument rien à voir avec la relance de l’économie réelle, mais visait uniquement à satisfaire les exigences de Wall Street.

La dernière décision a été prise quelques heures à peine après la publication des dernières données sur le produit intérieur brut américain. Le rapport a montré que le PIB n’a augmenté que de 1,9 pour cent en rythme annuel au troisième trimestre, dans un contexte de contraction de l’investissement des entreprises, contre une augmentation de 2 pour cent au deuxième trimestre.

Le plus important a été la baisse des investissements fixes non résidentiels: une mesure de ce que les entreprises dépensent en nouveaux bâtiments et équipements. Il a chuté à un taux annuel de 3 pour cent, sa plus forte baisse en près de quatre ans. Selon un économiste d’entreprise, cité dans le Financial Times, «les chiffres étaient affreux et encore pires que prévu».

La trajectoire de faible croissance de l’économie américaine démolit le mensonge du gouvernement Trump selon lequel les réductions d’impôts massives consenties il y a près de deux ans, qui ont fait cadeau de milliards de dollars aux entreprises et aux très riches, stimuleraient l’économie.

La réalité est que le taux d’imposition du revenu des particuliers pour les travailleurs ordinaires est maintenant supérieur à celui des échelons supérieurs. Mais les réductions d’impôt pour les sociétés et les riches ont été utilisées non pas pour financer des investissements, mais plutôt pour des opérations financières parasitaires, notamment des rachats d’actions et des fusions et acquisitions.

Au cours de sa conférence de presse, Powell a renoncé à prétendre que les politiques monétaires de la Fed avaient eu un impact significatif sur les investissements dans l’économie réelle. En réponse à une question de savoir si la Fed avait donné «un coup d’épée dans l’eau» en ce qui concerne l’effet de ses mesures sur l’économie en général, Powell a répondu que les taux d’intérêt n’étaient pas le «principal facteur» dans les décisions d’investissement des entreprises. En d’autres termes, ils sont entièrement destinés aux marchés financiers.

Il y a des signes évidents d’une autre crise financière si les taux d’intérêt montaient, ou même s’il y avait une indication selon laquelle ils pourraient augmenter.

La directrice de la Fed, Lael Brainard, a fait allusion à ces risques dans un rapport le mois dernier présenté au comité des finances de la Chambre des représentants. Elle a déclaré que les emprunts des entreprises avaient augmenté plus rapidement que le PIB et avaient presque atteint leur sommet historique.

Elle a noté qu’alors que c’était auparavant essentiellement des entreprises à hauts revenus et à faible endettement qui s’endettaient davantage, les analyses ont révélé que ce sont «les entreprises à fort taux d’endettement, qui ont des ratios élevés en frais d’intérêt et de faibles revenus et liquidités qui augmentent leur endettement plus rapidement que les autres».

Lors de la conférence de presse de mercredi, Powell a répondu à une question sur un récent rapport du FMI sur l’accumulation d’obligations d’entreprises risquées en reconnaissant que le l’endettement des entreprises était historiquement élevé et que la Fed y accordait «beaucoup d’attention». De telles phrases incitent inévitablement à des comparaisons avec les déclarations de la Fed sur le marché des prêts hypothécaires à risque dans la période qui a précédé la crise financière de 2008.

Powell a également été interrogé sur les interventions extraordinaires de la Fed sur les marchés financiers au jour le jour suite à la flambée des taux dits «repo» (taux de refinancement) en septembre. La Fed a annoncé qu’elle achèterait 60 milliards de dollars de bons du Trésor à court terme chaque mois au moins jusqu’au deuxième trimestre de l’année prochaine, et a annoncé qu’elle prêterait au moins 120 milliards de dollars au marché repo quotidiennement.

Powell n’a pas pu expliquer la turbulence sur le marché repo, mais que les enquêtes ont révélé que les banques détenaient plus d’argent que leurs réserves obligatoires, mais n’avaient pas mis le surplus sur le marché, malgré une opportunité rentable de le faire. Le fait que les grandes banques ne s’engageaient pas dans ce qui était considéré comme des opérations normales dans le passé suggère une tentative de manipulation des marchés pour assurer un apport supplémentaire d’argent bon marché de la part de la Fed.

Powell a insisté sur le fait que les mesures de la Fed ne constituaient pas un retour à un «assouplissement quantitatif» (QE) et étaient de nature purement technique. Mais les mesures sont largement considérées comme un QE sous une autre forme.

Les conséquences de la dernière décision de la Fed sont évidentes: Wall Street est assuré que la banque centrale répondra à ses demandes d’approvisionnement en argent bon marché pour financer la spéculation, intensifiant ainsi les attaques contre la classe ouvrière pour alimenter le parasitisme insatiable de l’oligarchie financière, et des risques toujours plus grands d’une autre crise financière.

Nick Beams

 

Article paru en anglais, WSWS, le 31 octobre 2019

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En exploitant le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (en anglais Investor-State Dispute Settlement ou ISDS) inclus dans les traités bilatéraux d’investissement de l’Arménie avec le Royaume-Uni et le Canada, les filiales anglaises et canadiennes de Lydian International – « Lydian UK » et « Lydian Canada » – ont officiellement porté plainte contre le gouvernement arménien à la suite des barrages routiers en cours et ont renforcé la résistance populaire contre la mine d’or sur le mont Amulsar. Les communautés arméniennes environnantes sont déjà sous le choc des effets de la mine sur l’environnement et, si celle-ci devenait pleinement opérationnelle, les conséquences sociales, économiques et sur la santé publique seraient calamiteuses.

Tandis que le premier ministre Nikol Pachinian continue de séduire les investisseurs étrangers européens avec une politique fiscale de la « porte ouverte » et des projets gouvernementaux de déréglementation, la société civile arménienne se trouve prise au piège dans une bataille pour les droits aux ressources avec les actionnaires de Lydian International. Dans les tribunaux d’arbitrage clandestins qui ne relèvent pas de la législation arménienne, 2 milliards de dollars [3] sont en jeu dans le procès imminent de Lydian International contre l’Arménie. Si la multinationale anglaise l’emporte, c’est le peuple arménien, dont 26 % vit en-dessous du seuil de pauvreté, qui paiera la note [4]. Afin que le mouvement populaire triomphe, il est impératif de démystifier le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États et les promesses redoutables d’accords de commerce et d’investissements.

Le cheval de Troie des traités bilatéraux d’investissement

La signature d’un traité entre un gouvernement et un investisseur étranger implique une perte unilatérale de souveraineté pour l’État hôte, ce qui est en définitive jugé nécessaire pour attirer des capitaux étrangers.

La logique derrière cette concession est ancrée dans le discours sur le développement promu par la Banque mondiale et le FMI selon lequel les investissements directs à l’étranger (IDE) sont l’unique solution pour le développement économique national des pays du Sud. En vertu du paradigme de la « croissance tirée par les exportations », les États périphériques sont contraints de privilégier les matières premières destinées à l’exportation vers le centre, les entreprises du centre fournissant la technologie et les capitaux nécessaires à leur extraction. Dans les pays intégrés dans les « chaînes de valeur mondiales », les multinationales se voient dès lors accorder un accès sans entrave aux champs de pétrole, aux forêts, aux terres agricoles, aux sources d’eau douce, aux gisements miniers et autres ressources naturelles de la périphérie. Par conséquent, l’environnement est réduit à rien de plus qu’une simple marchandise à vendre et à acheter sur les marchés mondiaux, et les entreprises européennes et nord-américaines se taillent la part du lion des bénéfices.

Les États en concurrence pour attirer les IDE sont donc obligés de se plier au régime international d’investissement qui garantit aux investisseurs le cadre juridique le mieux adapté à leurs intérêts économiques. Cela implique une réduction du contrôle public sur le capital transnational par le biais d’une série de réformes du libre marché et l’octroi d’avantages considérables aux investisseurs dans un réseau de plus en plus dense constitué de TBI et autres accords d’investissements. Dans les faits, peu de preuves empiriques étayent la conviction largement répandue selon laquelle les TBI stimulent les investissements directs à l’étranger [5], et les traités ne sont pas non plus une condition préalable essentielle à la sécurisation des investissements. Le Japon n’a signé que quatre TBI et est le second plus grand destinataire mondial d’investissements directs à l’étranger. Les flux d’investissements américains en Chine se sont élevés à 276 milliards de dollars depuis 1990, et les deux États ne détiennent aucun TBI [6]. Le Brésil ne détient aucun TBI ratifié et constitue pourtant une destination importante pour les investissements étrangers [7]. Bien qu’ils ne soient pas un gage d’accroissement des flux d’investissement, les traités jouent néanmoins un rôle fondamental pour permettre aux investisseurs d’extraire d’énormes profits dans les pays du Sud et, surtout, leurs clauses permettent aux sociétés transnationales de poursuivre facilement les États hôtes en justice s’ils agissent dans l’intérêt collectif de leurs citoyens.

Renoncer à la souveraineté : ce que les pays acceptent lors de la signature d’un traité d’investissements

1. « Le traitement juste et équitable » des investisseurs

La clause de « traitement juste et équitable » (en anglais Fair and equitable treatment ou FET) est « une clause très large qui vise à protéger l’investisseur étranger contre tout traitement qui pourrait affecter de quelque manière que ce soit son activité ou ses intérêts économiques et qui pourrait être considéré comme inéquitable » [8]. Selon l’interprétation de cette clause souvent utilisée par les investisseurs pour poursuivre en justice les gouvernements, l’État hôte ne peut pas adopter unilatéralement des changements de politique qui encouragent un « préjudice économique » pour l’investissement. Par exemple, lorsqu’un gouvernement applique des mesures anti-tabac sous forme d’avertissements de santé publique illustrés sur les emballages de paquets de cigarettes, les grandes compagnies du tabac peuvent affirmer que ces mesures gouvernementales bouleversent leurs « attentes légitimes » de conditions économiques stables et favorables (comme dans l’affaire Philip Morris c. Uruguay) [9]. Le caractère fourre-tout et volontairement obscur de cette clause tend à décourager les décideur·se·s politiques de faire adopter des lois d’intérêt public, de peur d’enfreindre la clause de FET présente dans les traités d’investissement.

2. La libre mobilité des capitaux des investisseurs

Cette clause interdit aux gouvernements d’appliquer des restrictions sur les flux de capitaux, ce qui signifie qu’à tout moment les investisseurs peuvent retirer leurs capitaux liés aux investissements. Le contrôle des capitaux est un instrument essentiel de politique monétaire utilisé par les gouvernements dans le but de réguler l’économie intérieure. Même si le FMI a reconnu son importance en période de crise financière et de volatilité macroéconomique [10], les États hôtes sont contraints de renoncer à leur capacité d’appliquer ce contrôle des capitaux.

3. Le régime de la nation la plus favorisée pour les investisseurs

La clause de la nation la plus favorisée (en anglais, Most Favored Nation ou MFN) oblige les États à accorder aux investisseurs un traitement non moins favorable que celui réservé aux autres investisseurs en vertu d’autres traités d’investissement. Dès lors, les multinationales créent des filiales et/ou des sociétés écran dans des pays dotés de TBI offrant les meilleures protections aux investisseurs, ce qui permet à ces derniers de pratiquer le « chalandage de traités » (en anglais, treaty shopping) lorsqu’ils souhaitent poursuivre des gouvernements en justice. Par exemple, le réseau néerlandais d’investissement bilatéral est l’un des plus vastes au monde, et de nombreuses multinationales s’établissent aux Pays-Bas pour utiliser les clauses favorables de l’ISDS dans les TBI néerlandais conclus avec d’autres pays. Dans la majorité des cinquante affaires d’ISDS déposées par les investisseurs « néerlandais », ceux-ci étaient en réalité des filiales étrangères qui invoquaient la clause de la nation la plus favorisée (MFN) [11].

4. La protection de l’investisseur contre « l’expropriation directe et indirecte »

L’investisseur est protégé d’ « expropriation directe et indirecte » par l’État hôte. Bien que la notion d’ « expropriation directe » soit en général clairement définie (à savoir la saisie des propriétés ou des avoirs d’un investisseur étranger par la nationalisation), l’ « expropriation indirecte » se révèle ambiguë et problématique. Toute initiative politique, réglementation ou action ayant un impact négatif sur les bénéfices escomptés (telles que la nécessité de mener une étude d’impact environnemental, une réglementation sur les déchets dangereux ou encore l’interdiction de produits chimiques nocifs) peut être considérée comme une « expropriation indirecte ». Étant donné l’ampleur que recouvre la formulation de cette protection des investisseurs, toute législation qui protège le bien-être public peut devenir un motif utilisé par les multinationales pour poursuivre un État en justice.

5. Le droit des investisseurs à une « indemnisation juste ou équitable 

Les investisseurs ont le droit d’exiger une indemnisation s’ils sont soumis à une expropriation « directe ou indirecte » de leurs bénéfices escomptés. Cette disposition permet également aux investisseurs d’estimer l’indemnité sur base de la « valeur marchande » des actifs expropriés, ce qui a tendance à donner lieu à des indemnités financières considérables. Par exemple, la société minière canadienne Gabriel Resources réclame 5,7 milliards de dollars de dommages et intérêts depuis que le gouvernement roumain a refusé de délivrer les permis d’exploration requis, alors qu’elle n’avait investi que 650 millions de dollars dans la mine de Roșia Montană [12]. Ce droit est réservé exclusivement aux investisseurs étrangers, les investisseurs nationaux étant soumis à des estimations inférieures à la valeur du marché.

6. Le traitement national des investisseurs étrangers

Les droits et les privilèges des investisseurs nationaux doivent être équitablement étendus aux investisseurs étrangers. De plus, aucune stratégie de développement économique ne peut inclure des mesures politiques telles que des avantages ou des exonérations fiscales qui stimulent les entreprises publiques et évincent les investisseurs étrangers. Les économies les plus prospères du monde ont, à un moment donné, appliqué de telles politiques nationales de développement qui donnent la priorité à l’industrie locale, mais en vertu de cette clause, les États hôtes ne disposent plus de ce droit. Les entreprises locales sont en réalité mises en concurrence sans aucune chance avec des géants économiques transnationaux.

7. Les États doivent accepter l’arbitrage obligatoire d’investissement

Cette clause confère aux investisseurs une protection juridique internationale sous la forme d’un ISDS, les investisseurs ayant souvent le choix du lieu d’arbitrage. Cela signifie que les investisseurs peuvent contourner les tribunaux locaux pour recourir à des tribunaux d’arbitrage internationaux privés (comme le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements ou CIRDI) qui défendent principalement les intérêts des entreprises. Les décisions prises dans ces affaires ont peu à voir avec la jurisprudence ou le droit international, mais elles sont pourtant contraignantes et, surtout, exécutoires [13].

À maintes reprises, les gouvernements du Sud ont ouvert leur porte au cheval de Troie de l’investissement bilatéral, en acceptant le discours selon lequel accorder aux investisseurs des pouvoirs supranationaux déclencherait un afflux accru d’investissements et que le jeu en vaudrait la chandelle. Cependant, les firmes transnationales sont tout sauf des bienfaiteurs étrangers qui apportent emplois et prospérité aux économies en difficulté. Elles sont le nouveau visage du colonialisme, en soumettant les États périphériques à un sous-développement permanent qui les transforme en réservoirs de main d’œuvre bon marché et de matières premières prêtes à être pillées. Les instruments juridiques que les TBI mettent à disposition des investisseurs étrangers ne font que cimenter la subordination économique de la périphérie au capital étranger à grande échelle.

La Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye, la Cour d’arbitrage international de Londres (LCIA), la Chambre de commerce internationale (ICC) de Paris, la Chambre de commerce de Stockholm (SCC), la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et le CIRDI sont autant de lieux de règlement des différends entre investisseurs et États.

Chaque instance d’arbitrage est régie par son propre système de règlementations, même si dans certains cas les règles d’un tribunal peuvent être appliquées à une autre institution qui administre les procédures (les règles de la CNUDCI peuvent par exemple être sollicitées au CIRDI). Les traités d’investissement contiennent des clauses dans leurs dispositions ISDS qui précisent quels lieux ou quelles règles d’arbitrage sont admissibles pour le règlement des différends entre investisseurs et États. Alors que les tribunaux nationaux de l’État hôte sont spécifiquement interdits dans la majorité des cas, les tribunaux qui ne dépendent pas de la juridiction d’une souveraineté locale sont largement accessibles aux multinationales à la recherche d’indemnisations vertigineuses [14]. Près de 75 % des affaires connues ont été déposées auprès du CIRDI à Washington D.C. [15] [16].

Le CIRDI

Le CIRDI, l’arme judiciaire de facto de la Banque mondiale, a été principalement fondé en réponse au mouvement de « nationalisation des ressources » durant la période des décolonisations. Dans les années 1950 et 1960, les nouveaux États indépendants ont commencé à nationaliser les propriétés des investisseurs étrangers qui relevaient de leur juridiction. Les terres, les ressources naturelles et les infrastructures clés qui étaient sous le contrôle des multinationales ont été converties en actifs publics et les États hôtes ont cherché à modifier les conditions d’extraction des ressources afin d’apporter des avantages tangibles à leurs citoyens. Les permis d’exploration, de même que les concessions minières et pétrolières ont été suspendus et des réglementations politiques strictes ont été mises en place. C’est ce coup fatal porté au capital transnational qui a poussé les investisseurs étrangers à vouloir reconquérir ce qu’ils avaient perdu [17].

Lors du Forum de la Banque mondiale de 1964, surnommé « El no de Tokyo », 21 gouvernements des pays du Sud ont voté contre la création du CIRDI. Malgré la résistance initiale, la Convention pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements entre États et Ressortissants d’autres États a recueilli les signatures de plusieurs États, jusqu’à ce que le CIRDI se concrétise en 1966 [18]. La méfiance à l’égard du CIRDI, manifestée dès son origine, il y a plusieurs décennies, par les gouvernements des pays du Sud a persisté dans l’action concrète des États. La Bolivie, l’Équateur et le Venezuela ont pris part au vote du « El no de Tokyo » et ont tous trois quitté le CIRDI. L’Afrique du Sud est en train d’élaborer une nouvelle loi sur les investissements afin de contraindre les différends entre investisseurs et États à être réglés devant des tribunaux nationaux. L’Inde évalue en ce moment ses traités d’investissement, et l’Indonésie a annoncé son intention de ne pas renouveler ses traités bilatéraux d’investissement. Le Brésil s’est quant à lui abstenu de tout mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États et l’Australie a refusé que des droits d’une telle envergure soient accordés aux compagnies américaines dans le traité d’investissement signé avec les États-Unis en 2005 [19].

Du point de vue des investisseurs, plusieurs caractéristiques du CIRDI en font une organisation idéale pour l’arbitrage. Selon les règles de la CNUDCI, les indemnités financières ne sont pas obligatoires si elles ont été « annulée[s] ou suspendue[s] par un tribunal du pays dans lequel, ou en vertu de la loi duquel [la sentence] a été rendue ou si le tribunal constate que (…) la reconnaissance ou l’exécution de la sentence serait contraire à l’ordre public du présent État » (art. 36-1). Le CIRDI n’accorde aucune considération de ce type à l’égard de l’autorité du tribunal et de la politique publique de l’État hôte, ce qui rend ses décisions définitives, sans procédure d’appel [20]. « Les tribunaux devront considérer [la] sentence comme un jugement définitif des tribunaux de l’un des États fédérés. » [21] En outre, les demandes d’arbitrage déposées auprès du CIRDI n’exigent pas « l’épuisement des recours internes » comme condition préalable de recevabilité [22], ce qui obligerait les investisseurs étrangers à réparer le non-respect présumé du traité par le biais des systèmes administratif et judiciaire de l’État hôte avant même de saisir un tribunal d’arbitrage international. L’admission par le CIRDI de demandes d’ISDS sans l’épuisement des recours internes permet de contourner la souveraineté nationale et d’arriver plus vite devant les tribunaux d’arbitrage favorables aux investisseurs, où ils sont davantage susceptibles de recevoir un jugement positif [23]. La Convention CIDRI exige également de ses arbitres qu’ils garantissent leur « indépendance dans l’exercice de leurs fonctions » [24]. En pratique, les arbitres qui ont exercé en tant que conseil juridique pour un investisseur étranger, puis comme arbitres du CIRDI dans un différend ultérieur qui met en cause le même client investisseur ne sont pas exclus du CIRDI, malgré le conflit d’intérêts flagrant [25].

Au cours des vingt dernières années, les clauses des traités d’investissement ont entrainé une augmentation du nombre de poursuites d’investisseurs à l’encontre des États. En 1996, 38 différends entre investisseurs et États avaient été déposés au CIDRI. En décembre 2018, ce nombre était de 706 [26] ; bien que le nombre réel d’affaires soit probablement bien plus élevé en raison de la confidentialité de la plupart des instances d’arbitrage. Cette ascension fulgurante reflète non seulement l’intrusion accrue des capitaux étrangers dans la périphérie grâce aux clauses sournoises des traités d’investissement, mais aussi l’énorme indemnité compensatoire qui est en jeu pour les entreprises étrangères dans les tribunaux d’arbitrage.

Le mécanisme d’un différend d’investissement international

1. L’investisseur étranger adresse une notification d’arbitrage

2. L’investisseur et l’État sélectionnent conjointement le tribunal arbitral

La plupart des panels d’arbitrage sont composées de trois personnes. L’État et l’investisseur désignent chacun un arbitre (parmi des avocats privés qui jugent et président le différend), avant de sélectionner conjointement un troisième arbitre comme président. Dans certains cas, une « tierce partie » préalablement désignée telle que la Banque mondiale ou la Chambre de commerce internationale (des institutions avec un agenda pro-entreprises résolument néolibéral) choisit les arbitres.

3. La procédure judiciaire

Les différends entre investisseurs et États peuvent durer des années et les procédures judiciaires sont gardées secrètes, de sorte que peu d’informations sont mises à la disposition du public et que celui-ci ignore même souvent que l’affaire est en cours. C’est d’autant plus paradoxal étant donné que les indemnités compensatoires dont il est question sont financées avec l’argent des contribuables.

4. Les arbitres rendent leur jugement

Le tribunal détermine si une compensation doit être accordée à l’investisseur, ainsi que le type et le montant de la compensation financière. Les gouvernements ont peu d’occasion de contester la nature de la sentence arbitrale ou le jugement en tant que tel une fois que les arbitres ont rendu leur décision.

5. La sentence arbitrale

Les États hôtes doivent respecter le verdict final du tribunal. Si un gouvernement ne se conforme pas aux sentences arbitrales (qui représentent en moyenne 522 millions de dollars) [27], les avoirs étrangers détenus par l’État sont alors saisis ailleurs dans le monde. Cette obligation est rendue possible grâce à la « Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères », aussi appelée « Convention de New York », un accord de longue date qui oblige les États à utiliser leurs tribunaux nationaux pour faire appliquer les sentences arbitrales [28]. La firme Dayyani a eu recours à la Convention de New York pour saisir des avoirs sud-coréens aux Pays-Bas après un refus du gouvernement de verser une indemnité compensatoire de 60 millions de dollars à l’investisseur iranien. Les tribunaux néerlandais ont alors ordonné aux sociétés sud-coréennes opérant aux Pays-Bas de ne pas payer leurs dettes au gouvernement de Séoul, ce qui priverait le budget de l’État de millions de dollars [29].

En matière d’investissement, le mécanisme d’arbitrage ne fonctionne qu’à sens unique. Les investisseurs étrangers jouissent de droits et de privilèges étendus sans être tenus d’en assumer une quelconque responsabilité. Alors que seuls les investisseurs peuvent engager un litige et demander réparation, le pays hôte ne peut pas porter plainte contre les investisseurs devant le même tribunal. Dans le meilleur des cas, une décision favorable permettra à l’État de ne pas verser de sentence arbitrale à l’investisseur, même si les gouvernements doivent malgré tout supporter les charges considérables de la procédure. La logique perverse du système d’ISDS est telle qu’un État qui tente de sauvegarder un important bassin hydrographique des ravages de la fracturation hydraulique est pénalisé par des poursuites judiciaires d’investisseurs plutôt que récompensé pour avoir empêché les dégâts provoqués par les activités néfastes des multinationales.

Le faible fondement juridique des différends entre investisseurs et États : la fixation par les tribunaux des « droits commerciaux » des investisseurs

Les considérations pour les droits humains et la politique publique sortent en général du « champ d’application » de l’arbitrage d’investissement et les recours à l’ISDS sont traités avant tout comme des litiges commerciaux. Les traités internationaux d’investissement contiennent des sources de droit que le tribunal peut appliquer dans les affaires d’arbitrage, dont notamment le TBI lui-même, le droit national de l’État hôte, et « les principes du droit international », le TBI revêtant une importance capitale [30]. [Il faut souligner que les accords d’investissement sont par essence des contrats commerciaux signés entre deux États qui garantissent des protections et des privilèges supranationaux aux investissements d’investisseurs d’un État dans un autre État, et ce contrat est élevé au niveau de la loi internationale.] Lorsqu’un ISDS leur est présenté, les membres de l’arbitrage, dans leur petit esprit de paroisse, se préoccupent uniquement de savoir si l’État hôte a enfreint les termes du traité, ce dernier ne faisant que peu ou pas du tout référence aux droits humains et à l’environnement. En 2014, une étude de l’OCDE révélait que seuls 0,5 % d’un échantillon de 2 107 traités d’investissement tiennent compte des droits humains, 10 % font référence à la protection de l’environnement et seulement 5 % mentionnent les normes et les conditions de travail [31].

De manière assez déroutante, tels qu’ils sont appliqués dans les tribunaux d’arbitrage, les « principes du droit international » tendent à minutieusement faire référence aux protections des investisseurs décrites dans les TBI. Dans l’affaire de Von Pezold contre le Zimbabwe, les tierces parties ont demandé l’application des droits des peuples autochtones, ce qui, selon elles, était pertinent par la référence du TBI Allemagne-Zimbabwe au « droit international ». Les arbitres ont rejeté l’appel, affirmant que « les règles du Droit international général applicables ne peuvent pas englober la totalité du droit international tel que le Droit international des droits de l’homme des peuples autochtones ». Il s’avérait que seuls les droits internationaux en rapport avec le TBI étaient applicables, comme les normes du droit international du « Traitement juste et équitable » [32]. La légitimité juridique de l’arbitrage en matière d’investissement est, au mieux, fallacieuse. Au final, les conventions universelles des droits humains des Nations unies et les accords internationaux de protection de l’environnement sont soumis au régime de droits des entreprises des investisseurs étrangers. L’insatiable course au profit et la criminalité d’entreprises du capital transnational sont en réalité au-dessus de toute loi.

Le procès impliquant la compagnie minière canadienne Gold Reserve Inc. et le Venezuela est emblématique de la suprématie des droits des investisseurs dans les différends entre investisseurs et États. Gold Reserve Inc. a introduit une demande d’indemnisation pour pertes financières après que le gouvernement vénézuélien a révoqué à la compagnie son autorisation de construire une mine d’or dans la Réserve forestière d’Imataca. Cette révocation a eu lieu en raison des précédentes activités minières et des dommages irréparables qu’elles ont causées sur la population locale, les communautés autochtones, mais aussi « la grave dégradation environnementale des rivières, des sols, de la faune, de la flore et de la biodiversité en général » [33]. Le tribunal du CIRDI s’est prononcé en faveur de Gold Reserve Inc. et a ordonné au gouvernement vénézuélien de verser à la multinationale une sanction arbitrale de 760 millions de dollars [34], affirmant que « le tribunal reconnaît qu’un État a la responsabilité de préserver l’environnement et de protéger les populations locales qui vivent dans la zone où se déroulent les activités minières. Cependant, cette responsabilité ne dispense pas un État de respecter ses engagements envers les investisseurs internationaux » [35]. Comme mentionné, le Venezuela s’est retiré du CIRDI depuis lors.

Les tribunaux d’entreprise secrets

Le caractère clandestin du processus d’arbitrage a longtemps été un point sensible dans le débat sur l’ISDS. Le manque de transparence dans les différends entre investisseurs et États a suscité de vives critiques de la part d’universitaires, d’ONG, de groupements d’intérêt public et de la société civile. Soucieux de préserver la renommée du système d’arbitrage en matière d’investissements, les partisans du régime international d’investissement ont salué les récentes modifications des règles d’arbitrage de la CNUDCI comme une avancée vers une plus grande transparence, mais il ne s’agit de rien de plus qu’un leurre.

Le règlement de 2014 de la CNUCDI sur la transparence établit des normes qui n’existaient pas auparavant, comme l’exigence que les informations essentielles et les documents importants du litige soient rendus publics, l’autorisation de soumettre au tribunal des observations écrites, et ce via une « tierce partie » (par exemple, d’amicus curiae) et, l’ouverture des audiences du tribunal au public. Si, en théorie, tout cela semble positif, il y a de nombreuses mises en garde. Seuls les traités d’investissement conclus après le 1er avril 2014 pour lesquels le règlement d’arbitrage de la CNUDCI a été choisi appliqueront automatiquement le règlement sur la transparence dans les litiges à venir. En moyenne, les investisseurs ne choisissent le règlement de la CNUDCI que dans 30 à 35 % des litiges, ce qui signifie qu’environ 70 % des affaires d’ISDS restantes ne sont pas soumises aux normes de transparence de la CNUDCI. De plus, pour les 2.600 traités d’investissements conclus avant le 1er avril 2014 [36], les États signataires doivent ratifier une convention supplémentaire (la Convention de Maurice) permettant l’entrée en vigueur du règlement de la CNUDCI sur la transparence. Étant donné que la Convention de Maurice donne aux investisseurs la liberté de ne pas adhérer aux amendements de 2014, une grande majorité des traités d’investissement reste en dehors du champ d’application des règles de transparence de la CNUDCI. Par ailleurs, vu que les normes de transparence de la CNUDCI sont rarement appliquées aux affaires d’arbitrage, leur application comporte également de nombreuses exceptions. L’article 7 du règlement de la CNUDCI sur la transparence autorise les tribunaux à ne pas divulguer les « informations commerciales confidentielles », ainsi qu’à protéger les informations qui, en étant rendues publiques, pourraient compromettre « les intérêts essentiels de sécurité » des parties au litige et « l’intégrité du processus arbitral ». La formulation délibérément vague de l’article 7 donne aux investisseurs la possibilité d’invoquer des interprétations larges des aspects de la procédure d’arbitrage qui peuvent être jugés confidentiels [37]. Par exemple, si des manifestations éclatent en réponse à une compagnie minière qui utilise du cyanure dans une mine à ciel ouvert, exposant les populations locales à des risques sérieux pour la santé publique, le tribunal peut juger que ces manifestations menacent « l’intégrité procédurale » du processus arbitral, ainsi que « les intérêts essentiels de sécurité » de l’investisseur et donc bâillonner les audiences publiques. Si on tient compte des nombreux vides juridiques à la portée des investisseurs, les réformes de la CNUDCI se révèlent creuses et sans conséquence. À la différence de la CNUDCI, le CIRDI n’a même pas offert aux sceptiques la politesse d’entreprendre une quelconque réforme en matière de transparence. La Convention et le Règlement d’arbitrage du CIRDI « ne renferment pas de présomption générale de confidentialité ou de transparence », celles-ci étant soumises au consentement des parties [38]. Les tribunaux du CIRDI ne sont autorisés à publier que « des extraits du raisonnement juridique », ainsi que des informations relatives à l’enregistrement des requêtes d’arbitrage et de conciliation et des recours post-sentences pour les affaires enregistrées. Même la publication des sentences arbitrales n’est pas obligatoire et est subordonnée au consentement des parties en litige [39]. Il va sans dire que le consentement des investisseurs est peu probable lorsque les différends portent sur des questions d’intérêt public comme la santé, les conditions de travail, la sécurité alimentaire, l’environnement ou l’accès à l’eau potable. Garder les procédures arbitrales en dehors du domaine public permet d’empêcher que la société civile s’en mêle et d’étouffer efficacement la mobilisation d’acteurs non-étatiques contre les multinationales qui attaquent des États pour obtenir des indemnités financières dont les montants relèvent de l’escroquerie. Par conséquent, les différends entre investisseurs et États peuvent, dans la plupart des cas, continuer à se dérouler dans l’ombre, à l’abri des regards du public, tandis qu’ils privent des populations entières de milliards de dollars qui viennent de la poche des contribuables.

Les soumissions de l’Amicus curiae : l’inclusion des « tiers »

L’arbitrage d’investissements a connu un récent changement à travers l’inclusion d’une tierce partie, à savoir les soumissions en amicus curiae (« ami de la cour ») d’ONG ou de groupe de la société civile qui font part des préoccupations en matière de droits humains ou de l’environnement. L’acceptation de telles soumissions par les tribunaux d’arbitrage est relativement neuve, le premier cas admis par le CIRDI n’ayant eu lieu qu’en 2005. Bien que les mémoires d’amicus curiae ont permis aux parties qui seraient touchées par le résultat de l’affaire de présenter des arguments juridiques devant les arbitres qui président, dans les faits, leur impact a été au mieux limité. Les tribunaux font rarement référence explicite aux soumissions de tierces parties dans leurs décisions et les arguments d’amicus curiae qui sont en faveur de l’application du Droit international des droits de l’homme sont snobés par les arbitres compte tenu de leur interprétation stricte du droit international axée sur le droit des investisseurs [40]. Les amendements du CIRDI et de la CNUDCI concernant les soumissions d’amicus curiae n’incluent le public qu’en apparence dans les différends entre investisseurs et États. Ils ne confèrent en aucun cas une légitimité au processus d’arbitrage.

Les décisions d’arbitrage : au-delà des statistiques

Les défenseurs du système d’ISDS mettent souvent les résultats de l’arbitrage en évidence pour assurer que les gouvernements s’en sortent bien dans les différends entre investisseurs et État, dans une vaine tentative de prétendre à la soi-disant impartialité du système. Selon les statistiques officielles, 35 % des affaires sont jugées en faveur de l’État, 29 % en faveur de l’investisseur et 23 % sont réglées par arrangement, les autres étant interrompues ou jugées en faveur d’aucune des parties (lorsque la responsabilité est reconnue, mais qu’aucune indemnité n’est accordée) [41]. Ces chiffres sont intentionnellement trompeurs et ne font pas apparaître à quel point l’arbitrage est propice aux investisseurs étrangers. Parmi les affaires jugées en faveur de l’État, la moitié a été rejetée pour des raisons techniques. Si l’on considère les procédures d’ISDS dans lesquelles il y avait une réelle décision sur le « fond » de l’affaire, 61 % ont été jugées en faveur de l’investisseur et 39 % en faveur de l’État [42]. Il est clair que lorsqu’un litige en matière d’investissement est porté devant le tribunal les investisseurs sont beaucoup plus susceptibles de recevoir une décision favorable. Les arrangements à l’amiable, qui représentent 23 % des résultats d’arbitrages, ne sont en aucun cas une victoire pour l’État, car ils impliquent généralement une série de concessions au profit de l’investisseur. À titre d’exemples, la Pologne a dépensé plus de 4 milliards de dollars dans un accord afin d’éviter les litiges, tandis que l’Argentine et le Venezuela ont versé respectivement 2,3 et 6 milliards de dollars de la même manière. Étant donné que seuls certains de ces accords entre États et investisseurs étrangers sont rendus publics, les estimations sont probablement bien plus élevées [43]. À l’instar des sentences arbitrales accordées aux investisseurs dans les litiges entre investisseurs et États, les transactions financières versées aux investisseurs à la suite d’arrangements détournent des ressources publiques essentielles du budget de l’État, ressources qui sont indispensables pour des investissements à finalité sociale. De plus, les détails qui entourent ces arrangements sont encore plus dissimulés dans le secret que ceux déjà opaques des tribunaux d’arbitrage.

Les concessions accordées aux investisseurs ne sont pas toujours de nature financière. Lors de son premier différend avec le conglomérat suédois Vattenfall, l’arrangement impliquait que le gouvernement allemand lève les restrictions environnementales imposées à l’une des centrales à charbon de Vattefall après que la multinationale a déposé une plainte en ISDS d’1,9 milliards de dollars devant le CIRDI [44]. La décision du gouvernement d’affaiblir les mesures de protection de l’environnement plutôt que de laisser le différend aboutir devant le CIRDI est révélatrice du parti pris réel et perçu des tribunaux en faveur des investisseurs. Souvent, la simple menace d’un différend investisseur-État suffit à convaincre les États hôtes de se soumettre. L’Indonésie a, par exemple, levé l’interdiction des mines à ciel ouvert dans les forêts protégées suite à des menaces d’investisseurs étrangers de recourir à un arbitrage s’élevant entre 20 et 30 milliards de dollars. Des multinationales du tabac ont menacé le gouvernement canadien de poursuites judiciaires en 1994 et 2001, lorsqu’il cherchait à modifier les emballages de paquets de cigarettes. Les menaces ont suffi à contraindre le gouvernement fédéral de retirer ses propositions de politique publique [45]. Tant que les investisseurs pourront intimider les États avec des poursuites en ISDS de plusieurs milliards de dollars lorsque leurs profits (escomptés) sont affectés, les décideurs politiques risquent toujours de faire machine arrière sur des réformes essentielles d’intérêt public. L’effet de dissuasion produit sur les réglementations gouvernementales est sans doute la principale fonction de l’arbitrage international d’investissements.

Les arbitres : des gardiens neutres du système d’arbitrage d’investissements ?

En fin de compte, les arbitres qui décident du sort des différends entre investisseurs et États ne sont pas des gardiens impartiaux du droit international d’investissements. Ce sont des avocats d’entreprises grassement rémunérés qui ont un intérêt direct dans la préservation du secteur d’arbitrage d’investissements et qui ne sont jamais tenus responsables devant les électeur·rice·s. Contrairement aux juges, il n’y a aucune limite sur les rémunérations financières des arbitres, et celles-ci ne sont pas forfaitaires. En fait, être choisi comme membre d’un tribunal arbitral d’un différend investisseur-État est hautement convoité, précisément en raison des importantes rémunérations. Dans un différend de 100 millions de dollars, un arbitre qui préside peut gagner en moyenne 350 000 dollars, et les attaques d’investisseurs contre les États impliquent généralement des indemnités financières bien plus importantes [46]. Non seulement leurs revenus et leur carrière dépendent de la capacité des investisseurs étrangers à poursuivre les États en justice, mais ils ont une vision résolument favorable aux entreprises et ont des liens étroits avec le monde des affaires. Nombre d’entre eux ont siégé au conseil d’administration de sociétés transnationales, et souvent dans ces mêmes sociétés qui poursuivent des gouvernements devant les tribunaux d’arbitrage. Ils partagent le point de vue de ces entreprises selon lequel la protection des bénéfices issus des IDE n’est pas négociable dans leurs décisions. Dans l’ensemble des affaires traitées au CIRDI, la proportion d’arbitres d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale est de 68 % [47]. Par ailleurs, le pouvoir décisionnel est concentré dans les mains d’une « mafia interne » composée de treize arbitres (qui, à une exception près, sont tous d’Europe ou d’Amérique du Nord) qui ont statué sur près de 80 % des affaires connues du CIRDI [48]. Sachant qu’en ce qui concerne le CIRDI, seulement 12 % des affaires impliquent un État du Nord, on ne peut que s’interroger sur le degré d’impartialité des décisions des arbitres [49]. En fait, une étude empirique de 2012 révèle un biais systémique en faveur des investisseurs dans les tribunaux du CIRDI. Dans celui-ci, les arbitres ne favorisent pas seulement la position des requérants, mais statuent aussi plus favorablement si le requérant provient d’un État occidental qui exporte des capitaux [50]. L’homogénéité des arbitres du CIRDI, qui sont dans la plupart des cas nommés sur base d’une liste prédéterminée de membres du jury et qui ont un parti pris inhérent pro-investisseur et pro-occidental, discrédite invariablement la prétendue neutralité du système d’arbitrage. Outre la sentence arbitrale en cas de victoire de l’investisseur, l’arbitrage d’investissements se révèle extrêmement couteux pour les gouvernements. L’État hôte et l’investisseur ne partagent pas seulement les coûts administratifs, ils doivent également payer les arbitres ainsi que leurs conseillers juridiques respectifs. Selon l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les coûts juridiques et d’arbitrage s’élèvent en moyenne à 8 millions de dollars et dépassent fréquemment les 30 millions de dollars dans les litiges entre investisseurs et États. Dans l’affaire de l’opérateur aéroportuaire allemand Fraport contre les Philippines, le gouvernement a dépensé 58 millions de dollars uniquement en frais juridiques – ce qui, pour mettre les choses en perspective, équivaut à environ un tiers du budget annuel des soins de santé de l’Arménie, les salaires de 19 333 infirmier·e·s arménien·ne·s, et plus de deux fois le budget de l’éducation [51]. Les experts du secteur estiment que, dans les différends investisseurs-États, environ 80 % de l’ensemble des coûts liés à l’arbitrage vont aux équipes juridiques. Les principales firmes d’arbitrage d’investissement, majoritairement américaines, britanniques et canadiennes, réalisent des revenus allant de plusieurs centaines de millions à plusieurs milliards de dollars et sont de loin les principales gagnantes du système d’arbitrage [52]. À titre d’exemple, la société britannique Freshfields Bruckhaus Deringer a gagné 1,8 milliard de dollars en 2018 [53].

L’affaire imminente de Lydian International contre la République d’Arménie

Il semble que l’administration de Pashinian ait capitulé devant la menace d’arbitrage de 2 milliards de dollars de Lydian International et ait autorisé la poursuite des opérations dans la dangereuse mine d’or d’Amulsar. Le discours officiel du gouvernement a toujours maintenu que la poursuite du processus dépendait des résultats d’un rapport indépendant sur l’impact de l’environnement (publié en août, il disculpait en apparence Lydian de toute accusation criminelle). Cependant, il y a de sérieuses raisons de mettre en doute la légitimité de l’enquête elle-même et de ses conclusions. Non seulement elles contredisent les nombreux avertissements de scientifiques de l’environnement contre l’inévitable drainage acide dans la plus grande réserve d’eau douce d’Arménie, le lac Sevan, mais elles nient également les répercussions tangibles déjà ressenties par les communautés avoisinantes. L’audit public sert néanmoins de prétexte opportun au gouvernement pour faire part de sa préoccupation pour les droits humains et pour la protection de l’environnement tout en marquant son consentement aux demandes des investisseurs.

Même si Pachinian s’est rangé du côté des actionnaires de Lydian, ce n’est pas le cas du peuple arménien. Les efforts héroïques des communautés autochtones et des activistes locaux pour bloquer l’accès à la mine Amulsar ne montrent aucun signe de faiblesse, ce qui rend d’autant plus probable l’affaire imminente de Lydian International contre la République d’Arménie. L’équipe juridique soutiendra que l’inaction de l’administration Pachinian concernant le blocus de la mine Amulsar constitue un non-respect de la clause de FET (traitement juste et équitable) des TBI britannique et canadien et conduit, en outre, à une « expropriation indirecte » de l’investissement. La sentence arbitrale surestimée grossièrement à 2 milliards de dollars représenterait 17 % du PIB annuel de l’Arménie et 63 % des dépenses de l’État [54], et les perspectives d’une décision favorable au gouvernement ne semblent pas prometteuses si le différend se poursuit devant un tribunal d’arbitrage. Le TBI entre le Royaume-Uni et l’Arménie désigne le CIRDI comme seul lieu d’arbitrage, alors que celui-ci ne dispose pas de normes exécutoires de transparence, les décisions sont obligatoires, sans procédure d’appel. De plus, sans se soucier de questions éthiques, les règles d’arbitrage sont indulgentes envers les membres qui présentent des conflits d’intérêts. De plus, parallèlement aux importantes protections d’investisseurs accordées aux actionnaires de Lydian, le TBI entre le Royaume-Uni et l’Arménie ne contient aucune référence à la santé publique, à l’environnement, aux normes de travail ou au « droit de l’État de réglementer » dans l’intérêt public [55]. Étant donné que la compétence du tribunal est principalement définie par le contenu du traité d’investissement, il sera difficile d’établir la responsabilité de Lydian. Et ce malgré la tentative explicite de Lydian d’empêcher le gouvernement de réglementer dans l’intérêt public au moyen de lourdes menaces d’arbitrage et des dégâts irréfutables d’un point de vue social, environnemental et de santé publique que la mine d’Amulsar impose aux citoyens arméniens. En outre, le système d’ISDS ne dispose d’aucun droit réel ou procédure judiciaire qui permette aux victimes des activités minières dévastatrices de Lydian d’avoir accès à une quelconque forme de justice réparatrice. S’en remettre au processus d’arbitrage dans l’espoir d’un dénouement juste s’avère, au mieux, peu judicieux.

La lutte pour Amulsar doit s’accompagner d’une lutte contre le système juridique parallèle qui favorise officiellement les profits des entreprises à la souveraineté des États. Les innombrables traités signés par l’Arménie avec des gouvernements étrangers ont renforcé le régime néfaste de droits des investisseurs que Lydian International utilise désormais pour maintenir en otage la principale source d’eau d’Arménie ainsi que les moyens de subsistance de milliers de résident·e·s de Jermuk.

C’est l’héritage de la révolution de Velours et le droit de l’Arménie à l’autodétermination qui sont dorénavant en jeu.

More Precious Than Gold est un court-métrage documentaire sur la mine d’or d’Amulsar et le procès imminent contre l’Arménie, produit par Global Justice Now et War On Want. Vous pouvez voir le film et signer la pétition à envoyer à Lydian International en cliquant ici.

Armen Abagyan


Traduction par Joachim Debelder
Article publié en anglais le 23 septembre 2019

 

Notes :

[1Knottnerus, R., van Os, R., Verbeek, B., Dragstra, F. Bersch, F. (2018) ‘50 Jaar ISDS : Eenmondiaal machtsmiddel multinationals voor gecreëerd en groot gemaakt door’ Transnational Institute, Both Ends, SOMO, Milieu Defensie Nederland

[2Vervest, P. and Feodoroff, T. (2015) ‘Licensed to Grab : How international investment rules undermine agrarian justice’ Transnational Institute.

[3Angel, J. (2019) ‘A Jersey mining company’s $2 billion attack on Armenia’s democracy’, Global Justice NOWhttps://www.globaljustice.org.uk/blog/2019/jul/30/jersey-mining-companys-2-billion-attack-armenias-democracy

[4Hergnyan, S. (2017) ‘Official 2017 Poverty Rate Pegged at 25.7%’ hetq https://hetq.am/en/article/98630

[5Jacobs, M. (2018) ‘Do Bilateral Investment treaties Attract Foreign Direct Investment to Developing countries ? A review of the Empirical Literature’ International Relations and Diplomacy Vol. 5, No. 10, 583-593.

[7Singh, K. and Ilge, B. (2016) ‘RETHINKING BILATERAL INVESTMENT TREATIES : Critical Issues and Policy choices’ Both Ends, SOMO, MADHYAM.

[8Gonzales, M. (2016) ‘Investors versus people : the public nature of international Investment Law’ University of London.

[9Porterfield, M. and Byrnes, C. (2011) ‘Philip Morris v. Uruguay : Will Investor-State Arbitration Send Restriction on Tobacco Marketing up in Smoke ?’ International Institute for Sustainable Development.

[10Beattie, A. (2012) ‘IMF drops opposition to capital controls’ Financial Times.
https://www.ft.com/content/e620482e-3d5c-11e2-9e13-00144feabdc0

[11Van Os, R. and Knottnerus, R. (2011) ‘Dutch Bilateral Investment Treaties : A gateway to “treaty shopping” for investment protection by multinational companies’ SOMO.

[12Verheecke, L., Eberhardt, P., Olivet, C., Cossar-Gilbert, S. (2019) ‘Red Carpet Courts : 10 STORIES OF HOW THE RICH AND POWERFUL HIJACKED JUSTICE’ Friends of the Earth Europe and International, Transnational Institute, Corporate Europe Observatory.

[13(2015) ‘Licensed to Grab : How international investment rules undermine agrarian justice’.

[14International Investment Agreements Navigator, Investment Policy Hub https://investmentpolicy.unctad.org/international-investment-agreements

[15Investment Dispute Settlement Navigator, Investment Policy Hub https://investmentpolicy.unctad.org/investment-dispute-settlement

[16(2019) ‘ICSID Caseload — Statistics : (Issue 2019-1)’ International Center for Settlement of Investment Disputes, World Bank Group.

[17Samples, TR. (2019) ‘Winning and Losing in Investor-State Dispute Settlement’ American Business Law Journal.

[18Parra, A. (2012) ‘The History of ICSID’ Oxford : Oxford University Press.

[19Broad, R. (2015) ‘CORPORATE BIAS IN THE WORLD BANK GROUP’S
INTERNATIONAL CENTRE FOR SETTLEMENT OF INVESTMENT DISPUTES : A CASE STUDY OF A GLOBAL MINING CORPORATION SUING EL SALVADOR’ University of Pennsylvania Journal of International Law.

[20ICSID Conventions and Rules, Article 53.

[21ICSID Conventions and Rules, Article 54.

[22ICSID Conventions and Rules, Article 26.

[23Branch, MD. (2017) ‘Exhaustion of Local Remedies in International Law’ International Institute for Sustainable Development.

[24ICSID Convention and Rules, Article 14.

[25Schacherer, S. (2018) ‘Independence and Impartiality of Arbitrators : A Rule of Law Analysis’ International Investment Law and the Rule of Law.

[26(2018) ‘ICSID Caseload — Statistics : (Issue 2018-2)’ International Center for Settlement of Investment Disputes, World Bank Group.

[27(2017) ‘Special Update on Investor-State Dispute Settlement : Facts And Figures’ UNCTAD.

[28Convention on the Recognition and Enforcement of Foreign Arbitral Awards (New York, 1958).

[29Suk-yee, J. (2019) ‘South Korean Government’s assets about to be seized’ ISDS PLATFORM https://isds.bilaterals.org/?south-korea-gov-assets

[30Baltag, C. (2018) ‘Human Rights and Environmental Disputes in Investment Arbitration’ http://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2018/07/24/human-rights-and-environmental-disputes-in-international-arbitration/

[31Gordon, K., Pohl, J. and Bouchard, M (2014) ‘Investment Treaty Law, Sustainable Development and Responsible Business Conduct : A Fact Finding Survey’, OECD Working Papers on International Investment.

[32Bernhard von Pezold and Others v. Republic of Zimbabwe, ICSID Case No. ARB/10/15, Procedural Order No. 2 of 26 June 2012, paras 39, 57.

[33Nadakavukaren Schefer, K. (2013) ‘International Investment Law : Text, Cases and Materials Second Edition’.

[34Gold Reserve Inc. v. Bolivarian Republic of Venezuela, ICSID Case No. ARB(AF)/09/1 https://www.italaw.com/cases/2727

[35Olivet, C. (2016) ‘Signing away sovereignty : How investment agreements threaten the regulation of the mining industry in the Philipines’ Transnational Institute.

[36ISDS navigator.

[37Zucchermaglio, S. (2015) ‘The UNCITRAL Rules on Transparency in Investor-State Arbitration : a Critical Perspective’.

[38‘Confidentialité et transparence – Arbitrage dans le cadre de la Convention CIRDI’ – Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements, Groupe de la Banque Mondialehttps://icsid.worldbank.org/fr/Pages/process/Confidentiality-and-Transparency.aspx

[39Yu, H.L., (2018) ‘Who Is In ? Who Is Out ? How the UNCITRAL Transparency Rules Can Influence the Upcoming Amendments of the ICSID Arbitration Rules’ Contemporary Asia Arbitration Journal.

[40Butler, N. (2019) ‘Non-Disputing Party Participation in ICSID Disputes : Faux Amici ?’ Netherlands International Law Review.

[41ISDS navigator.

[42(2018) ‘World Investment Report 2018 : Investment and New Industries’ UNCTAD.

[43(2019) ‘Winning and Losing in Investor-State Dispute Settlement’.

[44Eberhardt, P. and Olivet, C. (2012) ‘Profiting from Injustice : How Law firms, Arbitrators and Financiers are Fueling an Investment Arbitration Boom’ Corporate Europe Observatory, Transnational Institute.

[45Tienhaara, K. (2010) ‘Regulatory Chill and the Threat of Arbitration : A View from Political Science’ EVOLUTION IN INVESTMENT TREATY LAW AND ARBITRATION.

[46Eberhardt, P. and Olivet, C. (2012) ‘Profiting from Injustice : How Law firms, Arbitrators and Financiers are Fueling an Investment Arbitration Boom’

[47ICSID Caseload — Statistics : (Issue 2018-2)

[48World Investment Report 2018 : Investment and New Industries.

[49ICSID Caseload — Statistics : (Issue 2018-2)

[50Van Harten, G. (2012) ‘Arbitrator Behaviour in Asymmetrical Adjudication : An Empirical Study of Investment Treaty Arbitration’ Osgoode Hall Law Journal.

[51The Government of the Republic of Armenia, State Budget www.gov.am/am/budget/

[52Eberhardt, P. and Olivet, C. (2012) ‘Profiting from Injustice : How Law firms, Arbitrators and Financiers are Fueling an Investment Arbitration Boom’

[53(2018) ‘Freshfilds delivers firmwide growth’ Freshfields Bruckhaus Deringerhttp://news.freshfields.com/r/Global/r/5324/freshfields_delivers_firmwide_growth

[54(2018) ‘Armenian Parliament Approves 2019 State Budget’ Jam News https://jam-news.net/armenian-parliament-approves-2019-state-budget/

[55United Kingdom-Armenia BIT (1993)

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Cet article a été publié le 12 décembre 2016 alors que l’Argentine était gouverné par Mauricio Macri (2015-2019).

Après un an au pouvoir, le Président argentin présente un bilan catastrophique .

1. En un an, sous le gouvernement Macri, il y a eu 200 000 licenciements en Argentine.

2. Le peso argentin a été dévalué de 40% par rapport au dollar, entraînant une hausse massive des prix avec des conséquences dramatiques pour la majorité des Argentins.

3. Les tarifs du transport, du gaz, de l’eau et de l’électricité ont été augmentés de 200% à 2000% selon les cas.

4. L’inflation est passée de 32% à 45% et l’économie est en récession.

5. La politique d’austérité menée par le gouvernement a eu un impact dramatique sur les classes populaires, la vie économique et le développement du commerce. Selon l’Eglise catholique, 1,4 millions d’Argentins sont tombés sous le seuil de pauvreté depuis la prise de pouvoir de Macri. Dans la capitale, le taux de pauvreté est passé de 20% à 33%. Selon l’Institut national de statistique er recensements (INEC), 32% des Argentins vivent dans la pauvreté, soit 8,7 millions de personnes, et 6,3% se trouvent dans l’indigence, soit 1,3 millions de personnes.

6. Des centaines de milliers d’Argentins multiplient les manifestations, exigeant un changement de politique et l’arrêt des mesures contre les couches les plus vulnérables. Selon les sondages, 43% des Argentins ont une opinion défavorable du gouvernement contre 26% qui en approuvent la gestion.

7. Le montant de la dette a explosé en un an, passant de 43% du PIB à 55% du PIB.

8. Le déficit fiscal est de 7%, obligeant le gouvernement à emprunter plus de 50 milliards de dollars en à peine un an.

9. Le gouvernement Macri a également porté atteinte à la pluralité des médias en censurant la chaîne latino-américaine Telesur, qui n’est désormais plus disponible dans le bouquet de chaînes gratuites.

10. Le gouvernement Macri a procédé à une répression implacable de toute contestation sociale. Le cas de Milagro Salas, élue du Parlement sud-américaine et militante indigène, est emblématique. Elle est emprisonnée depuis janvier 2016, en violation de son immunité parlementaire, sous l’accusation « incitation à commettre des délits », pour avoir organisé une manifestation dans la province de Jujuy. Les Nations unies ont dénoncé cette répression et qualifient cette détention comme arbitraire et illégale. La Commission interaméricaine des droits de l’homme, Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains exigent également sa libération.

Salim Lamrani
Université de La Réunion

 

 

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Fidel Castro, héros des déshérités, Paris, Editions Estrella, 2016. Préface d’Ignacio Ramonet.
Contact : [email protected] ; [email protected]
Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

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Le 8 juillet, ce texte est publié suite à la « détention provisoire » devenue permanante de [les 100 jours de détention se sont fini le 8 octobre] à Sao Paulo, de leaders populaires des mouvements pour le logement, notamment Preta Ferreira.

La question posée est claire : au lieu de criminaliser les mouvements populaires organisés, la Justice et les Pouvoirs Publics devraient travailler à leurs côtés pour promouvoir le nécessaire repeuplement du centre-ville de Sao Paulo.

La récente détention provisoire de cinq jours, à Sao Paulo, de leaders populaires des mouvements pour le logement, est un épisode qui met en lumière les possibilités de confusion et de compréhension biaisée de la loi et de la justice, à un moment où n’importe quelle accusation semble recevable. Les récentes fuites du The Intercept Brasil montrent combien il est désormais possible, au Brésil, de se servir de la loi comme instrument de persécution politique. Il est possible que nous soyons, en ce moment, devant l’un de ces épisodes.

La semaine dernière, plusieurs leaders des mouvements pour le droit au logement, intervenant au centre de la ville de Sao Paulo dans des occupations d’immeubles vides, ont été arrêtés. Ils sont accusés d’extorsion des occupants de ces logements, pour avoir fait payer des montants abusifs de participation au mouvement. L’accusation est partie d’une enquête policière ouverte à l’occasion de la chute de l’immeuble Wilton Paes, au Largo Paissandu, en 2018. Ce cas illustre la généralisation d’une situation spécifique d’occupation d’immeuble à l’ensemble du mouvement pour le logement actif dans la région centrale de Sao Paulo.

Dans le cas de l’immeuble Wilton Paes, il y a de fortes suspicions que les promoteurs de l’occupation pratiquaient effectivement des actes criminels, en se faisant passer pour un mouvement organisé afin d’apparaître légitime. En fait, cet immeuble leur servait de façade pour cacher la vente de drogues et l’abus de personnes très pauvres et vulnérables – dont de nombreux migrants nouvellement débarqués – qui voyaient dans le paiement d’une mensualité exorbitante l’unique possibilité de trouver un abri, même précaire et très risqué, comme ce fut le cas de cet immeuble, qui a fini par s’effondrer suite à un incendie.

L’un de ces promoteurs était connu comme proche d’une figure du crime organisé aujourd’hui en prison, le même qui avait commandé l’invasion du Ciné Marrocos. Ici, c’était bien d’une invasion qu’il s’agissait, car c’était une action commandée par le crime organisé. Cette bande a été démantelée en 2016, lorsque son chef a été découvert en possession d’une grande quantité de crack destiné à Cracolândia [1] outre des fusils de chasse et autres armes à feu. Là aussi, des occupants aux revenus extrêmement bas, étaient extorqués de loyers dépassant 500 réaux mensuels.

Que le crime organisé se soit immiscé dans certaines occupations d’immeubles de la zone du centre-ville ne fait aucun doute. On le retrouve aussi dans d’autres quartiers de la ville, et même dans des copropriétés de luxe. Plusieurs lotissements du programme « Minha Casa Minha Vida » [2], prêts à être remis aux familles, ont été envahis, à main armée, par le crime organisé. Celui-ci est en train de devenir une sorte d’agent immobilier informel, construisant des copropriétés dans des zones non régularisées, comme on l’a vu dans le cas du bâtiment qui s’est écroulé dans un quartier de Rio de Janeiro, ou dans d’innombrables occupations de terres situées à proximité de sources d’eau , à Sao Paulo comme dans d’autres régions.

Dans le cas des occupations d’immeubles vides dans le centre-ville, le crime organisé cause un considérable préjudice à la société en s’identifiant à des mouvements sérieux qui occupent des immeubles dans le but légitime de dénoncer le mauvais usage des biens urbains. Et il n’hésite pas à se confronter à ces derniers, comme en témoignent les nombreux récits des mouvements pour le logement ayant à se confronter aux attaques du crime organisé pour s’emparer des immeubles désormais occupés.

Cependant, les responsables de l’enquête policière ont commis une grave erreur en décrétant, sans distinction, la prison des organisateurs de l’affaire Wilton Paes, où il est question d’actions criminelles tout en incluant dans la même décision des leaders légitimes du mouvement pour le logement qui n’ont rien à voir avec l’occupation frauduleuse du dit immeuble. En élargissant l’enquête à des mouvements sérieux pour le droit au logement, qui agissent pour la formulation de politiques publiques et la transformation d’immeubles inoccupés en projets d’habitation, les enquêteurs ont franchi un pas inacceptable qui crée la confusion et ouvre des portes vers l’usage de la loi comme instrument de persécution politique.

Effectivement, il n’y a absolument rien qui permette de comparer les invasions commandées par le crime organisé et les occupations organisées d’immeubles vides dans le centre, qui cherchent à donner une fonction sociale à des immeubles inoccupés. Pour comprendre cette question, il faut se livrer à une petite mais essentielle inversion de logique : le problème du centre-ville, ce ne sont pas les occupations d’immeubles, mais les immeubles vides.

L’entretien d’immeubles vides et sous-utilisés doit être combattu, conformément à ce qui est établi dans le Statut de la ville et dans le Plan directeur stratégique. La législation fédérale et municipale en matière d’urbanisme définit l’usage des immeubles vides, lesquels coûtent cher à la société, en raison de leur localisation dans des aires très bien desservies en équipements urbains. Les arrêts de bus, les réseaux d’égouts, d’eau, d’électricité, le ramassage des ordures, outre les autres services offerts en centre-ville, le tout financé par la société, tout cela est gâché lorsqu’un immeuble est laissé inoccupé – parfois dans un but spéculatif – au lieu d’être utilisé. De plus, ces immeubles constituent un risque social : en se dégradant, ils présentent des risques d’effondrement, devenant des espaces propices à la multiplication des rats et autres vecteurs de maladies. Plusieurs de ces immeubles doivent aussi des fortunes considérables à la municipalité faute de paiement des impôts locaux.

A partir des 1990, et spécialement après l’approbation du Statut de la ville, les mouvements sociaux ont identifié dans ces immeubles un potentiel considérable pour assurer le droit à la ville. Avec tant de gens sans logement, pourquoi laisse-t-on tant d’immeubles sans personne dedans ?

Habiter le centre, un secteur qui concentre environ la moitié des offres d’emploi, est une alternative qui devrait avoir la priorité dans les politiques d’habitation, eu égard aux bénéfices économiques apportés par la diminution des déplacements pendulaires faits par tant de gens qui voyagent pendant des heures entre la périphérie et leur travail. Occuper ces immeubles a eu ainsi eu un triple objectif : dénoncer l’absurdité de leur inoccupation, rendre possible un logement temporaire pour les « sans toit » et chercher à viabiliser un projet de réhabilitation de ces immeubles. Dans ce but, les vrais mouvements pour le logement rendent un vrai service à la ville.

Il faut souligner que ces mouvements sociaux font toujours une évaluation initiale des immeubles qu’ils investissent, avant de le mettre en service. L’électricité et l’eau sont rétablies, le nettoyage et la peinture de l’immeuble sont faits. A partir de là, sont établies des règles basiques de sécurité, des extincteurs sont installés et, si c’est possible, les ascenseurs sont réactivés. Contrairement à ce que suppose le bon sens, il existe des règles pour organiser une occupation pacifique. Ces règles concernent des familles, beaucoup d’enfants, des gens qui trouvent dans l’occupation une solution de vie et une forme d’engagement pour la cause de l’habitat.

De nombreuses occupations sont devenues des références, apportant une nouvelle vie au quartier, avec des activités culturelles et citoyennes. Ceux qui ont participé aux dernières festivités traditionnelles du mois de juin (« festas juninas ») organisées dans les espaces à usage collectif et culturel de l’immeuble occupé « 9 de julho » – toujours menacés d’expulsion –ont pu s’en rendre compte.

C’est grâce à cette formule que quelques politiques publiques ont été structurées avec succès. Quand on passe par la rue Conselheiro Crispiniano, en face du Théâtre Municipal, on voit un bel immeuble, bien organisé, acheté et rénové par le mouvement pour le logement, avec des ressources du programme « Minha Casa Minha Vida » (PMCMV), complétées par des aides municipales.

Dans d’autres cas, comme celui du célèbre Hôtel Cambridge, l’immeuble a été exproprié par la municipalité pour rénovation et attribué à une association d’habitants, après un rigoureux appel à projet public, en contrepartie des ressources libérées par le PMCMV. Dans tous ces cas, les immeubles étaient vides, dangereux et abandonnés mais, grâce aux initiatives conjointes des mouvements et des pouvoirs publics, ils se sont transformés en logements dignes. La ville a tout à y gagner.

Ces raisons ont certainement pesé dans une récente décision d’un juge de Sao Paulo, qui a suspendu pour 180 jours la réattribution d’un immeuble occupé Rue do Ouvidor, qui appartenait au gouvernement de l’Etat de Sao Paulo. Cette mesure doit permettre aux occupants de s’organiser pour acheter l’immeuble et y maintenir les activités culturelles en cours. L’accord trouvé détermine que les occupants s’engagent à doter l’immeuble des conditions minimales de sécurité exigées. Comme on peut le voir, grâce aux mouvements qui occupent ces immeubles, il y a des voies permettant d’optimiser leur utilisation d’une manière beaucoup plus appropriée que de les laisser à l’abandon.

Jusqu’à ce qu’on trouve une solution définitive permettant la réhabilitation des immeubles ainsi occupés, comme dans toute copropriété, des ressources se font nécessaires pour assurer les conditions basiques de sécurité, de propreté et de bon fonctionnement. Pour cette raison, des taxes mensuelles, définies en assemblées, sont prélevées.

C’est étrange que cela puisse paraître abusif à ceux qui sont habitués à payer les frais de copropriété dans les immeubles des classes moyenne et supérieure de la ville. Il s’agit de la même logique : partager entre les habitants les frais d’un entretien correct de l’immeuble où ils vivent. Dans ces cas, il n’y a aucun rapport avec les extorsions exercées par des chefs de bandes sur des personnes pauvres et vulnérables, dans des occupations précaires qui cachent des points de vente de drogue.

C’est l’enquête qui a conduit des leaders de mouvements d’occupation de logements à la prison, créant une situation inacceptable devant être corrigée, qui a créé cette confusion. Elle accuse ces personnes de prélèvement de mensualités pour ces occupations d’immeubles, traitant une pratique normale comme si c’était la même chose que les extorsions abusives pratiquées par les groupes criminels dans les immeubles qu’ils contrôlent. On assiste à une inacceptable manipulation dont le but est, à la fin, de criminaliser les mouvements organisés pour le logement, en les confondant avec des bandits.

Derrière cela, il y a une claire manœuvre politique. La volonté d’empêcher la « popularisation » de la ville, tenant compte de préjugés généralisés, qui considèrent les occupations d’immeubles plus condamnables que le maintien d’un immeuble inoccupé. Ce que nous voyons encore une fois, c’est la réaction d’une société élitiste, qui préfère préserver et protéger la sacrosainte propriété privée – même pour des immeubles irréguliers et dangereusement vides – plutôt que de permettre une occupation « populaire « du centre-ville. Ils ne se rendent pas compte que, du point de vue de la ville, c’est comme se tirer une balle dans le pied, car ces préjugés conduisent à dégrader de plus en plus le centre-ville, au lieu de soutenir ceux qui lui apportent une nouvelle vie.

L’usage de la loi comme outil de criminalisation des mouvements populaires ne peut pas continuer, et encore moins se banaliser. Il est fondamental de rétablir la justice et de permettre à ces mouvements organisés d’agir pour améliorer le centre, en redonnant vie et usage à tant d’immeubles vides.

La police et une partie du Ministère Public devraient s’occuper d’enquêter sur les initiatives « immobilières » du crime organisé, qui se répandent à travers la ville, au lieu de persécuter des leaders reconnus des mouvements pour le logement, comme « Dona Carmen ». Les criminels se trouvent par exemple dans l’occupation de l’immeuble Wilton Paes, comme dans les « lotissements » irréguliers situés sur des sources d’eau, dans l’expulsion des habitants pauvres des copropriétés du projet Minha Casa Minha Vida comme dans les constructions d’immeubles irréguliers dans les favelas.

Au lieu de criminaliser les mouvements populaires, la Justice et les Pouvoirs Publics devraient travailler à leurs côtés pour promouvoir le nécessaire repeuplement de nos centres-villes , et assurer un habitat démocratique, ouvert à la population des travailleurs les plus pauvres.

Erminia Maricato et João Sette Whitaker

Collaboration de Nabil Bonduki, rapporteur du Plan Directeur de Sao Paulo

 

 

Voir en ligne : Não confunda crime organizado com movimentos populares organizados, Carta Capital, le 9 juillet 2019

Traduction : Regina M. A. Machado pour Autres Brésils Relecture : Philippe Aldon

 

Notes :

[1Littéralement « crack land », ce « quartier » est un marché du crack à ciel ouvert, sous la loi du Primeiro Comando da Capital. Nous vous conseillons, de lire l’article de Bertrant MOnnet Le Monde 26 Mai 2017.

[2Minha casa Minha vida (Ma maison, Ma vie) : programme du gouvernement fédéral lancé en 2009 et qui a pour but de faciliter l’accès au logement des classes les plus pauvres de la population. Plus de cinq million d’habitations a déjà été construites, mais les règles d’obtention d’un logement et de financement des projets au dramatiquement changés depuis le coup d’État de 2016.

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Le président brésilien a posté sur les réseaux sociaux une longue vidéo dans laquelle il écume de rage contre TV Globo, qui a lié son nom à l’assassinat de la militante Marielle Franco “pour le détruire”.

Et qui n’a pas tardé à faire réagir les internautes. Nombreux sont ceux à qui elle a rappelé cette scène du film “La Chute”, fiction qui met en scène Hitler.

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Donald Trump est le symptôme d’un malaise qui ébranle les fondements mêmes de l’Empire états-unien. Un empire mondial qui, depuis trois quarts de siècle, a fondé son hégémonie sur le système du libre commerce et du libre investissement à l’échelle planétaire.

Affolés par la montée en puissance de la Chine, qui s’est faufilée dans ce même système pour l’exploiter à son avantage, Trump et son entourage hésitent entre deux stratégies : ou laisser faire la main invisible du marché, ou faire intervenir la main visible de l’État dans l’économie de marché.

Foreign Affairs, la revue phare de la politique étrangère états-unienne, consacre, dans sa dernière livraison – septembre-octobre 2019 – un important dossier à cette question. La page couverture annonce un stupéfiant tournant : How a Global Trading System Dies. (« Comment un système commercial global meurt ») Un des articles s’intitule : « Trump à l’assaut du système commercial global ». Ses auteurs soulignent comment Trump, malgré ses frasques, ses improvisations et ses volte-face, n’a jamais dévié d’une certaine idée de l’économie états-unienne : « Après avoir fustigé le libre-échange durant la campagne électorale [de 2016], il a fait du nationalisme économique la pièce maîtresse de son agenda une fois au pouvoir ».

Naissance d’un nouveau pouvoir impérial fondé sur le libre commerce

L’idée de fonder l’ordre économique et géopolitique mondial sur le libre commerce a germé à Washington au tout début de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Les élites états-uniennes, rassemblées autour du Council on Foreign Relations, comprennent que les puissances coloniales européennes vont sortir fatalement affaiblies de ce conflit fratricide. La conjoncture s’avère propice à la fondation d’un nouvel ordre économique et géopolitique mondial, conçu et mis en oeuvre par le seul pays capable d’en assumer le leadership : les États-Unis d’Amérique.

Le but est d’assurer la prospérité et la sécurité des États-Unis dans le monde de l’après-guerre. Comment ? Par le libre accès aux marchés, aux zones d’investissement et aux matières premières à l’échelle de la planète.

Il faudra donc éliminer le système de préférences commerciales dont bénéficient les puissances impériales européennes, depuis deux siècles. Cela signifie la fin des empires coloniaux. Au premier chef, la fin du vaste et glorieux British Empire.

C’est le président Roosevelt qui se chargera d’annoncer au premier ministre Churchill la fin de l’Empire britannique. En août 1941, au plus creux de la guerre, les deux grands et principaux leaders du monde libre se donnent rendez-vous sur les eaux de l’Atlantique, au large de Terre-Neuve. Ils viennent se concerter sur la réorganisation des affaires du monde dans l’après-guerre.

Après deux jours d’échanges sur divers thèmes, Roosevelt en arrive au point crucial : arracher à son vieil ami un déchirant renoncement. Il va droit au but : « Évidemment, une fois la guerre terminée, une des conditions d’une paix durable devra être la liberté de commerce la plus ample possible. Pas de barrières artificielles. Le moins possible d’accords préférentiels. Ouvrir les voies à l’expansion des marchés. Des marchés ouverts à une saine concurrence ». Churchill comprend que Roosevelt lui annonce la fin de l’Empire britannique. Le vieux lion se rebiffe. Mais comme il a besoin des États-Unis pour gagner la guerre, il s’incline[1].

Les bases d’un nouvel ordre mondial seront consignées dans la Charte de l’Atlantique rendue publique le 13 août 1941. L’article 4 traduit à la lettre la position de Roosevelt qui relaie les propositions du Council on Foreign Relations.

De Roosevelt à Obama, mise en œuvre de la doctrine libre-échangiste

Tous les présidents qui succéderont à Roosevelt, de Truman à Obama, assureront la continuité, en resserrant toujours davantage les règles disciplinaires du libre-échange :

  • Harry Truman officialise la doctrine libre-échangiste en présidant, en 1947, à la négociation et signature du General Agreement on Tariffs and Trade : le GATT, entré en vigueur le 1er janvier 1949. C’est aussi Truman qui, dans son discours inaugural du 20 janvier 1949, annoncera au monde la fin du système colonial et son remplacement par le libre commerce entre les pays industrialisés et les colonies et ex-colonies, qui prendront le nom de « pays sous-développé ».
  • John F. Kennedy élargira la portée du libre-échange en faisant voter par le Congrès le Trade Expansion Act, en 1962.
  • Ronald Reagan annonce, en 1985, le lancement des négociations en vue d’un accord de libre-échange Canada-États-Unis; un accord de deuxième génération qui étend la notion de libre-échange aux services, aux investissements, à la protection des brevets des multinationales et aux produits agroalimentaires.
  • Jimmy Carter approuve, en 1979, l’ajustement des pays du Tiers-Monde au marché mondial en leur imposant, par le biais du département du Trésor, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, les Programmes d’ajustement structurel.
  • George Bush père négocie et signe en 1992 l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui entrera en vigueur le 1er janvier 1994.
  • Bill Clinton débride le capital, en 1996, en abrogeant la loi de 1933 sur les banques : le Glass-Steagall Banking Act. C’est aussi sous sa présidence que sera créée, en 1995, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) gardienne de l’ordre libre-échangiste mondial, qui embrigade aujourd’hui 164 États.
  • Barak Obama lance, en 2009 et 2010, les négociations en vue de la conclusion de deux mégatraités de libre-échange: l’Accord de partenariat transpacifique et l’Accord économique et commercial global Canada-Union européenne; ces accords dits de troisième génération interviennent en amont dans l’élaboration des législations nationales.

Pourquoi Trump pousse l’Empire vers le point de bascule

Ainsi, les 12 présidents qui se sont succédé après Roosevelt ont tous assuré la continuité, en appliquant et renforçant les règles du libre commerce comme fondement de l’hégémonie états-unienne.

On pensait qu’aucun président ne pourrait s’écarter des politiques et des structures qui ont garanti et favorisé, au cours des 75 dernières années, cette domination impériale. Le 45e président des États-Unis s’est avisé de contester le système et de pousser l’Empire vers le point de bascule.

Ce n’est pas un hasard si le très compliqué système électoral états-unien a ouvert les portes de la Maison Blanche à ce milliardaire, à un moment charnière de l’histoire des États-Unis. Donald Trump n’a pas atterri à Washington en provenance d’une autre planète. Il est né et s’est formé dans les entrailles de cette nation qu’il veut protéger contre un système qui ne fonctionne plus à son avantage.

C’est un peu court d’affirmer que Trump n’a aucune vision. Pour être élu, il a vu et pointé le problème qui affecte une grande partie de la classe ouvrière de ce pays. Il a vu que le fond du problème, c’est le libre-échange qui commande la dérèglementation et facilite la libre circulation des capitaux. Ce qui entraîne la délocalisation des entreprises manufacturières vers des pays à main d’œuvre abondante et bon marché.

D’ailleurs, Trump n’est pas seul. L’article du Foreign Affairs cité plus haut explique que même si les démocrates reprennent le pouvoir, ils ne déferont pas totalement ce que Trump aura fait :  « Il n’y aura pas de retour en arrière ».

Le basculement s’est amorcé lorsque la Chine a fait son entrée à l’OMC, en 2001, devenant ainsi membre à part entière du global trading system. Ce qui permet à l’Empire du Milieu de défier l’Empire états-unien sur son propre terrain.

Dans la deuxième partie de cette chronique, nous analyserons les objectifs et stratégies de la Chine dans cette guerre des titans pour l’hégémonie mondiale.

Jacques B. Gélinas

jacquesbgelinas.com


[1] Cette scène d’anthologie est rapportée en détail par Elliott Roosevelt, dans As I SawI it, New York, Duell, Sloan and Pearce, 1946, p. 35-42. Le fils du président assistait à ces échanges.

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«Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie. Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau. Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère; Et, comme ferait une mère, La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau!» Victor Hugo (Hymne)

La lutte du peuple algérien s’insère dans l’histoire de la résistance plus large du Grand Maghreb. C’est  l’épopée de ce peuple depuis trois mille ans jusqu’à la colonisation française. Tout au long de cette «nuit coloniale» selon Ferhat Abbas, l’Algérie a connu aussi une tentative d’éradication de son identité. Après plusieurs révoltes durant près d’un siècle, les Algériens tentèrent aussi la lutte politique, mais c’est la Révolution de Novembre qui a permis l’indépendance et montré que les peuples sont nés pour être libres. Il faut rendre justice au peuple algérien, à ses composantes sans exception aucune qui ont arraché une victoire suscitant en son temps le respect des nations. L’indépendance acquise, les errements successifs et le refus de la mise en place d’un projet de société œcuménique, ont fait que l’aura de la révolution a été galvaudée. A l’indépendance nous étions tout feu tout flamme et nous tirions notre légitimité internationale de l’aura de la glorieuse Révolution de Novembre. La flamme de la Révolution s’est refroidie en rites.

L’appel du Premier Novembre

Souvenons-nous de l’Appel du 1er Novembre:

«A vous qui êtes appelés à nous juger, ce sont là, nous pensons, des raisons suffisantes qui font que notre mouvement de rénovation se présente sous l’étiquette de Front de Libération nationale, se dégageant de tous les partis et mouvements purement algériens, de s’intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre considération. But: l’indépendance nationale par: la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques. Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions. (…) Algérien!(…) Ton devoir est de t’y associer pour sauver notre pays et lui rendre sa liberté; le Front de Libération nationale est ton front, sa victoire est la tienne». (Appel du Premier Novembre).

Qui étaient ces révolutionnaires sans arme, sans moyens, sans troupes face à une colonisation qui paraissait durer mille ans? De simples citoyens autour de la trentaine d’âge, formés à la dure école de la vie et qui avaient une conviction gravée dans le marbre. Cette détermination non seulement sans faille vis-à-vis de l’adversaire commun était nécessaire et toutes les manoeuvres du pouvoir colonial pour atomiser le consensus ont échoué. A l’époque il n’y avait ni régionalisme ni prosélytisme. Seule la cause de la lutte pour la liberté était sacrée. A bien des égards, du fait du combat titanesque de ces pionniers qui ont fait démarrer l’Algérie à l’indépendance, nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants.

Qui se souvient aussi, des universitaires et intellectuels qui sont morts pour la patrie? Qui se souvient de ces jeunes filles et jeunes garçons qui ont quitté les bancs du lycée ou de la faculté pour aller au maquis? Qui se souvient, un exemple parmi des centaines, de Taleb Abderrahmane chimiste de formation, qui fut le concepteur des engins explosifs artisanaux Taleb Abderrahmane a eu une mort digne en face de la guillotine d’après son bourreau qui eut des regrets le concernant. Le jour de son exécution, l’injustice française de ce temps voulait lui amener un imam pour lui rappeler la chahada; Taleb Abderrahmane lui dit froidement: «Prends une arme et rejoins le maquis.»

La dérive post-indépendance

Relatant justement les errements de ceux qui se sont emparés du pouvoir, Ferhat Abbas écrit :

«En juillet 1962, l’indépendance acquise, nous nous sommes comportés comme un peuple sous-développé et primitif. Nous nous sommes disputé les places et nous avons tourné le dos aux valeurs et aux vertus qui nous ont conduits à la victoire.» Sa démission fracassante de l’Assemblée nationale constituante était inéluctable. Intervenue le 15 septembre 1963, cette rupture faisait suite à un profond désaccord avec la politique du président Ahmed Ben Bella. Désaccord qui permettra au premier responsable de cette Assemblée de dénoncer sans ambages «l’aventurisme» de son allié. Pour l’auteur de L’Indépendance confisquée, humilier une Assemblée souveraine est un geste extrêmement grave tant le procédé relève de la mystification, de l’action psychologique et laisse entrevoir le rôle que l’Exécutif entend réserver au législatif. Fidèle à ses idées, il sortira de son mutisme en mars 1976 date à laquelle il rédigera avec Benyoucef Benkhedda, Hocine Lahouel et Mohamed Kheïreddine un «Appel au peuple algérien» réclamant des mesures urgentes de démocratisation et dénonçant «le pouvoir personnel». (1)

Dans le même ordre Il y a 14 ans, dans une tribune au Journal Le Monde, le regretté Hocine Ait Ahmed publiait, à la veille du cinquantenaire du déclenchement de la Révolution algérienne, une contribution où il faisait le point sur le rêve algérien et les promesses de Novembre :

«Cinquante ans après le lancement de la lutte armée, l’Algérie a plus que jamais besoin de renouer avec les promesses de Novembre. Et, par-delà ce que nous pensons avoir conquis ou raté, l’idéal de liberté auquel nous avons consacré nos vies parle-t-il encore aux nouvelles générations nées bien après l’indépendance et confrontées à tant d’autres problèmes ? Tout rêve de libération court le risque d’être brisé. Cinquante ans après, que reste-t-il des rêves de liberté, de dignité, de progrès et de justice qui furent à l’origine de la formidable aspiration de novembre 1954 ? Le coup d’arrêt porté à une aventure émancipatrice peut être brutal et difficile à surmonter. Mais l’élan libérateur est si fort que, même brisé, il en reste des fragments qui, épisodiquement, viennent relancer l’aspiration première. La répudiation de la liberté au moment même où l’on célébrait la libération du pays amputa l’esprit de Novembre de ce qui en faisait l’universalité et pouvait en assurer la pérennité (2).»

« C’est  poursuit Hocine Ait Ahmed ce divorce, provoqué par des coups de force à l’aube de l’indépendance, qui endeuilla l’Algérie et continue à la hanter avec des soubresauts de plus en plus forts. La célébration du 50e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération ne peut avoir de sens pour les Algériens que si elle s’accompagne d’un bilan critique.   La liberté est un rêve de jeunesse et une conquête d’adulte A partir de 1991, nous avons connu une crise profonde qui a culminé avec une sale guerre qui a coûté la vie à deux cent mille Algériens. Comment, dès lors, ne pas être révolté par les célébrations folkloriques prévues par un régime qui dissimule sous une rhétorique patriotique et une image savamment peaufinée son absence totale de projet de développement du pays ? » (2)

« Nul doute : Novembre a encore des choses à dire aux Algériens. (…) L’histoire nous enseigne que toute guerre contre le terrorisme devient terreur d’Etat quand, sous couvert de lutte antiterroriste, les populations en deviennent massivement les victimes. (…) C’est dans ce sens qu’ils ont réécrit et dénaturé le message de Novembre. Si, au bout de sept années d’une terrible guerre, l’Etat algérien s’est doté des attributs de la souveraineté, le droit du peuple à l’autodétermination fut, d’emblée, bafoué car ceux qui venaient d’accaparer le pouvoir en empêchant l’Assemblée constituante de doter l’Etat d’institutions légitimes. Née dans une violence qui lui a été imposée par la colonisation, l’indépendance s’est construite autour d’une violence que lui ont ensuite imposée des militaires hostiles à toute forme d’expression et d’organisation de la société ». (2)

« (…) Cinquante ans après le soulèvement, le régime lance, dans un se ces bricolages fumeux dans lesquels il excelle, une démarche de réconciliation avec la France et les pieds-noirs. Pourquoi pas ? Il y a un temps pour la guerre et un temps pour la paix. Mais le problème, c’est le tapage qui fait du retour de ces derniers non pas une démarche individuelle et naturelle mais un succès et une nouvelle « preuve d’ouverture » du régime. Pour de multiples raisons, la France doit demeurer un partenaire privilégié de l’Algérie et de la région. Mais cette approche comporte une condition indispensable : un statut d’égal à égal et le respect mutuel des souverainetés. Nous en sommes loin. Notamment parce que le régime ne recherche auprès de l’extérieur en général et de la France en particulier qu’une légitimité et un soutien qu’il ne prend même plus la peine de solliciter auprès de son peuple. « (…). Les autorités, elles, ne s’y trompent pas. Elle savent que si la société est épuisée, exsangue après la guerre civile, si la détresse sociale amène chacun à chercher avant tout à survivre, si on assiste à un repli sur la sphère privée au détriment de l’action collective, si la course à l’argent devient un sport national, les émeutes récurrentes leur rappellent aussi que la situation est infiniment plus complexe et explosive. (…) Pour nous, Algériens, l’heure est venue de tirer ensemble les leçons de notre histoire, de nous écouter les uns les autres par-delà les différentes chapelles, de débattre de nos échecs pour rendre une actualité aux idéaux de Novembre et trouver les conditions de leur réalisation. C’est la seule garantie pour éviter une véritable bombe à retardement : la dislocation d’une majorité de la société exclue de toute retombée de la manne pétrolière et gazière. C’est l’unique voie pour soustraire le Maghreb à une instabilité permanente nourrie par l’absence de volonté réelle de réduire les tensions régionales qui empêchant tout processus d’intégration de nos pays. Il est décidément temps de procéder à la seule réconciliation qui vaille : celle d’Istiqlal et Houria ». (2)

Le FLN Canal historique a rempli sa mission

A bien des égards, la Révolution a sa place dans le Panthéon des Révolutions du XXe siècle. Il est indéniable que le peuple algérien a souffert pendant 132 ans, soit environ plus de 48 000 jours de malheur, de sang et de larmes que nous gardons encore dans notre ADN et qui expliquent dans une large mesure notre errance actuelle Dans un environnement avec une chape de plomb, une vingtaine de patriotes décidèrent du déclenchement de la révolution. Ce fut l’épopée que l’on racontera encore dans cent ans. En effet, au bout d’un processus de près de 2800 jours de bombardements, d’exécutions sommaires, de tueries sans nom, l’envahisseur fut chassé du pays. Le tribut payé fut lourd: des centaines de milliers d’Algériens morts, plusieurs milliers de combattants morts, des milliers de villages brûlés et plus de deux millions d’Algériens déplacés avec des traumatismes que l’on gère encore de nos jours.

Que reste-t-il du FLN fondateur? Nul doute qu’il a rempli avec gloire et honneur sa mission historique Avons-nous été fidèles au serment du Premier novembre? Cette question nous devons nous la poser chaque fois que nous devons contribuer à l’édification du pays par un autre djihad par ces temps incertains..Trois Algériens sur quatre sont nés après l’Indépendance. Ils n’ont qu’un lointain rapport avec l’Histoire de leur pays. En son temps, le défunt président Mohamed Boudiaf affirmait que, justement, la «mission du FLN s’est achevée le 3 juillet 1962» au lendemain de l’indépendance de l’Algérie. En réalité, beaucoup pensent qu’il est grand temps de remettre ces trois lettres, symboles du patrimoine historique national, au Panthéon de l’Histoire.

La Révolution tranquille du 22 février 2019

Un coup d’éclair que cette Révolution Tranquille du  22 février 2019. Révolution  qui a subjugué le monde par son élégance et son fair play aussi bien de la part du peuple que  des autorités qui en 36 vendredi et autant de mardi de manifestations, nous n’avons eu à déplorer aucun mort ,aucun blessé pas de casse. Mieux encore,  les jeunes ont eu l(intelligence d’organiser le service d’ordre et de faire le ménage après la manifestation qui a vu des centaines de milliers d’Algériennes et d’Algériens battre le pavé pour dire non à la gabegie du cinquième mandat . Dans le même ordre, ils voulaient se révolter contre l’ordre établi qui a vu  le pays sombrer graduellement dans le farniente trompeur de la paix sociale  avec les 1000 milliards de dollars  de la rente et  qui a fait d u peuple algérien  un peuples d’assistés .

En fait, l’Algérie de 2019, qu’est-ce que c’est? Un pays qui se cherche? Sûrement ! Qui n’a pas divorcé avec ses démons du régionalisme, vivant malgré ses efforts, sur une rente factice car elle n’est pas celle de l’effort, de la sueur, de la créativité. Qu’est-ce qu’être indépendant quand on dépend de l’étranger pour notre nourriture, notre transport, notre habillement, notre vie quotidienne? la situation mondiale est profondément dangereuse. Des alliances se nouent, se dénouent. Des pays disparaissent. Quoi qu’on dise, les regards sont braqués sur l’Algérie. Nous ne sommes pas à l’abri, nos frontières sont de plus en plus vulnérables.

Qui aurait pu prévoir il y a seulement neuf mois que le peuple algérien relève la tête et dise non au mandat de la honte aboutissement d’une double décennie de mépris et de hold up de la richesse du pays par une corruption érigée en une science exacte et une dilapidation de 1000 milliards de dollars pour en partie acheter la paix sociale pendant vingt ans en laissant le pays exsangue, les caisses vides et 13 millions d’Algériennes et d’Algériens en attente.

Ce qui est arrivé est exceptionnel. Le peuple algérien a montré sa vraie nature : un peuple uni, qui, dans les grandes occasions, se révolte comme un seul homme. Ce que j’appelle, moi, la «révolution tranquille» a suscité l’admiration plantaire. Il faut dire que de par le monde, les mouvements de foule finissent souvent mal, avec de la casse, des blessés et des pillages. Chose qui n’a absolument pas été le cas ici, et cela pendant 36 vendredis consécutifs. Des milliers de personnes marchent à travers le pays d’une façon des plus apaisées pour expliquer qu’elles aspirent à un mieux. C’est une véritable leçon adressée au monde C’est-à-dire que plus rien ne sera comme avant.

Le dialogue doit aboutir à une élection présidentielle sereine par des garanties de transparence et la satisfaction des préalables : le départ de tout ce qui rappelle l’ancien système et les gestes d’apaisement en direction des jeunes, car brandir un emblème n’est pas de mon point de vue un délit Celle également du commandant Lakhdar Bouregaâ. qui est notre dernier repère et dernier lien avec la glorieuse Révolution de Novembre L’institution militaire s’honorerait en faisant ce geste hautement symbolique.

Les défis du futur

Nous n’avons pas encore évalué à sa juste dimension, l’immensité de la tâche qui nous attend. Nous sommes une économie de rente. Nos finances sont dans le rouge et nous n’arrivons pas à mettre en place une transition énergétique. Notre plus grand combat sera, toutefois, la reforme de l’école. L’école a été notre plus grand échec. L’Éducation nationale est une machine à fabriquer des perdants de la vie, elle n’a pas été un ascenseur social. L’enseignement supérieur souffre des mêmes travers, là aussi il est important de le réhabiliter. Le vrai combat, c’est celui qui consiste à aller vers le savoir rationnel. Le prochain président sera le premier à le constater. Il y aura une conscience populaire pour le surveiller. C’est pour moi le plus grand acquis de cette révolution tranquille. Inventons un nouveau Premier Novembre mobilisateur à partir de cette révolution du 22 février 2019 qui puisse répondre aux défis du siècle concernant la sécurité alimentaire, le problème de l’eau, des changements climatiques et par-dessus tout le défi de l’énergie, et du système éducatif qui attend d’être reconstruit. Le nouveau langage n’est plus celui des armes, mais celui de la technologie, du Web2.0, des nanotechnologies, du génome, de la lutte contre le réchauffement climatique et des nouvelles sources d’énergie du futur.

«Une révolution de l’intelligence est certainement la solution. Seul le parler vrai permettra à l’Algérie de renouer avec ce nationalisme qui, contrairement, n’est pas passé de mode, c’est un puissant stimulant. La légitimité révolutionnaire a fait son temps et les chahids et les rares survivants nous les porterons toujours dans nos coeurs. Le moment est plus que venu pour la légitimité de la compétence, du neurone, celle capable de faire sortir l’Algérie des temps morts. C’est cela le 1er Novembre du XXIe siècle qui continuera par cette Révolution tranquille. Nous devons redéfinir ce que c’est qu’être algérien une notion qui doit dépasser l’ethnie ou la religion. Seule compte la fidélité à l’engagement et surtout ce qu’on apporte comme valeur ajoutée pour l’épanouissement du pays ; nous sommes toujours en attente d’un récit national qui donnera des racines pérennes aux jeunes pour leur permettre d’avoir des ailes et aller à la conquête.» (3)

Le Hirak sera un moyen de contrôle et de pression sur les autorités. Il continuera également à se manifester de telle façon à accompagner le futur chef de l’État dans ses réformes. Pour élaborer la Constitution : une République démocratique, l’alternance, la liberté d’expression et surtout du savoir où ce qui compte à partir de maintenant est uniquement la compétence en lieu et place de la légitimité historique afin de faire émerger une nouvelle société. Le prochain président devra être un meneur d’hommes, capable d’assumer ses responsabilités, au besoin qui serait prêt à démissionner si les réformes qu’il propose ne sont pas acceptées. Un chef qui en donnant l’exemple exigera des Algériens un rendement très important pour rattraper le temps perdu.

Un président capable de réduire le train de vie de l’État en allant vers la sobriété en tout. Il faut qu’il fasse de l’Algérie un pays développé, qui garde ses repères, mais qui est tourné vers l’avenir et qui est fasciné par la modernité. Nous avons besoin d’avoir des racines, mais il faut aussi avoir des ailes, donc former cette jeunesse. Ce qui comptera ce sera l’efficacité, la résilience et la capacité à anticiper l’avenir dans un monde, où on ne gère plus à la petite semaine avec des slogans du siècle dernier, à savoir que nous sommes des génies. Nous sommes un petit peuple ni meilleur ni pire, c’est à nous de grandir en faisant émerger les nouvelles légitimités du XXIe siècle, celles du neurone, du travail bien fait, de la sueur des nuits blanches pour qu’au bout du compte, on nous respectera pour notre valeur ajoutée à la civilisation universelle.

Il faut de ce fait bannir la démagogie et la langue de bois et là l’Algérie n’a pas besoin de remuer de foules, ou de haut-parleurs idéologiques. En fait, seul le parler vrai pourrait convaincre les jeunes, de plus, il faut donner l’exemple. À partir de ce moment, on a des chances d’être suivi. Enfin, j’insiste sur ce point qui est névralgique : notre prochain président devra inlassablement consolider par une politique intelligente le vivre ensemble non pas face à face, mais côte à côte. C’est pour moi une cause sacrée que celle de réconcilier les Algériennes et les Algériens entre eux. Nul doute qu’il n’y aura pas de place pour l’aventure. On arrivera alors à édifier cette nation dont Ernest Renan a pu dire, à juste titre que «c’était un héritage indivis et un plébiscite de tous les jours».

Professeur  Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

Notes :

1.Abdelhakim Méziani : Un Algérien nommé Ferhat Abbas.
http://lexpressiondz.com/chroniques/a-vrai-dire/un-algerien-nomme-ferhat-abbas-232640
2.Hocine Aït Ahmed : Le rêve brisé des Algériens Le Monde, 31 octobre 2004
3. http://www.lexpressiondz.com/chroniques /analyses_du_professeur _chitour/228650-plaidoyer-pour-une-nouvelle-mobilisation.html.
4.Chems Edine Chitour : Le 1er Novembre le peuple en armes. La Femme algérienne dans le récit national Editions Enag 2019

Artticle de référence https://www.lexpressiondz.com/chroniques/l-analyse-du-professeur-chitour/la-lutte-continue-316906 31-10-2019

 

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L’élection présidentielle en Argentine a opposé le peuple au néolibéralisme et le peuple a gagné. Ce qui se passera ensuite aura un impact énorme dans toute l’Amérique Latine et servira de modèle pour les diverses luttes du Sud Global.

L’élection présidentielle en Argentine change la donne et n’est rien de moins qu’une leçon graphique pour tout le Sud Global. Pour résumer, elle a opposé le peuple au néolibéralisme. Le peuple a gagné – avec le nouveau président Alberto Fernandez et l’ancienne présidente Cristina Fernández de Kirchner (CFK) comme vice-présidente.

Le néolibéralisme était représenté par Mauricio Macri : un produit marketing, ancien millionnaire playboy, président du club de football légendaire de Boca Juniors, fanatique des superstitions du New Age, et PDG obsédé par la réduction des dépenses, unanimement présenté par les médias occidentaux comme le nouveau paradigme d’un homme politique postmoderne et efficace.

Eh bien, le paradigme sera bientôt évacué, laissant derrière lui une terre en friche : 250 milliards de dollars de dette extérieure, moins de 50 milliards de dollars de réserves, une inflation de 55 %, un dollar US à plus de 60 pesos (une famille a besoin d’environ 500 dollars pour un mois de dépenses ; 35,4 % des foyers argentins ne les ont pas) et, aussi incroyable que cela puisse paraître dans un pays autosuffisant, une urgence alimentaire.

Macri, en fait le président de ce qu’on appelle l’Anti-Politique, Pas de Politique en Argentine, était un bébé du FMI, bénéficiant d’un « soutien » total (et d’un énorme prêt de 58 milliards de dollars). Les nouvelles lignes de crédit, pour le moment, sont suspendues. Fernandez va avoir beaucoup de mal à essayer de préserver sa souveraineté tout en négociant avec des créanciers étrangers, ou « vautours », comme les appellent les Argentins. Il va y avoir des vociférations à Wall Street et dans la City de Londres sur le « populisme ardent », la « panique des marchés », les « parias parmi les investisseurs internationaux ». Fernandez refuse de recourir à un défaut souverain qui ajouterait encore plus de douleur insupportable pour le peuple.

La bonne nouvelle, c’est que l’Argentine est maintenant le laboratoire progressiste ultime sur la façon de reconstruire une nation dévastée loin du cadre familier et prédominant : un État englué dans la dette, des élites rapaces et ignorantes, et des « efforts » pour équilibrer le budget toujours au détriment des intérêts des gens.

Ce qui se passera ensuite aura un impact énorme dans toute l’Amérique Latine, sans parler de servir de plan directeur pour les diverses luttes du Sud Global. Et puis il y a la question particulièrement explosive de l’influence que cela aura sur le Brésil voisin, qui, en l’état actuel des choses, est dévasté par un « capitaine » Bolsonaro encore plus toxique que Macri.

Montez dans cette Clio

Il a fallu moins de quatre ans à la barbarie néolibérale, mise en œuvre par Macri, pour pratiquement détruire l’Argentine. Pour la première fois de son histoire, l’Argentine connaît une famine de masse.

Dans ces élections, le rôle de l’ancienne présidente charismatique CFK a été essentiel. CFK a empêché la fragmentation du Péronisme et de tout l’arc progressiste, insistant toujours sur l’importance de l’unité dans la campagne.

Mais le phénomène le plus attrayant est l’émergence d’une superstar politique : Axel Kicillof, né en 1971 et ancien ministre de l’économie de CFK. Quand j’étais à Buenos Aires il y a deux mois, tout le monde parlait de Kicillof.

La province de Buenos Aires rassemble 40% de l’électorat argentin. Fernandez a battu Macri d’environ 8 % à l’échelle nationale. Dans la province de Buenos Aires cependant, les Macristes ont perdu par 16% d’écart – à cause de Kicillof.

La stratégie de campagne de Kicillof a été délicieusement décrite comme « Clio mata big data » (« La Clio tue le big data »), ce qui sonne bien quand elle est livrée avec un accent porteño. Il a parcouru littéralement tout le pays – 180 000 km en deux ans, visitant les 135 villes de la province – dans une humble Renault Clio 2008, accompagné seulement par son chef de campagne Carlos Bianco (le propriétaire de la Clio) et son attaché de presse Jesica Rey. Il a été dûment diabolisé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 par l’ensemble de l’appareil médiatique traditionnel.

Ce que Kicillof vendait, c’était l’antithèse absolue de Cambridge Analytica et Duran Barba – le gourou équatorien, junkie du big data, des réseaux sociaux et des groupes de discussion, qui a inventé Macri le politicien en premier lieu.

Kicillof a joué le rôle d’éducateur – traduisant le langage macroéconomique en prix au supermarché, et les décisions de la Banque centrale en solde de carte de crédit, le tout au profit de l’élaboration d’un programme gouvernemental viable. Il sera le gouverneur du noyau économique et financier de l’Argentine.

Fernandez, pour sa part, vise encore plus haut : un pacte social ambitieux, nouveau, national et social – syndicats, mouvements sociaux, hommes d’affaires, Église, associations populaires, visant à mettre en œuvre un programme proche du programme Faim Zéro lancé par Lula en 2003.

Dans son discours de victoire historique, Fernandez a crié : « Lula libre ! » La foule est devenue folle. Fernandez a dit qu’il se battrait avec tous ses pouvoirs pour la liberté de Lula ; il considère l’ancien président brésilien, affectueusement, comme un héros pop latino-américain. Lula et Evo Morales sont extrêmement populaires en Argentine.

Inévitablement, dans le Brésil voisin, premier partenaire commercial et membre du Mercosur, le néofasciste à deux balles se faisant passer pour le président, qui ignore les règles de la diplomatie, sans parler des bonnes manières, a déclaré qu’il n’enverrait aucun compliment à Fernandez. Il en va de même pour le ministère brésilien des Affaires étrangères, jadis une institution fière, mondialement respectée, aujourd’hui détruite de l’intérieur « dirigée » par un imbécile irrécupérable.

L’ancien ministre brésilien des Affaires étrangères Celso Amorim, un grand ami de Fernandez, craint que « des forces occultes ne le sabotent« . Amorim suggère un dialogue sérieux avec les Forces Armées, et un accent sur le développement d’un « nationalisme sain ». Comparons-le au Brésil, qui a régressé au statut de dictature militaire semi-déguisée, avec la possibilité inquiétante qu’un Patriot Act tropical soit approuvé au Congrès pour permettre essentiellement aux militaires « nationalistes » de criminaliser toute dissidence.

Empruntez la voie d’Ho Chi Minh

Au-delà de l’Argentine, l’Amérique du Sud combat la barbarie néolibérale dans son axe crucial, le Chili, tout en détruisant la possibilité d’une prise de pouvoir néolibérale irréversible en Équateur. Le Chili a été le modèle adopté par Macri, ainsi que par le ministre des Finances de Bolsonaro, Paulo Guedes, un Chicago boy fan de Pinochet. Dans un cas flagrant de régression historique, la destruction du Brésil est exploitée par un modèle aujourd’hui dénoncé au Chili comme un échec lamentable.

Pas de surprise, si l’on considère que le Brésil est le centre de l’inégalité. L’économiste irlandais Marc Morgan, disciple de Thomas Piketty, a montré dans un article de recherche publié en 2018 que le 1% Brésilien contrôle pas moins de 28 % de la richesse nationale, contre 20 % aux États-Unis et 11 % en France.

Ce qui nous amène inévitablement à l’avenir immédiat de Lula – toujours suspendu, et otage d’une Cour Suprême suprêmement déficiente. Même les hommes d’affaires conservateurs admettent que le seul remède possible à la reprise politique du Brésil – sans parler de la reconstruction d’un modèle économique centré sur la répartition des richesses – est représenté par « Lula Libre ».

Lorsque cela se produira, nous aurons enfin le Brésil et l’Argentine à la tête d’un vecteur clé du Sud Global vers un monde post-néolibéral et multipolaire.

Partout en Occident, les suspects habituels ont tenté d’imposer le récit que les manifestations de Barcelone à Santiago ont été inspirées par Hong Kong. C’est n’importe quoi. Hong Kong est une situation complexe, très spécifique, que j’ai analysée, par exemple ici, mélangeant la colère contre la non-représentation politique avec une image fantomatique de la Chine.

Chacune des crises – Catalogne, Liban, Irak, Gilets Jaunes depuis près d’un an maintenant – est due à des raisons bien précises. Les Libanais et les Irakiens ne ciblent pas spécifiquement le néolibéralisme, mais ils visent un sous-ensemble crucial : la corruption politique.

Les manifestations sont de retour en Irak, y compris dans les zones à majorité chiite. La constitution irakienne de 2005 est similaire à celle du Liban, adoptée en 1943 : le pouvoir est réparti selon la religion et non selon la politique. C’est un truc de colonisateur français – pour garder le Liban toujours dépendant, et reproduit par les Exceptionnalistes en Irak. Indirectement, les protestations sont aussi contre cette dépendance.

Les Gilets Jaunes visent essentiellement la volonté du président Emmanuel Macron de mettre en œuvre le néolibéralisme en France – d’où la diabolisation du mouvement par les médias hégémoniques. Mais c’est en Amérique du Sud que les protestations vont droit au but : c’est l’économie, imbécile. On est étranglé et on ne le supportera plus. Une grande leçon peut être tirée en prêtant attention au vice-président bolivien Alvaro Garcia Linera.

Bien que Slavoj Zizek et Chantal Mouffe puissent rêver de populisme de gauche, il n’y a aucun signe de colère progressive s’organisant à travers l’Europe, à part les Gilets Jaunes. Le Portugal est peut-être un cas très intéressant à suivre, mais pas nécessairement progressiste.

Faire une digression sur le « populisme » est absurde. Ce qui se passe, c’est que l’âge de la colère explose dans des geysers en série qui ne peuvent tout simplement pas être contenus par les mêmes formes anciennes, fatiguées et corrompues de représentation politique permises par cette fiction, la démocratie libérale occidentale.

Zizek a parlé d’une tâche « léniniste » difficile – comment organiser toutes ces éruptions en un « mouvement coordonné à grande échelle ». Ça n’arrivera pas de sitôt. Mais, en fin de compte, ça finira par arriver. Dans l’état actuel des choses, faites attention à Linera, faites attention à Kiciloff, qu’un ensemble de stratégies insidieuses, rhizomatiques et souterraines s’entremêlent. Longue vie à la voie post-néolibérale d’Ho Chi Minh.

Pepe Escobar

Image en vedette : Les partisans d’Alberto Fernandez célébrant sa victoire présidentielle en Argentine. (Capture d’écran de Youtube).

Article original en anglais : 

South America, Again, Leads Fight Against Neoliberalism

Cet article a été publié en anglais initialement par Consortiumnews, le 29 octobre 2019.

Traduction par Réseau International

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Alors que la conversation téléphonique de Trump avec Erdogan a ouvert la voie à une sortie étasunienne de la Syrie (nord) et aux incursions ultérieures de la Turquie en Syrie contre les milices kurdes, les retombées mêmes de l’opération turque en Syrie ont conduit à des événements qui semblent être au centre des efforts déployés par les États-Unis pour « apaiser » la Turquie de manière à non seulement réparer les politiques US antérieures, mais aussi à placer délibérément les relations entre la Turquie et la Russie dans une position difficile afin de créer un conflit d’intérêts entre les deux nations en Syrie – ce que les États-Unis espèrent utiliser à leur avantage pour réorganiser leur position de faiblesse en Syrie ainsi que dans le paysage géopolitique plus vaste du Moyen-Orient. C’était précisément le but de la récente visite de Mike Pence en Turquie et de l’engagement des États-Unis à créer une « zone de sécurité » sous contrôle militaire turc en Syrie – une exigence turque de longue date qui va à l’encontre de leurs engagements en matière de protection et de respect de l’intégrité territoriale du pays.

En réduisant ainsi l’appétit maximaliste de la Turquie pour une « zone de sécurité » s’étendant sur l’ensemble des 440 kilomètres – presque la taille de la Grèce – de la frontière syrienne à la frontière irakienne, les États-Unis ont semé le conflit d’intérêts entre les acteurs qui veulent réunifier la Syrie sous commandement et contrôle syrien le plus rapidement possible et ceux qui cherchent à la partager pour casser « l’Axe de la Résistance ».

Alors que la déclaration conjointe étasuno-turque publiée à l’issue de la visite de Pence affirme que « les deux parties aient convenues de l’importance et de la fonctionnalité d’une zone de sécurité afin de répondre aux préoccupations de sécurité nationale de la Turquie » et que « la zone de sécurité sera principalement imposée par les forces armées turques et les deux parties renforceront leur coopération dans toutes les dimensions de sa mise en œuvre« , indiquant l’intention des États-Unis de rester impliqués en Syrie par le biais d’une présence militaire turque gérée conjointement, Bachar al-Assad a été clair lors de sa rencontre avec une délégation russe de haut niveau sur la nécessité de débarrasser la Syrie de « toutes les forces turques, US et autres présentes illégalement sur les territoires syriens« . De toute évidence, il est peu probable que les autorités syriennes et russes autorisent une présence militaire turque à durée indéterminée en Syrie, déployée dans l’intention de contrecarrer leur tentative de rétablir le contrôle syrien sur tout le territoire.

Mais les responsables US, concentrés sur leur intention de sevrer la Turquie de la Russie, ont l’intention d’utiliser la politique de la « zone de sécurité » pour créer un clivage entre la Turquie et la Russie. Ainsi, si les États-Unis ont aiguisé l’appétit de la Turquie pour une grande « zone de sécurité », ils ont laissé aux Russes et aux Syriens le soin d’accepter la création d’une telle zone. En d’autres termes, si les États-Unis ne s’opposent pas, comme le montre l’accord Pence-Erdogan, à la création d’une grande zone de sécurité en Syrie, il appartient aux Turcs de convaincre les Russes et les Syriens d’accepter de créer cette zone. Les Syriens, bien sûr, veulent débarrasser leur pays de toutes les forces présentes illégalement, sans permettre aux Turcs une présence militaire illimitée et à long terme.

Erdogan se tourne donc vers le Russe Poutine pour que le projet maximaliste turque en Syrie se concrétise le plus rapidement possible. Le 19 octobre, Erdogan a déclaré qu’après avoir eu des entretiens avec le président Trump, il se concentrera sur ses entretiens avec le président Poutine. Pour le citer : « Dans la zone de l’opération [se référant à la ville de Kobani] se trouvent des forces du régime [du président syrien Bachar al-Assad] sous la protection de la Russie. Nous aborderons la question avec M. Poutine« , ajoutant en outre que dans le sillage d’une situation de non-accord avec la Russie en ce qui concerne certaines régions syriennes, « la Turquie mettra en œuvre ses propres plans« .

Et, quels que soient les plans, il est évident que les États-Unis auront un rôle important à jouer dans la conception et l’exécution de ces plans en ce qui concerne non seulement la Syrie, mais aussi l’ensemble du Moyen-Orient.

La Turquie anticipe déjà un retour au programme des F-35, et avec l’assurance des États-Unis sur le contrôle militaire turc de la « zone de sécurité », les ambitions régionales de la Turquie ont une fois de plus envahi Ankara et les rêves néo-ottomans d’Erdogan pourraient se réaliser.

Étant donné la position des États-Unis dans la région, offrir un peu d’aide à la Turquie pour qu’elle agisse en tant que « puissance régionale » servirait de nombreux objectifs, notamment celui de limiter l’influence de la Russie dans la région et de contrer celle de l’Iran tant en Syrie qu’en Irak. C’est précisément pour cette raison que les États-Unis ont, en premier lieu, décidé d’abandonner les Kurdes et ont conclu un accord avec Ankara pour non seulement repousser le YPG mais aussi les désarmer.

Avec les forces syriennes désormais fermement présentes dans la ville stratégiquement importante de Kobani, qui se situe entre une enclave contrôlée par la Turquie plus à l’ouest et des zones plus petites à l’est que la Turquie a saisies la semaine dernière, et une détermination syrienne à chasser les forces turques de Syrie, les tensions vont probablement monter – un scénario qui convient très bien aux États-Unis car il leur permettra de continuer à tendre la main à la deuxième plus grande armée de l’OTAN afin de rester engagé dans la fin du match syrien et d’exercer son influence dans ses efforts de redistribution territoriale de facto en « zones » d’influence.

Salman Rafi Sheikh

 

Article original en anglais : How the US is Trying to Play Turkey against Russia in Syria

Traduction par Réseau International

Le « partenariat tous azimuts » noué entre la Russie et l’Inde modifie l’équilibre des pouvoirs en Eurasie en défaveur de la Chine : Moscou ouvre ses portes à New Delhi en Arctique, en Asie du Nord-Est et en Asie centrale.

Récemment, la Russie a pris position en faveur de l’Inde au Cachemire, étayant la « théorie de l’hameçon » qui explique le rapprochement russo-pakistanais observé depuis peu. C’est également la première fois, depuis la fin de la Guerre Froide, que la Russie contredit la Chine sur un sujet international d’importance. Récemment, l’ambassadeur d’Inde en Russie a proclamé que les deux grandes puissances constituaient des « partenaires tous azimuts », et à bien examiner les tenants et aboutissants et le potentiel géostratégique de leurs liens bilatéraux, on comprend qu’il pourrait s’agir de plus qu’une simple hyperbole. Si l’on considère que la Russie s’est rangée du côté de l’Inde sur le sujet du Cachemire, « équilibrant » ainsi diplomatiquement la Chine, on ne peut exclure que l’expansion du partenariat stratégique russo-indien à l’échelle eurasienne puisse également servir à « équilibrer » politiquement et économiquement le poids de la République Populaire de Chine sur le supercontinent.

Pour commencer, la haute stratégie de la Russie pour le XXIème siècle s’auto-envisage comme levier d’« équilibrage » suprême en Eurasie, du fait de ses capacités géographiques et diplomatiques. De quoi permettre à Moscou d’ajuster l’équilibre des pouvoirs (dans le cas présent, entre les camarades des BRICS et les membres de l’OCS, la Chine et l’Inde) dans la direction la plus avantageuse à ses intérêts propres : ce positionnement accorde à la Russie un statut indispensable dans la nouvelle guerre froide. La Russie s’était assez récemment tournée vers la Chine en 2014, suite au coup d’État soutenu par l’Occident en Ukraine. Suite à ces événements, et aux sanctions anti-russes imposées par l’Occident, Moscou s’était empressée de compenser ses pertes économiques en nouant des liens tous azimuts avec Pékin. À présent, les relations russo-chinoises connaissent un point haut historique, sans pour autant être parfaites ni même approcher, lorsqu’on regarde au-delà des ventes d’armements et de matières premières, leur plein potentiel économique.

De nombreuses raisons sous-tendent cet état de faits, et les préoccupations de l’élite économique intérieure russe (les « oligarques »), craignant de se voir en fin de compte « remplacés » en font partie. Cependant, il en résulte que des États de dimensions beaucoup plus petites, comme le Sri Lanka, ont pu se voir intégrés dans le projet des Nouvelles Routes de la Soie, au cours des cinq dernières années. La Russie et la Chine apprécient l’existence de nombreuses complémentarités stratégiques, mais des préoccupations existent de toute évidence au Kremlin face à un possible état de dépendance envers le grand voisin communiste : c’est pour cela que les relations avec l’Inde sont reparties à la hausse, par suite de la rencontre entre Modi et Poutine au Forum Économique de l’Est tenu à Vladivostok. Il ne s’agit pas pour la Russie de « se détourner » de la Chine, ou de s’essayer à la « contenir » agressivement, à l’image de que prône la stratégie « indo-pacifique » étasunienne. Moscou envisage des bénéfices à long terme à faciliter la montée de New Delhi en Eurasie, et ce tout particulièrement dans les zones périphériques à la Chine.

Le « retour en Asie du Sud«  de la Russie implique un renforcement des capacités militaires de l’Inde le long du flanc Sud de la Chine, réalisé via des exportations de systèmes aériens, navals, et anti-aériens. Même si l’ampleur du partenariat entre Inde et Russie s’arrêtait là, on pourrait difficilement nier que ce partenariat constitue un « équilibrage » : Moscou vend certains systèmes militaires du même type à Pékin, comme les S-400. Mais le partenariat russo-indien va bien au-delà de ces aspects de défense, nous allons y revenir. Partant, du point de vue chinois, du vecteur le plus au Nord, et suivant le sens des aiguilles d’une montre jusqu’à l’Ouest, la Russie vient d’inviter l’Inde à investir dans l’extraction de ses ressources énergétiques et minières en Arctique ; cela peut apparaître comme un point mineur, mais n’en amènera pas moins à une présence indienne accrue dans la région. Ce point en soi n’est pas sujet à préoccupations, sauf si l’Inde l’instrumentalise à des fins militaires et se met plus tard à dépêcher des navires de guerre sur la zone pour y faire « escale », ce qui ferait transiter ces navires par la Mer de Chine.

La Russie et l’Inde s’emploient à négocier un pacte logistique militaire semblable au LEMOA (Logistics Exchange Memorandum of Agreement), qui permettra à chacune d’entre elles de s’appuyer sur les infrastructures militaires de l’autre, au cas par cas : cela pourrait également permettre à New Delhi de maintenir une présence militaire semi-permanente ou tournante en Arctique et en Asie du Nord-Est (à Vladivostok). En commençant sans doute sous couvert de protéger ses investissements en extractions de ressources en mer, et de maintenir la « liberté de navigation » du couloir maritime Vladivostok-Chennai (qui finira par s’étendre jusque l’Arctique), l’enjeu est de voir l’activité navale indienne se mettre à traverser de manière régulière le Sud de la Mer de Chine, ce qui constituera un nouveau précédent — du point de vue de la Russie, il s’agira d’une simple contrepartie/« équilibrage » des activités navales chinoises déjà existantes dans l’océan afro-asiatique dit « Indien ».

L’annonce a également été faite que la Russie et l’Inde vont commencer à commercialiser leurs missiles supersoniques Brahmos — qu’elles produisent conjointement—, à d’autres pays, et il est fort possible que le Vietnam soit l’un des premiers clients. Ce pays d’Asie du Sud-Est est impliqué dans un différend maritime bien connu avec la Chine en Mer de Chine du Sud, et le déploiement de missiles Brahmos par sa marine de guerre pourrait changer la donne au niveau régional. Chose peu connue, une filiale de la compagnie d’État russe Rosneft extrait du pétrole dans les eaux contrôlées par le Vietnam, à proximité de la limite Sud-Ouest de la ligne à neuf points chinoise. Moscou a donc un intérêt économique à « équilibrer » Pékin sur cette zone, afin d’y défendre ses investissements. Dans l’hypothèse où le couloir maritime Vladivostok-Chennai deviendrait actif, il est probable que les partenaires vietnamiens que sont la Russie et l’Inde s’intégreront à ce réseau commercial en développement, pourquoi pas en l’intégrant lui-même au « Couloir de Croissance Afrique-Asie » indo-japonais [“Asia-Africa Growth Corridor” (AAGC), NdT].

Le composant maritime du partenariat stratégique russo-indien dans son ensemble — qu’il s’agisse des plate-formes arctiques d’extraction d’énergie, des exercices navals conjoints dans le grand Est, ou des intérêts militaro-stratégiques au Vietnam — pourraient contribuer fortement à une intégration de-facto de la Russie à l’AAGC. Cette possibilité sera d’autant plus concrète si Moscou et Tokyo finissent par signer un traité de paix attendu de longue date, mettant fin à la seconde guerre mondiale (pourquoi pas avec l’Inde comme intermédiaire facilitateur), réglant le statut des îles Kouriles une bonne fois pour toutes. Ce serait également chose assez naturelle que les relations russo-indiennes fassent des petits, et intègrent d’autres partenariats, avec le Japon notamment, si New Delhi commence à étendre sa présence dans les régions arctiques russes et du grand Est, surtout si les motivations à ces partenariats sont (au moins à la surface) économiques. Ici encore la participation possible de la Russie à l’AAGC ne contredirait pas l’objectif énoncé par Poutine d’intégrer l’union économique eurasienne avec les Nouvelles Routes de la Soie. Cependant, le rythme de cette intégration pourrait se voir ralenti, si des compétiteurs chinois ont de meilleures affaires à proposer.

Le dernier théâtre où la Russie est vouée à « équilibrer » la Chine est une ouverture à l’Inde en Asie centrale. La Russie a récemment fait part de son intérêt renouvelé envers le port iranien de Tchabahar, contrôlé par l’Inde, du fait de l’importance de ce dernier comme terminal pour le Couloir de Transport Nord-Sud [North-South Transport Corridor (NSTC), NdT]. Le rayonnement de ce projet à l’Est devrait faire croître l’influence de l’Inde en Afghanistan et en Asie Centrale, zones où la Chine gardait jusqu’ici les mains libres. La Russie est préoccupée à l’idée de ne pas pouvoir accéder à l’Afghanistan une fois la guerre terminée, et de rester écartée de l’Asie Centrale du fait de l’influence économique chinoise dominante. Elle compte donc sur l’introduction de l’Inde comme facteur d’« équilibrage » : l’introduction d’une compétition permettrait à Moscou d’« améliorer ses chances ». En outre, l’Inde reste, contrairement à la Chine, géographiquement éloignée de l’Asie Centrale, si bien qu’une expansion de l’influence économique indienne dans cette région n’est pas de nature à jamais menacer réellement les intérêts russes.

Pour en revenir à une vision plus large, la Russie dispose de motivations économiques et stratégiques claires pour faciliter l’expansion de l’influence indienne dans toute l’Eurasie, afin d’« équilibrer » la Chine. Cela n’exclut aucun développement dans la coopération entre la Russie et la Chine ; au contraire, cela pourrait de fait renforcer le caractère géographique indispensable de la Russie en la mettant en avant aux yeux des deux grandes puissances asiatiques, et donc en jouant sur la compétition entre elles aux fins de maximiser ses bénéfices. La Russie présente des liens durables avec l’Inde comme avec la Chine, et bien que ces liens soient mutuellement contradictoires aux yeux des deux grandes puissances asiatiques, Moscou parie sur l’idée qu’elle pourra jouer de cette dynamique de concurrence entre elles pour rester courtisée au cours du XXIème siècle, et en profiter pour développer les régions de Russie éloignées de la capitale. Sans minimiser les risques induits par une telle stratégie (il en existe de nombreux), l’ensemble de ces éléments éclaire le contexte élargi dans lequel évoluent, dans une vision à long terme, les liens russo-indiens ayant fait l’objet de développements récents.

Andrew Korybko

 

Article original en anglais : The Russo-Indian Partnership & the Changing Balance of Power in Eurasia, Pakistan Politico, le 17 octobre 2019.

Traduit par José Martí, relu par San pour le Saker Francophone

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Mardi soir, les députés ont voté en faveur de la tenue d’élections générales qui risquent d’être les plus explosives de l’histoire britannique d’après-guerre.

Les députés ont voté par 438 voix contre 20 en faveur d’une élection prévue pour le 12 décembre. Cette élection sera la première à avoir lieu en décembre depuis 1923. Le premier ministre conservateur Boris Johnson a obtenu le soutien des députés après avoir présenté un projet de loi appelant à une élection à cette date. Après avoir été débattu pendant six heures mardi soir, le projet de loi a été envoyé à la Chambre des Lords où il devait être adopté hier soir et puis obtiendra la sanction royale. Le Parlement sera dissous la semaine prochaine.

Johnson n’avait pas réussi lundi soir à obtenir suffisamment de soutien pour organiser des élections générales en décembre dans le cadre de la Loi sur les Parlements à durée déterminée (FTPA), qui exigeait l’assentiment des deux tiers des députés (434). Le projet de loi voté mardi – court-circuitant la FTPA – exigeait seulement une majorité simple.

Johnson savait qu’il pourrait remporter la majorité puisque le Parti national écossais anti-Brexit (SNP) et les Libéraux-démocrates avaient accepté dimanche de soutenir une élection générale en décembre. Mardi matin, le Parti travailliste, dirigé par Jeremy Corbyn, nominalement de «gauche», et seul parti majeur qui s’opposait à une élection jusque là, a déclaré qu’il voterait pour.

Pour tenter de priver Johnson du temps parlementaire restant pour organiser quand même un Brexit sans accord – car les députés n’ont toujours pas adopté l’accord qu’il avait conclu avec l’UE plus tôt ce mois-ci – et pour obtenir davantage de voix aux prochaines élections, les partis d’opposition ont proposé des amendements au projet de loi de Johnson. L’un d’entre eux, de Corbyn, visait à changer la date d’une élection du 12 au 9 décembre. Un autre consistait à accorder aux 3,4 millions de ressortissants de l’UE le droit de vote lors de l’ élection et un autre à donner le droit de vote aux jeunes de 16 et 17 ans.

Au cours de la journée, le gouvernement a déclaré que si l’un de ces amendements était adopté, il enterrerait tout le projet de loi du Brexit, menaçant les partis d’opposition qu’un Brexit sans accord serait la seule voie que Johnson prendrait pour sortir de l’UE. Mais le seul amendement retenu par le vice-président de la Chambre était celui de Corbyn. Il a été rejeté à une majorité de 20 voix (315 voix contre 295).

Derrière leur crânerie, les principaux partis politiques ont tous des inquiétudes quant aux élections. Beth Rigby, correspondante de Sky News, a dit mardi qu’il était «important de noter l’imprévisibilité des élections, car sur les trois dernières élections, deux se sont soldées par un Parlement sans majorité – en 2010, le conservateur David Cameron a dû faire une alliance avec les Libéraux-démocrates et en 2017 Theresa May dépendait des voix des députés du DUP [parti unioniste de droite d’Irlande du Nord] ».

Une étude électorale avait trouvé que l’instabilité des électeurs était la plus forte des temps modernes, a-t-elle ajouté, 49 pour cent des votants ayant changé de camp à la dernière élection. «Ensuite, lorsque vous ajoutez cette instabilité à une élection où le Parti du Brexit [nationaliste] tentera de grignoter le vote des conservateurs pour les sièges disputés, où le vote pro UE peut être divisé entre le Parti travailliste et les Libéraux-démocrates, le Parti national écossais (SNP) et potentiellement même les Verts, cela est tellement, tellement imprévisible. »

Johnson calcule qu’il peut l’emporter en mettant au centre de sa campagne le message qu’il est le seul à pouvoir achever la politique du Brexit et à réaliser la « volonté du peuple » qui a voté en faveur de la sortie de l’UE au référendum de 2016. Il est enhardi par la position du Brexit Party, qui a indiqué qu’il ne s’opposerait pas aux candidats conservateurs pour les sièges disputés, mais chercherait à battre les candidats travaillistes dans le nord de l’ Angleterre où les électeurs avaient voté massivement pour le Brexit en 2016.

Les Libéraux-démocrates cherchent à augmenter le nombre de leurs 19 députés actuels en récoltant les voix anti-Brexit. L’autre principal calcul de Johnson est donc que les Libéraux-démocrates remporteront des voix aux dépens du Labour dans les circonscriptions électorales en faveur du maintien dans l’UE.

Le Parti national écossais (SNP) est la principale force politique en Écosse. Quelle que soit le changement de la carte politique dans le reste du Royaume-Uni, le SNP cherchera à œuvrer dans une coalition visant à stopper le Brexit et utilisera l’élection comme argument en faveur de l’indépendance de l’Écosse.

Les élections seront dominées par la crise politique qui sévit dans le Parti travailliste. On dit une fois de plus à la classe ouvrière que Corbyn est la seule alternative progressiste à un gouvernement Johnson. Selon certaines informations, la conseillère proche de Corbyn Karie Murphy n’a même pas dressé la liste des sièges âprement disputés pour lesquels le Labour devait batailler, insistant pour dire que tout sera centré sur les réunions organisées par Corbyn à l’échelle nationale pour que son «message» l’emporte.

En tant que politicien d’une élite dirigeante qui a présidé à des niveaux d’inégalité sociale sans précédent, Johnson est largement détesté par des millions de travailleurs. Il ne peut être exclu, malgré le rôle joué pendant des années par Corbyn en soutien aux conservateurs, que le dirigeant travailliste bénéficie donc d’un sentiment anti-conservateur généralisé.

Cependant, une percée des travaillistes est loin d’être certaine, notamment parce que Corbyn est à la tête d’un parti qui reste en état de guerre interne malgré son apaisement constant de ses députés de droite. Un nombre important de ces députés ‘blairistes’, qui constituent la majorité du Parti travailliste parlementaire, s’opposent à la tenue d’élections générales depuis des mois et encore plus s’opposent à ce que Corbyn soit jamais premier ministre.

Mardi, l’un de ces blairistes a déclaré au Daily Mail pro-conservateur après que Corbyn eut apporté son soutien à des élections générales: « Ces putains de fous. Ils pensent être au seuil d’une nouvelle et splendide aube socialiste ».

Il a ajouté que la décision de Corbyn de soutenir une élection était « une preuve que le parti est suicidaire » et a prédit qu’il y aurait une « énorme » révolte dans le parti contre Corbyn.

La droite travailliste a passé des mois à comploter sur la façon de contourner Corbyn pour créer un gouvernement d’union nationale avec des conservateurs pro UE, des blairistes, des Libéraux-démocrates et le SNP, dirigé par des personnalités pro-UE de confiance, comme le conservateur Ken Clarke ou Harriet Harman, ou Margaret Beckett du Labour.

L’ampleur de cette révolte s’est clairement montrée lors du vote sur la tenue d’élections générales où 117 députés travaillistes se sont abstenus ou ont voté contre le projet de loi de Johnson, soit 10 de moins que ceux qui ont voté avec Corbyn.

Les blairistes ont insisté pour dire que tout échec d’un «rebond de Corbyn» pour remporter une élection doit se solder par sa destitution en tant que chef du parti – une position déjà acceptée par son allié, le ministre fantôme des finances, John McDonnell.

Plus fondamentalement, Corbyn ne propose aucune alternative à la classe ouvrière, de même que tous les autres partis capitalistes. Il ne propose aucun programme qui aborde les problèmes fondamentaux auxquels la classe ouvrière est confrontée, notamment l’aggravation de l’austérité, de la pauvreté et du dénuement social.

Son programme ne propose aucune voie pour lutter contre la montée du militarisme dans des conditions où la Grande-Bretagne est entraînée dans un maelström de luttes inter-impérialistes de «grandes puissances» qui menacent de jeter le monde dans une troisième guerre mondiale et dans la barbarie.

Même si le Labour l’emporte, cela n’apportera rien à la classe ouvrière. Comme il a été démontré ces quatre dernières années, chaque acte de Corbyn, y compris la formulation du programme, est adapté aux exigences de son aile droite ‘blairiste’ parce que celle-ci est la courroie de transmission des diktats de la grande entreprise et de la City de Londres.

Robert Stevens

 

 

Article paru en anglais, WSWS, le 30 octobre 2019)

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Deux semaines avant les élections législatives espagnoles du 10 novembre, des centaines de milliers de personnes ont manifesté samedi après-midi à Barcelone pour protester de nouveau contre le procès-spectacle et la condamnation de neuf hommes politiques et militants catalans à des peines de neuf à treize ans d’emprisonnement.

Selon la police, 350.000 personnes ont rejoint le rassemblement appelé par les organisations pro sécessionnistes Òmnium Cultural et Assemblée nationale catalane, soutenues par les partis sécessionnistes catalans Ensemble pour la Catalogne (JxCAT), Gauche catalane républicaine (ERC) et candidatures de l’unité populaire (CUP). Le décompte était probablement une sous-estimation par la police du gouvernement intérimaire du Parti socialiste espagnol (PSOE). La participation était semblable à une mobilisation d’il y a deux ans que la police à l’époque avait chiffrée à 750.000 personnes.

Les manifestants ont défilé sous le slogan «Liberté!» contre la répression des précédentes manifestations de la police nationale espagnole et de la police régionale catalane, appuyée par l’ensemble de l’establishment politique, du parti Citoyens, au Parti populaire (PP) en passant par le parti de la pseudo-gauche Podemos. Depuis le verdict, dont les condamnations draconiennes à l’encontre de nationalistes catalans pour avoir exercé des activités politiques pacifiques menacent les droits démocratiques fondamentaux, des dizaines de milliers de personnes ont défilé chaque jour. Jusqu’à présent, plus de 2000 manifestations ont eu lieu au cours des deux semaines qui ont suivi le verdict.

Les affrontements ont fait plus de 700 blessés, 200 manifestants arrêtés, dont 31 incarcérés sans bénéficier de liberté sous caution, et quatre manifestants ont été éborgnés suite à des balles en caoutchouc tirées par la police.

Ce samedi soir s’est terminé par de violents affrontements avec la police. Après la manifestation, les comités sécessionnistes pour la défense de la République ont convoqué une manifestation près du siège de la police de Barcelone, qui a rassemblé plus de 10.000 personnes. Alors qu’ils défilaient, des centaines de policiers en tenue anti-émeute sont intervenus. Les tensions ont éclaté lorsque la police régionale catalane, les Mossos d’Esquadra, a conduit de manière provocatrice 5 camionnettes anti-émeute au milieu de la foule. Cela a déclenché des affrontements qui ont fait plus de 46 blessés.

S’adressant à La Vanguardia, le nationaliste catalan Miquel Buch, ministre catalan de l’Intérieur, qui dirige les Mossos, a défendu la violence perpétrée contre les manifestants. Décrivant la répression des manifestants par les Mossos avec la police nationale dirigée par le PSOE comme du patriotisme catalan, Buch a déclaré qu’il «ne permettrait pas à [Madrid] de prendre le contrôle des Mossos» en invoquant la loi sur la sécurité nationale. Il a ajouté que «les efforts pour maintenir l’ordre public dérangent beaucoup de gens, mais avoir l’autonomie gouvernementale signifie être prêt à assumer la responsabilité politique de la police.»

Des centaines de milliers de personnes ont manifesté deux fois en un peu plus d’une semaine. Il y a à peine neuf jours, plus d’un demi-million de personnes ont défilé dans Barcelone tandis que des grèves dans plusieurs industries ont paralysé la Catalogne.

Un mouvement de jeunes et de travailleurs se développe contre l’état policier en gestation en Espagne et à travers l’Europe. Selon de nombreuses indications et analyses, ces manifestations attirent de plus en plus de manifestants hostiles au sécessionnisme mais principalement enragés par l’austérité de Madrid et les atteintes aux droits démocratiques.

Manuel Castells, universitaire, a écrit samedi dans La Vanguardia : «Barcelone brûle. Mais aussi Santiago au Chili. Et à Hong Kong. Et Quito. Et jusqu’à récemment Paris. […] Les causes sont diverses, mais les réactions et la transition du mouvement pacifique vers l’affrontement avec l’ordre établi sont très similaires.» Castells a déclaré que «la chose commune» est que «l’État a serré les rangs et a réagi en utilisant la police anti-émeute et l’armée.»

Le procès-spectacle des nationalistes catalans, a-t-il écrit, «a scandalisé une majorité de la population catalane, y compris ceux qui ne sont pas sécessionnistes». Il a conclu en mettant en garde contre «la frustration politique de toute une génération qui se sent trahie non seulement par l’État Espagnol mais aussi par les dirigeants sécessionnistes.»

Même le quotidien pro-PSOE El País, farouchement hostile aux manifestations en Catalogne et ayant défendu la répression féroce des manifestations comme une question d ’«ordre public», a dû admettre que les jeunes se heurtant à la police «avaient été mobilisés par le verdict, mais leurs raisons vont au-delà du séparatisme.» Il a interrogé cinq jeunes manifestants, qui ont tous dénoncé l’escalade des attaques contre les droits démocratiques, la répression d’État policier, leurs emplois précaires et leurs conditions sociales.

Alors que cette opposition montante se dresse également contre les nationalistes catalans, les syndicats s’emploient à isoler les manifestations. La semaine dernière, les deux plus grands syndicats espagnols, l’Union générale du travail social-démocrate (UGT) et les Commissions staliniennes des travailleurs (CCOO), ont refusé de se joindre à la manifestation ; l’UGT catalan avait invité ses membres à défiler mais n’y participait pas officiellement en tant qu’organisation.

Dimanche, l’organisation de la Société civile catalane (SCC) anti-sécessionniste de droite a organisé une manifestation de protestation contre le nationalisme catalan. Elle n’a rassemblé que 80.000 manifestants, selon la police.

Les ministres gouvernementaux du PSOE qui ont participé à la manifestation de la SCC, avec la bénédiction totale des médias basés à Madrid, ont défilé aux côtés des dirigeants du PP, des Citoyens et du parti d’extrême droite VOX. Alors qu’ils marchaient devant le siège de la police sur la Via Laitena à Barcelone, les manifestants ont salué et remercié la police.

Il y a deux ans, la SCC a pu rassembler 450.000 manifestants en raison de la frustration massive des travailleurs face à l’agitation sécessionniste des nationalistes catalans. Cette année, cependant, sa marche n’a pas réussi à recueillir le même soutien à la répression policière et à l’emprisonnement de prisonniers politiques. C’est une autre indication claire que des couches de la population hostiles au nationalisme catalan et opposées à la création d’un mini-État capitaliste catalan pro-OTAN refusent désormais de soutenir le PSOE.

La décision du PSOE social-démocrate de marcher aux côtés du parti fasciste VOX est un avertissement. C’est une autre confirmation que, face à une recrudescence mondiale de la lutte de classe, toute la classe dirigeante s’oriente vers le fascisme. Comme le WSWS l’avait prévenu, des forces puissantes au sein de la classe dirigeante ont exploité le référendum sur l’indépendance de 2017 en Catalogne, celle-ci en lui-même fut une manœuvre des partis nationalistes catalans pro-austérité pour diviser la classe ouvrière et rechercher de meilleures conditions pour leurs relations financières avec Madrid et l’UE, pour pousser la politique officielle très à droite.

Le PSOE a été à la tête de cette campagne, tout d’abord en soutenant le gouvernement minoritaire du PP dans sa répression du référendum catalan en 2017. Hissé au pouvoir l’an dernier par une manœuvre parlementaire de Podemos, le PSOE a poursuivi l’austérité et la politique militariste du PP, tout en supervisant le procès-spectacle des nationalistes catalans et en promouvant le chauvinisme espagnol. Cette année, le PSOE a intensifié la répression en arrêtant des militants catalans sur des accusations frauduleuses de terrorisme et en envoyant des milliers de policiers en Catalogne dans le but de réprimer la résistance à son verdict réactionnaire.

Si le PSOE peut procéder à la répression sans être mise en cause, c’est avant tout à cause du rôle réactionnaire de Podemos. Son secrétaire général, Pablo Iglesias, a promis sa loyauté au PSOE et a appelé la population à accepter le verdict du procès-spectacle catalan.

Lundi, Pablo Echenique, secrétaire chargé de l’organisation de Podemos, a déclaré cyniquement que «Podemos est le parti qui maintient la cohérence dans cette campagne». Il a exhorté le Premier ministre du PSOE, Pedro Sánchez, à choisir la «ligne répressive de [chef du Parti populaire, Pablo] Casado et [du chef des Citoyens, Albert] Rivera» ou la ligne appelant au «dialogue» qui, selon lui, est avancée par Podemos.

Le principal bénéficiaire de cette campagne a été Vox, dont le chef, Santiago Abascal, profite d’une couverture médiatique en continu. Selon le sondage électoral publié hier par El Español, si les élections générales avaient lieu aujourd’hui, le PSOE remporterait 117 sièges, soit six de moins qu’en avril dernier. Le PP gagnerait le plus, passant de 66 à 101. Vox obtiendrait son meilleur résultat de tous les temps, terminant troisième avec 38 députés, soit 14 de plus qu’en avril.

Alejandro López

 

Article paru en anglais, WSWS, le 29 octobre 2019

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Les discussions des salons et des forums politiques invitent soit à négocier de nouveau avec le Premier ministre Saad Hariri, lequel a présenté sa démission, soit à rechercher une autre personne capable de diriger un nouveau gouvernement, suite à ce premier pas célébré en tant que fruit de la « révolution » populaire sur les places bondées de monde.

Dans la liesse de la victoire se sont mélangées toutes les opinions contradictoires, les photos souvenir mêlant au cœur du soulèvement revendicateur les dirigeants et militants des partis et groupes de gauche fascinés par leurs images et stupéfaits de voir leurs symboles regagner les épaules des manifestants et partisans ; les piliers du néolibéralisme au sein du régime libanais, au premier rang desquels l’architecte de la catastrophe économique et financière, le président Fouad Siniora ; les bâtisseurs mémorables des cantons les plus laids durant la guerre civile avec, à leur tête, MM. Walid Joumblatt et Samir Geagea, pour lesquels cette démission est, en elle-même, une « précieuse pêche » pour chambouler l’équilibre politique du gouvernement, duquel ils n’ont cessé de se plaindre et contre lequel ils n’ont cessé d’élever le ton de leurs discours, en parfait accord avec les pressions américano-saoudiennes, depuis l’élection du président Michel Aoun.

C’est ainsi que nous avons vu, sur les écrans des chaînes d’information continue, ceux qui ont érigé les barrières de l’oppression, de la prédation ou de l’incitation sectaire, se tenir aux côtés des rêveurs d’un changement total et radical sur la base de nombreuses recettes réparties entre nombre de groupements en colère, séduits par la promesse d’une alternative au gouvernement en place ; alternative encore ambigüe dans les discours des « révolutionnaires ». 

Une ambiguïté qui ne semble pas spontanée, vu l’émergence concomitante des manœuvres, désormais démasquées, des académies des Jésuites et des Anglo-saxons cherchant à exploiter la spontanéité du mécontentement et de la colère populaire. Une colère exacerbée par certains médias pas plus innocents, ni moins conscients des objectifs et agendas notoirement découverts ces dernières années ; mais au contraire, spécialisés dans la promotion de nouvelles fausses et tendancieuses, depuis qu’ils ont accueilli les cheikhs d’Al-Qaïda et de Daech, en tant que « révolutionnaires », dans leurs reportages suspects payés d’avance pour des années.

Le recours à des formateurs étrangers et arabes ayant contribué aux révolutions dudit printemps et autres révolutions colorées dans le monde, afin de former les « révolutionnaires » de la rue libanaise aux méthodes de mobilisation des foules en colère, a été découvert il y a quelques mois. C’est là une référence suffisante pour s’interroger sur le secret du jeu des États-Unis dans tout ce qui se passe. D’autant plus que l’opération d’investissement de leur cadeau au peuple libanais s’est clairement révélée dans un agenda politique répondant à un objectif connu et déclaré depuis des mois par les départements de planification américains. 

Et cet objectif est de punir le gouvernement libanais pour sa prise de position indépendante, formulée par le président Michel Aoun, lorsqu’il a usé de l’expression « droit de réponse » suite à l’agression de l’ennemi sioniste ayant visé la banlieue sud, après son échec du fait de la dissuasion imposée par la Résistance libanaise. Et aussi, pour les orientations qu’il a données lors de la réunion du Conseil supérieur de la défense, suite auxquelles l’armée libanaise s’est mise à contrer les drones sionistes aux côtés des héros de la Résistance. Ce qui est révélateur de ce qui se cache derrière les attaques dirigées contre le président et le ministre Gebran Bassil dans la rue et les salles de négociation gouvernementale, avant la démission du Premier ministre. 

Les mesures salvatrices du Liban appellent à une rupture totale avec les arrangements consentis à l’hégémonie américaine, à ses conditions et à ses gardiens ; arrangements ayant dicté le comportement de l’ensemble des partenaires au sein des autorités nationales face à une crise que les tenants du néolibéralisme, eux-mêmes, décrivent de « catastrophe de l’effondrement ». 

L’effondrement de leur propre modèle adopté depuis les années quatre-vingt- dix, lequel repose sur le partage de la rente, l’écrasement des secteurs de production et l’imposition d’une formule économique de consommation régie par les impératifs de l’hégémonie occidentalo-américaine ; hégémonie d’autant plus renforcée par leur choix de la rupture avec l’Est, tournant ainsi le dos à ses précieuses opportunités représentant le socle de sauvetage de la catastrophe économique et financière.

Il faut cesser toute glorification de la corbeille CEDRE [Conférence Economique pour le Développement par les Réformes et les Entreprises, [1][2]] dans un esprit d’ouverture aux alternatives utiles et possibles à l’Est et aux têtes de chapitre que nous proposons comme projet de travail à une équipe gouvernementale de sauvetage :

Premièrement : Lancer les négociations avec la Chine pour rejoindre son projet « One Belt, One Road » et traiter le problème de la bulle des endettements par un accord sur des emprunts à long terme, avec la garantie d’y satisfaire de la part du secteur public libanais des revenus du partenariat dans de grands projets tels les chemins de fer, les usines et les centrales électriques, les raffineries de pétrole, le réseau de communication numérique et ses services, ainsi que les routes internationales et d’autres projets proposés pour engagement et investissement dans le panier CEDRE. 

Deuxièmement : Négocier avec la Syrie, l’Iraq, l’Iran et la Russie sur de possibles partenariats commerciaux et productifs dans tous les domaines, afin de stimuler et de soutenir les secteurs productifs et de développer leurs avantages concurrentiels en mettant à profit l’abondance de cadres qualifiés et les qualités naturelles et géographiques du Liban, lesquelles autorisent une planification du rebond de l’agriculture, de l’industrie et du tourisme. Et discuter, avec les gouvernements des Pays du Golfe et d’Europe occidentale, de la correction de leur modèle de partenariat afin de le libérer des conditions politiques et d’imposer une équivalence des intérêts.

Troisièmement : Réexaminer la totalité de la dette publique, en réviser les chiffres, les échéances, les intérêts composés exorbitants et restructurer le tout en négociant avec les banques locales, avec la promulgation d’une nouvelle loi qui donnerait aux capitaux locaux des opportunités de partenariat dans des projets productifs, dans le cadre du plan d’orientation vers l’Est.

Quatrièmement : Charger une équipe de juristes et de financiers de l’examen rétroactif des accords de privatisation et de partages, conclus depuis les années quatre-vingt-dix jusqu’à présent, dans le cadre d’une opération nationale générale de récupération des fonds publics, ainsi que de la révision du dossier SOLIDERE [SOciété privée LIbanaise DE Reconstruction] et de toutes ses exemptions, avec récupération des droits des personnes dont les biens ont été offerts à d’autres par les gouvernements successifs.

Cinquièmement : Établir des règles juridiques et exécutives strictes de contrôle des dépenses publiques, de manière à mettre fin à toutes les commissions liées à des transactions monnayées ou à des partages indus sous couvertures politique et juridique. 

Sixièmement : Fixer les règles de développement de l’industrie, de l’agriculture, du tourisme et accroître leurs avantages concurrentiels, tout en accélérant les mécanismes de retour des prêts au logement subventionné et en développant des projets de logements répondant aux besoins des pauvres et de ceux qui ont été écrasés. 

Ce qui est demandé à la majorité parlementaire est de s’entendre sur ces orientations et de chercher à nommer la personne capable de les porter à la tête d’une équipe gouvernementale de sauvetage. Et c’est cela le défi ! 

Ghaleb Kandil 

30/10/2019

Source : [New Orient News] 

Traduit par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca

Notes : 

[1][Le Liban obtient une aide internationale substantielle]

[2]La communauté internationale mobilise 11 milliards de dollars pour le Liban]

Monsieur Ghaleb Kandil est le Directeur du Centre New Orient News et membre du Conseil national de l’audiovisuel au Liban (CNA) chargé des relations arabes et internationales.

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La Serbie se soumet au projet de Grande Albanie

octobre 30th, 2019 by Andrew Korybko

Le projet géopolitique de « Grande Albanie » a reçu un soutien sans précédent de la part d’une source tout à fait inattendue, après que la Serbie cède contre toute attente à la proposition de libre circulation sans passeport avec ses voisins, l’Albanie et la Macédoine, dès 2021. Belgrade estime en effet qu’une initiative volontaire améliorera ses chances de rejoindre un jour l’Union européenne, au risque de miner encore plus sa souveraineté, jusqu’au stade où le slogan patriote « Le Kosovo, c’est la Serbie » puisse se transforme monstrueusement en « La Serbie, c’est l’Albanie »

Les observateurs régionaux des Balkans craignent depuis longtemps qu’un conflit multi-national soit en train d’infuser, en résultat du projet géopolitique de « Grande Albanie » soutenu par les États-Unis, menaçant l’intégrité territoriale de la Serbie et la république de Macédoine (« du Nord »). Chacun a donc été surpris en découvrant que les deux pays les plus directement affectés par ce complot se sont purement et simplement couchés la semaine dernière, en acceptant une politique de libre circulation des personnes, sans passeport, entre les trois États. On soupçonnait de longue date que le premier ministre macédonien, Zoran Zaev, parvenu au pouvoir après une Révolution de couleur au long court soutenue par les États-Unis, allait vendre les intérêts de son pays à son voisin albanais après en avoir déjà fait autant vis-à-vis de ses voisins grec et bulgare, mais nombreux restaient à penser que la Serbie ferait au moins preuve d’une résistance de principe au lieu de se soumettre tout bonnement, et de laisser plus d’Albanais envahir son territoire souverain, après le détachement de facto des rejetons civilisationnels serbes que sont le Kosovo et la Métochie du reste de l’État.

Les défenseurs du projet enjoindront le public intérieur et international à applaudir cette décision comme une étape pragmatique tout à fait nécessaire pour éviter la grande guerre régionale crainte par de nombreux observateurs, mais la réalité des choses est toute autre : il n’y avait aucune raison urgente pour que la Serbie ouvre aux Albanais ses frontières d’ici à 2021 ; il n’y avait rien de tel en la matière que l’ultimatum de 1914. Belgrade a purement et simplement fait ce choix volontairement, estimant qu’il améliorerait ses chances d’un jour rejoindre l’UE, bien que Bruxelles n’ait jamais rien demandé de tel de la part de la Serbie (c’est là que réside la vraie surprise dans toute cette affaire). Le président Vucic est un europhile forcené, qui tient sérieusement à faire tout ce qui sera en son pouvoir pour intégrer la Serbie à l’UE, ce qui implique tacitement « la reconnaissance » du Kosovo comme « État indépendant », pré-requis implicite de toute adhésion à l’UE. C’est avec cet objectif anti-constitutionnel en tête que l’on commence à comprendre cette décision d’autoriser la libre circulation des Albanais : il s’agit de faire pression sur son propre peuple pour qu’il accepte ce qui sera devenu un fait accompli [en français dans le texte, NdT].

Il faut également dire que, si de nombreux médias alternatifs ont excellé en signalant ces desseins géostratégiques étasuniens, visant à forcer la Serbie à « reconnaître » le Kosovo, bien peu ont osé en regard préciser quels intérêts la Russie avait également dans cette affaire, du fait que ce dernier point est trop « politiquement incorrect » pour beaucoup. L’auteur du présent article avait déjà analysé les calculs stratégiques d’arrière-plan du Kremlin, début 2019, dans son article « La Russie pourrait revenir dans les Balkans (de manière controversée) par la grande porte« , qui s’appuyait sur trois analyses d’experts membres du Russian International Affairs Council (RIAC), un think-tank très influent et bien connecté à Moscou, prouvant que Moscou ne serait pas si gênée que cela si la Serbie cédait aux projets occidentaux : on semble s’être résigné à Moscou à l’idée que ces projets sont sans doute irréversibles, sauf à réaliser d’importants (et inacceptables) sacrifices pour les enrayer (et ce sans garantie du succès). Aussi, la position tacite de la Russie semble être de se borner à canaliser si possible cette dynamique stratégique.

C’est à la lumière de cela que l’on peut également comprendre pourquoi Moscou a reconnu le changement de nom inconstitutionnel de la république de Macédoine, malgré sa promesse antérieure de ne pas le faire ; il s’ensuit qu’elle devrait également respecter la volonté du gouvernement de Serbie, internationalement reconnu, indépendamment de l’inconstitutionnalité des décisions de ce dernier vis-à-vis du Kosovo. L’analyste politique patriote Anna Filimonova, qui ne mâche pas ses mots, a levé l’alerte dans un article de 2018, sous le titre « La Russie est en train de perdre le peuple serbe » , indiquant que cette approche russe centrée sur ses intérêts propres, posait le risque de perdre l’immense soft power dont la Russie dispose en Serbie ; en ne prenant pas en compte l’immense opposition intérieure serbe aux projets de Vucic vis-à-vis du Kosovo, et afin de préserver les contrats entre les États qui sous-tendent aujourd’hui l’influence russe dans le pays des Balkans. Mais ces avertissements seront probablement tombés dans l’oreille d’un sourd : la Russie contemporaine a rompu depuis longtemps avec la politique de « révolutions des peuples » de son prédécesseur soviétique, et se préoccupe beaucoup plus désormais des relations inter-élites au niveau des États, pas au niveau interpersonnel.

Cela peut être très dérangeant à lire pour certains lecteurs, mais il s’agit purement et simplement de la description la plus pertinente d’une réalité objectivement existante : la réalité ne porte pas de valeurs intrinsèques autres que celle que vous projetez dessus. Il en va de même de la décision de Vucic d’ouvrir ses frontières à la libre circulation des Albanais et des Macédoniens d’ici à 2021 (ces derniers seront probablement des Albanais Macédoniens) : cette décision est elle-même pragmatique face à un vide politique, si on la considère sous une perspective socio-économique ; bien que cette approche soit extrêmement dangereuse du point de vue de la sécurité internationale : elle porte le risque d’encourager des migrations illégales d’Albanais, qui pourraient par la suite être exploitées pour l’expression d’exigences territoriales contre l’État, comme au Kosovo. Et ce n’est pas tout : ce point de vue est également irresponsable politiquement, comme expliqué dans l’article en deux parties de 2015 du même auteur : « La Grande Albanie est un Mythe visant à préserver l’unité du pays » : il n’y a pas lieu d’amadouer ce projet géopolitique relavant de l’ère fasciste, qui n’est poussé en avant que pour empêcher l’Albanie de se scinder en morceaux.

Malgré tout, Vucic est prêt à prendre le risque de dissoudre encore plus la souveraineté de son pays à l’avenir [c’est l’essence de toute adhésion à l’UE, de toutes façons, NdT], du fait des conséquences démographiques à long terme que sa capitulation pourra sans doute engendrer. Mais il estime détenir la clé permettant d’accélérer une adhésion de la Serbie à l’UE, en facilitant indirectement la « reconnaissance » du Kosovo par Belgrade. Il est difficile de se représenter comment cela pourrait échouer : avec le temps, cette politique gagnera en puissance, du fait que les Albanais du Kosovo pourraient déjà disposer de la citoyenneté albanaise, et tout ceci constituera dès lors un fait accompli, Belgrade ayant d’ores et déjà accepté que les gens voyagent entre la province occupée et le reste de la Serbie sans difficultés. En d’autres termes, l’invasion du Kosovo par l’Albanie se poursuivra de plus en plus profondément, via le cœur du territoire serbe, alors que la guerre hybride contre la Serbie est de plus en plus pressante. Il en sortira le scénario le plus cauchemardesque pour tout vrai patriote serbe : que le slogan « Le Kosovo, c’est la Serbie » se transforme en « La Serbie, c’est l’Albanie ».

 

Article original en anglais :

Serbia Is Surrendering to Greater Albania, publié le 18 octobre 2019.

Cet article  a été publié initialement par OneWorld.

Traduit par José Martí, relu par Kira pour le Saker Francophone

 

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

 

Un récent mémorandum rédigé par le Procureur Général William Barr a annoncé un nouveau programme « pré-crime » inspiré des tactiques de « guerre contre le terrorisme » qui devrait être mis en œuvre l’année prochaine.

Mercredi dernier, le Procureur Général (PG) des États-Unis, William Barr, a adressé un mémorandum à tous les procureurs US, aux forces de l’ordre et aux hauts fonctionnaires du ministère de la Justice annonçant la mise en œuvre imminente d’un nouveau « programme national de perturbation et de participation précoce » visant à détecter les tireurs de masse potentiels avant qu’ils ne commettent un crime.

Selon le mémorandum, Barr a « ordonné au ministère de la Justice et au FBI de mener un effort pour améliorer notre capacité d’identifier, d’évaluer et d’engager des tireurs de masse potentiels avant qu’ils ne frappent« . Le Procureur Général a en outre décrit l’initiative à venir, qui devrait être mise en œuvre au début de l’année prochaine, comme « une stratégie efficiente, efficace et programmatique pour perturber par tous les moyens légaux les personnes qui se mobilisent vers la violence« . Selon Barr, des renseignements plus précis sur le programme devraient suivre le récent mémorandum, mais il n’est pas certain que le document à venir soit rendu public.

Barr a également demandé que ceux qui ont reçu le mémorandum envoient leurs « meilleurs et plus brillants » membres à une conférence de formation au siège du FBI en décembre prochain où le Département de la Justice (DOJ), le FBI et les « partenaires du secteur privé » se prépareront à la mise en œuvre complète de la nouvelle politique et seront également en mesure de fournir de « nouvelles idées » à inclure dans le programme.

L’aspect peut-être le plus troublant de la note de service est l’admission franche de Barr que bon nombre des tactiques « d’engagement précoce » que le nouveau programme utiliserait étaient « nées de la posture que nous avons adoptée à l’égard des menaces terroristes« . En d’autres termes, les fondements de bon nombre des politiques utilisées à la suite de la « guerre contre le terrorisme » après le 11 septembre 2001 sont également à la base des tactiques « d’engagement précoce » que Barr cherche à utiliser pour identifier les criminels potentiels dans le cadre de cette nouvelle politique. Bien que ces politiques de « guerre contre le terrorisme » aient largement ciblé des individus à l’étranger, le mémorandum de Barr indique clairement que certaines de ces mêmes tactiques controversées seront bientôt utilisées au niveau national.

Le mémorandum de Barr fait également allusion aux pratiques actuelles du FBI et du Département de la Justice qui façonneront le nouveau plan. Bien que plus de détails sur la nouvelle politique seront fournis dans une prochaine note, Barr indique que les « tactiques nouvellement élaborées » utilisées par les groupes de travail conjoints sur le terrorisme « comprennent le recours à des psychologues cliniques, à des professionnels de l’évaluation des menaces, aux équipes d’intervention et aux groupes communautaires » pour détecter les risques et suggère que le nouveau « programme de participation précoce » fonctionne dans la même veine. Barr fait également allusion à cette approche « communautaire » dans un autre cas, lorsqu’il écrit que « lorsque le public » dit quelque chose « pour nous alerter d’une menace potentielle, nous devons faire quelque chose« .

Toutefois, le mémorandum établit une distinction entre les terroristes présumés et les individus que ce nouveau programme s’apprête à poursuivre. Barr affirme que, contrairement à de nombreux cas historiques de terrorisme, « bon nombre des menaces à la sécurité publique d’aujourd’hui surviennent soudainement et avec parfois seulement des indications ambiguës d’intention » et que plusieurs de ces personnes « présentent des symptômes de maladie mentale et/ou ont des problèmes de toxicomanie« .

Par conséquent, le but du programme est ostensiblement de contourner ces questions en trouvant de nouvelles façons, probablement controversées, de déterminer l’intention. Comme nous le verrons plus loin dans ce rapport, les actions récentes de Barr suggèrent que la façon d’y parvenir est d’accroître la surveillance de masse des citoyens ordinaires et d’utiliser des algorithmes pour analyser ces données en vrac à la recherche de symptômes vaguement définis de « maladie mentale ».

Barr a également suggéré les lignes de conduite probables qui suivraient l’identification d’un individu donné en tant que « tireur de masse potentiel« . Le PG note que, dans le passé, des personnes considérées comme une menace violente ou terroriste avant de commettre un crime étaient soumises, entre autres mesures, à la détention, à un traitement de santé mentale ordonné par le tribunal, à des services d’aide en matière de toxicomanie et à une surveillance électronique. Apparemment, le nouveau programme appliquerait alors ces mêmes pratiques à des personnes aux États-Unis qui, selon les autorités fédérales, se « mobilisent vers la violence » , selon Barr.

Bill Barr a été très occupé

Le mémorandum, bien qu’il annonce une nouvelle ère de surveillance orwellienne et de « pré-criminalité » au niveau national, a été peu couvert par les médias grand public. L’un des rares rapports qui ont couvert la nouvelle politique du ministère de la Justice, publiée mercredi par le Huffington Post, a qualifié la nouvelle initiative menée par Barr de largement positive et a affirmé que les « tactiques anti-terroristes » auxquelles Barr a fait allusion pourraient « aider à contrecarrer les tireurs de masse« . Aucune mention n’a été faite dans l’article de la menace qu’un tel programme est susceptible de faire peser sur les libertés civiles.

De plus, il n’a pas été fait mention de l’impulsion claire donnée par Barr au cours des derniers mois pour jeter les bases de ce programme récemment annoncé. En fait, depuis qu’il est devenu procureur général sous la présidence de Trump, Barr a été le fer de lance de nombreux efforts à cette fin, notamment la promotion d’une porte dérobée du gouvernement dans les applications ou appareils de consommation qui utilisent le cryptage de données et pour une augmentation spectaculaire des programmes de surveillance électronique sans mandat qui existent depuis longtemps mais qui sont controversés.

Le 23 juillet, Barr a prononcé le discours-programme à la Conférence internationale sur la cybersécurité (CIEC) de 2019 et s’est principalement concentré sur la nécessité pour les produits électroniques grand public et les applications qui utilisent le cryptage de données d’offrir une « porte dérobée » pour le gouvernement, en particulier pour les services de police, afin d’obtenir un accès aux communications chiffrées pour des raisons de sécurité publique.

Barr a ajouté que « le cryptage de données sécurisé nuit gravement à notre capacité de surveiller et de combattre les terroristes nationaux et étrangers« . Barr a déclaré que « les petits groupes terroristes et les acteurs solitaires – tels que ceux impliqués dans la série de fusillades de masse en Californie, au Texas et en Ohio dans les semaines qui ont suivi son discours – se sont de plus en plus tournés vers le cryptage« . Barr a noté plus tard qu’il faisait spécifiquement référence au cryptage utilisé par « les produits et services de consommation tels que la messagerie, les smartphones, le courrier électronique et les applications vocales et de données » .

Pour vaincre la résistance de certaines entreprises privées – qui ne veulent pas renoncer à leur droit à la vie privée en donnant au gouvernement un accès clandestin à leurs appareils – et des consommateurs, Barr a anticipé de façon éloquente : « Un incident majeur peut survenir à tout moment et galvaniser l’opinion publique sur ces questions » . Peu après ce discours, plusieurs fusillades de masse, dont une au Walmart d’El Paso, ont eu lieu, ce qui a remis la question au premier plan du discours politique.

Comme MintPress l’a rapporté à l’époque, la prédiction étrange de Barr et une litanie d’autres bizarreries liées à la fusillade d’El Paso ont laissé de nombreuses réponses aux questions sur la connaissance préalable de l’événement par le FBI. De plus, la tragédie a semblé être l’événement « galvanisant » que Barr avait anticipé, puisque la solution offerte par le président Trump à la suite des fusillades a été la création d’une porte dérobée gouvernementale dans le cryptage et l’appel au même système pré-crime que Barr a officiellement annoncé pas plus tard que la semaine dernière.

La trame du pré-crime prend forme

Plus récemment, Barr et Priti Patel, ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni, ont signé le 3 octobre un accord d’accès aux données qui permet aux deux pays d’exiger des données électroniques sur les consommateurs des entreprises technologiques basées dans l’autre pays sans restrictions légales. Il s’agit du premier accord exécutif conclu dans le cadre du controversé Clarifying Overseas Use of Data Act ou CLOUD Act adopté par le Congrès US l’année dernière.

Le CLOUD Act a été critiqué par des groupes de défense des droits qui ont averti que la législation donne « une juridiction illimitée aux forces de l’ordre US sur toute donnée contrôlée par un fournisseur de services, quel que soit l’endroit où les données sont stockées et qui les a créées » et que cela s’applique également au contenu, aux métadonnées et aux informations des abonnés, notamment les messages privés.

Pourtant, Barr et Patel ont affirmé que l’entente sur l’accès aux données « renforcera » les libertés civiles et ont affirmé que l’entente serait utilisée pour poursuivre les « pédophiles » et le « crime organisé« , même si Barr et son équivalent britannique ont montré un intérêt minimal à poursuivre les complices du pédophile et trafiquant sexuel Jeffrey Epstein qui a été lié au crime organisé et aux services de renseignements tant des États-Unis que d’Israël. Certains ont allégué que le manque d’intérêt de William Barr était dû au fait que le père de Barr avait déjà embauché le pédophile aujourd’hui décédé.

Jeffrey Epstein s’intéressait également aux technologies pré-crime et a été l’un des principaux bailleurs de fonds de la société technologique controversée Carbyne911, aux côtés de l’ancien Premier ministre israélien et proche associé d’Epstein Ehud Barak. Carbyne911 est l’une des nombreuses entreprises israéliennes qui commercialisent leurs logiciels aux États-Unis dans le but de réduire les fusillades de masse et d’améliorer les temps de réponse des fournisseurs de services d’urgence. Ces sociétés ont des liens nombreux et troublants avec les gouvernements et les services de renseignement des États-Unis et d’Israël. Epstein, lui-même lié aux appareils de renseignement des deux nations, a investi au moins un million de dollars dans Carbyne911 par l’intermédiaire d’une société « d’exploration de données » qu’il contrôlait.

Comme cela a été détaillé dans un récent article de MintPress sur ces sociétés, Carbyne911 et d’autres sociétés similaires extraient toutes les données des smartphones des consommateurs pour simplement faire des appels d’urgence et les utilisent ensuite pour « analyser le comportement passé et présent de leurs appelants, réagir en conséquence et prévoir dans le temps les tendances futures« , dans le but ultime de permettre aux appareils intelligents d’appeler les autorités à la place des êtres humains.

Les données obtenues à partir de ces logiciels, déjà utilisées par plusieurs comtés des États-Unis et devant être adoptées à l’échelle nationale dans le cadre d’un nouveau système 911 national de « prochaine génération », seront ensuite partagées avec les mêmes organismes d’application de la loi qui mettront bientôt en œuvre le « programme national de perturbation et de mobilisation précoce » de Barr pour cibler les personnes identifiées comme potentiellement violentes selon de vagues critères.

Notamment, à la suite de la fusillade d’El Paso, le président Trump a réfléchi à la création d’un nouvel organisme fédéral connu sous le nom de HARPA qui collaborerait avec le ministère de la Justice pour utiliser « des technologies de pointe très spécifiques et sensibles pour le diagnostic précoce de la violence neuropsychiatrique« , en particulier « des outils analytiques avancés fondés sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique« . Les données à analyser seraient recueillies à partir d’appareils électroniques grand public ainsi que des renseignements fournis par les fournisseurs de soins de santé pour identifier les personnes susceptibles de constituer une menace.

Il est important de souligner que de telles initiatives, qu’il s’agisse de la HARPA ou du programme récemment annoncé par Barr, sont susceptibles de définir la « maladie mentale » de manière à inclure certaines convictions politiques, étant donné que le FBI a récemment déclaré dans une note interne que les « théories du complot » motivaient certaines menaces terroristes intérieures et que plusieurs études universitaires douteuses ont cherché à relier les « théoriciens du complot » aux troubles de santé mentale. Ainsi, le ministère de la Justice et les « professionnels de la santé mentale » ont essentiellement déjà défini ceux qui expriment leur incrédulité pour les récits officiels du gouvernement à la fois comme une menace terroriste et comme des malades mentaux – et qui méritent donc une attention particulière dans les programmes pré-crime.

Le somnambulisme dans un cauchemar

Ce contexte largement négligé est crucial pour comprendre le récent mémorandum de William Barr et le changement massif et largement sous-estimé de la politique qu’il annonce. Pendant plusieurs mois, Barr – avec l’aide de « partenaires du secteur privé » ainsi que d’autres responsables gouvernementaux actuels et anciens – a jeté les bases du système qu’il vient d’annoncer officiellement.

Grâce aux produits logiciels offerts par des entreprises comme Carbyne911 et à la croisade personnelle de Barr pour mandater les portes dérobées du gouvernement dans des logiciels et des produits cryptés, le nouveau programme de pré-crime de Barr possède déjà les outils pour l’extraction et le stockage en masse des données des consommateurs grâce à des entreprises technologiques privées et des services publics comme des centres d’appels d’urgence.

Grâce au plan déjà élaboré pour HARPA et à sa solution proposée pour identifier la « maladie mentale » par le biais de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique, ce programme « pré-crime » nouvellement annoncé aura les moyens d’analyser la masse des données recueillies à partir des appareils électroniques grand public de Carbyne et d’autres moyens en utilisant des « critères de santé mentale » vagues.

Bien que bon nombre des particularités du programme demeurent inconnues, les mesures prises par Barr et d’autres membres du gouvernement et du secteur privé montrent que cette initiative nouvellement annoncée est le fruit d’années de planification minutieuse et que bon nombre des tactiques et des outils qu’il est prêt à utiliser sont en préparation depuis des mois, voire des années.

Au cours des dernières décennies, et en particulier après les attentats du 11 septembre 2001, les Étasuniens ont discrètement échangé un nombre croissant de libertés civiles contre des programmes gouvernementaux de « contre-terrorisme » et des guerres prétendument menées pour « nous protéger ». Aujourd’hui, les mêmes politiques utilisées pour cibler les « terroristes » sont destinées à être utilisées contre les citoyens ordinaires, dont la vie et les communications électroniques sont désormais destinées à être fouillées à la recherche de preuves de « maladie mentale ». Si ces algorithmes opaques signalent un individu, cela pourrait suffire à conduire à un « traitement de santé mentale » ordonné par le tribunal ou même à l’emprisonnement, qu’un crime ait été commis ou non ou même planifié.

Par conséquent, le programme de William Barr qui s’annonce est sans doute pire que les romans et les films de science-fiction dystopiques, car non seulement il vise à détenir des citoyens qui n’ont commis aucun crime, mais il ciblera expressément des individus en fonction de leur utilisation de produits de consommation électroniques et du contenu de leurs communications avec leurs amis, famille, collègues et autres personnes.

Withney Webb

 

 

Article original en anglais : With Little Fanfare, William Barr Formally Announces Orwellian Pre-Crime Program, Mint Press News, le 25 octobre 2019.

Traduction par Réseau International

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Comment «le Monde» invente la «répression» au Venezuela

octobre 30th, 2019 by Thierry Deronne

Mettons-nous dans la peau d’un habitant de la planète qui n’aurait que les médias pour s’informer sur le Venezuela et à qui jour après jour, on parlerait de « manifestants » et de « répression ». Comment ne pas comprendre que cette personne croie que la population est dans la rue et que le gouvernement la réprime ?

Mais il n’y a pas de révolte populaire au Venezuela. Malgré la guerre économique la grande majorité de la population vaque a ses occupations, travaille, étudie, survit. C’est pourquoi la droite organise ses marches au départ des quartiers riches. C’est pourquoi elle recourt à la violence et au terrorisme, dont les foyers sont localisés dans les municipalités de droite. ll y a 90 pour cent de quartiers populaires au Venezuela. On comprend l’énorme hiatus : les médias transforment les îles sociologiques des couches aisées (quelques % du territoire) en « Venezuela ». Et 2% de la population en « population ». (1)

Caracas en mai

Le 12 mai l’ex-présidente argentine Cristina Fernández, après Evo Morales, a dénoncé « la violence utilisée au Venezuela comme méthodologie pour arriver au pouvoir, pour renverser un gouvernement » (2). Depuis l’Équateur, l’ex-président Rafael Correa a rappelé que « le Venezuela est une démocratie. C’est par le dialogue, avec les élections, que doivent se régler les divergences. De nombreux cas de violences viennent clairement des partis d’opposition » (3). C’est aussi la position du Caricom, qui regroupe les pays des Caraïbes (4). Le Pape François a dû pousser les évêques du Venezuela qui comme dans le Chili de 1973 traînaient les pieds face au dialogue national proposé par le président Maduro (5). Ce dernier a par ailleurs confirmé la tenue du scrutin présidentiel légalement prévu en 2018.

Assemblée populaire pour faire des propositions dans le cadre de l’Assemblée Nationale Constituante, dans l’état d’Apure le 20 mai 2017. Ce processus doit être ouvert et participatif. Une image qu’on ne risque pas de voir dans les médias…

Depuis la disparition d’Hugo Chavez en 2013, le Venezuela est victime d’une guerre économique qui vise à priver la population des biens essentiels, principalement les aliments et les médicaments. La droite locale renoue avec certains éléments de la stratégie mise en place jadis au Chili par le tandem Nixon-Pinochet, en clair provoquer l’exaspération des secteurs populaires jusqu’au débordement de rage et légitimer la violence. Selon le rapport budgétaire 2017 mis en ligne sur le site du Département d’Etat (6), 5,5 millions de dollars ont été versés aux “sociétés civiles” du Venezuela. Le journaliste vénézuélien Eleazar Diaz Rangel, directeur du quotidien Ultimas Noticias (centre-droit) a révélé des extraits du rapport que l’amiral Kurt Tidd, chef du Southern Command, a envoyé au Sénat US : « avec les facteurs politiques de la MUD (coalition vénézuélienne de l’opposition) nous avons mis au point un agenda commun qui comprend un scénario abrupt combinant des actions de rue et l’emploi dosifié de la violence armée sous l’angle de l’encerclement et de l’asphyxie« . (7)

La phase insurrectionnelle implique d’attaquer des services publics, des écoles, des maternités (El Valle, El Carrizal) et des établissements de santé, barrer les rues et les principales artères routières pour bloquer la distribution des aliments et paralyser l’économie. A travers les médias privés, majoritaires au Venezuela, la droite appelle ouvertement les militaires a mener un coup d’État contre le président élu (8). Plus récemment les bandes paramilitaires colombiennes passent du rôle de formatrices a un rôle plus actif : le corps sans vie de Pedro Josué Carrillo, militant chaviste, vient d’être retrouvé dans l’État de Lara, portant les marques de torture typiques au pays d’Uribe (9).

 

 

Malgré les mortiers, armes à feu, grenades ou cocktails Molotov utilisés par les manifestants « pacifiques » (sans oublier les mannequins de chavistes pendus aux ponts, signature du paramilitarisme colombien), la loi interdit à la Police ou la Garde Nationale d’user de leurs armes à feu. Les manifestants de droite en profitent pour pousser leur avantage, déverser leur racisme sur les gardes ou policiers, les provoquer à coups de jets d’urine, d’excréments et de tirs à balles réelles, guettant la réaction pour les caméras de CNN. Les fonctionnaires des forces de l’ordre qui ont désobéi et qui se sont rendus coupables de blessures ou de morts de manifestants ont été arrêtés et poursuivis en justice (10). Le fait est que la grande majorité des victimes sont des travailleurs qui allaient au boulot ou en revenaient, des militants chavistes ou des membres des forces de l’ordre (11). C’est pourquoi le « Monde » parle de morts en général – pour que l’on croie qu’il s’agit de « morts du régime ». Allonger la liste des « morts » sert à augmenter l’appui planétaire a la déstabilisation : il y a dans ces meurtres, il est terrible de le constater, un effet de commande médiatique.

Après avoir vendu cette image à son réseau international, l’agence Reuters s’est « excusée » d’avoir fait passer pour une arrestation arbitraire visant à étouffer la liberté d’expression ce qui était en réalité l’aide apportée par un garde national à un caméraman blessé…

Tout manifestant qui tue, détruit, agresse, torture, sabote sait qu’il sera sanctifié par les médias internationaux. Ceux-ci sont devenus un encouragement à poursuivre le terrorisme. Toute mort, tout sabotage économique seront attribués au « régime » y compris à l’intérieur du Venezuela où les médias, comme l’économie elle-même, sont majoritairement privés. Que la démocratie participative qu’est le Venezuela tente de se défendre comme doit le faire tout État de Droit, et elle sera aussitôt dénoncée comme « répressive ». Qu’elle ose punir un terroriste, et celui-ci deviendra ipso facto un « prisonnier politique ». Pour le journaliste et sociologue argentin Marco Teruggi « pour une intervention au Venezuela, le Gouvernement des États-Unis a des conditions plus favorables que celle qu’il avait pour bombarder la Libye si on tient compte du fait que l’Union Africaine avait condamné cette intervention presque à l’unanimité. (..) Tout dépend de la capacité de la droite à soutenir longtemps un bras de fer dans la rue en tant qu’espace politique. D’où l’importance de maintenir la caisse de résonance médiatique internationale» (12).

Exemple sordide de cette alliance : le 5 mai 2017, à l’aide d’une photo digne d’un ralenti hollywoodien (mais qui n’est pas celle de la victime) « Le Monde » dénonce « la mort d’un leader étudiant tué lors des protestations contre le projet du président Maduro de convoquer une assemblée constituante ». Or la victime, Juan (et non José comme l’écrit « le Monde ») Bautista Lopez Manjarres est un jeune dirigeant étudiant révolutionnaire. Il a été assassiné par un commando de droite alors qu’il participait a une réunion de soutien au processus d’assemblée constituante lancé par le président Nicolas Maduro :

Juan Bautista Lopez Manjarres

Le dernier tweet de Juan Bautista Lopez Manjarres : la conférence de presse où il annonçait le soutien du secteur étudiant au processus de l’assemblée constituante

« Le Monde » mentionne aussi la réaction du chef d’orchestre Gustavo Dudamel, en tournée à l’étranger, qui demande que « cesse la répression » à la suite de la mort d’un jeune violoniste, Armando Cañizales. Or ce musicien n’a pas été victime de la répression mais, lui aussi, d’un projectile tiré des rangs de la droite.

Le journal espagnol La Vanguardia, bien que virulent opposant a la révolution bolivarienne, l’admet exceptionnellement sous la plume de son envoyé spécial Andy Robinson : « De même qu’à d’autres moments de cette crise le storytelling d’une jeunesse héroïque massacrée par la dictature bolivarienne ne colle pas dans le cas d’Armando Cañizales. (..) Il est pratiquement sûr que le projectile n’a pas été tiré par la police mais par les manifestants eux-mêmes. Il est notoire que certains d’entre eux ont fabriqué des armes artisanales pour les affrontements quotidiens avec la police» (13).

Armando Cañizales

La réaction rapide de Mr. Dudamel est représentative des personnalités artistiques – nombreuses, on peut mentionner Ruben Blades ou René du groupe Calle 13 – subissant la forte pression du dispositif médiatique de leurs pays, contraintes de faire des déclarations pour satisfaire l’opinion publique convaincue à 99 % par les médias qu’il faut dénoncer la « répression au Venezuela ».

Le 16 mai, « Le Monde » dénonce « la mort d’un jeune de 17 ans, blessé par balle lors d’un rassemblement contre le président Maduro » (article ci-dessus). C’est faux. L’enquête montre que Yeison Natanael Mora Castillo a été tué par un projectile identique à celui utilisé pour assassiner le violoniste Cañizales. Il ne participait pas davantage à un rassemblement anti-Maduro. Ses parents sont membres d’une coopérative en lutte pour récupérer un latifundio de sept mille hectares, subissant depuis longtemps les attaques du grand propriétaire. Ils ont porté plainte contre les organisateurs de la marche de l’opposition et dans une interview au journal local Ciudad Barinas ont dénoncé la manipulation internationale de l’assassinat de leur fils, imputé faussement au gouvernement Maduro. (14)

Yeison Natanael Mora Castillo

Imputer systématiquement au gouvernement bolivarien les assassinats commis par la droite, c’est tout le « journalisme » de Paulo Paranagua. Le 21 avril déjà, il impute aux collectifs chavistes la mort d’un étudiant de 17 ans, Carlos Moreno, tué d’une balle dans la tête, tout comme celle de Paola Ramirez Gomez, 23 ans. Double mensonge. Selon la famille de Carlos Moreno, l’adolescent ne participait à aucune manifestation et se rendait a un tournoi sportif. Son assassin vient d’être arrêté : il s’agit d’un membre de la police d’Oscar Oscariz, maire de droite de la municipalité de Sucre. Le journal d’opposition Tal Cual en a rendu compte (15). Quant à la deuxième victime mentionnée par Paranagua, Paola Rodríguez, son assassin a été arrêté également par les autorités : il s’agit d’Iván Aleisis Pernía, un militant de droite.

Certes le « quotidien vespéral des marchés » n’est pas seul à mentir de manière aussi sordide dans ce « combat pour la liberté ». La Libre Belgique, le New York Times, France-Culture, El Pais, Le Figaro ou même Mediapart sont autant de robots de la vulgate mondiale. Cette invention de « la répression » est d’autant plus facile que l’image archétypale du manifestant matraqué par un garde national est gagnante d’avance lorsqu’on est privé d’accès au hors-champ de l’image. Loin du Venezuela, seuls les happy fewflaireront la mise en scène où des jeunes sont entraînés, armés, payés pour provoquer les forces de l’ordre et produire « l’image » nécessaire. La concentration planétaire des médias et la convergence croissante des réseaux sociaux avec les médias dominants fait le reste, fixant l’imaginaire de la gauche comme de la droite.

On verra ainsi des « insoumis » politiquement se soumettre médiatiquement et ajouter sans le savoir leur petite pierre à la campagne mondiale :

 

Et ci-dessous le retweeteur de cette belle affiche n’imagine sans doute pas la supercherie qui se cache derrière l’Anonymous vénézuélien. Cette capacité de l’extrême droite d’emprunter au mouvement alternatif mondial certains de ses symboles pour capitaliser un appui est décryptée ici : « Quand tombe le masque de Guy Fawkes de l’opposition vénézuélienne » (16)

Bref, comme si l’histoire de la propagande et des guerres ne nous avait rien appris, nous retombons sans cesse dans la nasse. Malcolm X avait prévenu : « si vous n’y prenez garde, les médias vous feront prendre les victimes pour les bourreaux et les bourreaux pour les victimes ». En transformant les violences de l’extrême droite en « révolte populaire », en rhabillant en « combattants de la liberté » des assassins nostalgiques de l’apartheid des années 90, c’est d’abord contre les citoyens européens que l’uniformisation médiatique sévit : la majorité des auditeurs, lecteurs et téléspectateurs appuient sans le savoir une agression visant à renverser un gouvernement démocratiquement élu. Sans démocratisation en profondeur de la propriété des médias, la prophétie orwellienne se fait timide. Le Venezuela est assez fort pour empêcher un coup d’État comme celui qui mit fin à l’Unité Populaire de Salvador Allende mais la coupure croissante de la population occidentale avec le monde se retournera contre elle-même.

Micro-manuel d’auto-défense face à la déferlante médiatique.

« Le Venezuela est un « régime dictatorial». Faux. Depuis 1999, le Venezuela bolivarien a organisé un nombre record de scrutins (25), reconnus comme transparents par les observateurs internationaux. Selon l’ex-président du Brésil Lula da Silva, il s’agit d’un “excès de démocratie”. Pour Jimmy Carter qui a observé 98 élections dans le monde, le Venezuela possède le meilleur système électoral du monde. En mai 2011 le rapport de la canadienne Fondation pour l’Avancée de la Démocratie (FDA) a placé le système électoral du Venezuela à la première place mondiale pour le respect des normes fondamentales de démocratie. L’ONG chilienne LatinoBarometro a établi dans son rapport 2013 que le Venezuela bat les records de confiance citoyenne dans la démocratie en Amérique Latine (87 %) suivi de l’Équateur (62 %) et du Mexique (21 %). Le président Nicolás Maduro vient de lancer un processus constituant participatif auquel participent tous les secteurs sociaux et a réaffirmé que des élections présidentielles auront lieu en 2008 comme le stipule la loi.

« Il n’y pas de liberté d’expression au Venezuela ». Faux. Sur les plus de 1000 stations de radio et chaînes de télévision auxquelles l’État a accordé l’autorisation d’émettre, 67% sont privées (la grande majorité opposées à la révolution bolivarienne), 28% sont aux mains des communautés mais ne transmettant que sur une échelle strictement locale et 5% sont propriété de l’État. Sur les 108 journaux qui existent, 97 sont privés et 11 publics. 67% de la population vénézuélienne a accès à internet. Cette plate-forme dominante des médias privés renforcée par le réseau des transnationales joue un rôle crucial dans la désinformation au service de la déstabilisation. Pour un dossier détaillé et chiffré de ce paysage médiatique, voir « François Cluzel ou l’interdiction d’informer sur France-Culture » (17)

« Il y a des prisonniers politiques au Venezuela ». Faux. A moins de considérer comme « prisonniers politiques » les assassins du parti d’extrême droite Aube Dorée emprisonnés en Grèce. Dans un État de Droit, qu’il s’appelle France ou Venezuela, être de droite ne signifie pas être au-dessus des lois ni pouvoir commettre impunément des délits tels qu’assassinats, attentats à la bombe ou corruption. Ce n’est pas pour leurs opinions politiques mais pour ce type de délits que des personnes ont été jugées et emprisonnées. Dans la pratique on observe d’ailleurs un certain laxisme de la justice. Selon la firme privée de sondages Hinterlaces, 61 % des vénézuéliens considèrent que les promoteurs des violences et des actes de terrorisme devraient répondre de leurs actes devant un tribunal (18).

Rappelons que les leaders actuels de la droite n’ont jamais respecté les institutions démocratiques : ce sont les mêmes qui en avril 2002 avaient mené un coup d’État sanglant contre le président Chavez, avec l’aide du MEDEF local et de militaires formés à la School of Americas. Ce sont les mêmes qui ont organisé les violences de 2013 à 2016. Notons l’identité d’un de leur principaux mentors : Alvaro Uribe, un des plus grands criminels contre l’humanité de l’Amérique Latine, ex-président d’un pays gouverné par le paramilitarisme et les cartels de la drogue, qui possède les plus grandes fosses communes du monde, qui compte 9500 prisonniers politiques, 60.630 personnes disparues au cours des 45 dernières années et qui depuis la signature des accords de paix a repris une politique sélective d’assassinat de leaders sociaux et de défenseurs des droits de l’homme. Pour une information complète et en photos sur ces liens des héros du « Monde » avec le paramilitarisme colombien, lire « Venezuela : la presse française lâchée par sa source ? » (Venezuela.info)

Thierry Deronne, Venezuela, 20 mai 2017.

Notes

  1. Lire https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/02/22/brevissime-cours-de-journalisme-pour-ceux-qui-croient-encore-a-linformation/
  2. Entretien intégral de Cristina Kirschner avec Jorge Gestoso https://www.youtube.com/watch?v=-WM6nD6hPu0
  3. http://ambito.com/883274-tras-reunirse-con-michetti-correa-defendio-a-venezuela . Voir aussi http://www.telesurtv.net/news/Long-rechaza-injerencia-de-EE.UU.-en-asuntos-internos-de-Venezuela-20170518-0039.html
  4. http://correodelorinoco.gob.ve/cancilleres-de-caricom-resaltan-solucion-pacifica-para-situacion-de-violencia-en-venezuela
  5. http://www.ultimasnoticias.com.ve/noticias/politica/papa-francisco-dialogo-venezuela-afectado-la-division-la-oposicion/
  6. https://www.state.gov/documents/organization/252179.pdf (voir page 96)
  7. http://www.southcom.mil/Portals/7/Documents/Posture%20Statements/SOUTHCOM_2017_posture_statement_FINAL.pdf?ver=2017-04-06-105819-923
  8. Comme le reconnaît Julio Borges, leader du parti d’extrême droite Primero Justicia et actuel président de l’Assemblée Nationale, dans l’interview non complaisante que lui fait le journaliste de la BBC Stephen Sackur, le 19 mai 2017 : http://bbc.co.uk/programmes/p052nsxd
  9. http://tatuytv.org/index.php/noticias/duelo/3680-terrorismo-hallan-sin-vida-y-con-signos-de-tortura-a-militante-del-psuv-secuestrado-en-zona-opositora
  10. Détails de plusieurs cas sur le site du Parquet : http://bit.ly/2ro4iXE ; http://bit.ly/2qE9MNb ; http://bit.ly/2q5RsbU ; http://bit.ly/2rnNT5s
  11. http://albaciudad.org/2017/05/lista-fallecidos-protestas-venezuela-abril-2017/
  12. http://hastaelnocau.wordpress.com/2017/05/09/radiografia-de-la-violencia
  13. http://www.lavanguardia.com/internacional/20170507/422343873153/violinista-muerto-venezuela-manifestaciones.html
  14. http://www.desdelaplaza.com/poder/yeison-lo-mataron-manifestantes-la-mud-destacado/
  15. http://www.talcualdigital.com/Nota/142708/detenido-polisucre-por-asesinato-de-estudiante-de-la-ucv-carlos-jose-moreno
  16. https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/03/15/fauxccupy-sous-les-masques-de-guy-fawkes-de-lopposition-venezuelienne
  17. https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/03/12/thomas-cluzel-ou-linterdiction-dinformer-sur-france-culture
  18. https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/08/04/venezuela-la-presse-francaise-lachee-par-sa-source/
  19. http://hinterlaces.com/61-afirma-que-responsables-de-manifestaciones-violentas-deberian-ir-presos/

 

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Haïti : entre complicité et ingérence

octobre 30th, 2019 by Frédéric Thomas

Alors qu’Haïti a de nouveau connu plusieurs journées insurrectionnelles, le président Jovenel Moïse s’accroche au pouvoir, semblant bénéficier du soutien des pays occidentaux. De la sorte, ces derniers hypothèquent toute chance de résolution de la crise en cours.

Tous les voyants sont au rouge. Fruit d’une violence économique, qui est aussi une économie de la violence, basée sur l’accaparement et les inégalités, l’insécurité est générale et multiforme. Insécurité économique bien sûr – la pauvreté touche 60% de la population, et s’aggrave –, insécurité alimentaire – près d’un quart de la population est affectée –, insécurité sanitaire – en raison de la pénurie d’essence, les hôpitaux sont de moins en moins opérationnels –, insécurité éducative – la rentrée des classes n’a toujours pas eu lieu –, insécurité environnementale – Haïti est particulièrement vulnérable aux aléas climatiques… Insécurité physique aussi : depuis le début de l’année, 77 personnes ont été tuées dans le cadre des manifestations. Le massacre de la Saline, en novembre 2018, dans lequel l’État est impliqué, pèse toujours comme une menace.

Mais à trop coller à l’urgence de la crise actuelle, on en oublie ses racines et son autre versant. Les mobilisations massives, qui secouent le pays depuis plus d’un an et paralysent l’activité de ces dernières semaines, ont des origines immédiates – le ras-le-bol face à la corruption et à l’impunité dont « le scandale Petrocaribe » est le dernier exemple caricatural –, des raisons conjoncturelles – la dégradation des droits et des conditions de vie –, et des causes structurelles : les inégalités, la pauvreté et la captation de l’espace public. Si la situation est dramatique, le soulèvement populaire représente une source d’espoir et la chance – unique – d’un changement.

Complicités occidentales

Aux côtés des jeunes Petrochallengers, les Églises, les organisations vaudou, les artistes, les syndicats, les mouvements de paysans et de femmes, une partie importante du secteur privé… rarement on aura vu une telle unanimité dans la contestation. Et tous de s’accorder sur trois points (même s’ils les envisagent selon des temps et sous des formes différentes) : la démission du président, la tenue d’un procès sur les détournements de fonds de Petrocaribe, et un gouvernement de transition. Certes, à lui seul, le départ de Jovenel Moïse ne résout rien. Mais il constitue le marqueur d’un refus et d’une fin, la condition première aussi d’un nouveau commencement possible.

Force est alors de constater le fossé qui sépare le peuple haïtien des gouvernements occidentaux. Ces derniers n’ont en effet de cesse d’en appeler au dialogue. Le 15 octobre encore, la représentante française au Conseil de sécurité des Nations unies affirmait qu’il était de « la responsabilité du président Jovenel Moïse d’engager un dialogue inclusif et véritable ». Ce faisant, c’est sur le peuple haïtien, et non sur l’État, que la pression est mise. D’ailleurs, vu d’Haïti, cela s’apparente à de l’ingérence, tant le maintien au pouvoir d’un président discrédité et impopulaire ne peut s’expliquer que par le soutien, implicite ou explicite, de l’international.

Comment expliquer l’attitude des États-Unis et de l’Union européenne (UE) ? Les enjeux géopolitiques, la peur du chaos et, pire encore, celle de la révolution, l’attachement aux formes démocratiques – dont au premier chef, les élections –, la double solidarité de classe – avec l’élite et avec les gouvernants –, le biais idéologique, qui donne la priorité à la stabilité macroéconomique sur les remous imprévisibles du démos… tous ces facteurs jouent à des degrés variables. Mauvais calcul et solutions illusoires.

Le respect des formes démocratiques ? Cela fait des mois qu’il n’y a plus de gouvernement en Haïti, et les élections législatives d’octobre ont été reportées. D’ailleurs, on se montre autrement plus « souple » lorsqu’il s’agit du Venezuela. Le renforcement du parlement, du système judiciaire et des finances publiques ? C’est ce que prétend faire l’UE depuis des années, avec les résultats que l’on sait. Prétendre sans le peuple haïtien, voire contre lui, renforcer les institutions les plus gangrénées par la corruption pour lutter contre la corruption est une étrange stratégie.

Haïti, demain

Ce que peut ou devrait faire l’UE ? D’abord, affirmer qu’il revient aux Haïtiens eux-mêmes de déterminer les formes et les conditions du dialogue et de la transition, et s’opposer à l’ingérence états-unienne. S’abstenir en conséquence de tout geste de soutien à l’État, comme la nomination, le 3 octobre dernier, de la nouvelle ambassadrice de l’UE en Haïti, que Jovenel Moïse s’est plu à présenter dans un tweet comme « un acte de raffermissement des relations déjà excellentes entre Haïti et l’Union européenne ».

Ensuite, opérer un audit public de l’appui budgétaire de l’UE censé, dans la plus grande opacité, consolider l’État haïtien, et des entreprises européennes – comme Dermalog – ayant signé des contrats avec Haïti au cours de la période couverte par Petrocaribe (2008-2018). Enfin, l’UE aurait tout à gagner à faire ce que le représentant allemand au Conseil de sécurité de l’ONU demandait au gouvernement haïtien et aux partenaires d’Haïti : examiner « de manière approfondie les causes de la situation actuelle et tirer des enseignements des 15 dernières années ».

L’avenir est certes incertain. Mais le statu quo impossible, et la stabilité l’autre nom de la reproduction d’un système qui a fait faillite. S’il n’y a pas de communauté internationale, il y a bien une solidarité internationale. Le devoir de celle-ci est d’être à la hauteur de la lutte actuelle des Haïtiennes et Haïtiens.

Frédéric Thomas

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VIDÉO – Chili : Manifestation en musique

octobre 29th, 2019 by Mídia Ninja

« El Pueblo Unido jamas sera vencido »

Le peuple uni ne sera jamais vaincu.

Concert-manifestation :

Devant la Basilique des Sacrements de Santiago (basílica de los Sacramentinos), l’orchestre symphonique du Chili interprète le classique « El Pueblo Unido Jamás serás Vencido » (le peuple uni ne sera jamais vaincu), une chanson de Sergio Ortega * et du groupe Quilapayún**, en 1973, sous le gouvernement Allende, qui deviendra, à travers l’Amérique latine, le chœur des générations à venir, par des gestes de protestation.

Vidéo posté par le Facebook de Midia Ninja.

 

Sergio Ortega, né le 2 février 1938 à Antofagasta et mort le 16 septembre 2003 à Paris, est un compositeur et pianiste chilien.(Wikipédia). Lire le texte de l’Humanité « Mort du musicien révolutionnaire Sergio Ortega »

**Le groupe Quilapayun en 1973 interprète la chanson « El pueblo unido jamás será vencido »

Le néolibéralisme brûle… Le Calife, un film CIA

octobre 29th, 2019 by Mondialisation.ca

Sélection d’articles :

Brûle, Néolibéralisme, brûle

Par Pepe Escobar, 26 octobre 2019

Le néolibéralisme est – littéralement – en train de bruler. Et de l’Équateur au Chili, l’Amérique du Sud, une fois de plus, montre la voie. Contre l’austérité vicieuse et universelle du FMI, qui déploie des armes de destruction économique massive pour briser la souveraineté nationale et favoriser les inégalités sociales, l’Amérique du Sud semble enfin prête à reprendre le pouvoir de forger sa propre histoire.

 

Syrie/ONU: Pas question de justifier l’invasion turque par la légitime défense ou la lutte contre le terrorisme…

Par Dr. Bachar al-Jaafari, 27 octobre 2019

Après l’invasion turque de la Syrie le 9 octobre courant, suite à l’annonce du prétendu retrait total américain du nord est de la Syrie, et la conclusion de l’accord russo-turc du 22 octobre, le Conseil de sécurité s’est réuni le 24 octobre ; l’ONU réclamant le passage de l’aide humanitaire par la frontière turco-syrienne. Le délégué permanent de la Syrie auprès des Nations Unies, le Dr Bachar al-Jaafari, dit tout haut ce que dissimulent les « pleurnicheries humanitaires » des coalisés ayant projeté le dépeçage de la Syrie bien avant d’entreprendre leur massacre programmé de la Syrie et des Syriens. 

 

Assange face à un tribunal fantoche

Par Craig Murray, 27 octobre 2019

J‘ai été profondément ébranlé par les événements d’hier [21 octobre 2019] au Tribunal de première instance de Westminster. Chaque décision a été prise à la charge, par-dessus les arguments et les objections à peine audibles de l’équipe juridique d’Assange, par une magistrate qui faisait à peine semblant d’écouter.

 

Un million de personnes dans les rues du Chili, manifestant pacifiquement pour les droits et contre la répression.

Par Mídia Ninja, 27 octobre 2019

Vidéo sur la grande manifestation du 25 octobre au Chili contre les mesures d’austérité du gouvernement.

 

Liban: cette semaine ne sera pas la même que la semaine dernière pour les manifestants

Par Elijah J. Magnier, 29 octobre 2019

Après moins de deux semaines de manifestations généralisées, impulsives et non organisées dans les rues du Liban, des sommes énormes ont été investies ces derniers jours – par des donateurs non déclarés – afin de fournir aux manifestants nourriture, boissons et produits de première nécessité pour qu’ils restent dans la rue jusqu’à “la chute du régime politique, du gouvernement et du règne des banquiers, en particulier de la banque centrale”.

 

Fin du calife: «Il est mort comme un chien»

Par Pepe Escobar, 29 octobre 2019

« Il est mort comme un chien. » Le président Trump n’aurait pas pu écrire une phrase plus percutante alors qu’il se préparait pour son gros plan à la Obama ben Laden devant le monde entier. Abou Bakr al-Baghdadi, faux calife, chef d’ISIS/Daech, l’homme le plus recherché de la planète, a été « livré à la justice » sous le mandat de Trump. Le chien mort calife est maintenant positionné comme trophée gagnant en politique étrangère en vue de la réélection de 2020.

 

Le Calife, un film CIA entre fiction et réalité

Par Manlio Dinucci, 29 octobre 2019

“Ça a été comme regarder un film”, a dit le président Trump après avoir assisté à l’élimination d’Abu Bakr al Baghdadi, le Calife chef de l’EI (Daech), transmise dans la Situation Room de la Maison Blanche. C’est là qu’en 2011 le président Obama assistait à l’élimination de l’ennemi numéro un de l’époque, Oussama Ben Laden, chef d’Al Qaeda. Même mise en scène : les services secrets USA avaient depuis longtemps localisé l’ennemi …

 

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Cet article a été publié initialement le 3 octobre 2015.

En 2011, en pleine effervescence sur la place Tahrir, on questionna Srdja Popovic sur les activités de formations révolutionnaires de centre CANVAS (Center for Applied Non Violent Action and Strategies) qu’il dirige à Belgrade. Il s’empressa de répondre, non sans une petite pointe de fierté : « Nous travaillons avec 37 pays. Après la révolution serbe, nous avons eu cinq succès : en Géorgie, en Ukraine, au Liban et aux Maldives ». Dans son empressement, il avait juste oublié de mentionner le cinquième pays : le Kirghizstan. Il ne se priva pas d’ajouter : « Et maintenant l’Égypte, la Tunisie et la liste va s’allonger. Nous n’avons aucune idée du nombre de pays où le poing d’Otpor a été utilisé, probablement une douzaine… » [1]. Cette déclaration n’est pas anodine. Elle exprime l’évidente relation entre les révolutions colorées et les différents mouvements de contestation qui ont touché le Moyen-Orient, jusqu’au mal nommé « printemps » arabe.

Voir le documentaire: The Revolution Business (La déclaration de Srdja Popovic est à 4:20)

Les révolutions colorées

Ces révolutions, qui doivent leur dénomination aux noms avec lesquels elles ont été baptisées (rose, orange, tulipe, etc.), sont des révoltes qui ont bouleversé certains pays de l’Est ou ex-Républiques soviétiques au début du 21e siècle. C’est le cas de Serbie (2000), de la Géorgie (2003), de l’Ukraine (2004) et du Kirghizstan (2005).

Plusieurs mouvements ont été mis en place pour conduire ces révoltes : Otpor (« Résistance ») en Serbie, Kmara (« C’est assez ! ») en Géorgie, Pora (« C’est l’heure ») en Ukraine et KelKel (« Renaissance ») au Kirghizistan. Le premier d’entre eux, Otpor, est celui qui a causé la chute du régime serbe de Slobodan Miloševic. Après ce succès, Popovic (un des fondateurs d’Otpor) a créé CANVAS avec l’aide des activistes du mouvement serbe. Comme indiqué par Popovic, ce centre a aidé, conseillé et formé tous les autres mouvements subséquents. CANVAS a formé des dissidents en herbe à travers le monde, et en particulier dans le monde arabe, à l’application de la résistance individuelle non violente, idéologie théorisée par le philosophe et politologue américain Gene Sharp dont l’ouvrage « From Dictatorship to Democracy » (De la dictature à la démocratie) a été à la base de toutes les révolutions colorées et du « printemps » arabe [2].

Logo de CANVAS

 Aussi bien CANVAS que les différents mouvements dissidents des pays de l’Est ou des ex-Républiques soviétiques ont bénéficié de l’aide de nombreuses organisations américaines d’« exportation » de la démocratie comme l’USAID (United States Agency for International Development), la NED (National Endowment for Democracy), l’IRI (International Republican Institute), le NDI (National Democratic Institute for International Affairs), Freedom House et l’OSI (Open Society Institute). Ces organismes sont financés par le budget américain ou par des capitaux privés américains. À titre d’exemple, la NED est financée par un budget voté par le Congrès et les fonds sont gérés par un conseil d’administration où sont représentés le Parti républicain, le Parti démocrate, la Chambre de commerce des États-Unis et le syndicat American Federation of Labor-Congress of Industrial Organization (AFL-CIO), alors que l’OSI fait partie de la Fondation Soros, du nom de son fondateur George Soros, le milliardaire américain, illustre spéculateur financier [3].

Il a été montré que ces mêmes organismes ont aidé, formé et réseauté les cyberdissidents arabes impliqués dans le fameux « printemps » qui a balayé leurs pays [4]. On retrouve aussi les « empreintes » de ces organismes dans les évènements de Téhéran (Révolution verte – 2009) [5], de l’Euromaïdan (Ukraine – 2013/2014) [6] et, un peu plus récemment, à Hong Kong (révolution des parapluies – 2014) [7].

La révolution du Cèdre

Selon certains, le plus grand succès de CANVAS dans la région MENA (Middle East and North Africa) est certainement le Liban (Révolution du Cèdre – 2005) et son plus grand échec, l’Iran [8]. C’est ce qui explique pourquoi Popovic avait fièrement mentionné le Liban comme un trophée dans son tableau de chasse « révolutionnaire » et ne pipa aucun mot sur l’Iran.

La révolution du Cèdre a été un prélude au « printemps » arabe et, ainsi, le premier pays arabe à connaître cette « saison » fut le Liban. Cette série de manifestations admirablement bien orchestrées au début de l’année 2005 revendiquait, entre autres, le retrait des troupes syriennes après l’assassinat, le 14 février 2005, du Premier ministre libanais de l’époque, Rafiq Hariri.

Néanmoins, Sharmine Narwani explique, dans un article détaillé sur le sujet, que cette « révolution » avait été planifiée environ un an avant la mort de Hariri. La cellule de décision comprenait un noyau d’activistes formé par un trio d’amis : Eli Khoury, un expert en communication et marketing chez Quantum et Saatchi & Saatchi, Samir Kassir, un essayiste qui dirigeait le Mouvement de la gauche démocratique (MGD) formé en septembre 2004 et le journaliste Samir Frangieh [9].

Ajoutons à cela les noms d’autres activistes qui ont joué un important rôle : Nora Joumblatt (l’épouse du leader druze, Walid Joumblatt), Asma Andraous (membre du groupe 05AMAM, créé après le 14 février 2005), Gebran Tueni (à l’époque, directeur du journal An-Nahar) et Michel Elefteriades (musicien, producteur et homme d’affaires gréco-libanais).

Eli Khoury Samir Kassir Samir Frangieh
Nora Joumblatt Asma Andraous Michel Elefteriades

 

L’étroite relation entre les activistes de la révolution du Cèdre et les organismes américains de promotion de la démocratie a souvent été mentionnée.

En effet, le New York Post a rapporté (en 2005) que, selon des sources du renseignement américain, la CIA et d’autres services de renseignement européens ont donné de l’argent ainsi que du soutien logistique aux organisateurs des manifestations anti-syriennes pour accroître la pression sur le président syrien Bachar Al-Assad et afin de le contraindre à quitter complètement le Liban. Selon ces sources, ce programme secret était similaire à ceux que la CIA avait précédemment mis en place pour aider les mouvements pro-démocratiques en Géorgie et en Ukraine et qui avaient également mené à des manifestations pacifiques impressionnantes [10].

Certains activistes, comme Bassem Chit (décédé en 2014), ont reconnu avoir été contactés par Freedom House dans le but de « financer des mouvements de jeunesse pour aider au processus de démocratisation ». Selon Bassem Chit, Jeffrey Feltman, l’ambassadeur américain à l’époque, a invité un grand nombre de dirigeants du mouvement anti-syrien à des dîners et ce, durant la révolution du Cèdre. Il affirme aussi que l’ambassade américaine a également été directement impliquée dans la fomentation des manifestations anti-syriennes [11].

Sharmine Narwani précise dans son article précédemment cité que Gebran Tueni était en contact avec Frances Abouzeid, directrice de Freedom House à Amman (Jordanie). C’est sur ses conseils que Tueni a fait venir les formateurs de CANVAS à Beyrouth. Il est important de noter que Freedom House est le principal bailleur de fonds du centre de formation serbe.

Les serbes de CANVAS ont formé les activistes libanais en utilisant les locaux du journal An-Nahar. Ivan Marovic, le cofondateur de CANVAS, avait lui-même assuré des cours de formation à la résistance non-violente.

Michel Elefteriades a rencontré Ivan Marovic et ses collègues bien avant le 14 mars 2005 : « Gebran Tueni m’a appelé et il m’a dit que je devrais donner un coup de main à un groupe de Serbes qui venaient nous aider. Ils avaient l’air hyper-professionnels par rapport à ce qu’ils voulaient faire. Je voyais leur influence dans tout ce qui se passait. C’étaient des spécialistes des révolutions de couleur ». Et d’ajouter : « Puis ils ont commencé à nous dire ce qu’il fallait faire ou non. Je les accompagnais à des réunions avec les médias – rien que des médias internationaux – et ils coordonnaient les choses avec eux. Ils se connaissaient tous très bien […]. Ils nous ont donné une liste de slogans qui devaient être diffusés par les télévisions occidentales. Ils nous ont dit, à nous et aux journalistes occidentaux, où mettre les banderoles, quand les brandir en l’air, et même la taille qu’elles devaient avoir. Par exemple, ils demandaient aux journalistes de les prévenir des créneaux horaires où ils allaient passer, puis ils nous disaient de régler nos montres et de brandir nos pancartes juste à 15h05, en fonction du moment où les chaînes télévisées retransmettaient en direct depuis Beyrouth. C’était une mise en scène totale » [12].

Ivan Marovic (Otpor)

De son côté, Asma Andraous affirme que « toutes les organisations américaines pour la démocratie étaient là. Ils ont appris aux jeunes comment mobiliser, comment garder les militants occupés, ils étaient très enthousiastes » [13].

Certains activistes ont déclaré s’être éloignés ou avoir gardé leurs distances vis-à-vis des organismes américains ou proaméricains de promotion de la démocratie. C’est le cas de Michel Elefteriades qui aurait refusé de continuer à travailler avec les formateurs de Canvas ou de Bassem Chit qui aurait décliné les généreuses offres de Freedom House. D’autres ont essayé de minimiser le rôle de ces organismes ou de prétendre qu’ils ne soient intervenus que tardivement [14].

Néanmoins, le modus operandi de la révolution du Cèdre suit minutieusement le procédurier des révolutions colorées orchestrées par CANVAS. Parmi les 199 méthodes d’actions non violentes listées dans le manuel de CANVAS (distribué gratuitement sur Internet), on peut citer, par exemple, celle qui porte le n°33 : « La fraternisation avec l’ennemi » qui s’exprime sur le terrain par la distribution de fleurs aux forces de l’ordre (en général par le biais de jeunes et jolies jeunes filles) [15].  Cette méthode a été observée dans toutes les révolutions colorées, dans les pays arabes « printanisés » ainsi que dans les rues de Hong Kong, lors de la révolution des parapluies [16].

 

Jeune fille distribuant des fleurs aux forces de l’ordre libanaises (Février 2005)

 

Serbie (2000) Ukraine (2004)
Tunisie (2011) Égypte (2011)

Distribution de fleurs aux forces de l’ordre selon la méthode d’action non violente n°33 de CANVAS

D’autre part, Aleksandar Maric, l’ex-activiste d’Otpor et formateur de CANVAS n’a-t-il pas déclaré que son organisation avait établi des contacts avec les dissidents libanais et ce, avant la révolution du Cèdre [17] ? Cette précision a le mérite de corroborer les dires de Sharmine Narwani sur la planification de la « révolution » bien avant l’assassinat de Hariri.

En outre, tout le monde aura remarqué que le « Mouvement du 14 Mars », coalition de forces opposées à la Syrie créée après le meurtre du Premier ministre libanais, a choisi comme logo le poing d’Otpor légèrement modifié par l’ajout d’une branche verte.

Rappelons que le poing d’Otpor a été largement utilisé lors des différentes révolutions colorées et des manifestations qui ont accompagné le « printemps » arabe [18].

 Logo du « Mouvement du 14 mars » libanais

 

Quelques exemples d’utilisation du poing d’Otpor: Serbie (Otpor), Égypte (Mouvement du 6 avril), Géorgie (Kmara)

Il est curieux de savoir que la dénomination « révolution du Cèdre » n’est pas celle qui a été utilisée à l’origine par les activistes libanais. Les contestataires avaient plutôt opté pour « intifada de l’indépendance », « intifada du Cèdre », « printemps du Liban » ou « printemps du Cèdre ».

Michel Elefteriades raconte que le mot « intifada », qui fait allusion aux révoltes palestiniennes, ne plaisait pas aux spécialistes de CANVAS : « Dès le premier jour, ils me dirent que nous ne devions pas l’appeler notre mouvement ‘l’intifada du Cèdre’, parce qu’on n’allait pas aimer le mot intifada en Occident. Ils disaient que l’opinion arabe n’était pas importante, que ce qui comptait c’était l’opinion occidentale. Alors, ils ont dit aux journalistes de ne pas utiliser le mot intifada » [19].

En fait, l’expression « révolution du Cèdre » était plus agréable aux oreilles de l’administration Bush. Selon le journaliste Jefferson Morley du Washington Post, cette appellation a été inventée par Paula J. Dobriansky, la sous-secrétaire d’État à la démocratie et aux affaires internationales (2001-2009) sous les administrations Bush fils. Vantant la politique étrangère du président Bush lors d’une conférence de presse tenue le 28 février 2005, elle a déclaré : « Au Liban, nous voyons un élan grandissant pour une Révolution du Cèdre qui unifie les citoyens de cette nation à la cause de la vraie démocratie et la liberté de l’influence étrangère. Des signes d’espoir couvrent le monde entier et il devrait y avoir aucun doute que les années à venir seront grandes pour la cause de la liberté » [20].

Cette similitude entre l’appréciation de CANVAS et celle de l’administration américaine prouve (une fois de plus) une évidente concertation étant donné que le centre de formation serbe est essentiellement financé par les organisations américaines d’« exportation » de la démocratie, en particulier Freedom House, l’IRI et l’OSI [21].

Il faut signaler que Paula J. Dobriansky est non seulement membre du CA de Freedom House mais aussi titulaire de la Chaire de Sécurité nationale à l’U.S. Naval Academy. Elle est également membre fondatrice du think tank néoconservateur (néocon) « Project for the New American Century » (PNAC) qui a eu une influence considérable sur l’administration Bush fils. Son nom figure parmi les 75 signataires d’une lettre envoyée en août 2013 au président Obama, lui recommandant d’attaquer la Syrie de « Bachar » en l’exhortant de « répondre de manière décisive en imposant des mesures ayant des conséquences significatives sur le régime d’Assad » [22].

On retrouve le nom d’Eli Khoury dans la liste des invités à une conférence internationale sur la « Démocratie et la sécurité » qui s’est tenue à Prague (République Tchèque), du 5 au 6 juin 2007. Cette rencontre a regroupé de nombreuses célébrités dans les domaines de la dissidence, de l’espionnage, de la politique et de la sphère académique. Citons, pêle-mêle, l’ancien Président tchèque Vaclav Havel, l’ancien Premier ministre d’Espagne, Jose María Aznar, le sénateur américain, Joseph Lieberman, l’ancien directeur de Freedom House, Peter Ackerman, l’égérie de la révolution orange et ancienne Premier ministre de l’Ukraine, Ioulia Timochenko ou le « néocon » Joshua Muravchik, lui aussi membre du PNAC  [23]. Dans cette conférence, Khoury a également côtoyé l’activiste égyptien Saad Eddin Ibrahim, le dissident soviétique (actuellement israélien), anticommuniste et sioniste Natan Sharansky et l’opposant russe Garri Kasparov.

Paula J. Dobriansky Joshua Muravchik

Saad Eddin Ibrahim est le fondateur du l’« Ibn Khaldoun Center for Development Studies », ONG très généreusement subventionnée par la NED.  Honoré par Freedom House, cet ancien professeur de l’université américaine du Caire a déjà été membre du conseil consultatif du « Project on Middle East Democracy » (POMED), un organisme américain qui travaille de concert avec Freedom House et qui est financièrement soutenu par la NED [24].

Mais ce qui attire l’attention dans cette liste, c’est le très grand nombre de participants de premier plan en provenance d’Israël dont l’ambassadeur de cet état en république tchèque Arie Arazi et son homolgue tchèque Michael Zantovsky, le responsable des affaires économiques de l’ambassade d’Israël aux États-Unis, Ron Dermer ainsi que de nombreux universitaires israéliens.

Néanmoins, le clou de la conférence a été, sans conteste, la présence du président G.W. Bush qui profita de l’occasion pour faire un discours sur la liberté, la démocratie, la dissidence et l’activisme politique [25].

Voir le discours du président G.W. Bush (Czernin Palace, Prague, 5 juin 2007)

La conférence a été organisée par le « Prague Security Studies Institute » (PSSI) et l’« Adelson Institute for Strategic Studies » [26].

Financé, entre autres, par l’OSI, le PSSI compte dans son conseil consultatif James Woolsey, l’ancien directeur de la CIA (et ancien président du CA de Freedom House) et Madeleine Albright, la 64e Secrétaire d’état américaine et, accessoirement, présidente du CA de la NDI [27].

L’« Adelson Institute for Strategic Studies » est un institut de recherche créé par un généreux don de l’« Adelson Family Foundation » (Miriam and Sheldon G. Adelson).  Il est dédié « à l’exploration des défis mondiaux auxquels Israël et l’Occident font face » et à l’étude de sujets tels que ceux qui sont reliés à l’avancement de la liberté et de la démocratie au Moyen-Orient [28]. Mentionnons que Sheldon G. Adelson est un milliardaire américain d’origine juive ukrainienne (comme Natan Sharansky). Considéré comme un des plus grands mécènes de l’État d’ Israël, il finance, à coup de millions de dollars, des voyages de juifs en Israël dans le but de resserrer les liens entre Israël et la diaspora [29]. En effet, la mission primaire de sa fondation tient en une seule ligne : « Renforcer l’Etat d’Israël et le peuple juif » [30]. Selon le journaliste Nathan Guttman, l’idéologie de Sheldon G. Adelson est un mélange de soutien au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, de sympathie pour le mouvement des colons et d’hostilité envers l’Autorité palestinienne [31].

Le milliardaire sioniste Sheldon G. Adelson et son « grand » ami Benjamin Netanyahu (Jérusalem, le 12 août 2007)

Comment se fait-il qu’Eli Khoury se retrouve dans une conférence aussi prestigieuse, regroupant des présidents, des Premiers ministres, des ambassadeurs, des faucons « néocons », d’illustres dissidents et un club select d’officiels israéliens ? Serait-ce pour le remercier pour son rôle proactif dans la révolution du Cèdre ?

En fait, Eli Khoury n’est pas un inconnu pour l’administration américaine. Le câble Wikileaks « 06Beirut1544_a » nous apprend qu’environ un an avant cette conférence, il était invité à un dîner organisé par l’ambassadeur américain à l’occasion de la visite de Kristen Silverberg, secrétaire d’État adjoint aux organisations internationales. Jeffrey Feltman identifie Khoury comme directeur général de Saatchi & Saatchi (une compagnie publicitaire) et le décrit comme « un stratège de la publicité et un expert créatif » qui a contribué au « branding » de la révolution du Cèdre [32]. En réalité, le rôle de cette compagnie a été tellement important, que certains n’hésitent pas à qualifier la révolution du Cèdre de « révolution Saatchi » [33] ou même, en tenant compte de l’implication des organisations américaines, de « révolution parrainée par l’USAID et Saatchi & Saatchi » [34].

Et ce n’est pas tout. Eli Khoury est cofondateur de la « Lebanon Renaissance Foundation » (LRF), une ONG établie en 2007 à Washington qui se définit comme « un organisme éducatif indépendant, non gouvernemental et non-sectaire dont les fondateurs ont été impliqués à travers leurs propres activités professionnelles dans la promotion de la pratique de la non-violence et de l’activisme démocratique » [35]. On retrouve ainsi, dans cette description, des termes chers aux « prophètes » des révolutions colorées, Srdja Popovic et Gene Sharp.

Cette fondation est une « organisation qui reçoit une partie substantielle de son soutien d’une unité gouvernementale [américaine] ou du grand public » [36]. Après avoir essentiellement reçu des fonds gouvernementaux américains, elle finance, à son tour, différents programmes ou organisations domiciliées au Liban. Citons, par exemple, le « Sustainable Democracy Center », ONG libanaise qui a été financée (entre autres) par l’USAID et la NED (2003 et 2005) [37], ou l’ONG MARCH qui, elle aussi, reçoit directement ou indirectement des subventions provenant de plusieurs organisations pro-démocratie américaines (NED, USAID, etc.). Plus de détails seront donnés sur ces deux ONG libanaises dans la section suivante.

Selon son rapport d’impôt 2013 [38], LRF a financé le « Lebanese Advocacy and Legal Advice Center » (LALAC), un organisme de lutte contre la corruption qui reçoit aussi des fonds du « Center for International Private Enterprise » (CIPE) [39], un des 4 satellites de la NED [40]. Il faut savoir que le centre LALAC est une initiative du « Lebanese Transparency Association » (LTA), une ONG libanaise fondée en 1999 et qui est subventionnée par le CIPE, le NDI, le MEPI et l’OSI [41]. Le MEPI (Middle East Partnership Initiative) est un programme qui dépend directement du Département d’État des États-Unis, par l’intermédiaire du Bureau des Affaires du Proche-Orient [42].

Finalement, il est important de mentionner que Samir Kassir et Gebran Tueni n’ont malheureusement pas eu l’opportunité de participer au dîner de l’ambassadeur Feltman, ni à la conférence internationale sur la « Démocratie et la sécurité » : ils ont été assassinés, respectivement, le 2 juin 2005 et le 12 décembre 2005.

Finalement, il est important de mentionner que Samir Kassir et Gebran Tueni n’ont malheureusement pas eu l’opportunité de participer au dîner de l’ambassadeur Feltman, ni à la conférence internationale sur la « Démocratie et la sécurité » : ils ont été assassinés, respectivement, le 2 juin 2005 et le 12 décembre 2005.

Beyrouth et la « ligue arabe du Net »

Comme dans le cas de l’Ukraine après la révolution orange [43], les organisations américaines d’« exportation » de la démocratie n’ont pas quitté le Liban après la révolution du Cèdre, bien au contraire. Les rapports de la NED montrent, qu’entre 2005 et 2014, cet organisme a distribué plus 7 millions de dollars aux ONG libanaises. Entre 2005 et 2012, le NDI a reçu à lui tout seul plus de 2 millions de dollars pour financer ses activités au Liban.

La formation et le réseautage des cyberactivistes arabes a conduit à la création de ce que le journaliste français Pierre Boisselet a nommé la « ligue arabe du Net » [44]. De nombreuses rencontres entre les activistes-blogueurs arabes ont été organisées avant et après le « printemps » arabe. Les deux premiers « Arab Bloggers Meeting » ont eu lieu à Beyrouth. Le premier (du 22 au 24 août 2008) a réuni 29 blogueurs provenant de 9 pays arabes (Liban, Égypte, Tunisie, Maroc, Arabie Saoudite, Bahrein, Palestine, Irak et Syrie) [45]. Lors du second meeting, qui s’y est déroulé du 8 au 12 décembre 2009, le nombre de cyberactivistes arabes a dépassé les 60 [46]. S’y sont rencontrés les « vedettes » arabes du Net : les Tunisiens Sami Ben Gharbia, Slim Ammamou et Lina Ben Mhenni, les Égyptiens Alaa Abdelfattah et Wael Abbas, le Mauritanien Nasser Weddady, le Bahreïni Ali Abdulemam, le Marocain Hisham AlMiraat (alias Khribchi), le soudanais Amir Ahmad Nasr, la syrienne Razan Ghazzaoui, etc [47].

 Slim Amamou et Lina Ben Mhenni (3e « Arab Bloggers Meeting », Tunis 2011)

Razan Ghazzaoui, Alaa Abdelfattah et Ali Abdulemam (Budapest 2008)

Sami Ben Gharbia Alaa Abdelfattah Wael Abbas
Ali Abdulemam Hisham AlMiraat Amir Ahmad Nasr

 

Nasser Weddady

Razan Ghazzaoui

Bien que les deux meetings aient été organisés par le « Heinrich Böll Stiftung » [48], l’OSI de Soros a cofinancé le second [49]. À noter l’intéressante participation aux ateliers de formation de l’« illustre » Jacob Appelbaum dans la seconde édition (2009). Sa présentation traitait de contournement, de sécurité et d’anonymat en ligne [50]. Pour les non-initiés, Jacob Appelbaum est un « hacktivist » qui représente la face publique de l’entreprise américaine qui développe TOR, un logiciel qui permet la navigation anonyme sur Internet et, ainsi facilite le contournement de la surveillance et de la censure étatiques. Appelbaum voyage à longueur d’année pour rencontrer des cyberdissidents à travers le monde et leur montrer comment utiliser gratuitement le produit TOR. Pour avoir une idée de l’utilisation du programme TOR, il faut savoir qu’il a été téléchargé plus de 36 millions de fois au cours de l’année 2010 seulement [51].

Jacob Appelbaum (3e « Arab Bloggers Meeting », Tunis 2011)

La révolution des « ordures »

La série de manifestations qui a eu lieu au Liban durant l’été 2015 a été baptisée « crise des déchets » par certains, révolution des « ordures » ou des « poubelles » par d’autres. Elle s’est déclenchée à la suite d’un problème de ramassage et de gestion d’ordures, mais les revendications des manifestants ont rapidement viré à la contestation du gouvernement et à la dénonciation de la corruption et de la faillite de l’État.

Des manifestants du mouvement « Vous puez! » préparent des pancartes (Beyrouth, le 29 août 2015)

Notez que Ghandi a aussi été le « mentor » des activistes d’Otpor et l’inspirateur de Gene Sharp

Le collectif citoyen créé dans la foulée de ces manifestations a été baptisé « Vous puez !» (Tal3at Rihatkom, en arabe). Ce nom court et percutant correspond merveilleusement bien aux méthodes préconisées par CANVAS. Il s’inscrit dans la même veine que le « Otpor » serbe (Résistance), le « Kmara » géorgien (C’est assez !) ou le « Pora » ukrainien (C’est l’heure).

Parmi les leaders les plus médiatisés de ce mouvement de contestation, on peut citer Imad Bazzi, Marwan Maalouf, Assaad Thebian et Lucien Bourjeilly.

Imad Bazzi

Imad Bazzi est un cyberactiviste libanais très impliqué dans la blogosphère arabe. Selon le chercheur Nicolas Dot-Pouillard, Bazzi a été proche des activistes d’Otpor et un fervent partisan du retrait syrien en 2005 [52]. Faisant partie lui aussi de la « ligue arabe du Net », il reconnait avoir étroitement travaillé avec les cyberdissidents syriens. « Il est normal que quelqu’un en Syrie veuille aider quelqu’un en Égypte, et que quelqu’un en Tunisie veuille aider quelqu’un au Yémen » a-t-il déclaré. « Nous partageons les mêmes problèmes, nous souffrons tous de la corruption locale, de l’absence de la règle de droit et l’absence de démocratie » [53].

Bazzi a participé à différentes conférences dédiées au cyberactivisme. Dans l’une d’entre elle (2010), il côtoya les cyberactivistes égyptiens du « Mouvement du 6 avril » qui ont joué un rôle indéniable dans la chute du président Moubarak (Bassem Samir, Israa Abdel Fattah,..) et dont les activités étaient financées par de nombreuses organisations américaines de promotion de la démocratie [54]. Cette conférence était co-sponsorisée par Google et Freedom House [55].

En 2011, l’université américaine de Beyrouth a organisé la 16e conférence annuelle de l’« Arab-US Association of Communication Educators » (AUSACE) [56]. Dans cette rencontre financée par l’OSI de Soros, Imad Bazzi était jumelé à Sami Ben Gharbia dans le même panel. Rappelons que Sami Ben Gharbia, cofondateur du site Nawaat, est un cyberactiviste tunisien de premier plan qui a été très impliqué dans la « printanisation » de la Tunisie [57].

Soulignons qu’Imad Bazzi a aussi été « program fellow » de Freedom House [58] et chef de projet du « Sustainable Democracy Center » cité précédemment [59].

Le 5 septembre 2011, soit quelques mois après la chute de Moubarak, Bazzi a été arrêté par la police égyptienne à l’aéroport du Caire. Il a déclaré à la fondation « Maharat » (une ONG libanaise financée par la NED qui milite pour les droits des journalistes [60]) qu’il s’y rendait pour travailler comme consultant pour une institution. Il a été détenu pendant plus de dix heures pendant lesquelles il fut questionné sur ses relations avec les cyberactivistes égyptiens comme Wael Abbas. Il a été par la suite expulsé vers Beyrouth [61].

Pour terminer le portrait, signalons qu’Imad Bazzi est membre du forum « Fikra », un forum créé par le lobby américain pro-israélien. Parmi les participants, on y trouve de nombreux cyberactivistes arabes, tels Bassem Samir, Israa Abdel Fattah ou Saad Eddin Ibrahim et les dissidents Syriens Radwan Ziadeh et Ausama Monajed (anciens membres du Conseil national syrien – CNS). Il va sans dire que tous ces « contributeurs » sont financés par les organismes américains d’« exportation » de la démocratie [62]. On y trouve aussi les noms de faucons « néocons » comme Joshua Muravchik (anciens collègues de Paula J. Dobriansky) et même celui du Dr. Josef Olmert, frère de l’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert [63].

1- Bassem Samir; 2- Sherif Mansour (Freedom House); 3- Saad Eddin Ibrahim; 4- Dalia Ziada (cyberactiviste égyptienne membre de Fikra); 5- Israa Abdel Fattah

Marwan Maalouf est une des principales figures du mouvement « Vous puez ! ». Selon plusieurs observateurs, il aurait participé, en 2005, aux manifestations de la révolution du Cèdre au sein d’un mouvement estudiantin [64]. Par la suite, son parcours a été imprégné de militantisme « made in USA », jugez-en.

En effet, de 2008 à 2011, il a été administrateur de programme pour Freedom House à Washington, chargé de la région MENA, tout particulièrement de la Syrie, la Tunisie et l’Algérie. Il s’est ensuite installé en Tunisie (de 2012 à 2013) pour diriger l’« Institute for War and Peace Reporting » (IWPR) [65]. Cet institut qui « soutient les reporters locaux, les journalistes citoyens et des militants de la société civile » et contribue « à la paix et la bonne gouvernance en renforçant la capacité des médias et la société civile de prendre la parole » [66] est financé par plusieurs organismes dont la NED, l’USAID et le Département d’État (via l’ambassade des États-Unis à Tunis et le programme MEPI) [67].

Marwan Maalouf, après avoir été évacué par la force, avec ses camarades avec qui il avait investi le siège du ministère de l’Environnement (Beyrouth, le 1er septembre 2015)

Marwan Maalouf est cofondateur de l’institut de recherche « Menapolis » spécialisé dans la gouvernance et le développement dans la région MENA. Parmi ses « experts » figure le nom d’Imad Bazzi et, parmi ses clients, on trouve (bien entendu) l’IWPR, Freedom House et le MEPI [68].

Selon Martin Armstrong, journaliste britannique basé à Beyrouth, Assaad Thebian est le cofondateur et porte-parole du mouvement « Vous puez !» ainsi que le principal organisateur des manifestations actuelles [69].

 Assaad Thebian (Beyrouth, le 28 août 2015)

Le profil « LinkedIn » d’Assaad Thebian montre qu’il fait partie du groupe (privé) des « anciens » du MEPI (chapitre du Liban) [70]. Sur la description de ce groupe, on peut lire : « MEPI, un programme du département d’Etat [américain], est actif dans toute la région. Le réseau des anciens comprend plus de 128 participants à des programmes de MEPI. Le réseau fournit une avenue pour les anciens élèves à poursuivre leurs efforts pour renforcer la société libanaise. MEPI se concentre sur quatre domaines distincts ou « piliers » : la démocratie, l’éducation, l’économie et l’autonomisation des femmes. Le chapitre libanais du réseau des anciens comprend des individus de diverses origines qui ont participé à une série de programmes dans les quatre domaines. […] Avec le lancement du chapitre libanais du réseau des anciens, les différentes compétences que les individus ont acquises peuvent être utilisées pour permettre une participation active continue au Liban » [71].

Le 29 janvier 2014, l’association libanaise des « anciens » du MEPI a organisé un évènement à Beyrouth, en présence de l’ambassadeur étasunien au Liban, M. David Hale. Il s’agissait, à l’occasion du 10e anniversaire du MEPI, d’« honorer les réalisations exceptionnelles » de dix « anciens » du chapitre libanais. Évidemment, Assaad Thebian faisait partie du groupe [72]. À ce titre, un trophée sur le pupitre, il prit la parole pour lancer quelques flèches vers le gouvernement libanais, sous les applaudissements de M. Hale [73]. Un prélude à la révolution des « ordures » ?

Voir le discours d’Assaad Thebian lors du 10e anniversaire du MEPI (Le Royal Dbayeh, Beyrouth, 29 janvier 2014)

Depuis 2011 jusqu’aujourd’hui, Thebian œuvre comme consultant en medias numériques et communication. Parmi ses clients figurent de nombreuses ONG telles que la « Lebanese Association for Democracy of Elections » (LADE) et la « Civil Campaign for Electoral Reform » (CCER) [74]. Un bref coup d’œil sur le site du NDI permet de voir que cet organisme d’« exportation » de la démocratie a un partenariat de 17 ans avec la LADE et travaille étroitement avec la CCER [75].

Contrairement aux autres leaders du mouvement « Vous puez ! », Lucien Bourjeily est un homme d’art. Écrivain et réalisateur, il a été choisi en 2012 par CNN comme l’une des 8 personnalités culturelles les plus importantes du Liban [76].

En 2013, il défia le gouvernement libanais avec une pièce de théâtre qui critique sévèrement la censure étatique. La pièce intitulée « Bto2ta3 Aw Ma Bto2ta3 » (littéralement « Tu coupes ou te ne coupes pas ? ») a été interdite de présentation publique par le bureau de la censure, ce qui lui a valu une immense publicité. En 2014, Bourjeily a encore eu des problèmes avec les autorités libanaises pour une histoire de renouvellement de passeport, incident qui a agité la blogosphère [77].

 Lucien Bourjeilly après avoir obtenu son passeport libanais (23 mai 2014)

La pièce de théâtre en question a été produite par l’ONG « MARCH » (citée auparavant en relation avec Eli Khoury) qui a pour mission « d’éduquer, de motiver et de responsabiliser les citoyens à reconnaître et à se battre pour leurs droits civils fondamentaux, élever une société libanaise ouverte tolérante afin de favoriser la diversité et l’égalité et de parvenir à une véritable réconciliation entre les différentes communautés ». Cette organisation est conjointement financée par la NED [78], l’USAID, SKeyes Media et Maharat [79].

Le rapport annuel 2014 de la NED indique clairement que la tâche de MARCH est de « monter une production de  » Bto2ta3 Aw Ma Bto2ta3″ et de documenter les efforts pour obtenir l’approbation d’une pièce vis-à-vis de la censure » [80]. Mission accomplie : l’interdiction de la pièce a été levée le 25 septembre 2014 et la nouvelle fut fortement médiatisée [81].

SKeyes est l’acronyme stylisé de « Samir Kassir Eyes » (les yeux de Samir Kassir, le leader de la révolution du Cèdre). Ce centre a été fondé à Beyrouth en novembre 2007, suite à l’assassinat de Samir Kassir. Selon ce qui est mentionné sur son site « le centre se veut l’œil de surveillance des violations de la liberté de la presse et de la culture ; il entend également défendre les droits des journalistes et des intellectuels ainsi que leur liberté d’expression » [82]. De nombreux documents montrent que SKeyes est financé par la NED et le NDI [83]. D’autre part, avant d’être Directeur exécutif de SKeyes (depuis 2011), M. Ayman Mhanna avait travaillé pour le NDI comme administrateur principal de programme (2007-2011) [84].

Petite précision : Lucien Bourjeily et Imad Bazzi sont, tous deux, membres du conseil consultatif de MARCH [85].

Les activistes dont il a été question précédemment font partie des figures les plus médiatiques de la révolution des « ordures », mais la liste est loin d’être exhaustive. Néanmoins, le dissident qui fait le lien entre la révolution du Cèdre et celle des « ordures » est très certainement Michel Elefteriades, sorte de « chaînon manquant » du Liban révolutionnaire coloré. Une décennie plus tard, celui qui a fréquenté les spécialistes de la résistance non-violente de CANVAS revient au-devant de la scène de la contestation populaire.

Et d’utiliser le langage d’apparence naïve du « profane » en expliquant la révolution des « ordures » : « C’est une sorte de révolution populaire, un mélange de beaucoup de mouvements – une certaine anarchie dans le bon sens philosophique comme le refus de la centralisation du pouvoir – c’est vraiment un mouvement populaire, donc je ne pense pas qu’il va s’arrêter » a-t-il déclaré.

Et de se contredire un peu plus loin : « il y a des intellectuels et des leaders d’opinion qui surveillent (les protestations). Nous sommes là pour surveiller s’il n’y a pas de glissements, ni d’intrus qui dirigent les manifestations dans une autre direction » [86].

Dans l’élan créé par la révolution des « ordures », Michel Elefteriades a fondé « Harakat El Girfanine » (le mouvement des dégoûtés) [87].  Une preuve qu’il n’a pas oublié les leçons de CANVAS. En effet, le logo de ce mouvement n’est autre que le poing d’Otpor et son nom s’apparente à celui des cyberdissidents soudanais « Girifna » (on est dégoûté) [88].

Michel Elefteriades et son « Mouvement des dégoûtés »

Voir la vidéo « promotionnelle » du mouvement dissident soudanais « Girifna »

Cette vidéo est inspirée par celle réalisée par les activistes serbes d’Otpor, quelques années auparavant:

Bien que les multiples revendications du mouvement « Vous puez ! » expriment un réel ras-le bol de la population libanaise, il faut se rendre à l’évidence que les inextricables relations entre les leaders de la révolution des « ordures » et les différentes organisations américaines d’« exportation » de la démocratie ne sont pas anodines. Ces connivences latentes sont le résultat d’un travail de fond qui a précédé la révolution du Cèdre, qui s’est poursuivi jusqu’à ce jour et qui continuera très certainement dans le futur. À l’instar des autres pays arabes, la situation sociopolitique du Liban est un terreau si fertile que n’importe quelle minuscule graine de contestation peut générer un chaos indescriptible. Le « printemps » arabe en est la parfaite illustration.

D’autant plus que le Liban est un pays clef dans l’équation moyen-orientale de par sa proximité avec Israël, sa relation géopolitique avec l’exsangue Syrie et la présence d’un irritant majeur pour les Occidentaux : le Hezbollah.

Finalement, il est intéressant de faire le parallèle entre le Liban et l’Ukraine. À environ une dizaine d’années d’intervalle, ces deux pays ont été le théâtre de deux révolutions « noyautées » ; leurs populations ne présentent pas d’uniformité nationale (ethnique, cultuelle ou linguistique) ; ils sont géographiquement situés à proximité de pays de grande importance politique pour l’Occident (Israël/Syrie d’un côté et Russie de l’autre) de sorte qu’ils peuvent être utilisés comme chevaux de Troie pour l’atteinte d’objectifs géostratégiques.

Les révolutions orange (2004) et du Cèdre (2005) ont été parmi les plus grands succès de CANVAS. L’implication « planifiée » de violents groupes néonazis lors de l’Euromaïdan (2013-2014) a engendré des bouleversements dramatiques en Ukraine.

Au Liban, des relents « colorés » s’exhalent des monceaux de détritus qui jonchent les rues. Et une question se pose : de quoi va « accoucher » la révolution des « ordures » ?

Ahmed Bensaada

 Article publié initialement dans la revue Afrique-Asie octobre 2015, pp. 50-58 et

Reporters 3 octobre 2015, pp. 12-15

 

Références

  1. Journeyman Pictures, Documentaire « The Revolution Business », date de sortie : 27 mai 2011, Production ORF, Ref. : 5171, http://journeyman.tv/62012/short-films/the-revolution-business.html
  2. Ahmed Bensaada, « Arabesque américaine : Le rôle des États-Unis dans les révoltes de la rue arabe », Éditions Michel Brûlé, Montréal (2011), Éditions Synergie, Alger (2012).
  3. Ibid.
  4. Ibid.
  5. William J. Dobson, « The Dictator’s Learning Curve: Inside the Global Battle for Democracy », Random House Canada Limited, Toronto, 2012.
  6. Ahmed Bensaada, « Ukraine : autopsie d’un coup d’état », Reporters, 10 mars 2014, http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=257:ukraine-autopsie-dun-coup-detat&catid=48:orientoccident&Itemid=120
  7. Ahmed Bensaada, « Hong Kong : un virus sous le parapluie », Reporters, 14 octobre 2014, http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=294:hong-kong-un-virus-sous-le-parapluie&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
  8. Tina Rosenberg, « Revolution U », Foreign Policy, 16 février 2011, http://www.foreignpolicy.com/articles/2011/02/16/revolution_u
  9. Sharmine Narwani, « Ten years on, Lebanon’s ‘Cedar Revolution’», RT, 13 mars 2015, http://www.rt.com/op-edge/240365-lebanon-revolution-anniversary-cedar-2005/
  10. Niles Lathem, « Give Us Leb-erty! Protesters Slam Syria In Massive Beirut Rally», New York Post, 8 mars 2005, http://nypost.com/2005/03/08/give-us-leb-erty-protesters-slam-syria-in-massive-beirut-rally/
  11. Bassem Chit, « Lebanon: Some Things That Money Can’t Buy », Socialist Review, n°306, mai 2006, http://socialistreview.org.uk/306/lebanon-some-things-money-cant-buy
  12. Voir référence 9
  13. Ibid.
  14. Rita Chemaly, « Le printemps 2005 au Liban : Entre mythes et réalités », L’Harmattan, Paris, janvier 2009.
  15. BBC News, « In Pictures : Beyrouth Protest », 28 février 2005, http://news.bbc.co.uk/2/hi/in_pictures/4304639.stm
  16. Voir référence 7
  17. Milos Krivokapic, « Les faiseurs de révolutions : entretien avec Aleksandar Maric », Politique internationale, n°106, hiver 2004-2005, http://www.politiqueinternationale.com/revue/read2.php?id_revue=20&id=77&content=texte&search=
  18. Voir référence 2
  19. Voir référence 9
  20. Ibid.
  21. Ahmed Bensaada, « Arabesque$: Enquête sur le rôle des États-Unis dans les révoltes arabes », Éditions Investig’Action, Bruxelles, 2015, chap.1
  22. Ahmed Bensaada, « Syrie : le dandy et les faucons », 15 septembre 2013, http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=234:syrie-le-dandy-et-les-faucons&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
  23. Democracy & Security International Conference, « List of participants », Prague 5-6 juin 2007, http://www.democracyandsecurity.org/doc/List_of_Participants.pdf
  24. Voir référence 21, chap. 4
  25. FORA TV, « George W. Bush on Democracy and Security », http://library.fora.tv/2007/06/05/George_W__Bush_on_Democracy_and_Security
  26. Democracy & Security International Conference, « Organizers », Prague 5-6 juin 2007, http://www.democracyandsecurity.org/organizers.htm
  27. Prague Security Studies Institute , « International Advisory Board », http://www.pssi.cz/pssi-boards/international-advisory-board
  28. Voir référence 26
  29. Ynet News, « Richest US Jew pledges USD 25 million to Taglit – birthright Israel », 2 juin 2007, http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3361888,00.html
  30. Adelson Family Foundation, « Welcome », http://www.adelsonfoundation.org/AFF/index.html
  31. Nathan Guttman, « Sheldon Adelson Is a Philanthropist Like No Other », Forward, 3 novembre 2014, http://forward.com/news/israel/208220/sheldon-adelson-is-a-philanthropist-like-no-other/
  32. WikiLeaks, « Câble 06BEIRUT1544_a », https://www.wikileaks.org/plusd/cables/06BEIRUT1544_a.html
  33. Michael Emerson et Senem Aydın, « Democratisation in the European Neighbourhood », CEPS, Bruxelles, 2005, p. 3.
  34. Nabil Chehade, « Political Illustration : Lebanon and Beyond – Interview of Daniel Drennan », Design Altruism Project, 7 décembre 2011, http://design-altruism-project.org/2011/12/07/political-illustration-lebanon-and-beyond/
  35. Lebanon Renaissance Foundation, « Who We Are », http://www.lebanonrenaissance.org/whoweare
  36. Melissa Data, « Lebanon Renaissance Foundation », http://www.melissadata.com/lookups/np.asp?mp=p&ein=910190501
  37. SourceWatch, « Sustainable Democracy Center », http://www.sourcewatch.org/index.php/Sustainable_Democracy_Center
  38. ProRepublica, « Research Tax-Exempt Organizations – Lebanon Renaissance Foundation », https://projects.propublica.org/nonprofits/organizations/910190501
  39. Lebanon Renaissance Foundation, « Education », http://www.lebanonrenaissance.org/alteducation
  40. Voir référence 21, chapitre 2.
  41. The Libanese Transparency Association, « Annual Report 2008-2009 », http://transparency-lebanon.org/Modules/PressRoom/Reports/UploadFile/5719_31,07,YYannualreport.pdf
  42. Pour plus d’informations sur le MEPI, voir référence 21, chapitre 5.
  43. Voir référence 6
  44. Pierre Boisselet, « La “ligue arabe” du Net », Jeune Afrique, 15 mars 2011, http://www.jeuneafrique.com/192403/politique/la-ligue-arabe-du-net/
  45. Heinrich-Böll-Stiftung, « First Arab Bloggers Meeting 2008 », 22-24 août 2008, http://ps.boell.org/en/2013/11/05/first-arab-bloggers-meeting-2008-democracy
  46. Heinrich-Böll-Stiftung, « Second Arab Bloggers Meeting 2009 », 8-12 décembre 2009, http://lb.boell.org/en/2014/03/03/second-arab-bloggers-meeting-statehood-participation
  47. Pour voir les photos du « Second Arab Bloggers Meeting 2009 » : https://www.flickr.com/groups/1272165@N24/pool/with/4193262712/
  48. Pour connaitre la relation entre les « Stiftung » allemands et la NED, voir référence 21, chapitre 2.
  49. Heinrich-Böll-Stiftung, « Bloggers meeting report 2009 – Blogging out of Repression and Passivity, into Democracy and Change », 8-12 décembre 2009, https://lb.boell.org/sites/default/files/downloads/Bloggers_Meeting_Report_2009.pdf
  50. Global Voices Advocacy, « Interview with Jacob Appelbaum from TOR », 14 décembre 2009, https://advocacy.globalvoicesonline.org/2009/12/14/interview-with-jacob-appelbaum-from-tor/
  51. Pour une discussion plus approfondie sur TOR, voir référence 21, chapitre 3.
  52. Nicolas Dot-Pouillard, « Une « révolution des ordures » au Liban ? », ORIENT XXI, 2 septembre 2015, http://orientxxi.info/magazine/une-revolution-des-ordures-au-liban,1005
  53. Alia Ibrahim, « Arab cyberactivists rapidly gain traction as crises continue », Al Arabiya News, 9 avril 2011, http://english.alarabiya.net/articles/2011/04/09/144862.html
  54. Pour une discussion plus approfondie sur les cyberactivistes égyptiens, voir référence 21, chapitre 4.
  55. IkhwanWeb, « Blogging Truth to Power in the Middle East », 3 mars 2010, http://www.ikhwanweb.com/article.php?id=23498
  56. AUSACE 2011, « Conference Program- Digital and Media Literacy: New Directions », 28-31 octobre 2011, https://docs.google.com/spreadsheet/pub?hl=en_US&hl=en_US&key=0AkRlm628pZ6ddG9QbDdzbHNxajY4aktkMmp1UWNwNVE&single=true&gid=3&range =A1%3AB250&output=html
  57. Mezri Haddad, « La face cachée de la révolution tunisienne », Éditions Apopsix, Paris, 2011.
  58. Fikra Forum, « Imad Bazzi », http://fikraforum.org/?page_id=1783&lang=en&cid=62
  59. LinkedIn, « Imad Bazzi – Anchor at Aljadeed FM », https://www.linkedin.com/pub/imad-bazzi/24/454/9b3
  60. NED, 2014 Annual Report « Lebanon », http://www.ned.org/region/middle-east-and-northern-africa/lebanon-2014/
  61. Maharat Foundation, « Lebanese blogger arrested in Egypt, deported to Beirut », 12 septembre 2011, http://www.ifex.org/lebanon/2011/09/12/bazi_denied_entry/
  62. Ahmed Bensaada, « Les activistes du « printemps » arabe et le lobby pro-israélien », Reporters, 26 septembre 2013, http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=238:les-activistes-du-l-printemps-r-arabe-et-le-lobby-pro-israelien&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
  63. Ibid.
  64. Scarlett Haddad, « Marwan Maalouf, la tête dans les nuages et les pieds sur terre », L’Orient le Jour, 4 septembre 2015, http://www.lorientlejour.com/article/942496/marwan-maalouf-la-tete-dans-les-nuages-et-les-pieds-sur-terre.html
  65. LinkedIn, « Marwan Maalouf – Human Right Lawyer », https://www.linkedin.com/pub/marwan-maalouf/1a/722/856
  66. IWPR, « What we do », https://iwpr.net/what-we-do
  67. IWPR, « Donors/Funders », https://iwpr.net/about-us/supporters
  68. Menapolis, « Clients », http://menapolis.net/clients.php
  69. Martin Armstrong, « Thousands rally in Beirut as trash piles up », Middle East Eye, 30 août 2015, http://www.middleeasteye.net/news/thousands-demonstrate-beirut-government-reforms-639890316
  70. LinkedIn, « Assaad Thebian – Marketing & Digital Media Consultant », https://www.linkedin.com/in/assaadthebian
  71. LinkedIn, « MEPI Alumni Lebanon Chapter », https://www.linkedin.com/groups?gid=3662444&goback=%2Enppvan_assaadthebian&trk=prof-groups-membership-logo
  72. Kesserwen, « MEPI LAA Newsletter », 30 janvier 2014, http://www.kesserwen.org/n/news.php?id=37804
  73. YouTube, « Assaad Thebian: MEPI LAA Annual Dinner Speech », 29 février 2014, https://www.youtube.com/watch?v=b2D2G_edbYk
  74. United Nations Alliance of Civilizations, « Digital Tools for Newsgathering and Reporting Across Cultures Training Participant Bios », Avril 2013, http://www.unaoc.org/wp-content/uploads/Digital-Tools-Training-Participant-Bios.pdf
  75. NDI, « Where We Work – Lebanon », https://www.ndi.org/lebanon
  76. Kesserwen, « 8 leading lights in Lebanese culture », 18 août 2012, http://www.kesserwen.org/n/news.php?id=22592
  77. Nour Braïdy, « l’acteur Lucien Bourjeily récupère son passeport et crie victoire », Asdaa’, 24 mai 2014, http://asdaa.eu/2013-10-30-12-58-41/18-2013-10-31-11-02-33/808-l-acteur-lucien-bourjeily-recupere-son-passeport-et-crie-victoire
  78. Voir référence 60
  79. MARCH, « Resources – Partners », http://www.marchlebanon.org/en/Resources-Partners
  80. Voir référence 60
  81. Facebook, « MARCH », 16 octobre 2014, https://www.facebook.com/marchlebanon/photos/a.397998033570929.77264.348852438485489/741637102540352/?type=1
  82. SKeyes, « Qui sommes-nous ? », http://www.skeyesmedia.org/fr/Who-We-Are
  83. Voir, par exemple : Frank Smyth, « Animated journalist survival guide looks ahead », Committee to Protect Journalists (CPJ), 22 août 2013, https://cpj.org/blog/2013/08/animated-journalist-survival-guide-looks-ahead.php
  84. LinkedIn, « Ayman Mhanna – Executive Director at Samir Kassir Foundation », https://www.linkedin.com/in/aymangmhanna
  85. MARCH, « Missions and Objectives », http://www.marchlebanon.org/en/About-Us
  86. Elsa Buchanan, « Lebanon You Stink protests: We are not Egypt, claims activist Michel Elefteriades », IBTimes, 25 août 2015, http://www.ibtimes.co.uk/lebanon-you-stink-protests-we-are-not-egypt-claims-activist-michel-elefteriades-1517010
  87. Al Joumhouria, « Michel Elefteriades est “dégoûté et descend se promener à la place des Martyrs” », 24 août 2015, http://www.aljoumhouria.com/news/index/255178
  88. Siavash Golzadeh, « Girifna – a part of Sudan’s non-violent history », Peace Monitor, 10 septembre 2013, http://peacemonitor.org/?p=836

 

 

 

 

 

 

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Entretien de Cédric Leterme (CETRI) avec Danny Carranza, coordinateur national de l’ONG « Rights Inc. – Katarungan » qui défend les droits des petits paysans et des communautés rurales pauvres, basée à Mindanao au Sud des Philippines.

Cédric Leterme : Les Philippines ont un cadre légal relativement progressiste en matière d’accès à la terre, mais il semble qu’il ne soit pas toujours respecté et qu’il entre par ailleurs en conflit avec l’orientation politique et économique plus générale du gouvernement. Est-ce que vous partagez ce constat ?

Danny Carranza : Oui, tout à fait. Le principal enjeu pour les mouvements sociaux philippins concerne la façon de traiter avec l’État et ses lois. Je pense qu’ils n’ont pas encore réalisé que les lois sont un terrain contesté, aujourd’hui captif des tenants traditionnels du pouvoir. Les dirigeants étatiques ne sont pas immunisés contre les pressions des entreprises. Et il existe également des faiblesses internes. Ils appliquent des lois qui ont des failles ou des lacunes, et la plupart des officiels sont corrompus. Cela signifie que les lois ne sont pas automatiquement appliquées par l’État philippin. Les mouvements ruraux doivent donc chercher à les faire respecter, mais pour ça, ils doivent être organisés, avec les capacités de défier le pouvoir de l’État et des entreprises. Ils doivent renforcer leur organisation, développer une conscience légale critique et apprendre à connaître l’espace avec lequel ils interagissent.
Dans les régions où les communautés indigènes ou de paysans sans terre ne sont pas organisées, par exemple, la réforme agraire [1] ou la loi de protection des droits des indigènes n’ont jamais été réellement mises en œuvre, et ce malgré les rapports officiels qui affirment le contraire. La mobilisation est donc clé. Il y a des éléments dans la loi qu’il est possible d’utiliser au mieux, mais il y a aussi des lacunes contre lesquelles il faut se protéger.

C’est d’autant plus le cas que le gouvernement actuel se dirige vers encore plus de libéralisation et de marchandisation de la terre. L’État philippin est en pleine transition vers une forme encore plus libéralisée de gouvernance. De leur côté, les propriétaires terriens et les entreprises ont toujours résisté à la réforme agraire parce qu’ils veulent garder leurs terres intactes ou les exploiter à des fins de profits. Ce sont donc les principaux acteurs qui façonnent la dynamique de réforme agraire aujourd’hui. Dans ce contexte, pour moi, le plus important, c’est que les indigènes et les petits paysans s’organisent pour être capables à leur tour d’influencer ces dynamiques pour s’assurer que ce qui en ressorte soit bon pour eux.

Est-ce que les luttes rurales actuelles se mènent essentiellement au sein du cadre légal en vigueur ou est-ce qu’elles cherchent également à le remettre lui-même en cause, par exemple pour mieux intégrer les impératifs environnementaux ?

Danny Carranza  : Je pense que pour que les enjeux agraires et environnementaux se rejoignent, l’impulsion doit venir d’abord et avant tout des communautés rurales. Bien sûr, il existe déjà des revendications en ce sens : protéger la terre, s’assurer que la nourriture soit produite de manière sûre, protéger les producteurs de cette nourriture. Mais aujourd’hui, la principale préoccupation des communautés rurales consiste à s’assurer qu’elles ont d’abord un droit à la terre.

La plupart d’entre elles sont engagées depuis plus de deux décennies dans des luttes pour la terre. La transition vers une agriculture écologique passe donc souvent au second plan. Beaucoup ne sont même pas sûres qu’elles vont gagner leur lutte pour la terre, surtout les communautés qui vivent dans les zones critiques où les entreprises sont particulièrement agressives, où les propriétaires terriens résistent farouchement de façon armée et/ou légale.

Donc pour les communautés rurales aux Philippines, la question de comment intégrer l’accès à la terre et la transition écologique est vraiment difficile. Quand la terre sera à elles, la lutte d’après consistera à l’utiliser de façon écologique et à forcer l’État à rendre des comptes aussi sur ce terrain. Malheureusement, pour l’instant, c’est un autre niveau de lutte que le mouvement n’a pas encore été en mesure d’intégrer efficacement.

Par exemple, le centre de Luzon est une zone de culture du riz. Et le principal problème pour l’instant, c’est la loi de tarification du riz [2], qui enlève les restrictions à l’importation, ce qui fait que du riz importé inonde actuellement le marché. Les paysans cherchent donc à résister à ces importations qui les poussent à la faillite. Mais en réponse, le soutien gouvernemental prend la forme de prêts, et non d’un soutien à l’agroécologie. Les paysans qui veulent faire de l’agroécologie n’ont donc pas de soutien de l’État et ils doivent en outre faire face aux faillites parce que les politiques néolibérales les soumettent à des conditions extrêmement difficiles à vivre. Il y a donc une lutte entre ces deux impératifs et beaucoup de groupes organisés se retrouvent dans ce genre de dilemme. Certains ont de la chance et peuvent faire de l’agroécologie de façon indépendante grâce à du soutien extérieur, mais ce n’est pas le cas pour la grande majorité des paysans.

Le principal défi, surtout pour les paysans qui ont sécurisé leurs droits à la terre, c’est de faire basculer leurs revendications de la question de la propriété des terres à celle de la transition écologique. Ça pourrait être fait autour de la question de la justice climatique, par exemple. Les individus pauvres, en particulier en milieu rural, sont les plus vulnérables face aux événements météorologiques extrêmes. Ça pourrait être un enjeu important à formuler vis-à-vis du gouvernement pour le forcer à rendre des comptes. Mais pour l’instant, les paysans, et en particulier les cultivateurs de riz, sont dépassés par la nécessité de se battre contre les importations. C’est ça le contexte actuel. Ce dont on a besoin, c’est d’un mouvement capable d’inclure les préoccupations écologiques dans une campagne digne de ce nom en faveur de la souveraineté alimentaire. C’est le défi des groupes de défense des paysans dans le futur immédiat.

Est-ce qu’il existe des liens entre mouvements urbains et mouvements de paysans ? Par exemple sur le modèle des groupements d’achat qui se multiplient en Europe pour faire le lien entre consommateurs urbains et producteurs à la campagne ?

Danny Carranza  : Ça a toujours été un projet de faire en sorte que les consommateurs urbains absorbent la production du secteur rural, en éradiquant au passage les couches actuelles d’intermédiaires qui les exploitent, en permettant aux fermiers de vendre directement à leurs marchés cibles. Le problème, c’est que les consommateurs urbains se rendent aux endroits les plus facilement accessibles pour leurs besoins en nourriture. Pour que les paysans pauvres puissent avoir accès à ces consommateurs-là, ils doivent donc s’organiser. Créer des marchés avec des échoppes où ils pourraient vendre des produits bio ou issus de l’agroécologie, par exemple. Mais, encore une fois, ce n’est pas facile à faire si ceux qui souhaitent le faire sont déjà pris dans des conflits liés à l’accès à la terre.

On s’essaye d’explorer ce type de pistes ici à Manille, parce que l’un des candidats que nous soutenions aux dernières élections a été élu, mais le projet doit encore se matérialiser. En tout cas, c’est une ambition qui est clairement présente depuis plusieurs années. Mais il y a vraiment besoin d’un soutien de la part des gouvernements locaux pour que les consommateurs suivent. Parce que, pour beaucoup, ça ne les intéresse pas tellement de savoir si la nourriture est bio ou pas, pour autant qu’ils aient accès à de la nourriture qui soit abordable et facile à se procurer.

Et de toute façon, la plupart des consommateurs urbains ne sont pas en mesure de s’engager financièrement à l’avance pour soutenir des petits paysans, parce qu’ils n’ont simplement pas les moyens de le faire. Donc ça freine évidemment le développement de ce type de relations entre producteurs et consommateurs. Sans compter que, de leur côté, les petits fermiers philippins sont très vulnérables aux événements climatiques extrêmes. C’est aussi un problème parce que vous ne pouvez pas vous engager envers vos marchés-cibles pour leur garantir de leur livrer la nourriture dont ils ont besoin. C’est très difficile à faire ici, notamment à cause de cette incertitude. C’est pour ça qu’il faut aussi organiser les consommateurs de façon à ce que le gouvernement ait à rendre des compte sur la question du droit à l’alimentation et de l’accès plein et entier à de la nourriture adéquate. Et l’obliger à investir dans ce domaine.

Je voulais aussi vous poser des questions sur la situation des petits pêcheurs, qui vivent généralement dans des zones côtières qui relèvent de la propriété de l’Etat. Qu’en est-il de leur droit à la terre aujourd’hui ?

Danny Carranza  : La situation est la suivante. D’un côté, nous avons des pêcheurs en zones urbaines qui ont normalement un droit de servitude dans les quarante mètres depuis la ligne de mer qui relèvent de la propriété publique. Mais trop souvent, des portions de ces zones sont privatisées dans les faits par des grandes entreprises ou des complexes touristiques. Le problème des pêcheurs, c’est donc de pouvoir malgré tout garder un accès à la mer, parce que c’est là que se trouvent leurs moyens de subsistance depuis des décennies.

Dans les zones rurales, c’est différent. Notamment parce que là, de nombreux pêcheurs sont aussi des fermiers. Ils ont des terres qu’ils cultivent, certaines de façon légale, d’autres non. Donc la situation n’est pas la même entre les pêcheurs urbains et ruraux, même si un point commun concerne leur absence de droit au logement. En effet, comme les terres où ils résident sont presque toujours des terres publiques où il est normalement interdit de construire, ils sont toujours sous la menace d’une expulsion de la part du gouvernement. Pourtant, de nombreux complexes touristiques occupent ces mêmes zones en toute impunité, mais les règles ne sont appliquées qu’envers les petits pêcheurs pour les empêcher d’avoir un accès sécurisé et permanent à la terre. Et c’est d’autant plus problématique dans les zones urbaines, parce qu’il n’y a plus d’espace disponible pour les pêcheurs. À la différence des zones rurales, où il y a davantage de possibilités de relocalisation en cas d’expulsion.

Dès lors, est-ce qu’une demande des communautés de pêcheurs c’est d’avoir un droit au logement reconnu dans ces zones de servitude ?

Danny Carranza  : Ce qu’ils défendent, c’est plutôt la possibilité pour eux de rester de façon plus ou moins permanente dans ces zones, à moins qu’il y ait une autre zone disponible et accessible pour les activités de pêche dont ils dépendent. C’est plus facile que de changer la loi sur la servitude, qui est une très vieille législation. Ils revendiquent aussi des centres d’évacuation accessibles et sûrs durant les ouragans. Dans les zones affectées par le typhon Haiyan, par exemple, il existe ainsi une campagne visant à obtenir que les pêcheurs ne soient pas déplacés des zones dangereuses à moins que le site de relocalisation soit accessible pour leurs activités de pêche. Ce faisant, ils essayent de dire au gouvernement qu’ils peuvent être relocalisés, mais seulement si leur subsistance et leur accès aux services sociaux sont garantis. Et le poids de la preuve doit être du côté du gouvernement. C’est comme ça qu’ils redéfinissent certaines provisions légales.

Dans quelle mesure l’Europe et plus largement la communauté internationale peuvent-ils être utiles dans des conflits ruraux qui ont souvent une forte dimension locale ?

Danny Carranza  : Je crois beaucoup en l’importance d’une masse critique. Or, trop souvent, les communautés ne sont pas en mesure de résister parce qu’elles n’ont pas les soutiens les plus basiques dont elles auraient besoin pour pouvoir construire des résistances. Je pense par exemple à des acteurs externes qui pourrait les aider dans de l’organisation communautaire. Je dirais que c’est le domaine de soutien le plus important pour les communautés qui font face à des violations de leurs droits et à des menaces. Bien sûr, elles ont aussi besoin de soutien juridique. Beaucoup de droits sont interprétés au niveau judiciaire et quand les paysans, les pêcheurs ou les communautés indigènes sont incapables de participer à ces arènes, alors ils peuvent être arbitrairement marginalisés, exclus de leur logement, de leurs terres, de leur source de subsistance. Donc pour pouvoir au moins opposer une résistance digne de ce nom aux niveaux judiciaires et nationaux, ces communautés ont besoin de soutien légal et juridique, ce qui signifie aussi les aider à comprendre la nature des espaces qui leur sont accessibles.

Leur capacité à se mobiliser doit aussi être renforcée. Beaucoup de résistances nécessitent de mettre la pression sur les autorités responsables de la protection des droits de ces communautés. Mais ça implique qu’elles sachent qu’elles ont ces droits au sein de l’espace politique disponible. Pour les bailleurs internationaux, cela signifie aussi essayer d’équilibrer les soutiens donnés entre le soutien à la recherche et au plaidoyer et le soutien à la construction de mouvements sur le terrain. Parce que c’est là que la résistance doit être la plus forte. Sans cela, il faut s’attendre à voir encore plus de personnes arbitrairement déplacées. Il existe beaucoup de cas qui ont été documentés, analysés, mais où la résistance la plus efficace est venue lorsque nous avons soutenu les mobilisations du terrain, quand nous avons soutenu leur affrontement avec l’État, y compris en fournissant un accès à des avocats bénévoles, par exemple. À elles seules, les analyses théoriques ne permettent pas de construire des résistances. Elles aident à amplifier les voix qui viennent du terrain. Mais le facteur le plus important dans la construction des résistances, ce sont les mouvements qui viennent de la base. Donc il faut équilibrer ça avec les autres formes de soutien.

Notes

[1Une réforme agraire a été officiellement lancée aux Philippines en 1988 après la chute de la dictature de Marcos, mais plus de 30 ans plus tard (et malgré deux extensions), elle n’a toujours pas été achevée et son bilan est plus que mitigé.

[2Cette loi a été adoptée au début de l’année, officiellement pour faire baisser le prix du riz, mais elle suscite les critiques des petits paysans et producteurs ruraux qui lui reprochent de fragiliser encore un peu plus leur situation, déjà précaire.

 

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Un nouveau printemps des peuples?

octobre 29th, 2019 by Frédéric Thomas

Du Liban au Chili, d’Haïti à Hong Kong, en passant par l’Équateur, le Soudan et l’Algérie, les soulèvements au Sud se multiplient et s’intensifient. Si le déclencheur est spécifique à chaque contexte national, les ressorts sont partout les mêmes, et les modes d’organisation similaires.

Depuis quelques jours, comme au Liban et au Chili, ou depuis plus longtemps, comme en Algérie, à Hong Kong et en Haïti, des dizaines et même des centaines de milliers de personnes descendent dans les rues. Étonnants, à première vue, l’origine prosaïque – une nouvelle taxe, le prix de l’essence ou des transports publics, etc. –, la vitesse de propagation et le caractère radical, voire insurrectionnel de cet embrasement. Ce qui avait été (trop) longtemps toléré devient, soudainement, la source du refus et des révoltes.

Le terrain est propice à de telles explosions. Les inégalités, la pauvreté et la dégradation des conditions de vie constituent une bombe à retardement, qui éclate à la mesure de l’exaspération sociale, particulièrement forte dans les pays du Sud où les contradictions sont plus exacerbées. De plus, les mobilisations actuelles participent d’un nouveau cycle de luttes, après les révolutions arabes de 2010-2011, les luttes étudiantes au Chili, en 2011, le mouvement des parapluies à Hong Kong, en 2014, etc., sans parler des vagues de contestation, en 2018, au Nicaragua, en Iran et ailleurs.

Une étincelle locale, un dynamiteur commun

Si les déclencheurs sont spécifiques à chaque contexte national, les ressorts sont partout les mêmes. La contestation d’une mesure ponctuelle se mue rapidement en un rejet global du pouvoir et de la corruption ; de la corruption du pouvoir. Ainsi, faut-il entendre celle-ci à la fois de manière classique, comme détournement d’argent, et de façon organique, comme falsification du service (au) public. Les gouvernements sont contestés comme lieux de pouvoirs, accaparés par un alliage de la classe gouvernante, des élites nationales et des institutions financières internationales – le Fonds monétaire international (FMI) par exemple ; cible direct des manifestations en Équateur et en Haïti –, au service de leurs propres intérêts.

La charge morale de la contestation est puissante. On manifeste contre la corruption, contre une économie injuste, pour la dignité ; c’est-à-dire pour la possibilité de vivre dignement, ce que la vie chère, l’absence ou la détérioration des services publics rendent impossible. Le refus de la politique d’austérité vise, au-delà, la dynamique même du néolibéralisme, qui ne cesse de demander « des efforts » à la population, alors que les inégalités se creusent. La théorie du ruissellement ou du « premier de cordée » est rejetée pour ce qu’elle est : un mythe intéressé.

Aussi diverses que soient les origines sociales des manifestants, prédomine le visage de jeunes citadins, issus des classes populaires ou d’une classe moyenne précarisée, dont les diplômes bien souvent ne font qu’accentuer la frustration de ne trouver un emploi. Au Liban, en Algérie, en Haïti, la majorité de la population a moins de 30 ans. Les femmes jouent un rôle de premier plan dans ces manifestations, ce qui a contribué à renouveler les formes d’action.

À l’encontre d’institutions publiques qui ne les représentent pas et agissent en leurs noms, les manifestants qui prennent les rues, affirment leur autonomie sur toute la chaîne politique : comme source légitime du pouvoir, comme opérateur, contrôleur et destinataire des décisions. Ils s’inscrivent dès lors en faux contre les intellectuels qui applaudissent les manifestants du Chili pour mieux condamner ceux du Nicaragua, d’Algérie et de Hong Kong, au nom d’une lecture géopolitique « anti-impérialiste » où convergent la défense de l’ordre et l’étouffement des voix de la « vile multitude ».

Les réseaux sociaux ont joué un rôle essentiel. Mais circonscrit. Ils ont servi de catalyseur et d’amplificateur aux mobilisations, ont accéléré leur fluidification. Ils participent des nouveaux codes visuels et narratifs, particulièrement inventifs, chargés d’humour et de références au street art et aux cultures populaires. Mais à trop se focaliser dessus, on en oublie l’essentiel : c’est le tweet qui cache la forêt des places et des rues occupées, tant ce qui ressort avec force de ces manifestations est la stratégie de réappropriation et de détournement de l’ordre urbain en espace public.

Enfin, autre point commun, la réaction des autorités : la répression, souvent violente. Car, il faut le rappeler, la violence est d’abord celle d’une économie injuste et de la police (ou de l’armée), avant d’être celle des émeutiers. Or, cette violence est l’autre face de l’orthodoxie néolibérale, et de la division du travail qui en découle entre l’État et le marché. D’où, aussi, la radicalité des mobilisations qui, très vite, débordent l’espace public et les institutions politiques (partis et parlements), toujours plus étriqués, réduits à la portion congrue de la gestion managériale.

La contestation du « système »

Cibles de la révolte : le « système haïtien », le « système libanais », etc. Malgré son flou, le mot n’en désigne pas moins la classe dirigeante – au sein de laquelle se confondent le monde des affaires et les gouvernants –, les politiques mises en place, un mode de gouverner – la mise à distance des citoyens, parallèlement à la capacité du système de se reproduire – et, implicitement, une stratégie de développement, centrée sur le commerce mondial au détriment des potentialités locales.

Et demain ? Faute de changements, en butte à la répression, le mouvement s’épuisera-t-il ? Est-il condamner à demeurer un contre-pouvoir occasionnel ou arrivera-t-il à inventer et investir de nouvelles institutions politiques ? Les soulèvements seront-ils à nouveau captés, puis confisqués par les forces traditionnelles ? L’enjeu demeure partout le même : instituer les nouvelles formes de lutte et ces modes d’organisation pour les ancrer dans la durée, sans figer le souffle de liberté qui les traverse.

Frédéric Thomas

 

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Le Calife, un film CIA entre fiction et réalité

octobre 29th, 2019 by Manlio Dinucci

“Ça a été comme regarder un film”, a dit le président Trump après avoir assisté à l’élimination d’Abu Bakr al Baghdadi, le Calife chef de l’EI (Daech), transmise dans la Situation Room de la Maison Blanche. C’est là qu’en 2011 le président Obama assistait à l’élimination de l’ennemi numéro un de l’époque, Oussama Ben Laden, chef d’Al Qaeda.

Même mise en scène : les services secrets USA avaient depuis longtemps localisé l’ennemi ; celui-ci n’est pas capturé mais éliminé : Ben Laden est tué, al Baghdadi se suicide ou est “suicidé” ; le corps disparaît : celui de Ben Laden enseveli dans la mer, les restes d’al Baghdadi désintégré par sa ceinture explosive sont eux aussi dispersés en mer.

Même maison productrice du film : la Communauté d’Intelligence, formée de 17 organisations fédérales. Outre la Cia (Agence centrale d’intelligence) il y a la Dia (Agence d’intelligence de la Défense), mais chaque secteur des Forces armées, tout comme le Département d’état et celui de la Sécurité de la patrie, a son propre service secret.

Pour les actions militaires la Communauté d’intelligence utilise le Commandement des forces spéciales, déployées dans au moins 75 pays, dont la mission officielle comprend, outre l’”action directe pour éliminer ou capturer des ennemis”, la “guerre non-conventionnelle conduite par des forces extérieures, entrainées et organisées par le Commandement”.

C’est exactement ce qui advient en Syrie en 2011, l’année même où la guerre USA/OTAN démolit la Libye. Le démontrent des preuves documentées, déjà publiées par il manifesto. Par exemple : en mars 2013 le New York Times publie une enquête détaillée sur le réseau Cia à travers lequel arrivent en Turquie et Jordanie, avec le financement de l’Arabie Saoudite et d’autres monarchies du Golfe, des fleuves d’armes pour les militants islamistes entraînés par le Commandement des forces spéciales USA avant d’être infiltrés en Syrie.

En mai 2013, un mois après avoir fondé le groupe État islamique (Daech), al Baghdadi rencontre en Syrie une délégation du Sénat des États-Unis chapeautée par John McCain, comme le révèle une documentation photographique.

En mai 2015, est révélé par Judicial Wtach un document du Pentagone, daté du 12 août 2012, dans lequel on affirme qu’existe “la possibilité d’établir une principauté salafiste en Syrie orientale, et [que] ceci est exactement ce que veulent les pays occidentaux, les états du Golfe et la Turquie qui soutiennent l’opposition”.

En juillet 2016 est révélée par Wikileaks un email de 2012 dans lequel la secrétaire d’état Hillary Clinton écrit que, étant donnée la relation Iran-Syrie, “le renversement d’Assad constituerait un immense bénéfice pour Israël, en faisant diminuer sa crainte de perdre le monopole nucléaire”. 

Ceci explique pourquoi, bien que les USA et leurs alliés lancent en 2014 la campagne militaire contre Daech, les forces de Daech peuvent avancer sans être dérangées dans des espaces ouverts avec de longues colonnes de véhicules armés. 

L’intervention militaire russe en 2015, en soutien des forces de Damas, renverse le sort du conflit. L’objectif stratégique de Moscou est d’empêcher la démolition de l’État syrien, qui provoquerait un chaos comme en Libye, exploitable par les USA et l’OTAN pour attaquer l’Iran et encercler la Russie. 

Les États-Unis, court-circuités, continuent à jouer la carte de la fragmentation de la Syrie, en soutenant les indépendantistes kurdes, pour ensuite les abandonner afin de ne pas perdre la Turquie, avant-poste OTAN dans la région.

On comprend sur un tel fond pourquoi al Baghdadi, comme Ben Laden (auparavant allié USA contre la Russie dans la guerre afghane), ne pouvait pas être capturé pour être jugé publiquement, mais devait disparaître physiquement pour faire disparaître les preuves de son réel rôle dans la stratégie USA. C’est pour cela que Trump a tant aimé le film qui finit bien. 

Manlio Dinucci

 

Article original en italien :

Il Califfo, film Cia tra fiction e realtà

Édition de mardi 29 octobre 2019 de il manifesto

https://ilmanifesto.it/il-califfo-film-cia-tra-fiction-e-realta/

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

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Fin du calife: «Il est mort comme un chien»

octobre 29th, 2019 by Pepe Escobar

« Il est mort comme un chien. » Le président Trump n’aurait pas pu écrire une phrase plus percutante alors qu’il se préparait pour son gros plan à la Obama ben Laden devant le monde entier.

Abou Bakr al-Baghdadi, faux calife, chef d’ISIS/Daech, l’homme le plus recherché de la planète, a été « livré à la justice » sous le mandat de Trump. Le chien mort calife est maintenant positionné comme trophée gagnant en politique étrangère en vue de la réélection de 2020.

Les scènes-choc de l’inévitable film ou série Netflix à venir – aussi inévitablement que la mort et les impôts – sont déjà écrites. (Trump : « j’ai vu ça comme un film ».) Le couard ultra-terroriste coincé dans un tunnel sans issue, huit hélicoptères de combat planant au-dessus, des chiens aboyant dans l’obscurité, trois enfants terrifiés pris en otage, le couard fait exploser un gilet pare-balles, le tunnel s’effondre sur lui et les enfants.

Une équipe médico-légale de premier plan qui transporte des échantillons de l’ADN du faux calife fait apparemment son travail en un temps record. Les restes de la cible auto-explosée – scellés dans des sacs en plastique – le confirment : c’est Baghdadi. En pleine nuit, il est temps pour le commando de retourner à Irbil, un vol de 70 minutes au-dessus du nord-est de la Syrie et du nord-ouest de l’Irak. Fondu au noir : nous sommes à la conférence de presse de Trump. Mission accomplie. Générique.

Tout cela s’est passé dans une enceinte située à quelques 300 mètres du village de Barisha, à Idlib, dans le nord-ouest rural de la Syrie, à seulement 5 km de la frontière syro-turque. Le complexe n’existe plus : il a été transformé en gravats pour qu’il ne devienne pas le sanctuaire (syrien) d’un Irakien renégat.

Le calife, en fuite, était arrivé dans ce trou perdu rural seulement 48 heures avant le raid, selon les renseignements turcs. Une question sérieuse est de savoir ce qu’il faisait dans le nord-ouest de la Syrie, à Idlib – un chaudron de type Donbass en 2014 – que l’armée syrienne et la puissance aérienne russe attendent le bon moment pour éteindre.

Il n’y a pratiquement pas de jihadistes de ISIS/Daech à Irbil, mais beaucoup de Hayat Tahrir al-Sham, anciennement Jabhat al-Nusra, à savoir Al-Qaïda en Syrie, des noms connus à Washington sous le nom de « rebelles modérés », dont des brigades turkmènes hardcore précédemment armées par des renseignements turcs. La seule explication rationnelle est que le calife aurait pu identifier ce coin perdu d’Idlib près de Barisha, loin de la zone de guerre, comme un passeport secret idéal pour passer en Turquie.

Les Russes savaient ?

L’intrigue s’épaissit lorsque nous examinons la longue liste de « remerciements » de Trump pour le raid réussi. La Russie vient en premier, suivie de la Syrie – probablement des Kurdes syriens, et non de Damas – puis de la Turquie et de l’Irak. En fait, les Kurdes syriens n’ont été crédités que d’un « certain soutien », selon les mots de Trump. Leur commandant Mazloum Abdi, cependant, a préféré vanter le raid comme une « opération historique » grâce à un apport essentiel des renseignements kurdes syriens.

Dans la conférence de presse, Trump, qui s’étendait quelque peu sur ses remerciements, a derechef félicité la Russie (« grande » collaboration), et l’Irak avait été « excellent » : le Service national des renseignements irakiens a ensuite commenté le coup de chance qu’il avait obtenu via un Syrien qui avait fait passer en fraude les femmes de deux des frères de Baghdadi, Ahmad et Jumah, à Idlib via la Turquie.

Les forces spéciales américaines n’auraient jamais pu parvenir à cette réussite sans des renseignements complexes des Kurdes syriens, des Turcs et des Irakiens. De plus, le président Erdogan accomplit un autre chef-d’œuvre tactique, en assumant son rôle de grand allié dévoué de l’OTAN tout en laissant les reliquats d’Al-Qaïda trouver refuge à Idlib, sous l’œil vigilant des militaires turcs.

Significativement, Trump a dit à propos de Moscou : « Nous leur avons dit : « Nous arrivons »… et ils ont dit : « Merci de nous avoir prévenus. » Mais, « ils ne savaient rien sur la mission. »

C’est irréfutable. En fait, le ministère russe de la Défense, par l’intermédiaire de son porte-parole, le général de division Igor Konashenkov, a déclaré qu’il ne disposait « d’aucune information fiable sur des militaires américains menant une quelconque opération visant à « encore une autre » élimination de l’ancien chef de Daech Abou Bakr al-Baghdadi dans la partie de la zone de désescalade d’Idlib contrôlée par la Turquie. »

Et sur le « nous leur avons dit » de Trump, le ministère russe de la Défense a insisté : « Nous ne savons rien sur une quelconque autorisation de vol pour des avions américains dans l’espace aérien de la zone de désescalade d’Idlib au cours de cette opération. »

Selon des sources de terrain en Syrie, une rumeur répandue à Idlib est que le « chien mort » à Barisha pourrait être Abou Mohammad Salama, le chef du Haras al-Din, un sous-groupe mineur d’Al-Qaïda en Syrie. Haras al-Din n’a fait aucune déclaration à ce sujet.

ISIS/Daech a par ailleurs déjà désigné un successeur : Abdullah Qardash, alias Hajji Abdullah al-Afari, également irakien et ancien officier militaire de Saddam Hussein. Il est fort possible qu’ISIS/Daech et une myriade de sous-groupes et de variations d’Al-Qaïda en Syrie fusionnent à nouveau, après leur division de 2014.

Qui prend le pétrole ?

Il n’y a aucune explication plausible à ce qu’Abou Bakr al-Baghdadi, pendant des années, ait joui de la liberté de faire la navette entre la Syrie et l’Irak, en évitant toujours les formidables capacités de surveillance du gouvernement américain.

Mais il n’y a pas non plus d’explication plausible à ce fameux convoi de 53 Toyota Hi-Luxes blanches flambant neuves traversant le désert de la Syrie à l’Irak en 2014, avec à bord des jihadistes d’ISIS/Daech qui brandissaient leurs drapeaux sur le chemin de Mossoul, échappant également aux satellites américains censés couvrir le Moyen-Orient 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Et il n’y a aucun moyen d’enterrer le mémo de la Defense Intelligence Agency (DIA) des États-Unis fuité en 2012, qui nommait explicitement « l’Occident, les monarchies du Golfe et la Turquie » en tant que pays désirant une « principauté salafiste » en Syrie (opposée, de manière significative, à la Russie, à la Chine et à l’Iran – les pôles clés de l’intégration eurasienne).

C’était bien avant l’irrésistible ascension d’ISIS/Daech. Le mémo de la DIA était sans équivoque : « Si la situation se dégrade, il est possible d’établir une principauté salafiste déclarée ou non déclarée dans l’est de la Syrie (Hasaka et Der Zor), et c’est exactement ce que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition, afin d’isoler le régime syrien, qui est considéré comme stratégique pour l’expansion chiite (Irak et Iran).

Il est vrai que le faux calife a été proclamé absolument mort au moins cinq fois, à partir de décembre 2016. Pourtant, le moment, aujourd’hui, est on ne peut plus opportun.

Les faits sur le terrain, après le dernier accord majeur négocié par la Russie entre les Turcs et les Kurdes syriens, montrent clairement que le rétablissement de l’intégrité territoriale de la Syrie est en bonne voie, lente mais sûre. Il n’y aura pas de balkanisation de la Syrie. La dernière poche qui reste à délivrer des jihadistes est Irbil.

Et puis, il y a la question du pétrole. Le film « il est mort comme un chien » enterre littéralement – du moins pour l’instant – une histoire extrêmement gênante : le Pentagone déploie des chars pour « protéger » les champs de pétrole syriens. C’est tout aussi illégal, selon toutes les interprétations possibles du droit international, que la présence même en Syrie de troupes américaines, qui n’ont jamais été invitées par le gouvernement de Damas.

Des négociants en pétrole du Golfe Persique m’ont dit qu’avant 2011, la Syrie produisait 387 000 barils de pétrole par jour et en vendait 140 000, soit l’équivalent de 25,1% des revenus de Damas. Aujourd’hui, les champs d’Omar, al-Shadadaddi et Suwayda, dans l’est de la Syrie, ne produiraient pas plus de 60.000 barils par jour. C’est pourtant essentiel pour Damas et pour le « peuple syrien » tant admiré à Washington – ce sont les propriétaires légitimes du pétrole.

Les Unités de protection du peuple (YPG), pour la plupart kurdes, ont en fait pris le contrôle militaire de Deir er-Zor alors qu’elles combattaient ISIS/Daech. Pourtant, la majorité de la population locale est Arabe sunnite. Ils ne toléreront jamais la moindre suggestion d’une domination kurde syrienne de long terme – et encore moins en tandem avec une occupation américaine.

Tôt ou tard, l’armée syrienne arrivera, avec l’appui de la puissance aérienne russe. L’État profond le pourrait, mais Trump, dans une année électorale, ne risquerait jamais une guerre ouverte pour quelques champs de pétrole illégalement occupés.

Au final, le film « Il est mort comme un chien » peut être interprété comme un tour d’honneur, et la fermeture d’un arc narratif qui languissait depuis 2011. Lorsqu’il a « abandonné » les Kurdes des Forces démocratiques syriennes, Trump a effectivement enterré la question du Rojava – à savoir un Kurdistan syrien indépendant.

La Russie est au pouvoir en Syrie – sur tous les fronts. La Turquie s’est débarrassée de sa paranoïa sur le « terrorisme » – toujours à diaboliser le PYD kurde syrien et sa branche armée, l’YPG en tant qu’émanations des séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie – et cela pourrait aider à résoudre la question des réfugiés syriens. La Syrie est en passe de récupérer tout son territoire.

Le film « Il est mort comme un chien » peut aussi être interprété comme la liquidation d’un atout autrefois utile, parce que c’était un élément précieux de la corne d’abondance des USA, la guerre mondiale perpétuelle contre le terrorisme. D’autres épouvantails, et d’autres films attendent.

Pepe Escobar

Article original en anglais :

Caliph Closure: ‘He Died Like A Dog’

Paru initialement en anglais sur Asia Times 

Traduction par le site Entelekheia

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