Trump déborde l’Iran par l’ouest et l’est

juillet 21st, 2019 by M. K. Bhadrakumar

Photo : La base aérienne d’Incirlik en Turquie orientale abritant des avions de guerre américains et 50 bombes nucléaires.

L’agence de presse nationale turque Anadolu a diffusé une analyse intitulée « Les sanctions américaines contre l’Iran accroissent le malaise public », très critique de l’approche de l’élite dirigeante iranienne vis-à-vis de l’affrontement actuel avec les États-Unis.

Le cœur de l’argumentaire est que les élites dirigeantes iraniennes provoquent délibérément une confrontation avec les États-Unis en rejetant les offres répétées du président Trump pour des négociations inconditionnelles. En effet Téhéran nourrit l’idée qu’il est possible de paralyser sa candidature pour un second mandat aux élections de 2020 en empêtrant les États-Unis dans une guerre asymétrique et en les jetant dans un bourbier moyen-oriental. L’arrière-plan de l’analyse est que la nouvelle belligérance de Téhéran est attribuable au chef suprême et n’est pas dans l’intérêt de la nation iranienne.

Cet article d’opinion arrive à un moment où la Turquie se satisfait du pragmatisme du président Trump qui a accepté qu’elle achète le système antibalistique S-400 à la Russie. Cela renforce l’impression donnée par les remarques surprenantes de Trump sur le président turc Erdogan, lors de la conférence de presse à Osaka du 29 juin : en l’occurrence, que les deux dirigeants étaient parvenus à un accord. Trump a tout fait pour défendre la décision d’acheter les missiles S-400, qui n’est « pas vraiment la faute d’Erdogan » car « il a[vait] été traité très injustement » par l’administration Obama. Trump a ajouté qu’il travaillait sur l’accord S-400 : « Nous verrons ce que nous pourrons faire. »

Erdogan a affirmé plus tard que Trump lui avait promis, lors de leur réunion à Osaka, que les États-Unis n’imposeraient pas de sanctions à la Turquie en raison de son accord avec la Russie sur les S-400. Pendant ce temps, la livraison du système S-400 en Turquie est prévue pour la semaine prochaine. (Erdogan a également déclaré récemment qu’une visite de Trump en Turquie en juillet était « en cours de discussion ».)

Une sorte d’entente entre Trump et Erdogan au sujet de l’Iran ne peut être écartée. Car bien sûr, la Turquie est en mesure de fournir une aide inestimable à l’Iran pour l’aider à faire échec aux sanctions américaines (ce qu’elle a déjà fait, dans le cadre du tristement célèbre accord pétrole contre or entre les élites commerciales turques et iraniennes pendant la présidence Obama.) Trump doit savoir que si la Turquie refuse sa « profondeur stratégique » à l’Iran, cela peut changer les données de la stratégie de « pression maximale » contre Téhéran.

De manière intéressante, le Premier ministre du Pakistan, Imran Khan, devrait également se rendre aux États-Unis pour rencontrer Trump le 22 juillet. La Turquie et le Pakistan ne sont pas exactement comparables, mais il y a des points communs entre les deux. La Turquie, allié mis à l’écart de l’OTAN, est ouvert à la réconciliation, tandis que le Pakistan cherche vivement à rétablir ses liens stratégiques moribonds avec les États-Unis.

En fin de compte, les États-Unis ont tout à gagner de la coopération gagnant-gagnant avec ces deux anciens alliés de la Guerre froide sur l’épineux problème de l’Iran.

La coopération de la Turquie est vitale pour que les États-Unis puissent connecter la route terrestre de l’Iran aux ports de la Syrie en Méditerranée orientale et les bases américaines dans l’est de la Turquie sont des avant-postes de renseignement clés qui surveillent l’Iran. De même, les États-Unis espèrent maintenir une « très grande » présence de leur renseignement dans les bases afghanes, ce qui nécessite l’assentiment du Pakistan. Il est certain que les services de renseignement américains ne se concentrent pas uniquement sur le problème du terrorisme, mais ciblent aussi la Russie, la Chine et l’Iran. Pour résumer, les services de renseignements américains en Turquie et au Pakistan joueront un rôle crucial dans toute confrontation militaire avec l’Iran.

Au fond, pour ce qui concerne la Turquie et le Pakistan, leur éloignement en tant qu’alliés s’est produit en raison des politiques défaillantes des États-Unis, qui ne répondaient pas adéquatement à leurs intérêts légitimes. Dans les deux cas, la dégradation et la vrille consécutive des relations ont eu lieu sous le président Obama. La mise à l’écart de la Turquie a commencé lorsque l’administration Obama a ralenti sur le projet de changement de régime en Syrie en 2012 et elle s’est exacerbée après la tentative ratée de coup d’État en 2016 pour renverser Erdogan.

Dans le cas du Pakistan également, le moment décisif a été atteint en 2011 quand une série d’incidents ont secoué les liens entre les États-Unis et le Pakistan : la détention de l’ancien employé de la CIA, Raymond Allen Davis, à Lahore en janvier, l’opération d’Abbottabad pour tuer Oussama ben Laden en mai et le massacre de 28 militaires pakistanais dans deux postes frontaliers pakistanais dans le district tribal de Mohmand par des hélicoptères Apache de l’OTAN, un navire de guerre AC-130 et des avions de chasse en novembre.

Évidemment, lors de la conférence de presse à Osaka, Trump n’a pas dévoilé ce qu’il avait demandé à Erdogan pour conclure ce marché. Mais le commentaire d’Anadolu laisse entendre que la Turquie ne sapera pas la « pression maximale » des États-Unis sur l’Iran. La Turquie a fermé ses ports au pétrole iranien, se conformant entièrement aux sanctions américaines contre son principal fournisseur, et bien qu’Erdogan ait précédemment critiqué ces mêmes sanctions en déclarant qu’elles déstabilisaient la région. Avant mai 2018, lorsque les États-Unis se sont retirés de l’accord nucléaire avec l’Iran, la Turquie importait en moyenne 912 000 tonnes de pétrole par mois de l’Iran, soit 47 % de ses importations totales.

Le 11 décembre 2011, le drapeau américain a été descendu à la base stratégique Shamsi au Baloutchistan, à environ 160 km de la frontière iranienne, utilisée par la CIA et l’USAF pour des opérations de surveillance et de drones.

Une fois de plus, mardi dernier [2 juillet, NdT], les États-Unis ont inscrit le Front de libération du Baloutchistan sur leur liste de surveillance du terroriste mondial et jeudi [4 juillet, NdT], Islamabad a fait l’annonce officielle de la visite d’Imran Khan aux États-Unis. Le Pakistan se trouve dans le théâtre d’opérations du Commandement central américain, de même que l’Iran. Actuellement, il n’y a pas de bases américaines au Pakistan.

Pays dans la zone du CentCom

Mais le Pakistan, comme la Turquie, a aussi une longue histoire d’accueil des bases militaires américaines. Rien qu’au Baloutchistan, il y avait plusieurs bases de drones américaines : l’aérodrome de Shamsi, nimbé de secret, servait exclusivement à mener des opérations par drones et abritait le personnel militaire américain ; une base aérienne des Forces aériennes pakistanaises sur la frontière Sindh-Baloutchistan, avait également été utilisée pour les opérations de drones de la CIA ; l’aéroport de Pasni où les avions espions américains étaient basés, et ainsi de suite.

M. K. Bhadrakumar

 

Article original en anglais : Trump outflanks Iran to the west and east, Indian Punchline, le 9 juillet 2019

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

Nous avons lu avec intérêt l’article de synthèse sur la crise de santé publique au Venezuela1 et nous ne pourrions être plus catégoriquement d’accord avec ses auteurs. Toutefois, les causes profondes de cette crise économique, en particulier l’impact des sanctions économiques américaines, méritent un examen plus approfondi. Depuis 2014, 43 mesures coercitives unilatérales ont été appliquées contre le Venezuela par l’administration US. Celles-ci ont effectivement paralysé l’économie, bloqué l’exportation de pétrole dans le monde et gelé les avoirs financiers vénézuéliens à l’étranger tout en leur refusant l’accès aux systèmes financiers internationaux. Cette perte de revenus et d’actifs pétroliers s’est traduite par un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars américains, interdisant l’importation de produits essentiels, vitaux.

L’impact des sanctions US sur la population vénézuélienne ne saurait être surestimé. Plus de 300 000 Vénézuéliens sont en danger en raison d’un manque de médicaments et de traitements vitaux. On estime que 80 000 patients séropositifs n’ont pas reçu de traitement antirétroviral depuis 2017.2 L’accès aux médicaments tels que l’insuline a été restreint parce que les banques US refusent de prendre en charge les paiements vénézuéliens à cet effet.3 Des milliers voire des millions de personnes n’ont pas eu accès à la dialyse, au traitement du cancer, ou aux médicaments contre l’hypertension et le diabète.2Les enfants sont particulièrement affectés par les retards en matière de vaccination ou par l’indisponibilité des médicaments anti-rejet après une greffe d’organe solide. Des enfants leucémiques en attente d’une greffe de moelle osseuse provenant de l’étranger meurent actuellement. Le financement de ces programmes d’assistance sanitaire était assuré par la compagnie pétrolière publique PDVSA. Ces fonds sont à présent gelés.4 Les importations alimentaires ont chuté de 78 % en 2018 par rapport à 2013.2 La menace très sérieuse pour la santé et les dommages à la vie humaine causés par ces sanctions américaines aurait contribué à un excédent de 40 000 décès pour la seule période 2017-20182.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a rappelé que « l’utilisation de sanctions économiques à des fins politiques viole les droits humains et les normes de conduite internationales. De telles actions peuvent déclencher des catastrophes humanitaires d’origine humaine d’une ampleur sans précédent. Le changement de régime par des mesures économiques susceptibles de conduire à la négation des droits humains fondamentaux, voire à la famine, n’a jamais été une pratique acceptée dans les relations internationales ».5 Ces sanctions correspondent à la définition du châtiment collectif de la population civile, telle que décrite dans les Conventions de Genève (article 33) et de La Haye, dont les États-Unis sont signataires.2 Ces sanctions sont également illégales en vertu du droit international et fédéral US.2Étant donné l’action intentionnelle de détruire un peuple, en tout ou en partie, les sanctions économiques US et leurs effets sur la mortalité évitable des Vénézuéliens correspondent à la définition du génocide par l’ONU.6

De plus, le Département d’État US s’est récemment vanté des difficultés économiques qu’il a causées dans son communiqué, maintenant expurgé, publié le 24 avril 20197. Il déclare que « la politique américaine a empêché et continue d’empêcher le gouvernement vénézuélien de participer au marché international et a conduit au gel de ses avoirs à l’étranger ».7 Le conseiller américain pour la sécurité nationale John Bolton a déclaré qu’ils soutenaient le coup d’État illégal au Venezuela, car « cela fera une grande différence économique pour les États-Unis si les compagnies pétrolières américaines peuvent investir et exploiter les ressources pétrolières du Venezuela ». Comme les sanctions ont entraîné des pertes globales de 38 milliards de dollars au cours des trois dernières années, de nouvelles réductions des importations de médicaments, de nourriture, d’équipement médical et d’intrants nécessaires à l’entretien des infrastructures d’eau, de santé et d’assainissement sont prévisibles dans un très proche avenir 9. Ces mesures causeront sans aucun doute d’autres préjudices graves à la population vénézuélienne3.

La paix mondiale est fragile étant donné la position belliqueuse du gouvernement US, qui provoque la déstabilisation dans de nombreux pays à l’approche d’une année électorale. C’est une longue tradition pour les professionnels de la santé publique de condamner catégoriquement le châtiment collectif des populations, la violation du droit international et la mort prématurée et les souffrances qui résultent des mesures économiques punitives. De fait, nous avons réussi à établir des relations de respect et de compréhension mutuels entre les populations lorsque la diplomatie au niveau gouvernemental a échoué, par exemple dans le cas de Cuba.10 Le fait de souligner les échecs économiques du Venezuela pour justifier d’autres sanctions économiques, entraînant de nouveaux échecs économiques, est un argument cyclique et fallacieux et non une approche légitime en santé publique. Nous sommes d’accord avec la lettre ouverte des universitaires américains qui réclament la non-ingérence des États-Unis dans les affaires intérieures du Venezuela, la fin des sanctions et un règlement négocié sans contrainte étrangère.11 Notre rôle en tant que praticiens de la santé publique est d’éviter les dommages causés aux population par nos politiques, tant dans notre pays qu’à l’étranger, en menant sérieusement des enquêtes en amont (et en profondeur) des causes des conflits.

Tanya L Zakrison & Carles Muntaner

Article original en anglais :US sanctions in Venezuela: help, hindrance, or violation of human rights?, The Lancet, le 13 juin 2019.

Traduction : Venesol

Références

  1.  Venezuela’s public health crisis: a regional emergency. Lancet. 2019; 393: 1254-1260
  2. Economic sanctions as collective punishment. The case of Venezuela. Center for Economic and Policy Research, Washingon; 2019
  3. UN Human Rights Council – Report of the Independent Expert on the promotion of a democratic and equitable international order on his mission to the Bolivarian Republic of Venezuela and Ecuador.
  4. TeleSUR – Second Venezuelan child dies as us blockade stops transplant.
  5. ACNUDH – US sanctions violate human rights and international code of conduct, UN expert says.
  6. UN – Office on Genocide Prevention and the Responsibility to Protect. Genocide.
  7. US Department of State Fact sheet: US actions on Venezuela.
  8. Rowell A John Bolton: “Big difference” if “US oil companies invest in & produce oil in Venezuela”.
  9. ICSLATAM – Venezuela loses $38 billion for US sanctions.
  10. The Editors of MEDICC Review, US-Cuba Health and Science Cooperation: They Persisted. MEDICC Rev. 2018; 20: 4-5
  11. Chomsky – Open letter by over 70 scholars and experts condemns US-backed coup attempt in Venezuela.
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La régression tranquille du Québec; recul et cul-de-sac

juillet 21st, 2019 by Prof Rodrigue Tremblay

M. Rodrigue Tremblay, économiste, professeur émérite de l’Université de Montréal, et ancien ministre de l’Industrie et du Commerce dans le gouvernement Lévesque de 1976 à 1979, revient sur les conséquences désastreuses du référendum de 1980 pour la nation québécoise. M. Tremblay a publié en 2018, un ouvrage qu’il présente comme son testament politique et qui a reçu le Prix Richard-Arès, remis par la Ligue d’action nationale

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La footballisation des esprits ou la défaite de la pensée

juillet 21st, 2019 by Chems Eddine Chitour

« Il aura à apprendre, je sais, que les hommes ne sont pas tous justes, Mais enseignez-lui aussi que pour chaque canaille il y a un héros; que pour chaque politicien égoïste, il y a un dirigeant dévoué… 

Éloignez-le de l’envie, enseignez-lui le secret d’un rire apaisé. 

Qu’il apprenne de bonne heure que les despotes sont les plus faciles à flatter… 

Enseignez-lui, si vous pouvez, les merveilles des livres… 

Mais laissez-lui un peu de temps libre 

À l’école, enseignez-lui qu’il est bien plus honorable d’échouer que de tricher…  

Apprenez lui à être doux avec les doux, et dur avec les durs.  

Apprenez-lui à vendre ses muscles et son cerveau au plus haut prix, mais à ne jamais fixer un prix à son cœur et à son âme.  

Apprenez-lui à fermer les oreilles devant la foule qui hurle.  

Il est un si bon garçon, mon fils! » 

La lettre d’Abraham Lincoln au professeur de son fils

Ca y est ! Comme au plus fort temps de la double décennie du mépris et de la honte les Algérien (ne)s répondent à un stimulus celui de vibrer à l’émotion.  Le pouvoir s’inspirant de l’Empire romain décadent qui proposait des jeux de cirques « Panem et circenses » pour distraire les foules des vrais problèmes, fait feu de tout bois et fait vibrer cette corde irrationnelle qui fait que les Algériennes et Algériens se sont accrochés d’une façon compulsive à cet exutoire que constitue le football . l’Algérie a mobilisé neuf aéronefs de transport militaires pour l’acheminement de supporters au Caire pour assister à la finale de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), qui opposera vendredi prochain l’Algérie au Sénégal. Au total, 28 aéronefs civils et militaires seront mobilisés pour la seule journée de jeudi dans ce qui s’apparente à l’un des plus grands ponts aériens jamais établis entre l’Algérie et l’Égypte.  Ce pseudo bonheur éphémère a réellement fait plaisir aux Algériennes et Algériens mais aussi aux  indirectement aux millionnaires en short qui tapent dans un ballon. Des millionnaires encouragés et adulés par des pauvres des besogneux qui ne savent pas de quoi demain sera fait.  

La footbalisation des esprits : l’ecstasy de l’éphémère  

Cette adoration du Dieu football pendant des évènements particuliers participe d’une footballisation des esprits. Comment le football opère ? Pendant un mois, en effet les Africains sont sommés de vibrer au rythme du roi football. En règle générale plus une société connait des problèmes de tout ordre, plus elle est vulnérable et plus elle s’accroche à des bouffées de divertissement certes éphémère mais qui lui donnent un bonheur factice. Cet engouement planétaire fait partie de la stratégie du néolibéralisme qui crée des besoins chez l’individu qui devient de ce fait esclave du divin marché, pour reprendre l’expression du philosophe Dany Robert Dufour. Cependant, les dégâts du néolibéralisme ne sont pas les mêmes selon que l’on soit au Nord comme au Sud. Examinons pour commencer le phénomène de société dans les pays du Sud. (1)

Le philosophe Fabien Ollier dresse un état des lieux sans concession de cette grand-messe planétaire orchestrée par « la toute-puissante multinationale privée de la Fifa ».

« Il suffit, écrit-il, de se plonger dans l’histoire des Coupes du Monde pour en extraire la longue infamie politique et la stratégie d’aliénation planétaire. (…) L’expression du capital le plus prédateur est à l’œuvre : les multinationales partenaires de la Fifa et diverses organisations mafieuses se sont déjà abattues sur l’Afrique du Sud pour en tirer les plus gros bénéfices possibles. (…) Tout cela relève d’une diversion politique évidente, d’un contrôle idéologique d’une population. En temps de crise économique, le seul sujet qui devrait nous concerner est la santé de nos petits footballeurs. C’est pitoyable. Il existe en réalité une propension du plus grand nombre à réclamer sa part d’opium sportif. (…). Le football est organisé en logique de compétition et d’affrontement. Jouer ce spectacle par des acteurs surpayés devant des smicards et des chômeurs est aussi une forme de violence. (…)La symbolisation de la guerre n’existe pas dans les stades, la guerre est présente. Le football exacerbe les tensions nationalistes et suscite des émotions patriotiques d’un vulgaire et d’une absurdité éclatants. (…) » (2)

Hypnose collective 

La même analyse, sans concession, nous est donnée par Samuel Metairie il parlait de la coupe 2010 mais les arguments n’ont pas pris une ride « Trente-deux équipes, dont une vingtaine issues de pays occidentaux, vont pouvoir fouler les pelouses de leurs crampons, et servir les bas instincts pulsatifs de milliers d’hommes et de femmes peuplant les stades en jouant aux gladiateurs des temps modernes. Sauf que ces gladiateurs sont devenus des hommes d’affaires intouchables, dont le salaire mensuel (disons honoraires ou dividendes) correspond, à plusieurs années de travail d’un salarié français moyen »(3) 

« Juste pour pousser une balle avec ses potes jusqu’à 30 ans, pendant que de plus en plus de Français vont être obligés de travailler jusqu’à 65-70 ans. (…) Une question vient à l’esprit : si le football était vraiment un sport, ne pourrait-on pas payer ces gens raisonnablement, à hauteur du salaire minimum ? Ne pourraient-ils pas reverser ce capital vers ceux qui en ont besoin, aux pauvres oubliés par l’Occident, aux peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, au lieu de prendre l’Afrique pour une cour de récréation ? (…) Aux quatre coins du monde, surtout dans les pays plus pauvres, c’est partout la même logique du capitalisme : l’appareil économique occidental s’implante, génère des marges commerciales et des bénéfices. Il fait de l’argent sur place en exploitant la main-d’œuvre locale, et rapatrie ses capitaux dans les grandes banques européennes. (…) » (3)

Echelle des valeurs inexistante et scandale des salaires 

Justement, pour parler de l’indécence des sommes colossales perçues, je fais appel à un exemple, que dix joueurs les mieux payés dont David Beckam, Ronaldinho Gaucho, Whyne Rooney ont reçu en une année 135 millions d’euros en salaires, primes, droits de sponsoring… soit en moyenne 20 millions de dollars par individu (55.000 $/jour, contre 2$/jour en moyenne pour un Africain) ou encore le salaire journalier du joueur est équivalent à ce que reçoivent deux Africains sur une carrière de 32 ans). C’est ça le scandale du marché du néolibéralisme, de la mondialisation laminoir qui font que ce que la société a accumulé pendant des siècles risque de disparaître sous les coups de boutoir du « Divin marché » où la valeur d’un individu, c’est de plus en plus ce qu’il peut rapporter, et ce qu’il peut consommer et non ce qu’il recèle comme culture et savoir.

On est loin de l’aspect noble du sport. On peut penser valablement que cette dimension du sport pour le sport avec les « magiciens » du ballon comme Di Stefano, Kopa, Pélé, Garrincha, et tant d’autres, s’est arrêtée avec, il y a une vingtaine d’années, pour laisser place au vedettariat et aux salaires démentiels.

Qu’en est-il de l’opium du football en Algérie ?  

Nous n’échappons pas à cette  instrumentalisation par les pouvoirs de la magie du foot pour  des causes  répréhensibles comme c’est le cas des pouvoirs mal élus et qui veulent durer.. Cela peut être aussi pour une cause noble comme ce fut le cas de l’équipe de foot ball du  FLN . Souvenous de l’épopée de cette équipe de moudjahid du foot qui on tout quitté , situations sociales exceptionnelles en France, foyers, amis pour aller se mettre à disposition du FLN et lui donner cette dimension complémentaire et planétaire. Des noms comme Mustapha Zitouni , Rachid Mekhloufi, Oudjani, Bentifour,  ont marqué des générations d’Algériennes et d’Algériens pour leurs bravoures sans calcul  entre 1958 et 1962 . Ce sera aussi et parallèlement de l’équipe théâtrale sous la direction de Mustapha Kateb  L’équipe algérienne du FLN historique joua près de 80 matchs qu’elle gagna quelques uns où elle fit match nul. L’hymne national fut chaque fois joué et donna de ce fait une visibilité extraordinaire à la Révolution de novembre. Curieusement le seul pays qui refusa que son équipe joue contre celle de l’Algérie fut l’Egypte de Nasser, il ne pouvait pas concevoir qu’un pays dont il voulait contrôler en vain la Révolution gagne contre  Misr Oum Eddounia.  

Bien plus tard après  les guerriers  de l’équipe du FLN  et  dans le même ordre  un mot à propos l’épopée des joueurs algériens vainqueurs de l’équipe nationale d’Allemagne qui se fit une triste réputation en trafiquant le match avec l’Autriche,  en Espagne, en 1982 avant de remporter la coupe  Les joueurs  Belloumi, Merkekane, Cerbah, Dehleb, Madjar Assad revenus au pays se virent offrir un téléviseur ou un réfrigérateur … 

Bien plus tard  encore en 2009  l’animosité refit surface à l’occasion des éliminatoires de la coupe du Monde ; A l’aller l’Algérie gagna 3 à 1   Au Caire  ce fut le drame, les Algériens spectateurs et équipes furent attaqués. Le score sera de 2à 0. La Fédération africaine condamna l’Egypte à une amende. Le match d’appui aura lieu  4 jours plus tard à  Khartoum.  C’est là que la démesure des deux  présidents sur le déclin, se révéla l’Egypte mitoyenne du Soudan , facilita l’affluence des supporters égyptiens et le pouvoir algériens affréta des avions cargo- Une sorte de Plan Marshall  pour assouvir un ressentiment mais surtout pour un regain de légitimité à qui on offrit une satisfaction éphémère . L’Algérie gagna 2 à 0. Ce fut un sursis pour le système Bouteflika 

Pour le sociologue Zoubir Arrous, le foot n’est plus un jeu sportif, mais plutôt un enjeu politique et financier. (..) Ainsi, nous pouvons dire qu’il y a, dans le cas de l’Algérie, un véritable conflit entre le stade et la mosquée. (…) La paix sociale grâce au foot ne dure pas dans le temps. L’après-match ou l’après-foot est la période la plus dangereuse sur le plan social. Le citoyen revient à son état normal et parfois critique. (…) Le foot peut faire l’objet d’un contrat social dans les sociétés qui n’ont pas de crise et qui ne cherchent pas de changement. Le foot est aujourd’hui devenu la nouvelle religion. (4)

Peut on trouver normal  que dans le marécage du football en Algérie, des joueurs reçoivent jusqu’à 4 millions de dinars par mois Dit autrement   moins d’une année suffit à un  joueur pour dépasser la retraite d’un professeur après 32 ans de bons et loyaux service.  Les argents reçus  sont versés  par des oligarques qui volent d’un côté le peuple et de l’ordre, problématise encore plus l’échelle des valeurs en proposant une mercuriale à leur image. C’est tout ceci qui nous fait dire que le football mis au service d’une idéologie d’un système de gouvernants est une imposture. Cela ne veut pas dire que cette ivresse  est l’apanage des peuples sous développés ; Tout les gouvernants à des degrés divers de pays pauvres et  riches instrumentalisèrent à leur profit  l’émotion des peuples. Ainsi en 1998, la France gagne la coupe grâce   dit on à Zineddine Zidane, le soir même l’Arc de triomphe est  tagué : «  Zizou président » . Deux ans plus tard, lors d’un match avec l’Italie  Zidane donne un coup de tête à un joueur italien qui lui a manqué de respect. La France sera éliminée. On ne parle plus de Zizou mais de Zidane dont les origines sont algériennes

L’honneur de la science  

Face à ces pousseurs de ballon qui mettent les peuples faibles sous perfusion éphémère d’ecstasy, pour l’honneur de la science et de la connaissance,  il nous plait de citer l’exemple du mathématicien russe, Grigori Perelman, qui a ignoré, d’après la Voix de la Russie, le prix d’un million de dollars, le mathématicien russe Grigori Perelman a ignoré le prix d’un million de dollars qui lui était attribué par l’Institut mathématique de Clay pour avoir prouvé l’hypothèse de Poincaré qui avait résisté un siècle Le Russe s’était déjà vu décerner en 2006 la médaille Fields, considérée comme le « Nobel en mathématiques », qu’il avait refusée. Le mathématicien et directeur de l’Institut Henri-Poincaré, Michel Broué, s’est réjoui de l’attitude de Grigori Perelman en déclarant que « l’activité des mathématiques était jusqu’à maintenant, par nature, protégée de la pourriture financière et commerciale, j’emploie ce terme volontairement. Mais je pense que c’est sans doute une des raisons qui font que Perelman dit et veut dire qu’il ne veut pas travailler pour le fric ni pour les récompenses. C’est une chose, il travaille pour l’honneur de l’esprit humain. » (3)

Un seul coupable, une mondialisation laminoir  contre l’émancipation scientifique des peuples

   Après avoir laminé le « collectif » au profit de l’individualisme le néo-libéralisme s’attaque sans résistance majeure, aux derniers bastions du vivre ensemble. Après avoir laminé les Jeux olympiques qui sont devenus des jeux marchands où l’effort passe en arrière plan de ce qu’il peut rapporter en terme d’image, après avoir créer des ersatz de divertissements , le néolibéralisme investit l’industrie du plaisir fugace et ne s’installe pas dans la durée, il vole d’opium en opium en « extrayant de la valeur » au passage, laissant l’individu sujet consommateur sous influence en pleine errance avec des réveils amers, où il retrouve la précarité, la mal vie en attendant un autre hypothétique soporifique devenant définitivement l’esclave du divin marché selon le juste mot du philosophe Dany Robert Dufour. (4)

A quoi cela sert d’étudier ?  Ce que nous attendons de l’Ecole  

Dans tout cela, une victime l’Ecole. Pourtant tout se joue à l’Ecole dans la mesure où elle joue son rôle C’est aÌ l’école que s’élargit l’horizon d’existence et que doivent s’ouvrir des possibles jusque-là  inouïs. Pour cela guider le peuple ne veut pas dire l’infantiliser et il est temps que le politique ait le courage de faire confiance au peuple. Il est temps que nos hommes qui nous gouvernent reconnaissent que, le peuple est mature. Une telle reconnaissance et une telle confiance sont indispensables a l’émergence d’un débat véritable sur les enjeux du futur

 « Cela, écrit Sophie Audoubert suppose un peuple conscient et rationnel, un peuple immunisé contre les théories du complot et les faits alternatifs qui fleurissent sur les réseaux sociaux, un peuple qui se renseigne et a  qui l’on donne les moyens et le temps de penser. C’est l’éducation qui doit permettre a la somme des individus de faire peuple.  C’est là qu’intervient la mère de toutes les batailles, et la grande oubliée du débat actuel: l’éducation. Et c’est bien l’éducation qui doit donner les outils pour y parvenir.  C’est elle qui doit éveiller les consciences pour former non pas de simples travailleurs et travailleuses, mais aussi et surtout des citoyennes et citoyens qui puissent se penser comme partie d’un tout, d’un collectif ouÌ le débat et les différences ne divisent pas mais au contraire enrichissent. ». (5)

Stimuler l’intelligence :  l’objectif de l’Ecole  

On comprend alors, l’illusion de l’éducation, notamment dans les pays du Sud où l’éducation est la dernière roue de la charrette. Plus globalement l’Ecole ne fait plus rêver et pourtant on ne construit pas une nation pérenne si elle n’est pas adossée à un système éducatif performant où l’intelligence est stimulée Comment rendre alors, nos élèves intelligents pour comprendre le monde et profiter de toutes les opportunités rendues possibles par ce siècle où la connaissance mondiale double tous les sept ans? A tort on oppose l’inné à l’acquis expliquant de ce fait certaines insuffisances par une déficience originelle. D’ailleurs, il est usage d’analyser l’intelligence par le Quotient Intellectuel dont on apprend que ce critère n’est pas suffisant pour évaluer la performance. 

Pour André Nieoullon « le sens commun définit l’intelligence comme la capacité à résoudre des problèmes théoriques plus ou moins complexes, à gérer des questions abstraites, et à trouver des solutions pour s’adapter aux fluctuations rapides de l’environnement dans les meilleures conditions d’efficacité et de rapidité, en faisant le moins d’erreurs possible. Ainsi, si le QI est à même de mesurer une intelligence plutôt « globale » en mettant en exergue les capacités de communiquer et à utiliser ses connaissances, il évalue mal les stratégies et les processus logiques reflétant les opérations mentales : raisonnement logique, utilisation d’analogies, expérience acquise, raisonnement intuitif et raisonnement inductif, tout au moins (…) L’intelligence est aussi basée sur la capacité à utiliser les connaissances et, dans un contexte où l’école a d’abord été rendue obligatoire, (….) A mon sens il est possible de considérer les évolutions de performances de QI d’une population comme un indicateur attestant que le système éducatif n’est peut-être plus adapté à une formation optimisée aux évolutions technologiques auxquelles nous sommes confrontés » (6).  

Conclusion

D’une façon irrationnelle notre premier mouvement fut aussi de vibrer et de manifester bruyamment notre joie.  Ceci dit la magie du football étouffe toutes les autres expressions de la performance outre celles obtenues en technologie et en science et même dans les autres sports. On se souvient avec émotion de la victoire olympique de  Hassiba Boulmerka c à Barcelone en 1992 en pleine décennie noire. Elle fit une course d’ontologie mettant vingt mètres entre elle et la suivante, mais surtout elle montra que l’Algérie existait, qu’elle était capable d’atteindre des sommets. Il faut écouter l’hymne national algérien entonnée dans ces conditions. Elle sera suivie par la suite par  Morcelli Benida Merah (7)    

Si l’on veut  résolument aller   dans le sens de l’unité du pays, le sport est un puissant facteur d’intégration , non pas uniquement  par  le football mais tout les sports parents pauvres devant le  football qui accapare tout les financements  . Pour le vivre ensemble côte à  côte, il est plus que jamais indiqué d’avoir une  réelle politique du sport-  non pas un ministère de l’équipe nationale- ,  qui encourage l’effort , qui facilite les compétitions inter-lycées, inter-régions de telle façon à ce que les Algériennes et les Algériens  se connaissent d’Est en Ouest et du Nord au Sud.  Il en sera de même des compétitions  pédagogiques. Les Ecoles les lycées, les universités devraient -comme le font toutes les institutions  de par le monde, cette dimension épanouissement sportif, consubstantielle de l’épanouissement culturel et scientifique.

On le voit pour le moment, la footballisation des esprits  est une défaite pour la pensée dans le sens à la fois rationnelle et aboutie.   Les recommandations du président Lincoln au précepteur de son fils, sont un résumé  généreux  et paternel d’un  programme d’éducation. Tout y est notamment la nécessité de laisser libre l’imaginaire de l’enfant et de le laisser découvrir la nature et les hommes. C’est dire si en Algérie nous en sommes malheureusement  loin !  Nous avons une Ecole à plusieurs vitesses  selon les moyens mis  en œuvre. 

L’Ecole républicaine est un échec.  Elle ne joue plus son rôle d’ascenseur social et se contente d’ensardiner les enfants pour ensuite les conditionner pour en faire des sujets crédules  et non pas des citoyens qui pensent par eux même. De ce fait, en Algérie, par exemple certains parents l’ont bien compris, ils cherchent pour leurs enfants la rampe de lancement la plus juteuse en termes de fortune rapide, ils ne cherchent pas la meilleure école pour leurs enfants,  par faute de moyens, mais le meilleur club pour inscrire leurs enfants.  

Il est incontestable qu’une victoire au football pour le citoyen lambda est un opium qui lui permet d’oublier les problèmes qui le rattraperont assez vite après la dissipation de ce ecstasy ce, prozack de l’éphémère . Le pouvoir  compte en tirer des dividendes , politiques  pour affaiblir la soif de liberté comptant aussi  sur la lassitude . Le peuple dans son ensemble est toujours déterminé même ce 22e vendredi il a manifesté, puis il est allé soutenir l’équipe  chacun à sa façon . 20.000 supporters plus tout un peuple qui communie. A bien des égards cet opium  du peuple a contribué d’une certaine façon à ressouder le peuple qui se sent à en croire les interviews en phase avec son équipe, son drapeau son pays quelque soit la région concernée

Belle  réussite de notre équipe nationale qui a accomplit un sans faute ; victoire de tous les matchs et apothéose . la deuxième étoile est méritée! Cela nous permettra de voir la vie en rose même si ce n’est que de façon éphémère en attendant la réussite de l’Algérie qui ne pourra venir qu’avec nos efforts, notre résilience et notre consensus pour une Ecole qui fait réussir et qui servira il faut l’espérer d’ascenseur social Amen.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

Notes 

1. Chems Eddine Chitour https://blogs.mediapart.fr/semcheddine/blog/160718/la-footbalisation-des-esprits-lextazy-de-lephemere 

2.Fabien Ollier : « La Coupe du Monde, une aliénation planétaire » Le Monde.fr 10 06 2010 

3.Samuel Metairie Quand l’Occident dissimule son colonialisme derrière un évènement sportif…Le Grand soir 12 juin 2010http://www.legrandsoir.info/Quand-l-Occident-dissimule-son-colonialism… 

4.https://www.legrandsoir.info/la-footballisation-des-esprits-que-reste-t-il-des-valeurs-fondamentales.html 

5 .Sophie Audoubert — 19 décembre 2018 http://www.slate.fr/story/171387/tribune-reforme-lycee-inegalites-orientation 

6 .https://www.atlantico.fr/decryptage/3576256/l-humanite-a-t-elle-atteint-son-pic-d-intelligence—andre-nieoullon 

7. Vidéo  de la course de Hassiba Boulmerka à Barcelone en 1992 https://www.youtube.com/watch?v=A-7GG3rVUC0

 Article de référence : http://www.lequotidien-oran.com/?news=5279196

 

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Après s’être fait écrabouiller sur scène [pendant le premier débat des Démocrates du 26 juin] par Tulsi Gabbard, la direction de campagne de Tim « Putain, qui est ce type ? » Ryan a publié une déclaration qui dénonçait comme « isolationniste » le souhait de la députée d’Hawaï de mettre fin à une occupation militaire inutile de 18 ans [en Afghanistan].

« Alors qu’il expliquait pourquoi l’Amérique ne peut pas céder son leadership international et se retirer du monde entier, Tim a été interrompu par la Représentante Tulsi Gabbard », peut-on lire dans la déclaration. « Lorsqu’il a essayé de lui répondre, elle a déformé un point factuel que Tim avait soulevé, c’est-à-dire que les talibans étaient complices des attaques du 11 septembre en fournissant de la formation, des bases et un refuge à Al-Qaïda et à ses dirigeants. Prétendre que Tim Ryan ne sait pas qui est responsable des attaques du 11 septembre est tout simplement malhonnête. En outre, nous continuons de rejeter l’isolationnisme de Gabbard et ses croyances erronées en matière de politique étrangère. Nous refusons d’être sermonnés par quelqu’un qui pense qu’il est acceptable de dîner avec des dictateurs meurtriers comme Bachar Al-Assad, en Syrie, qui a utilisé des armes chimiques contre son propre peuple. »

La direction de campagne de Ryan ment. Lors d’un échange qui portait explicitement sur les talibans en Afghanistan, Ryan a dit clairement : « Quand nous n’étions pas là-bas, ils ont commencé à envoyer des avions dans nos immeubles. » Au mieux, Ryan peut faire valoir que, lorsqu’il a prononcé « ils », il a soudainement cessé de parler des talibans pour évoquer Al-Qaïda sans se donner la peine de le préciser, mais dans ce cas il ne peut légitimement pas prétendre que Gabbard a « déformé » tout ce qu’il avait dit. Au pire, il n’était tout simplement pas au courant à ce moment de la distinction très claire entre le groupe armé et l’organe politique appelé les talibans d’un côté et l’organisation extrémiste multinationale appelée Al-Qaïda de l’autre.

Plus significatif encore, la direction de campagne de Ryan, qui utilise le mot « isolationnisme » pour décrire la simple idée de bon sens de se retirer d’une occupation militaire meurtrière et coûteuse, qui n’aboutit à rien, met en évidence une méthode de plus en plus courante consistant à cibler tout ce qui n’est pas de l’expansionnisme militaire sans fin comme étrange et aberrant plutôt que normal et bon. Dans le contexte de notre actuel paradigme de langue de bois orwellienne où la guerre pour toujours est la nouvelle normalité, le contraire de la guerre n’est plus la paix, mais l’isolationnisme. Cette éviction d’un antonyme positif de la guerre hors du lexique autorisé par la classe dirigeante a pour résultat que la guerre est toujours l’option souhaitable.

C’est complètement délibéré. Ce petit tour de magie verbale est utilisé depuis longtemps pour traiter comme quelque chose de bizarre et de dangereux toute idée qui s’écarterait de l’agenda néoconservateur d’unipolarité globale par les moyens d’un impérialisme violent. Dans son discours d’adieu à la nation, le criminel de guerre George W. Bush a déclaré ceci :

« Face aux menaces venant de l’étranger, il peut être tentant de chercher du réconfort en se repliant sur soi. Mais nous devons rejeter l’isolationnisme et son compagnon, le protectionnisme. Se replier derrière nos frontières ne ferait qu’attiser le danger. Au XXIe siècle, la sécurité et la prospérité intérieures dépendent de l’expansion de la liberté à l’étranger. Si l’Amérique ne mène pas le combat pour la liberté, ce combat ne sera pas mené. »

Quelques mois après le discours de Bush, Rich Rubino d’Antiwar a rédigé un article intitulé « Le non-interventionnisme n’est PAS de l’isolationnisme », expliquant la différence entre une nation qui se retire entièrement du monde et une nation qui résiste simplement à la tentation d’utiliser l’agression militaire, sauf en cas de légitime défense.

« L’isolationnisme veut qu’un pays n’ait pas de relations avec le reste du monde », écrivait Rubino. « Dans sa forme la plus pure, cela signifierait que les ambassadeurs ne seraient pas échangés avec d’autres nations, que les communications avec les gouvernements étrangers seraient pour l’essentiel superficielles et les relations commerciales inexistantes. »

« Un non-interventionniste soutient les relations commerciales », plaidait Rubino. « En fait, sur le plan commercial, de nombreux non-interventionnistes partagent des penchants libertaires, annuleraient unilatéralement tous les droits de douane, ils seraient ouverts au commerce avec toutes les nations qui le souhaitent. De plus, les non-interventionnistes accueillent favorablement les échanges culturels et les échanges d’ambassadeurs avec toutes les nations qui le souhaitent. »

« Un non-interventionniste croit que les États-Unis ne devraient pas intervenir dans des conflits entre d’autres nations ou des conflits au sein des nations », poursuivait Rubino. « Au cours de l’histoire récente, les non-interventionnistes se sont révélés prophétiques en prévenant des dangers pour les États-Unis d’être entravés par des alliances. Les États-Unis ont subi des effets délétères et ont provoqué une inimitié parmi d’autres gouvernements, citoyens et des acteurs non étatiques à la suite de leurs interventions à l’étranger. Les interventions des États-Unis en Iran et en Irak ont eu des conséquences cataclysmiques. »

Appeler une aversion à la violence militaire sans fin « isolationnisme » revient à appeler une aversion à l’agression de personnes « agoraphobie ». Pourtant, vous verrez que cette étiquette ridicule s’applique à la fois à Gabbard et à Trump, qui ne sont ni isolationnistes, ni même des non-interventionnistes au sens propre. Tulsi Gabbard soutient la plupart des alliances militaires américaines et continue d’exprimer son soutien total à la factice « guerre au terrorisme » mise en œuvre par l’administration Bush, qui ne sert en fait qu’à faciliter un expansionnisme militaire sans fin. De son côté, Trump pousse ouvertement l’interventionnisme jusqu’à un changement de régime au Venezuela et en Iran, tout en refusant de respecter ses promesses de retirer l’armée américaine de la Syrie et de l’Afghanistan.

Un autre qualificatif malhonnête que l’on vous lance quand vous débattez de la guerre sans fin est le « pacifisme ». « Certaines guerres sont mauvaises, mais je ne suis pas pacifiste : parfois la guerre est nécessaire », vous diront les partisans d’une intervention militaire donnée. Ils diront cela en défendant la guerre potentiellement catastrophique de Trump en Iran, en appuyant une invasion en vue d’un changement de régime débile en Syrie, en soutenant des interventions militaires américaines désastreuses du passé comme en Irak.

Ce sont des conneries, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pratiquement personne n’est un pacifiste pur qui s’oppose à la guerre dans toutes les circonstances possibles. Toute personne qui prétend qu’elle ne peut imaginer aucun scénario possible dans lequel elle défendrait l’utilisation d’une sorte de violence coordonnée ne s’est pas creusé la cervelle bien profondément, ou elle se ment. Par exemple, si vos proches venaient à être violés, torturés et tués par un groupe hostile à moins qu’une force adverse ne prenne les armes pour les défendre, vous défendriez celle-ci. Que dis-je, vous la rejoindriez probablement. Ensuite, assimiler l’opposition à l’interventionnisme américain en vue d’un changement de régime, qui est littéralement toujours désastreux et littéralement toujours inutile, n’est pas du tout comparable à s’opposer à toute guerre dans n’importe quelle circonstance imaginable.

Une autre distorsion courante que vous rencontrerez est l’argument spécieux selon lequel un adversaire donné de l’interventionnisme américain « n’est pas anti-guerre »parce qu’il ne s’oppose pas à toute guerre en toutes circonstances. Ce tweet de Mehdi Hasan de The Intercept en est un exemple parfait : il affirme que Gabbard n’est pas anti-guerre parce qu’elle soutient le droit souverain de la Syrie à se défendre, avec l’aide de ses alliés, contre les factions extrémistes violentes qui envahissent le pays, avec l’appui de l’Occident. Encore une fois, pratiquement personne ne s’oppose à toute guerre en toutes circonstances. Si une coalition de gouvernements étrangers avait aidé à submerger le pays d’Hasan, la Grande-Bretagne, de milices extrémistes qui auraient mis à feu et à sang le Royaume-Uni dans le but ultime de renverser Londres, Tulsi Gabbard et Hasan soutiendraient la lutte contre ces milices.

Pour ces raisons, l’expression « anti-guerre » peut être quelque peu trompeuse. Le terme anti-interventionniste ou non-interventionniste décrit le mieux le système de valeurs de ceux qui s’opposent à la guerre de l’Empire occidental, parce qu’ils ont compris que les appels à l’interventionnisme militaire qui se généralisent dans le contexte actuel sont presque exclusivement basés sur des programmes impérialistes destinés à s’emparer du pouvoir, du profit et de l’hégémonie mondiale. L’étiquette « isolationniste » ne s’en approche même pas.

Tout repose sur la souveraineté. Un anti-interventionniste croit qu’un pays a le droit de se défendre, mais il n’a pas le droit de conquérir, de capturer, d’infiltrer ou de renverser d’autres nations, secrètement ou ouvertement. À la « fin » du colonialisme, nous étions tous d’accord sur l’idée que nous en avions fini avec cela, sauf que les manipulateurs sans nation ont trouvé des moyens beaucoup plus subtils de s’emparer de la volonté et des ressources d’un pays sans même y planter un drapeau. Nous devons être plus clairs sur ces distinctions et élever la voix pour les défendre car c’est la seule façon sensée et cohérente de mener une politique étrangère.

Caitlin Johnstone

Photo en vedette : Tulsi Gabbard

Article original en anglais : The Forever War Is So Normalized That Opposing It Is “Isolationism”, Medium.com, le 28 juin 2019

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

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Donald Trump a lancé une diatribe fascisante contre le socialisme mercredi soir alors que ses partisans hurlaient des menaces dirigées contre quatre femmes démocrates au Congrès lors d’un rassemblement de campagne à Greenville, en Caroline du Nord.

Les partisans ont scandé «Renvoyez-la!» alors que Trump attaquait Ilhan Omar, représentante démocrate de Minnesota au Congrès, qui aurait «dénigré les membres des forces armées américaines impliquées dans l’incident de Blackhawk Down», «minimisé les attaques du 11 septembre» et apporté son soutien à Al-Qaïda.

Donald Trump s’adressant au rassemblement de mercredi à Greenville en Caroline du Nord (source : C-Span)

Faisant référence à Omar, Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib et Ayanna Pressley, Trump a dénoncé les «extrémistes de gauche qui rejettent tout ce que notre pays défend». Trump a attaqué les représentantes comme des «socialistes» qui «détestent notre pays» et «veulent démolir notre constitution, affaiblir notre armée et éliminer les valeurs sur lesquelles ce pays magnifique a été construit». L’attaque était un appel à peine voilé à la violence.

Le président a répété sa revendication que tous ceux qui critiquent le gouvernement «sont libres de partir. S’ils n’aiment pas l’Amérique, dites-leur de la quitter», a-t-il déclaré.

Trump a attaqué Ocasio-Cortez en termes racistes flagrants. En riant, Trump l’a dénommé «Cortez» et a dit: «Je n’ai pas le temps de m’occuper de trois noms différents, cela prend trop de temps»; des propos applaudis bruyamment par la foule. Outre leur prénom, les personnes d’origine hispanique utilisent traditionnellement deux noms de famille, le nom de famille de leur père et de leur mère.

Trump s’est attaqué également aux manifestants anti-Trump, affirmant qu’ils étaient «des malades, du mauvais monde». Se référant aux manifestants «Antifa» comme ceux qui se sont affrontés à des bandes de néonazis à Charlottesville en Virginie en 2017, Trump a déclaré que «eux sont du mauvais monde. Et ils ne se font pas critiquer dans la presse.»

Bien que Trump ait refusé de critiquer la foule fasciste qui a tué la manifestante anti-Trump âgée de 32 ans, Heather Heyer à Charlottesville, il a déclaré que les manifestants antinazis sont «très mauvais et frappent les gens à la tête avec des bâtons, voire des bâtons de baseball. Ils apparaissent toujours masqués. Ils rentrent à la maison chez maman et papa. Ils attaquent toujours les gens qui ne peuvent pas se défendre, mais ils n’attaqueront pas ce groupe», a ajouté Trump, insinuant que la foule attaquerait physiquement les manifestants.

Alors que Trump dénonçait le socialisme et les opposants à son administration, il a félicité le Parti démocrate, expliquant que seuls certains démocrates sont «anti-ouvriers, anti-famille, anti-emploi et antiaméricains».

En fait, les premiers mots qu’il a prononcés lorsqu’il est entré en scène comprenaient des éloges pour les démocrates qui avaient voté contre sa destitution. Il a explicitement déclaré que ses dénonciations excluaient «tous les démocrates qui ont voté pour nous aujourd’hui».

Trump faisait référence à la majorité des démocrates de la Chambre des représentants qui ont voté contre une résolution de destitution présentée par le démocrate texan Al Green. «Ils sont bien», a-t-il déclaré à propos des 137 démocrates qui ont voté pour ajourner la résolution. «Vous savez, si vous perdez contre eux, c’est correct, c’est différent, et c’est ce que l’on appelle de la discussion politique normale».

Le vote de destitution a eu lieu alors que le Parti démocrate sollicitait l’appui de Trump en dépit du discours qu’il tenait en Caroline du Nord. Le journaliste Scott Wong a tweeté que Pelosi avait déclaré lors d’une conférence de presse dans l’après-midi: «Elle ne dit pas que Trump est raciste, elle qualifie ses mots de racistes.»

Les démocrates se sont précipités pour annoncer leur volonté de travailler avec Trump sur le problème du plafond de la dette, qui expirera en septembre. Politico a écrit mercredi: «La relation toxique entre Trump et l’opposition continue de s’exacerber, mais cela n’empêche pas la présidente de la Chambre Nancy Pelosi et son parti de travailler avec lui pour éviter la calamité fiscale et peut-être même signer son accord commercial phare plus tard cet automne.»

Aux yeux du Parti démocrate, travailler avec Trump pour augmenter les dépenses militaires et réduire le déficit l’emporte sur les préoccupations découlant de ses appels fascistes.

Politico a clairement indiqué que les démocrates souhaitent travailler avec Trump par crainte que les compressions budgétaires ne réduisent «les programmes de défense de plusieurs milliards de dollars: un scénario que les démocrates veulent éviter à tout prix».

Le démocrate californien Ro Khanna, un partisan de Bernie Sanders, a déclaré: «Nous réagirons avec force, mais ne laisserons pas cela gêner la gouvernance.»

Le sénateur Richard Blumenthal a ajouté: «Tout le monde sait que nous devons établir un budget et relever le plafond de la dette. Ce qui rend la situation vraiment difficile, ce ne sont pas tant les tweets que l’imprévisibilité et l’irrationalité de la Maison-Blanche et son incapacité à le gérer.»

Tandis que Trump félicitait les démocrates de leur coopération, le Pentagone a annoncé mercredi le déploiement de 2100 soldats supplémentaires à la frontière américano-mexicaine. Le déploiement, qui comprendra 1100 soldats en service actif et 1000 membres de la Garde nationale du Texas, porte à 6600 le nombre total de soldats déployés à la frontière.

Un responsable militaire a indiqué que les soldats garderaient les camps de concentration, apportant un «soutien opérationnel, logistique et administratif».

Dans son discours en Caroline du Nord, Trump a dénoncé les affirmations «extrémistes» selon lesquelles les agents de l’Immigration et des douanes (ICE) et la police pour la protection des frontières (CBP) sont des «nazis» qui gardent des «camps de concentration». Trump a proclamé que les détenus étaient si désespérés et pauvres qu’ils s’estimaient heureux d’être détenus: «Ils ont de l’eau, ils ont la climatisation, ils ont des choses qu’ils n’ont jamais vues».

Trump a loué les agents de l’ICE, affirmant qu’ils faisaient des rafles dans les «repaires» où vivent les immigrants. Il a qualifié les membres de gangs de «bêtes sauvages», ajoutant: «Je ne pense pas qu’ils soient des êtres humains».

La crise politique accélère l’effondrement du peu qui reste de formes de gouvernement «démocratiques» au sein de l’élite dirigeante.

Quelques minutes après que les démocrates ont voté contre la destitution, ils ont voté pour condamner le procureur général de Trump, William Barr, et le secrétaire au Commerce, Wilbur Ross pour outrage au Congrès pour avoir refusé de comparaître devant ce dernier afin d’expliquer la décision exigeant une question sur la citoyenneté prévue dans le recensement de 2020.

Un nombre sans précédent de responsables de l’administration Trump ont refusé les assignations à comparaître du Congrès, empêchant ainsi le pouvoir de surveillance du Congrès. Si Barr et Ross refusent de coopérer aux procédures judiciaires imminentes, le Congrès aurait le pouvoir d’arrêter les fonctionnaires et de garder en détention.

En outre, le démocrate du Missouri, Emanuel Cleaver, a brusquement abandonné le podium du président de la Chambre des représentants lors du débat au Congrès mardi soir sur la question de savoir si la référence faite par Pelosi aux récents tweets de Trump comme «racistes» constituait une violation de la procédure parlementaire.

Lorsque des collègues démocrates ont exhorté Cleaver à violer une tradition quasi formelle interdisant aux représentants d’«insulter» le président, Cleaver a jeté le marteau au sol aux cris de surprise des représentants. Le chef de file de la majorité démocrate de la Chambre, Steny Hoyer, a ensuite repris le marteau et a jugé que les propos de Pelosi étaient, en fait, irrecevables. Hoyer a expliqué plus tard que sa décision était fondée sur une règle vieille de 200 ans qui découle du principe britannique du 18e siècle selon lequel attaquer l’exécutif est un acte de «sédition criminelle».

Eric London

 

Article paru en anglais, WSWS, le 18 juillet 2019

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Les économistes et intellectuels occidentaux obsédés par la diabolisation de la Chine n’hésitent pas à prendre des raccourcis pour exposer de manière flagrante leur ignorance.

La dernière bombe affirme que « nous » – en tant qu’intellectuels occidentaux – « sommes la version moderne du Frankenstein de Mary Shelley », qui a électrocuté un cadavre (la Chine) pour en faire un « monstre meurtrier » ressuscité.

Donc, bienvenue à l’école des relations internationales Sino-Frankenstein. Quelle est la prochaine étape ? Un remake en noir et blanc avec Xi Jinping jouant le monstre ? Quoi qu’il en soit, « nous » – en tant que meilleur espoir de l’humanité – devrions « éviter de continuer dans le rôle de Frankenstein ».

L’auteur est professeur émérite d’économie à Harvard. Il ne peut même pas identifier qui est à blâmer pour Frankenstein – l’Occident ou les Chinois. Cela en dit long sur les normes académiques de Harvard.

Maintenant, comparez cela avec ce qui a été discuté lors d’un symposium sur la guerre commerciale à l’Université Renmin à Pékin samedi dernier.

Les intellectuels chinois ont essayé d’encadrer la dislocation géopolitique actuelle provoquée par la guerre commerciale de l’administration Trump – sans la nommer pour ce qu’elle est : une manœuvre de Frankenstein.

 

Li Xiangyang, directeur de l’Institut national de la stratégie internationale, un groupe de réflexion associé à l’Académie chinoise des sciences sociales, a souligné qu’un « découplage économique » des États-Unis avec la Chine est « tout à fait possible », considérant que « L’objectif ultime (US) est de contenir la montée en puissance de la Chine… C’est un jeu de vie ou de mort » pour les États-Unis.

Découplage

En supposant que le découplage ait lieu, cela pourrait facilement être perçu comme du « chantage stratégique » imposé par l’administration Trump. Pourtant, ce que veut l’administration Trump n’est pas exactement ce que veut l’establishment américain – comme le montre une lettre ouverte à Trump signée par de nombreux universitaires, experts en politique étrangère et chefs d’entreprise qui craignent que le découplage de la Chine de l’économie mondiale – comme si Washington pouvait réellement réussir une telle impossibilité – ne génère d’importantes retombées.

Ce qui pourrait réellement se produire en termes de « découplage » entre les États-Unis et la Chine, c’est ce sur quoi Pékin travaille déjà activement : étendre les partenariats commerciaux avec l’UE et dans les pays du Sud.

Et cela conduira, selon Li, à ce que les dirigeants chinois offrent à leurs partenaires un accès au marché plus large et plus approfondi. Ce sera bientôt le cas avec l’UE, comme cela a été discuté à Bruxelles au printemps dernier.

Sun Jie, chercheur à l’Institut d’économie et de politique mondiale de l’Académie chinoise des sciences sociales, a déclaré qu’il serait essentiel d’approfondir les partenariats avec l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) si un découplage était envisageable.

Pour sa part, Liu Qing, professeur d’économie à l’Université de Renmin, a souligné la nécessité d’une gestion des relations internationales de haut niveau, traitant avec tous, de l’Europe aux pays du Sud, pour empêcher leurs entreprises de remplacer les entreprises chinoises dans certaines chaînes d’approvisionnement mondiales.

Et Wang Xiaosong, professeur d’économie à l’Université Renmin, a souligné qu’une approche stratégique chinoise concertée dans les relations avec Washington est absolument primordiale.

Tout sur l’Initiative Ceinture et Route

Quelques optimistes parmi les intellectuels occidentaux préféreraient qualifier ce qui se passe de débat animé entre les partisans de la « retenue » et de « l’équilibre offshore » et ceux de « l’hégémonie libérale ».

Parmi les intellectuels occidentaux singularisés par le Frankenstein perplexe, il est pratiquement impossible de trouver une autre voix de raison pour égaler celle de Martin Jacques, aujourd’hui agrégé supérieur à l’Université de Cambridge. « Quand la Chine règne sur le monde« , son imposant tome publié il y a dix ans, a surgi d’un désert éditorial de publications presque uniformément ennuyeuses de soi-disant « experts » occidentaux de la Chine.

Jacques a compris que tout tourne autour des Nouvelles Routes de la Soie, ou Initiative Ceinture et Route :

En fait, nous entrons déjà dans un scénario Ceinture et Route 2.0 – défini par le Ministre des Affaires Étrangères Wang Yi comme un passage de « haute qualité » d’un « grand travail à main levée » à un « fin travail au pinceau ».

Au Forum de la BRI qui s’est tenu au printemps dernier à Pékin, 131 pays étaient représentés, engagés dans des projets liés entre eux. La BRI travaille en partenariat avec 29 organisations internationales, de la Banque Mondiale à la Coopération Économique Asie-Pacifique (APEC).

Outre le fait que la BRI est maintenant configurée comme un vaste et unique projet de développement des infrastructures et du commerce à l’échelle de l’Eurasie qui s’étend jusqu’en Afrique et en Amérique Latine, Pékin souligne maintenant qu’il s’agit également d’un projet qui englobe les relations commerciales bilatérales, la coopération Sud-Sud et les objectifs de développement durable approuvés par l’ONU.

Les échanges commerciaux de la Chine avec les pays de la BRI ont atteint 617,5 milliards de dollars au premier semestre de 2019, en hausse de 9,7 % par rapport à l’année précédente et dépassant le taux de croissance du commerce total de la Chine.

L’érudit chinois Wang Jisi a eu raison dès le début lorsqu’il a qualifié la BRI de « nécessité stratégique » pour contrer le « pivot vers l’Asie » désormais obsolète de Barack Obama.

Il est donc temps pour les intellectuels occidentaux de s’engager dans une crise de panique : en l’état actuel des choses, la BRI est le nouveau Frankenstein.

Pepe Escobar

Article original en anglais :

Western Intellectuals Freak Over ‘Frankenstein’ China

Cet article a été publié initialement par Asia Times.

Traduit par Réseau International

Le 10 juillet, l’enquête dans l‘agression brutale par la police, à Nice le 23 mars, d‘une «gilet jaune» de 73 ans, Geneviève Legay, a été «dépaysée» et confiée à un juge d‘instruction à Lyon. Une décision prise après plus de 3 mois durant lesquels l‘État, depuis la police et la justice locale jusqu‘à l‘Élysée en passant par les ministères de l‘Intérieur et de la Justice, ont systématiquement menti sur les faits ou empêché toute enquête crédible.

Geneviève Legay a été grièvement blessée par la police alors que celle-ci chargeait une manifestation paisible de quelques dizaines de «Gilets jaunes» place Garibaldi à Nice. Ils s’opposaient à l‘interdiction de manifester décidée par le maire de Nice Christian Estrosi (LR) et la Préfecture des Alpes maritimes sous prétexte de visite le lendemain du président chinois Xi Jinping. La manifestation ne représentait, de l’aveu même de forces de l’ordre présentes, aucune menace.

Durant la charge, la septuagénaire fut violemment poussée par un policier avec un bouclier et frappée, des coups qui ont provoqué de multiples fractures du crâne, une hémorragie interne, et une fracture du coccyx. Hospitalisée, après que la police ait interdit aux street-médics de la secourir, les faisant même arrêter, sa survie n’était pas certaine. Selon un compte rendu officiel du jour, son état «se serait aggravé au fil des heures». Deux semaines après, elle souffrait toujours d’une hémorragie et d’un hématome non résorbé au crane, n’avait pas retrouvé l‘équilibre ni l‘odorat. Sa vue était floue et elle n’entendait plus d’une oreille.

Des commentaires de policiers sur la situation sur place le 23 mars révèlent une optique à donner froid dans le dos. «Je peux vous confirmer que mes hommes ont enjambé ceux qui étaient tombés à terre», dit l‘un dans le cadre de témoignages sur les faits. Un autre dit avoir «constaté la présence d’une personne au sol que j’ai dû enjamber pour ne pas trébucher (…) J’ai continué mon mouvement en compagnie de mes deux collègues et c’est une fois la progression terminée que nous avons constaté que c’était une femme qui était au sol.»

Une chaîne du mensonge et du sabotage de la vérité s’est mise en place presque immédiatement. Le 11 juillet la presse confirmait que le procureur Jean-Michel Prêtre, d’abord responsable de l’enquête, qui avait initialement nié toute implication de la police dans les blessures de Legay, a suivi toute l‘opération depuis le Centre de supervision urbain. Il était donc forcément informé du contraire. Le jour même de l’attaque, la police est venu voir Legay sur son lit d’hôpital, en empêchant d’autres personnes d’entrer, pour essayer de lui faire dire qu’un journaliste l’avait poussée et non un policier.

Le procureur a confié l’enquête au service dirigé par la compagne du commissaire responsable de la charge, Rabah Souchi qui avait de plus participé aux opérations de police le jour même, dans le périmètre où Geneviève Legay a été frappée, ce dont le procureur avait connaissance. Répondant à des questions de journalistes indiquant un «conflit d’intérêt», il a carrément dit: «Je ne vois pas en quoi cela pose problème».

Ces actes furent dénoncés par les avocats de Legay et des membres de la magistrature, mais le ministère de la Justice s‘est refusé à les sanctionner.

Les plaintes déposées par les avocats de Geneviève Legay, pour «violences volontaires en réunion avec arme par personnes dépositaires de l’autorité publique et sur personne vulnérable» et «subornation de témoins» y compris contre la préfecture, ont été enterrées. Son avocat a déclaré quelques jours après les faits que «les suspects de l’enquête sont ceux qui sont chargés de l’enquête par le procureur en connaissance de cause. C’est bien au-delà du conflit d’intérêts…»

Il a ajouté qu’ «aujourd’hui, le même procureur a toujours la maîtrise d’une partie de l’instruction alors qu’il est aussi suspect potentiel». Il a interpellé la ministre de la Justice disant: «La question est: pourquoi madame Belloubet le protège-t-elle encore?»

Le procureur de Nice s‘était déjà fait remarquer dans l‘affaire du meurtre d‘un syndicaliste CGT en Guadeloupe, lors de la grève générale contre la vie chère en février 2009. Un premier accusé sera libéré ayant un alibi, le second faussement accusé par Prêtre, passera quatre ans en prison avant d’être libéré. Il s’est aussi fait remarquer en 2017 par son acharnement à faire condamner des personnes portant aide aux migrants.

Macron a donné la bénédiction de l’Elysée à l’agression de Legay. Alors qu’il était déjà avéré que Legay avait été frappée par un policier, il a déclaré que «cette dame n’a pas été en contact avec les forces de l’ordre», la rendant encore responsable de l‘agression: «pour avoir la quiétude, il faut avoir un comportement responsable. (…) Quand on est fragile, qu’on peut se faire bousculer, on ne se rend pas dans des lieux qui sont définis comme interdits et on ne se met pas dans des situations comme celle-ci».

Fin juin, il l’attaquait encore dans une interview au journal New Yorker: «Aller dans un endroit où il était interdit de manifester est complètement fou. Le bon sens est bienvenu, surtout en cette période difficile! Je lui souhaite le meilleur! Mais cette vieille dame n’allait pas faire des courses. Elle manifestait avec des activistes, face à des policiers, au pire moment de la crise ».

Trois mois après les faits et pour ses propres raisons, la gendarmerie a décidé fin juin de révéler un rapport selon lequel elle se serait opposée à exécuter, le 23 mars, l‘ordre de charger de Souchi au motif que les «Ordres reçus» étaient «disproportionnés face à la menace (foule calme)».

Macron s’était créé une base pseudo-légale pour des attaques contre les droits sociaux et démocratiques fondamentaux en France, en faisant voter la «loi anti-casseurs» début février. Le gouvernement s’était servi pour la justifier de provocations policières contre les «gilets jaunes». La loi fut votée définitivement par le Sénat moins de deux semaines avant l‘agression policière de Geneviève Legay. Cette loi a donné à la police des pouvoirs relevant jusque là de la justice et qu‘elle n‘avait eu la dernière fois que sous Vichy, abolissant de fait la séparation des pouvoirs.

L’agression par la police d’une femme âgée ne posant aucun danger aux forces de l’ordre souligne que le retour aux normes juridiques fascisantes est lié à une tentative d’imposer un État policier autoritaire pour étrangler toute expression de la vaste opposition sociale à Macron. Le transfert de l’investigaiton vers Lyon n’aura comme but que de continuer à etranvers une mise en lumière des procédés autoritaire de la police, exigée par des couches toujours plus larges des travailleurs.

Francis Dubois

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L’Etat Profond gagne presque toujours. Mais si le procureur général Barr s’appuyait sur Trump et des enquêteurs loyaux, l’enfer pourrait se déchaîner, car les preuves contre ceux qui ont pris de sérieuses libertés avec la loi sont accablantes….

Alors que le Congrès reprend le travail et que le Comité judiciaire et le Comité du renseignement de la Chambre des représentants se préparent à interroger l’ex-procureur spécial Robert Mueller, le 17 juillet, les lignes partisanes se dessinent encore plus nettement, transformant le RussiaGate en un DeepstateGate. Dimanche, un législateur républicain de premier plan, le représentant Peter King (R-NY) a jeté les gants lors d’une attaque publique inhabituellement acerbe contre d’anciens dirigeants du FBI et de la CIA.

King a déclaré à l’auditoire d’une radio : « Il ne fait aucun doute pour moi qu’il y a eu des abus graves et sérieux qui ont été commis par le FBI et, je crois, par les échelons supérieurs de la CIA contre le président des États-Unis ou, à l’époque, le candidat à la présidence, Donald Trump », selon The Hill.

King, un membre du Congrès spécialisé dans la sécurité nationale, a présidé à deux reprises le House Homeland Security Committee et dirige actuellement un sous-comité sur l’antiterrorisme et le renseignement. Il a également siégé pendant plusieurs années au House Intelligence Committee.

Celui-ci a déclaré :

Il n’y avait aucune base légale pour débuter cette enquête sur sa campagne ; et sur la façon dont ils ont mené cette enquête, sur la façon dont l’information a été fuitée… Tout cela va sortir. Cela va montrer leur partialité. Cela montrera le manque de fondement de l’enquête… et je dirais la même chose si cela avait été fait à l’encontre d’Hillary Clinton ou de Bernie Sanders… C’est tout simplement malhonnête.

Le Républicain de Long Island a fait une remarque bien ciblée sur ce qui passe dans les médias aujourd’hui : « Les médias se sont ralliés à cette idée grotesque et ridicule que le président des États-Unis était impliqué dans une conspiration avec la Russie contre son propre pays. »

Selon King, l’enquête du ministère de la Justice, ordonnée par le procureur général William Barr, prouverait que d’anciens fonctionnaires ont agi de manière inappropriée. Il fait allusion à l’enquête menée par John Durham, un procureur du Connecticut. Ça sonne bien. Mais attendre que Durham termine son enquête à un rythme typiquement juridique serait, je le crains, un peu comme attendre que Mueller termine la sienne, c’est-à-dire un peu comme attendre Godot. Qu’en est-il maintenant ?

Où en est donc le rapport de l’IG sur la FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) ?

C’est du lourd. Si Horowitz peut parler librement de ce qu’il a appris, son rapport pourrait mener à la mise en accusation de John Brennan, un ancien directeur de la CIA, James Comey, un ancien directeur du FBI, Andrew McCabe, un ancien directeur adjoint du FBI, Sally Yates et Rod Rosenstein, d’anciens sous-procureurs généraux, et Dana Boente, qui est la seule personne ayant signé les requêtes de la FISA encore en fonction. (Non, il n’a pas été rétrogradé au poste de commis au classement à la bibliothèque du FBI ; aux dernières nouvelles, il est avocat général du FBI !)

L’enquête de l’inspection générale du ministère de la justice, lancée en mars 2018, s’est concentrée sur la question de savoir si le dépôt par le FBI et le ministère de la justice, à compter d’octobre 2016, de quatre requêtes et renouvellements de requêtes en vertu de la loi FISA, pour surveiller Carter Page, l’ancien conseiller de campagne Trump, constituait un abus de cette loi. (Heureusement pour l’Inspection Générale, les hauts responsables du renseignement et de l’application de la loi d’Obama étaient tellement convaincus qu’Hillary Clinton l’emporterait qu’ils n’ont pas fait grand-chose pour cacher leurs traces.)

Le Washington Examiner rapportait mardi dernier que « l’enquête de l’inspection générale du ministère de la Justice sur l’abus potentiel de la Foreign Intelligence Surveillance Act est terminée, a déclaré un membre du Congrès républicain, même si le rapport sur ses conclusions pourrait ne pas être publié avant un mois ».

L’article se poursuit ainsi :

John Ratcliffe (R, Texas), membre du Comité judiciaire de la Chambre des représentants, a déclaré lundi qu’il avait rencontré Michael Horowitz, le chien de garde du ministère de la justice, la semaine dernière au sujet de son rapport sur les abus de la loi FISA. Dans une entrevue accordée aux médias, Ratcliffe a déclaré qu’ils avaient discuté du calendrier, mais pas du contenu du rapport, et qu’Horowitz lui avait dit que le travail d’enquête de son équipe était terminé et qu’ils étaient maintenant en train de rédiger le rapport. Ratcliffe a dit qu’il doutait que le rapport de Horowitz soit rendu public ou mis à la disposition du Congrès dans un avenir proche. Il [Horowitz] a fait savoir que presque 20 % de son rapport comprendrait des renseignements classifiés, de sorte que l’ébauche du rapport devra faire l’objet d’un examen par le FBI et le ministère de la justice. « J’espère que les membres du Congrès le verront avant les vacances d’août, mais je n’en suis pas si sûr. » a dit Ratcliffe.

Plus tôt, Horowitz avait prédit que son rapport serait prêt en mai ou en juin, mais il pourrait y avoir de bonnes raisons de le retarder. Fox News rapportait vendredi que « des témoins clés recherchés par l’inspecteur général du ministère de la Justice, Michael E. Horowitz, au début de son enquête sur des allégations d’abus en matière de surveillance gouvernementale, se sont présentés à la onzième heure ». Selon les sources de Fox, au moins un témoin extérieur au ministère de la Justice et au FBI a commencé à coopérer ; une percée qui a eu lieu après que Durham a été chargé de mener une enquête distincte sur les origines de l’affaire du FBI concernant la Russie, celle qui a déclenché l’enquête du conseiller spécial Robert Mueller.

La « classification secrète » a toujours été l’une des tactiques préférées de l’État Profond pour contrecarrer les enquêtes ; surtout lorsque le matériel en question suscite de graves embarras ou révèle des crimes. Et les enjeux sont cette fois énormes.

Si l’on en juge par les précédents, les responsables du renseignement et de la justice de l’État Profond feront tout ce qui est en leur pouvoir pour utiliser cette excuse, « c’est confidentiel », afin d’éviter de se mettre eux-mêmes et de mettre leurs anciens collègues en danger sur le plan juridique. (Bien que cela violerait le décret présidentiel 13526 d’Obama, interdisant la classification d’informations embarrassantes ou criminelles).

Il n’est pas sûr du tout que l’inspecteur général Horowitz et le procureur général Barr l’emporteront en fin de compte, même si le président Trump a donné à Barr le pouvoir nominal de déclassifier si besoin est. Pourquoi les enjeux sont-ils si extraordinairement élevés ?

Que savait Obama, et quand l’a-t-il su ?

Rappelons que dans un texto du 2 septembre 2016, adressé à Peter Strzok, le chef adjoint du contre-espionnage du FBI de l’époque, Lisa Page, sa petite amie et alors conseillère juridique supérieure de McCabe, le directeur adjoint du FBI, écrivait qu’elle était en train de préparer un compte rendu parce que le président « veut savoir tout ce que nous faisons ». Il semble peu probable que le directeur du renseignement national, le ministère de la justice, le FBI et la CIA aient tous tenu le président Obama dans l’ignorance au sujet de leurs manigances ; bien qu’il soit possible qu’ils l’aient fait par désir de lui fournir un « déni plausible ».

Il semble plus probable que Brennan, le plus proche confident d’Obama en matière de renseignement, lui ait parlé des manigances autour de la FISA, qu’Obama lui ait donné son approbation (peut-être seulement tacite), et que Brennan l’ait utilisée pour pousser les hauts responsables du renseignement et de la police à vaincre Trump, puis à l’empêcher de travailler et, si possible, à le destituer.

De plus, il n’est pas impossible de voir poindre dans les mois à venir une défense du style « c’est Obama-qui-nous-a-poussés-à-le-faire » – qu’elle soit fondée ou non – par Brennan et peut-être le reste du gang. Brennan peut même avoir un morceau de papier enregistrant l’« approbation » du président pour telle ou telle chose ; ou pourrait facilement demander à ses anciens subordonnés d’en préparer un qui semble authentique.

Contenir Devin Nunes

Le fait que l’État Profond conserve un pouvoir formidable peut être vu dans le traitement répété que Devin Nunes (R-CA), membre du House Intelligence Committee Ranking, a subi. Le 5 avril 2019, croyant apparemment avoir le feu vert pour passer à l’offensive, Nunes écrivait que les républicains du comité « soumettront bientôt des pourvois en justice à l’encontre de nombreuses personnes impliquées […] dans l’abus du renseignement à des fins politiques. Ces personnes doivent être tenues de rendre des comptes afin d’éviter que de tels abus ne se reproduisent à l’avenir. »

Le 7 avril, Nunes a été encore plus précis en disant à Fox News qu’il s’apprêtait à envoyer huit pourvois en justice au ministère de la Justice « cette semaine », concernant des allégations d’inconduite pendant l’enquête Trump-Russiagate, en particulier pour des fuites de « matériel hautement confidentiel » et des complots pour mentir au Congrès et au tribunal de la FISA. Pour Nunes, qui avait commencé à parler publiquement de peine de prison pour ceux qui pourraient être traduits en justice, tout semblait aller de soi.

À part Fox News, les médias grand public ont ignoré les commentaires explosifs de Nunes. Les médias semblaient convaincus que les mots «pourvois en justice» prononcés par Nunes pouvaient être ignorés en toute sécurité ; même si un nouveau shérif, Barr, était en action. Et bien sûr, maintenant, trois mois plus tard, où en sont ces fameux pourvois en justice ?

Tout porte à croire que le président Trump a peur de s’en prendre aux fonctionnaires de l’État profond dont il a hérité. Et l’État Profond gagne presque toujours. Mais si le procureur général Barr s’appuie bien sur le président pour soutenir Nunes, l’inspecteur général Horowitz, Durham et d’autres enquêteurs aux points de vue similaires, l’enfer pourrait se déchaîner, parce que les preuves contre ceux qui ont pris de sérieuses libertés avec la loi sont accablantes.

Ray McGovern

 

Article original en anglais :

Ex-FBI, CIA Officials Draw Withering Fire on Russiagate

Consortiumnews le 8 juillet 2019

Traduit par Wayan, relu par San pour le Saker Francophone

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« Il dort. Quoique le sort fut pour lui bien étrange,Il vivait. Il mourut quand il n’eut plus son ange. La chose simplement d’elle-même arriva.Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va». Victor Hugo (Les Misérables)

«Je n’ai fait que mon devoir»

Le professeur Kaci Hadjar nous quitte en nous laissant dans un profond désarroi Il m’honorait de son amitié. C’était un citoyen du monde, éclectique, mais qui, dans les haltes importantes de la vie, a su faire le bon choix et être du bon côté de l’Histoire. Qu’il repose en paix !

Qui est le professeur Kaci Hadjar ?

Il est, par excellence, un pur produit de l’Algérie profonde qui a réussi à émerger dans cette atmosphère de pesanteur coloniale qui pensait pouvoir durer mille ans. Il est né en 1939, à Aït Boumahdi (wilaya de Tizi Ouzou). Après l’école indigène, puis celle des Pères blancs d’Aït Yenni, il rejoint son père mineur dans le Nord de la France, où il fréquente l’école des Jésuites et les grands et prestigieux lycées parisiens. En 1960,laissant ses études, il avait vingt ans, il rejoint les rangs de la Révolution armée dans les maquis de l’Oranie (Wilaya 5 historique). Après avoir combattu dans les rangs de l’ALN, démobilisé après l’Indépendance, il reprend aussitôt le chemin des études à la Faculté de médecine d’Alger. Il a dirigé pendant de longues années en tant que chef de service la gynéco-obstétrique de l’hôpital de Bologhine, Kaci Hadjar n’est pas seulement professeur de médecine depuis 1992, puis chef de service, Il a aussi été un écrivain éclectique

Un intellectuel éclectique témoin de son temps

De quelque côté que l’on décrypte Kaci Hadjar, il ne cesse de nous intriguer. Intellectuel éclectique, le professeur Hadjar s’est découvert graduellement une âme de témoin du siècle. C’est avant tout un fils aimant qui nous raconte son affection pour ses parents dont il tire la substantifique moelle en termes de règles dans la vie. C’est aussi un poète. C’est enfin un témoin du XXe siècle qui, à sa façon, nous propose non seulement une grille de lecture, mais aussi tente de nous convaincre de ce que serait un monde apaisé en prenant en exemple les relations algéro-françaises. Enfin, comme on le constate, le sort des minorités dans le monde semble le préoccuper au plus haut point (1). 

Kaci Hadjar est fils d’émigré des premières générations avec ce que tout cela comporte comme abnégation pour quitter son terroir et aller affronter une autre civilisation pour pouvoir nourrir sa famille. Il n’est pas étonnant de ce fait, que l’abnégation des parents aidant, le jeune Kaci Hadjar fit ses humanités dans les lycées parisiens. L’une des facettes de Kaci Hadjar, celle qu’il nous plaît de rapporter avec d’autant plus de bonheur que nous nous identifions, est l’amour qu’il porte à ses parents. De lui, il gardera une certaine retenue et un amour raisonné du verbe et du travail bien fait.

Le maquisard qui n’a fait que son devoir 

En ces temps de Hirak où chacun fait son inventaire à la lumière des remises en cause, il est bon de rappeler que l’Algérie ce ne sont pas que des pourris qui ont mis le pays en coupe réglée, effaçant le prestige de ces maquisards qui sont loin des feux de la rampe occupés par les idéologues et maquisards de la vingt-cinquième heure. Il y eut des personnalités admirables dignes  filles et fils de l’Algérie  Le professeur Hadjar est de ces humbles qui ont fait leur devoir et n’en a tiré aucun bénéfice. L’indépendance acquise, il retourne sur les bancs de l’université. Et Dieu que ce ne fut pas facile de choisir le chemin le plus dur, celui de tourner le dos à sa carrière de maquisard, ne pas en faire un fonds de commerce et s’embarquer dans un autre Djihad, celui du savoir.  

Comme il le dit si bien : « Je n’ai fait que mon devoir, maintenant je vais reprendre mes études de médecine, pour entamer l’autre djihad celui de contribuer à l’édification du pays. » A bien des égards, il rappelle le dévouement du colonel Khatib commandant la Wilaya 4 historique qui, après l’indépendance reprit lui aussi le chemin de la Faculté de médecine. Il exerce son métier dans la discrétion la plus absolue. 

Curieusement, un autre universitaire de talent, le professeur Khelifa Zizi, professeur émérite de mathématiques à Paris, eut la même réaction lui aussi en tant qu’ancien maquisard et bien mérité de la patrie, en répondant d’abord, à l’appel de la patrie pour l’indépendance en Wilaya 4 historique – pour lui aussi, ce n’est qu’un devoir, où il ne faut rien attendre en échange- et reprit sa licence de maths à Paris en 1963, fit un doctorat en mathématiques sous la direction de Laurent Schwarz médaille Fields de mathématiques ( équivalent du prix Nobel de mathématiques) dont il prit la succession à Polytechnique à Paris

La figure tutélaire du père

L’autre facette de ce professeur qui se sentait à l’étroit en tant que professeur, est d’aller sur d’autres terres. Il donna alors cours à son autre don, l’écriture. Il publia une demi-douzaine d’ouvrages commençant par rendre un hommage appuyé à son père.  Il voulait laisser un patrimoine oral, pour cette nouvelle génération, qui lui a été légué par son défunt père. A travers cet ouvrage « Mon père disait… » L’auteur invite le lecteur à connaître ses traditions, les proverbes berbères qu’utilisaient les ancêtres et qui commencent à rentrer dans la zone de l’oubli pour être remplacés par d’autres termes allogènes. Dans cet ouvrage, chaque proverbe et chaque maxime recèlent des vertus morales. Le professeur Kaci Hadjar est également l’auteur d’un recueil de poèmes intitulé Les joies et les peines (paru chez les éditions Grand-Alger livres en 2004) et d’un essai philosophique La machine infernale (paru aux mêmes éditions, en 2006).  

Le défunt père de Kaci, Omar Hadjar, a inculqué à son fils dès son enfance les secrets de la sagesse et les vertus pour faire de lui un homme. « Mon père ne cessait de rabâcher cette maxime imagée, qui lui était si chère, quand il voulait me livrer les secrets de la vie en me conseillant l’endurance qu’il fallait pour l’affronter dès mon jeune âge, à mon adolescence, à mes premiers pas au collège. » A travers ce recueil de proverbes berbères, il voulait rendre hommage à son père dont il garde toujours un profond sentiment, ainsi que le souvenir de la complicité sans faille qui les unissait pendant leur exil forcé en France.

Pour Nadir Iddir « Kaci Hadjar rappelle par certains côtés Marcel Pagnol. Avec le créateur de Fanny, il partage la prescience et le respect dû au père. Par ses écrits, il tient à rendre grâce à celui qui fut pour lui le réconfort. Son père, Omar Hadjar, le poussera à bachoter sans trop s’encombrer des considérations matérielles dont il s’occupait lui-même en travaillant chez Usinor en France. Le père ne fut pas instituteur comme celui de Pagnol, mais un ouvrier comme on en trouvait tant dans les usines métropolitaines. Hadjar perdra ce père en 1968, il ne s’en consolera jamais. De lui, il gardera une certaine retenue et un amour raisonné du verbe et du travail bien fait. » (2)

La facette féconde de l’ homme de lettres 

«Chaque proverbe et chaque maxime recèlent des vertus morales», a souligné l’auteur pour qui ces dictons «sont des principes de vie pour bien éduquer un enfant». «Tous ces proverbes et maximes, qui cristallisent toutes les valeurs, sont en moi, je les connais par cœur, mais je voulais aussi écrire leurs significations, c’est-à-dire les commenter», «Notre terroir renferme une infinité de proverbes et maximes», a confié le professeur Hadjar qui a aussi, à cette occasion, souligné la valeur de la lecture. «Le savoir s’acquiert par plusieurs moyens, mais particulièrement par la lecture», a relevé le conférencier dont l’ouvrage reprend des maximes et proverbes en tamazight avec une traduction en langue française.

La facette de poète sans le savoir, à la manière de monsieur Jourdain, est décrite magistralement par A. Ben Alam: «Un pari fou, écrit-il que celui des éditions Apic, qui viennent de publier un recueil de poésies. En l’occurrence celui de Kaci Hadjar, au titre évocateur : « Les joies et les peines ». En alexandrins, s’il vous plaît. Hugoliens et même parfois baudelairiens. L’auteur nous invite à entrer dans un univers où le bucolique le dispute aux scènes du genre. En refermant l’ouvrage, on se dit qu’en fait, Kaci Hadjar a fait le tour de la question: les quatre saisons (printemps, été, automne, hiver), les jardins, les souvenirs d’enfance (sans jouets, repas du soir, lavandières, le fossoyeur, le marabout…), la vie d’autrefois, la révolution, le vice et la vertu, les secrets de Paris, sont les quelques titres glanés à travers les pages de ce beau livre, bien réalisé sur le plan graphique. L’auteur fait partie de cette génération de rares étudiants qui ont troqué la plume contre le fusil pour assumer leur devoir contre l’oppression et l’injustice de l’ère coloniale. «Les joies et les peines» poursuit A. Ben Alam est de ces livres qu’on ouvre avec délicatesse, un jardin dont on a peur de piétiner les fleurs.(3)

Les bonnes causes. La destinée humaine 

Quand il parle dans son dernier essai «L’oppression des minorités» paru en 2011, c’est, le croyons-nous, un concentré en filigrane de tout ce qui ne va pas dans le monde. En honnête courtier il fait l’inventaire de toutes les détresses de ces minorités qui sont réparties dans le monde. Il nous invite ce faisant, à nous rendre compte de la souffrance des Indiens, des Roms et tsiganes, des minorités chinoises, des Basques. Une place spéciale est accordée aux Berbères, ce peuple premier de l’Afrique du Nord, de l’Atlantique jusqu’aux confins de l’oasis de Siwa en Egypte. On peut regretter cependant que le sort des Palestiniens ne soit pas évoqué (4).

S’agissant du passage sur Terre et du destin de l’humanité, il écrit: «Au cours de l’existence, il y a un moment où le Destin des Hommes force la réflexion profonde à donner un sens à la Vie qui vient d’être vécue, en bien ou en mal. L’Homme devra se confesser à sa propre conscience, devant le tribunal intérieur; pour se remettre à une Puissance Invisible, mais qui le hante et l’habite. Vouloir comprendre le monde qui nous entoure est pour nous tous un exercice complexe, parfois ingrat, souvent épuisant, toujours déroutant. » Le mérite de Kaci Hadjar, au-delà de son talent de poète, nous prend par la main et nous explique simplement les choses de la vie.

… Enfin, son mérite, assurément bien dans sa peau après une honnête carrière acquise de haute lutte, est de se révéler sur un autre plan celui de la littérature, de la poésie. Loin du m’as-tu-vu, des biens en cours. Qu’il en soit remercié pour son apport multidimensionnel. Non ! l’Algérie ce n’est pas les roupis  qui ont donné une image désastreuse de l’Algérie ; notre pays recèle des pépites qui, chacune à sa façon, contribue à édifier ce pays. 

En définitive, le professeur Hadjar nous invite à revenir aux fondamentaux de la vie – Le respect des anciens, le travail bien fait, l’honnêteté intellectuelle, le respect de la parole donnée, le parler -vrai- seuls repères dans ce maelström de la pensée et cette anomie à tous les coins du monde. Cet hommage mille fois mérité,  nous permet de contribuer modestement  à rendre justice à ces bâtisseurs qui, non contents de faire leur devoir envers la patrie, par les armes, , participent par l’esprit, par leur sacerdoce au quotidien,  à leur façon à l’aventure humaine et à l’édification des savoirs. 

Ces vers de Victor Hugo cités en préambule, sont là pour nous rappeler l’inanité de la vie dans ce qu’elle a de plus tentateur pour ceux qui s’accrochent d’une façon morbide à l’accumulation de richesses. Faut-il avoir ou être ? » telle est la question à laquelle a répondu le professeur Hadjar. Qu’il repose en paix du sommeil du juste…

Professeur  Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

 

Notes

1.https://www.alterinfo.net/LE-PROFESSEUR-KACI-HADJAR-Un-intellectuel-eclectique-temoin-de-son-temps_a74288.html

2. Nadir Iddir : Mon père disait… Une petite chanson de piété filiale El Watan 21.10.2007 

3. A. Ben-Alam www.lexpressiondz.com http://www.vitaminedz.com/les-joies-et-les-peines-de-kaci-hadjar-poesie/Articles_ 16053_30027_0_1.html 

4. Kaci Hadjar : L’oppression des minorités dans le monde. Editions Onda 2011

Article de référence https://www.lexpressiondz.com/nationale/un-moudjahid-du-fusil-et-du-bistouri-318223

 

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Vendredi dernier, la police métropolitaine de Londres (‘Met’) a menacé les journalistes de poursuites en vertu de la loi britannique sur les secrets officiels (Official Secrets Act), une attaque sans précédent de la liberté de la presse.

Le contrôleur général Neil Basu a annoncé que le Commandement de l’antiterrorisme allait enquêter sur les infractions présumées à l’Offical Secrets Act dans la publication de télégrammes diplomatiques rédigés par l’ex-ambassadeur sir Kim Darroch.

Darroch a démissionné la semaine dernière comme ambassadeur de Grande-Bretagne aux États-Unis après que le quotidien britannique Daily Mail a publié des évaluations confidentielles accablantes sur le Président Donald Trump. Trump avait publiquement réprimandé Darroch qui avait décrit son administration comme «uniquement dysfonctionnelle» et «inepte».

Basu a déclaré devant le quartier général de Scotland Yard: «Compte tenu des conséquences largement rapportées de cette fuite, je suis convaincu que les relations internationales du Royaume-Uni ont subi des dommages et qu’il y aurait un intérêt public évident à traduire en justice la personne ou les personnes responsables».

Au lanceur d’alerte, il a dit : «Rendez-vous dès que possible, expliquez-vous et faites face aux conséquences.»

Cette déclaration visait également les journalistes et organismes médiatiques: «La publication de communications ayant fait l’objet d’une fuite, connaissant les dommages qu’elles ont causés – ou sont susceptibles de causer – peuvent elles aussi constituer une matière criminelle».

«Je conseille à tous les propriétaires, rédacteurs en chef et éditeurs de réseaux sociaux et médias grand public de ne pas publier de documents gouvernementaux ayant fait l’objet de fuites, ceux déjà en leur possession ou ceux qui pourraient leur être offerts; de les remettre à la police ou de les rendre à leur propriétaire légitime, le gouvernement de Sa Majesté».

Les menaces de Basu ont déclenché une tempête de protestations, les rédacteurs en chef des journaux critiquant sa «déclaration sinistre, absurde et antidémocratique» selon les mots du rédacteur politique du Sunday Times, Tim Shipman.

Sur quoi Basu a publié samedi une déclaration de suivi largement décrite dans les médias comme un «rétropédalage». Ce qui n’est pas le cas.

«La police métropolitaine respecte les droits des médias et n’a pas l’intention de chercher à empêcher les éditeurs de publier des articles dans l’intérêt public dans une démocratie libérale. Les médias ont un rôle important dans le contrôle des actions de l’État», a-t-il déclaré.

Et de poursuivre «Toutefois, on nous a aussi dit que la publication de ces documents précis, sachant à présent qu’ils représentent peut-être une infraction à la Loi sur les secrets officiels, pouvaient également constituer une infraction pénale, ne comportant aucune défense fondée sur l’intérêt public».

Autrement dit, tout journaliste ou organe de presse qui publie le matériel divulgué après l’annonce de la police métropolitaine commettrait une infraction pénale. «Nous savons que ces documents et potentiellement d’autres restent en circulation», a-t-il mis en garde.

Face au désaveu venant des grands médias, Boris Johnson et Jeremy Hunt – tous deux candidats à la direction du Parti conservateur – ont jugé nécessaire de condamner les menaces de la police métropolitaine comme une «atteinte à la liberté de la presse».

Mais c’était un camouflage transparent. Selon un article du Guardian, la ‘Met’ a lancé l’enquête dans le cadre d’un «processus passerelle» suite à des discussions entre de «hauts responsables du gouvernement» et Dean Haydon, commissaire général de la police métropolitaine et «coordinateur national principal du SO15 de Scotland Yard».

La SO15 est l’unité de Commandement antiterroriste (CTC) de la police métropolitaine et la branche chargée d’enquêter sur les allégations d’infractions pénales à la Loi sur les secrets officiels.

Ce que la police métropolitaine a proposé, c’est de criminaliser de fait le journalisme, de sorte qu’on puisse le faire entrer dans les activités terroristes.

Des déclarations comme celles de l’ancien chancelier conservateur et actuel rédacteur en chef de l’Evening Standard, George Osborne, qui dépeint Basu comme un incompétent maladroit, étaient pour contrôler les dégâts. Il a qualifié sa déclaration de «très stupide et malavisée», le travail d’«un officier subalterne qui ne semble pas comprendre grand-chose à la liberté de la presse».

Mais l’intervention de l’ex-secrétaire à la Défense Sir Michael Fallon a bien montré l’importance sinistre de l’enquête de la ‘Met’. Parlant samedi à l’émission de radio de la BBC «Today», Fallon a insisté pour dire que les journalistes devaient être soumis à la Loi sur les secrets officiels. L’attaque des médias par Basu était selon lui «tout à fait logique». «S’ils [les journaux] reçoivent du matériel volé, ils devraient le rendre à son propriétaire légitime et se rendre compte des énormes dégâts occasionnés et du préjudice potentiel encore plus grand d’autres violations de l’Official Secrets Act».

A la question de savoir si les journalistes devaient se conformer à cette loi, il a répondu: «Je ne pense pas que quiconque puisse se dispenser totalement de la nécessité d’éviter des dommages à ce pays… Nous avons la liberté de la presse… mais nous avons aussi des lois. Nous avons la Loi sur les secrets officiels et il important de faire respecter la loi ».

Ben Wallace, le ministre de la Sécurité, a soutenu Fallon. «Une partie de cette loi s’applique aussi aux membres du grand public» a-t-il tweeté.

L’Official Secrets Act est en vigueur depuis 1911 et le Parlement l’a adopté sous sa forme actuelle en 1989. Selon lui, constitue un délit «la divulgation d’informations, de documents ou d’autres articles concernant» la sécurité ou le renseignement, la défense et les relations internationales. Actuellement, seuls les fonctionnaires ou ex-fonctionnaires, les sous-traitants du gouvernement ou les membres des services de sécurité et de renseignement peuvent être poursuivis pour infractions en vertu de cette loi. Les personnes reconnues coupables s’exposent à des amendes ou à une peine d’emprisonnement de deux à 14 ans.

S’exprimant vendredi, le directeur général de la Société des rédacteurs en chef, Ian Murray, a condamné l’invocation par la ‘Met’ de cette loi contre les journalistes. Il a dit: «Franchement, c’est le genre d’approche que l’on attendrait de régimes totalitaires où les médias ne devraient être qu’un bras docile du gouvernement».

Les décrets dictatoriaux de la police métropolitaine montrent comment opère le précédent Assange. La décision du gouvernement américain de poursuivre le fondateur de WikiLeaks en vertu de la loi américaine sur l’espionnage pour avoir publié des documents gouvernementaux divulgués a ouvert les vannes. Cette décision a reçu l’appui de la première ministre britannique sortante Theresa May et du ministre des Affaires étrangères Jeremy Hunt.

Adoptée en 1917, la Loi sur l’espionnage s’inspire largement de l’Offical Secrets Act de 1889 que le gouvernement britannique a mis à jour trois ans seulement avant le début de la Première Guerre mondiale.

Les menaces de la police métropolitaine font suite aux raids de la police fédérale australienne (AFP) sur le siège de l’Australian Broadcasting Corporation et le domicile de la rédactrice politique du Sunday Telegraph, Annika Smethurst. Les agents de l’AFP ont saisi des centaines de dossiers relatifs à des articles démasquant l’espionnage et les crimes de guerre commis par les troupes australiennes en Afghanistan.

La répression croissante par l’État de l’activité journalistique de base s’inscrit dans le contexte d’une escalade vers la guerre. La Grande-Bretagne agit en soutien aux plans de guerre américains contre l’Iran, organisant ces dernières semaines des provocations, à Gibraltar et dans le détroit d’Ormuz, qui servent à accroître les tensions.

L’intervention de Fallon et son exigence de soumettre les journalistes à la Loi sur les secrets officiels vise à dissimuler au public des préparatifs de guerre avancés. Selon le magazine Foreign Policy la semaine dernière, le Royaume-Uni et la France se sont mis d’accord à huis clos pour renforcer leurs forces terrestres en Syrie de 10 à 15 pour cent. Le Royaume-Uni enverra davantage de forces spéciales.

Si les dispositions dont menace l’État britannique sont adoptées, les journalistes risquent des années de prison pour avoir révélé les intrigues de ceux qui préparent de nouvelles guerres et d’autres mesures anti-démocratiques.

Dans leur appel à une campagne mondiale pour mettre fin à l’extradition d’Assange vers les États-Unis, le World Socialist Web Site et le Comité international de la Quatrième Internationale ont averti que sa persécution représentait « le fer de lance d’une attaque massive contre les droits démocratiques visant à détruire la liberté d’expression, à rendre le journalisme d’investigation illégal, à intimider et à terroriser les critiques». Une persécution visant aussi «à empêcher la révélation des crimes gouvernementaux et à réprimer l’opposition populaire de masse aux inégalités sociales et à la guerre». Tenir compte de cet avertissement signifie rejoindre cette campagne mondiale aujourd’hui.

Robert Stevens et Laura Tiernan

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS le 16 juillet 2019

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Une enquête du quotidien panarabe al-Araby al-jadid qui titre : « Dubsi, 100 000 unités mobiles du renseignement dans les rues d’Égypte » revient sur cette application de transport d’usagers qui inquiète beaucoup au pays d’Abdel Fattah al-Sissi.

Dubsi est la nouvelle application concurrente d’Uber, qui rencontre, comme par hasard, des problèmes en Égypte. Selon le journal, l’idée de cette application aurait été soufflée par les services de renseignement généraux (les moukhabarat) égyptiens, sous l’impulsion du général Mahmoud al-Sissi, fils du président et « étoile montante » au sein de ces services.

Selon une source sécuritaire citée par al-Araby al-jadid, c’est Mahmoud al-Sissi qui a relancé l’idée de profiter d’une application de mise en contact entre utilisateurs et chauffeurs pour espionner plus efficacement les Égyptiens dans leur quotidien.

Vaste réseau de surveillance

Quelque 100 000 voitures seraient donc mobilisées bientôt par une société privée, avec comme particularité, la capacité de filmer et enregistrer en audio tout ce qui se passe durant la course.

« Ainsi, les services de sécurité auront une image assez complète des orientations, des opinions et des idées de millions de personnes et pourront capter tout phénomène social qui serait une menace pour la sécurité publique », poursuit l’auteur de l’enquête.

En mai 2018, les autorités égyptiennes ont décrété que les sociétés de transport via des applications devaient garder les données des clients durant 180 jours. Surtout, ces données doivent être communiquées quand il le faut aux services de sécurité.

Traduction : « Moi, quand le chauffeur de Dubsi demande mon opinion sur la situation du pays »

La société qui gère Dubsi et qui offre pour la première fois tous les moyens de transport, y compris des hélicoptères et des bateaux, a tenu à démentir tout lien avec la sphère sécuritaire, insistant sur le fait que l’entreprise était aux mains d’ hommes d’affaires égyptiens.

En juin 2017, le New York Times révélait que l’un des concurrents d’Uber en Égypte, Careem (société basée à Dubaï et opérant dans 55 villes), avait reçu une proposition délicate de la part des services de renseignement égyptiens.

La cybersurveillance en vogue chez Sissi

« Lors d’une réunion avec le directeur général de Careem, Mudassir Sheikha, les services de renseignement de l’armée égyptienne ont offert un traitement préférentiel en échange de l’accès aux données de la société et du conducteur », précise le journal. La société a refusé l’offre et se trouve depuis confrontée, comme Uber, à plusieurs soucis légaux et économiques.

« Les services de sécurité peuvent déjà suivre les Égyptiens via leurs téléphones portables. Mais l’espionnage en covoiturage en dit long sur les ambitions de Monsieur Sissi en matière de surveillance électronique, alors que son gouvernement a déjà emprisonné des citoyens pour avoir publié des messages sur les réseaux sociaux, piraté des activistes en utilisant de faux courriels et bloqué des applications de messagerie cryptées », faisait remarquer le New York Times.

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La propagande sioniste, «arme de destruction massive»

juillet 18th, 2019 by Daniel Vanhove

Tout citoyen épris de justice est en droit de se réjouir : en effet, ces dernières années, et malgré les apparences, le régime israélien se trouve dans de sérieuses difficultés. Non seulement au niveau extérieur, mais également au niveau intérieur.

L’actuel gouvernement du 1er ministre Netanyahu a beau bénéficier d’un appui inédit de la part de son allié américain, les réalités ne trompent pas. 

Grâce à la détermination et la pugnacité de la résistance, le régime israélien perd pied dans les guerres directes ou indirectes qu’il mène en-dehors de ses frontières – Liban, Syrie, Yémen, Irak, bande de Gaza, … pour ne parler que des plus visibles – ce qui documente sur l’état de son armée dont certains hauts gradés multiplient les mises en garde, et au sein de laquelle le moral semble au plus bas. 

Mais il perd pied aussi sur le front de son image plus malmenée que jamais.  Ce régime apparaît désormais pour ce qu’il est : un exemple détestable et honni de racisme et d’apartheid à l’égard de tout ce qui ne peut présenter les gages d’une judéité bien blanche. Et même aux Etats-Unis, les soutiens commencent à s’éroder.

Si l’on connaissait les positions racistes des gouvernements divers qui se sont succédés par rapport aux Arabes – qu’ils soient palestiniens ou israéliens – les récents évènements à l’encontre de la communauté éthiopienne l’ont à nouveau illustré. (Lire : https://francais.rt.com/international/63600-israel-manifestations-degenerent-apres-mort-israelien-origine-ethiopienne)

En parallèle, la campagne BDS – Boycott, Désinvestissement, Sanctions – initiée par plus de 170 associations palestiniennes depuis 2005 continue à s’étendre dans le monde, et ici aussi malgré les dénis des responsables politiques, les revers qu’elle occasionne pour l’économie israélienne sont importants.

Si ce n’était pas le cas, pourquoi donc le régime multiplie-t-il les tentatives pour enrayer une telle campagne, allant même jusqu’à y mêler le Mossad et son armée ? (Lire : http://www.chroniquepalestine.com/le-mossad-contre-la-campagne-bds/)

Cela dit, et bien qu’en déclin, le régime jouit encore auprès de nombreux citoyens occidentaux et particulièrement européens, d’un certain apriori favorable, suite aux souvenirs amplement entretenus de la « solution finale » organisée par le régime nazi.

Et tout, absolument tout est fait pour que ce souvenir reste le plus vivant et le plus vibrant possible dans la mémoire collective européenne. Tant au niveau du cinéma que des documentaires, émissions radios, téléfilms, programmes scolaires, rappels et commémorations pour que le moindre détail surgisse afin de rappeler le rôle coupable d’une Europe qui a fermé les yeux sur l’innommable.

Et dans une civilisation qui s’est bâtie pendant des siècles sur le sentiment de culpabilité tel qu’enseigné à travers les valeurs chrétiennes qui ont fondé l’Europe, il est certain que cela laisse des traces et perdure un certain temps. C’est donc sur cet aspect que les experts en communication ont focalisé l’attention et leur angle de vue, afin que l’Européen moyen ne se permette jamais d’oublier sa dette morale.

La technique n’est pas compliquée, au contraire, elle est d’une simplicité limpide et parvient encore et toujours à entretenir un sentiment compassionnel à l’égard des juifs de la part de ceux qui ne parviennent pas à se débarrasser de cette culpabilité de leurs aînés avec laquelle pourtant ils n’ont rien à voir.

En effet, si l’on peut reprocher à ses parents ou grands-parents d’avoir fait de mauvais choix, pourquoi faudrait-il en payer les conséquences pendant des générations entières ? Cela n’a aucun sens. Se souvenir, d’accord… si l’objectif est d’éviter de reproduire les mêmes atrocités. Mais devoir se repentir ad nauseam, pour le choix des autres, en aucun cas ! D’autant que le régime israélien nous montre qu’il s’autorise à reproduire sur les Palestiniens, les mêmes crimes que des juifs ont subi sous les nazis.

Par ailleurs, bien entretenu, rappelé de manière métronomique à nos mémoires ce culte du souvenir permet de pointer un autre élément de la propagande sioniste : l’antisémitisme.

Ainsi celui qui ne courbera pas la tête par rapport à ce crime absolu pratiqué pendant la seconde guerre mondiale, et qui se permettra en tant qu’antisioniste de critiquer la politique israélienne de colonisation tous azimuts, sera-t-il traité d’antisémite. Terme qui constitue le « joker » fatal contre ceux qui oseront pointer le racisme et l’apartheid pratiqués impunément et à grande échelle par tout gouvernement israélien, depuis les décennies qu’est appliquée cette funeste idéologie qu’est le sionisme.

A cet effet, il faut (re)lire l’ouvrage de Norman Finkelstein édifiant sur la question : « L’industrie de l’Holocauste » (pour reprendre un terme fallacieux, puisqu’il désigne un « sacrifice » qui n’a évidemment pas eu lieu !) aux Ed. La Fabrique. Et bien comprendre à quel point la propagande israélienne est une « arme de destruction massive » … des cerveaux de ceux qui sont dans l’ignorance et qui y restent par paresse, fainéantise, complaisance ou lâcheté.

Mais, une fois affranchi de ce sentiment de culpabilité, il convient de regarder les choses en face et de les dénoncer pour ce qu’elles sont : le régime israélien est l’un des pires qui soit et il ne mérite en aucun cas d’être soutenu par nos Etats se vantant de leurs valeurs démocratiques. Que du contraire, il faut le combattre par tous les moyens et dire les crimes et atrocités qu’il s’autorise sur le dos de ceux dont il n’a cessé de voler les terres, les biens, la culture, l’identité, les vies… à travers une colonisation criminelle.

La création de cet Etat sous les auspices des Nations-Unies a été une grave erreur. Il est grand temps de la corriger. L’histoire n’est jamais figée pour les siècles. Elle évolue, s’adapte en fonction des évènements. Rien n’est éternel, sinon le changement. Cela se vérifie à tous les stades de l’évolution et donc également à celui de l’histoire humaine.

Ce régime sous sa forme actuelle doit donc disparaître au profit d’un Etat qui sera la nation de tous ses citoyens, sans aucune discrimination de couleur de peau, de sexe, d’appartenance religieuse ou non, d’origine, … et en fera enfin, un Etat où le mot « justice » aura retrouvé le sens qu’il y a perdu depuis longtemps.

Daniel Vanhove

17.07.19

Photo en vedette : Netanyahou

Source : Middle East Eye

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Nicaragua : à 40 ans de la Révolution du 19 juillet 1979

juillet 18th, 2019 by Bernard Duterme

En vue du 40e anniversaire de la révolution sandiniste du 19 juillet 1979, Benjamin Favresse (Le Vent Se Lève) s’est entretenu avec Bernard Duterme, auteur de Toujours sandiniste, le Nicaragua ? (CETRI, 2017). L’occasion de revenir sur ce qui distingue les politiques menées par Daniel Ortega depuis son retour au pouvoir en 2007 du projet sandiniste des années révolutionnaires (1979-1990). L’occasion surtout d’interroger les ressorts, les acteurs et les perspectives de la crise de régime ouverte l’an dernier. Et de la répression qui vise à la refermer.

Benjamin Favresse – En novembre 2016, Daniel Ortega remportait l’élection présidentielle du Nicaragua avec 72,5 % des suffrages et était reconduit pour un quatrième mandat. Tantôt félicité par le FMI, tantôt défendu par une partie de la gauche à travers le monde – notamment pour ses programmes sociaux –, le modèle économique du Nicaragua d’Ortega a enregistré de bons résultats. Quels sont les principaux facteurs de cette « réussite économique » ? Le Nicaragua est-il un exemple à suivre pour les pays d’Amérique centrale ?

Bernard Duterme – Le modèle économique qui prévaut au Nicaragua depuis le retour de Daniel Ortega au pouvoir en janvier 2007 correspond, dans les grandes lignes, aux politiques néolibérales appliquées par les trois administrations de droite qui l’ont précédé. [1] C’est également le modèle qui a dominé, à quelques inflexions près, l’Amérique centrale de ces dernières années. Au Honduras et au Guatemala en particulier. Un modèle de développement antédiluvien, prioritairement agroexportateur, « extractiviste », orienté vers l’alimentation du marché mondial en matières premières (viande, café, or, sucre…, pour ce qui concerne le Nicaragua). Un modèle de développement dont la faible part industrielle se limite, pour l’essentiel, aux unités d’assemblage textile en « zones franches » (la plupart collées à l’aéroport international), où les sociétés nord-américaines et asiatiques agissent en toute liberté.

Le lendemain même de son investiture, le gouvernement Ortega a défini – et assumé constamment par la suite –, en parfaite entente avec les grandes fortunes du pays et les chambres patronales, ce qu’allait être son « modèle d’alliances, de dialogue et de consensus » en matière économique : tapis rouge pour le grand capital, national et étranger, à coup de libre-échange, de dérégulations (environnementales notamment) et d’exonérations (à hauteur de 50% du budget national), en lui garantissant tant « la paix sociale » que « la main-d’œuvre et la terre les moins chères d’Amérique centrale » (http://pronicaragua.gob.ni). Ce n’est pas pour rien que, jusqu’au mois d’avril 2018, le grand patronat et les investisseurs extérieurs ont clamé, à moult reprises, tout le bien qu’ils pensaient de ce modèle (voir notamment le site progouvernemental https://www.el19digital.com).

Les institutions financières internationales elles-mêmes n’ont pas tari d’éloges à l’égard du bon élève Ortega. « Basé principalement sur l’attraction des investissements étrangers, sur une hausse de la compétitivité par rapport au marché états-unien qui est votre principal client à l’exportation, et sur une stabilité macroéconomique vraiment louable, votre modèle a été couronné de succès ces cinq à dix dernières années », indiquait encore le chef du FMI pour l’Amérique centrale au président nicaraguayen en mai 2017, moins d’un an avant le début de l’actuelle crise politique. Et de fait, profitant à plein de l’envolée des cours mondiaux des matières premières (jusqu’en 2014) et de sa double allégeance – rhétorique envers le chavisme vénézuélien, pragmatique envers le capitalisme nord-américain –, l’ortéguisme a doublé le volume de l’économie nicaraguayenne en dix ans (qui reste cependant la plus pauvre du continent, après Haïti).

Résultat : une diminution relative de la pauvreté (comme presque partout en Amérique latine durant cette période « faste »), mais aussi une concentration sans précédent des richesses (la plus forte de la région) et une dégradation accélérée de l’environnement (selon la FAO, le Nicaragua a perdu plus d’un tiers de ses forêts ces quinze dernières années). Une certaine gauche internationale pointe les programmes sociaux financés par l’ortéguisme pour se convaincre que l’ancien commandant de la révolution sandiniste est toujours d’obédience socialiste, mais omet de signaler que ceux-ci s’apparentent plus aux projets de lutte contre la pauvreté saupoudrés par les gouvernements de droite en période d’ajustement structurel qu’à une réelle politique de redistribution, voire de transformation sociale.

Cela étant, depuis 2015-2016 environ, la conjoncture internationale s’est retournée : cycle déflationniste des matières premières exportées, crise vénézuélienne et chute consécutive de l’aide chaviste qu’Ortega recevait en marge du budget national, crispation des relations avec les États-Unis d’Obama suite aux abus de pouvoir du couple Ortega-Murillo à l’approche des élections présidentielles de 2016… La donne s’est dès lors sérieusement compliquée pour le gouvernement nicaraguayen, qui y a progressivement perdu les moyens de perpétuer la stabilité assurée cette dernière décennie.

Le « miracle économique » nicaraguayen n’est en tout cas pas le facteur d’explication principal du « miracle électoral » de 2016. « Miracle électoral » qui a attribué au couple présidentiel (Rosario Murillo, l’épouse d’Ortega, étant désormais vice-présidente du pays), 72,4% des voix, en un seul tour, sans opposition crédible admise ni observation indépendante autorisée ; 10% de plus qu’en 2011, lors de la précédente élection présidentielle. Pour mémoire, à celle de 2006, lorsque le clan orteguiste n’avait pas encore la mainmise absolue sur le CSE (Conseil suprême électoral), le candidat Ortega fut alors élu président avec seulement 38% des votes valides, grâce à l’abaissement du seuil d’éligibilité immédiate à 35% (en cas d’écart d’au moins 5% avec le deuxième candidat). Cette réforme électorale fut l’un des dividendes du « pacte » passé dès 1999 entre Ortega et le très à droite président Alemán, en échange de la paix sociale et de la future impunité de ce dernier (dont le patrimoine privé aurait été multiplié par plus de 2000 durant son mandat, http://www.envio.org.ni).

À vrai dire, le déroulé des stratégies licites et illicites déployées par Daniel Ortega pour récupérer le pouvoir d’abord, puis y édifier son hégémonie et ensuite la bétonner, fait froid dans le dos. Il concourt à ce qu’est devenu ce régime politique en quelques années à peine : une autocratie aux apparences démocratiques, une « démocrature » népotique et corrompue, un caudillisme prétendument « chrétien et socialiste », mais, à l’examen, conservateur et néolibéral.

Dans votre livre Toujours sandiniste, le Nicaragua ? , vous défendez la thèse selon laquelle le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) de Daniel Ortega n’a plus de sandiniste que le nom. Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce qu’a été le sandinisme et comment le FSLN de Daniel Ortega s’en est distancié ?

Le drame est bien là, pour tout qui – comme le Centre tricontinental où je travaille – a manifesté sa solidarité avec la révolution sandiniste d’alors (1979-1990), événement clé du tiers-mondisme et acteur phare du mouvement internationaliste d’émancipation et d’autodétermination des peuples. La déconvenue se niche précisément là, dans cette entreprise d’usurpation d’une idéologie, d’un parti et du pouvoir à laquelle s’est adonné graduellement et habilement le clan Ortega. La majorité des grandes figures sandinistes de la révolution – « la toute grande majorité » selon l’économiste Orlando Núñez lui-même, l’un des derniers intellectuels à être resté partisan du président – reproche à ce qu’elle appelle depuis une vingtaine d’années l’« ortéguisme » d’avoir trahi le « sandinisme », dont Ortega continue pourtant à se réclamer. Et de l’avoir instrumentalisé à ses fins personnelles.

Déçus ou déchus par les instances officielles du FSLN au fil des ans (entre 1990 et 2006), ces commandant(e)s, politiques et intellectuel(le)s sandinistes de la première heure – de gauche radicale ou plus sociaux-démocrates – n’ont eu de cesse d’en signaler les risques de dérives d’abord, d’en dénoncer les renoncements ensuite et d’en condamner l’opportunisme et l‘arbitraire enfin : de la piñata post-défaite électorale de 1990 (l’appropriation précipitée, avant de rendre les clés, d’importantes propriétés de l’État par quelques centaines de hauts responsables du FSLN) jusqu’à la répression sanglante de 2018, en passant par les collusions, les manœuvres en tout genre et les décisions les plus étrangères aux idéaux socialistes, progressistes et anti-impérialistes de la révolution de 1979. Pour rappel, cette révolution nationale renversa la dictature dynastique des Somoza longtemps soutenue par les États-Unis. Le mouvement sandiniste porte d’ailleurs le nom du rebelle « anti-impérialiste » Sandino, assassiné par le premier Somoza en 1934 sous l’égide de Washington.

Certes les années du sandinisme révolutionnaire (1979-1990) ne se déroulèrent pas sans erreurs ni excès, verticalistes et dirigistes notamment, qui aliénèrent une part significative du monde paysan, mais le projet du FSLN – autodétermination, alphabétisation, cultures populaires, théologie de la libération, féminisation, justice sociale, réforme agraire, socialisation des formes de propriété, de production et de commercialisation, etc. – a gardé fermes ses visées égalitaires. Et ce, en dépit de la guerre, dévastatrice, que les États-Unis de Ronald Reagan ont menée contre lui, jusqu’à obtenir la faillite économique du pays et la défaite des sandinistes dans les urnes en 1990.

Les politiques menées par l’ortéguisme depuis 2007 se situent aux antipodes de l’inspiration sandiniste historique. C’est précisément pour cette raison qu’elles ont été, ces dernières années, louées par les milieux d’affaires nationaux et internationaux, encensées par les hiérarchies conservatrices des églises catholiques et évangéliques nicaraguayennes, appréciées et soutenues par Washington. Bien que membre de l’Alliance bolivarienne (ALBA) d’Hugo Chávez (sans autre incidence en interne que la symbolique et l’afflux de pétrodollars), le Nicaragua d’Ortega a garanti aux intérêts états-uniens, contrairement à ses violents voisins du « Triangle Nord » (Honduras, Salvador, Guatemala), à la fois la fermeté migratoire requise et la coopération dans la lutte contre le narcotrafic, l’ouverture économique et le libre-échange commercial, la paix sociale et la stabilité politique.

Quel a dès lors été le sens de la participation du Nicaragua à l’ALBA, l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique ? Quelle est la nature des relations entre le Nicaragua et le Venezuela ?

Le ralliement du Nicaragua à l’ALBA, plus opportuniste qu’idéologique, s’est opéré le 11 janvier 2007, dès le retour au pouvoir de Daniel Ortega. « Bienvenue dans l’ALBA. Vous pouvez oublier vos problèmes de carburant », proclama ce jour-là à Managua le président Chávez, satisfait d’accueillir l’héritier du sandinisme dans l’Alliance bolivarienne. « L’ALBA est le message du Christ. Nous allons pouvoir mettre fin aux politiques néolibérales », répondit le président nicaraguayen. Il n’en fut rien. Autant le régime Ortega-Murillo put profiter d’une aide colossale du Venezuela (près de 5 milliards de dollars en 10 ans, un quart du budget national chaque année, reçus en dehors des compte officiels grâce à un montage public-privé scabreux), autant il n’y eut pas la moindre tentative de construction du « socialisme du 21e siècle » au Nicaragua, contrairement à ce qui se passa durant cette période en Équateur, en Bolivie et au Venezuela, dans les principaux pays membres de l’ALBA.

Pas de refondation constitutionnelle ni de projet de transformation structurelle à Managua, pas de majorité absolue dès la première élection, pas de rupture avec le système politique antérieur, pas de nationalisations, de plébiscites populaires ni de réélections incontestées. En revanche, un alignement ouvert et assumé sur les positions de l’oligarchie et des fédérations entrepreneuriales, inimaginable à Caracas, à La Paz ou à Quito dans ces années-là. « Avec l’argent du pétrole vénézuélien, Ortega aurait pu changer le profil social du Nicaragua, regrette Henry Ruiz, alias Comandante Modesto, membre de la Direction historique du Front sandiniste. Au lieu de cela, il a creusé les inégalités, en adoptant la politique économique capitaliste la plus à droite de l’histoire moderne. Ortega a abusé de la bonne foi d’Hugo Chávez » (http://www.envio.org.ni).

Depuis au moins deux ans maintenant, en raison de l’effondrement de l’économie vénézuélienne, les relations entre Managua et Caracas se sont elles aussi affaissées. Il s’agit d’ailleurs de l’un des grands déterminants des difficultés actuelles du clan présidentiel Ortega-Murillo. Aujourd’hui, l’essentiel du pétrole consommé au Nicaragua provient des États-Unis.

Dans votre ouvrage susmentionné, paru en septembre 2017, vous expliquez comment Daniel Ortega a consolidé son pouvoir par la mise en place d’une série d’alliances « contre nature » avec les adversaires historiques du sandinisme. Vous soulignez la précarité d’un tel consensus, pouvant selon vous être remis en question à tout moment. Quelques mois plus tard, les faits vous donnent raison. À partir d’avril 2018, d’importantes manifestations éclatent. Pouvez-vous revenir avec nous sur ces évènements ? Quelles en ont été les causes ? Qui étaient les manifestants ? Comment s’est petit à petit constituée l’opposition à partir de ces mobilisations sociales ?

En effet, si nous n’avions bien évidemment pas prévu la date ni l’ampleur de la crise ouverte en avril 2018, exacerbée par une violence répressive à laquelle personne ne s’attendait, l’examen des politiques menées par le régime Ortega-Murillo jusque-là et l’analyse du basculement de conjoncture internationale survenu récemment, substituant un contexte difficile à des conditions précédemment favorables à l’enrichissement du Nicaragua, renseigne sur les causes profondes des manifestations de ras-le-bol et du Ya Basta.

Quant aux éléments déclencheurs (puis amplificateurs) plus ponctuels, ils résident dans une succession de mobilisations, d’envergure relativement limitée, de jeunes, de militants environnementalistes, d’étudiants et de retraités qui, en mars et avril 2018, sont venus critiquer les velléités présidentielles de museler les réseaux sociaux, l’incurie gouvernementale face aux feux de forêt dans une réserve naturelle au Sud-Est du pays et enfin, une réforme « austéritaire » des retraites…

Mais c’est la brutale répression, inattendue autant que disproportionnée, dont les manifestants firent l’objet de la part du pouvoir qui mit le feu aux poudres. En quelques semaines, des centaines de milliers de Nicaraguayens sont descendus dans les rues et des dizaines de barricades ont été dressées à travers le pays, pour exiger la fin de la répression et… la destitution du couple présidentiel, qualifié de « corrompu » et de « dictatorial » par les protestataires. La police anti-émeute, flanquée de « policiers volontaires » (comme les nomma le président Ortega lui-même dans plusieurs interviews télévisées) munis d’armes de guerre, répondit par davantage de répression, tuant quelque 300 personnes, blessant et emprisonnant des centaines d’autres, nettoyant les routes des barrages et poursuivant les auteurs (étudiants, paysans, dissidents sandinistes, journalistes, etc.) de critiques publiques à l’endroit du régime. Quelques dizaines de milliers de Nicaraguayens ont dû fuir le pays, principalement au Costa Rica voisin.

Au prix de violences répressives qualifiées de « crimes contre l’humanité » par l’ONU et la CIDH (Commission interaméricaine des droits de l’homme), le régime Ortega-Murillo est donc parvenu à étouffer la rébellion en trois ou quatre mois, pour rétablir « la normalité » à partir d’août 2018. Depuis lors, les leaders de la contestation qui n’ont pas été tués ont été jetés en prison, se terrent au Nicaragua ou se sont réfugiés à l’étranger. Parmi eux de nombreux visages du sandinisme historique (selon l’ex-commandante guérillera Mónica Baltodano, au 31 décembre dernier, quelque 70% des prisonniers politiques d’Ortega étaient sandinistes), mais aussi, bien sûr, les figures émergentes d’organisations sociales diverses (d’étudiants, de paysans, de femmes, de jeunes, de quartiers, de travailleurs de la santé, de journalistes, d’écologistes, de parents de victimes…), réunies aujourd’hui au sein de l’Articulation des mouvements sociaux (AMS).

Pour autant, l’autre composante importante, si pas prépondérante, de l’opposition s’est plutôt constituée autour des grands alliés… de l’administration ortéguiste d’avant avril 2018 : à savoir, la conférence épiscopale catholique, excédée par le sang versé, et les fédérations patronales, affectées par la forte récession de l’économie nationale (-4% en 2018 pour +5% en 2017). L’entreprise privée, hier encore progouvernementale, s’est de fait imposée, en l’absence des autres forces contestataires « empêchées », comme le principal acteur de l’opposition, prompt à accepter de reprendre les négociations (en février dernier), à l’invitation d’un régime acculé par les menaces de sanction internationale et la chute des investissements, des emplois et de la consommation dans le pays.

En réalité, même regroupée au sein de l’Alianza Cívica por la Justicia y la Democracia (mise sur pied par l’Église catholique en mai 2018, pour participer à un premier « dialogue » qui s’est vite révélé impossible), puis dans l’Unidad Nacional Azul y Blanco(constituée en octobre par une quarantaine d’organisations de nature, de force et d’obédiences très diverses), l’opposition interne demeure composite et peine à exercer une influence. L’AMS reproche à raison au grand patronat de ne pas avoir conditionné la réouverture des pourparlers avec un pouvoir aux abois, en exigeant comme préalable minimal la libération des prisonniers politiques, le rétablissement des libertés et le retour des exilés. Au-delà, tout comme les leaders emprisonnés (libérés pour la plupart ces derniers mois), elle regrette que l’opposition dans son entièreté ne se soit encore jamais résolue à décréter une grève générale illimitée, qui aurait déjà pu faire basculer la situation.

Outre la stratégie attentiste du couple présidentiel qui alterne fausses promesses et vraie répression (et qui entend bien rester en fonction jusqu’aux élections de 2021, au moins), deux scénarios distincts pour l’avenir du pays rivalisent, selon le pôle de l’opposition que l’on fréquente. Le premier, celui de « l’atterrissage en douceur » ou de « l’ortéguisme sans Ortega », consiste en une transaction entre le régime, ses (anciens) alliés et certains membres de l’opposition, afin de maintenir une forme de statuquo et de créer les conditions de confiance requises par le FMI pour relancer l’économie. Le second est celui des mouvements sociaux qui veulent dépasser la simple recomposition des pouvoirs publics-privés qui administrent le pays depuis plus de dix ans, en refondant structurellement le Nicaragua sur la base d’un programme égalitaire et démocratique, expurgé des traits du somozisme et de l’ortéguisme.

Récemment, l’administration Trump a annoncé de nouvelles sanctions contre le Nicaragua. Ortega est-il visé par les États-Unis, comme certains l’affirment, pour son anti-impérialisme ? Ces sanctions internationales contribueront-elle à solutionner la crise que traverse le pays ?

Les menaces de sanctions nord-américaines et européennes à l’encontre du régime Ortega-Murillo se succèdent depuis l’année dernière. Mais les seules véritablement opérantes à ce jour sont celles, prises par l’administration Trump, qui frappent individuellement (gel des avoirs à l’étranger et interdiction de visas) quelques hautes personnalités du pouvoir nicaraguayen, considérées comme corrompues ou criminelles, tels l’un des fils du couple présidentiel et la vice-présidente elle-même. Certains organismes financiers qui ont servi au partenariat entre l’ortéguisme et le chavisme sont également dans la ligne de mire. Au-delà, les prêts internationaux au Nicaragua, déjà freinés, risquent aussi d’être affectés à terme.

Comme telles, ces sanctions, provenant d’une « communauté internationale » qui hier encore s’accommodait très bien du bon élève nicaraguayen (en dépit de son appartenance à l’ALBA), ne solutionnent pas la crise qui déchire le pays. En haussant la pression sur Ortega, elles ont sans doute contribué aux nouvelles promesses gouvernementales d’enfin libérer les prisonniers politiques (la plupart l’ont été entre mars et juin derniers), de rétablir le droit de manifester, de garantir le retour des exilés en toute sécurité… Mais elles permettent précisément à l’ortéguisme d’utiliser ces « monnaies d’échange » nées de la crise en cours, pour gagner du temps, plutôt que de mettre en question ce qui l’a déclenchée, à savoir la nature même du régime nicaraguayen.

Quant à la nouvelle montée au créneau de Trump contre ce que son conseiller Bolton appelle la « troïka de la tyrannie » (Venezuela, Cuba, Nicaragua), outre qu’elle obéit d’abord à l’agenda électoral des États-Unis, elle revitalise en effet la polarisation binaire de la Guerre froide. Et apporte a posteriori de l’eau au moulin de la thèse ortéguiste, selon laquelle le Nicaragua aurait été victime en avril-mai 2018 d’« une tentative de putsch téléguidée par la CIA ». À coup d’amalgames, les deux délires se nourrissent mutuellement. Et une partie de la gauche internationaliste de s’en emparer, dans un réflexe « campiste », qualifié jadis de « stalinien ». « L’ennemi de mon ennemi est mon ami », fût-il indéfendable ou politiquement aux antipodes.

Que le régime Ortega-Murillo ait monopolisé et abusé de tous les pouvoirs, qu’il ait gouverné à droite, en symbiose avec « l’empire », qu’il ait ostracisé les sandinistes et trahi le sandinisme, que le seul bémol du FMI à son égard ait été la faiblesse et la régressivité de sa fiscalité (sic), que la moitié des milliardaires d’Amérique centrale soient désormais Nicaraguayens (Forbes, 2017), que les forces de l’ordre ortéguistes aient étouffé les mouvements sociaux et réprimé les manifestations, qu’elles aient « tiré pour tuer » des centaines de jeunes manifestants (alors que, parallèlement, même l’Algérie des généraux retenait ses sbires), peu importe. Trump braille soudainement que « les jours du communisme au Nicaragua sont comptés », voilà la preuve ultime qu’Ortega est bien des nôtres, anti-impérialiste dans l’âme. La mystification est affligeante. Et désastreuse dans ses effets sur le terrain.

Voir en ligne : L’entretien publié par ’Le Vent Se Lève’

Notes

[1Celles des président(e)s Violeta Chamorro (Union nationale d’opposition) élue en 1990, Arnoldo Alemán (Alliance libérale nicaraguayenne) élu en 1996 et Enrique Bolaños (Parti libéral constitutionnaliste) élu en 2001.

 

L’expérience Syriza est terminée en Grèce. Dimanche dernier, Alexis Tsipras a perdu les élections législatives après un peu moins de quatre années au pouvoir. Un mandat difficile, passé sous tutelle des créanciers du pays.

« Alexis Tsipras s’est soumis aux diktats »

Après deux défaites récentes, l’une aux élections européennes, l’autre aux élections locales, Alexis Tsipras avait décidé d’organiser des élections législatives anticipées le week-end dernier. Elles ont débouché sur une troisième défaite consécutive. Le parti conservateur, Nouvelle Démocratie de Kiriakos Mitsotakis, le nouveau Premier ministre grec, a remporté 40% des voix.

Eric Toussaint, historien belge et porte-parole du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, résume en quelques mots le bilan de l’ère Tsipras : « Elle a commencé par un énorme espoir. Des dizaines de millions de personnes en Europe pensaient que cela allait permettre de rompre avec les politiques d’austérité. Puis, une énorme déception est venue, assez rapidement, au cours des six premiers mois parce que finalement, Alexis Tsipras s’est soumis aux diktats. Il avait promis de prendre le tournant avec son peuple et, finalement, il a capitulé. », déplore l’historien belge.

Éric Toussaint interviewé par la RTBF

 

Aurait-il pu agir différemment ?

En 2015, le Premier ministre, Alexis Tsipras demande une restructuration de la dette grecque. Mais, après des mois de tractations avec les Européens, il est isolé sur la scène européenne. Il n’obtient aucune concession. Au contraire, la menace d’un Grexit, une sortie de la zone euro, est brandie.

Dos au mur, le 5 juillet 2015, il organise un référendum surprise. Plus de 61% des Grecs rejettent un troisième plan d’aide européen, synonyme de nouvelles mesures d’austérité. Pourtant, quelques jours plus tard, le 13 juillet, Alexis Tsipras capitule. Il accepte une aide de 85 milliards moyennant un nouveau programme de réformes douloureuses.

Selon l’historien belge, Eric Toussaint, l’ancien Premier ministre aurait pu agir différemment : « Je pense que le problème vient, dès le début, de l’attitude d’Alexis Tsipras. Il a pensé qu’en faisant des concessions aux dirigeants européens, il allait obtenir une contrepartie, c’est-à-dire, un allègement de la dette et une possibilité de faire des dépenses publiques pour répondre à la crise humanitaire. Or, l’attitude des dirigeants européens et, d’une série de gouvernements, comme le gouvernement d’Angela Merkel, le gouvernement de François Hollande, le gouvernement de Mariano Rajoy en Espagne et, d’autres, a été d’être dans l’opposition. »

Eric Toussaint voit dans cette inflexibilité européenne une claire volonté de faire de la Grèce un exemple d’intransigeance pour d’autres mouvements de gauche radicale ailleurs en Europe : « Il n’était pas question de donner à un nouveau type d’organisation, qu’on a appelé »populiste de gauche« , la possibilité de démontrer qu’il y avait moyen de faire autre chose que de l’austérité en Europe. Et, l’erreur de Tsipras, c’est de ne pas avoir pris en compte le contexte défavorable et, d’avoir continué à faire des concessions et, d’avoir obéi aux injonctions de la Commission européenne pendant des mois. », estime le porte-parole du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, Eric Toussaint.


Découvrez l’intégralité de l’interview d’Eric Toussaint dans La Semaine de l’Europe sur Auvio.

 

Source : RTBF

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L’Ukraine reste le point de repère de la politique mondiale

juillet 17th, 2019 by M. K. Bhadrakumar

La glace dans le lac gelé qui se déplace est l’un des sons les plus agréables que vous puissiez entendre. L’air est froid mais pas gelé, et les bois sont silencieux. Le lac gelé semble avoir été arrêté dans le temps, mais sous la surface placide, il bouge et gémit sans cesse. Le phénomène produit un son de science-fiction étonnant – comme un fouet qui craque.

La conversation téléphonique entre les présidents de l’Ukraine et de la Russie – Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine – vendredi dernier rappelle l’acoustique des lacs gelés. Elle a duré 20 minutes, assez longtemps pour que deux hommes d’État russophones puissent échanger leurs opinions. Zelensky a pris l’initiative, mais très certainement, il y avait une certaine planification préalable.

La présentation du Kremlin était taciturne mais a reconnu que les deux dirigeants ont discuté des « questions d’un règlement dans le sud-est de l’Ukraine » et des « possibilités de poursuivre les contacts dans le format Normandie« . Le Kremlin a pris soin de minimiser l’appel téléphonique.

Plus tôt la semaine dernière, Zelensky avait publiquement suggéré que lui et Poutine se rencontrent à Minsk, en Biélorussie, pour discuter du conflit à l’est de l’Ukraine et de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Il a ajouté qu’il aimerait que les dirigeants des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne participent aux pourparlers. Poutine a réagi à l’idée en disant qu’il est ouvert à des pourparlers avec Zelensky, mais les négociations seraient peu probables avant les élections législatives ukrainiennes prévues le 21 juillet et après la formation d’un nouveau gouvernement ukrainien. De toute évidence, les canaux secondaires ont fonctionné.

Une partie importante de l’opinion ukrainienne est favorable au rétablissement des liens d’amitié avec la Russie malgré tout ce qui s’est passé – la Crimée, et al. C’est sans doute cette vague de fond qui a poussé Zelensky vers une victoire aussi importante à l’élection présidentielle en avril.

Moscou a mis son espoir sur la victoire de Zelensky. Depuis avril, cet espoir s’est quelque peu estompé, Moscou se demandant jusqu’où Zelensky capitaliserait sur l’opinion populaire ukrainienne pour aller de l’avant avec la Russie. De toute évidence, Moscou encourage un processus dans cette direction, et les contacts avec les canaux secondaires servent cet objectif.

Cependant, les puissants nationalistes ukrainiens, qui étaient les combattants de rue à la tête du « changement de régime » en 2014, restent les grands fauteurs de trouble. Ils bénéficient aussi du soutien tacite de l’Occident. Les nationalistes, qui comprennent des éléments néonazis, sont un groupe violent et ont recours à des méthodes coercitives pour imposer leur volonté aux autorités. Et ils sont bien organisés dans un paysage politique par ailleurs très fragmenté.

Les nationalistes ont défié Zelensky. Ensuite, il y a le Parlement, que Zelensky ne contrôlait pas. La Constitution ukrainienne confère au Parlement d’énormes pouvoirs en ce qui concerne les politiques et les nominations au cabinet. Zelensky a fait ce qu’on attendait de lui – il a dissous le Parlement et appelé à de nouvelles élections en vertu de lois électorales révisées qui donnent du poids à la représentation proportionnelle pour les partis politiques. Il espère que son parti nouvellement formé rassemblera une majorité – ou du moins qu’il sera en mesure de former le gouvernement avec le soutien des partis pro-russes. Ce n’est pas un espoir déplacé, puisque son parti est extrêmement populaire.

Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev (3L) rencontre l’homme politique ukrainien « pro-russe » Viktor Medvedchuk (3R) à Moscou le 10 juillet 2019

Zelensky marche sur une corde raide. Certes, les puissances occidentales, qui ont soutenu le changement de régime en Ukraine en 2014, ne laisseront pas Zelensky avoir les mains libres pour ouvrir une ligne directe avec Moscou à leur insu et sans leur consentement. La semaine dernière, les ambassadeurs du G7 ont remis en question la prérogative de Zelensky de glorifier les fonctionnaires ukrainiens qui ont été au pouvoir après le changement de régime en 2014 (qui sont presque tous des substituts occidentaux occupant des postes clés dans l’appareil étatique ukrainien).

Dans ces circonstances, Moscou n’a pas d’autre choix que de marquer le pas et d’attendre que Zelensky consolide son emprise sur le calcul du pouvoir à Kiev. Même alors, il dépend du soutien occidental et ne peut pas faire d’ouvertures à Moscou sans le consentement des États-Unis et de leurs alliés de l’UE. Il est clair que l’Occident ne lâchera pas son contrôle durement disputé sur l’Ukraine, dont la situation géographique est hautement stratégique – bien que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ou à l’UE sera un long chemin.

Du point de vue russe, la clé serait de sortir de l’impasse dans la région séparatiste du Donbass. La réunion du groupe de travail sur le Donbass prévue mercredi à Minsk sera surveillée de près si Zelensky rejette la ligne anti-russe de son prédécesseur Petro Porochenko et adopte plutôt une approche constructive sur le Donbass. Le retour du Donbass en Ukraine est une promesse électorale que Zelensky avait faite. La Russie est également favorable à un tel dénouement, car l’équilibre de l’opinion publique en Ukraine se déplacera de manière décisive en faveur de relations amicales avec la Russie si le Donbass rejoint l’Ukraine.

En fonction des résultats des réunions d’experts actuellement en cours, une réunion au sommet du Quatuor de Normandie (France, Allemagne, Russie et Ukraine) ne peut être exclue. Cependant, la question clé est de savoir dans quelle mesure l’Occident est intéressé à résoudre la crise ukrainienne.

Les groupes opérationnels de l’OTAN s’apprêtent à s’exercer en mer Noire, février 2018

Certes, l’Occident craint que la Russie ne dispose de « ressources cachées » en Ukraine pour tirer parti de la politique de Zelensky. Par conséquent, toute proximité qui se développera entre Moscou et Kiev – ou entre Poutine et Zelensky – suscitera des inquiétudes dans l’esprit occidental. D’une manière générale, Zelensky est une bonne chose qui s’est produite du point de vue russe, mais Moscou doit prétendre le contraire. La démarche de l’ambassadeur du G7 visant à bloquer la tentative de Zelensky de réorganiser l’administration et de la sevrer de l’héritage de l’Euromaidan ne fait que montrer qu’il y a une lutte acharnée pour que la capacité de Moscou à influencer Kiev reste sous haute surveillance.

Ce qui se passera en Ukraine dans les mois à venir donne une idée de la trajectoire des relations de la Russie avec l’Occident. Il y a de bons et de mauvais signes. Le leadership transatlantique des États-Unis a été assombri par les politiques controversées (et le comportement abrasif) de Trump, mais en dernière analyse, les États-Unis exercent encore suffisamment d’influence pour s’assurer qu’une position commune reste en place à l’égard de l’Ukraine, notamment en ce qui concerne les sanctions de l’UE contre la Russie.

D’autre part, l’exaspération grandit en Europe quant à l’avenir de l’Ukraine. La France et l’Allemagne reconnaissent également que la coopération de la Russie est nécessaire pour traiter d’autres questions régionales et internationales intéressant l’Europe. La montée en puissance de la Chine inquiète l’Europe et la Russie a le potentiel de trouver un équilibre.

En fin de compte, l’impasse actuelle sur l’Ukraine est en fait un héritage de la présidence de Barack Obama. La mesure dans laquelle Trump attache une place centrale à l’Ukraine – comme l’a fait Obama – n’est pas claire. Cependant, au sein de l’establishment américain, il y a une acceptation de la boussole fixée par Obama, qui visait à créer la discorde entre la Russie et l’Europe, qui a renforcé le leadership transatlantique des États-Unis et a donné du lest à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

M.K. Bhadrakumar

 

 

Article original en anglais : Ukraine remains the signpost of world politics, Indian Punchline, le 14 juillet 2019.

Traduit par Réseau International

 

M. K. Bhadrakumar a été diplomate de carrière dans les services des affaires étrangères pendant plus de 29 ans. Il a occupé, entre autres, les postes d’ambassadeur en Ouzbékistan (1995-1998) et en Turquie (1998-2001). son blog : Indian Punchline

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Démystifier le mythe indo-pacifique

juillet 17th, 2019 by Pepe Escobar

L’administration Trump est obsessionnellement en train de faire tourner le concept d’un « Indo-Pacifique libre et ouvert ». Mis à part un petit groupe de chercheurs, très peu de gens dans le monde, en particulier dans les pays du Sud, savent ce que cela signifie depuis que la stratégie alors naissante a été dévoilée pour la première fois au forum de l’APEC de 2017 au Vietnam.

Maintenant, tout ce que l’on doit savoir – et surtout ne pas savoir – sur l’Indo-Pacifique est contenu dans un rapport détaillé du Pentagone.

Mais bon : est-ce de la comédie ou pas ? Après tout, la stratégie a été dévoilée par Patrick Shanahan (le gars de Boeing), le chef du Pentagone, qui s’est fait hara-kiri et a été remplacé par Mark Espel (le gars de Raytheon), un autre secrétaire « comédien ».

Shanahan a fait grand cas de l’Indo-Pacifique lorsqu’il a participé au 18e Dialogue Shangri-La à Singapour le mois dernier, reprenant ainsi son introduction au rapport du Pentagone pour souligner la « rivalité géopolitique entre les visions libres et répressives de l’ordre mondial » et diabolisant la Chine en prétendant qu’elle cherche à « réorganiser la région à son avantage« .

En revanche, tout ce que le Pentagone souhaite, c’est simplement la « liberté » et « l’ouverture » d’une « région interconnectée » ; l’appeler la Nouvelle Route de la Soie du Pentagone serait une idée séduisante.

Quiconque connaît de près ou de loin « l’Indo-Pacifique » sait que c’est le code pour la diabolisation de la Chine ; en fait, la version de l’administration Trump du « pivot vers l’Asie » d’Obama, qui était en soi une concoction du Département d’État, via Kurt Campbell, entièrement approprié par la Secrétaire d’État de l’époque Hillary Clinton.

« Indo-Pacifique » rassemble la Quadrilatérale – États-Unis, Japon, Inde et Australie – dans une mission « libre » et « ouverte » donnée par Dieu. Pourtant, cette conception de la liberté et de l’ouverture bloque la possibilité que la Chine transforme le mécanisme en quintette.

Ajoutez à cela ce que le comédien Esper a dit à la Commission Sénatoriale des Forces Armées en 2017 :

C’était en 2017. Esper ne parlait même pas de la Chine – qui à l’époque n’était pas la « menace existentielle » diabolisée d’aujourd’hui. Le Pentagone continue de miser sur la domination du spectre complet.

Pékin ne se fait pas d’illusions sur le nouveau chef indo-pacifique auquel il aura affaire.

Surfer les FONOP

« L’Indo-Pacifique » est difficile à vendre à l’ASEAN. Autant les membres sélectionnés peuvent se permettre de bénéficier d’une certaine « protection » de l’armée américaine, autant l’Asie du Sud-Est dans son ensemble entretient des relations commerciales de premier plan avec la Chine, autant la plupart des pays participent aux Nouvelles Routes de la Soie ou Initiative Ceinture et Route (BRI) et sont membres de la Banque Asiatique d’Investissement dans les Infrastructures (AIIB) ; ils n’hésiteront pas à profiter des avantages de la future 5G de Huawei.

En fait, même les trois autres membres du Quad, bien qu’ils ne soient pas liés à la BRI, hésitent à jouer un rôle de soutien dans une super production entièrement américaine. Ils sont très prudents dans leurs relations géoéconomiques avec la Chine. « L’Indo-Pacific », un club de quatre joueurs, est une réponse tardive à la BRI – qui est en effet ouverte à plus de 65 nations jusqu’à présent.

Le mantra favori du Pentagone concerne l’application des « opérations de liberté de navigation » (FONOP) – comme si la Chine, jonglant avec les innombrables tentacules des chaînes d’approvisionnement mondiales, avait tout intérêt à provoquer l’insécurité navale partout.

Jusqu’à présent, « l’Indo-Pacifique » a veillé à ce que le Commandement du Pacifique américain soit rebaptisé Commandement Indo-Pacifique américain. Et c’est à peu près tout. Tout reste inchangé en ce qui concerne ces FONOP – en fait, c’est un euphémisme trompeur pour la marine américaine que de patrouiller 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, partout en Asie, de l’Inde au Pacifique, et en particulier dans la mer de Chine du Sud. Aucun pays de l’ASEAN ne sera cependant pris en flagrant délit de FONOPS dans les eaux de la mer de Chine méridionale à moins de 12 milles nautiques des rochers et des récifs revendiqués par Pékin.

La diabolisation effrénée de la Chine, aujourd’hui un sport bipartisan à travers le Beltway, parfois même plus hystérique que la diabolisation de la Russie, comporte également des rapports proverbiaux du Conseil des Relations Étrangères – le groupe de réflexion de l’establishment par définition – sur la Chine comme agresseur en série, sur les plans politique, économique et militaire, et de la BRI comme outil géoéconomique pour forcer ses voisins.

Il n’est donc pas étonnant que cet état de fait ait conduit le Secrétaire d’État Mike Pompeo à une tournée récente et frénétique dans la région indo-pacifique, à laquelle ont participé l’Inde et le Japon, membres du Quad, ainsi que des associés éventuels, l’Arabie Saoudite, les EAU et la Corée du Sud.

Les géopoliticiens de l’école réaliste craignent que Pompeo, un sioniste chrétien fanatique, ne jouisse sous Trump d’un quasi-monopole sur la politique étrangère américaine ; un ancien directeur de la CIA jouant au « diplomate » belliciste tout en « agissant » comme chef du Pentagone piétinant d’autres acteurs de second plan.

Son périple indo-pacifique fut de facto un tour de force mettant l’accent sur l’endiguement/diabolisation non seulement de la Chine mais aussi de l’Iran, qui devrait être considéré comme la principale cible américaine dans la partie Indo-Sud-Ouest asiatique du club. L’Iran n’est pas seulement une question de positionnement stratégique et de plaque tournante majeure de la BRI ; il s’agit aussi d’immenses réserves de gaz naturel qui peuvent être échangées sans passer par le dollar américain.

Le fait que la diabolisation ininterrompue de « l’agression » de l’Iran et/ou de la Chine provienne d’une hyperpuissance avec plus de 800 bases militaires répartis sur toutes les latitudes et une armada de FONOP patrouillant les sept mers suffit à envoyer les cyniques les plus durs dans un paroxysme de rire.

Le train à grande vitesse a quitté la gare

En fin de compte, tout ce qui se trouve dans la rubrique « Indo-Pacifique » renvoie à ce à quoi l’Inde est en train de jouer.

New Delhi a choisi docilement de ne pas acheter de pétrole à l’Iran après que l’administration Trump ait annulé sa levée des sanctions. New Delhi avait promis plus tôt, officiellement, de ne respecter que les sanctions du Conseil de Sécurité de l’ONU, et non les sanctions unilatérales – et illégales – américaines.

Cette décision risque de compromettre le rêve de l’Inde de prolonger sa nouvelle mini-route de la soie vers l’Afghanistan et l’Asie Centrale à partir du port iranien de Chabahar. Cela a certainement fait partie des discussions lors du sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) à Bichkek, lorsque Poutine, Xi et Modi, plus Rouhani – à la tête d’un pays observateur – étaient assis à la même table.

La priorité de New Delhi – profondément ancrée dans l’establishment indien – pourrait être l’endiguement de la Chine. Pourtant, Poutine et Xi, membres du BRICS et de l’OCS, sont tout à fait conscients que Modi ne peut à la fois contrarier la Chine et perdre l’Iran comme partenaire, et ils y travaillent habilement.

Sur l’échiquier eurasien, le Pentagone et l’administration Trump, ensemble, ne pensent que Diviser pour Régner. L’Inde doit devenir une puissance navale capable de contenir la Chine dans l’océan Indien, tandis que le Japon doit contenir la Chine économiquement et militairement dans toute l’Asie orientale.

Le Japon et l’Inde se rencontrent – encore une fois – lorsqu’il s’agit d’un autre projet anti-BRI plus spécifique du point de vue géoéconomique : le corridor de croissance Asie-Afrique (AAGC), qui n’a eu jusqu’ici qu’un impact minimal et n’a aucune chance d’attirer des dizaines de nations du Sud vers des projets liés à la BRI.

L’échiquier montre maintenant clairement que l’Indo-Pacifique est opposé aux trois pôles clés de l’intégration eurasiatique – la Russie, la Chine et l’Iran. Le démantèlement définitif de l’Indo-Pacifique – avant même qu’il ne commence à gagner du terrain – serait un engagement clair de New Delhi à briser le régime de sanctions américain en relançant les achats de pétrole et de gaz dont l’Iran a tant besoin.

Il ne faudra pas grand-chose à Modi pour comprendre qu’en jouant un second rôle dans une production Made in USA, il se retrouvera coincé à la gare à manger de la poussière juste au moment où le train à grande vitesse Eurasia passera devant lui.

Pepe Escobar

Article original en anglais :

Debunking the Indo-Pacific Myth

Strategic Culture Foundation, le 9 juillet 2019

Traduit par Réseau International

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En fin de compte, le système de banque à réserve fractionnaire moderne est un jeu basé sur la confiance. Tant que les prêteurs ou les déposants sont convaincus que leur banque est solvable, ça tient. Si la confiance est brisée, cela conduit historiquement à des paniques bancaires, des retraits massifs et précipités ainsi que la faillite en chaîne d’un système financier, voire pire. La faillite inattendue, fin mai, d’une petite banque sino-mongole, la Baoshang, a soudainement attiré l’attention sur la fragilité du système bancaire le plus vaste et le plus opaque du monde, celui de la République Populaire de Chine. Le moment est très mal choisi, car la Chine est aux prises avec un net ralentissement économique interne, une hausse de l’inflation des prix alimentaires et les incertitudes liées à la guerre commerciale des États-Unis.

Fin mai, pour la première fois depuis trois décennies, la Banque populaire chinoise de Chine (PBOC) et les organismes de régulation des banques d’État ont pris le contrôle d’une banque insolvable. Ils l’ont fait publiquement et dans le but apparent d’envoyer un message aux autres banques de manière à ce qu’elles contrôlent les risques liés aux prêts. Ce faisant, ils ont peut-être déclenché la faillite en chaîne de l’un des systèmes bancaires les plus vastes, les plus opaques et les moins réglementés au monde : les banques régionales et locales de Chine, peu réglementées, parfois appelées banques parallèles. Les actifs totaux des petites et moyennes banques chinoises sont estimés à peu près égaux à ceux des quatre banques d’État géantes, quant à elles réglementées, de sorte qu’une crise qui se propage à partir de là pourrait avoir de sales conséquences. C’est la raison évidente pour laquelle Pékin est intervenu si rapidement pour circonscrire la faillite de la Baoshang.

La Baoshang Bank avait toutes les apparences de la bonne santé. Son dernier rapport financier publié en 2017 indiquait un bénéfice de 600 millions de dollars pour 2016, des actifs de près de 90 milliards de dollars et moins de 2 % de prêts irrécouvrables. Le choc d’insolvabilité a créé une crise du risque croissante sur les marchés de prêts interbancaires de la Chine, un peu comme aux premiers stades de la crise interbancaire des prêts hypothécaires sub-primes aux États-Unis en 2007. Cela a forcé la PBOC à injecter des milliards de yuans, jusqu’à présent l’équivalent de 125 milliards de dollars, et à émettre une garantie de tous les dépôts bancaires pour circonscrire les prémisses d’une crise systémique plus étendue. Mais il y a des indices que la crise est loin d’être terminée.

Le problème, c’est que la Chine a lancé l’un des efforts de construction et de modernisation les plus impressionnants de l’histoire de l’humanité en une trentaine d’années et quelques : des villes entières, des dizaines de milliers de kilomètres de rail pour les trains à grande vitesse, les ports à conteneurs automatisés, comme aucun autre pays ne l’a fait dans l’histoire – et tout ça sur de la dette. Le service de cette dette dépend donc d’une économie dont les profits ne cesseraient de croître. Mais si une seule contraction commence, les conséquences sont incalculables.

Maintenant que l’économie ralentit (et certains parlent même d’une période de récession), les investissements risqués, partout dans le pays, font soudainement face à l’insolvabilité. Les prêteurs de toutes sortes réévaluent les risques des nouveaux prêts. Le secteur de l’automobile est fortement en baisse depuis ces derniers mois, et d’autres industries aussi. Pire encore, une grave épidémie de peste africaine décime l’énorme population porcine de la Chine, ce qui entraîne une inflation alimentaire de près de 8 %. Dans ce contexte, la PBOC, vaillamment, fait tout pour éviter de démarrer la presse à billets, ce qui créerait plus d’inflation et affaiblirait le Renminbi, par peur d’enflammer une nouvelle bulle financière.

Un autre talon d’Achille est la dépendance de la Chine aux marchés financiers mondiaux en raison d’une dette qui se chiffre en milliers de milliards de dollars, à un moment où les recettes d’exportation en dollars baissent, et cela avant même la mise en œuvre des agressifs droits de douanes commerciaux américains. Si la Chine était isolée de l’économie mondiale comme dans les années 1970, l’État pourrait simplement régler les problèmes en interne, effacer les prêts insolvables et réorganiser les banques.

Le modèle chinois de dette

Fondamentalement, le modèle de crédit chinois est différent de celui de l’Occident. La monnaie, le Renminbi, n’est pas encore librement convertible. Le contrôle de la monnaie n’est pas entre les mains de Banques centrales indépendantes privées comme la Fed aux États-Unis ou la BCE dans l’UE. Elle est plutôt entre les mains de la Banque populaire de Chine, qui appartient entièrement à l’État et qui rend elle-même des comptes au Politburo du Parti communiste. Ses plus grands conglomérats industriels ne sont pas des entreprises privées, mais des entreprises d’État, y compris les quatre plus grandes banques mondiales, la plus grande entreprise de construction ferroviaire du monde et des sociétés pétrolières géantes. Frontalement, cela donne un immense avantage à la Chine : quand l’État ordonne, les réalisations suivent. Les voies ferrées et les autoroutes sont construites sans obstacle. À l’inverse, dans un modèle de planification ou de commande centralisé, lorsque l’ordre est défectueux,  les erreurs peuvent être amplifiées.

Actuellement, et depuis deux ans, Pékin s’inquiète clairement de la façon dont elle peut corriger l’explosion incontrôlée des « prêts hors bilan » ou des prêts des banques parallèles dans l’ensemble de l’économie. Depuis la crise de Lehman Brothers en 2008, la Chine a financé un nombre effarant de projets de construction pour moderniser ce qui était l’un des pays les plus pauvres au monde il y a à peine quarante ans, empêcher la contraction économique ainsi que l’explosion du chômage et des troubles sociaux. Depuis 2013, elle a ajouté l’ambitieuse initiative La Ceinture et La Route à sa liste de dépenses, en partie pour soutenir le rythme de la croissance industrielle de l’acier et des infrastructures de la Chine, à mesure que l’économie intérieure approchait de la saturation.

Avec la crise mondiale de Lehman en 2008, Pékin a gonflé cette dette comme aucun autre pays dans l’histoire. Depuis 2009, la masse monétaire de la Chine a augmenté de près de 400 %, soit de 20 000 milliards de dollars (133 000 milliards de yuans), tandis que le PIB annuel de la Chine n’a augmenté que de 8 400 milliards de dollars. Fondamentalement, ce n’est pas viable à terme. On peut donc soupçonner qu’aujourd’hui, au sein de cette expansion monétaire énorme, se trouvent plus d’une Baoshang Bank insolvable. A ce stade, cependant, comme la régulation financière en est encore à ses balbutiements, personne, pas même Pékin, ne connaît les risques réels de contagion de l’insolvabilité.

Des risques interbancaires non évalués

Le problème avec les prêts qui est sous-entendu dans ces chiffres, c’est que les crédits émis par ce qu’on appelle les banques parallèles (ces banques de petite et moyenne taille peu réglementées et n’appartenant pas au gigantesque système bancaire étatique) sont mal contrôlées et font maintenant face à des défauts de paiement et à des faillites en raison de leurs prêts à haut risque. La faillite de la Baoshang Bank a soudainement attiré tous les regards vers ces risques.

Les grandes banques hésitent à poursuivre leurs prêts aux petites banques par l’intermédiaire du marché interbancaire, ce qui fait grimper les taux d’emprunt. Il est peu probable que les garanties données par la PBOC selon lesquelles le cas de la Baoshang est « isolé » rassurent les prêteurs. Bloomberg estime que, pour les quatre premiers mois de 2019, les entreprises chinoises ont fait défaut à hauteur de 5,8 milliards de dollars en obligations nationales, soit plus de trois fois le taux d’il y a un an. Les autorités de Pékin, dont la PBOC, font clairement savoir depuis des mois qu’elles veulent réduire les prêts à risques consentis par les banques parallèles locales et d’autres institutions pour s’assurer de la situation.

A la suite de la faillite inattendue de la Baoshang, le marché des prêts interbancaires chinois est soudainement en crise. On ne sait pas encore si les autorités de Pékin prendront les mesures suffisantes pour calmer la crise ou si un assèchement discret des prêts des grandes banques aux petites banques régionales par le biais de prêts interbancaires est en cours. Dans ce cas il causera malheur, faillites et chômage. Un signe que tout ne va pas bien, c’est que selon les actualités financières de Caixin, le 24 juin, la PBOC a annoncé qu’elle permettrait à des maisons de courtage sélectionnées d’emprunter jusqu’à trois fois plus d’effets de commerce à court terme de 90 jours afin de maintenir les liquidités qui circulent alors qu’elles tentent de régler le problème. Il s’agit clairement d’une manœuvre pour gagner du temps.

Un autre signe que Pékin est inquiet, c’est que début juin, les autorités ont donné le feu vert aux municipalités pour augmenter encore leurs emprunts déjà énormes à destination des infrastructures. Les représentants des administrations locales seront autorisés à utiliser les produits de la vente d’obligations comme capitaux propres dans les nouveaux projets d’infrastructure qui incluent encore plus de chemins de fer et d’autoroutes et viennent s’ajouter à la montagne de dettes.

Le ministre chinois des Finances, Liu Kun, vient de publier un rapport sur la situation budgétaire régionale, locale et nationale sur la période de janvier à mai. Les chiffres ne sont pas encourageants pour la politique de contrôle de l’inflation et des bulles d’actifs par Pékin. Il souligne que l’ensemble des recettes du gouvernement n’ont augmenté que de 3,8 % sur l’année. Les recettes fiscales n’ont augmenté que de 2,2% en raison d’une importante réduction d’impôts. Parallèlement, les dépenses publiques ont augmenté de 12,5% par année. En réponse, Liu Kun a annoncé que le gouvernement exigerait une austérité de « plus de 10 % » pour réduire l’écart.

La Chine est gouvernée par des gens très intelligents et travailleurs. Là n’est pas la question. Cependant, remettre le génie de l’argent facile dans sa bouteille sans mésaventures majeures nécessitera une habileté extraordinaire et un peu de chance.

Au début de 2019, la dette extérieure de la Chine s’élevait officiellement à un peu moins de 2 000 milliards de dollars, dont les deux tiers de cette dette sont à court terme. Mais officieusement, les rapports indiquent que les grandes entreprises publiques ont contracté beaucoup plus que cela en emprunts étrangers à faible taux d’intérêt libellés en dollars et euros. Personne ne sait combien exactement.

Cette situation constitue une occasion pour Pékin de montrer que ses crises bancaires comme Baoshang sont sous contrôle ferme, et que les Chinois sont rigoureux sur l’ouverture de leurs marchés financiers aux entreprises étrangères dans le cadre de sa mondialisation. La Chine a besoin de la coopération des banques occidentales pour maintenir l’économie à son niveau impressionnant.

Jusqu’à présent, la Chine était apparemment la grande gagnante du modèle de mondialisation de l’après-1990. La façon dont Pékin gère ses problèmes bancaires au cours des prochains mois déterminera si ses performances incroyables se poursuivront. Le défi est donc réel.

F. William Engdahl

 

 

The Role of Debt and China’s Shadow Banking System: Is Baoshang Bank China’s Lehman Brothers?

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

 

 

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La Banque mondiale voyait venir la crise de la dette

juillet 17th, 2019 by Eric Toussaint

Photo : CC – https://digital.gov.ru

En 2019, la Banque mondiale (BM) et le FMI atteignent l’âge de 75 ans. Ces deux institutions financières internationales (IFI), créées en 1944, sont dominées par les États-Unis et quelques grandes puissances alliées qui agissent pour généraliser des politiques contraires aux intérêts des peuples.

La BM et le FMI ont systématiquement prêté à des États afin d’influencer leur politique. L’endettement extérieur a été et est encore utilisé comme un instrument de subordination des débiteurs. Depuis leur création, le FMI et la BM ont violé les pactes internationaux sur les droits humains et n’hésitent pas à soutenir des dictatures.

Une nouvelle forme de décolonisation s’impose pour sortir de l’impasse dans laquelle les IFI et leurs principaux actionnaires ont enfermé le monde en général. De nouvelles institutions internationales doivent être construites. Nous publions une série d’articles d’Éric Toussaint qui retrace l’évolution de la BM et du FMI depuis leur création en 1944. Ces articles sont tirés du livre Banque mondiale : le coup d’État permanent, publié en 2006, aujourd’hui épuisé et disponible gratuitement en pdf.

Dès 1960, la Banque mondiale identifie le danger d’éclatement d’une crise de la dette sous la forme d’une incapacité des principaux pays endettés à soutenir les remboursements croissants. Les signaux d’alerte se multiplient au cours des années 1960 jusqu’au choc pétrolier de 1973. Tant les dirigeants de la Banque mondiale que les banquiers privés, la Commission Pearson, la Cour des Comptes des États-Unis (le General Accounting Office – GAO -) publient des rapports qui mettent l’accent sur les risques de crise. A partir de l’augmentation du prix du pétrole en 1973 et du recyclage massif des pétrodollars par les grandes banques privées des pays industrialisés, le ton change radicalement. La Banque mondiale ne parle plus de crise. Pourtant le rythme de l’endettement s’emballe. La Banque mondiale entre en concurrence avec les banques privées pour octroyer un maximum de prêts le plus vite possible. Jusqu’à l’éclatement de la crise en 1982, la Banque mondiale tient un double langage. L’un destiné au public et aux pays endettés dit qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter outre mesure et que si des problèmes surgissent, ils seront de courte durée. C’est le discours tenu dans les documents publics officiels. Le deuxième discours est tenu à huis clos lors des discussions internes. Dans un mémorandum interne, on peut lire que si les banques perçoivent que les risques augmentent, elles réduiront les prêts et « nous pourrions voir une grande quantité de pays se retrouver dans des situations extrêmement difficiles » (29 octobre 1979) [1].

A partir de 1960, les signaux d’alerte n’ont pas manqué.

Dès 1960, Dragoslav Avramović et Ravi Gulhati, deux économistes éminents de la Banque mondiale [2], publient un rapport qui pointe clairement le danger de voir les PED atteindre un niveau insoutenable d’endettement en raison des sombres perspectives en termes de revenus d’exportation :

« On prévoit que dans les prochaines années, les remboursements de la dette vont augmenter dans plusieurs grands pays endettés dont la plupart ont déjà atteint un taux de service de la dette fort élevé. (…) Dans certains cas, l’incertitude concernant les perspectives d’exportation et un lourd service de la dette constituent un sérieux obstacle à de nouveaux emprunts importants » [3].

Ce n’est que le début d’une série continue d’avertissements qui apparaissent dans différents documents successifs de la Banque mondiale jusqu’en 1973.

Dans le Rapport annuel de la Banque mondiale de 1963-64, on lit à la page 8 : « Le lourd fardeau de la dette qui pèse sur un nombre croissant de pays membres constitue un souci permanent pour le groupe de la Banque mondiale. (…) Les directeurs exécutifs ont décidé que la Banque pouvait modifier certaines conditions de prêt pour alléger le service de la dette dans les cas appropriés » [4].

Le 20e Rapport annuel publié en 1965 contient un long développement sur la dette

Le rapport souligne que les exportations de produits agricoles croissent plus vite que la demande dans les pays industrialisés, d’où une chute des prix [5] : « la croissance des matières premières agricoles destinées à l’exportation a eu tendance a être plus rapide que la croissance de la demande des pays industrialisés. Par conséquent, les pays en développement ont souffert d’une chute importante des prix de leurs exportations agricoles entre 1957 et 1962. » Exemple : alors que les exportations de café ont augmenté de 25 % en volume entre 1957 et 1962, les revenus d’exportation qu’elles procurent ont baissé de 25 % [6]. Il y a baisse des prix également pour le cacao et le sucre. Le rapport montre que les exportations des PED sont essentiellement des matières premières pour lesquelles la demande du Nord évolue lentement et irrégulièrement. Les prix des matières premières baissent [7]. Le rapport indique que les flux financiers vers les PED sont insuffisants tant en prêts et dons qu’en investissement étranger car ce qui repart en remboursement de la dette et en rapatriement de profits sur les investissements étrangers est très élevé.

Le rapport relève que la dette a augmenté à un rythme annuel de 15 % entre 1955 et 1962 pour ensuite accélérer, passant à 17 % entre 1962 et 1964. Une douzaine de pays concentrent un peu plus de 50 % de la dette. Tous sont de gros clients de la Banque (Inde, Brésil, Argentine, Mexique, Égypte, Pakistan, Turquie, Yougoslavie, Israël, Chili, Colombie).

Le rythme de croissance de la dette extérieure publique des PED est très élevé. Entre 1955 et 1963, la dette a augmenté de 300%, passant de 9 milliards à 28 milliards de dollars. En 1963 et 1964, en une seule année donc, la dette a augmenté de 22 % pour atteindre 33 milliards de dollars. Le volume du service de la dette a été multiplié par 4 pendant la même période (1955-1964).

En 1955, le service de la dette représentait 4 % des revenus d’exportation. En 1964, le pourcentage a triplé (12 %). Et dans le cas de certains pays, il représente près de 25 % !

Le rapport met l’accent sur la nécessité de définir correctement les conditions auxquelles la Banque mondiale et les autres créanciers octroient des prêts. Quel est le raisonnement ?

Plus les termes (les conditions) seront durs, plus les remboursements seront élevés. Plus les remboursements sont élevés, plus le montant (le volume) de l’aide doit être élevé. En conséquence, la dureté ou la souplesse/douceur des conditions est aussi importante que le volume de l’aide. Deux facteurs clés déterminent la dureté ou la douceur : a) la part des dons, b) le montant des taux d’intérêt et la durée des remboursements

Le rapport relève que la part des dons a baissé (principalement de la part des États-Unis). Les taux d’intérêt ont un peu baissé et la durée des remboursements a augmenté. Bref, on a augmenté la dureté d’un côté et baissé un peu de l’autre. A noter que l’URSS prête à un taux d’intérêt nettement inférieur à celui fixé par l’ « Ouest » [8]. La Grande Bretagne a annoncé qu’à l’avenir, elle allait prêter sans intérêt aux pays les plus pauvres. Le Canada va dans le même sens. Le rapport plaide pour un adoucissement des termes des prêts.

Dans les 19 rapports qui ont précédé celui-ci, on ne trouve pas ce genre d’analyse. Comment expliquer le ton particulier et le contenu original de ce rapport ?

En fait, ce rapport est écrit sous la pression des événements. De nombreux pays du Tiers Monde se sont organisés au sein du mouvement des non-alignés. Ils sont majoritaires au sein de l’Assemblée des Nations unies et ils ont obtenu en 1964 la création de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. La CNUCED est la seule institution onusienne dirigée par des représentants des PED [9]. Ceux-ci critiquent fortement l’attitude des pays les plus industrialisés. La Banque mondiale elle-même compte alors 102 pays membres, soit une majorité de pays du Tiers Monde. La direction de la Banque est obligée de prendre en compte au niveau de l’analyse les récriminations du Sud.

Le 21e Rapport annuel publié en 1966 revient sur les conditions des prêts, plaide pour leur assouplissement et relève qu’on est dans une logique d’augmentation permanente de la dette : « Alors que le fardeau croissant de la dette des pays en développement souligne la nécessité d’un assouplissement des conditions de prêt, (…) les conditions moyennes de l’aide bilatérale pourraient devenir bien moins favorables… (…) Cependant, un plus haut niveau d’aide à des conditions inadéquates peut rendre le problème de la dette extérieure encore plus difficile. Si l’aide n’est pas offerte à des conditions plus favorables, le volume brut de l’aide devra être augmenté en permanence et de façon considérable afin de maintenir un réel transfert des ressources » [10].

En résumé, on peut estimer que la Banque mondiale avait détecté le danger persistant d’éclatement d’une crise de la dette sous la forme d’une incapacité de soutenir les remboursements croissants. Les solutions envisagées par la Banque dans les citations reprises ci-avant consistent à augmenter le volume des prêts en proposant des conditions plus favorables : taux d’intérêt moins élevé, période plus longue pour le remboursement. En fait, la Banque ne perçoit le problème qu’en terme de flux : pour que les pays endettés puissent rembourser, il faut augmenter les montants prêtés en allégeant les conditions de remboursement. On est manifestement entré dans un cercle vicieux où les nouvelles dettes servent à rembourser les anciennes, tant au niveau du raisonnement que dans la réalité.

Dans les mêmes rapports, la Banque exprime sa confiance dans l’augmentation des flux de capitaux privés (investissements et prêts) vers les PED. L’augmentation des prêts privés est considérée comme un objectif à atteindre. Cette augmentation permettra d’alléger l’attente par rapport aux financements publics, selon le rapport déjà cité.

Dans le 20e Rapport annuel publié en 1965, on pouvait lire : « Le groupe de la Banque mondiale et d’autres organisations internationales déploient des efforts considérables pour encourager et élargir les flux de capitaux privés vers les pays moins développés. Il n’y a pas de doute qu’on peut s’attendre à une augmentation de ces flux (…) accélérant ainsi la voie du développement et allégeant l’attente par rapport aux financements publics » [11]. Dans celui publié en 1966, on pointe la nécessité de libérer les mouvements internationaux de capitaux : « On peut espérer qu’il sera possible d’établir des conditions qui permettent un mouvement plus libre des capitaux privés sur le marché mondial » [12].

Et, c’est remarquable, après un long développement sur les difficultés de remboursement de la dette, la Banque déclare qu’il ne faut pas diminuer le recours à l’emprunt : « Rien de cela cependant ne doit être interprété comme impliquant que les pays en développement ne pourraient pas se permettre, voire devraient éviter, toute augmentation dans leurs obligations de remboursement » [13].

La désignation de la Commission Pearson en 1968 par Robert McNamara, nouveau président de la Banque mondiale, s’inscrit dans les efforts déployés par les dirigeants états-uniens pour faire face à l’endettement croissant et aux revendications qui émanent du Sud. Partners in Development (Partenaires pour le développement), le rapport de la commission Pearson publié en 1969, prédit que le poids de la dette augmentera pour atteindre une situation de crise dans la décennie suivante. Le pourcentage des nouveaux emprunts bruts utilisés pour assurer le service de la dette a atteint 87 % en Amérique latine en 1965-67.

Voici ce qu’en 1969, Nelson Rockfeller, frère du président de la Chase Mahattan Bank, explique dans un rapport au Président des États-Unis à propos des problèmes auxquels l’Amérique Latine doit faire face : « Le niveau considérable des montants empruntés par certains pays de l’hémisphère occidental afin de soutenir le développement est tel que le paiement des intérêts et l’amortissement absorbent une grande part des revenus d’exportations. (…) Beaucoup de pays sont amenés en effet à contracter de nouveaux emprunts pour disposer des devises nécessaires à payer l’intérêt et l’amortissement des anciens emprunts et ce, à des taux d’intérêt plus élevés » [14].

De son côté, en 1969, le General Accounting Office (GAO, équivalent aux États-Unis de la Cour des Comptes) remet au gouvernement un rapport également alarmant : « Beaucoup de nations pauvres ont déjà atteint un niveau d’endettement qui dépasse leurs possibilités de remboursement. (…) Les États-Unis continuent à accorder plus de prêts aux pays sous-développés que tout autre pays ou organisation et ils ont également le plus fort taux de pertes. La tendance à faire des prêts remboursables en dollars ne garantit pas que les fonds seront remboursés » [15].

Quelques temps après, en 1970, dans un rapport au président des États-Unis, Rudolph Peterson, président de la Bank of America, tire la sonnette d’alarme : « Le poids de la dette de beaucoup de pays en développement constitue maintenant un problème urgent. Bien qu’annoncé depuis dix ans, on n’en a pas tenu compte. Les raisons sont multiples, mais quoi qu’il en soit, dans certains pays, les revenus d’exportation à venir sont tellement hypothéqués que cela compromet la poursuite des importations, des investissements et du développement » [16].

En résumé, différentes sources influentes aux États-Unis, toutes reliées entre elles, considèrent dès la fin des années 1960 qu’une crise de la dette peut éclater quelques années plus tard.

Malgré la conscience des dangers…

De son côté, Robert McNamara, lui aussi, considère que le rythme de croissance de l’endettement du tiers-monde constitue un problème. Il déclare : “ A la fin de 1972, la dette s’élevait à 75 milliards de dollars et le service annuel de la dette dépassait 7 milliards de dollars. Le service de la dette a augmenté de 18 % en 1970 et de 20 % en 1971. Le taux moyen d’augmentation de la dette depuis la décennie de 1960 a représenté presque le double du taux de croissance des revenus d’exportation avec lesquels les pays endettés doivent assurer ce service de la dette. Cette situation ne peut continuer indéfiniment ” [17].

… à partir de 1973, la Banque mondiale est lancée dans la poursuite de l’augmentation des dettes en compétition avec les banques privées

Pourtant la Banque mondiale qu’il préside maintient la pression sur les pays de la Périphérie afin qu’ils accroissent leur endettement.

A partir de 1973, l’augmentation du prix des produits pétroliers et d’autres matières premières provoque une fuite en avant vers davantage d’endettement. Dans les publications de la Banque mondiale, du FMI et des banquiers, on trouve de moins en moins de pronostics pessimistes en ce qui concerne les difficultés de remboursement auxquelles les PED pourraient être confrontés.

Prenons le FMI. On peut lire dans son rapport annuel pour 1975, un message tout à fait serein : « L’investissement des surplus des pays exportateurs de pétrole sur les marchés financiers nationaux et internationaux combiné à l’expansion du financement international (sous la forme des prêts bilatéraux et multilatéraux) a constitué une forme satisfaisante de transfert de fonds pour pallier le déficit de la balance des comptes courants des pays importateurs de pétrole » [18].

Il faut souligner que ce diagnostic tranche tout à fait avec celui qui sera produit après l’éclatement de la crise. Dès que la crise de la dette surgit en 1982, le FMI en rend responsable les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979. Or ce qu’on peut déduire de la citation de 1975, c’est que pour le FMI, le recyclage des pétrodollars combiné aux prêts publics a largement résolu les problèmes des pays importateurs de pétrole.

Comment expliquer la volonté de la Banque mondiale de stimuler l’augmentation de l’endettement dans les années 1970 ?

La Banque mondiale voulait à tout prix augmenter son influence sur un nombre maximum de pays qui se rangeaient clairement dans le camp capitaliste ou qui, tout au moins, maintenaient (Yougoslavie) ou prenaient (Roumanie) leurs distances par rapport à l’URSS [19]. Pour conserver ou augmenter son influence, il lui fallait renforcer l’effet de levier en accroissant constamment les montants prêtés. Or les banques privées cherchaient elles-mêmes à augmenter leurs prêts et ce, à des taux qui pouvaient être inférieurs à ceux de la Banque mondiale [20]. Celle-ci était dès lors lancée dans une chasse aux projets susceptibles de faire l’objet de prêts. Entre 1978 et 1981, les montants prêtés par la Banque augmentent de 100 %.

Robert McNamara affiche une grande confiance dans la deuxième moitié des années 1970. Il déclare en 1977, dans son allocution présidentielle annuelle : « Les principales banques et les principaux pays emprunteurs agissent sur la base de prévisions qui concordent » et il conclut : « Nous sommes même plus confiants aujourd’hui qu’il y a un an : le problème de la dette est gérable » [21].

Et certains grands banquiers privés font preuve également d’une grande sérénité [22]. Voici ce que dit la Citibank en 1980 : « Depuis la seconde guerre mondiale, les ruptures de paiement de la part des pays sous-développés, quand elles se produisent, ne provoquent pas de pertes importantes pour les banques prêteuses. Une rupture de paiement est généralement suivie d’un arrangement entre le gouvernement du pays endetté et ses créanciers étrangers en termes de rééchelonnement de la dette. (…) Dans la mesure où les taux d’intérêt et les différentiels sont généralement revus à la hausse quand un prêt est rééchelonné, la valeur de la décote est souvent supérieure à la valeur du crédit original » [23]. Cette déclaration est à prendre avec la plus grande circonspection quant aux motivations de son auteur. En effet, la Citibank, une des banques les plus actives dans les années 1970 en termes de prêts au Tiers Monde, sent en 1980 que le vent est en train de tourner. Au moment où ces lignes sont écrites, elle prépare déjà sa retraite, elle n’accorde presque plus de nouveaux prêts.

Le texte est destiné aux banquiers plus petits, notamment les banques locales aux États-Unis, les Saving and Loans, que des entreprises comme la Citibank essayent de rassurer afin qu’elles accordent, elles, de nouveaux prêts. Dans le chef de la Citibank, l’argent que les Saving and Loans continuent d’envoyer vers les pays du Sud doit leur permettre de rembourser les grands banquiers. En d’autres mots, pour que les pays endettés puissent poursuivre le remboursement des grandes banques, il faut qu’existent d’autres prêteurs. Ils peuvent être privés (des petites ou moyennes banques moins bien informées que les grandes ou désinformées par celles-ci) ou publics (la Banque mondiale, le FMI, les agences publiques de crédit à l’exportation, des gouvernements…). Il faut des prêteurs en dernier ressort pour que les grandes banques soient remboursées intégralement. A ce sujet, si des institutions telles que la Banque mondiale et le FMI se répandent en propos rassurants alors que la crise se prépare, elles se rendent complices des grands banquiers qui cherchent des prêteurs en dernier ressort. Les petites banques qui continuent à prêter des capitaux aux PED sont acculées à la faillite après l’éclatement de la crise de 1982 et le coût de leur sauvetage sera assumé par le Trésor des États-Unis, c’est-à-dire en réalité par les contribuables états-uniens.

Le tournant 1979 – 1981

Le deuxième choc pétrolier de 1979 (suite à la révolution iranienne) a été combiné à une réduction du prix des autres matières premières.

A partir de la fin de 1979, le coût de la dette est doublement augmenté par la très forte augmentation des taux d’intérêt et l’appréciation du dollar. Les tentatives du Sud de relancer la négociation sur un Nouvel ordre international échouent : le dialogue Nord-Sud à Cancun en 1981 n’aboutit à rien. Par ailleurs, l’austérité fiscale, exigée des pays du Sud, n’est pas appliquée par les États-Unis (réduction des taxes, augmentation des dépenses militaires, augmentation de la consommation).

Le tournant généralisé vers ce que la Banque mondiale a appelé « l’ajustement structurel » est annoncé dès le discours que prononce Robert McNamara à la conférence de la CNUCED de Manille en mai 1979.

Le double langage de la Banque mondiale

Jusqu’à l’éclatement de la crise en 1982, la Banque mondiale tient un double langage. L’un destiné au public et aux pays endettés dit qu’il n’y a pas de s’inquiéter outre mesure et que si des problèmes surgissent, ils seront de courte durée. C’est le discours tenu dans les documents publics officiels. Le deuxième discours est tenu à huis clos lors des discussions internes.

En octobre 1978, un vice-président de la Banque mondiale, Peter Cargill, responsable des Finances, adresse au président McNamara, un mémorandum intitulé « Degré de risque dans les actifs de la Banque mondiale » (Riskiness in IBRD’s loans portofolio). Dans ce texte, Peter Cargill presse Robert McNamara et l’ensemble de la Banque mondiale d’accorder beaucoup plus d’attention à la solvabilité des pays endettés [24]. Selon Peter Cargill, le nombre de pays endettés qui accusent des arriérés de paiement à l’égard de la Banque mondiale ou/et qui recherchent une renégociation de leur dette multilatérale est passé de trois à dix-huit entre 1974 et 1978 ! De son côté, Robert McNamara exprime sa préoccupation en interne à plusieurs reprises, notamment dans un mémorandum daté de septembre 1979. Dans un autre mémorandum interne, on peut lire que si les banques perçoivent que les risques augmentent, elles réduiront les prêts et « nous pourrions voir une grande quantité de pays se retrouver dans des situations extrêmement difficiles » (29 octobre 1979) [25].

Le Rapport sur le développement dans le monde édité par la Banque mondiale en 1980 présente l’avenir de manière optimiste, prévoyant que les taux d’intérêt réels vont se stabiliser au niveau très bas de 1 %. C’est totalement irréaliste. L’évolution réelle l’a montré. Ce qui est édifiant, c’est d’apprendre, grâce à des historiens de la Banque mondiale, que dans la première version non publiée du rapport, figure une deuxième hypothèse basée sur un taux d’intérêt réel de 3 %. Cette projection montrait que la situation serait à terme intenable pour les pays endettés. Robert McNamara obtient qu’on retire ce scénario noir de la version à publier [26] !

Dans le Rapport sur le développement dans le monde publié par la Banque en 1981, on peut lire : « Il semble très probable que les emprunteurs et les prêteurs vont s’adapter aux conditions changeantes sans précipiter une crise générale de confiance » [27].

Le mandat de Robert McNamara à la présidence de la Banque mondiale se termine en juin 1981, un an avant que la crise n’éclate aux yeux de tous. Le président Ronald Reagan le remplace par Alden William Clausen, président de la Bank of America, un des principaux créanciers privés des PED. On place le renard au cœur du poulailler…

Eric Toussaint

 

Cet article fait partie de la série : 1944-2019, 75 ans d’intervention de la Banque mondiale et du FMI (partie 15)

Notes :

[1D. Kapur, J. Lewis, R. Webb, 1997, vol. 1. p. 599

[2Le Yougoslave Dragoslav Avramović est économiste en chef de la Banque mondiale en 1963-1964. Trente ans plus tard, il devient gouverneur de la Banque centrale yougoslave (1994-1996) à l’époque du gouvernement de Miroslav Milosevic.

[3AVRAMOVIĆ, Dragoslav and GULHATI, Ravi. 1960. Debt Servicing Problems of Low-Income Countries 1956-58, Johns Hopkins Press for the IBRD, Baltimore, p.56 et 59.

[4World Bank, Annual Report 1963-4, p.8.

[5World Bank, Annual Report 1965, p. 54

[6Idem, p. 55

[7Remarquons que pendant ce temps, la Banque mondiale dirige ses prêts vers les cultures d’exportations et les activités exportatrices de matières premières.

[8Ibid., p. 61

[9Pour une présentation synthétique de la création de la CNUCED et de son évolution ultérieure, voir Eric TOUSSAINT. 2004. La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie. CADTM/Syllepse/Cetim, Liège-Paris-Genève, p. 99-104. Voir également CETIM. 2005. ONU. Droits pour tous ou loi du plus fort ?, Cetim, Genève, 2005, p. 207 – 219 et THERIEN, Jean-Philippe. 1990. Une Voix du Sud : le discours de la Cnuced, L’Harmattan, Paris.

[10World Bank, Annual Report 1966, p.45.

[11WORLD BANK, Annual Report 1965, p.62.

[12La situation est paradoxale : alors que la BM argumente pour un mouvement plus libre des capitaux entre PED et pays développés, de son côté Washington, depuis 1963, a instauré des restrictions très fortes sur les sorties de capitaux des États-Unis. Ces restrictions accélèrent le développement en Europe du marché des eurodollars qui sont recyclés sous forme de prêts aux PED. Voir Eric TOUSSAINT. 2004. La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie. CADTM/Syllepse/Cetim, Liège-Paris-Genève, p. 189 et NOREL, Philippe et SAINT-ALARY, Eric. 1988. p. 41 et svtes.

[13WORLD BANK, Annual Report 1966, p.45.

[14Nelson Rockfeller. 1969. Report on the Americas, Quadrangle Books, Chicago, p. 87, cité par PAYER, Cheryl. 1991. Lent and Lost. Foreign Credit and Third World Development, Zed Books, London, p.58.

[15Banking, November 1969, p. 45, cité par PAYER, Cheryl. 1991. Lent and Lost. Foreign Credit and Third World Development, Zed Books, London, p. 69.

[16Task Force on International Development, U.S. Foreign Assistance in the 1970s : a new approach, Report to the President, Government Printing Office, 1970, Washington, p.10.

[17MCNAMARA, Robert S. 1973. Cien países, Dos mil millones de seres, Tecnos, Madrid, p.94.

[18INTERNATIONAL MONETARY FUND, Annual Report 1975, p.3.

[19Dans ce cadre, la Banque mondiale fit de gros efforts pour convaincre la Chine de rentrer en son sein (au grand dam des autorités de Taiwan qui entre 1949 et 1979 avait occupé la place de la Chine au sein de la Banque). Le retour de la Chine populaire à la Banque se fit à la fin de la présidence de Robert McNamara.

[20En 1976-1977-1978, les banques commerciales prêtaient au Brésil à un taux moyen de 7,4 % tandis que la Banque mondiale prêtait au taux de 8,7 % (KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1, p. 281 et tableau 15.5. p. 983)

[21Cité par Nicholas Stern et Francisco Ferreira. 1997. « The World Bank as ‘intellectual actor’ » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.558.

[22A moyen terme, ils n’avaient pas tort. La vision exprimée dans la citation a été confirmée dans les années 1980 : les suspensions de paiement de dette ont été de courte durée, des rééchelonnements de paiement ont été concertés entre les grandes banques des Etats-Unis et les gouvernements des pays d’Amérique latine avec le soutien du FMI et de la BM. Comme l’affirme la Citybank : « les taux d’intérêt et les différentiels sont généralement revus à la hausse quand un prêt est rééchelonné ». C’est exactement ce qui s’est passé. Comme indiqué dans les deux chapitres suivants, les grands banquiers ont fait d’énormes profits sur le dos des pays endettés.

[23Global Financial Intermediation and Policy Analysis (Citibank, 1980), quoted in ‘Why the Major Players Allowed it to happen’, International Currency review, May 1984, p.22, cité par PAYER, Cheryl. 1991. Lent and Lost. Foreign Credit and Third World Development, Zed Books, London, p.72.

[24D. Kapur, J. Lewis, R. Webb, 1997, vol. 1. p. 598

[25D. Kapur, J. Lewis, R. Webb, 1997, vol. 1. p. 599

[26Ce scénario, bien que plus proche de ce qui se passa réellement, était pourtant encore trop optimiste.

[27Cité par Nicholas Stern et Francisco Ferreira. 1997. « The World Bank as ‘intellectual actor’ » in KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2, p.559.

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L’Inde perd la guerre par procuration avec l’Afghanistan

juillet 16th, 2019 by M. K. Bhadrakumar

La réunion quadripartite sur le processus de paix afghan, qui s’est tenue à Pékin jeudi et vendredi derniers, à laquelle ont participé la Chine, les États-Unis, la Russie et le Pakistan, est une évolution spectaculaire qui augure d’un processus de paix en Afghanistan. Dans un contexte régional, cela signifie également que le Pakistan a infligé une lourde défaite à l’Inde dans la guerre par procuration qui dure depuis plus d’une décennie en Afghanistan.

Les envoyés spéciaux des quatre pays qui se sont réunis à Pékin ont publié une déclaration communedans laquelle ils soulignent leur consensus sur le rétablissement de la paix en Afghanistan et indiquent leur intention d’accélérer le processus de paix jusqu’à un règlement définitif.

Les points saillants de la déclaration commune sont les suivants : avant tout, le format trilatéral États-Unis-Russie-Chine sur l’Afghanistan a été élargi pour inclure le Pakistan, étant donné la conviction partagée par les trois grandes puissances que « le Pakistan peut jouer un rôle important pour faciliter la paix en Afghanistan« .

Deuxièmement, les quatre pays ont approuvé les réunions intra-afghanes tenues à Moscou et à Doha au cours des derniers mois et ont appelé les parties concernées à « entamer immédiatement des négociations intra-afghanes entre les talibans, le gouvernement afghan et les autres Afghans » afin de « créer un cadre de paix dès que possible« .

Troisièmement, ils ont insisté pour que le cadre de paix « garantisse une transition ordonnée et responsable de la situation sécuritaire et qu’il détaille un accord sur un futur arrangement politique inclusif acceptable pour tous les Afghans« .

Quatrièmement, la déclaration commune encourage les parties afghanes à réduire la violence « en vue d’un cessez-le-feu global et permanent qui commence par des négociations intra-afghanes« .

Enfin, les quatre pays ont décidé de maintenir la dynamique de leur consultation et « inviteront d’autres parties prenantes importantes à s’y joindre sur la base du consensus trilatéral convenu le 25 avril 2019 à Moscou, et ce groupe élargi se réunira au début des négociations intra-afghanes« .

En résumé, le format quadripartite va désormais encadrer le processus de paix afghan – suivi de ses progrès, encadrement des protagonistes afghans, mise au point des négociations intra-afghanes, etc.

Dans une note optimiste, le représentant spécial des États-Unis, Zalmay Khalilzad, a tweeté vendredi depuis Pékin que les quatre pays ont convenu que les négociations intra-afghanes entre les talibans, le gouvernement afghan et les autres Afghans devraient commencer immédiatement ; que ces négociations devraient créer un cadre de paix dès que possible et qu’il faudrait élaborer un futur accord politique inclusif acceptable pour tous les Afghans.

Khalilzad a ajouté :

En somme, les États-Unis, la Russie et la Chine, qui se dirigent sur la pointe des pieds vers une nouvelle guerre froide, semblent mettre de côté leurs divergences et leurs différends et chercher à mettre fin à la guerre en Afghanistan. Curieusement, le récent rapport sur la stratégie indo-pacifique du Pentagone (publié en juin) qualifiait la Chine de « puissance révisionniste » et la Russie « d’acteur maléfique revitalisé », mais le week-end dernier, ces trois pays dansaient le tango tous les trois à Pékin.

En effet, c’est ainsi que s’est toujours joué le « grand jeu » en Asie centrale – rivalités intenses entrecoupées d’intermèdes lorsque les puissances rivales se retiraient à l’ombre, soignaient leurs blessures et ruminaient les mouvements suivants dans un paysage en mutation.

Il est difficile de croire que l’Afghanistan de l’après-guerre connaîtra la fin de l’histoire. Pour l’instant, le match est suspendu. Cependant, lorsque les ombres de la Chine s’allongeront sur l’Hindu Kush et que l’Afghanistan se transformera en une plaque tournante de l’Initiative Ceinture et Route (BRI), ce qui est inévitable, le grand jeu reprendra.

Au fur et à mesure que les États-Unis se retirent de leur occupation, la Chine devient la présence dominante dans l’Hindu Kush. Les États-Unis n’auraient aucune chance de retrouver leur hégémonie perdue en Afghanistan dans un avenir prévisible – probablement jamais.

Le format quadripartite cristallise le rôle crucial du Pakistan en tant que facteur de sécurité et de stabilité pour l’Afghanistan. Cela joue en faveur de la Chine et, paradoxalement, fait du Pakistan un partenaire indispensable pour les États-Unis (et la Russie) également. Washington et ses alliés occidentaux n’ont d’autre choix que de dépendre du Pakistan pour que l’Afghanistan ne devienne pas un « laboratoire de terroristes » (pour reprendre les mots du Président Trump).

Les relations entre le Pakistan et la Chine prendront une nouvelle dimension à mesure que la BRI étendra ses ailes en Afghanistan. L’intérêt croissant de la Russie pour le Corridor Économique Chine-Pakistan (CECP) se concrétisera. Les liens stratégiques moribonds du Pakistan avec les États-Unis sont déjà en train de renouer.

Sans aucun doute, l’Inde est la grande perdante. Le Pakistan a fait empirer la situation de l’Inde dans la guerre par procuration afghane et la défaite devient un modèle de politique régionale. Les analystes indiens ont mis le blâme sur les États-Unis, arguant que Washington a abandonné l’Inde après lui avoir déroulé le tapis rouge. En effet, le Président Trump a un jour salué le gouvernement Modi comme le premier partenaire des États-Unis dans leur stratégie en Asie du Sud. Mais la faute appartient-elle aux États-Unis ?

Du point de vue américain, l’Afghanistan est devenu une « blessure saignante » (comme Gorbatchev a décrit la défaite soviétique en Afghanistan), ce qui a provoqué une importante fuite des ressources. En dernière analyse, les décideurs politiques indiens n’ont pas su lire correctement les feuilles de thé lorsqu’il est devenu évident que la prétendue poussée afghane du Général David Petraeus s’est terminée sans succès en septembre 2012, sans fanfare au Pentagone et sans déclaration de succès par la Maison-Blanche d’Obama.

Fondamentalement, l’échec de la politique indienne réside dans la transformation de l’Afghanistan en un territoire où l’on peut mener une guerre par procuration contre le Pakistan. Delhi a négligé le fait que le Pakistan a des intérêts légitimes en Afghanistan – pas moins que ce que l’Inde aurait, par exemple, au Népal – et qu’en raison de sa culture, de ses affinités tribales et ethniques ou de sa géographie et de ses contraintes économiques et sociales, les Afghans ne peuvent se passer du Pakistan.

Delhi considérait les Talibans comme la progéniture des services de renseignement et de l’armée pakistanais, mais cela n’a jamais été toute l’histoire de l’insurrection et de la résistance afghanes. Delhi était également imperméable à d’autres réalités du terrain, comme le manque de légitimité du gouvernement de Kaboul, le fait que la corruption massive compromettait l’État et, surtout, que cette guerre était impossible à gagner et que la seule solution était la réconciliation avec les Talibans.

L’Inde a encore un long chemin à parcourir pour regagner l’influence perdue à Kaboul. En attendant, l’Inde devra se réconcilier avec la réalité géopolitique qui veut que l’Afghanistan soit placé sous orbite chinoise pour la première fois dans l’histoire de notre région.

Mais le spectre qui hante Delhi est la forte probabilité d’une prise de pouvoir par les Talibans en Afghanistan et de l’émergence d’un État de la charia dans le voisinage de l’Inde. Comment se fait-il que la diplomatie indienne n’ait pas réussi à empêcher cela ?

La réponse courte est que l’obsession de la guerre par procuration signifiait que l’Inde est passée à côté du plus important. L’establishment du renseignement et de la sécurité était aux commandes et il n’y a pas eu d’effort soutenu pour établir des réseaux diplomatiques avec des pays aux vues similaires, en particulier l’Iran et la Russie, ou pour mobiliser l’opinion internationale contre une prise de pouvoir par les Talibans en Afghanistan. Cet échec politique aura de graves conséquences. Une fois le retrait américain terminé, l’Inde va devoir faire face à un Pakistan triomphaliste qui acquiert une immense profondeur stratégique face à l’Inde.

Pendant ce temps, les grandes puissances s’emploient à protéger leurs intérêts spécifiques avec l’aide et la coopération pakistanaises, ce qui laisse l’Inde dans l’embarras. Le dernier appel d’Al-Qaïda pour le « Djihad » en Inde doit être pris au sérieux. Mais l’Inde a si souvent crié au « loup » que personne ne peut le prendre au sérieux lorsque le loup arrive enfin au seuil de la porte.

Une analyse approfondie de l’Accord de Doha à la suite des pourparlers dits intra-afghans des 7 et 8 juillet montre des signes inquiétants que les talibans se sont peut-être « rapprochés de leurs objectifs déclarés de faire respecter la charia islamique en Afghanistan et de restructurer à leur gré les institutions gouvernementales afghanes, notamment les militaires« . Il s’agit de l’expertise du Middle East Media Research Institute (MEMRI), dont le siège est à Washington, après avoir étudié les trois différentes versions de l’Accord de Doha et la version des Talibans. Vous pouvez la lire ici.

M. K. Bhadrakumar

Source : India loses Afghan proxy war, Indian Punchline, le14 juillet 2019.

Traduit par Réseau International

La Turquie suit le bluff de Trump

juillet 16th, 2019 by Eric Margolis

La Turquie vient de suivre le bluff de Donald Trump en procédant à l’achat de missiles antiaériens russes S-400. L’indignation à Washington est volcanique. Trump s’est juré de faire pleuvoir du feu et des sanctions sur les Turcs désobéissants.

Le S-400 est le meilleur missile anti-aérien russe. On croit qu’il est très efficace contre toutes les sortes d’avions – y compris les avions furtifs – les missiles de croisière, les missiles balistiques de moyenne portée, les drones et certains autres types de missiles. Il offre le choix entre une version auto-directionnelle avec son propre autodirecteur radar ou une version « semi-active », moins coûteuse, guidée par son radar de batterie de lancement.

Ce qui rend ce missile AA (SS-21 dans la terminologie de l’OTAN) particulièrement mortel, c’est sa remarquable portée de 400 km. La Russie dit que le S-400 est capable de démasquer des avions furtifs. Déjà en 1990, des responsables de la sécurité soviétique m’ont dit que leurs radars pouvaient détecter les avions furtifs américains.

La portée et la capacité de détection remarquables du missile mettent en danger certains des éléments clés de la capacité de combat des États-Unis, notamment l’avion radar aéroporté E-3 AWACS, les avions de guerre électronique américains, les pétroliers et, bien sûr, les chasseurs comme le nouveau F-35 furtif, les F-15, F-22 et B-1, B-2 et les bombardiers lourds B-52, utilisés pour transporter les missiles de croisière longue portée.

Le système AA russe peut « tirer et filer » – tirer et ensuite se déplacer rapidement. Plus important encore, le système S-400 coûte environ la moitié du prix de son principal concurrent, le système américain Patriot PAC-2. Le S-400 peut également être plus fiable et plus précis. Washington n’est pas content.

L’administration Trump a exercé de fortes pressions sur la Turquie pour qu’elle n’achète pas le S-400, menaçant d’annuler la commande de la Turquie pour 100 des nouveaux F-35 furtifs. Peu de gens pensaient que les Turcs allaient défier les États-Unis sur cette question, mais ils n’ont pas compris l’ampleur de la colère de la Turquie contre les États-Unis.

La plupart des Turcs pensent que les États-Unis ont organisé le coup d’État manqué de 2016 contre le gouvernement démocratique d’Ankara par l’intermédiaire d’une organisation religieuse obscure dirigée par le chef spirituel et politique Fethullah Gulen, qui vit en exil aux États-Unis. Le président élu de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, était trop indépendant pour Washington, s’opposant à la politique américaine vis-à-vis de la Syrie et du Golfe. Il a également subi la colère du lobby israélien américain pour avoir exigé la justice pour les Palestiniens.

La Turquie est maintenant la cible d’une attaque économique de Washington. Le Président Trump menace de sanctions (lire guerre économique) contre la Turquie, un ancien et loyal allié américain. Pendant la guerre de Corée, les troupes turques ont sauvé des soldats américains de l’encerclement chinois. Mais les Turcs sont majoritairement musulmans, et les musulmans sont détestés par Trump et ses alliés.

Les missiles S-400 arrivent en Turquie. Que fera Trump ? Annuler la vente à la Turquie du F-35 et d’autres équipements militaires ou pièces de rechange. Menacer d’évincer la Turquie de l’OTAN. Qu’Israël et la Grèce menacent la Turquie.

La Turquie peut vivre sans le F-35. C’est trop cher et peut être plus vulnérable que ce qui est annoncé. Les Turcs peuvent obtenir des avions de guerre similaires, moins chers, de Russie. L’Inde et la Chine achètent toutes deux le S-400. Même les Saoudiens pourraient les rejoindre, bien que Moscou retarde la vente. Des S-400 sont également stationnés en Syrie avec les forces russes et doivent partir en mer dans une version navale.

Si les États-Unis réagissent avec encore plus de colère, la Turquie pourrait menacer de se retirer de l’OTAN et de chasser les États-Unis de leur base aérienne hautement stratégique du sud-est de la Turquie à Incirlik. Il convient de rappeler que la Turquie a fourni la deuxième plus grande armée de l’OTAN après les États-Unis. Quelqu’un doit rappeler à Trump, qui l’ignore profondément, que l’OTAN sans la Turquie sera dégriffée. Il est tout aussi important qu’une Turquie non contrainte par l’adhésion à l’OTAN cherche des sources de pétrole qui lui font défaut et dont elle a désespérément besoin, et de nouvelles alliances.

Il y a seulement un siècle, les riches champs de pétrole de l’Irak faisaient partie de l’Empire ottoman jusqu’à ce qu’ils soient emportés par les puissances impériales britannique et française. Les jours d’une Turquie soumise et apprivoisée se terminent peut-être.

Eric Margolis

Article original en anglais : Turkey Calls Trump’s Bluff, le 13 juillet 2019.

Traduit par Réseau International

Sélection d’articles :

La guerre commerciale Corée-Japon: Que voulez-vous M. Shinzo Abe?

Par Joseph H. Chung, 15 juillet 2019

Le monde commence à s’inquiéter sérieusement de la guerre commerciale entre les deux plus grandes économies du monde. Pourtant, la conférence de G20 a décidé de promouvoir le régime de libre-échange. Mais, à peine deux jours après la clôture de la conférence, Shinzo Abe, premier ministre du Japon, hôte de la conférence de G20, a déclaré une guerre incompréhensible à la Corée du Sud. Tout indique que la mesure prise par le premier ministre Abe va nuire non seulement à l’économie coréenne mais aussi à celle du Japon. Pourquoi alors déclencher une guerre commerciale contre la Corée ?

 

Rétrospective des dépossessions, de la militarisation et de la contre-insurrection dans le sud-est du Mexique et en Amérique Centrale

Par Javier Abimael Ruiz García, 15 juillet 2019

Le 16 août 2014, le Congrès National Indigène publia la seconde déclaration sur l’expropriation de nos peuples, dans laquelle était exposée de en guise de métaphore, 24 rétrospectives de l’expropriation territoriale et de la guerre contre les peuples à l’échelle nationale ; structurées par une relation intrinsèque entre les violences politiques de l’état – autrementdit, la militarisation, les réformes, la création de lois etc. -, les violences destructrices, anonymes du capitalisme ; depuis les agissements des grandes corporations – minières, pétrolières, etc. – jusqu’au crime organisé dans sa grande diversité de cartels. A 5 ans de cette déclaration, la guerre non seulement s’est intensifiée, la continuité de la militarisation et des expropriations se sont poursuivies, sous prétexte de lutte contre le crime organisé.

 

États-Unis – Iran : cette impasse stratégique qu’on ne pourra plus torpiller

Par Pepe Escobar, 15 juillet 2019

Perdue dans le tumulte sous-marin, la date limite fixée par Téhéran pour l’UE-3 pour soutenir les ventes de brut iranien expire dimanche… Un épais voile de mystère entoure le feu qui a éclaté dans un submersible russe à la pointe de la technologie dans la mer de Barents, entraînant la mort de 14 membres d’équipage empoisonnés par des vapeurs toxiques. Selon le Ministère russe de la Défense, le sous-marin effectuait des relevés bathymétriques, comme l’examen et la cartographie des reliefs de mer profonde…

 

Il vaudrait mieux que le Royaume-Uni relâche le pétrolier iranien; les Émirats en mission à Téhéran

Par Elijah J. Magnier, 15 juillet 2019

Avant qu’Emmanuel Bonne, l’envoyé spécial du président français Emmanuel Macron en Iran, rende visite au président Hassan Rouhani, il a promis de dénouer la crise du « Grace I » entre l’Iran et le Royaume-Uni. L’Iran jugeait la confiscation par le Royaume-Uni de son superpétrolier chargé de deux millions de barils de pétrole comme un acte de piraterie illégal et menaçait d’user de représailles en réponse à cette attaque par la marine britannique contre le pétrolier iranien, qui avait été autorisé à entrer dans les eaux de Gibraltar pour se ravitailler et se procurer des pièces de rechange. L’intervention française a permis la libération du capitaine et des marins. En échange, la diplomatie iranienne a promis de…

 

La course à la domination de l’Espace

Par Manlio Dinucci, 16 juillet 2019

“L’homme volant envoute Paris au défilé du 14 juillet” : avec des titres comme celui-ci a été décrit le défilé des forces armées françaises le long de l’avenue des Champs Élysées. Comme d’habitude, on a l’impression d’être informé sur tout dans le moindre détail. La “grande information” nous cache cependant ce qu’il serait par contre essentiel de savoir. Par exemple, que deux jours avant le défilé le président Emmanuel Macron a assisté, dans le port de Cherbourg, au lancement d’un sous-marin nucléaire d’attaque, le Suffren, premier de la nouvelle série Baracuda, réalisé avec un programme décennal d’un coût de 9 milliards d’euros.

 

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De nouvelles informations sur l’incendie du 1er juillet du sous-marin nucléaire russe Losharik dans la mer de Barents, qui fait partie de l’Arctique russe, font la lumière sur les énormes dangers qui découlent des préparatifs d’une nouvelle guerre mondiale. L’incendie a coûté la vie à 14 officiers de haut rang de la marine russe.

Le président russe Vladimir Poutine a qualifié la catastrophe de «grande perte pour la marine et l’armée russes». Le Kremlin a classé les détails de la catastrophe comme un «secret d’État». Les officiers de marine à bord avaient tous été formés à Saint-Pétersbourg et étaient, selon le journal Izvestiia, «les meilleurs en Russie». Ils étaient directement subordonnés au ministère de la Défense. Le Losharik est déployé par la Direction principale de la recherche en haute mer, qui relève de l’organisme de renseignement militaire russe GRU.

Lors des funérailles des 14 officiers, dimanche, un assistant du commandant de la marine russe, le capitaine Sergei Pavlov, a suggéré qu’une catastrophe nucléaire avait été évitée de justesse par l’équipage: «Par leur sacrifice, ils ont sauvé la vie de leurs collègues, sauvé le vaisseau et évité une catastrophe planétaire.»

Le Kremlin a par la suite nié la gravité de la menace posée par l’incendie, le porte-parole Dmitry Peskov insistant sur le fait qu’il n’y avait «aucun problème» avec le réacteur nucléaire. Au départ, le Kremlins avait nié la présence d’un réacteur nucléaire à bord du sous-marin.

Cependant, un rapport d’enquête paru le 9 juillet dans le journal Fontanka de Saint-Pétersbourg confirme que la situation à bord du navire était beaucoup plus dangereuse qu’on ne le pensait. Le journal a rapporté que la cause de l’incendie était un court-circuit électrique qui s’est produit pendant que le Losharik amarrait avec son vaisseau mère, le Podmoskovye, ce qui a entraîné une dissipation de chaleur de la batterie lithium-ion, qui a ensuite explosé et s’est embrasée.

L’information a été soumise au journal par cinq sources anonymes, indépendantes les unes des autres. Le journal a écrit :

«L’incendie à grande échelle a été provoqué, selon nos informations, par la dispersion de la chaleur de la batterie, qui a été suivie d’une série d’explosions. Le personnel du compartiment avant est mort. L’onde de choc était si puissante qu’elle a même été ressentie sur le vaisseau mère. Au moment de l’explosion, l’appareil [sous-marin] était en train de s’y amarrer. Les survivants ont scellé le compartiment central, terminé l’amarrage, arrêté le réacteur nucléaire et évacué vers le BS-136 Orenburg. Craignant d’autres explosions et que l’incendie ne se propage au porte-avions, l’équipage du vaisseau mère a inondé le sous-marin, et c’est pourquoi le sous-marin était complètement immergé lorsqu’il est arrivé à sa base de Severomorsk.»

En raison de l’inondation du sous-marin, il a fallu plus de quatre jours pour récupérer 10 des 14 corps des officiers. Le rapport sur les explosions à bord du Losharik corroborerait également une déclaration de l’Autorité de protection de radioactivité norvégienne, selon laquelle les Russes leur auraient signalé une explosion de gaz à bord d’un navire dans la mer de Barents. Le rapport des autorités norvégiennes a été contredit par le Kremlin.

La lutte pour sauver le sous-marin par l’équipage a pris jusqu’à une heure et demie, selon un expert militaire russe qui s’est entretenu avec le Komsomolskaya Pravda: «L’équipement standard d’extinction d’incendie a fonctionné, mais il n’a pas pu éteindre complètement la source du brasier et l’équipage s’est battu pour la survie du navire.»

Des spécialistes ont dit à Fontanka que la hauteur des flammes lors de l’explosion d’une batterie lithium-ion pouvait atteindre plusieurs mètres et qu’il serait impossible d’éteindre l’incendie avec un extincteur à poudre chimique ou de l’eau, car la batterie elle-même libérerait des éléments inflammables et de l’oxygène. La seule façon de mettre fin à l’incendie était de refroidir la batterie.

L’appareil respiratoire d’urgence de l’équipage dans le compartiment fermé n’a fourni que 15 minutes d’air.

Des pêcheurs russes ont été témoins de la remontée d’urgence que l’équipage a réussi à amorcer. L’un d’eux a déclaré au site d’information de Mourmansk Severpost: «Nous nous dirigions vers Kildin, puis, vers 21h30, un sous-marin a fait surface. Soudainement et totalement. Je n’ai jamais rien vu de tel de ma vie. Sur le pont, les gens couraient partout.»

Bien que le Losharik soit alimenté par un réacteur nucléaire, il comprend également des hélices électriques qui sont alimentées par des batteries.

Dans le passé, la marine russe était connue pour utiliser des batteries argent-zinc pour alimenter les sous-marins, qui sont ininflammables mais coûteuses. Selon Fontanka, la marine russe a commencé à chercher des alternatives sous la forme de batteries lithium-ion, car elles sont nettement moins chères.

Les batteries au lithium-ion, qui sont couramment utilisées pour alimenter des appareils comme les ordinateurs portables et les téléphones intelligents, sont réputées pour exploser et provoquer des incendies. En 2016, la NASA a perdu le robot complexe RoboSimian, conçu pour extraire des personnes de situations dangereuses, lorsque les batteries lithium-ion du robot ont explosé et provoqué un énorme incendie.

On ne savait pas qu’un sous-marin russe avait déjà commencé à les déployer et le seul producteur russe de batteries au lithium-ion a dit à Fontanka que tous ses produits étaient encore en phase de test. En octobre 2018, le Japon, impliqué dans un renforcement militaire contre la Chine, a lancé le premier sous-marin connu de la classe Soryu équipé de batteries lithium-ion, qui ne possède pas de réacteur nucléaire. La Corée du Sud a également annoncé son intention d’utiliser des batteries lithium-ion sur ses sous-marins.

La catastrophe du 1er juillet à Losharik est un sérieux avertissement sur les énormes dangers liés à la course internationale aux armements et aux préparatifs de guerre mondiale.

On ne sait toujours pas quel était exactement le but du déploiement du Losharik, mais il ne fait aucun doute qu’il était lié aux efforts déployés par l’État russe pour se préparer à une attaque potentielle, impliquant des armes nucléaires, par les États-Unis et l’OTAN, qui sont engagés depuis des années dans un renforcement militaire ouvert et agressif contre la Russie. La montée en puissance américaine a récemment culminé avec un budget militaire de 750 milliards de dollars adopté par le Sénat en juin et a mis une pression énorme sur l’oligarchie russe, qui a récemment réduit ses dépenses militaires dans un contexte de crise économique prolongée.

Les sous-marins nucléaires jouent un rôle important dans les préparatifs de guerre, à la fois comme armes de dissuasion nucléaire et comme moyens militaires d’espionner les adversaires. Entre-temps, selon un ancien employé de l’état-major général russe, «les réacteurs des sous-marins et autres navires de haute mer ne sont généralement pas très bien protégés».

Les journaux russes ont qualifié le sous-marin Losharik, d’une valeur estimée à 1,5 milliard de dollars, du «pire scénario» militaire russe pour les États-Unis. Il est jugé capable de couper les câbles Internet et autres câbles de communication et peut également descendre plus bas dans la mer que tout autre sous-marin connu.

En 2012, le Losharik a effectué des missions sur les fonds marins de l’océan Arctique à des profondeurs comprises entre 2000 et 2500 mètres, alors que l’US Navy donne la profondeur maximale de fonctionnement de ses sous-marins d’attaque de classe Los Angeles, la plus grande flotte mondiale de sous-marins nucléaires, à 200 mètres. Le Losharik a joué un rôle important dans les efforts déployés par la Russie pour explorer et dominer des parties importantes de l’Arctique. La fonte rapide des glaces dans la région – conséquence des changements climatiques – a intensifié de façon spectaculaire la concurrence pour le contrôle militaire de l’Arctique et de ses ressources naturelles au cours des dernières années.

Clara Weiss

 

 

Article paru en anglais, WSWS, le 12 juillet 2019

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Deux cent trente ans après la prise de la prison de la Bastille, qui a déclenché la Révolution française en 1789, le gouvernement du président Emmanuel Macron a procédé à des arrestations préventives massives. La police a rassemblé des manifestants bien connus comme de membres connus des gilets jaunes le jour de la fête nationale à Paris hier. On a hué et ridiculisé Macron alors qu’il descendait les Champs-Élysées en voiture lors du traditionnel défilé militaire du dimanche matin.

Selon la préfecture de police de Paris, 175 personnes se sont fait arrêter tout au long de la journée, la plupart d’entre elles se trouvaient aux alentours du défilé militaire annuel sur l’avenue des Champs-Élysées. Presque toutes les arrestations étaient basées sur des accusations d’«organisation d’une manifestation non autorisée».

Le 13 juillet, le préfet de police de Paris, Didier Lallement, avait décrété la veille une interdiction générale de tout rassemblement de personnes «se faisant passer pour des gilets jaunes». Le lendemain, le 14 juillet, les arrestations ont eu lieu dans le périmètre d’exclusion qui comprenait: l’Arc de Triomphe, les Champs-Élysées, la Place de la Concorde, le Louvre, les Invalides et la Tour Eiffel. Cette mesure policière extraordinaire de l’État a eu pour effet d’interdire l’accès à ces zones aux personnes simplement en raison de leurs convictions politiques, sans qu’elles n’aient commis d’acte criminel.

Une vidéo en direct sur Facebook, publiée par la page «gilet jaune», montre une camionnette de police qui conduisait un groupe de manifestants arrêtés dans le centre de Paris. La vidéo les montre traversant une zone industrielle vide près d’un poste de police et arrivant à un groupe d’entrepôts vides dont la police s’était emparé d’avance afin de les tenir, entourés de fils barbelés. On entend les détenus crier que les «nazis nous attendent» et qu’on les amène dans des «camps de concentration».

La police a procédé à des arrestations ciblées de personnalités bien connues associées aux manifestations des gilets jaunes qui ont commencé en novembre de l’année dernière et ont eu lieu chaque samedi en opposition aux inégalités sociales. Parmi les 175, la Police avait ciblé et placé en détention: Maxime Nicolle, Jérôme Rodrigues et Éric Drouet pendant plusieurs heures pour avoir organisé une manifestation non autorisée et «rébellion». La Police les a relâchés quelques heures plus tard. Elle les a informé qu’elle abandonnait toutes les accusations.

La Police a arrêté Nicolle alors qu’il filmait une vidéo en direct sur Facebook en descendant l’avenue de Friedland, qui ne fait pas partie de la zone interdite. Un cortège d’une douzaine de policiers anti-émeutes masqués arrive et l’encercle avant de le placer en état d’arrestation. Selon Juan Branco, l’avocat de Nicolle, on pouvait entendre la police se dire: «Voilà, c’est le troisième».

Branco a noté que tout ce qui était prévu dans la manifestation organisée par Nicolle était de tourner le dos au président Macron alors qu’il descendait les Champs-Élysées. «Nous devons nous demander dans quelle mesure nous acceptons la tournure antidémocratique du gouvernement actuel», a-t-il dit.

Drouet a été arrêté par des policiers en civil dans la foule lors du défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées, alors qu’il se tenait immobile et filmait avec son téléphone.

Cette action, menée grâce aux pouvoirs extraordinaires accordés à la police dans le sillage de l’état d’urgence en France (2015-2017), témoigne de l’état avancé de préparation à un régime autoritaire en Europe. L’élite dirigeante est déterminée à intensifier les mesures d’austérité en concentrant la richesse dans les mains d’une minuscule élite d’entreprises. En même temps elle arme les armées françaises et européennes jusqu’aux dents. Elle ne peut tolérer aucune expression indépendante d’opposition populaire ou de classe populaire.

Les classes dirigeantes internationales s’orientent vers des mesures policières étatiques et la promotion des forces fascistes et d’extrême droite contre les travailleurs. Aux États-Unis, l’Administration Trump a commencé des rafles massives d’immigrants sans papiers. En Allemagne, l’élite politique et les médias ont légitimé et promu l’Alternative pour l’Allemagne néo-fasciste en tant que parti de l’opposition officielle. Elle a couvert l’assassinat d’un grand homme politique allemand, Walter Lübcke, par un individu étroitement lié aux réseaux néonazis.

Le gouvernement Macron — qui profite de chaque occasion pour déclarer que les protestations des gilets jaunes sont terminées — est terrifié par toute expression de la haine de masse qui existe envers son gouvernement. Le ministre de l’intérieur Christopher Castaner a déclaré hier à BFM-TV: «Ceux qui voulaient empêcher ce défilé devraient avoir honte. Aujourd’hui est un jour où la nation est unie, et je pense que la nation doit être respectée.»

Les célébrations de la fête nationale ont toujours été utilisées pour la promotion du militarisme français. Alors qu’ils marquent formellement l’anniversaire de la prise de la Bastille et de la Révolution française, le défilé militaire était intégré dans les célébrations du 14 juillet près d’un siècle plus tard, en 1880. Cela a commencé neuf ans après l’écrasement de la Commune ouvrière à Paris et la défaite de la France dans la guerre franco-prussienne de 1870. Dès le début, on a utilisé le défilé pour glorifier l’armée.

Les soldats bloquent les Invalides, où des chars et d’autres véhicules militaires sont stationnés toute la journée.

Le défilé a commencé cette année avec le spectacle bizarre de Franky Zapata, champion de France de jet-ski, debout sur sa Flyboard Air, un aéroglisseur au kérosène. Il le pilotait sur les Champs-Élysées, brandissant un fusil d’assaut sans raison apparente aux spectateurs en bas.

C’est ainsi qu’a commencé l’exposition massive traditionnelle de matériel militaire le jour de la Bastille qui a été prise comme modèle par Donald Trump pour sa récente célébration militarisée du 4 juillet. Quelque 4299 soldats et officiers descendent les Champs-Élysées. Ont également participé au défilé 67 avions, 40 hélicoptères, 196 automobiles et 237 chevaux.

Des équipements militaires étaient stationnés dans toute la ville. Des troupes en service actif avec des fusils étaient stationnées près des Invalides.

Le contexte du développement du «conflit entre les grandes puissances» a rendu le caractère militariste du défilé de cette année encore plus explicite. Aussi, Macron a la volonté de promouvoir une armée européenne capable d’agir indépendamment de l’impérialisme américain et en opposition à celui-ci. La chancelière allemande Angela Merkel, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, l’ancien premier ministre belge Charles Michel et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker étaient tous présents. Macron a fait référence aux appels à la création d’une armée de l’Union européenne (UE) dans le discours traditionnel du Président de la République à l’occasion du Jour de la Bastille.

«Jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe n’a été aussi nécessaire. La construction de l’Europe en tant que force militaire, liée à l’alliance de l’OTAN dont nous célébrons le 70e anniversaire, est pour la France une priorité», a déclaré Macron. Il a ajouté: «C’est le fil rouge qui unifie ce défilé».

Dans la période précédant le défilé du Jour de la Bastille, Macron a fait une série d’annonces soulignant les dépenses massives de ressources en France pour l’armée.

La semaine dernière, Macron et la ministre française de la défense, Florence Parly, ont dévoilé le Suffren, le premier d’une nouvelle classe de sous-marins nucléaires d’attaque français. Macron a souligné que le développement de la technologie sous-marine est essentiel non seulement pour les plans français d’attaquer des navires de guerre, mais aussi pour la stratégie française de guerre nucléaire. La France est en train de construire six nouveaux sous-marins pour un coût de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Macron a déclaré que cette initiative est «emblématique du renouvellement de nos capacités, qui impliquera non seulement nos forces conventionnelles, mais aussi celles impliquées dans la dissuasion nucléaire.»

Macron a également lancé le week-end dernier le Commandement spatial de la France, qui assigne officiellement l’espace comme champ d’opérations militaires au domaine de l’armée de l’air française.

Il a dit: «La nouvelle doctrine spatiale militaire que le ministre [de la défense] m’a proposé et que j’ai approuvée nous permettra d’assurer notre défense de l’espace… Nous renforcerons notre prise de conscience de la situation dans l’espace, nous protégerons mieux nos satellites, y compris par des méthodes actives. Et pour donner corps à cette doctrine, pour assurer le développement et le renforcement de nos capacités dans l’espace, un grand commandement spatial se crée dans l’armée de l’air.»

Will Morrow et Alex Lantier

 

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 15 juillet 2019

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J’en ai un peu assez de la Loi sur l’espionnage américaine. D’ailleurs, j’en ai assez de la saga Julian Assange et Chelsea Manning depuis longtemps. Personne ne veut parler d’eux parce que personne ne semble les apprécier beaucoup – même ceux qui ont bénéficié de leurs révélations dans leur travail de journaliste.

Depuis le début, je m’inquiète de l’effet de Wikileaks, non pas sur les gouvernements occidentaux brutaux dont les activités ont été dévoilées à travers des détails choquants (en particulier au Moyen-Orient) mais sur la pratique du journalisme. Quand nous autres, les scribes, avons été servis avec ce potage de Wikileaks, nous avons sauté dedans, y avons pagayé et avons éclaboussé les murs du reportage avec nos cris d’horreur. Et nous avons oublié que le vrai journalisme d’investigation consiste à poursuivre de manière acharnée la vérité en croisant ses propres sources, et non pas à touiller un bol de secrets devant les lecteurs, des secrets que Assange et cie, plutôt que nous, avaient choisi de publier.

Je me souviens de m’être demandé il y a presque 10 ans : comment se fait-il qu’on puisse lire les indiscrétions qui concernent tant d’Arabes ou d’Américains mais si peu d’Israéliens ? Qui prépare cette soupe que nous sommes supposés manger ? Quel ingrédient a été oublié dans la recette ?

Mais les derniers jours m’ont convaincu qu’il y a quelque chose de beaucoup plus évident concernant l’incarcération d’Assange et la réincarcération de Manning. Et cela n’a rien à voir avec la trahison, la perfidie ou des dommages présumés catastrophiques infligés à notre sécurité.

Dans le Washington Post de cette semaine, Marc Theissen, un ancien rédacteur des discours de la Maison-Blanche a présenté la torture pratiquée par la CIA comme « légale et moralement juste » et nous a dit qu’Assange « n’est pas un journaliste. C’est un espion. […] Il a mené des activités d’espionnage contre les États-Unis. Et il n’a aucun remords pour le mal qu’il a causé. » Alors oubliez que la folie de Trump a déjà transformé la torture et les relations secrètes avec les ennemis de l’Amérique en passe-temps.

Non, je ne pense pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec l’utilisation de la Loi sur l’espionnage, aussi grave que cela puisse être pour les journalistes conventionnels ou des « organisations de presse reconnues », comme Thiessen nous appelle importunément. Cela n’a rien à voir non plus avec les dangers que ces révélations créent pour les agents recrutés localement au Moyen-Orient. Je me souviens très bien combien fréquemment les interprètes irakiens des forces américaines nous ont raconté comment ils avaient plaidé pour obtenir des visas pour eux-mêmes et pour leur famille alors qu’ils étaient menacés en Irak, et comment la plupart d’entre eux se sont fait envoyer au diable. Nous autres Britanniques avons traité nos propres traducteurs irakiens avec la même indifférence.

Alors oublions, un petit instant, le massacre de civils, la cruauté létale des mercenaires américains (certains d’entre eux étant impliqués dans le trafic d’enfants), le meurtre du personnel de Reuters par les forces américaines à Bagdad, l’armée des innocents détenue à Guantanamo, la torture, les mensonges officiels, les fausses victimes, les mensonges de l’ambassade, la formation de tortionnaires égyptiens par les Américains et tous les autres crimes découverts par les recherches d’Assange et Manning.

Supposons que ce qu’ils ont révélé ait été bon plutôt que mauvais, que les documents diplomatiques et militaires aient donné l’exemple lumineux d’un grand pays aux actions morales et démontraient les idéaux très nobles et très lumineux que la terre des hommes libres a toujours épousés. Imaginons que les forces américaines en Irak aient en permanence offert leurs vies pour protéger les civils, qu’elles aient dénoncé les tortures de leurs alliés, qu’elles aient traité les détenus d’Abu Ghraib (beaucoup d’entre eux étant complètement innocents) sans cruauté sexuelle mais avec respect et gentillesse ; qu’elles aient brisé la puissance des mercenaires et les aient renvoyés enchaînés dans les prisons américaines ; qu’elles aient reconnu, même en s’excusant, les cimetières d’hommes, de femmes et d’enfants qu’ils avaient envoyés précocement au tombeau.

Mieux encore, imaginons un court instant comment nous aurions pu réagir à la révélation que les Américains n’avaient pas tué ces dizaines de milliers de personnes, n’avaient jamais torturé une personne, que les prisonniers de Guantanamo, tous, étaient des meurtriers de masse sadiques, lâches, xénophobes et racistes, la preuve de leurs crimes contre l’humanité ayant été prouvée devant les tribunaux les plus pondérés du pays. Imaginons même un instant que l’équipage des hélicoptères américains qui a abattu 12 civils dans une rue de Bagdad ne les ait pas « gaspillés » avec ses armes. Imaginons que la voix sur la radio de l’hélicoptère ait crié : « Attendez, je pense que ces gars-là sont des civils – et ce pistolet pourrait être juste une caméra de télévision. Ne tirez pas ! »

Comme nous le savons tous, tout ça, c’est de la fantaisie. Car ce que ces centaines de milliers de documents représentent, c’est la honte de l’Amérique, de ses politiciens, de ses soldats, de ses tortionnaires, de ses diplomates. Il y avait même un élément de farce qui, je le soupçonne, faisait enrager les Thiessen de ce monde bien plus encore que les révélations les plus terribles. Je me souviendrai toujours de l’indignation exprimée par Hillary Clinton lorsqu’il a été révélé qu’elle avait envoyé ses laquais espionner les Nations-Unies ; ses esclaves du département d’État avaient pour mission d’étudier les détails de cryptage des délégués, les transactions par cartes de crédit et même les cartes de fidélité. Mais qui sur cette terre voudrait perdre son temps à étudier les fadaises émanant du personnel désespérément incompétent de l’ONU ? Et, au fait, qui à la CIA a perdu son temps à écouter les conversations téléphoniques privées d’Angela Merkel avec Ban Ki Moon ?

L’un des télégrammes qu’Assange a révélés remonte à la révolution iranienne de 1979 et présente une évaluation de Bruce Laingen selon laquelle « la psyché persane est d’un égoïsme primordial ». Intéressant. Mais les étudiants iraniens avaient soigneusement reconstitué tous les documents déchirés de l’ambassade américaine à Téhéran dans les années qui suivirent 1979, et avaient déjà publié le texte de Laingen des décennies avant que Wikileaks nous les aient donnés. Hillary [Clinton] dénonçait le premier tas de 250 000 documents comme « une attaque contre la communauté internationale » tout en qualifiant les journaux de « documents présumés », comme s’il s’agissait d’un canular. Ce tas était tellement vaste que peu de gens pouvaient y discerner ce qui était nouveau et ce qui était ancien. C’est pourquoi le New York Times présenta la citation de Laingen comme un scoop extraordinaire en retenant son souffle.

Une partie du contenu n’était pas aussi évidente auparavant : la suggestion selon laquelle la Syrie avait permis aux insurgés anti-américains de traverser son territoire depuis le Liban, par exemple, était tout à fait juste. Mais la « preuve » de la fabrication de bombes iraniennes dans le sud de l’Irak était beaucoup plus douteuse. Ce narratif avait déjà été fabriqué et fourgué au New York Times par des fonctionnaires du Pentagone en février 2007, puis répétée ces dernières années, mais s’est révélée en grande partie absurde : l’équipement militaire iranien était disponible partout en Irak depuis la guerre Iran-Irak de 1980-1988 et la plupart des fabricants de bombes qui l’utilisaient étaient des musulmans sunnites irakiens.

Mais c’est se faire des idées à partir de bêtises sur papier. Une telle sottise est insignifiante comparée aux révélations monstrueuses sur la cruauté américaine : le récit, par exemple, de la façon dont les troupes américaines ont tué près de 700 civils qui s’étaient approchés trop près de leurs points de contrôle, y compris des femmes enceintes et des malades mentaux. Et l’instruction donnée aux forces américaines (vous savez, cette partie de l’histoire livrée par Chelsea Manning) de ne pas enquêter lorsque leurs alliés militaires irakiens fouettaient les prisonniers avec des câbles épais, les suspendaient à des crochets au plafond, leur perçaient des trous dans les jambes à l’aide de perceuses électriques et les agressaient sexuellement. Une enquête secrète américaine (qui constitue elle-même une sous-estimation importante), dénombre 109 000 décès en Irak et en Afghanistan. 66 081 d’entre eux ont été officiellement classés comme non-combattants. Je me demande quelle aurait été la réaction américaine à la mort de 66 000 citoyens américains, soit 20 fois plus que les morts du 11 septembre ?

Rien de tout ça, bien sûr, n’était censé être public, et vous devinez pourquoi. Les pires de ces documents étaient secrets, non pas parce qu’ils s’étaient glissés accidentellement dans un dossier de l’administration militaire portant la mention « confidentiel » ou « pour vos yeux seulement », mais parce qu’ils représentaient le camouflage systématique de crimes d’État à grande échelle.

Les responsables de ces atrocités devraient maintenant être jugés, extradés de l’endroit où ils se cachent et emprisonnés pour leurs crimes contre l’humanité. Mais non, nous allons punir les divulgateurs, aussi pathétiques que soient leurs motifs.

Bien sûr, nous autres journalistes, les gens des « organisations de presse reconnues », pouvons nous inquiéter des conséquences de tout cela pour notre profession. Mais mieux vaut rechercher d’autres vérités, tout aussi périlleuses pour les autorités. Pourquoi ne pas découvrir, par exemple, ce que Mike Pompeo a dit en privé à Mohammed bin Salman ? Quelles promesses toxiques Donald Trump a-t-il pu faire à Netanyahu ? Quelles relations les États-Unis entretiennent-ils encore secrètement avec l’Iran, pourquoi ont-ils même maintenu d’importants contacts (irrégulièrement, silencieusement et à la dérobée) avec des éléments du régime syrien ?

Pourquoi attendre dix ans que le prochain Assange nous arrive avec un autre semi-remorque de secrets d’État ?

Mais le feu rouge habituel, c’est-à-dire ce que nous découvrons à travers le bon vieux journalisme d’enquête, du témoignage des Gorges profondes ou les contacts de confiance, va révéler (si nous faisons notre travail) la même vile tromperie de nos maîtres, celle qui a conduit à la clameur de haine contre Assange et Manning et également contre Edward Snowden : nous ne serons pas mis en accusation parce que la poursuite de ces trois personnes a établi un dangereux précédent juridique. Mais nous serons persécutés pour les mêmes raisons : parce que ce que nous divulguerons prouvera sans recours possible que nos gouvernements et ceux de nos alliés commettent des crimes de guerre. Et les responsables de ces iniquités essaieront de nous faire payer une telle indiscrétion d’une vie derrière les barreaux.

La honte et la crainte de devoir rendre des comptes pour ce qui a été fait par nos autorités en matière de « sécurité », et non la violation de la loi par des lanceurs d’alerte, voilà ce dont il s’agit.

Robert Fisk

 

Article original en anglais : The final punishment of Julian Assange reminds journalists their job is to uncover what the state keeps hidden, The Independent, le 30 mai 2019.

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

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Il y a un peu plus d’un an, le Président français Emmanuel Macron est venu aux États-Unis en apportant deux espèces potentiellement envahissantes à Washington. L’une n’était autre qu’un arbre et la seconde une répression de la liberté d’expression. Ironiquement, peu de temps après la plantation de l’arbre, les autorités l’ont déterré pour le mettre en quarantaine. 

Cependant, l’espèce la plus dangereuse consistait en un organe de contrôle de la parole sur internet, une proposition ayant suscité des applaudissements enthousiastes de la part de nos idiots de politiciens. Même si nos politiciens aux États-Unis applaudissent Macron comme des idiots du village, la plupart des Américains sont de fervents défenseurs de la liberté d’expression. Elle coule dans notre sang.

Cela n’empêche cependant pas Macron, et d’autres en Europe, d’imposer unilatéralement le contrôle de la parole sur Internet grâce à une nouvelle législation en France et en Allemagne. Si vous pensez que c’est un problème européen, détrompez-vous.

Macron et son gouvernement tentent d’éliminer unilatéralement les pensées haineuses d’Internet. Le Parlement français a adopté une nouvelle loi qui donnerait aux sociétés Internet telles que Facebook et Google à peine 24 heures pour supprimer les discours haineux de leurs sites ou faire face à une amende de 1,4 million de dollars par violation. Un vote final est attendu la semaine prochaine. L’Allemagne a adopté une mesure similaire l’année dernière et imposé des amendes de 56 millions de dollars.

Français et Allemands ont cessé d’essayer de convaincre les États-Unis de renoncer à sa protection de la liberté d’expression. Ils ont compris qu’ils n’avaient pas besoin de le faire car, en imposant des sanctions pénalisantes, les grandes entreprises seraient obligées de censurer leur discours même avec des normes mal définies. Il pourrait donc en résulter une limitation de la plus grande invention favorisant la liberté d’expression dans l’histoire du monde. Tout cela se passe sans un soupir d’opposition du Congrès ou de la plupart des organisations de défense des libertés civiles.

Le geste des Européens frappe dans l’angle mort de la Constitution des États-Unis. Le Premier amendement fait un excellent travail de prévention des actions gouvernementales contre la liberté d’expression, et, la plupart des lois limitant la liberté d’expression en Europe seraient inconstitutionnelles aux États-Unis.

Cependant, bien que protégés contre Big Brother, nous restons totalement vulnérables à Little Brother, composé d’entreprises privées disposant d’un large pouvoir discrétionnaire pour limiter et contrôler le discours dans le monde entier.

Le président Emmanuel Macron et Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook

Les Européens savent qu’il est peu probable que ces entreprises suppriment de manière chirurgicale du contenu pour certains pays. L’effet sera similaire à « l’exception Californienne ». Tous les États sont soumis à des normes uniformes en matière d’émissions de véhicules en vertu de la loi sur la propreté de l’air (Clean Air Act), mais une exception a été faite pour la Californie pour imposer des normes plus strictes. Plutôt que de créer des voitures spéciales pour la Californie, les normes les plus strictes ont tendance à régir la conception des voitures.

En terme de contrôle de la parole, les Européens savent qu’ils peuvent limiter la parole non seulement dans leur propre pays, mais aussi pratiquement aux États-Unis et ailleurs.

En effet, les Européens misent sur les succès passés. En 2013, un groupe d’étudiants juifs a utilisé les lois françaises pour poursuivre Twitter afin de le forcer à révéler l’identité de posts anonymes de commentaires considérés comme antisémites. À son crédit, Twitter s’est battu pour protéger l’anonymat, mais les tribunaux européens se sont prononcés contre la société, qui a finalement cédé. L’anonymat se réduit aussi rapidement que la liberté d’expression est écrasée dans ces pays.

Macron sait que les entraves européennes à la liberté d’expression  peuvent être métastasées sur Internet. Elles ont déjà dévasté la liberté d’expression en Europe. Ces lois criminalisent les discours selon de vagues normes faisant référence à « inciter » ou « intimider » des personnes en raison de leur race ou de leur religion. Par exemple, le créateur de mode John Galliano a été reconnu coupable par un tribunal français d’avoir tenu des propos antisémites à l’encontre d’au-moins trois personnes dans un bureau de Paris. Au moment de sa condamnation, la juge Anne-Marie Sauteraud a lu une liste de remarques abusives utilisées par Galliano envers Geraldine Bloch et Philippe Virgitti. « Il a dit » sale pute « au moins mille fois », a-t-elle-dit à voix haute.

Dans un autre cas, le père de la candidate à la présidence conservatrice française, Marine Le Pen, a été condamné à une amende pour avoir qualifié les « personnes de la minorité rom » de « sentir mauvais ». Une mère française a été poursuivie en justice parce que son fils est allé à l’école avec une chemise marquée « je suis une bombe ». Un Allemand a été arrêté pour avoir une sonnerie de téléphone avec la voix d’Adolf Hitler. Un politicien conservateur allemand a été placé sous enquête judiciaire pour un tweet dans lequel elle accusait la police d’avoir apaisé une  » bande de barbares violant des hordes d’hommes musulmans « . Même le ministre allemand de justice, Heiko Maas, a été censuré en vertu de ses propres lois pour avoir traité un écrivain d’idiot sur son compte Twitter.

Le résultat de lois aussi mal définies est prévisible. Une enquête récente a révélé que seulement 18% des Allemands se sentent capables de parler librement en public. Plus de 31% d’entre eux ne se sentent même plus libres de parler en privé avec des amis. Seulement 17% des Allemands se sentent libres de parler sur Internet et 35% affirment que la liberté d’expression est réservée aux petits cercles privés. C’est ce qu’on appelle faire peur, et il faut s’en méfier.

Les Nations Unies ont également demandé à nouveau que le discours haineux soit catégorisé ‘crime international’. Les nations musulmanes veulent que le blasphème soit inclus et Israël veut que l’antisémitisme soit criminalisé. Même dans ce pays, des politiciens comme Howard Dean et divers universitaires ont déclaré que le discours haineux n’était pas protégé par le premier amendement. La représentante Frederica Wilson a appelé à ce que les gens fassent l’objet de « poursuites » pour se moquer des membres du Congrès. Un récent sondage a révélé que la moitié des étudiants américains ne pensaient pas que le discours haineux devrait être protégé.

La triste ironie de la France à la tête des efforts visant à freiner la liberté d’expression est puissante. Jadis, le bastion de la liberté, la France, est devenu l’incarnation de l’une des plus grandes menaces internationales contre la liberté d’expression.

Cela a même conduit à une répression de la presse libre avec des enquêtes criminelles. Pendant des années, nous avons simplement regardé de notre côté de l’Atlantique et avons considéré ces tendances comme des problèmes européens. Avec ces nouvelles lois, cependant, c’est en train de devenir un problème mondial. Les espèces envahissantes de ce Macron sont sur le point d’envahir le Web.

Jonathan Turley

 

 

Article original en anglais : France has turned into one of the worldwide threats to free speech, The Hill,

 

Traduit par Wayan, relu par Lydia pour le Saker Francophone

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La course à la domination de l’Espace

juillet 16th, 2019 by Manlio Dinucci

“L’homme volant envoute Paris au défilé du 14 juillet” : avec des titres comme celui-ci a été décrit le défilé des forces armées françaises le long de l’avenue des Champs Élysées. Comme d’habitude, on a l’impression d’être informé sur tout dans le moindre détail. 

La “grande information” nous cache cependant ce qu’il serait par contre essentiel de savoir. Par exemple, que deux jours avant le défilé le président Emmanuel Macron a assisté, dans le port de Cherbourg, au lancement d’un sous-marin nucléaire d’attaque, le Suffren, premier de la nouvelle série Baracuda, réalisé avec un programme décennal d’un coût de 9 milliards d’euros. Le sous-marin, armé de missiles de croisière à longue portée à double capacité conventionnelle et nucléaire et doté d’un mini-sub pour les opérations des forces spéciales, a été décrit par l’amiral Christophe Prazuck comme “un chasseur né pour combattre les ennemis”.

Parmi les 700 invités internationaux à la cérémonie de lancement se trouvait la ministre australienne de la Défense, Linda Reynolds, qui en février a signé un contrat pour l’achat de 12 sous-marins d’attaque français. En Australie, en ce moment, se discute la possibilité pour le pays, sortant du Traité de non-prolifération, de se doter de son propre arsenal nucléaire. L’Australie, partenaire de l’OTAN, est contraire au Traité sur l’interdiction  des armes nucléaires, approuvé en juillet 2017 par l’Assemblée Générale des Nations Unies avec 122 voix pour. Il a jusqu’à présent été signé par 70 pays mais ratifié seulement par 23 (dont Autriche, Cuba, Mexique, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud et Venezuela), moins de la moitié des 50 nécessaires pour son entrée en vigueur.

La Suède, qui en 2017 l’approuva, a annoncé qu’elle ne le signera pas non plus : décision derrière laquelle se trouve l’influence de l’OTAN, ennemie jurée du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.

Tandis que le désarmement nucléaire reste sur le papier, augmente la possibilité de prolifération et la course aux armements se joue de plus en plus sur le plan qualitatif. Comme le confirme l’annonce faite, à la veille du défilé du 14 juillet, par le président Macron même : la France créera en septembre un nouveau commandement national de la Force militaire spatiale, avec un premier financement de 3,6 milliards d’euros. «La nouvelle doctrine spatiale et militaire qui m’a été proposée par la ministre et que j’ai approuvée, permettra d’assurer notre défense de l’espace et par l’espace» (voir NdT en bas de page), a déclaré le président Macron. 

Ainsi s’intensifie la militarisation de l’Espace, aire d’importance stratégique croissante étant donné que les principaux systèmes d’armes, à commencer par les nucléaires, dépendant de systèmes spatiaux. 

Avec son nouveau commandement spatial la France se place dans le sillage des États-Unis. Le président Trump a signé en février une directive qui institue la US Space Force, force spécifique pour les opérations militaires dans l’Espace, dirigée avant tout contre la Russie et la Chine. Le Comité sénatorial pour les services armés, en attribuant à l’Aéronautique le commandement de la nouvelle Force, a défini l’Espace comme “aire de conduite de la guerre”. Les rencontres promues par les Nations Unies en mars pour empêcher une course aux armements dans l’Espace, ont échoué à cause de l’opposition des États-Unis. Ceux-ci refusent d’ouvrir une table de négociation pour discuter l’ébauche de traité, présentée par Chine et Russie, qui interdit de placer des armes dans l’Espace et stipule une série de limites légales à son usage à des fins militaires.

Pendant que l’attention médiatique se concentre sur l’”homme volant” qui virevolte sur les Champs-Élysées, on ignore le fait que sous peu il y aura des armes nucléaires volantes en orbite autour de la Terre au-dessus de nos têtes.

Manlio Dinucci

 

Article original en italien :

La corsa al dominio dello Spazio

Édition de mardi 16 juillet 2019 de il manifesto

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

NdT : “La nouvelle doctrine spatiale militaire, qui m’a été proposée par la ministre et que j’ai approuvée, permettra d’assurer notre défense de l’espace et par l’espace. Nous renforcerons notre connaissance de la situation spatiale, nous protégerons mieux nos satellites, y compris de manière active. Et pour donner corps à cette doctrine, pour assurer le développement et le renforcement de nos capacités spatiales, un grand commandement de l’espace sera créé en septembre prochain au sein de l’armée de l’air. Celle-ci deviendra, à terme, l’armée de l’air et de l’espace. Les nouveaux investissements indispensables seront décidés”.

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/07/13/discours-aux-armees-a-lhotel-de-brienne 

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Presque unanimement, tant les médias grecs et internationaux que les leaders des principaux partis grecs ont commenté les résultats des élections du 7 juillet 2019 en célébrant “le retour à la normalité” du pays dont la crise a défrayé la chronique européenne pendant la dernière décennie. Retour donc à la normalité car l’addition des scores de Nouvelle Démocratie (39.9 %) et de Syriza (31,4 %) donne un écrasant 71,3 % en faveur du bipartisme qui semble revenir en force après un intermède chaotique qui a vu des masses de citoyens abandonner les partis de leur vieux bipartisme traditionnel et se déplacer pratiquement d’une extrémité à l’autre du paysage politique en des temps record ! Et aussi, quelle meilleure preuve de la réalité de ce retour à la normalité que l’absence des députés de la très néonazie Aube Dorée des bancs du nouveau Parlement hellénique, ce qui annoncerait (?) la fin de ce pur produit d’une période agitée, mais désormais révolue…

Alors, “retour à la normalité” ? Oui, sûrement, mais seulement en apparence. Et tout d’abord, parce que la crise historique (économique, mais aussi sociale et politique) qui a fait naître une Grèce qui ressemblait à l’Allemagne de Weimar comme deux gouttes d’eau, est toujours ici, indifférente aux exorcismes et autres vœux pieux que lui adressent quotidiennement ceux exactement des Grecs et des étrangers qui l’ont provoquée et nourrie. Car, par exemple et surtout, la dette publique grecque, que tous ont appelé – et avec raison – “mère de tous les maux”, n’a pas disparue et continue à étrangler, à gangrener et à faire chanter le pays tant que ceux qui le dirigent (de droite ou de gauche) ne font rien de concret pour affronter le problème à sa racine et refusent obstinément d’auditer cette dette afin d’annuler sa plus grande partie manifestement illégitime.

Mais, pourrait-on rétorquer, la plupart des conséquences politiques de cette crise historique semblent avoir disparu ou tout au moins, rendues inoffensives, Aube Dorée en tête. Oui, effectivement la menace de l’Aube Dorée semble s’éloigner pour de bon et son concurrent direct dans le milieu ultra-raciste et néo-fasciste qui est la Solution Grecque (déjà en crise) parait bien minable et clownesque pour qu’on la prenne au sérieux. Cependant, bien naïf celui qui tirerait de tout ça la conclusion que l’extrême droite grecque a disparu comme par un coup de baguette. En réalité, elle est toujours ici, bien présente et dangereuse, mais peut-être moins visible que par le passé récent car cachée à l’intérieur du parti de la Nouvelle Démocratie dont elle constitue une aile très importante.

En effet, cette aile extrémiste de droite à l’intérieur de ND ne se limite pas à des personnalités comme Adonis Georgiadis ou Makis Voridis, déjà ministres importants du nouveau gouvernement Mitsotakis, dont le passé fasciste violent et raciste dur les rendrait imprésentables même chez Salvini, Le Pen ou Orban. Malheureusement, elle est bien plus large englobant des milliers de cadres et de militants de ce parti, qui ont eu déjà l’occasion de manifester des positions et des attitudes qui feraient d’eux de bons membres même d’Aube Dorée ! La question (cruciale) qui se pose est donc si, quand et comment cette « sensibilité » extrémiste de droite pourra et voudra se manifester ouvertement pour peser de façon autonome sur la vie politique du pays. Un début de réponse nous la donne le précédent du Parti Populaire espagnol, lequel a « hébergé » depuis la fin du franquisme la majeure partie de l’extrême droite espagnole. Tant que régnait la « normalité » dans la vie politique de l’État espagnol, cet « hébergement » pouvait continuer presque sans problème. Mais, tout changea quand le PP vieillissant se montra incapable d’affronter des crises importantes comme par exemple celle provoquée par la lutte du peuple catalan pour son indépendance : La « sensibilité » néo-franquiste et ultra-droitière qui jusqu’à alors se tenait plus ou moins tranquille à l’intérieur du PP, s’autonomisa faisant le bonheur d’un petit parti comme Vox, qui en un temps record voyait ses résultats électoraux passer de 0,4 % ou 0,5 % à plus de 10 % !

Alors, est-ce possible un Vox a la grecque ? Étant donné la profondeur de la crise historique qui persiste, le peu d’enthousiasme populaire que provoque le nouveau gouvernement de droite, les problèmes pratiquement insolubles (problèmes dits « nationaux » des rapports avec les pays voisins, la question des migrants, etc.) qu’il affronte et qui mettront sûrement à dure épreuve l’unité – déjà fragile – du parti, l’existence d’un fort courant extrémiste de droite a l’intérieur de ND représente une véritable bombe à retardement. Et cela d’autant plus que le contexte européen et mondial marqué par la montée en flèche d’une extrême droite agressive, favorise l’autonomisation de ce genre de courants et leur constitution en partis à la droite de la droite traditionnelle. Donc, un Vox à la grecque est non seulement possible mais aussi probable

Évidemment, beaucoup dépendra du principal parti d’opposition, mais Syriza (Coalition de la Gauche Radicale) qui n’a plus rien de radical, se prépare, selon les premières déclarations post-électorales de son président Alexis Tsipras, à se réorganiser de fond en comble pour répondre à deux exigences de sa direction : d’abord, combler l’écart abyssal qui sépare le nombre de ses électeurs, qui sont des millions, du nombre de ses membres, qui ne dépassent pas les quelques milliers. Et ensuite, graver dans le marbre son virage déjà effectué et annoncé vers la social-démocratie [1].

On n’a aucun doute que M. Tsipras entreprendra très bientôt la transformation de Syriza, ou plutôt la fondation d’un nouveau parti, mais la tâche est de taille et son succès prendra du temps et n’est pas garanti d’avance. En attendant, Syriza restera donc un parti électoral, sans base organisée et dépourvu des moyens matériels pour contrôler les masses des Grecs qui ne croient plus à rien et à personne, et qui pourraient transformer à tout moment leur résignation (fruit des défaites historiques successives de ces 8-9 derniers années) en colère violente qui explose de façon chaotique ! Ceci ne veut pas dire que Syriza n’est pas aujourd’hui en bien meilleure posture qu’il y a un, deux ou trois ans, après avoir accompli un vrai exploit électoral, améliorant en quelques semaines son score des élections européennes de 8 points (!) et obtenant seulement 3 % moins que son résultat triomphal de 2015.

Alors, cet exploit électoral suffira-t-il pour que Syriza nouvelle mouture assume avec succès sa part de responsabilités dans ce bipartisme retrouvé, qui garantit le tant désiré « retour à la normalité », que M. Tsipras lui-même s’est empressé de célébrer le lendemain du jour des élections ? La réponse ne peut être que négative dès que l’on tient compte du fait que l’exploit électoral de Syriza cache mal ses énormes faiblesses : L’incroyable bric-à-brac politique de son groupe parlementaire où coexistent eurocommunistes, socialistes, sociaux-démocrates, conservateurs, libéraux et même nationalistes chauvins et racistes d’extrême droite, le manque cruel des cadres expérimentés, ainsi que l’inexistence des liens affectifs et organisationnels de la grande majorité de ses électeurs avec le parti et son programme. Et surtout, ce succès cache mal le fait qu’il est dû en très grande partie à l’absence d’une alternative politique tant soit peu crédible et préparée à sa gauche

En effet, on peut désormais légitimement considérer que les élections du 7 juillet ont scellé la faillite définitive des formations créées il y a quatre ans, pour se démarquer du virage à droite de Tsipras et offrir une alternative de gauche à Syriza. Leurs résultats électoraux – en chute libre – sont plus qu’éloquents : 0,28 % pour l’Unité Populaire (UP) des ministres du premier gouvernement de Syriza (Lafazanis, Stratoulis et Issihos), 1,4 % pour le parti de l’ancienne présidente du Parlement grec Zoé Konstantopoulou. Et aussi, seulement 0,41 % pour la Coalition de la gauche anticapitaliste « Antarsya », qui elle existe depuis 2009 et n’a jamais nourrit la moindre sympathie pour Syriza. A l’exception (partielle) de Antarsya, toutes les autres formations ont vraisemblablement payé cher le fait qu’elles n’ont pas résisté aux tentations chauvines et même xénophobes et racistes qui balayaient le pays. Alors, tandis que Mme Zoé Konstantopoulou prétendait se mettre à la tête de ceux qui promettaient l’échafaud « aux traîtres qui vendent notre Macédoine au bâtards de Skopje, notre Thrace et la mer Égée aux Turcs et – même – l’Épire du Nord aux Albanais » et allait jusqu’au bout de sa « logique » refusant désormais de se situer à gauche (son mot d’ordre est « ni à droite, ni à gauche, en avant »), UP – comme d’ailleurs le PC grec – cherchait le salut dans l’alliance privilégiée « de notre nation avec la Russie » de Poutine. Ce qui l’amenait à descendre dans la rue pour soutenir… Assad ou à qualifier la catastrophe climatique de « plus grande escroquerie de l’impérialisme » ! Et tout ça pendant que le mouvement anarchiste, particulièrement fort en Grèce surtout parmi la jeunesse, passait son temps en vase clos, inventant des insurrections populaires qui existaient seulement dans son imagination… [2]

Le bilan de la gauche grecque, toutes sensibilités et courants confondus, au lendemain des élections du 7 juillet et surtout, 10 ans après l’éclatement d’une crise qui a vu le peuple grec se révolter en masse et abandonner ses partis traditionnels avant d’installer au pouvoir « le premier gouvernement de gauche de l’histoire du pays », peut se résumer en deux mots : QUEL GÂCHIS !

Quel gâchis tout d’abord de cette expérience mondialement unique de l’alliance durable d’une douzaine d’organisations d’extrême gauche avec un petit parti eurocommuniste pour fonder ensemble Syriza. Et quel gâchis de ce « premier gouvernement de gauche » dont la direction a trahi non seulement le résultat du referendum du 5 juillet 2015, transformant le non puissant du peuple grec aux memoranda des créanciers à un oui combien servile, mais aussi et surtout la confiance des millions de gens en Europe et de par le monde qui avaient investi leurs espoirs d’un monde meilleur et plus humain, sans austérité, racistes et fascistes, aux Grecs de Syriza. Bien que l’on ait déjà vu se répéter mille fois depuis un siècle – en Grèce et partout ailleurs – la tragédie de ces directions de gauche qui s’empressent de courber l’échine et de se rendre à l’adversaire de classe, on ne peut pas maintenant s’empêcher de se sentir profondément indignés, blessés mais aussi révoltés devant l’ampleur du désastre

Yorgos Mitralias

Notes :

[1Voir aussi l’article que nous avons écrit à chaud, seulement quelques heures après le volte-face de Tsipras, le 13 juillet 2015 : http://www.cadtm.org/Journees-funestes-du-4-aout-1914

[2KINAL, le parti construit avec ce qui restait de PASOK, a fait le score honorable de 8,1 %, mais le succès de Syriza le condamne à un rôle subalterne de comparse, ce qui provoque déjà des remous en son sein et la défection de certains de ses dirigeants.

Quant au MeRA25 de M. Varoufakis, il a célébré à juste titre son entrée au Parlement, mais il faudra beaucoup plus que le triomphalisme, le flou programmatique et l’inconsistance de son leader pour jouer le rôle d’arbitre qu’il ambitionne.

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DIAL avait publié dans son numéro d’avril un premier entretien avec la missionnaire de l’ordre de la Consolata Mary Agnes Nieri Mwangi, qui vit depuis 19 ans dans la mission Catrimani, en Terre indienne yanomami (TIY). Paolo Moiola, l’auteur de ce premier entretien, en a réalisé un second, cette fois avec le leader yanomami Davi Kopenawa, dont nous publions la traduction ci-dessous. Le texte original a été publié sur le site Comunicaciones Aliadas le 29 avril 2019.


Les Yanomami sont à peu près 35 000 personnes et occupent un territoire qui s’étend des deux côtés de la frontière entre le Brésil et le Venezuela. La Terre indienne yanomami (TIY) instituée par une loi en 1992, a une superficie de plus de 9,5 millions d’hectares entre les États brésiliens de Roraima et Amazonas. Conduisant une politique fortement anti-indienne, le président Jair Bolsonaro la considère d’un oeil de plus en plus mécontent. Dans le même temps la Fondation nationale de l’Indigène (FUNAI), fortement affaiblie par le nouveau gouvernement ne défend pas la TIY contre les invasions de milliers de garimpeiros (mineurs illégaux) qui sont en train de détruire le territoire et la forêt amazonienne, et provoquent pollution par le mercure, violence et maladies au sein de la population indienne.

Le leader yanomami Davi Kopenawa avec Carlo Zacquini, missionnaire italien de l’ordre de la Consolata (photo : Paolo Moiola)

En 2004, le leader yanomami Davi Kopenawa a fondé l’organisation Hutukara, l’une des sept qui agissent sur la TIY dans le but de garantir les droits de son peuple à la terre et à la santé. Son livre autobiographique La Chute du ciel [1], publié en 2010, revendique la lutte des Yanomamis pour leurs droits et leur dignité.

Paolo Moiola, collaborateur de Noticias Aliadas, s’est entretenu avec Kopenawa sur son expérience et la situation de son peuple.

Votre livre La Chute du ciel a été traduit en différentes langues. Quel était son objectif lorsque vous l’avez écrit ?

J’ai écrit le livre La Chute du ciel mais au nom du peuple yanomami. À l’intention d’étudiants, d’anthropologues, de professeurs ; pour donner à voir une façon différente de penser, celle du peuple yanomami. Un certain nombre de blancs nous considèrent comme des animaux, comme des sauvages. J’ai voulu faire montre de mes connaissances et exposer le chemin que nous avons suivi depuis le commencement du monde [selon la cosmogonie yanomami]. À travers ces pages j’ai voulu aller à la rencontre de ceux qui ne nous connaissent pas. Témoigner de la sagesse des Yanomami : ils savent penser, ils savent parler, ils savent raconter l’histoire du monde et de la forêt. C’est un livre qui vous est destiné, vous qui vivez dans les villes et ne connaissez ni les Yanomami ni la forêt.

Quels sont les objectifs d’Hutukara, l’organisation yanomami que vous dirigez ? Comment est-il financé ?

Hutukara défend les droits du peuple yanomami. L’association se porte bien, elle fonctionne bien. Elle a peu d’argent mais elle bénéficie de contributions de Rainforest Alliance, de l’Ambassade de Norvège et d’autres appuis extérieurs. Le Brésil lui ne donne rien.

L’un des engagements de Hutukara est la défense de la terre indienne des Yanomami. Est-ce que les invasions de terres continuent ?

C’est une lutte sans fin : aujourd’hui ils quittent notre terre, mais demain, ils reviendront. Les garimpeiros sont porteurs de maladies : malaria, tuberculose. Sans parler des maladies sexuelles de ceux qui arrivent sans femmes et prennent les nôtres. Ils empoisonnent l’eau. Ils apportent des boissons alcoolisées.

Avez-vous tenté d’ouvrir un dialogue avec les garimpeiros ?

Nous ne nous parlons pas. Je ne veux pas discuter avec eux. Je ne parle pas aux garimpeiros. Je ne parle pas à des envahisseurs.

Dans le domaine de la santé existe le Secrétariat spécial de santé indienne (SESAI), qui dépend du ministère de la santé.

Le SESAI est un organisme du gouvernement fédéral et non des Indiens. Il est certain que les responsables reçoivent beaucoup d’argent de Brasilia, mais ils le volent, ils ne l’utilisent pas en faveur de la santé des Indiens. C’est ainsi que fonctionne le monde des blancs. Et les hommes politiques s’en mêlent toujours.

Dans La Chute du ciel, les envahisseurs dont vous dites qu’ils font partie de vos souvenirs d’enfance sont des missionnaires de l’organisation états-unienne New Tribes Mission. Comment se sont-ils comportés envers vous ?

Les missionnaires qui ont pénétré sur nos terres n’ont jamais bien travaillé. Ils sont venus uniquement pour apprendre notre langue et nos connaissances originales.

En territoire yanomami, il y a dans quelques villages des missions de la Mission évangélique d’Amazonie (MEVA), également d’origine états-unienne. Que pouvez-vous nous en dire ?

Les pasteurs de la MEVA ne nous ont jamais aidés. Ils restaient bras croisés pendant que nous nous luttions et nous souffrions. Sont nos amis ceux qui travaillent avec les populations indiennes. Par exemple, l’Institut socio-environnemental (ISA) [non gouvernemental] et le diocèse de Roraima, mais aussi tous ceux qui défendent la nature. Malheureusement cependant la majorité des blancs ne sont pas nos amis. Nous connaître ne les intéresse pas.

Ce jugement négatif concerne aussi les missionnaires catholiques de Catrimani (Roraima) ?

La Mission Catrimani nous accompagne depuis de nombreuses années. C’est la seule qui respecte notre culture. Elle respecte la religion des xapiri [2] et de notre créateur, dont le nom est Omama. Je me souviens tout particulièrement de Monseigneur Aldo Mongiano [missionnaire de la Consolata et évêque de Roraima de 1975 à 1996. Il a eu de nombreux problèmes avec les hommes politiques et les grands propriétaires locaux du fait de sa proximité avec les populations indiennes] qui nous a aidés et a fait avec nous du bon travail. Nous avons souffert ensemble et ensemble nous avons reçu des menaces.

 

-Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3499.
- Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
- Source (espagnol) : Comunicaciones Aliadas, 29 avril 2019.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial – www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

 

Notes :

[1Davi Kopenawa et Bruce Albert, La Chute du ciel : paroles d’un chaman yanomami, Paris, Plon, 2010, 819-32 p. Le livre a d’abord été publié en français, puis traduit en différentes langues – note DIAL.

[2Esprits – note DIAL.

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Ce n’est pas une révolution aussi verte que la peignent ses défenseurs, elle n’est pas non plus aussi chère que le disent ses détracteurs. L’économiste Pablo Messina aborde les grandes lignes de la modification du système énergétique uruguayen dans la dernière décennie, qui a conduit à ce que la moitié de l’électricité du pays soit aujourd’hui produite par des éoliennes. Membre de la Coopérative COMUNA, il questionne le système tarifaire qu’il qualifie d’inégal et injuste, plutôt que cher. Il critique la privatisation qui est allée de pair avec l’arrivée des énergies renouvelables. « Il faut revoir cette idée des énergies renouvelables comme bon capitalisme vert face aux hydrocarbures des méchants capitalistes. C’est comme l’histoire du bon policier et du méchant policier, en fin de compte, tous deux travaillent pour la même institution répressive. Les énergies vertes et les hydrocarbures fonctionnent tous deux selon la logique du capital et sont complémentaires plus qu’antagonistes », explique-t-il.

Pablo Messina, économiste, est membre de la Coopérative COMUNA, espace qui réunit divers chercheurs en sciences économiques qui conseillent et collaborent avec des organisations du monde populaire. Dans ce cadre, ils travaillent depuis 10 ans conjointement avec AUTE, le Syndicat des travailleurs de l’entreprise publique d’État d’énergie électrique de l’Uruguay, UTE. Ils analysent la situation énergétique du pays à partir de ce point d’observation, nuancent certains aspects de la supposée « révolution verte » qu’a signifié le changement de matrice énergétique et discutent aussi avec les voix qui soutiennent que c’est un modèle basé sur les coûts élevés que paient les usagers et usagères particuliers.

Messina caractérise en trois points le modèle énergétique uruguayen. En premier lieu, il est 100% dépendant de l’importation de pétrole, malgré les récentes tentatives d’exploration de nouvelles frontières hydrocarburifères, loin de la côte et non conventionnelles. En deuxième lieu, la production énergétique, tant pour le raffinement du pétrole que pour la production principale d’électricité, a historiquement été prise en charge par les entreprises publiques, la pétrolière ANCAP et l’électrique UTE. Ce processus s’est vu modifié par la troisième caractéristique : aujourd’hui la presque totalité de l’électricité provient de sources non fossiles, près de 55% d’hydroélectricité et le restant en énergies renouvelables non conventionnelles, principalement les éoliennes. « Ce changement signifie que l’entreprise étatique avait pratiquement le monopole de la production, jusqu’à l’ère progressiste, qui avec le Front large au pouvoir change drastiquement les choses », soutient l’économiste. « Ce sont quelques-unes des caractéristiques et des phénomènes les plus récents de la transition énergétique en Uruguay. Le fait que nous ayons une matrice électrique presque 100% renouvelable est très connu, mais la transition a aussi un côté trouble où le public a perdu du terrain puisqu’elle a été effectuée sur la base de privatisations et de capture de rentes de l’entreprise publique par de grands groupes. Ce deuxième aspect n’est pas connu. »

D’où a surgi toute cette proposition d’énergies renouvelables dans le pays ?

Il est intéressant de regarder en arrière pour retrouver les politiques à l’origine de cette transition. La première, c’est un décret de la dictature civico-militaire uruguayenne en 1977, qui est connue ici comme la Loi d’électricité, est toujours en vigueur aujourd’hui. C’est ce qui permet la production privée d’électricité. Jusqu’alors il y avait un monopole légal de la UTE pour la génération. Mais bien que les règles changent, cela n’a pas eu d’incidence réelle.

Quand arrivent les années 90, avec la vague du Consensus de Washington, on largue une Loi de services publics en 1991, qui prétend privatiser les entreprises publiques. Cette loi est en grande partie bloquée par un plébiscite gagné avec 72% des voix en 1992. Quelques entreprises sont alors privatisées, mais l’immense majorité, dont la UTE, reste propriété de l’État et la production reste entièrement publique.

En 1997 est mis en place un cadre régulateur pour générer un marché électrique, qui s’appuie sur la loi de 1997, mais avec des normes régulatrices plus affinées qui facilitent la production électrique privée. Mais la crise arrive et génère un contexte économique peu propice au développement. En 2008, alors que le Front large est au pouvoir [2] est votée une planification qui prévoit une très forte avancée vers les énergies renouvelables. On l’appelle « le plan de politiques énergétiques 2005-2030 », bien qu’il soit lancé en 2008. Et en 2010 il y a un accord multipartite pour avancer dans ce projet et là oui, prenant appui sur la loi édictée lors de la dictature et le cadre régulateur des années 90, et avec un consensus politique très fort, ils commencent à promouvoir la loi de licitations pour que les investisseurs privés s’impliquent dans la production d’énergie, en particulier de l’énergie éolienne.

Quelle est, selon toi, la raison pour laquelle un gouvernement progressiste, comme l’est celui du Front large, prend cette décision qui aboutit à la privatisation d’une bonne partie du secteur ?

J’ai du mal à identifier une raison, mais sans doute y en a-t-il une d’ordre idéologique. Elle doit avoir un rapport avec la croyance que si une entreprise privée le fait, c’est mieux, c’est ça l’idée de fond. Une autre raison est en rapport avec l’idée que l’État pourrait arriver à le faire bien, mais qu’il n’a pas les finances. Mais c’est une idée que l’on peut facilement démentir. Pour prendre un exemple, l’État uruguayen a négocié avec le BID une ligne de crédit pour les privés qu’il aurait pu utiliser pour lui-même. En outre l’entreprise d’État uruguayenne UTE dispose d’excellentes conditions financières. En ce sens, elle aurait pu, si elle en avait eu la volonté, générer toute une batterie de programmes économico-financiers pour assurer le gros des investissements dans l’éolien. Mais ce qu’ils ont fait c’est générer un cadre régulateur favorisant encore plus les privés, en leur donnant ces canaux de crédits, dont l’État se porte garant. Ces crédits sont pour les investisseurs privés, non pour l’État uruguayen, qui aurait pu demander un prêt pour investir dans l’éolien.

Dans le même contexte est votée la Loi de promotion des investisseurs, spécifique aux énergies renouvelables. C’est intéressant parce qu’on publie un décret où l’investissement que réalise la UTE ne peut être déclaré d’intérêt national, par conséquent, un parc éolien où investit l’État via la UTE ne peut être déclaré d’intérêt national par l’État uruguayen, mais si c’est un investisseur privé qui le fait, c’est possible. C’est tout un paquet de politiques qui se conjuguent pour favoriser et faciliter la privatisation.

Alors, existe-t-il, oui ou non, une « révolution des énergies vertes » en Uruguay ?

D’abord il faut situer l’Uruguay comme un pays tout petit, comme une province, pour mettre à leur juste place ces mots : « Quelles dépenses ! L’éolien représente presque 34% ou 35% de l’offre cette année ! » Pour avoir une idée, on parle en fait de moins de 1 500 MW de puissance éolienne installée [3]. De ces 1 500 MW, seulement 11% relèvent de l’entreprise publique, c’est-à-dire que 89% relèvent de l’offre privée.

Ensuite, il faut repenser cette idée des énergies renouvelables comme le bon capitalisme vert et des hydrocarbures comme les méchants capitalistes. C’est comme parler du bon policier et du méchant policier, au fond, tous deux travaillent pour la même institution répressive. Les énergies vertes et les hydrocarbures fonctionnent tous deux selon la logique du capital et sont complémentaires plus qu’antagonistes. D’un point de vue métabolique, du point de vue du système énergétique, il est fondamental de comprendre cela. Pour qu’il y ait une éolienne, il faut qu’il y ait une exploitation minière, il faut qu’il y ait de la sidérurgie, il faut qu’il y ait l’industrie du verre pour faire les pales, parce qu’elles ne se fabriquent pas à partir de rien. Alors quand on regarde le cycle énergétique de ce parc éolien, c’est nettement moins enthousiasmant.

Et si on analyse quel est le composant national des investissements, il y a un petit peu de construction, pratiquement pas de métallurgie et le plus gros composant national des investissements éoliens sont les conseils juridiques et financiers. Voilà donc un business qui bénéficie à un cabinet d’avocats, avec aussi toute une série d’entreprises qui sont des développeuses de projets qui évoluent plutôt dans la sphère financière, sans rapport avec l’économie réelle et la production. Cela n’apporte rien sur la plan productif ou technologique.

Il me semble donc que le modèle uruguayen montre qu’il ne faut fétichiser aucune source d’énergie. Les sources sont toutes naturelles, il est bon d’utiliser les meilleures, en essayant évidemment de transcender les énergies fossiles, parce qu’elles ne sont pas durables et que nous nous acheminons vers une crise économique, écologique et civilisationnelle. Mais il est impossible de penser, dans le cadre du capitalisme, que nous allons pouvoir résoudre ces contradictions, parce que les technologies verte et pétrolière sont complémentaires, et parce que le capitalisme a besoin de phagocyter à son profit la nature et la classe ouvrière. Disons que ce sont ses deux sources de richesse et qu’il doit les manger pour se reproduire.

Partant de l’idée que ce doit être l’État qui contrôle le secteur énergétique, dans ce cas à travers la UTE, crois-tu qu’il y ait une crise pour penser le modèle de gestion de l’entreprise publique ? Je pense, par exemple, au rôle des travailleurs et travailleuses, des usagers et usagères dans ce processus.

Oui, bien sûr, disons que le problème de gestion de l’entreprise publique est sans aucun doute un problème important et ancien. De fait il y a quelques débats historiques en Uruguay qui sont bien significatifs. L’entreprise apparaît en 1912, à cette époque il y avait quelques courants qui disaient que les travailleurs doivent faire partie du directoire, c’est un des combats qui ont été mené et qui ont toujours été perdu. Il s’est passé la même chose dans les années 30 quand surgit l’autre entreprise énergétique, ANCAP, qui est celle de la raffinerie de pétrole.

En Uruguay, la gouvernance du secteur électrique est bien particulière. Si l’on regarde ce que l’on appelle le marché électrique, y participent l’entreprise UTE et son directoire, les grands consommateurs que sont les grands groupes économiques industriels et les producteurs privés d’électricité qui sont aussi, en général, de grands groupes économiques industriels ou financiers. Mais ni les syndicats de l’entreprise électrique ni les particuliers usagers n’y participent. Il y a donc clairement une concentration classiste de la participation dans la gouvernance de l’électricité en Uruguay, classiste dans le sens le plus excluant possible : seuls peuvent y participer les représentants de la classe dominante. Cela implique évidemment la nécessité de discuter aussi à fond ce modèle : la défense du secteur public est importante, mais pas nécessairement celle du modèle actuel. Parce que le modèle actuel du secteur public exclut en réalité de la prise de décision les secteurs populaires.

Quel rôle pourrait avoir là dans ce processus les usagers et usagères ?

AUTE, le syndicat de UTE, promeut l’idée d’un mouvement d’usagers, en nous appuyant sur des antécédents historiques de divers endroits. Le premier que nous avons vu a été le cas mexicain, quand a éclaté le conflit sur la privatisation de l’entreprise électrique. Là le syndicat fait non seulement une grève énorme, mais en plus, quand il se met en grève, il aide à connecter et déconnecter des foyers, leur permettant d’accéder à l’électricité même s’ils ne payaient pas. Ils ont lancé alors l’idée d’un mouvement d’usagers, qui appuie la grève des travailleurs, avec aussi l’idée qu’il pourrait participer à la gouvernance de l’entreprise.

Après, en regardant un peu plus loin dans le passé, il y a deux autres exemples qui nous ont beaucoup inspirés. Le premier, c’est en Italie durant les années 70, quand se produit un mouvement de refus de paiement. C’est un mouvement d’usagers qui est aussi en connivence avec le syndicat et les travailleurs de l’entreprise électrique. Il s’est passé quelque chose de très intéressant : on payait seulement la moitié du tarif, si le receveur de l’entreprise venait, il notait qu’il avait été payé, mais il ne faisait payer que la moitié. Les usagers disaient « jusqu’à la moitié nous payons, mais pas plus ». Et dans quelques zones où l’organisation populaire était plus forte, ils avaient la consigne de payer le même tarif que les patrons, c’est-a-dire quatre fois moins.

Le deuxième cas, que nous avons trouvé plus récemment, s’est produit en Uruguay en 1935 et à nouveau en 1960 : des groupes d’habitants à l’intérieur du pays se sont organisés pour accéder à l’électricité et pouvoir payer moins cher. Là nous nous sommes dit, bon, nous avons des antécédents immédiats dans la région, des antécédents historiques dans notre pays. Faire revivre ces traditions de lutte pour les penser aujourd’hui nous semble une bonne chose. Et cela, non seulement pour mener un combat au sujet du prix, dans ce cas le tarif, qui est une chose plus éphémère, mais pour discuter de la gouvernance de l’énergie en Uruguay.

Es-tu d’accord avec l’idée que le modèle énergétique uruguayen repose sur des tarifs excessivement élevés pour les particuliers ?

En général quand quelqu’un vient de l’étranger il dit : « Aïe, les tarifs en Uruguay sont élevés, non ? ». Ce n’est pas le cas. Il faut prendre en compte le fait que le tarif n’a pas qu’un seul niveau qu’on pourrait calculer, il a plutôt une structure avec, depuis la Loi d’électricité de la dictature, plusieurs types de consommateur qui sont, en simplifiant, les particuliers (tarif résidentiel), le commerce (tarif moyen) et les industries (tarif des grands consommateurs). Comparer le prix est donc difficile, avec plusieurs subtilités à prendre en compte : on convertir tout en dollars mais le dollar ne coûte pas la même chose partout et le panier du consommateur de chaque pays est distinct. Faire cette comparaison requiert beaucoup de soin, quand on fouille un peu plus, qu’on regarde le tarif résidentiel uruguayen et qu’on le compare avec des générateurs qui ont une densité de clients au kilomètre carré semblable à celle de l’Uruguay, il n’est pas parmi les plus chers. De fait, quand on compare à des entreprises argentines avec une densité de clients semblable à l’uruguayenne, les compagnies privées sont plus chers que les publiques. Même chose pour ce que nous pouvons appeler le tarif industriel de grands consommateurs. Si on le compare à quelques tarifs de type industriel d’autres pays de la région, il apparaît que le nôtre est relativement bon marché. Mais quand on compare le tarif résidentiel que paient les particuliers, le nôtre est l’un des plus chers. Pour cette raison aussi le syndicat des travailleurs de la UTE considère que le tarif est plus injuste qu’élevé ou bas, parce qu’il a une fond structurel ambiguë. La spécificité de l’Uruguay est la brèche énorme qu’il y a entre les coûts de l’électricité résidentielle et de celle des grands consommateurs, qui paient en gros la moitié.

Quelle forme prennent ces inégalités ?

En plus des inégalités au sein de la structure tarifaire même, il est vrai également que le tarif résidentiel représente un effort distinct selon les différentes couches sociales. Sur ce point, les données dont nous disposons sont très anciennes, une nouvelle enquête sur les dépenses des ménages est seulement en train d’être réalisée maintenant, nous pourrons donc répondre plus précisément à cette question dans quelques années. Sur la base de ces données anciennes, la facture d’électricité représente environ 4% des dépenses des foyers. Mais quand on sépare la population en fonction des revenus, on se rend compte que la facture d’électricité représente 10 à 12% du budget des 10% les plus modestes, contre 2% pour les 10% les plus riches. Et si l’on regarde la consommation en kilowatt/heure, celle des plus riches représente en moyenne deux fois et demie celle des plus pauvres. L’effort que représente en Uruguay pour un foyer aux faibles ressources le paiement de la facture d’électricité est clairement énorme, il y a donc là aussi une inégalité importante. Depuis 2010 certains changements ont été opérés dans la structure tarifaire pour tenter de réduire cet important problème.

Plusieurs réponses ont été essayées, comme la création du tarif de base, que j’appelle moi le tarif des « seules et seuls », car en réalité, si tu as une structure familiale plutôt grande, il est très difficile de s’en tenir à ce niveau. C’est donc un très bon tarif pour encourage l’économie d’électricité, mais bien moins pour la redistribution. À ce tarif en ont été ajouté d’autres dans la même logique, avec quelques facilités qui sont liées aux programmes de transferts de revenus, similaires aux allocations familiales qui existent en Argentine. La population en extrême pauvreté peut désormais bénéficier d’un tarif avantageux, il y a donc un secteur minoritaire, très paupérisé, qui a bénéficié de ces changements. Il faudrait donc nuancer les estimations faites à partir des données de 2005-2006 en intégrant ces changements qui ne peuvent pas pour l’instant être évalués faute de données plus actuelles.

Dans votre travail aux côtés du syndicat de UTE, qu’a-t-il été pensé en termes de propositions pour faire face à cette inégalité des tarifs ?

Ce que nous avons élaboré à COMUNA en association avec AUTE c’est une proposition basée sur la considération que l’accès à l’électricité doit être un droit humain de base. Nous avons toujours dit qu’en Uruguay le lait ne paie pas la TVA, parce que si on met la TVA sur le lait, ça se terminera en insurrection populaire. Pourtant il y a des gens qui ne boivent pas de lait ou sont allergiques au lactose. Mais avec l’électricité, oui, on comprend bien que cela intéresse tout le monde et qu’elle est indispensable au XXIe siècle. La TVA sur l’électricité est pourtant de plus de 22%. Nous avons donc fait une proposition qui compte deux volets. Le premier est la réduction de la TVA sur tous les coûts fixes associés à la facture d’électricité et que, jusqu’à une consommation de 200 kWh, on ne paie pas de TVA. Ce qui se consomme jusque ce niveau est un droit humain, c’est une consommation de base. Et au-delà de 200 kWh, oui, on paierait la TVA. Cela représente une perte de revenus pour l’État qui doit être compensée par un second axe de changement, qui consiste en l’augmentation de 5% du tarif des consommateurs moyens et de 10% du tarif des grands consommateurs.

Voilà la proposition qui a été faite pour laquelle on se bat depuis un plus d’un an. Elle est associée à l’idée de lancer un mouvement d’usagers, pour lui donner une force non seulement au niveau syndical mais aussi territorial. Il faut que les foyers qui paient leur facture tous les mois disposent d’une forme d’organisation pour contribuer à la lutte pour le changement tarifaire.

Crois-tu que cette lutte coïncide avec celle qui a lieu dans d’autres pays de la région autour de la transition et de la souveraineté énergétique ? En divers territoires on a avancé avec des propositions qui combinent la défense du contrôle public du secteur avec des expériences comme la production distribuée par le biais d’autres acteurs comme les coopératives et l’autoproduction résidentielle.

Penser la transition est une bonne idée, mais je ne crois pas qu’il y ait un modèle unique de gouvernance de la production et de la distribution. Par exemple, je trouve important d’optimiser la consommation résidentielle et que les résidants puissent produire à petite échelle, mais ce n’est pas le changement systémique qui va solutionner le problème que nous avons aujourd’hui. Cette idée de minighettos autonomes revient souvent mais elle n’a pas de vision d’ensemble, c’est problèmatique.

Je sais par ailleurs que dans d’autres pays les coopératives fonctionnent comme agents de distribution, mais il faut se montrer prudent vis-à-vis de ces expériences, parce que cela peut générer un petit monopole local, où le groupe de propriétaires de cette coopérative disposent d’un très grand pouvoir sur la communauté. Et si on pense à la production, les ressources énergétiques ne sont pas distribuées de façon équitable sur le territoire, il y a donc des rentes différentielles. Ces ressources peuvent se trouver dans la terre, mais prendre la forme d’énergies distinctes, ce qui peut générer ou creuser des inégalités territoriales. Mon avis est donc qu’il ne faut idéaliser aucune forme ; il faut comprendre que l’important c’est d’avoir le plus grand contrôle démocratique possible. Voilà en quelque sorte les deux prémisses, les formes dépendent ensuite de chaque lieu, contexte et société. Je crois que dans le cas uruguayen la forte tradition d’identification du peuple avec l’entreprise publique invite, me semble-t-il, à la maintenir, mais à changer la gouvernance, qui aujourd’hui exclut les travailleuses et les travailleurs de la UTE de même que les usager et usagères résidentiels parce qu’elle est exercée par de grands groupes économiques. Il faut donc générer une autre corrélation de forces, où travailleurs et communauté puissent prendre part aux décisions importantes, c’est-à-dire démocratiser.

 

Cet entretien a été publié sur le site de l’Observatorio Petrolero Sur (OPSur) le 4 avril 2019 [1].

Carte en vedette : Carte centrales électriques Urugay.

-Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3498.
- Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
- Source (espagnol) : Observatorio Petrolero Sur, 4 avril 2019.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial – www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

Notes

[1La série d’articles « Alternatives pour la souveraineté énergétique » est financée par la Fondation Rosa Luxembourg (FRL) avec des fonds du ministère fédéral de coopération économique et développement d’Allemagne (BMZ). Le contenu de la publication est sous la responsabilité exclusive d’OPSur, et ne reflète pas nécessairement une position de la FRL.

[2Le Front large remporte les élections de 2004 et est au pouvoir depuis lors – note DIAL.

[3Tandis qu’en Uruguay la puissance installée d’électricité était de 4 244 MW en décembre 2017 (dernier rapport de l’Administration du marché électrique), en Argentine la puissance installée atteignait 38 609 MW en février 2019 selon les données de CAMMESA – note d’OPSur.

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Avant qu’Emmanuel Bonne, l’envoyé spécial du président français Emmanuel Macron en Iran, rende visite au président Hassan Rouhani, il a promis de dénouer la crise du « Grace I » entre l’Iran et le Royaume-Uni. L’Iran jugeait la confiscation par le Royaume-Uni de son superpétrolier chargé de deux millions de barils de pétrole comme un acte de piraterie illégal et menaçait d’user de représailles en réponse à cette attaque par la marine britannique contre le pétrolier iranien, qui avait été autorisé à entrer dans les eaux de Gibraltar pour se ravitailler et se procurer des pièces de rechange. L’intervention française a permis la libération du capitaine et des marins. En échange, la diplomatie iranienne a promis de « ne pas attaquer de navires britanniques naviguant dans les eaux du golfe Persique et dans le golfe d’Oman », d’ici à ce que le superpétrolier « Grace I » soit autorisé à se rendre à destination, ce que des sources haut placées à Téhéran ont confirmé. Mais si cette autorisation ne vient pas et que le navire n’est pas relâché, le R.U. devra en subir les conséquences.

La marine du Corps des gardiens de la Révolution iranienne patrouille les eaux du golfe Persique et mène des inspections de routine sur des navires, sans vouloir nécessairement stopper quelque navire ou pétrolier que ce soit. Cette activité de routine était perçue par les Britanniques comme une tentative de kidnapper un de leurs navires, ce qui n’a pas manqué de soulever d’autres inquiétudes pour la sécurité de la libre navigation dans le golfe Persique.

Selon des sources au sein du Corps des gardiens de la Révolution,

« Si l’Iran avait voulu frapper des cibles ou des navires britanniques, ce n’aurait pas été sous la forme d’un affrontement direct; le message aurait été plus implicite. La chose est toujours possible si le R.U. ne relâche pas notre superpétrolier détenu à Gibraltar. Le superpétrolier a le droit légitime d’aller où bon lui semble. L’Europe n’est pas en position de dicter à l’Iran dans quels pays du monde il doit livrer sa production pétrolière. Nous avons le pouvoir d’intercepter et de bloquer tout navire britannique qui navigue et de forcer une inspection. Ce genre de procédure peut entraîner un affrontement militaire que les deux pays souhaiteraient éviter. Il est temps que le R.U. se comporte comme un pays européen et non pas comme une colonie étasunienne. »

Les responsables iraniens sont convaincus que les USA voulaient envoyer un message à l’Iran lorsque l’administration Trump a prévalu sur le gouvernement du R.U. pour qu’il détienne le « Grace I ». Le message des USA est une réponse à leur drone nec plus ultra abattu au-dessus de l’Iran. Il vaudrait mieux toutefois que Londres évite d’appuyer sans réserve la politique unilatérale, belliciste et illégale des USA envers le Moyen-Orient, plus particulièrement vis-à-vis de l’Iran, de manière à éviter les représailles graves de l’Iran. Des responsables européens se plaignent d’ailleurs déjà à leurs homologues iraniens de la politique indépendante et anarchique du R.U., qui fait pourtant encore partie de l’Union européenne.

« L’Iran a déjà asséné de nombreux coups aux USA : le président Rouhain a rejeté 12 requêtes étasuniennes de rencontres avec son homologue Donald Trump. Le leader Sayyed Ali Khamenei a également insulté Trump en refusant d’ouvrir la lettre  du président des USA que le premier ministre japonais Shinzo Abe lui avait transmise. En outre, le Corps des gardiens de la Révolution, qui fait maintenant partie de la liste étasunienne des groupes terroristes, a abattu un drone US au-dessus du golfe et les Étasuniens ont été incapables de riposter. Trump voulait frapper plusieurs cibles iraniennes inoccupées pour sauver la face. Il s’est buté à la détermination iranienne de frapper à son tour des objectifs étasuniens et moyen-orientaux, plus particulièrement dans les pays où se trouvent des bases US », de poursuivre la source.

« De plus, l’acte de sabotage contre des pétroliers à al-Fujairah et l’autre frappe dans le golfe d’Oman pourraient entraîner une concentration de forces navales des USA et de la coalition dans le Golfe. Si cela se produit, cela voudra dire que les USA, l’UE et d’autres forces navales patrouilleront dans les eaux du golfe. Ce sera pour nous une bénédiction, car au lieu de cibler des objectifs loin de nous, des cibles navales se retrouveront à peu de distance de nos missiles. Par exemple, si un porte-avions est dépêché dans nos eaux, il sera à nos yeux un cercueil flottant avec des milliers d’hommes à bord. Les missiles fabriqués en Iran peuvent détruire toute cible en cas de guerre imposée à notre pays. Nous ne craignons donc pas la force navale de la coalition étasunienne, car la moindre erreur déclenchera de grandes et profondes conséquences », a confirmé la source.

Ces dernières semaines, des officiers de haut rang des Émirats arabes unis se sont rendus à Téhéran pour discuter avec les responsables iraniens d’une nouvelle politique à l’égard du Moyen-Orient. C’est que les Émirats ont décidé de modifier leur politique belliciste contre le Yémen et l’Iran et veulent éviter que leur pays ne soit pris pour cible.

« Les Émirats préféreraient éviter que leur pays se transforme en champ de bataille entre les USA et l’Iran en cas de guerre, notamment si Trump est réélu. Les responsables émiratis ont bien vu que les USA n’ont pas réagi après la riposte de l’Iran dans le golfe, notamment quand le drone étasunien a été abattu. Cela indique que l’Iran se prépare à un affrontement et qu’il exécutera sa menace explicite de frapper tout pays à partir duquel les USA lanceront leurs attaques contre l’Iran. Nous voulons rester en dehors de tout cela », a dit un responsable émirati à son homologue iranien à Téhéran.

L’Iran a promis de discuter avec les responsables yéménites pour qu’ils évitent de frapper des cibles à Dubaï et Abou Dhabi si les Émirats retirent leurs forces du Yémen et mettent fin à cette guerre inutile. Le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane se retrouve ainsi sans son principal allié émirati, en étant pris dans une guerre impossible à gagner pour le régime saoudien. Les Houthis yéménites ont pris l’initiative en frappant plusieurs cibles stratégiques saoudiennes. L’Arabie saoudite n’a pas d’objectifs réalistes et semble avoir perdu tout appétit de poursuivre la guerre au Yémen.

Mais les Saoudiens ne sont pas les seuls en difficulté : l’Europe reste divisée quant à la meilleure politique à adopter envers l’Iran. Le gouvernement britannique prétend s’opposer au retrait unilatéral et illégal de l’accord sur le nucléaire iranien, mais se comporte comme un vassal des USA dans l’affaire du superpétrolier « Grace I ». Les Français et les Allemands s’opposent au comportement britannique et voudraient que l’Iran respecte l’accord sur le nucléaire, en proposant d’offrir un canal de financement (INSTEX) qui les éloigneraient sensiblement de la position des USA.

L’Iran exporte son pétrole, sans s’inquiéter des menaces et des sanctions des USA. La Russie a promis d’entrer en scène si l’Europe n’arrive pas à satisfaire l’Iran avec son système INSTEX. La Chine achète du pétrole de l’Iran, infligeant ainsi un camouflet aux sanctions des USA. Voilà maintenant que les Émirats demandent la protection de l’Iran ou, à tout le moins, un accord de non-guerre. Trump devra se résigner à ce que l’administration Obama avait réalisé : les sanctions n’ont jamais fonctionné, l’Iran ayant survécu malgré elles. Même si le motif de Trump est de déchirer tout accord signé par Obama, il finira bientôt par se rendre compte que sa « pression maximale »  ne fonctionne pas, qu’elle n’amènera pas l’Iran à la table de négociations. Il s’agit là d’un constat très douloureux et dommageable qui sera sans aucun doute utilisé contre Trump par ses opposants politiques pendant la campagne électorale de 2020. Trump s’est engagé lui-même dans une guerre perdue d’avance et il n’en ressortira pas indemne, même s’il est réélu.

Elijah J. Magnier

Traduction de l’anglais : Daniel G.

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Irak: un Premier ministre qui veut dissoudre les milices

juillet 15th, 2019 by Gilles Munier

Le 1er juillet dernier, Adel Abdel Mahdi, Premier ministre, a publié un décret ordonnant aux milices chiites – et d’autres obédiences ethniques et religieuses – de s’auto-dissoudre, fermer leurs sièges à Bagdad et en province, ainsi que leurs sociétés commerciales. Il leur a donné jusqu’au 31 juillet pour se fondre réellement dans l’armée nationale, dans la police ou pour se transformer en parti politique. Celles qui refuseront d’obtempérer seront déclarées illégales et passibles de poursuites.

Moqtada al-Sadr qui réclame depuis longtemps l’interdiction des groupes armés a aussitôt ordonné le démantèlement de ses Brigades de la paix (Saraya al-Salam). Les milices reconnaissant l’autorité d’Ali al-Sistani sont déjà en partie intégrées dans l’armée depuis qu’en décembre 2018, le Grand ayatollah le leur a demandé.

Conseillé par le général Abdul Amir Yarallah – ancien chef du commandement conjoint anti-Etat islamique à Mossoul – Adel Abdel Mahdi veut incorporer les miliciens considérés comme pro-iraniens dans de nouvelles brigades tenant compte des équilibres ethniques et religieux irakiens et qui seraient constituées majoritairement de combattants indépendants, c’est-à-dire rétifs aux influences étrangères. Vaste programme, inspiré peut-être par son vieux fond baasiste !

Le Premier ministre, qui a mis plus d’un an pour former son gouvernement, s’attend à toutes sortes de tergiversations de la part de certaines milices, membres ou pas des Hachd al-Chaabi (Unités de mobilisation populaire : 130 à 140 000 combattants). Des affiches ont été placardées anonymement dans Bagdad l’accusant d’avoir pris sa décision sous la pression des Etats-Unis et lui répondent que les Hachd continueront d’exister.

En mars 2018, Haïdar al-Abadison prédécesseur – les avait intégrées aux forces de sécurité et placées sous son commandement : cela n’avait eu pour effet que d’accorder un salaire aux membres de plus d’une soixantaine de milices.

Considérées comme intouchables en raison de leur participation à la guerre contre l’Etat islamique, plusieurs milices ont commis des « exactions » dénoncées par l’ONG Human Rights Watch. Aujourd’hui, certaines disposent encore de prisons secrètes, rackettent la population aux check points, interdisent l’entrée de leurs bases aux représentants du gouvernement.

Les milices visées par les Américains 

De toute évidence, le décret anti-milices a été publié sous la pression du secrétaire d’Etat US, Mike Pompeo, revenu à la charge après le bombardement  par sept drones tirés par Ansar Allah – la résistance yéménite – sur un pipeline de l’Aramco, dans le centre de l’Arabie.

Cette attaque, attribuée sans preuve par les services secrets américains et israéliens au Hezbollah irakien, fait suite à celles – non revendiquéesdepuis juin – de bases US en Irak : tir de mortier sur les bases de Balad et de Taji, tir d’une salve de roquettes Katioucha sur le complexe de Burjesia, abritant des sociétés pétrolières près de Bassora, dont la société américaine Exxon Mobil.

Outre la dissolution du Hezbollah irakien, qualifiée d’organisation terroriste par le Département d’Etat US, Mike Pompeo réclame celles des Brigades Badr, d’Asa’ib Ahl al-Haq, des Kata’ib Al-Imam Ali, de Harakat Hezbollah al-Nujaba, et de Saraya al-Khorasani, dont la chaîne de commandement aboutirait – selon les occidentaux  – au général Qassem Suleimani, chef de la Force Al-Qods des Gardiens de la révolution iranienne.

Abdel Mahdi sur un siège éjectable

Intelligemment, la plupart de ces dernières ont accepté  de jouer le jeu – sans doute du bout des lèvres – conscientes qu’en cas de guerre Etats-Unis/Iran, il leur suffira de lancer un appel pour que leurs partisans quittent l’armée, avec armes et bagages.

Pour l’instant, le Hezbollah irakien, dirigé par Abou Mahdi al-Mohandis, n’a pas réagi clairement au décret du Premier ministre. Il s’étonne qu’Abdel Mahdi n’ordonne pas également la dissolution des peshmergaet des milices pro-occidentales soutenues par la Région autonome du Kurdistan.

Abdel Mahdi, personnalité politique dite indépendante – c’est-à-dire sans appui armé – sait qu’il ne pourra rien imposer aux milices récalcitrantes, ou qui feront semblant d’exécuter ses ordres. Au pire, en cas de crise, il menacera de démissionner – ce n’est pas la première fois -, ou sera renversé par une coalition parlementaire. Haïdar al-Abadi, qui tente de revenir sur le devant de la scène politique, est à l’affut.

Gilles Munier

A suivre…

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Décorations florales colorées à l’entrée du Forum de la route de la soie pour la coopération internationale à Pékin, le 14 avril  2019. Photo : IC

Connue comme le plus grand projet d’infrastructure de tous les temps, l’initiative chinoise la Ceinture et la Route (Belt and Road Initiative ou BRI en anglais) a déjà déplacé des milliers de petits producteurs et menace d’en déplacer des centaines de milliers supplémentaires. Il causera aussi une irréversible perte de biodiversité et aggravera significativement la crise climatique mondiale. Plutôt que de répondre aux besoins des communautés affectées, le gouvernement chinois a récemment commencé le verdissage de ses investissements BRI. Qu’elles soient nationales ou internationales, les organisations de la société civile qui surveillent le développement des projets sur le terrain demandent au gouvernement chinois de rendre l’initiative la Ceinture et la Route plus transparente, d’écouter les personnes concernées et d’apporter de véritables solutions climatiques.

Le second Sommet de la Route et la Ceinture a eu lieu à Pékin, en Chine, du 25 au 27 avril 2019, deux ans après le premier sommet. Avec la participation de 38 chefs d’Etats venus des quatre coins du globe, du Secrétaire Général des Nations Unies António Guterres et de Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, le sommet de cette année fut plus imposant que le premier.

Un communiqué de presse commun paru à l’issue du sommet affirmait, entre autres choses, que l’initiative la Ceinture et la Route (BRI) vise à faire progresser les chaînes de valeur mondiales et la connectivité de la chaîne logistique. On y lisait également que la BRI s’assurerait de la protection de l’environnement, de la biodiversité et des ressources naturelles, et s’occuperait des effets négatifs des changements climatiques.

Revenons à aujourd’hui. Cela fait six ans que la BRI a été lancée et les critiques et préoccupations au sujet du programme phare du président chinois Xi Jinping sont de plus en plus nombreuses. Elles ont notamment trait aux questions liées à la dette et à la souveraineté nationales, à l’accaparement des terres, aux déplacements de populations, aux violations de droits humains dans les zones de conflit, aux impacts environnementaux, aux problèmes de santé publique et aux violations du droit du travail. Certains pays, comme la Malaisie et les Maldives, réévaluent actuellement leur participation à la BRI et aux investissements chinois.

Répondant aux critiques sur les impacts environnementaux de la BRI, le communiqué commun issu de ce deuxième sommet exposait une vision de haute qualité et durable pour la Ceinture et la Route, soulignant et faisant la promotion d’un développement vert et d’un financement vert. La Chine est en train d’élaborer des Principes d’Investissements Verts pour le Développement de la Ceinture et la Route afin d’essayer de « verdir » la BRI. Mais il n’est fait mention nulle part de l’accaparement des terres et de la perte des droits des communautés rurales et indigènes sur leurs territoires et de leurs moyens de subsistance dans le cadre d’une BRI « verte » et du développement continu des infrastructures et des corridors économiques, qui est hautement loué dans le communiqué.

À y regarder de plus près, le modèle d’une croissance économique axée sur les infrastructures tel que promu par la BRI est fondé sur l’accaparement de vastes superficies de terres et de territoires à convertir en couloirs économiques. Concernant l’agriculture, la BRI est censée stimuler les investissements chinois à l’étranger en agrobusiness ainsi que les dépenses d’infrastructure de base afin de faciliter l’augmentation du commerce agricole. Selon des officiels du Bureau de Coopération     Étrangère du Ministère chinois de l’Agriculture et des Affaires rurales, le pays compte à présent 657 projets agricoles dans différents pays de la BRI, pour une valeur d’environ 9,4 milliards de dollars, représentant une progression de 70 pour-cent par rapport à il y a seulement cinq ans. Cela implique forcément la perte de milliers d’hectares de terres agricoles qui seront nécessaires à la réalisation de ces projets, de moyens de subsistance traditionnels et de biodiversité, ainsi que de nombreux paysans déplacés. Au Pakistan, la BRI facilite l’expansion de blé hybride, qui remplace les variétés traditionnelles de blé des paysans, au profit d’entreprises chinoises d’intrants agricoles telles que Sinochem Group.

La majorité des projets agricoles développés dans le cadre de la BRI sont industriels. Le système agro-alimentaire actuel est d’ores et déjà responsable de près de la moitié des émissions globales de gaz à effets de serre. Des villageois du Myanmar rapportent que des milliers de camions entrent et sortent de l’Etat du Kachin avec des cargaisons de bananes. Cette région est ciblée comme zone d’expansion pour les plantations de bananes destinées à l’export vers la Chine, menant à l’expulsion des propriétaires indigènes qui dépendent de la terre pour se nourrir et pour vivre. L’approvisionnement en eau est également touché, vu que l’eau est polluée ou détournée des communautés pour irriguer les plantations chinoises. Certains rapports font également état d’un déclin de la qualité du sol dans les plantations chinoises, dû à des pratiques agricoles utilisant lourdement les intrants. En conséquence, les protestations contre les investissements chinois se sont multipliées au cours de l’année écoulée au Myanmar. Aux Philippines, les méga-projets financés par la Chine, tels que le projet de barrage New Centennial Water Source de Kaliwa auraient causé des accaparements de terres et des déplacements de communautés indigènes.

En outre, tandis qu’elle s’engage à diminuer l’usage du charbon sur son territoire, la Chine est en train d’ouvrir neuf nouvelles mines et de construire plusieurs grandes centrales à charbon à l’étranger, via la BRI. Rien qu’au Pakistan, les investissements chinois dans le charbon ont dépassé les 10 milliards de dollars. Pendant ce temps, l’Indonésie travaille à une nouvelle proposition pour quatre projets de centrales à charbon qui seront financés par la Chine. Les projets énergétiques de la BRI se concentrent de manière disproportionnée sur les énergies fossiles.

En tant qu’organisations de la société civile, nationales et internationales, qui surveillons activement l’implémentation du projet BRI sur le terrain, nous nous inquiétons du manque de consultation des communautés locales au sujet de ces projets. Cela conduit à une perte de terres, et montrent une incapacité des projets d’infrastructure et de connectivité de la chaîne d’approvisionnement à en faire bénéficier populations locales. À la place, nous sommes témoins d’effets négatifs sur les droits des communautés locales et sur leurs conditions de vie.

Nous appelons le gouvernement chinois à rendre l’Initiative la Ceinture et la Route plus transparente, car il n’existe aujourd’hui aucune information officielle fiable sur le montant exact des projets bilatéraux, les conditions de prêt, les normes et critères d’octroi, le financement et leurs effets généraux. Nous appelons les pays partenaires à rendre publiques toutes les informations ayant trait aux projets BRI relevant de leur juridiction. Tant la Chine que les pays partenaires devraient ouvrir les processus de consultation et demander l’avis des autres parties prenantes, afin que l’argent public ne soit pas gaspillé pour des projets indignes et destructeurs. Et aux gouvernements des pays de la BRI de conduire une étude d’impact adéquate et approfondie des projets de la BRI sur les droits humains.

Nous appelons également le gouvernement chinois et la communauté internationale impliquée dans le verdissement de l’Initiative de la Ceinture et la Route à prendre la mesure radicale qui consiste à écouter les personnes touchées par ces projets. S’ils le faisaient, ils soutiendraient les petits paysans et les communautés rurales comme urbaines avec des systèmes alimentaire, énergétique et de transport décentralisés, afin de parvenir à de véritables solutions climatiques et non à un écran de fumée verte devant l’Initiative la Ceinture et la Route.

Pour plus d’informations contactez :

Kartini Samon, GRAIN

Téléphone: +6281314761305
Publié par :
Asia Pacific Research Network (APRN)
Asia Peasant Coalition (APC)
GRAIN
Madhyam
People’s Coalition on Food Sovereignty (PCFS)
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Lors d’une audition devant la commission des forces armées du Sénat américain jeudi, le général Mark Milley, candidat de Trump à la présidence de la conférence interarmées des Chefs d’état-major, a appelé à un renforcement majeur de l’arsenal nucléaire américain, tout en identifiant la Chine comme la principale cible de la machine de guerre de l’impérialisme américain.

Dans son discours d’ouverture, le général a clairement exprimé la volonté de Washington d’arrêter par la force militaire le déclin à long terme du capitalisme américain et de son hégémonie mondiale.

«De l’Asie de l’Est à l’Europe de l’Est en passant par le Moyen-Orient, les acteurs autoritaires mettent à l’épreuve les limites du système international et cherchent à exercer une domination régionale tout en contestant les normes internationales et en minant les intérêts des États-Unis», a dit M. Milley. «Notre but devrait être de maintenir la paix entre les grandes puissances qui existe depuis la Seconde Guerre mondiale, et de traiter avec fermeté tous ceux qui pourraient nous défier.»

Interrogé par le président du comité sénatorial, le sénateur républicain de l’Oklahoma, James Inhofe, sur ce qui l’inquiétait le plus dans le face-à-face des États-Unis avec la Chine et la Russie, Milley a répondu: «Je pense que le numéro un pour moi et le numéro un pour le ministère de la défense est la modernisation et la recapitalisation de la triade nucléaire de la nation. Je pense que c’est essentiel. Deuxièmement, je dirais, c’est l’espace. C’est un nouveau domaine d’opérations militaires.»

Gen. Mark Milley [Credit: US Army]

«Je pense que la Chine est le principal défi pour la sécurité nationale des États-Unis au cours des 50 à 100 prochaines années», a déclaré le général Milley.

Interrogé par le sénateur républicain de l’État de Géorgie, David Perdue, sur l’ «expansion mondiale» de la Chine, Milley a donné un aperçu clair des préparatifs avancés de l’impérialisme américain pour la guerre avec la Chine.

Il a accusé la Chine d’«utiliser le commerce comme levier pour réaliser ses intérêts en matière de sécurité nationale et la Nouvelle route de la soie en fait partie». Il a déclaré que la Chine est «principalement en concurrence pour les ressources nécessaires au financement et à l’amélioration de son armée, ainsi qu’à la construction et à l’alimentation de son économie».

La réponse américaine à ces évolutions économiques est essentiellement militaire. Milley a décrit le renforcement de l’armée américaine dans ce que le Pentagone appelle la région «indo-pacifique» qui est le principal théâtre de la confrontation avec la Chine. Il s’agit, dit le général, de 370.000 soldats américains, 2000 avions de combat et 200 navires.

Lorsqu’on lui a demandé s’il pensait qu’il serait «utile» de placer dans la région indo-pacifique des missiles à portée intermédiaire à lanceur terrestre à armes classiques pour dissuader les intérêts chinois dans la région, Milley a répondu «oui».

Ces armes avaient été interdites en vertu du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) de 1987, que l’administration Trump a abrogé plus tôt cette année. Washington prétend agir en réponse aux violations présumées du traité par la Russie – une allégation que Moscou nie.

Les États-Unis ont avancé la théorie selon laquelle Moscou a adopté une stratégie aventuriste effrénée consistant à utiliser une arme nucléaire tactique à faible rendement contre les forces conventionnelles américaines et de l’OTAN qui encerclent son territoire, dans l’hypothèse où Washington ne réagirait pas par une attaque thermonucléaire totale. Aucun élément de preuve n’a été présenté à l’appui de cette affirmation.

En tout état de cause, la cible principale de l’abandon du traité FNI est la Chine. Pékin n’est pas signataire de l’accord et a développé ses propres missiles comme contrepoids au renforcement militaire américain dans la région.

Le témoignage discret de Milley est devenu très agité dans sa description des avancées militaires de la Chine. «La Chine améliore ses forces armées très, très rapidement», a-t-il dit. «Ce n’est pas du battage médiatique, pas un rouge sous le lit. […] Ils dépensent plus que nous dans la recherche et le développement et l’approvisionnement.»

Le général a dit qu’il considérait la Chine comme «un adversaire» et non comme un «ennemi», précisant ensuite que «un ennemi en langage militaire signifie qu’il est dans un conflit armé actif». Cette audition a fourni un avertissement sérieux du fait que le Pentagone se prépare activement à la transition d’«adversaire» en «ennemi».

Le général Milley a défendu le renforcement de la «triade» nucléaire de Washington de missiles balistiques intercontinentaux, de bombardiers stratégiques et de sous-marins dotés d’armes nucléaires contre toute suggestion selon laquelle l’arsenal extrêmement coûteux se caractérise par une «redondance inutile».

«Chaque élément de la triade vous donne une capacité différente, donc vous avez les bombardiers, les missiles et les sous-marins» a-t-il témoigné. «Les sous-marins vous donneront la seconde frappe assurée, les missiles vous donneront une réaction immédiate, et les bombardiers vous donneront un système d’attaque sous contrôle humain jusqu’au bout. Les trois présentent donc des problèmes différents posés par n’importe quel adversaire ou ennemi, et je pense qu’il est d’une importance critique de les garder tous les trois.»

Milley a également défendu la mise au point d’ogives de missiles nucléaires à faible puissance qui seront lancées à partir de sous-marins, décrivant ces armes comme « une capacité importante à avoir dans notre arsenal pour faire face à tout adversaire potentiel.»

Ces armes sont apparemment destinées à contrer l’utilisation potentielle par la Russie d’ogives similaires dans une guerre en Europe. Elles abaissent considérablement le seuil de déclenchement d’une guerre nucléaire, tout en augmentant la probabilité que le pays destinataire d’un tel missile – incapable de connaître la taille de sa tête nucléaire – puisse fournir une réponse nucléaire à grande échelle.

Le témoignage de Milley arrive à peine un mois après que le Pentagone a publié pendant un bref moment, et puis l’a retiré d’Internet, un document de 60 pages intitulé Joint Publication No. 3-72 Nuclear Operations. Le document, préparé à la demande de l’actuel président des Chefs d’état-major interarmées, le général des Marines Joseph Dunford, a depuis été classé confidentiel.

Le document explique comment le Pentagone est passé de la doctrine de la destruction mutuelle assurée (DMA, l’équilibre de la terreur) de l’époque de la guerre froide au concept d’un usage limité des armes nucléaires, ce qui aboutirait à une guerre gagnable.

La «doctrine commune» exposée dans le document affirme sans ambages que «les armes nucléaires pourraient créer les conditions propices à des résultats décisifs et au rétablissement de la stabilité stratégique. Plus précisément, l’utilisation des armes nucléaires modifiera fondamentalement la portée d’une bataille et créera des situations où les commandants sont appelés à gagner.»

Elle poursuit: «L’emploi d’armes nucléaires peut radicalement modifier ou accélérer le déroulement d’une campagne. L’intégration de l’emploi d’armes nucléaires dans les forces d’opérations classiques et spéciales est essentielle au succès de toute mission ou opération.»

Cette attitude va-t-en-guerre pour gagner au moyen d’armes nucléaires est quelque peu tempérée par la reconnaissance du fait que «e plus grand et le moins bien compris des défis auxquels font face les troupes dans un conflit nucléaire est de savoir comment opérer dans un environnement radiologique post-détonation nucléaire.»

Le document conseille: «La connaissance des dangers physiques et physiologiques particuliers et des effets psychologiques du champ de bataille nucléaire, ainsi que les conseils et l’entraînement pour contrer ces dangers et ces effets, améliorent grandement la capacité des forces terrestres à opérer avec succès.»

La façon dont les commandants militaires américains sont censés se préparer aux «effets spéciaux» d’un champ de bataille où les morts peuvent se compter par centaines de milliers, voire par millions, n’est pas expliquée.

Plus tôt ce mois-ci, l’Agence de défense pour la réduction des menaces, organisme du Pentagone, a sollicité des propositions des entreprises technologiques pour le développement de plates-formes de formation et d’essais en réalité virtuelle pour les forces de combat du Département de la défense opérant dans un environnement de champ de bataille dans une guerre nucléaire (BNW).

Dans un passage étrangement exprimé, le document indique clairement que toute utilisation d’une arme nucléaire tactique peut rapidement provoquer une guerre nucléaire généralisée. «Quel que soit le scénario d’emploi des armes nucléaires, la planification et les opérations ne doivent pas se faire isolément, mais doivent prévoir l’intégration des frappes dans le programme global des lancements», affirme-t-il.

Le témoignage glaçant livré par Milley jeudi dernier, qui expliquait les préparatifs de l’impérialisme américain pour la guerre avec la Chine et le virage croissant vers une doctrine de guerre nucléaire «gagnable», s’accompagnait de l’engagement des sénateurs démocrates et républicains à confirmer rapidement la nomination du général.

Bill Van Auken

 

Article paru en anglais, WSWS, le 13 juillet 2019

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Perdue dans le tumulte sous-marin, la date limite fixée par Téhéran pour l’UE-3 pour soutenir les ventes de brut iranien expire dimanche… Un épais voile de mystère entoure le feu qui a éclaté dans un submersible russe à la pointe de la technologie dans la mer de Barents, entraînant la mort de 14 membres d’équipage empoisonnés par des vapeurs toxiques.

Selon le Ministère russe de la Défense, le sous-marin effectuait des relevés bathymétriques, comme l’examen et la cartographie des reliefs de mer profonde. L’équipage était constitué de « spécialistes navals uniques, de professionnels de haut niveau, qui effectuaient d’importantes recherches sur l’hydrosphère terrestre ». Pour le moment, le navire à propulsion nucléaire (dont le nom est jusqu’à présent inconnu) se trouve au port arctique de Severomorsk, la principale base de la flotte du Nord de la Russie.

Une enquête militaire sérieuse et complète est en cours. Selon le Kremlin, « le commandant en chef suprême possède toutes les informations, mais ces données ne peuvent pas être rendues publiques car elles appartiennent à la catégorie des données absolument secrètes. »

Le sous-marin est le Locharik. Son code russe est AS-12 (pour « Atomnaya Stantsiya » ou « Station nucléaire »). L’OTAN l’appelle Norsub-5. Il est en service depuis 2003. Les sous-marins nucléaires Giant Delta III, également capables de lancer des ICBM, ont été modifiés pour les transporter à travers les mers.

Selon l’OTAN, l’AS-12/Norsub-5 est un sous-marin espion et une menace majeure pour les câbles de télécommunication sous-marins, principalement installés par l’Occident. La profondeur opérationnelle du submersible est de 1 000 mètres et il se peut qu’il ait fonctionné jusqu’à 2 500 mètres dans l’Océan arctique. Il est peut-être comparable au sous-marin américain NR-1 (profondeur opérationnelle : 910 m.), célèbre pour être utilisé pour la recherche et la récupération des parties critiques de la navette spatiale Challenger, perdue en 1986, ou bien il en constitue une version avancée.

Il est très instructif de situer le Locharik dans le cadre du dernier rapport du Pentagonesur les intentions stratégiques russes. Parmi la terminologie routinière de diabolisation (« tactique de la zone grise de la Russie », « agression russe »), le rapport affirme que « la Russie adopte des stratégies coercitives qui impliquent l’emploi orchestré de moyens militaires et non militaires pour dissuader et contraindre les États-Unis, leurs alliés et partenaires avant et après le déclenchement des hostilités. Ces stratégies doivent être affrontées de façon proactive, sans quoi la menace d’un conflit armé important pourrait augmenter. »

Un schéma russe du malheureux sous-marin AS12.

Il n’est pas étonnant que, considérant l’incandescence des relations USA-Russie sur l’échiquier géopolitique, ce qui est arrivé au Locharik a alimenté une spéculation effrénée, incluant des rumeurs totalement infondées selon lesquelles il avait été torpillé par un sous-marin américain dans un affrontement… et de plus, dans les eaux territoriales russes.

Des liens ont été établis entre le Vice-président américain, Mike Pence, qui a soudainement reçu l’ordre de retourner à la Maison-Blanche alors que les Européens étaient également terrés à Bruxelles, pendant que le président Poutine avait une réunion d’urgence avec le ministre de la Défense, Sergei Shoigu.

En fin de compte, tout n’était que pure spéculation.

Piège en eaux profondes

L’incident sous-marin, enjolivé par la ligne de complot spéculatif d’une confrontation russo-américaine dans l’Arctique, a effectivement noyé, au moins pendant un certain temps, l’actuelle et prioritaire incandescence géopolitique : la guerre économique américaine contre l’Iran.

En conséquence, de graves discussions au Sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai à Bichkek (auxquelles participait le président iranien Rouhani) puis les rencontres Poutine-Xi à Moscou, à Saint-Pétersbourg et au G20 à Osaka. La Russie et la Chine s’impliquent pleinement pour maintenir un Iran stable et protégé de la stratégie du chaos de l’administration Trump.

Moscou et Pékin sont tous deux parfaitement conscients que les tactiques de Washington qui consistent à diviser pour mieux régner visent à freiner l’élan de l’intégration eurasienne. Celle-ci est extensive, allant du commerce bilatéral en devises locales, du contournement du dollar américain jusqu’à l’interconnexion accrue des nouvelles routes de la soie, ou l’initiative Une Ceinture, une route, l’Union économique eurasiatique (EAEU) et le Corridor international de transport Nord-sud (INSTC).

Pékin joue un jeu d’ombre et reste très discret sur le blocus économique de facto des États-Unis contre l’un de ses principaux alliés du projet Une Ceinture, une route. Néanmoins, le fait est que la Chine continue d’acheter du brut iranien, et le commerce bilatéral se règle en yuan et rial.

On peut croire que l’Instrument d’appui aux échanges commerciaux (INSTEX, Instrument in Support of Trade Exchanges), ce mécanisme créé par l’UE-3 (France, Royaume-Uni et Allemagne) pour contourner le dollar américain et permettre les échanges entre l’Iran et l’UE depuis que les États-Unis ont unilatéralement abandonné l’accord nucléaire (JCPOA), est enfin en place. Mais il n’y a aucune preuve qu’INSTEX sera adopté par beaucoup d’entreprises européennes, car il couvre essentiellement les achats iraniens de nourriture et de médicaments.

Le plan B consisterait pour la Banque centrale russe à permettre à l’Iran d’accéder au SPFS (Système de transfert de messages financiers), le mécanisme russe de commerce qui contourne SWIFT, destiné aux pays qui sont sanctionnés par les États-Unis. Moscou travaille sur le SPFS depuis 2014, lorsque la menace d’expulser la Russie de SWIFT est devenue une possibilité claire.

Quant à l’accusation des États-Unis envers l’Iran d’avoir « violé » le JCPOA, elle est tout à fait absurde. Pour commencer, Téhéran ne peut pas « violer » un accord multinational qui a été déclaré nul et non avenu par l’un des signataires, les États-Unis.

En fait, la prétendue « violation » est due au fait que l’UE-3 n’a plus acheté comme prévu l’uranium faiblement enrichi de l’Iran en raison de l’embargo américain. En fait, c’est Washington qui a empêché l’UE de l’acheter. Téhéran a alors dûment informé tous les acteurs du JCPOA que, puisqu’il ne pouvait plus le vendre, l’Iran devrait stocker plus d’uranium que ne le permet l’accord.

Rebondissement

Le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif a raison : INSTEX, qui constitue déjà trop peu et arrive trop tard, est insuffisant car le mécanisme ne permet pas à Téhéran de continuer à exporter du pétrole, ce qui est son droit souverain. Pour ce qui est de la « violation », Zarif affirme qu’elle est facilement « réversible » … dans la mesure où l’UE-3 respecte ses engagements.

Le Ministre russe de l’énergie, Alexander Novak, est du même avis : « Pour ce qui concerne les restrictions sur les exportations iraniennes, nous appuyons l’Iran et nous croyons que les sanctions sont illégales : elles n’ont pas été approuvées par l’ONU. »

Néanmoins, l’Iran continue d’exporter du brut, par tous les moyens disponibles, en particulier vers l’Asie, et la National Iranian Oil Co. (NIOC) brouille évidemment le suivi de sa flotte par satellite. Mais de manière inquiétante, le délai fixé par Téhéran pour que l’UE-3 soutienne explicitement l’achat de brut iranien expire dimanche prochain.

C’est un rebondissement majeur : après ça on ne pourra plus torpiller cette impasse stratégique.

Pepe Escobar

 

 

Article original en anglais :

The Un-submersible US-Iran Stalemate, publié le 5 juillet 2015

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

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Le 16 août 2014, le Congrès National Indigène publia la seconde déclaration sur l’expropriation de nos peuples, dans laquelle était exposée de en guise de métaphore, 24 rétrospectives de l’expropriation territoriale et de la guerre contre les peuples à l’échelle nationale ; structurées par une relation intrinsèque entre les violences politiques de l’état – autrementdit, la militarisation, les réformes, la création de lois etc. -, les violences destructrices, anonymes du capitalisme ; depuis les agissements des grandes corporations – minières, pétrolières, etc. – jusqu’au crime organisé dans sa grande diversité de cartels. A 5 ans de cette déclaration, la guerre non seulement s’est intensifiée, la continuité de la militarisation et des expropriations se sont poursuivies, sous prétexte de lutte contre le crime organisé. [et plus récemment de « protection de l’environnement ». NdT]

Le déploiement de la garde nationale, qui était prévu pour le 30 juin de cette année, a été avancé au mardi 18 juin (1) en raison des accords conclus entre le secrétaire des Relations Extérieures des États-Unis du Mexique, Marcelo Ebrard, et Mike Pence, vice-président du gouvernement des USA. La menace d’une guerre douanière contre le Mexique impulsée par le président Trump a fait trembler l’état, ses institutions et un secteur libéral de la région. Contenir le flux migratoire en 45 jours fut la condition posée par le gouvernement US pour freiner ce qui aurait pu générer une « crise économique à cause de l’augmentation des barrières douanières prévues »

Quelques semaines auparavant, la Commission Économique pour l’Amérique Latine et Caraïbe (CEPAL) avait présenté, lors d’une conférence de presse matinale du président Andrés Manuel López Obrador, une proposition appelée « Plan de développement intégral : Salvador, Guatemala, Honduras et Mexique » comme une réponse pour combattre le phénomène migratoire en Amérique Centrale. Dans ce plan sont proposés l’établissement d’une interconnexion électrique entre les pays de la région qui impliquerait la construction d’un gazoduc de 600 km pour « l’intégration entre le Sud du Mexique et l’Amérique Centrale par le transport des excès de gaz naturel et permettant de faire baisser les coûts», en plus d’un terminal et d’une centrale énergétique dans le port de Cortés au Honduras, de l’amélioration des infrastructures des 950 km de la frontière entre le Guatemala et le Mexique, de la construction d’une voie ferroviaire de 710 km depuis la ville de Hidalgo dans les Chiapas, jusqu’à port de Libertad au Salvador (2) qui pourrait connecter en même temps le Guatemala, le Honduras, le Salvador et le Mexique. S’ajoutent à cela, des projets d’investissement dans des presses hydroélectriques, des projets de parcs éoliens et de panneaux solaires, des projets miniers en continuation du projet Mesoamérica financé par différentes Corporations -comme les pétrolières EXXON, SHELL, etc – et également par la Banque Mondiale (3). Le tout impulsé et justifié de cette manière [lutte contre les migrations forcées par le développement économique] par la CEPAL.

Le 14 juin a été publié dans le journal officiel de la fédération le décret qui créé un organisme « public, décentralisé, doté de personnalité juridique et d’un patrimoine propre, non sectorisé et dénommé Corridor Interocéanique de l’Isthme de Tehuantepec » (4), organe qui assumera la direction de la construction des divers projets du plan de Développement Intégral pour sa partie concernant l’isthme. Une semaine auparavant, les habitants de différentes communautés de l’état d’Oaxaca et de différentes organisations sociales s’étaient réunis dans le cadre d’une rencontre sur le thème« l’Isthme est à nous », pour refuser la proposition de canal interocéanique du gouvernement fédéral.

A partir des négociations du 5 juin à la Maison Blanche, ces initiatives, tant celle de la CEPAL que le Couloir Interocéanique, se sont accélérés pour protéger aussi bien les intérêts du voisin du Nord, que ceux des Corporations elles-même. Ce complexe de méga-projets implique la matérialisation d’une trame économique impliquant des variables politiques clairement néo-libérales, inscrivant comme unique solution celle de « résoudre » la crise dans le cadre même qui l’a causée. Crise qui se présente actuellement comme migratoire, énergétique, politique et économique.

En réponse à l’exode migratoire, se poursuit en ce moment le déploiement de la Garde Nationale – commencé le 18 juin – qui implique la mobilisation de 6000 effectifs, ainsi que de 825 agents de l’Institut National de Migration (5) en différents points stratégiques de passage des migrants dans la zone sud-est.

Face à cette situation, le vendredi 14 juin, le commissaire de l’Institut National de la Migration et spécialiste des questions migratoires, Tonatiuh Guillén a démissionné en formulant de fortes critiques contre les politiques anti-migrants du gouvernement étasunien. Après cette désertion, Francisco Garduño a assumé cette responsabilité, il avait été auparavent Commissaire de l’Organe Administratif Décentralisé de Prévention et Réadaptation Sociale au Niveau Fédéral, autrement dit, il s’agit d’un spécialiste des prisons. (6) Simultanément Kevin McAleenan, ancien commissaire des douanes,a été nommé chef du département de Sécurité des USA, et la possibilité que Thomas Homan, ex directeur de l’agence migratoire connue comme ICE, le remplace dans les prochains jours a été évoquée ; un homme connu comme le nouveau « Tsar des Frontières », et qui, en plus de soutenir la séparation des familles des migrants dans le processus de détention, promet de multiplier par 4 ou 5 les contrôles et déportations de migrants, et de renforcer (7) les nouveaux camps de concentration déjà installés à la frontière de ce pays. Cela fut la réponse de Trump au flux migratoire, la militarisation non seulement de la frontière Nord [du Mexique], mais également le repositionnement du Commandement Sud au Guatemala et la capacitation par ce commandement de militaires honduriens pour différentes tâches qui comprennent « les salles de nettoyage, la qualification en maniement des armes, contrôle de véhicules et points de contrôles tactiques  (8)» avec pour objectif de combattre l’exode et les autres menaces internes. Les pratiques de militarisation et de détention de migrants sont arrivées à un point qui ressemble fort aux camps de concentration Allemands du siècle dernier, comme l’affirme David Brooks, « nous sommes entrés dans un système de camps de concentration,dont la définition est : ladétention massive de civils sans jugement ». C’est clair, « la semaine passée a été révélé que le gouvernement de Trump utilisera une base militaire en Oklahoma qui était un camp de concentration des japonais-étasuniens internés pendant la Seconde Guerre Mondiale, y seront détenus quelques 1400 enfants migrants non accompagnés ». (9)

L’exode migratoire ne peut se comprendre sans la formule expropriation-militarisation, qui en termes géopolitiques se traduit en zones de sacrifice (territoires stratégiques riches en ressources naturelles, culturelles) et zones d’accumulation, points géographiques qui se « développent » au détriment d’autres lieux géographiques et qui reposent sur une logique commune : la violence du capital, soutenue par les différentes formes d’états (depuis les progressistes comme le Nicaragua jusqu’au néo-libéraux) et l’introduction, principalement par les USA, de différentes stratégies contre-insurrectionnelles.

C’est précisément dans ce contexte que se produit la militarisation du Mexique par la Garde Nationale. Le contrôle territorial du Sud n’est qu’un des efforts pour mener un processus de réorganisation territoriale en faveur du capital et de ses grandes corporations, le Train Maya et le Plan de Développement Intégral de l’Isthme de Tehuantepec et de l’Amérique Centrale, qui s’insèrent dans la dite « économie verte ou capitalisme soutenable » (10) comme « nouveaux espaces globaux, dans lesquels l’ordre et la gestion du territoire cessent d’être propriété de l’état pour passer à disposition du capital étranger » (11), un processus d’industrialisation qui implique la construction de grandes zones de maquileras – stratégiques à échelle globale – et de projets de « développement ». On retrouve le rôle qu’ont joué les Zones.

La décennie 80-90 à été marquée par une grande violence entre groupes guérilleros et les armées des états placéessous égide et conseillées par les différentes institutions et départements de sécurité du gouvernement gringo. Tant le Pentagone, que le département de la Défense et la CIA ont joué un rôle spécifique pour contrecarrer les groupes insurgés, en installant des bases militaires sur tout le territoire de l’Amérique Centrale. Cette stratégie en langage militaire s’appelle « domination du spectre complet » et implique le contrôle et la vigilance de l’ensemble de la planète par 5 commandements spéciaux ; comme nous le savons déjà du Guatemala à la Patagonie officie le Commandement Sud [le Mexique est sous contrôle du commandement Nord et du Homeland Security]. L ‘Amérique Centrale a été un laboratoire de contre-insurrection impulsé depuis les différents départements de sécurité étasuniens, qui ont réussi à imposer, dans cette petite région, l’implémentation de pas moins de 28 bases et centres d’opération militaires. La stratégie de « Domination du Spectre Complet » n’a pas seulement servi pour combattre les subversions, elle a servi aussi pour surveiller et contrôler les ressources naturelles. Renan Vega Canto et Felipe Vega ont réussi à retracer les lieux d’établissement de ces bases militaires et centres d’opérations gringos en Amérique Latine dans leur enquêtes “Geopolítica del despojo; Biopiratería, genocidio y militarización” y “Los economistas neoliberales, nuevos criminales de Guerra” (12)La distribution des centres d’opérations et bases militaires est la suivante :

CARTE : La carte montre la répartition des bases mentionnées ici.

Mexique :

1) Bases de Chicomuselo et Juquilipas, Chiapas, 600 effectifs. Elle a été fondée en tant que partie de l’Initiative Mérida, et la militarisation du Sud du Mexique, comprend les 14 000 militaires déployés dans les Chiapas.

2) Académie de l’État de formation et développement policiers des Encinas, San Salvador de Chachapa à l’est de Puebla. Le FBI et autres agences gringas y ont une participation directe.

Guatemala :

3) Fond de maintenance contre le narco-terrorisme, à San José de Guatemala créé par le commandement Sud.

4) Centre d’opération contre le narco-terrorisme de Champerico, créé par le commandement Sud. Caserne-centre d’opérations et embarcadère qui ont demandé un investissement de 1,75 millions de dollars.

5) Centre d’opération contre le narco-terrorisme de Tecun Uman, créé par le Commandement Sud avec un investissement de 1 million de dollars.

6) Centre d’entraînement de Forces Spéciales Kaibiles à Potpun. Commandement Sud et Opérations Spéciales Sud avec un investissement de 1,15 million de dollars, fonctionne comme centre d’opérations et base aérienne.

Honduras :

7) Centre anti-narco. Commandement Sud. Contrat attribué en juin 2010 pour 1,2 million de dollars.

8) Puerto Castrilla. Commandement Sud. Investissement 350 000 dollars.

9) Base aérienne et militaire Sotocano et Palmerola. Elle fut construire à l’origine pour contrecarrer la révolution sandiniste du Nicaragua et de mouvement guérillero du Salvador.

10) Forces d’action conjointe BRAVO-Sotocano.

Salvador :

11) Forces d’Action Conjointe el Aguila, base aérienne de Comalapa.

12) Position d’opérations avancées Miraflores, Commandement Sud d’Opération Spéciales

Belize :

13) Centre anti-narco-terrorisme. Callao Hunting et Callaos Sapodilla. Casernement, centre d’opérations et embarcadère créés par le Commandement Sud avec un investissement de 1,750 million de dollars.

14) Centre d’opérations contre le narco-terrorisme. San Pedro. Casernement, centre d’opérations, embarcadère, entrepôt de combustible et dispensaire, financé par le Commandement Sud, un investissement de 1,5 millions de dollars

Nicaragua :

15) Le Bluff Bluefields. Construction d’un casernement contre le narco-terrorisme par le Commandement Sud, qui apporta 1 million de dollars.

16) Centre contre le narco-terrorisme. Île de Cuerno. Commandement Sud avec un investissement de 500 000 dollars.

17) Corinto. Caserne et embarcadère. Commandement Sud. Investissement 3,9 millions de dollars.

Costa Rica :

18) Base Anti-narcos. Liberia. Construction par le Commandement Sud en 2009. Construction d’un radar et un hangar par les USA.

19)Base navale Punteras. Calderas, Costa Rica. Création d’une école de gardes côtes. Le Commandement Sud a apporté en 2009 1,5 million de dollars pour la construction de l’embarcadère et des installations.

Panama :

20) Centre contre le terrorisme. Isla Grande, Panama. Casernement, centre d’opération, embarcadère et système de réapprovisionnement créé par le commandement Sud pour 3,5 millions de dollars.

21) Centre contre le narco-terrorisme. El Porvenir, Panama. Centre d’opérations, embarcadère et système de réapprovisionnement créée par le Commandement Sud. Millions de dollars.

22) Centre contre le narco-terrorisme. Puerto Pina. Casernement, centre d’opérations et embarcadère crééspar le Commandement Sud avec un investissement de 4 millions de dollars.

23) Centre contre le narco terrorisme. Puerto Obaldia. Investissement du Commandement Sud de 3,5 millions de dollars. (13)

La militarisation et le contrôle de l’Amérique Centrale ont permis que dans cette région soient mis en pratique un large éventail de tactiques et stratégies de contre-insurrection qui furent, dans tous leurs aspects, des générateurs de violence ont eut des répercutions et montrent à présent leurs effets dans le phénomène migratoire.

D’autre part, sur le territoire dominé par l’état Mexicain, la distribution des forces armées se fait à travers 46 zones militaires distribuées sur toute la surface du pays. (14) Dans l’état de Puebla aux Chiapas, nous rencontrons 10 zones à charge de l’institution militaire. Auquel s’ajoute les 266 centres d’opérations de la Garde Nationale, seulement pour Oaxaca, Veracruz, Chiapas, Tabasco ont été établi plus de 50 de ces centres opératifs, lesquels furent les premiers à fonctionner – dès le 18 juin 2019 – pour cause de crise migratoire.

La crise qui se produit à présent est venue accompagnée de stratégies de développement intégral comme réponse à ces dites problématiques, non sans, comme dans le cas mexicain, auparavant militariser la zone du problème en installant un mur de contention contre les exproprié(e)s. En fait, ces propositions de « développement intégral » ont pour unique effet d’intensifier la violence propre au capitalisme, montrant un visage plus aimable. N’oublions pas que ce fut la CEPAL – qui par ses analyses opérées depuis le point de vue de l’économie politique ou « capitalisme à visage humain » – qui a proposé et apporté le label « scientifiques » pour le développement de l’Amérique Centrale via le projet Mésoamérica. Nous ne pouvons oublier que « développer intégralement une zone » est une figure de l’économie politique, qui signifie simplement la reproduction de l’actuel mode de production qui a pour fondement le pillage permanent grâce à l’utilisation de la violence.

Et, comme il fallait s’y attendre, après un peu plus d’une semaine de déploiement de la Garde Nationale, les effets de la répression ont commencé à se faire sentir. Le Réseau de la Zone Nord de Casas [auberges pour migrants] et le Centre des Droits Humain des Migrants dénoncent le harcèlement et la violence avec lesquels ont agit les éléments de la Garde Nationale envers les migrants et les défenseurs des droits humains, au cours des derniers jours (15), non seulement dans la zone nord du pays, mais par dessus tout dans la partie sud, où l’Institut National des Migrations en collaboration avec la Garde Nationale ont agit en réseau contre les migrants (16). Et, comme prévu, la zone Sud-Est du pays est devenue un mur de contention militaire contre les personnes sur le chemin de la migration.

Au cours des derniers mois, plusieurs organisations sociales et communautaires ont dénoncé le Gouvernement Fédéral et l’Institut National des Peuples Indigènes qui ont mené des « Consultations  truquées»(17) avec la claire intention de poursuivre les projets de dépouillement.

D’autre part, le Congrès National Indigène a enregistré 117 assassinats depuis sa création en 1996, et 11 disparitions. En seulement 5 mois de l’actuel gouvernement ont été enregistrés 10 assassinats de membres du CNI (18). Il y a une guerre déclarée contre le zapatisme, qui implique non seulement le renforcement de la militarisation en territoire de l’EZLN,mais également l’agression permanente jusqu’à l’assassinat de qui s’opposent à la prise en main par l’état de leur manière d’organiser leur vie.

Cela illustre la réalité de la guerre dans laquelle nous sommes déjà plongés et la réalité de la guerre qui vient. Le 26 juin ont été découverts morts, alors qu’ils tentaient de franchir la frontière Oscar Martinez de 25 ans et sa fille Valeria de 23 mois sur les berges du Rio Bravo, dans le Nord du Pays. L’Organisation Internationale des Migrations a publié une étude nommée «Fatal Journeys Missing Migrant Children » (19)  dans laquelle elle signale que les morts de migrants sont dues à 3 causes principales 1) accidents sur le train appelé la Bestia, 2)-les causes inconnues comme les disparitions , 3)- la violence ; et elle affirme qu’en 5 ans, depuis 2014 à nos jours ont été enregistrées 1907 morts de migrants [chiffre largement sous-estimé, il y a des dizaines de corps sans organes trouvés dans des charniers anonymes, des centaines de corps non-identifiés dans les morgues, et tout ceux qu’on ne trouvera jamais. Il y a des milliers de familles qui cherchent leurs disparus et attendent parfois indéfiniment des résultats d’analyse ADN dont les résultats viennent au compte-goutte.NdT], mais ils oublient d’expliquer les causes ponctuelles qui ont été à l’origine de la violence ainsi que la dépossession de ceux qui migrent, et le rôle joué par les Forces Armées dans ces processus.

L’image des assassinats de Berta Cáceres au Honduras, des peuples Xincas et Mayas au Guatemala, des étudiants et habitants réprimés et assassinés au Nicaragua, de la crise politique au Panama, des expropriations territoriales au Costa Rica, nous montre que c’est précisément cette violence de la classe criminelle transnationale, des corporations et leurs acteurs légaux et illégaux, leurs liens avec les institutions de l’état ainsi que la militarisation et la para-militarisation, c’est cela les facteurs qui ont obligé les personnes a abandonner leur territoire et/ou résister jusqu’à être assassinés.

L’Amérique Centrale et le Sud-Est mexicain se présentent à nous comme une mosaïque d’images, chaque mosaïque affrontant sa version singulière de la crise et cherchant à en sortir. La guerre qui est en cours, et celle qui vient sont celles des « anonymes », des propriétaires de rien, des délogé(e)s et des exclu(e)s, des déplacé(e)s par la violence d’états, des assassiné(e)s par les balles du capital, des emprisonné(e)s par les grandes corporations, des disparu(e)s par le crime organisé international ; la guerre qui vient sera celle des « anonymes», de ceux qui, comme le dit Galeano, valent moins que la balle qui les abat.

Javier Abimael Ruiz García

Article original en espagnol : Los espejos del despojo, la militarización y contrainsurgencia en el sureste mexicano y Centroamérica, Avispa (Opinion), le 6 juillet 2019. (via Criterio)

Traduction Anne Wolff

Notes

(1)Despliegue de la GN en la frontera sur quedará listo el martes: Ebrard – Proceso

(2)https://www.cepal.org/sites/default/files/presentation/files/final_final_cepal-presentacion_palacio_nacional_20-05-2019.pdf

(3)Acceso al Servicio – CentralAmericaData :: Central America Data 

Y ver también http://projects.bancomundial.org

(4) https://dof.gob.mx/nota_detalle.php?codigo=5562774&fecha=14/06/2019

(5)https://www.jornada.com.mx/ultimas/2019/06/14/el-martes-concluye-despliegue-de-la-gn-en-la-frontera-sur-ebrard-6053.html

(6)AMLO ya decidió quien será el jefe del Instituto Nacional de Migración • Forbes México

(7)Kevin McAleenan Says the Border Patrol Doesn’t Make the Laws, ver también La Jornada: Homan aún no acepta ser zar fronterizo de Trump

(8)https://www.southcom.mil/MEDIA/NEWS-ARTICLES/Article/1883162/honduran-soldiers-complete-us-army-led-security-forces-training/

(9)https://www.jornada.com.mx/ultimas/2019/06/17/politica-de-trump-prepara-campos-de-concentracion-para-migrantes-5899.html

(10)Lo que esconde el Tren Maya: la “cuarta transformación” de las fronteras mexicanas

(11)Renán Vega Cantor y Felipe Martin Novoa “Geopolítica del despojo; biopiratería, genocidio y militarización”. Editorial CEPA. Colombia 2016. Renán Vega Cantor “Los economistas neoliberales: nuevos criminales de guerra”. Editorial IMPRESOL. Febrero 2014, Colombia.

(12)Para más información revisar las investigaciones arriba mencionadas y el documento del Comando Sur titulado “United State, Southern Command, strategy 2018 Partnership for the Americas”. Disponible en: https://www.resdal.org/ultimos-documentos/usa-command-strategy.pdf y también; https://www.southcom.mil

(13)https://www.gob.mx/cms/uploads/attachment/file/262602/ZONAS_MILITARES.pdf

(14)Tlachinollan CDHM on Twitter

(15)Guardia Nacional intentó entrar en albergue: Casa del Migrante

(16)Las consultas a pueblos indígenas son sólo las trampas del poder – Desinformémonos

(17) (18)La “guerra” contra el Congreso Nacional Indígena

(19)https://publications.iom.int/system/files/pdf/fatal_journeys_4.pdf

Source Criterio

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Le monde commence à s’inquiéter sérieusement de la guerre commerciale entre les deux plus grandes économies du monde. Pourtant, la conférence de G20 a décidé de promouvoir le régime de libre-échange. Mais, à peine deux jours après la clôture de la conférence, Shinzo Abe, premier ministre du Japon, hôte de la conférence de G20, a déclaré une guerre incompréhensible à la Corée du Sud.

Tout indique que la mesure prise par le premier ministre Abe va nuire non seulement à l’économie coréenne mais aussi à celle du Japon. Pourquoi alors déclencher une guerre commerciale contre la Corée ?

Pour l’instant, la guerre commerciale consiste en des contrôles administratifs des exportations des trois sortes de produits chimiques essentiels pour la production de semi-conducteurs, la production de téléphones portatifs ainsi que celle de télévisions. La production japonaise de ces produits chimiques représente jusqu’à 90% de la production globale. Les entreprises qui en seront affectés sont Samsung Electronics, SK Hynix et LG Display. Ces derniers  produisent presque 70%  de la production globale de semi-conducteurs et une partie importante d’autres biens affectés par la mesure prise par Shinzo Abe.

De plus, il parait que le Japon a une liste additionnelle d’une centaine de produits dont les exportations vers la Corée seront l’objet de contrôles et de restrictions.

La Corée du Sud a décidé de réagir fortement en haussant les droits douaniers imposés sur les biens japonais importés en Corée ou en restreignant des exportations des biens vers le Japon.

Pour l’instant, il est difficile de savoir l’ampleur de la guerre commerciale entre les deux pays voisins qui ont depuis toujours des rapports parfois pacifiques et parfois hostiles. Une chose est certaine, une telle guerre va nuire non seulement aux économies des deux pays impliqués directement mais aussi à l’économie du monde entier.

Alors pourquoi la guerre commerciale? Quelle est la vraie intention du premier ministre Abe?

1. Pourquoi?

D’après moi, ce que vise Shinzo Abe, c’est la perpétuation du pouvoir afin d’amender la Constitution de la Paix de 1947 et d’avoir un statut «normal» en terme de capacités offensives lui donnant le droit de faire la guerre, c’est-à-dire, le droit d’attaquer des pays étrangers. 

La question est donc de savoir comment le premier ministre japonais envisage ses choix tactiques.

Parmi ses choix tactiques, il y a nourrir chez les Japonais un sentiment anti-Corée en attisant chez les Coréens un sentiment anti-Japon. Dans les années passées, le sentiment anti-Corée a souvent conduit aux victoires électorales de Shinzo Abe. 

Mais, de quelle façon peut-on provoquer un sentiment anti-Japon en Corée ? Il parait que Shinzo Abe a choisi les approches suivantes: nier les crimes qu’a commis le Japon contre la Corée d’une part, et, d’autre part, fabriquer des incidents susceptibles de choquer les Coréens.

1.1 Négation des crimes du passé

Depuis 1905, année où le Japon a pris la Corée sous son protectorat, les Coréens ont dû supporter l’humiliation extrême du Japon; ils ont été obligés d’endurer les atrocités des Japonais; ils n’ont pas pu vaincre la ségrégation raciale la plus barbare pratiquée par des Japonais.

Le Japon a annexé la Corée après avoir vaincu la Chine en 1985 et la Russie en 1905. Les autorités japonaises ont fait assassiner l’Impératrice Myeong-seong le 8 octobre 1895; elles ont chassé l’Empereur Kojongen 1910. L’annexion était illégale, car l’empereur ne l’avait pas signé. En 1919, des millions d’hommes et de femmes sont descendus dans la rue à travers le pays en criant « Vive la Corée», et ils ont été massacrés par des sabres japonais et des mitraillettes de la police japonaise.

Les patriotes coréens capturés lors de la démonstration patriotique de 1919 ont été torturés par la police japonaise. Cette dernière a employé une forme de torture diabolique : arracher à la pince les ongles des capturés. Les Japonais qui ont envahi la Corée ont volé des terres, des maisons et bien d’autres propriétés des patriotes coréens avec la complicité de Coréens collaborateurs.

Un grand nombre de Coréens de tout âge ont été capturés et envoyé aux fronts comme soldats en vue de tuer des patriotes coréens; une centaine de milliers de Coréens et de Coréennes ont été mobilisés de force et envoyés aux mines ainsi qu’aux usines comme esclave, et ils ont vécu dans des conditions si pitoyables qu’il n’est pas possible de trouver des mots appropriés pour les décrire.

Les Japonais ont effectué une chose qu’aucun autre pays colonisateur n’a fait :les Japonais ont essayé d’effacer l’identité de l’ethnie coréenne. D’abord ils ont forcé les familles coréennes à abandonner leurs noms de famille et à adopter des noms japonais. Ils ont empêché les enfants coréens de parler la langue coréenne à l’école. Tous les matins, les écoliers et les étudiants ont dû suivre des séances de lavage des cerveaux. Le but de toutes ces mesures était d’anéantir la culture et l’identité coréenne, d’obéir à l’empereur japonais divin et de provoquer la haine contre les pays de l’Ouest.

La conquête japonaise en Corée, en Chine et ailleurs a été marquée par des atrocités extrêmes. Ces atrocités étaient selon moi attribuables au complexe de supériorité raciale des Japonais. En réalité, les Japonais ont classé les ethnies du monde selon une hiérarchie verticale au sommet de laquelle se trouvait, il va de soi, la «race japonaise». Ce complexe s’exprime, me semble-t-il, dans la croyance en la divinité de l’empereur d’une part et, d’autre part, dans la mission de «HakkoIchiu».

Ce qui est extraordinaire, c’est que les Japonais croyaient en la divinité de l’empereur jusqu’à la fin de la guerre du Pacifique; l’empereur japonais était le seul dieu vivant au monde!

Il y avait au Japon l’expression «HakkoIchiu» qui signifiait «un seul toit sur les huit coins». Le toit représente le Japon et les huit coins représentent le monde. Autrement dit, le Japon est destiné à dominer et gouverner le monde. Ainsi le Japon s’est donné la mission sacrée de conquérir le monde.

La combinaison de la divinité de l’empereur et de la mission sacrée a pu servir de mobile aux comportements bestiaux des soldats japonais et aux atrocités qu’ils ont commises. Le Washington Post du 1er mars de 2007 a cité un soldat japonais, Yasuji Kaneko qui aurait déclaré: « J’ai violé toutes les femmes que j’ai voulu. J’étais soldat de l’empereur! » Est-ce que le statut de soldat de l’empereur divin donne le droit sacré de violer?

On ne peut pas expliquer les crimes contre l’humanité commis par l’Unité 731 de l’armée japonaise contre les Coréens, les Chinois et d’autres groupes ethniques non-japonais qui ont fait l’objet d’«expérimentations atroces». Des hommes et des femmes ont été décapités vivants afin de tester l’efficacité des sabres japonais. Ils ont été victimes des armes chimiques et biologiques et ont péri pour l’empereur divin.

On ne compte plus les actes atroces de l’armée impériale du Japon. Plus de deux cent mille jeunes filles, la plupart des Coréennes, ont été violées dix fois, même vingt fois par jour, tous les jours, par des soldats japonais. 

Chose étrange, on n’a pas entendu dire qu’il y avait des filles japonaises dans les établissements militaires japonais destinés à l’esclavage sexuel. 

Après la guerre du Pacifique, un très grand nombre de ces femmes ont été enterrées mortes ou vivantes dans d’immenses fosses communes. Un grand nombre d’entre elles n’ont pas retrouvé leurs familles à cause de la honte. Beaucoup se sont suicidées. Une petite minorité d’entre elles, revenues dans leurs familles ont dû souffrir physiquement et psychologiquement toute leur vie. 

Comment est-il possible que des soldats japonais aient pu commettre de tels crimes ? À moins d’avoir été ivres de pouvoir, aveugles face au mal et au bien, face à la haine sans borne et le mépris profond contre des gens qui ne sont pas des sujets de l’empereur divin. L’explication la plus plausible de ces comportements des soldats japonais est qu’ils avaient l’illusion que le Japon était le peuple «choisi» et que les « races non-japonaises » étaient des races inférieures et que ces peuples méritaient des traitements méprisants.

Un soldat japonais a avoué que, pour lui, les esclaves sexuelles coréennes n’étaient que du matériel de guerre.

En 1993, Kato Koichi, chef de cabinet du premier ministre, a reconnu l’existence de camps d’esclavage sexuel exploités par des soldats japonais. Cette même année, Kiichi Miyazawa, premier ministre du Japon, a présenté des excuses pour les crimes commis. Le rapport de recherches de l’historien Yoshiaki Yoshimi contient des preuves indéniables de ce qui s’est arrivé.

En dépit de tous ces crimes commis contre la Corée, le peuple coréen a été prêt à pardonner les Japonais après avoir entendu les excuses et les regrets des dirigeants politiques dans les années 1990.

Et les relations Corée-Japon ont été normales si non amicales jusqu’à l’arrivée de Shinzo Abe dans les années 2000.

Depuis le retour au pouvoir en 2012 du Parti Libéral Démocratique de Shinzo Abe, les choses ont changé. Malgré la protestation des Coréens et des Chinois, le gouvernement Abe nie l’histoire des crimes commis par le Japon durant son occupation de la Corée et de la Chine.

Les politiciens japonais  visitent le sanctuaire Yasukuni, symbole de l’impérialisme et du militarisme japonais, dédié aux personnes mortes au combat en servant l’empereur du Japon au cours des conflits de 1867 à 1951. Par tradition, tout acte mauvais ou immoral commis par le défunt est pardonné lors de l’entrée au sanctuaire.

Dans les manuels scolaires japonais, il est écrit que le but de l’annexion de la Corée était bon pour son développement économique. Plusieurs passages dans ces manuels justifient et glorifient l’occupation japonaise de la Chine et de la Corée.

Sur ce plan, la perception japonaise de crimes de guerre se distingue bien de celle de l’Allemagne d’après-guerre. L’Allemagne a avoué ses crimes commis durant la Seconde Guerre Mondiale et a demandé pardon, ce qui lui a permis d’avoir l’admiration du monde et de bien jouer son rôle de leadership dans le processus d’intégration de l’Europe.

Shinzo Abe sait très bien qu’il y a un sujet auquel Coréens sont très sensibles, c’est l’esclavage sexuel des jeunes filles coréennes, appelées les femmes de réconfort. Il y a des preuves abondantes, beaucoup de témoins. 

Des premiers ministres japonais ont reconnu ces crimes. Ils ont même présenté des excuses.

Mais Shinzo Abe insiste sur le fait que le crime n’a pas eu lieu. Son idée est de provoquer un sentiment anti-Japon en Corée qui se traduirait par un sentiment anti-Corée au Japon. Il aurait bien réussi. En effet, d’après un sondage, le sentiment anti-Japon en Corée est de 92%, le sentiment anti-Corée au Japon est de 93%. 

Le premier ministre japonais a une bonne chance de remporter la victoire lors de l’élection des membres de la chambre haute du parlement ce mois-ci à cause du sentiment anti-Corée très élevé quelques jours avant l’élection. 

Shinzo Abe a dans sa poche, en plus de sa négation des comportements malfaisants du Japon durant l’occupation de la Corée, bien d’autres jeux de coulisse susceptibles de générer des sentiments anti-Japon en Corée et, par conséquent, le sentiment anti-Corée au Japon. C’est ce qu’il veut.

1.2 Autres tactiques

Shinzo Abe a utilisé plusieurs autres méthodes pour provoquer ce sentiment anti-Japon chez les Coréens.

Il n’y a pas si longtemps, les avions militaires japonais se sont approchés, à basse altitude, d’un navire de guerre coréen pour ensuite dire à la population japonaise que le navire s’était montré hostile envers l’avion japonais. Il fut  prouvé que c’était faux. Chaque fois que le Japon a eu besoin de provoquer un sentiment anti-Japon en Corée, il a réclamé que les îles Dok-do (Takeshima) deviennent territoire japonais. 

Lors du Sommet du G20, Shinzo Abe a refusé de participer à une rencontre en privé avec Moon Jae-in, président sud-coréen. Le président Moon est le seul chef d’État qui n’a pas pu rencontrer en privé Shinzo Abe, pourtant l’hôte de la conférence. Un geste enfantin, très enfantin.

Il y a la question du jugement de la Cour Supérieure coréenne demandant aux entreprises japonaises de payer un montant d’environ neuf millions de dollars américains aux Coréens qui ont été forcé de travailler comme esclave pour les firmes japonaise dans des conditions pitoyables. 

Les entreprises japonaises impliquées, Nippon Steel & Sumimoto Metal Corporation et Mitsubishi Heavy Industry, Ltd, seraient, paraît-il, disposées à payer le montant. Mais, le gouvernement Abe leur aurait demandé de ne pas le faire. Une décision qui renforce le sentiment anti-Japon en Corée.

En décembre 2015, au temps du gouvernement conservateur et pro-Japon de la présidente Park Geun-hye, le ministre coréen des Affaires étrangères et son homologue japonais ont signé un accord historique en vertu duquel les problématiques concernant les esclaves sexuelles coréennes (les femmes de réconfort) étaient supposées être résolues. 

Le Japon prétendait à l’époque que cet accord permettait de régler le délicat litige de façon définitive et irréversible, mais le gouvernement progressiste de Moon Jae-in ne reconnaît pas la légitimité de l’accord pour deux raisons. 

D’une part, le document n’a pas été approuvé par l’assemblée nationale et, d’autre part, les victimes de l’esclavage sexuel elles-mêmes n’ont pas été consultées, ce qui renforce encore un peu plus le sentiment anti-Japon en Corée.

Bref, la guerre qu’a déclaré Shinzo Abe s’inscrit dans son projet de perpétuer son pouvoir afin d’amender la constitution de la Paix (constitution de 1947), de doter le Japon de capacités offensives, d’en faire un pays «normal» en la matière, et de se donner le droit de vendre des armes offensives et de faire la guerre offensive. 

Le moyen le plus efficace est de provoquer des sentiments anti-Japon en Corée qui se traduit forcément en des sentiments anti-Corée au Japon. Ce moyen s’est révélé comme le plus efficace pour gagner des élections.

2. Quels en seront les impacts?

On peut envisager deux types d’impact à la déclaration de guerre commerciale: l’impact économique et l’impact politique

2.1 L’impact économique

Il est sans doute trop tôt pour avoir une idée précise de l’impact économique. Cependant, il est certain que si le plan de Shinzo Abe se concrétise, la Corée va réagir et les pertes économiques seront considérables pour les deux pays impliqués. 

De plus, dans la mesure où la production des biens se fait à l’intérieur dela chaîne globale de production, l’effet nocif de cette guerre pourra se faire sentir dans le monde entier.

À ce moment-là, Shinzo Abe seul sera blâmé.

Pour la Corée, cette guerre peut constituer une bonne occasion de restructurer son économie en diversifiant à la fois les produits à exporter et les partenaires commerciaux. Il est aussi important d’accélérer le développement du secteur des services afin de diminuer la dépendance excessive des exportations.

Il est certain que l’économie en sera victime, car la Corée est le principal marché des produits impliqués. En effet, Samsung et le groupe SK (l’un des plus gros conglomérats de Corée) produisent presque 70% de l’offre globale de semi-conducteurs. D’ailleurs, le milieu d’affaires japonais ainsi que les médias commencent à critiquer la guerre commerciale de Shinzo Abe. 

La Corée n’a pas encore déterminé comment elle réagirait aux décisions du gouvernement Abe, mais le président Moon Jae-in a annoncé que la Corée prendra les mesures appropriées en fonction des effets négatifs sur l’économie coréenne.

2.2 L’impact politique

Il importe de distinguer l’impact politique sur le Japon de celui que subira la Corée. De plus, il faut les distinguer selon les résultats de l’élection des membres de la chambre haute du Japon qui aura lieu d’ici quelques jours.

Parlons de l’impact sur le Japon. Si Shinzo Abe perd l’élection qui arrive, les restrictions et le contrôle des exportations vers la Corée n’augmenteront pas à cause des critiques des médias et des conservateurs modérés. Cependant, le premier ministre japonais continuera à faire pression avec d’autres méthodes sur le gouvernement de Moon Jae-in. La stratégie de Shinzo Abe concernant la Corée est de maintenir la tension sur la péninsule coréenne, pour la raison suivante :

Le Japon a toujours eu besoin d’avoir des ennemis à l’étranger en vue de créer un climat de peur et d’inciter la population à supporter le parti conservateur qui a été identifié comme étant le mieux préparé pour assurer la sécurité nationale.

Jusqu’à présent, la Corée du Nord a été l’ennemie nationale et source de peur et d’incertitude pour les Japonais. Shinzo Abe a utilisé cet état psychologique du peuple japonais pour remporter des victoires électorales. 

Or, les dialogues de paix entre Pyongyang et Washington se déroulent bien et la possibilité d’avoir la paix dans la péninsule augmente. Ce qui permet de  diminuer l’utilité de la Corée du Nord comme source de menace. Il faut donc trouver de nouveaux ennemis à l’étranger. C’est maintenant la Corée du Sud de Moon Jae-in qui remplace la Corée du Nord comme source de peur.

Par conséquent, Shinzo Abe fera tout pour inciter la population japonaise à percevoir la Corée du Sud de Moon Jae-in comme une ennemie. Au fait, le premier ministre japonais vient d’annoncer qu’il a ajouté des centaines de produits à la liste des produits dont les exportations vers la Corée feront l’objet de restrictions. 

Shinzo Abe va encore plus loin. Il a dit qu’il envisage d’augmenter la liste des produits stratégiques que la Corée du Sud est soupçonnée d’avoir envoyé à la Corée du Nord.

Tout ceci a provoqué l’intensification du sentiment anti-Japon en Corée. 

Plus de 70% de Coréens réclament des mesures de représailles contre le Japon. 

Le nombre de Coréens qui veulent arrêter l’achat des biens importés du Japon augmente rapidement, et il y a un nombre croissant de magasins qui ne veulent plus vendre des biens japonais importés. Voici ce qui fera l’affaire de Shinzo Abe, car plus le sentiment anti-Japon s’intensifie en Corée, plus fort sera le sentiment anti-Corée au Japon.

Il va de soi que le gouvernement sud-coréen de Moon Jae-in doit réagir, mais sa tâche est d’autant plus difficile que le parti d’opposition conservateur tend à appuyer Shinzo Abe au lieu de collaborer avec le gouvernement sud-coréen. 

Ce phénomène est pervers et inquiétant. C’est le moment de présenter un front commun contre l’offensive japonaise, mais une partie de la Corée tend à appuyer le Japon. Comment peut-on l’expliquer?

Si Shinzo Abe l’emporte aux élections du 21 juillet et s’assure d’un long règne, il va intensifier ses attaques contre Moon Jae-in. 

De deux façons : 

D’une part, il pourra aider le parti d’opposition, le Hangukdang (Liberty Korea Party-LKP), soit le parti pro-Japon, pour que ce dernier reprenne le pouvoir d’ici trois ans. Si ça devait arriver, il est plus que probable que la tension monte dans la péninsule coréenne. Shinzo Abe et le Hangukdang auront alors un ennemi commun, la Corée du Nord, ce qui augmentera leurs chances de victoires électorales. 

D’autre part, ni Shinzo Abe ni le parti conservateur sud-coréen ne veut la paix dans la péninsule coréenne et l’unification des deux Corées. Ils veulent que la crise nucléaire continue, car cette crise facilite leurs chances de victoires électorales. 

La Corée unifiée peut devenir suffisamment forte pour empêcher Shinzo Abe de réaliser son rêve de restaurer l’empire des années d’avant la Guerre du Pacifique. 

Quant au Hangukdang, une Corée unifiée peut signifier une menace contre les privilèges largement monopolisés par les conservateurs en Corée du Sud.

Il faut se rappeler que les leaders conservateurs sud-coréens sont des descendants de fonctionnaires, de financiers, de juges et, surtout de policiers qui avaient à cœur, durant l’occupation japonaise en Corée, les intérêts du Japon au dépend des ceux de la Corée. 

Aux yeux de Coréens, ces leaders sont des pro-japonais (chinilpa), des traîtres.

Or, pour des diverses raisons, ces pro-japonais ont gouverné pendant 60 ans depuis la libération de la Corée. 

Par contre, les élites de la Corée du Nord sont des descendants des patriotes qui ont combattu le Japon et qui ont été capturés et torturés par les Coréens pro-japonais. Pour les coréens du Nord, les pro-japonais sud-coréens demeurent des ennemis. Les pro-japonais sud-coréens ne veulent rien savoir des Coréens du Nord.

Ce qui est très malheureux, c’est qu’il y a trois Corées: la Corée du Nord, la Corée du Sud pro-japonais et la Corée du Sud pro-Corée. Cet état des lieux rend faciles les manœuvres de Shinzo Abe pour diviser la Corée et pour faciliter son maintien au pouvoir.

3. En résumé

La guerre commerciale qu’a déclarée Shinzo Abe n’est pas dans les faits une guerre commerciale. Il s’agit plutôt du premier pas vers la restauration de l’empire japonais impérial et militaire de l’époque de son grand-père du côté maternel, Nobuske Kishi, accusé de crimes de guerre.

Le premier moyen choisi est la destruction de la Corée sous le gouvernement progressiste et libéral et le retour des conservateurs sud-coréens qui sont, dans un sens, l’extension des conservateurs japonais dirigé par Shinzo Abe. 

Ce qui est inquiétant, c’est que Shinzo Abe a décidé cette aventure insensée malgré les impacts nocifs sur l’économie planétaire et la sécurité du monde.

Il est à espérer que le premier ministre japonais abandonne son rêve, demande pardon sincèrement pour les atrocités du passé, développe des rapports constructifs avec ses voisins, dont la Corée, et recommence à jouer un rôle positif comme le Japon l’a déjà fait pour encourager la prospérité et la paix du monde.

Joseph H. Chung

 

Photo en vedette : Capture d’écran

Le Président sud-coréen Moon Jae-in (gauche) et le Premier ministre japonais Shinzo Abe au sommet du G20 à Osaka le 28 juin 2019 Ludovic MARIN / POOL / AFP

Source :

http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20190705-tokyo-japon-sanctionne-industrie-coree-sud-semi-conducteurs

 

Professeur Joseph H. Chung est professeur des sciences économiques et co-directeur de l’Observatoire de l’Asie de l’Est du Centre d’Études sur l’Intégration et la Mondialisation (CEIM) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Il est Associé de Recherches du Centre de recherche sur la Mondialisation (CRM)

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Presque tous les jours, nous lisons des articles sur les derniers débordements en Europe, ciblant les politiques pro-immigration. Il y a des protestations, même des émeutes. Les gouvernements de droite se font élire, prétendument, parce que les Européens « en ont assez d’un assouplissement de la réglementation en matière d’immigration ».

C’est ce qu’on nous dit. C’est ce que nous sommes censés comprendre, et même accepter. Les sentiments anti-immigration sont même présentés au monde comme synonymes du désir des Européens de « gagner leur indépendance vis-à-vis de Bruxelles et des élites ». Le prolétariat de droite, souvent raciste, gâté et égoïste, est dépeint par beaucoup comme un groupe de personnes qui souffrent depuis longtemps, qui travaillent dur et qui ont des aspirations progressistes.

Vu de loin, de tels arguments sont scandaleux et même insultants, du moins pour les milliards de personnes qui ont déjà perdu la vie dans l’histoire, victimes des génocides expansionnistes européens et nord-américains. Et à ceux qui, jusqu’à ce jour, ont vu leur patrie ruinée, leurs moyens de subsistance détruits, leur volonté politique violée et, en fin de compte, leur entrée libre et inconditionnelle refusée ; une entrée dans ces mêmes pays qui continuent de violer toutes les lois internationales, tout en semant la terreur et la dévastation dans pratiquement tous les coins du monde.

***

Dans cet essai, soyons aussi concrets que possible. Soyons brefs.

Je déclare d’emblée que chaque Africain, chaque Asiatique, chaque citoyen du Moyen-Orient et chaque Latino-Américain (à quel point ce nom même « Latin » et « Amerique » est pervers) doit pouvoir entrer librement en Europe et en Amérique du Nord. En outre, il ou elle devrait alors être autorisé(e) à rester aussi longtemps qu’il ou elle le souhaite, en profitant des avantages gratuits et de tous les délices savourés par les Occidentaux.

Pour étayer cette affirmation, voici plusieurs arguments moraux et logiques de base (mais pas tous) :

Tout d’abord, l’Europe et l’Amérique du Nord n’appartiennent pas à leurs peuples. Ils appartiennent aux gens des quatre coins du monde. Pour construire ce que l’on appelle l’Occident, près d’un milliard de personnes (cumulativement, selon mes amis, les statisticiens de l’ONU) ont dû mourir, tout au long de l’histoire moderne et de l’histoire moins moderne. Presque tout, les théâtres, les écoles, les hôpitaux, les parcs, les chemins de fer, les usines et les musées, a été construit, littéralement, sur les os et le sang des peuples conquis. Et rien n’a vraiment changé ces derniers temps. L’Europe et plus tard l’Amérique du Nord ont envahi presque toute la planète ; ils ont pillé, tué, réduit en esclavage et torturé. Ils ont tout volé au monde et n’ont rien redonné, sauf la religion et une bande servile et toxique « d’élites », qui pillent continuellement leurs pays, au nom de l’Occident. Par conséquent, l’Europe et l’Amérique du Nord ont été construites sur le crédit, et maintenant ce crédit est dû.

Deuxièmement, la civilisation occidentale, sans aucune concurrence, est la civilisation la plus violente du monde. Je répète, sans aucune concurrence. Elle ne peut être vaincue militairement, sans pertes supplémentaires, pertes qui pourraient facilement se chiffrer en milliards de vies humaines. Par conséquent, la seule façon de réduire l’ampleur des nouvelles tragédies mondiales est de « diluer » l’Occident et sa culture fondamentaliste de supériorité raciale et culturelle. Le fait que les Occidentaux soient maintenant minoritaires dans des villes comme Londres ou New York n’a pas complètement empêché le Royaume-Uni et les États-Unis de commettre des crimes monstrueux, d’attaquer et de piller des pays étrangers. Mais si l’Europe et l’Amérique du Nord étaient encore homogènes, il ne resterait guère de pays libre et indépendant dans le monde. La migration vers l’Occident contribue, du moins dans une certaine mesure, à sauver le monde. Les migrants, de la première et de la plus ancienne génération, exigent que les voix des non-occidentaux soient écoutées, au moins dans une certaine mesure.

En outre, et c’est bien sûr un argument bien connu : la seule raison pour laquelle les gens de pays auparavant riches comme l’Irak, la Libye, le Venezuela, l’Iran ou la Syrie sont forcés d’émigrer, est que leurs nations ont été soit bombardées pour retourner à l’âge de pierre, soit détruites par des sanctions sadiques. Pourquoi ? Il y a donc eu des changements de gouvernement, et au lieu de profiter aux citoyens locaux, les profits des ressources naturelles ont profité aux sociétés occidentales. Aussi, bien sûr, afin d’éviter « l’effet domino ». L’Occident déteste l’idée de « l’effet domino » : comprenez, l’influence régionale ou mondiale des gouvernements communistes, socialistes ou progressistes qui seraient déterminés à améliorer la vie de leur peuple. L’Occident a besoin d’esclaves obéissants et effrayés, pas de grands héros et de brillants penseurs ! Pour arrêter « l’effet domino », des millions de personnes ont dû mourir lors du coup d’État de 1965 en Indonésie, en Indochine (Vietnam, Laos et Cambodge), en République démocratique du Congo, en Irak, pour ne citer que quelques nations malheureuses. Si vous arrivez dans un pays riche et socialement équilibré, que vous le privez de tout, que vous renversez son gouvernement et que vous le réduisiez à un « État en faillite » pour que votre propre pays et votre peuple prospèrent, seriez-vous choqué si certains de ses habitants décidaient de suivre les ressources que vous avez volées, c’est-à-dire de partir dans votre propre pays ?

La raison pour laquelle les gens en Occident ne suivent pas ce train de logique est simplement parce qu’ils sont complètement ignorants, essayant de toutes leurs forces, pendant des décennies et des siècles, de rester aveugles. S’ils déclarent être ignorants, ils n’ont pas à agir. Ils peuvent juste profiter du butin, sans en payer le prix. C’est simple, non ?

***

Ces électeurs de droite au Royaume-Uni, en Hongrie, en Grèce, en France et en Italie, ainsi que dans d’autres pays de l’UE, sont-ils vraiment si aveugles, ou si moralement corrompus, qu’ils ne voient pas la réalité ?

Est-ce qu’ils s’attendent à un « tour gratuit » pour un autre siècle ou deux ?

Enseigne-t-on l’histoire dans les écoles européennes ? Je me demande. Et s’ils le font, quel genre d’histoire ? J’ai été choqué de constater que même certains de mes amis espagnols qui travaillent pour les Nations Unies n’ont absolument aucune idée de la barbarie que leur pays a commise en Amérique Centrale et en Amérique du Sud. Ou le Portugal, dans ce qui est aujourd’hui le Brésil ou le Cap-Vert.

Aujourd’hui, les Italiens, avec leur Ligue du Nord (oh oui, « anti-establishment », ils aiment à le dire) fermement au gouvernement, criminalisent les gens qui aident les « boat people » naviguant depuis la Libye et d’autres pays africains dévastés (principalement ruinés par la France et d’autres nations européennes) à rejoindre les côtes italiennes. Les bons « travailleurs » préféreraient que les réfugiés coulent au milieu de la mer Méditerranée, comme des centaines et des milliers d’autres l’ont déjà fait. Et cette rhétorique anti-immigration est en fait glorifiée comme « courageuse » et « anti-establishment ». À quel point la culture européenne continue-t-elle d’être monstrueuse et médiocre ? Elle a toujours été ultra-violente et agressive, mais maintenant elle est aussi superficielle, illogique et fanatique. Ce n’est plus raciste. C’est bien plus que cela. C’est turbo-raciste, monstrueusement égoïste. Je la qualifie souvent de « fondamentaliste », un peu comme ce que l’on rencontre dans la « logique » de mouvements comme l’État Islamique et al Nusra.

Aux États-Unis, la situation n’est guère meilleure. Un mur à la frontière mexicaine ? Étudiez votre histoire ! Les États-Unis ont volé la moitié du Mexique, par des guerres expansionnistes. La plupart des migrants qui traversent illégalement la frontière ne sont en fait pas mexicains (le Mexique est, avec tous ses problèmes sociaux, un pays de l’OCDE), mais originaires de pays pauvres d’Amérique Centrale. Et pourquoi ces nations sont-elles appauvries ? Chaque fois qu’ils élisent démocratiquement leurs gouvernements progressistes qui seraient prêts à travailler au nom du peuple, les États-Unis appliquent immédiatement leur « Doctrine Monroe » dictatoriale fasciste, renversent le gouvernement, injectent des escadrons de la mort de droite, privatisent le pays et le dépouillent de tout. Les gens du Guatemala, du Salvador, du Honduras ou de la République Dominicaine n’ont-ils pas le droit de suivre le butin et de s’installer près de lui, aux États-Unis ?

***

La doctrine occidentale est simple et en même temps, absolument irrationnelle. Elle n’est pas définie, mais si elle l’était, elle se lirait comme ceci : « Nous pouvons attaquer, voler, migrer où nous voulons. Parce que nous sommes un peuple blanc, chrétien, avec une culture supérieure et de bien meilleures armes que les autres. Il n’y a pas d’autre raison, mais cela devrait suffire. Les autres doivent rester loin, très loin. Ou alors ! S’ils désobéissent, ils seront coulés par les Italiens, battus en haute mer par les Grecs avec des tuyaux en caoutchouc. Des murs seront construits et les gens seront concentrés dans des camps répugnants, comme ce qui se passe si des réfugiés tentent de traverser du sud vers l’Amérique du Nord ».

Oh, l’Amérique du Nord, où la première mais aussi la deuxième génération et d’autres générations d’Européens chassaient les autochtones locaux comme des animaux. Où la grande majorité des membres de la Première nation sont morts de mort horrible. Là où les autochtones, aux États-Unis et au Canada, sont souvent obligés de vivre, jusqu’à ce jour, dans la misère totale. L’Amérique du Nord, mais aussi l’Australie – la même culture, le même modèle, la même « logique ».

Et après avoir assassiné des autochtones, que s’est-il passé ensuite ? Des millions d’Africains, enchaînés, amenés comme esclaves par les Européens, pour construire « le nouveau monde ». Des hommes torturés et dépouillés de leur dignité. Des femmes ligotées dans les champs et violées, jour après jour, par des propriétaires de plantations blanches. Démocratie. La liberté. À l’occidentale.

Une telle « nation », comme les États-Unis, a-t-elle le droit moral de décider qui doit franchir ses frontières et qui doit s’installer sur son territoire ?

Je ne crois pas, non. Et vous ?

***

Les choses peuvent être très différentes. Regardez la Russie pendant l’Union Soviétique. Elle n’a jamais occupé les républiques d’Asie Centrale. Elles ont adhéré volontairement, et si vous parlez aux gens en Ouzbékistan ou au Kirghizistan, une grande majorité d’entre eux seraient heureux de rejoindre la Russie, encore une fois ; presque tous se sentent nostalgiques de l’Union Soviétique.

Pendant l’URSS, Moscou s’est assuré que le niveau de vie au Tadjikistan ou au Kirghizstan était presque le même qu’en Russie. Au lieu de piller, la Russie a fourni d’importantes subventions et un soutien internationaliste.

Et puis, après la destruction de l’Union Soviétique par des forces extérieures (la course aux armements avec l’Occident et la propagande occidentale), le pays est entré dans plusieurs États indépendants. Et le flux de migrants a commencé.

La Russie n’a jamais fermé ses frontières. Voyager de l’Asie Centrale (déstabilisée par Washington) à la Russie aujourd’hui riche est facile. Des millions de personnes originaires des anciennes républiques soviétiques sont heureuses de travailler dans toute la Fédération de Russie. Et il n’y a aucune « obligation morale » que l’État russe ait envers eux. Tout cela n’est en fait que bon sens, respect de l’histoire et des valeurs communes, et bonté humaine normale.

***

Certains diront que ce que l’Occident a fait, c’est arrivé il y a longtemps. Mais pas du tout. Cela arrive toujours aujourd’hui, en ce moment même.

Bien sûr, si vous faites frire votre cerveau dans un pub ou un club à Londres, ou si vous êtes assis dans un café chic à Paris, vous ne le penseriez jamais. Tout ce que vous voulez, c’est être seul et vivre votre douce vie européenne. Une vie construite sur les os et le sang de centaines de millions de victimes.

L’Europe gigantesque et super riche ne peut même pas accueillir un million de personnes venant du Moyen-Orient en ruines ? Sérieusement ? Le petit Liban a survécu à un afflux de 2 millions de réfugiés au plus fort de la crise syrienne. Le taux de criminalité n’est pas monté en flèche, le pays ne s’est pas effondré. Vous savez pourquoi ? Parce que le peuple libanais a du cœur et de la décence. Alors que l’Occident n’a rien de tel.

Si votre famille devenait riche parce qu’elle volait et assassinait, voudriez-vous rendre le butin ? Ouvrirais-tu les portes à ceux que tes parents et tes frères ont torturés et pillés ? Certains le feraient. Après avoir ouvert les yeux, ils le feraient. Mais pas l’Ouest. Il ne fait que prendre. Il ne cède jamais. Il déteste ceux qui donnent. Il salit, et même attaque toutes les nations décentes.

Les horreurs se produisent encore aujourd’hui, dans l’Afghanistan dévasté, un pays réduit en cendres, après avoir été désigné comme base d’entraînement pour les fondamentalistes prêts à infiltrer et à endommager la Chine, la Russie, les anciennes républiques soviétiques d’Asie Centrale, l’Iran et le Pakistan. Je travaille là-bas, je sais. Ou la Syrie. J’y travaille aussi. Ou le Venezuela, un de mes pays préférés sur terre. Et la liste est longue.

Je ne peux plus lire ces éclats hypocrites et moralisateurs, venant des électeurs britanniques, français, italiens, nord-américains et grecs qui ne veulent que des avantages, tout en choisissant de rester aveugles aux génocides mondiaux que leur régime commet dans le monde entier.

Ces gens se fichent de savoir qui paie pour leur bien-être, ou combien de millions de personnes meurent en leur donnant leurs privilèges.

Ils en veulent plus. Ils se plaignent toujours « à quel point ils sont pauvres et exploités ». Ils ne veulent pas mettre fin au néocolonialisme. Ils ne désirent que plus d’argent et de meilleures conditions de vie pour eux-mêmes. « Nous sommes tous des humains », disent-ils. « Nous sommes tous des victimes ». Et puis ils votent pour l’extrême droite, et exigent que les « réfugiés » ne soient pas admis.

Ils ont du sang sur les mains. Et la plupart d’entre eux ne sont pas des victimes, mais des agresseurs. Ce ne sont pas des internationalistes. Juste des mini-impérialistes, produits égoïstes de leur culture du colonialisme.

L’Occident doit ouvrir les portes d’un monde qui a été dévasté au cours des longs siècles.

Certaines personnes « à l’extérieur » ont été littéralement transformées en mendiants, pour que l’Occident puisse prospérer.

Le « politiquement correct » à Londres ou à New York ment en disant que le monde extérieur est merveilleux. Non ! Ce n’est pas le cas. Une grande partie est pauvre, gangrenée, horrible ! Il est dégoûtant. Parce qu’il a été fait comme ça. Parce qu’il a été battu, violé et volé pendant des siècles.

Ces gens, les vraies victimes, ne demandent que deux choses : qu’on les laisse seuls et qu’on leur permette de construire leur propre nation, sans intervention militaire occidentale, sans ONG intéressées et sans agences de l’ONU sous contrôle occidental. D’un.

De deux, aller quand ils le veulent, où se trouvent leurs richesses volées !

Soit on les laisse entrer, on les indemnise et on leur demande pardon, soit ils font ce qui est leur droit : briser les portes !

Andre Vltchek

 

 

Article original en anglais :

Why Are Anti-Migrant Arguments in the E.U., U.S. Pure Hypocrisy?

Traduit par Réseau International

 

Image en vedette par Vasco Gargalo, Cartoon Movement

Source de l’image en vedette :

https://voxeurop.eu/fr/2017/l-europe-et-les-migrants-5121385

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La France face au bras de fer entre l’Iran et les États-Unis

juillet 14th, 2019 by Antoine Charpentier

Depuis le retrait du président américain Donald Trump de l’accord de Vienne signé avec l’Iran en 2015 au sujet de son programme nucléaire, un bras de fer sans précédent s’est engagé entre les deux pays.

Par son retrait de l’accord de Vienne, Donald Trump visait à affaiblir d’une part l’Iran et d’autre part l’Europe. Entraver la démarche de l’Iran a également comme objectif d’amoindrir les marges de manœuvre de l’axe de la résistance, qui à son tour empêche la mise en place du «Deal du siècle», soutient la cause palestinienne et s’oppose à «Israël». Donald Trump impose de dures sanctions à l’Iran dans l’objectif d’affamer son peuple, espérant qu’il se soulève contre son gouvernement à l’instar des peuples voisins lors du «printemps arabe».

Ébranler l’Europe signifie pour Donald Trump plus d’hégémonie et de domination, donc des États européens vassaux en guise d’alliés, pour servir ses intérêts. De ce fait, les européens ne parviennent pas à satisfaire leurs promesses formulées à l’égard de l’Iran, tel que le système Instex.

Face à l’arrogance américaine et à la défaillance européenne, l’Iran s’est armé de prime abord par une patience stratégique, rare dans le domaine des relations internationales. Toutefois, en tant que pays souverain, l’Iran a le droit et le devoir de se défendre face aux agressions extérieures. Sans briser l’accord de Vienne, et tout en respectant ses engagements, comme l’affirme l’AIEA, l’Iran a usé de l’article 26 et 36 de l’accord en question, afin de suspendre certaines clauses concernant l’enrichissement de l’uranium et la détention de l’eau lourde, donnant un délai de 60 jours aux européens pour satisfaire leurs promesses à son égard, au risque de prendre d’autres mesures. Résultat, les dirigeants européens se sont repliés derrière leur inertie.

Par la suite, deux évènements se sont produits successivement. Il s’agit en premier du drone américain Global Hawk abattu le 20 juin, lorsqu’il a violé le ciel iranien ainsi que la fin du délai de 60 jours. Passer ce délai, sans aucun signe positif et concret de l’Europe, l’Iran déclare sa reprise de l’enrichissement de l’uranium de 3,67 % comme l’exige l’accord de Vienne, à 5%. Il convient de préciser que le seuil de 5% d’enrichissement de l’uranium n’aboutira pas à la fabrication de la bombe atomique, que par ailleurs l’Iran refuse de fabriquer pour des raisons éthiques, morales et religieuses. L’Iran souhaite uniquement obtenir le nucléaire civil.

L’enrichissement de l’uranium est une nouvelle carte de pression dont l’Iran use dans sa confrontation avec l’Occident. Cependant, il accompagne son annonce par un nouveau délai de 60 jours. Les autorités iraniennes donnent encore une preuve de bonne foi et ne ferme pas la porte de la diplomatie. Aussitôt que l’Iran annonce sa reprise de l’enrichissement de l’uranium, les médias occidentaux se sont précipités afin de propager une fausse nouvelle, comme quoi l’Iran quitte l’accord de Vienne. Néanmoins, ils ont occulté délibérément le fait que l’Occident n’a laissé aucun choix à l’Iran. Donald Trump s’est retiré injustement de l’accord infligeant l’Iran de dures sanctions, et l’Europe n’a pas activé comme convenu le système Instex. Toutefois, ce dernier devient une méthode de chantage de la part des européens envers l’Iran.

Nous assistons actuellement et à la suite des récentes annonces de l’Iran à une action diplomatique française sans précédent. De quoi s’agit-il exactement ? Que peut offrir d’avantage la France à l’Iran sur fond de crises irano-américaine d’une part et européenne d’autre part ? Il convient de préciser que la France participe aux sanctions contre l’Iran et que ses entreprises se sont retirées du marché iranien à la suite de la décision de Donald Trump, et que le président Macron est un des dirigeants européens le plus proches de Donald Trump. C’est pourquoi, il est très difficile pour la France de prendre parti et en même temps vouloir jouer les intermédiaires. Quant à la crise européenne, elle se traduit par la lutte entre la France et l’Allemagne pour commander l’Union européenne, et entre les deux pays cités et la Grande Bretagne, bras droit des États-Unis en Europe. Ceci dévoile une des raisons de la détention du pétrolier iranien par la marine anglaise. Le but étant de saboter les pourparlers en cours entre Français, Allemands et iraniens.

Le président français Emmanuel Macron semble vouloir également se donner à travers ses initiatives à l’égard de l’Iran une posture d’homme d’État, ayant un poids sur la scène internationale. Ceci dans le but d’envoyer un message aux européens ainsi qu’aux français pour des intérêts politiques propres à lui.

Il est certain que l’initiative française à l’égard de l’Iran révèle une crainte d’une escalade voire une guerre entre les États-Unis et l’Iran. De ce fait, la France ainsi que l’Europe savent pertinemment qu’en cas de guerre, Donald Trump va les utiliser, dans le cadre de l’OTAN. D’où les différentes agitations diplomatiques, afin d’essayer de rapprocher les points de vue entre américains et iraniens.

Si la France, et l’Europe souhaitent sincèrement obtenir des résultats positifs, dans l’objectif d’assouplir le bras de fer qui se joue actuellement entre les États-Unis et l’Iran, mettant le monde au bord du précipice, elles doivent activer au plus vite le système Instex. Elles doivent cesser de participer aux sanctions contre l’Iran. Elles doivent saisir l’occasion historique, que l’Iran leur offre, qui est de faire bloc avec la Russie, la Chine, l’Inde et différents autres pays, pour faire pression sur les États-Unis, afin qu’elles reviennent sur la table des négociations, mais aussi dans l’objectif d’échapper à son hégémonie sur elles. Enfin, la question que nous posons est la suivante : La France, et l’Europe prendront -elle cette posture historique ?

Antoine Charpentier

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Augmentation de l’ingérence militaire étasunienne en Argentine

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L’hécatombe économique du gouvernement néo-libéral de Mauricio Macri noie l’Argentine dans la mer des intérêts militaires et géopolitique de Donald Trump. Sous le patronage des États-Unis, la Conférence des Armées Américaines a réalisé des exercice militaires à la Triple Frontière de l’Argentine, du Brésil et du Paraguay, et le responsable du Commandement Sud, Craig Faller, a visité Buenos Aires pour finaliser plusieurs accords et aligner l’Argentine contre la Russie, la Chine et le Venezuela.

 

Le sultan brille dans la cour du Roi Dragon

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Erdogan semble prêt à acheter le système de défense antimissile russe au mépris des États-Unis et de l’OTAN en attachant son chariot à la Chine et la Russie. L’image graphique de la Turquie s’éloignant de l’OTAN au profit du partenariat stratégique russo-chinois a été illustrée, à plus d’un titre, par la visite du Président turc Tayyip Erdogan au Président chinois Xi Jinping à Beijing juste après celle du G20 à Osaka.

 

La Fed a-t-elle déjà décidé des élections américaines de 2020?

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En ce début de juillet 2019, les perspectives semblent positives pour la réélection de Donald Trump à la Présidence en novembre 2020. Les chiffres du marché boursier et du PIB semblent tous positifs… pour le moment. La grande question sans réponse est de savoir si ces indicateurs peuvent être maintenus jusqu’aux élections fatidiques. Car nous voyons déjà des signes qui sous-entendent des problèmes potentiels pour les Républicains.

 

Algérie – Quelles langues pour quel système éducatif? Pourquoi cette diversion ?

Par Chems Eddine Chitour, 12 juillet 2019

Mon attention a été attirée ces derniers jours par une nouvelle qui risque de créer une fois de plus,  un élément clivant  qui sera utilisé pour attiser les divisions.  En effet, le ministre de l’Enseignement supérieur a officiellement lancé un sondage d’opinion d’étudiants, sur la possibilité de substituer l’anglais au français dans les universités.  Nous remarquerons au passage, que les enseignants premiers concernés , sont hors champ. Par contre, les étudiants qui sont de passage, et même non concernés pour certaines disciplines, sont sollicités.

 

«La Révolution cubaine et ses intellectuels ont contribué à la renaissance de l’idée de construction de la Grande Patrie »

Par Claudia Gilman et Alex Anfruns, 13 juillet 2019

Aujourd’hui, la prétendue société de l’information semble avoir relégué le rôle des intellectuels à une fonction autoritaire. Ainsi, la figure de l’intellectuel sert toujours plus à exclusivement justifier l’idéologie dominante. En sollicitant l’avis du soi disant expert, les politiques ou les journalistes ferment à tour de rôle et à double tour toute possibilité de remise en question du pouvoir. Mais à une époque pas si lointaine, la figure de l’intellectuel jouait un autre rôle : elle faisait irruption dans le débat pour briser les normes et éveiller les consciences.

 

La France face au bras de fer entre l’Iran et les États-Unis

Par Antoine Charpentier, 14 juillet 2019

Depuis le retrait du président américain Donald Trump de l’accord de Vienne signé avec l’Iran en 2015 au sujet de son programme nucléaire, un bras de fer sans précédent s’est engagé entre les deux pays. Par son retrait de l’accord de Vienne, Donald Trump visait à affaiblir d’une part l’Iran et d’autre part l’Europe. Entraver la démarche de l’Iran a également comme objectif d’amoindrir les marges de manœuvre de l’axe de la résistance, qui à son tour empêche la mise en place du «Deal du siècle», soutient la cause palestinienne et s’oppose à «Israël».

 

Pourquoi les arguments anti-migrants sont-ils de la pure hypocrisie?

Par Andre Vltchek, 14 juillet 2019

Presque tous les jours, nous lisons des articles sur les derniers débordements en Europe, ciblant les politiques pro-immigration. Il y a des protestations, même des émeutes. Les gouvernements de droite se font élire, prétendument, parce que les Européens « en ont assez d’un assouplissement de la réglementation en matière d’immigration ». C’est ce qu’on nous dit. C’est ce que nous sommes censés comprendre, et même accepter. Les sentiments anti-immigration sont même présentés au monde comme synonymes du désir des Européens de « gagner leur indépendance vis-à-vis de Bruxelles et des élites ».

 

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Hier après-midi, 700 “Gilets Noirs”, sans-papiers et militants du collectif La Chapelle Debout ont occupéle Panthéon à Paris en scandantGilets Noirs” pour réclamer leur régularisation. Leur action pacifique a fait l’objet d’une répression féroce. La police a fait évacuer le Panthéon, puis nassé et chargé les manifestants à l’arrière du bâtiment où sont enterrées de nombreuses figures célèbres, dont les penseurs des Lumières Voltaire et Jean-Jacques Rousseau, le romancier Émile Zola, et le socialiste Jean Jaurès.

Protest inside the Pantheon [Credit: Thomas Clerget]

Cette action fait partie d’une vague internationale de mobilisations pour défendre les immigrés et les réfugiés contre les régimes autoritaires. Alors que les “Gilets Noirs” se mobilisaient à Paris, plus de 700 manifestations “Lumières pour la Liberté” étaient prévues aux États-Unis contre l’annonce par Donald Trump d’une vague nationale de rafles pour déporter 1 million d’immigrés. Des centaines de milliers de gens ont manifesté en Italie contre les déportations par le gouvernement d’extrême-droite, et en Allemagne contre la persécution juridique en Italie de Carola Rackete, la capitaine d’un vaisseau qui sauve des réfugiés en mer.

La police se prépare à inculper la manifestation

En France, les “Gilets Noirs” ont pénétré dans le Panthéon pour pointer la contradiction entre les prétentions démocratiques de la République française et sa violente traque des réfugiés. En entrant dans le bâtiment, vers 14h, ils ont souligné qu’ils revendiquaient la régularisation de tous leurs membres et une réunion avec le premier ministre Édouard Philippe pour obtenir cette régularisation.

Alors que des prises de paroles pacifiques se succédaient, des “Gilets noirs” distribuaient un communiqué qui déclare: “On est des sans-papiers, des sans-voix, des sans-visages pour la République française. On vient sur la tombe de vos grands hommes pour dénoncer vos profanations, celles des mémoires de nos camarades, de nos pères et de nos mères, de nos frères et de nos sœurs en Méditerranée, dans les rues de Paris, dans les foyers et les prisons. La France continue l’esclavage d’une autre façon.”

Pendant la répression policière au Panthéon [Crédit: La Chapelle Debout]

Ils ont pointé les conditions sociales intolérables dans lesquelles vivent des masses de réfugiés et de travailleurs pauvres en région parisienne: “On occupe, parce qu’il y a 200.000 logements vides à Paris, et que les nôtres dorment sous des échangeurs du périphérique, qu’hier la mairie a grillagé les rues du campement Avenue Wilson à Saint Denis.”

Le communiqué a également relevé d’autres actions menées par le collectif, dont l’occupation de la tour d’Elior à La Défense et du terminal Air France à l’aéroport Charles de Gaulle: “C’est là que la police française nous fout dans des avions pour Alger, Dakar, Khartoum, Bamako ou Kaboul. … On est allé dire aux patrons qui nous humilient et nous brisent le dos: la peur a changé de camp!”

Une partie de la manifestation à l’extérieur du Panthéon [Crédit: La Chapelle Debout]

Les forces de l’ordre ont réagi avec la violence qui est devenue quotidienne depuis l’imposition de l’état d’urgence par le Parti socialiste en 2015 et surtout la répression du mouvement des “Gilets Jaunes” par Macron depuis novembre 2018.

A 16h, les forces de l’ordre ont pénétré dans le Panthéon pour expulser les “Gilets Noirs”, qui scandaient, “Qu’est-ce qu’on veut? Des papiers! Pour qui? Pour tous!” et insistaient qu’ils ne se déplaceraient qu’ensemble. Peu avant 17h, les forces de l’ordre ont fait évacuer le Panthéon dans le calme, puis nassé les “Gilets Noirs” derrière le bâtiment.

Dès lors, bien que les “Gilets Noirs” soient restés calmes, la police a rapidement fait monter la violence pour les punir d’avoir organisé une action marquant ainsi les esprits. Les flics ont d’abord organisé des descentes parmi les manifestants nassés pour arrêtersix militants du collectif. Puis, quand les manifestants ont fait appel sur les réseaux sociaux à leurs soutiens pour venir les dégager, les forces de l’ordre les ont violemment chargés.

Les forces de l’ordre ont détenu 37 personnes à la manifestation, et plusieurs membres du collectif La Chapelle Debout ont été hospitalisés. Hier, en fin de soirée, 21 manifestants étaient toujours détenus à Paris, selon la page Facebook du collectif.

Cette violente répression témoigne du gouffre de classe qui sépare les sans-papiers de dirigeants politiques. Certains, dont les députés La France insoumise (LFI) Danièle Obono et Éric Coquerel, ont assisté à la manifestation pour faire des déclarations générales de soutien. C’étaient des postures hypocrites d’un parti dont les dirigeants ont soutenu des guerres néocoloniales en Afrique et ont appelé à des politiques protectionnistes afin de couper les travailleurs français de leurs frères et sœurs de classe en Afrique et autour du monde.

Mais les milieux dirigeants ont en général réagi avec horreur et colère à une manifestation où des sans papiers revendiquaient leurs droits démocratiques. La dirigeante néo-fasciste Marine Le Pen a vitupéré sur Twitter: “Il est INADMISSIBLE de voir des clandestins revendicatifs occuper, en toute impunité, ce haut lieu de la République qu’est le Panthéon. En France, le seul avenir d’un clandestin devrait être l’expulsion, car c’est la LOI.”

Reprenant la posture du gouvernement depuis le début du mouvement des “Gilets Jaunes,” le premier ministre Edouard Philippe a défendu fermement l’action violente des forces de l’ordre: “Toutes les personnes qui se sont introduites dans le Panthéon ont été évacuées. La France est un État de droit, dans tout ce que cela implique: respect des règles qui s’appliquent au droit au séjour, respect des monuments publics et de la mémoire qu’ils représentent.”

La déclaration autosatisfaite de Philippe qu’il dirige un “État de droit” qui défend les monuments publics et la mémoire de la France n’est qu’un enfumage cynique. Macron et Philippe ne représentent pas plus que Le Pen les traditions démocratiques liées aux oeuvres de nombreux écrivains ou penseurs enterrés dans le Panthéon.

Les pratiques d’État policier mises en oeuvre tous les États de l’OTAN sont les plus violentes envers les couches les plus vulnérables des travailleurs, les immigrés et les réfugiés. Alors que Trump mène une politique fascisante contre les immigrés en Amérique, l’Union européenne foule aux pieds le droit d’asile en construisant un réseau de camps de concentration pour empêcher les réfugiés de fuir les guerres impérialistes en Afrique et au Moyen Orient. Depuis 2015, plus de 14.000 réfugiés se sont noyés en Méditerranée, alors que l’UE empêche les bateaux de mener des opérations de sauvetage en mer.

Cette attaque contre les droits des réfugiés et des immigrés est le fer de lance d’une réhabilitation du nationalisme et de la répression militaro-policière qui menace les droits démocratiques et sociaux de tous.

Macron a pris position sur la “mémoire” de la France en traitant le dictateur fasciste Philippe Pétain de “grand soldat” l’année dernière. Puis il a mené la plus grande vague d’arrestations en France métropolitaine depuis l’Occupation nazie, contre plus de 7.000 “Gilets Jaunes.” A présent, il fonce tête baissée dans une série de réformes impopulaires — des retraites, de l’assurance-chômage et des hôpitaux — qui suscitent un large rejet des Français.

L’occupation du Panthéon comme la vague de manifestations en défense des immigrés aux États-Unis font partie d’une résurgence internationale de la lutte des classes face à la droitisation des États autour du monde–avec les grèves d’enseignants américains, la mobilisation des “Gilets Jaunes” en France, et les mouvements pour faire chuter les régimes militaires d’Algérie et du Soudan. Un élément décisif de ces luttes de classe sera la défense des immigrés, et pour garantir leur droit de vivre et de travailler dans le pays qu’ils auront choisi.

Alexandre Lantier

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Des sources militaires américaines et britanniques affirment que des bateaux iraniens ont intercepté un pétrolier britannique dans le détroit d’Ormuz mercredi, avant qu’un navire de guerre britannique, le HMS Montrose, les chasse.

Aucun des rapports sur cet incident ne peut être pris au pied de la lettre. L’Iran a catégoriquement nié qu’elle ait eu lieu, et les responsables américains qui font des allégations n’ont pas posté de vidéos qu’ils prétendent avoir sur le sujet. Elle s’inscrit dans le cadre d’une opération de guerre dirigée par les États-Unis contre l’Iran. Washington a commencé en abrogeant unilatéralement l’accord nucléaire iranien de 2015. Ensuite, il a lancé une importante opération de renforcement militaire dans la région. Il a exigé que les alliés américains le soutiennent. Pourtant, rien de clair n’était encore connu sur cet incident. Néanmoins, une campagne de presse a été lancée en Europe, exigeant que les puissances européennes soutiennent Washington contre l’Iran.

Mercredi soir, heure européenne, le porte-parole du Commandement central américain, le capitaine Bill Urban, a accusé de navires iraniens de type «Navire d’attaque rapide/Navire d’attaque côtière rapide» (FAC/FIAC) de harcèlement du pétrolier. Il a déclaré que le Pentagone était «au courant des informations qui font état du harcèlement des FAC/FIAC de la marine du Corps des Gardiens de la Révolution islamique». Urban a aussi affirmé qu’il y avait «des tentatives d’interférence avec le passage du navire marchand britannique British Heritage aujourd’hui près du détroit d’Ormuz.»

Le HMS Montrose «a pointé ses canons sur les bateaux iraniens», qui se seraient alors enfuis. «C’était du harcèlement et une tentative d’ingérence dans le passage», ont déclaré les responsables militaires américains contactés par le journal indépendant britannique, sous couvert de l’anonymat.

Une déclaration du ministère britannique de la défense: «Contrairement au droit international, trois navires iraniens ont tenté d’empêcher le passage d’un navire commercial, British Heritage, à travers le détroit d’Ormuz.» Il a déclaré que le HMS Montrose «a été forcé de se positionner entre les navires iraniens et British Heritage et d’émettre des avertissements verbaux aux navires iraniens, qui se sont ensuite détournés.»

Les autorités iraniennes ont catégoriquement nié que l’incident a eu lieu. Les forces navales des Gardiens de la révolution iraniens ont fait une déclaration à l’Agence de presse Fars, affirmant: «Au cours des dernières 24 heures, il n’y a eu aucune rencontre avec des navires étrangers».

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a rejeté ces allégations comme une tentative de la part de responsables américains et européens d’accentuer les tensions avec l’Iran, selon l’agence de presse ISNA: «Ils font ce genre d’affirmations pour créer de la tension, mais ces affirmations ne valent rien et ils en ont fait beaucoup. Ils disent ce genre de choses pour cacher leurs propres faiblesses.»

Il est pour l’instant impossible de déterminer ce qui s’est passé mercredi dans le détroit d’Ormuz; au dire de tous, aucun coup de feu n’a été tiré. Cependant, une nouvelle escalade militaire est en cours. Malgré l’impopularité des guerres au Moyen-Orient et de Trump et de son administration parmi les travailleurs en Europe et au-delà, et malgré les conflits explosifs de politique étrangère entre Washington et l’Union européenne (UE), des voix puissantes dans la classe dirigeante européenne exigent que l’Europe soutienne une campagne de guerre américaine contre l’Iran.

Lorsqu’on lui a demandé si Londres intensifierait sa présence navale dans le golfe Persique, un porte-parole du cabinet du Premier ministre britannique a répondu par l’affirmative. Il a dit: «Nous avons une présence maritime de longue date dans le Golfe. Nous surveillons en permanence la situation en matière de sécurité dans ce pays et nous sommes déterminés à préserver la liberté de navigation conformément au droit international».

Avec une hypocrisie stupéfiante, le fait que des troupes britanniques agissant sur ordre des États-Unis aient arraisonné un pétrolier le 4 juillet au large de Gibraltar, qui aurait transporté du pétrole iranien en Syrie, un acte de piraterie après lequel Téhéran a mis en garde contre les «répercussions», est maintenant cité comme la preuve que les allégations des États-Unis et du Royaume-Uni contre l’Iran sont crédibles.

Mardi, le magazine américain, Foreign Policy, a rapporté que la Grande-Bretagne et la France avaient accepté une augmentation de 10 à 15 pour cent de leur présence militaire en Syrie. Cela a mis un terme au refus temporaire de Berlin, lundi, d’envoyer des troupes supplémentaires pour combattre aux côtés des troupes américaines travaillant avec les milices kurdes syriennes contre le régime du président syrien Bachar al-Assad, qui est soutenu par la Russie et l’Iran.

Le bimestriel a ajouté que Londres et Paris «ont également exprimé leur intérêt à contribuer à Sentinel, un partenariat maritime destiné à renforcer la sécurité des navires commerciaux qui traversent le détroit d’Ormuz et d’autres points d’étranglement». Londres et Paris ont refusé de commenter cette décision, invoquant le secret des opérations des forces spéciales. Leur effort de guerre se développe donc dans le dos des Britanniques et des Français.

Des appels se font rapidement entendre, en particulier en Allemagne, en faveur d’une volte-face sur son opposition précédente à une escalade en Syrie et dans l’ensemble du Moyen-Orient. Après l’incident de mercredi, une vague d’articles est apparue dans la presse allemande qui appelle Berlin à se joindre à la campagne de guerre menée par les États-Unis contre l’Iran.

Dans un commentaire intitulé «Sur la question iranienne, l’Europe doit soutenir Trump», Die Welt a soutenu que Berlin devrait appuyer le démantèlement unilatéral de Trump de l’accord nucléaire iranien de 2015. «Le traité atomique avec l’Iran était correct à l’origine», écrit-il. «Mais son prétendu objectif, pacifier la région, a échoué. Le régime est plus agressif que jamais. La critique du président américain à l’égard du traité est donc justifiée.»

Le commentaire du Süddeutsche Zeitung, intitulé «L’Europe et l’Asie doivent mieux protéger les navires de commerce», a donné lieu à une perspective similaire. «La liberté de navigation est une priorité majeure, surtout pour un pays dépendant des exportations comme l’Allemagne.» Il appelait également à la formation d’une flottille internationale de navires de guerre pour patrouiller au large des eaux iraniennes, «même si cela joue en faveur du président américain Trump».

Le journal a écrit: «Une flottille internationale internationaliserait aussi le conflit, ce qui pourrait bien être un objectif de la stratégie américaine. Mais cela ne devrait pas être une raison pour l’exclure. Les navires de guerre d’Europe ou d’Asie seraient moins provocateurs pour l’Iran que les patrouilleurs américains ou saoudiens. Elles constitueraient également un signal supplémentaire à Téhéran, à savoir que si l’Europe veut également préserver le traité nucléaire, elle n’acceptera pas discrètement la politique régionale agressive de la République islamique d’Iran».

Les stratégies esquissées par les représentants des principales puissances impérialistes européennes jouent en effet un rôle direct dans les plans du Pentagone. Mardi, la veille de l’incident du détroit d’Ormuz, le général Joseph Dunford, président des chefs de l’état-major interarmées des États-Unis, a appelé les alliés militaires des américains dans le monde entier à rejoindre une flotte de combat dirigée par les États-Unis qui encerclerait l’Iran.

Dunford a déclaré: «Nous travaillons actuellement avec un certain nombre de pays pour voir si nous pouvons former une coalition qui garantirait la liberté de navigation dans le détroit d’Ormuz et dans le Bab al-Mandab. Je pense donc qu’au cours des deux prochaines semaines, nous déterminerons probablement quelles nations auront la volonté politique d’appuyer cette initiative, puis nous travaillerons directement avec les forces armées pour déterminer les capacités spécifiques qui appuieront cette initiative.»

Il a dit que le Pentagone fournirait des navires «de commandement et de contrôle» pour diriger les opérations. Les alliés de l’Amérique fourniraient des navires d’escorte pour suivre les ordres des navires de commandement américains.

Dunford n’a pas dit que ce plan laisserait la marine américaine avec une emprise mortelle non seulement sur l’économie de l’Iran, mais aussi sur l’approvisionnement en pétrole de ses principaux «alliés» impérialistes en Europe et en Asie orientale, et des deux pays les plus peuplés d’Asie, la Chine et l’Inde.

L’Administration de l’information sur l’énergie (EIA) des États-Unis note qu’en 2018, le débit quotidien de pétrole [du détroit d’Ormuz] était en moyenne de 21 millions de barils par jour. Cela est l’équivalent d’environ 21 pour cent de la consommation mondiale de liquides pétroliers… L’EIA estime que 76 pour cent du pétrole brut et des condensats qui ont transité par le détroit d’Ormuz sont allés sur les marchés asiatiques en 2018. La Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud et Singapour étaient les principales destinations du pétrole brut qui transite par le détroit d’Ormuz vers l’Asie. Cela représente 65 pour cent de tous les flux de pétrole brut et de condensats d’Hormuz en 2018.»

Environ 4 millions de barils traversent chaque jour le détroit de Bab al-Mandab vers l’Europe.

De tels chiffres mettent à nu l’amère lutte entre impérialistes pour les profits et l’influence stratégique et militaire. C’est cela qui sous-tend trois décennies de guerre au Moyen-Orient depuis que la bureaucratie soviétique a dissous l’URSS en 1991. Alors que Trump menace les grandes puissances asiatiques et européennes de centaines de milliards de dollars en tarifs de guerre commerciale, ces tensions atteignent une intensité sans précédent. Pour l’instant, semble-t-il que, craignant un affrontement avec un impérialisme américain militairement supérieur, les puissances européennes décident d’attendre leur heure, et d’appuyer l’effort de guerre de Washington.

Cette politique montre que les puissances de l’UE ne sont fondamentalement guère moins prédatrices que Washington. Elle expose également la faillite de l’illusion que les travailleurs peuvent compter sur des puissances capitalistes rivales pour empêcher Washington de se livrer à un nouveau bain de sang encore plus grand. Ils sont désespérés de s’emparer de leur part du butin et ainsi de continuer à injecter des centaines de milliards d’euros dans les budgets militaires. Malgré les grèves et les protestations croissantes, les puissances européennes ne s’opposent pas aux guerres américaines. Ils réagissent aux pressions américaines en intensifiant leurs efforts pour remilitariser et réprimer les protestations contre l’austérité et le militarisme dans leur pays.

Alex Lantier

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 12 juillet 2019

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L’annonce, mercredi à Washington, de la visite du Premier Ministre pakistanais Imran Khan aux États-Unis ne peut qu’être considérée comme un événement décisif dans la politique régionale.

L’annonce coïncide avec la nouvelle en provenance de Doha que les États-Unis et les Talibans ont réglé leurs différends sur les quatre questions qui ont été discutées au cours des sept cycles de pourparlers dans la capitale qatarienne – assurances contre le terrorisme, retrait des troupes, cessez-le-feu et négociations intra-afghanes.

Le négociateur en chef des Talibans, Abbas Stanekzai, a déclaré lundi à Doha aux journalistes :

L’annonce faite mercredi par la Maison-Blanche indique qu’un projet d’accord de paix entre les États-Unis et les Talibans concernant le retrait des troupes américaines et le cessez-le-feu est effectivement prêt à être signé dans un proche avenir.

Parallèlement, les parties afghanes rivales ont également présenté, à la suite du soi-disant dialogue intra-afghan qui s’est tenu lundi à Doha sous l’égide du Qatar et de l’Allemagne et sous le regard attentif des diplomates américains, une « feuille de route pour la paix » qui vise à « réduire les pertes civiles à zéro ».

Le représentant spécial des États-Unis pour la réconciliation en Afghanistan, Zalmay Khalilzad, a quitté Doha pour la Chine en route vers Washington. De toute évidence, Pékin a joué un rôle clé dans les pourparlers de paix et la visite du dirigeant taliban Mullah Baradar à Pékin le mois dernier est probablement devenue le point crucial des négociations à Doha. Cela souligne une fois de plus la complexité croissante de la « rivalité » américano-chinoise, que nous, en Inde, avons parfois tendance à négliger allègrement.

 

Pendant les six semaines qui ont suivi le rapport du Pentagone sur la stratégie indo-pacifique, condamnant la Chine comme une « puissance révisionniste » que les États-Unis sont déterminés à contrer sur tous les fronts (en collaboration avec des partenaires comme l’Inde), Khalilzad nous a fait un curieux geste pour montrer son appréciation à Pékin, interlocuteur indispensable pour faire cesser la « guerre sans fin » en Afghanistan et pour créer des conditions permettant le retrait ordonné des troupes américaines (et de l’OTAN) de cette région. En effet, c’est un spectacle incroyable de la façon dont les priorités de la diplomatie américaine changent lorsque ses intérêts personnels sont en jeu.

Le cœur du problème est que l’invitation du président Trump à Imran Khan va bien au-delà d’une démonstration de gratitude symbolique pour la coopération du Pakistan à la conclusion de l’accord de paix avec les Talibans. En fait, le Pakistan n’a fait aucune concession majeure sur son programme afghan. Elle a simplement facilité les pourparlers de paix en tirant parti de son influence sur les talibans. L’objectif pakistanais de ramener les talibans à intégrer la politique afghane – très probablement avec un rôle de chef de file – et de créer une « profondeur stratégique » vis-à-vis de l’Inde est intact.

Ne vous y trompez pas, le leitmotiv du rapprochement américano-pakistanais est qu’un nouveau paradigme de sécurité régionale prend forme. Le Pakistan se voit confier un rôle central pour faire en sorte que l’Afghanistan ne soit plus jamais un « laboratoire de terroristes » (pour reprendre les mots de Trump) qui menacent le monde occidental. Le Pakistan a une grande expérience dans la gestion de ses relations avec les États-Unis et il veillera bien sûr à ce que les États-Unis fassent de même – politiquement, financièrement et militairement.Si Trump avait fait l’éloge de l’Inde en tant que « partie critique » de sa stratégie afghane en cours en août 2017, il remplace maintenant l’Inde par le Pakistan dans un curieux renversement des rôles dans le paradigme de la sécurité régionale en Asie du Sud. L’annonce de la Maison-Blanche indique explicitement que la visite d’Imran Khan sera axée sur le renforcement de la coopération entre les États-Unis et le Pakistan pour apporter la paix, la stabilité et la prospérité économique à une région qui a connu beaucoup trop de conflits.

Il poursuit en disant que les États-Unis répondent à la demande de longue date du Pakistan d’avoir des relations étendues et complètes au même titre que les relations américano-indiennes, « dans des domaines tels que la lutte contre le terrorisme, la défense, l’énergie et le commerce« . Plus important encore, dans ce qui ne peut être considéré que comme une référence voilée à la question du Cachemire et aux tensions entre l’Inde et le Pakistan, la Maison Blanche déclare que les États-Unis garderont à l’esprit « l’objectif de créer les conditions d’une Asie du Sud pacifique et d’un partenariat durable entre nos deux pays« .

Certes, Washington a marginalisé l’Inde et ignoré ses sensibilités concernant la situation afghane en chorégraphiant le scénario de l’après-guerre en Afghanistan presque exclusivement avec le Pakistan (et la Chine.) Et pourtant, les relations entre l’Inde et les États-Unis étaient censées être une relation entre « alliés naturels » et étaient décrites jusqu’à assez récemment comme le « partenariat déterminant » du XXIème siècle.

Du point de vue de l’Inde, l’invitation de Trump à Imran Khan de visiter la Maison Blanche est donc une pilule amère à avaler. Au mieux, elle peut donner un visage à l’échec colossal de ses politiques régionales au cours des cinq dernières années, qui ont refusé obstinément d’engager le dialogue avec le Pakistan, se sont efforcés « d’isoler » le Pakistan en tant qu’État parrainant le terrorisme, ont considéré l’Afghanistan principalement comme une guerre par délégation avec le Pakistan, ont refusé de considérer les Talibans comme un groupe afghan et se sont fait l’écho d’une convergence Indo-américaine sur la sécurité régionale concernant l’Afghanistan.

Narenda Modi et Ashraf Ghani

De toute évidence, en ce qui concerne l’Afghanistan, le Pakistan est le partenaire privilégié de Washington, tandis que l’Inde aura pour rôle de servir de paillasson à la politique d’endiguement des États-Unis à l’égard de la Chine, dont on a parlé comme de leur « stratégie indo-pacifique ». Les élites de la politique étrangère indienne doivent une explication sur la façon dont cette situation bizarre s’est produite. L’enracinement de la sinophobie dans la mentalité indienne a obscurci la pensée rationnelle.

Le scénario de sécurité régionale qui se dessine expose en profondeur les mythes qui entourent le « partenariat déterminant » de l’Inde avec les États-Unis et dissipe l’illusion selon laquelle ce qui est essentiellement une relation transactionnelle repose sur le socle de « valeurs communes » et de « préoccupations communes » entre les deux pays. Il n’a jamais vraiment été question d’une relation d’égal à égal fondée sur le respect et la confiance ou la transparence, sans parler de convergence stratégique.

Rétrospectivement, l’initiative prise par le Premier Ministre Narendra Modi au cours de la dernière année et demie d’établir des relations personnelles chaleureuses avec le Président Vladimir Poutine en vue de relancer les relations indo-russes qui ont été systématiquement atrophiées par la politique indienne durant la dernière décennie (avec un programme occulte visant à donner plus de poids aux liens militaires émergents avec les États-Unis) et pour développer et approfondir la communication stratégique avec la Chine, après le Sommet Wuhan, avec le Président Xi Jinping afin d’améliorer les relations Inde-Chine arrive au bon moment.

Cette transition providentielle – pour laquelle une large acceptation fait encore défaut au sein de notre communauté stratégique – renforce considérablement la capacité de l’Inde à s’adapter à l’accord naissant entre les États-Unis et le Pakistan sur l’Afghanistan d’après-guerre.

M.K. Bhadrakumar

 

Article original en anglais : Trump’s volte-face on Pakistan is a moment of truth for India, Indian Punchline, le 11 juillet 2019.

Traduit par Réseau International

Selon certains experts en la matière, l’énergie atomique pourrait être la solution au problème énergétique de l’humanité dans un avenir immédiat. Selon cet avis, cette énergie, bien gérée, est très bénéfique : elle ne produit pas de gaz à effet de serre – en ce sens, elle est plus écologique -, elle remplace la dépendance au pétrole – son prix ne varie donc pas en fonction des fluctuations de l’or noir -, elle n’épuise pas de ressources non renouvelables. Mais d’un autre côté, ceux qui s’y opposent y voient quelque chose d’extrêmement dangereux, parce qu’elle génère des déchets dont l’élimination est très difficile et coûteuse et – très grave – elle peut produire des accidents nucléaires, qui, bien que rares, s’ils se produisent, sont dévastateurs. On se rappelle de Three Mile Island (États-Unis, 1979), Tchernobyl (Ukraine, Union Soviétique, 1986) et Fukushima (Japon, 2011). Mais l’aspect le plus critiquable de cette énergie est qu’elle permet la fabrication d’armes de destruction massive, les bombes atomiques étant l’ingéniosité humaine la plus effrayante jamais conçue.

En ce moment, le gouvernement iranien, désapprouvé par la politique déployée par le président Donald Trump, qui a abandonné le Plan d’Action Global Conjoint (JCPOA) convenu avec plusieurs pays outre les États-Unis, et qui a réimposé des sanctions à la nation persane, ne voit pas les avantages d’avoir accepté des restrictions établies sur son programme nucléaire. Par conséquent, comme mesure de pression politique pour tenter de mettre fin aux sanctions imposées par Washington, qui l’empêchent de vendre son pétrole brut, principale source de ses revenus, un processus échelonné de démantèlement du pacte a commencé.

Ainsi, à partir du 1er juillet, elle a dépassé la limite d’enrichissement fixée par le JCPOA, augmentant progressivement ces niveaux, ce qui lui permettrait, dans un court laps de temps, de produire de l’uranium enrichi avec lequel elle pourrait mettre au point des armes nucléaires. « Extrêmement préoccupée », la Maison-Blanche a réagi. Le Président Donald Trump n’a pas hésité à affirmer, avec beaucoup d’insistance, que :

Il y a quelque temps, la Corée du Nord a testé des armes nucléaires. Une grande partie du monde, et les États-Unis en tête, ont réagi avec colère à cette « manifestation de défi », condamnant l’expérience dans les termes les plus fermes possibles. Cela a conduit à des négociations entre les deux pays qui ne sont pas encore terminées, cherchant la dénucléarisation de la nation asiatique.

Pourquoi la Corée du Nord a-t-elle été condamnée à l’époque, et la République Islamique d’Iran l’est-elle encore aujourd’hui ? Qui les condamne exactement ?

Washington orchestre les protestations, et ce sont sûrement maintenant les pays occidentaux, l’Union Européenne, probablement les Nations unies, qui vont élever la voix. Il y a quelque temps, avec la Corée du Nord, la condamnation est venue du Conseil de Sécurité de l’ONU. C’est-à-dire, des seuls pays (les seuls !) qui ont le droit de veto sur les autres (où est la démocratie tant vantée ?). Ce sont ces pays qui, par coïncidence, constituent les principales puissances nucléaires du monde : les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et la Grande-Bretagne. Et parmi eux, celui qui proteste le plus vigoureusement n’est autre que les États-Unis, première puissance de guerre du monde.

Personne ne veut la guerre, on est d’accord là-dessus. Mais… est-ce que c’est vrai ? Officiellement, tout le monde la déplore, mais il n’y a rien de nouveau à ce que les États-Unis n’aient comme grand projet ni plus ni moins que des guerres.

Il y a de l’hypocrisie dans l’air, car curieusement, les cinq pays qui ont un droit de veto et qui sont membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies sont les principaux producteurs d’armes sur la planète, pas seulement des bombes atomiques mortelles. En fait, avec leur politique, les États-Unis concentrent à eux seuls la moitié de toutes les dépenses militaires mondiales. Et son économie dépend de plus en plus de l’industrie de guerre ; c’est ce qu’on appelle le complexe militaro-industriel qui, en fait, définit sa politique étrangère, toujours guerrière, de plus en plus agressive ; est-il vrai qu’ils ne veulent pas la guerre ?

Bien sûr, l’énergie nucléaire, au-delà des avantages qu’elle peut apporter non seulement dans le domaine de l’énergie (production d’électricité) mais aussi dans d’autres applications pacifiques (médecine, agriculture, industrie, alimentation), est dangereuse en raison de ce qui a été dit plus haut. Selon des voix autoritaires et très mesurées, ces applications pacifiques sont beaucoup remises en question par les accidents qui ont déjà été causés à plusieurs reprises, toujours avec des conséquences terrifiantes. Mais leur application à la guerre est clairement monstrueuse.

Plus encore : si tout le potentiel atomique concentré par les quelques pays qui le possèdent était libéré (en nombre de missiles à charge nucléaire : Russie et Etats-Unis autour de 7 000 chacun, France 240, Grande-Bretagne 160, Chine 140, Pakistan 110, Inde 80, Corée du Nord 10 et Israël – sans être officiellement déclarés – 200), la planète entière serait détruite, Mars et Jupiter seraient gravement endommagés, toutes les formes de vie dans notre monde seraient détruites, produisant une vague expansive qui pourrait atteindre l’orbite de Pluton. En même temps, en guise de commentaire, il convient de dire qu’en dépit de cet exploit technologique monumental, la faim continue d’être l’un des principaux fléaux de l’humanité. Bien sûr, il faut espérer que la rationalité prévaudra et qu’il n’y aura jamais de confrontation avec les armes atomiques. Cela signifierait, purement et simplement, l’extinction de toute vie sur Terre.

Environ un mois après le largage de la première bombe atomique le 6 août 1945, un correspondant allié examine le paysage de la destruction à Hiroshima, au Japon. (AP Photo)

Mais ce qui est curieux, ou plutôt scandaleux, c’est que ceux qui élèvent le plus la voix pour protester contre le développement scientifique autonome de l’Iran et son programme nucléaire – qui, en réalité, n’ont pas encore exprimé leur intention de développer des armes atomiques – ou les essais nucléaires d’un pays souverain comme la Corée du Nord, sont les principaux détenteurs des têtes nucléaires et forces militaires classiques, promoteurs et acteurs, directement ou indirectement, de toutes les guerres du XXe siècle et celles du XXIe siècle.

Comment se fait-il qu’il y ait de « bonnes » et de « mauvaises » armes atomiques, pourquoi ceux de Washington « défendraient la liberté et la démocratie » dans le monde, alors que ceux de Pyongyang, ou éventuellement ceux de Téhéran, seraient une attaque contre la paix mondiale ? On ne comprend pas bien.

Il ne faut pas oublier que de tous les pays qui possèdent l’énergie nucléaire militaire (et pour les États-Unis, on ne sait pas exactement combien d’engins de guerre ils possèdent, car ce sont des secrets bien gardés, mais on suppose que pas moins de 7 000, chacun avec 20 fois plus de puissance que ceux utilisés dans les villes japonaises à la fin de la Deuxième Guerre mondiale), le seul pays qui a osé l’utiliser contre des civils non combattants a été les États-Unis.

Nous sommes invités à être scandalisés par le test de la bombe à hydrogène réalisée par la Corée du Nord, ou par la rupture d’un pacte par l’Iran (répondant, en vérité, à une précédente rupture faite par Washington, qui l’a rendue illégale par des sanctions qui l’endommagent gravement), mais on ne parle jamais des attentats d’Hiroshima et de Nagasaki. Le test de Pyongyang, douteux en tant qu’attaque contre l’environnement, n’a pas tué de vies humaines. Celles du Japon, inutilement utilisées en termes militaires, puisque le sort du pays asiatique était déjà tracé lors de leur lancement en 1945, ont causé près d’un demi-million de morts instantanées, et plus de morts des suites de séquelles abominables après plusieurs décennies. Aujourd’hui, 74 ans plus tard, des enfants atteints de malformations dues aux radiations nucléaires naissent encore. Ce qui est incroyable, c’est que les États-Unis n’ont jamais été punis pour cela, même pas de réprobation publique, comme ils veulent le faire avec la Corée du Nord, ou comme ils le feront sûrement avec l’Iran. Au contraire, leur action est présentée comme presque héroïque, car elle aurait soi-disant consolidé la paix mondiale. De là aux « guerres préventives » actuelles, il n’y a qu’un pas : j’attaque avant qu’ils ne m’attaquent.

La paix est-elle défendue par des bombes atomiques ? Il semble que, du moins pour certains, la formule de l’Empire romain soit toujours valable : « Si vous voulez la paix, préparez-vous à la guerre ». Il ne fait aucun doute que l’histoire est encore écrite par ceux qui gagnent, pouvons-nous commencer à l’écrire différemment ?

Marcel Colussi

 

Article original en espagnol : Sobre los misiles nucleares “buenos” y los “malos”, Rebelión, le 11 juillet 2019.

Traduit par Réseau International

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Aujourd’hui, la prétendue société de l’information semble avoir relégué le rôle des intellectuels à une fonction autoritaire. Ainsi, la figure de l’intellectuel sert toujours plus à exclusivement justifier l’idéologie dominante. En sollicitant l’avis du soi disant expert, les politiques ou les journalistes ferment à tour de rôle et à double tour toute possibilité de remise en question du pouvoir. Mais à une époque pas si lointaine, la figure de l’intellectuel jouait un autre rôle : elle faisait irruption dans le débat pour briser les normes et éveiller les consciences. C’est ainsi que certains des écrivains latino-américains les plus reconnus du XXe siècle n’ont pas hésité à adopter un engagement politique à contre-courant, formant ainsi une espèce de famille latino-américaine. Leur langue commune leur permettait d’être des messagers et de servir de passerelle entre l’ancien et le nouveau monde. Leur innovation et l’introspection de formes d’expression artistique leur ont valu une reconnaissance internationale. Mais ce qui les unissait encore davantage, c’est la conscience historique relative à la lutte contre les injustices dans des sociétés profondément inégalitaires. Cet engagement a lui aussi provoqué un changement dans la perception même de la figure de l’intellectuel, remettant en question sa fonction. À l’image des « curés rouges » qui, à l’instar de Camilo Torres, ont troqué leur soutane pour l’uniforme de guérillero, l’écrivain révolutionnaire devait-il abandonner sa machine à écrire et apprendre le maniement du mortier ? Ce débat et ses intrications forment le fil conducteur de « Entre la plume et le fusil », un ouvrage de Claudia Gilman, chercheuse à l’Université de Buenos Aires et au CONICET (Conseil national des études scientifiques et techniques).

C’est en janvier 1960 que s’est déroulée la Première rencontre des écrivains latino-américains, à Concepción, au Chili, avec la présence d’auteurs importants comme Nicanor Parra ou Ernesto Sábato. Je cite un extrait de leur discours inaugural : « (…) la littérature doit être considérée jusqu’à nouvel ordre comme étant plus qu’un produit culturel ou qu’un phénomène artistique, à savoir comme un instrument de la construction de Notre Amérique ». Quelle a été l’importance de ce type de rencontres dans le contexte qui existait à l’époque ?

Elles ont été importantes, c’est une certitude. De fait, ce modèle de congrès s’inscrivait dans la continuité, après l’expérience que cette communauté d’auteurs avait déjà connue dans le cadre de la lutte contre le fascisme à des moments spécifiques. Je pense notamment au Congrès de Valence en 1937, qui a marqué un précédent à ce type de rencontres entre intellectuels. Cette rencontre, à l’instar de celle de Concepción et des suivantes, a été traversée par la pratique ou la coutume internationale qui s’est initiée avec la lutte antifasciste, même si par la suite, même la droite néolibérale la mettrait en pratique…

Affiche de Babiano, J.S.U (Jeunesse socialiste unifiée), Commission d’éducation du Soldat (entre 1936 et 1939)

Il y a eu beaucoup de rencontres à cette période. Ce qui s’est passé, c’est que d’un côté il existait des choses que seuls les intellectuels pouvaient dire, et d’un autre côté, il y avait un public qui était très intéressé par le fait d’accéder à ces connaissances. C’est exactement le contraire de ce qui se passe aujourd’hui : à l’époque, un type de pensée émergeait immédiatement et parvenait à rassembler un public réceptif, très friand. Aujourd’hui, chacun écrit ou lit son propre livre, mais cela n’interpelle personne d’autre. Il est très intéressant d’observer comment, à l’heure actuelle, la manière de former des communautés a évolué.

Pensez-vous que c’est l’irruption de ce séisme politique qu’a été la Révolution Cubaine en janvier 1959 qui a principalement contribué à cette prise de conscience de l’unité latino-américaine ?

Absolument, oui. Et j’irai même plus loin, c’est cela même que proposait Fidel, se situant de manière explicite non pas dans la lignée de Marx, mais dans celle de Martí, qui n’était pas marxiste. De fait, cela n’a posé de problème à personne que Fidel fasse référence à l’apôtre José Martí. Au contraire, l’invocation de Martí exprimait l’idée de l’union à la Grande Patrie, à savoir de révolution latino-américaine et mondiale.

Mais placer la Révolution dans le sillage de Martí n’a pas été de sa part un simple geste de type nationaliste. Cela a présenté des conséquences importantes sur énormément de personnes de gauches qui n’étaient pas communistes, car elles connaissaient le « communisme réel » et savaient ce qui s’était passé en Union Soviétique et dans d’autres pays situés de l’autre côté du mur.

Pour beaucoup d’intellectuels qui avaient déjà connu plusieurs expériences politiques, l’entrée dans le giron de l’URSS était une régression. C’était sans doute vrai sur le plan culturel. La révolution qui aboutit en 1959 était une révolution sans théorie, « verte comme les palmiers ». Le 16 avril 1961, Fidel affirme le caractère socialiste de la révolution et finira avec le temps par s’aligner avec le Parti communiste de l’Union Soviétique (PCUS), duquel il était idéologiquement très éloigné. Il s’agissait d’un cas de force majeure, qui a malheureusement retiré sa vitalité au tourbillon révolutionnaire cubain.

Vous expliquez dans votre livre que les écrivains ont influencé la Révolution Cubaine de la même manière que celle-ci les a influencés. Comment décririez-vous cette dialectique ?

La Révolution Cubaine a été centrale. Elle n’a pas été centrale uniquement pour l’Amérique Latine, mais pour tout le monde. Première révolution télévisée, dans laquelle un groupe de jeunes combattants, patriotes héroïques, parviennent à lutter contre une tyrannie. On voit des images de Fidel et du Che voyageant à travers le monde, reçus comme des hommes d’État. À Pékin, en URSS, il existe des images de tout cela. Il était impossible que la révolution cubaine n’ait pas un tel effet.

Le monde était d’une certaine manière préparé à être captivé par cette prouesse, qui montrait ce qu’il y a de meilleur chez l’homme. Lorsque Sartre revient en France après s’être rendu à Cuba, on lui demande : « Que faut-il faire pour contribuer à la révolution et à un monde meilleur ? », ce à quoi il répond alors : « Soyez Cubains ».

Sartre et Simone de Beauvoir reçus par le Che Guevara

On a commémoré il y a peu l’anniversaire de mai 1968 en France. Eh bien, mai 68 en France aurait été impensable sans la Révolution Cubaine. Il a eu l’effet de quelque chose qui vient d’ailleurs. Elle s’inscrit aussi bien évidemment dans la grande tradition française intellectuelle, dont se sont inspirés les grands écrivains latino-américains.

Et de quelle manière l’approche spécifique de la politique culturelle cubaine a-t-elle influencé la transformation du travail et de l’esthétique de ces auteurs latino-américains ?

En premier lieu, il faut tenir compte du fait que Cuba était victime d’un blocus dont il pâtissait. Dans un tel contexte, de nombreux intellectuels extrêmement intéressants sont devenus chanceliers, porte-paroles ou représentants. Ils ont réussi à passer à travers ce blocus et, d’une certaine manière, à faire naître cette conscience latino-américaine qui était mobilisable. Ce n’était pas la première fois que cela se produisait : avec la réforme universitaire de 1918 ainsi qu’avec d’autres événements importants, l’Amérique Latine avait connu ce type de période latino-américaniste, notamment dans les années 1920. Il s’agissait d’une renaissance de l’espoir dont les germes avaient déjà été semés. C’est ce qui a grandement facilité l’idée de la construction d’une Grande patrie, au lieu d’un ensemble de républiques réparties sur un territoire très étendu.

Ces écrivains qui se sont alignés sur la Révolution, dont certains sont célèbres et d’autres le sont un peu moins, ont fait en sorte que le scénario de l’URSS ne se reproduise pas à Cuba. Les premiers écrivains latino-américains qui se sont rendus à Cuba étaient des artistes et des écrivains très cultivés et obsédés par le dirigisme étatique dans l’art. Ils ont mis au centre de leur préoccupation la défense par la gauche des auteurs modernistes et avant-gardistes, que la gauche traditionnelle considérait comme décadents.

Il ne faut pas oublier que les politiques culturelles contemporaines de l’URSS étaient toujours en vigueur. Par conséquent, dans une île de Cuba se trouvant dans des circonstances spéciales (puisqu’elle devait se rapprocher, et même s’aligner avec l’URSS) certaines personnes se sont positionnées en faveur de cet alignement. Une discussion a eu lieu en interne à Cuba, et la majeure partie des intellectuels étrangers soutenait davantage cette perspective qui permettait de définir le champ de l’art actuel : celui des avant-gardes, l’horizon du modernisme.

Les intellectuels latino-américains étaient très conscients des débats au sein de la gauche. Dans un monde encore très marqué par l’anachronisme esthétique du « réalisme socialiste », qui était en outre obligatoire en Union Soviétique, la révolution cubaine a été une étoile au firmament. Elle a ravivé l’espoir, surtout parmi les Européens qui vivaient dans un bien-être, dans une marche vers la société de consommation.

Pourriez-vous nous donner un exemple concret de la participation des auteurs latino-américains sur la scène culturelle cubaine ?

Ils se sont réunis avec Fidel à plusieurs occasions, et ils ont eu accès à des postes culturels haut placés, ils ont ainsi pu participer pleinement à ce processus, en faisant partie de comités de publications. Ils ont été très influents : ils étaient chargés de propager la révolution cubaine, en tant qu’intellectuels organiques de celle-ci, d’une certaine manière.

En plus d’être reconnus pour leur écriture, Julio Cortázar, Carlos Fuentes ou Mario Vargas Llosa ont également reçu le pouvoir d’être chanceliers de la Révolution Cubaine. Ce n’est pas tant que leur influence sur la révolution a été directe, mais ils faisaient en sorte de participer à certains cercles et de ne pas participer à d’autres.

Cette participation se plaçait spécifiquement à des lieues de tout ce qui pouvait avoir trait au communisme orthodoxe, qui exerçait toujours une censure active. En 1966, un procès a été intenté en URSS contre deux écrivains pour leurs écrits. Je ne parle pas des purges soviétiques de 1930, mais de 1966. En 1964, un procès a été intenté contre Brodsky, un poète extraordinaire, qui remporterait des années plus tard le prix Nobel de littérature, en 1987. En ce sens, les Cubains étaient avant-gardistes, tout était mieux. N’oublions pas que dans le contexte de discussions entre l’Est et l’Ouest, on se demandait s’il fallait brûler les œuvres de Kafka, Joyce, Proust, etc… Car il est évident que ce communisme orthodoxe les trouvait décadentes. Il est difficile de comprendre l’histoire si l’on n’identifie pas les autres événements qui ont eu lieu. On pourrait croire que tout cela s’est passé il y a très longtemps, mais ce n’est pas le cas.

Comment le succès éditorial a-t-il affecté l’engagement des auteurs, qui souvent ne vivaient pas en Amérique Latine, ou tout au moins pas de manière permanente, auprès de la Révolution ?

Le succès, qui à une certaine époque était le marqueur d’une reconnaissance méritée, a apporté une plus grande autorité à ceux qui l’ont obtenu, comme si l’existence des lecteurs constituait un capital garantie. Ce qu’on opposait naturellement ici, c’était la notion de marché. Ce qui est effectivement certain, c’est que les lecteurs étaient très intéressés par les œuvres et les auteurs et les opinions de ces derniers, qu’ils semblaient partager, ce qui a rendu la relation entre le lecteur et les auteurs plus fluide, virtuellement tout au moins. Du côté de la Révolution, les choses se sont déroulées différemment du point de vue des auteurs. Il y a eu également des conflits sur le plan interne, notamment face à l’évidence généralisée que la littérature ne pouvait à elle seule changer la réalité et qu’il était nécessaire de s’engager davantage ou, dans le domaine de la littérature, moins se professionnaliser.

La polémique qui a opposé Arguedas et Cortázar en 1969 a été un symptôme de la défiance par rapport à la professionnalisation de l’écrivain : cette discussion présentait comme problématique un ensemble de situations de fait, qui sont devenues inacceptables en droit, comme le fait par exemple que beaucoup d’auteurs reconnus vivaient en Europe.

Dans les années 1970 et 1980, la solidarité de Julio Cortázar fut très évidente envers les milliers de compatriotes exilés à cause des dictatures au Chili, en Argentine… mais aussi envers la Révolution Sandiniste au Nicaragua soumise à l’agression de l’administration Reagan.

Dans le premier chapitre de son ouvrage « El zorro de arriba y el zorro de abajo » [Le renard d’en haut et le renard d’en bas, inédit en français, NdT] Arguedas critiquait Cortázar ainsi que de nombreux autres auteurs « professionnels », « érudits » et « cosmopolites ». Cortázar l’a accusé d’être aigri dans son œuvre « Un escritor y su soledad » [« Un écrivain et sa solitude »] : « au cours de ces dernières années, le prestige de ces écrivains a entraîné une espèce de ressentiment de la part des sédentaires, qui se traduit presque toujours par une recherche vaine des raisons de ces exils et par une réaffirmation emphatique de résidence permanente sur place… ». Cette accusation a provoqué une réponse de la part d’Arguedas en 1969. Contre l’idée que « l’essence nationale se comprend mieux depuis les plus hautes sphères supranationales », Arguedas distingue ceux qui conçoivent un roman en pensant aux honoraires et ceux qui, comme lui, vivent pour écrire.

Depuis Cuba, on commençait à voir que même le latino-américain était menacé par le spectre des caprices. La nouvelle littérature, comme cela s’est vérifié peu d’années plus tard, avait distribué les prestiges et les rancœurs : Donoso, dans son roman « le Jardin d’à côté », aborde le thème des expériences des écrivains face au marché de manière assez parlante. De plus, on constatait que ceux qui avaient le plus contribué au prestige du roman latino-américain, ayant alors forgé sa place dans le monde littéraire, avaient composé leur œuvre en étant en contact avec les cultures des pays centraux et développaient rapidement des idéologies d’écrivains déterminées par le poids de leur consécration. Ils osaient même affirmer que c’était eux qui faisaient de la « littérature révolutionnaire », comme l’avait dit Ambrosio Fornet en 1971.

La perspective critique relative au marché était plus facilement observable depuis Cuba, pays où à partir de la révolution, le marché littéraire avait été supprimé, l’industrie éditoriale était aux mains de l’État et on avait aussi non seulement supprimé le versement des droits d’auteur, mais également l’idée qui sous-tendait l’existence même de ces « droits ». Mais pour d’autres raisons également ; le commentaire d’Ambrosio Fornet mentionné plus haut commençait par la phrase suivante : « convaincus que nous n’avions rien de nouveau à leur offrir », très représentative de la raison pour laquelle Cuba a développé une hostilité particulière envers les produits littéraires du continent qui ne provenait pas de l’île : c’est peut-être là que réside l’explication centrale du problème de la littérature cubaine après 1959…

Par ailleurs, en décembre 1960, s’est tenu le « Congrès pour la Liberté et la Culture » à Paris. Au cours des séances, l’inquiétude des participants est devenue palpable concernant l’intensité des échanges entre les intellectuels latino-américains, qui formeraient bientôt une espèce de « famille ». Comment les propositions de ce congrès se sont-elles concrétisées et comment ont-elles été accueillies par le public ?

Oui, cet organisme a existé et a été créé en guise de réplique à l’influence culturelle des partis communistes européens, très actifs dans l’imaginaire de tous ceux qui avaient lutté conjointement pour l’Espagne républicaine peu de temps auparavant. Pour preuve, l’inoubliable congrès culturel qui s’est déroulé à Valence en 1937 !  Il faut souligner qu’une « logistique » de rencontres entre artistes et intellectuels était déjà disponible. Elle s’apparentait au fonctionnement actuel des ONG : un type d’organisation similaire, pouvant défendre plusieurs causes, avec cet effort intellectuel de réunion et de collaboration intense.

Du point de vue de l’Amérique Latine de la révolution dont je m’occupe, on peut considérer que le projet d’organismes créés au travers du Congrès pour la Liberté de la Culture, et notamment des publications financées par la CIA sous des couvertures ou des fondations culturelles, a été un échec complet. En effet, dans le cas latino-américain, ce projet a été réalisé à l’aide de la revue Mundo Nuevo, une expérience que j’aborde dans mon livre. Il est ironique de constater que ceux qui continuaient à se réunir, bien que vaincus face à la révolution (qu’eux-mêmes croyaient inévitable) étaient les groupes de la droite néolibérale. Ils étaient dans un processus de défaite « active », ayant été persécutés par le nazisme et par le stalinisme ensuite.

Si l’on se penche sur le cas de l’Espagne, l’histoire est bien différente, étant donné que ce même organisme contribue à la lutte anti-franquiste, de telle sorte que celle-ci a pris une tournure différente. Les Espagnols défendaient naturellement le fait d’être représentés par une institution qui prônait la démocratie, sans se soucier du financement de ces discours. Afin de comprendre l’importance de l’intervention culturelle des USA au travers de leurs fondations dans le monde, il est impératif de lire l’enquête de Frances Stonor Saunders. Les mémoires de Daniel Bell sont elles aussi passionnantes.

De quelle manière ce débat autour du thème de l’avant-gardisme a-t-il influencé la création littéraire et sa relation avec la littérature engagée ?

La question centrale est que si ce mot a bien été employé parmi les artistes (même si n’a pas été employé à outrance non plus), à cette période, l’expression « avant-garde » a été cooptée de manière exclusive afin de faire référence à la direction politico-militaire des groupes armées. Il y a eu de nombreux de désaccords, matérialisés notamment à l’occasion de la première Conférence de l’OLAS (Organisation Latino-Américaine de Solidarité), sur à qui devait revenir, sur un plan strictement politique, le droit de se qualifier d’avant-garde de la révolution. Ils ont fini par être résolus, tout au moins dans les avis majoritaires de la commission compétente, lorsqu’il a été affirmé qu’au cours de la Conférence, il avait été clairement défini que l’avant-garde des peuples étaient ceux qui luttaient au moyen de l’expression de la lutte la plus forte : la lutte armée.

La légitimité excluante du sens politique du terme  « avant-garde » a ôté aux notions d’intellectuel et d’avant-garde un élément d’identification. En revanche, la défense de l’art d’avant-garde, considéré moins prioritaire, est tombée aux oubliettes. La reconnaissance et le titre octroyés à Cuba « d’avant-garde du mouvement anti-impérialiste latino-américain » a laissé entre les mains dirigeants le pouvoir d’accepter ou de refuser d’autres propositions, aussi bien politiques que culturelles, énoncées au nom d’une position révolutionnaire. Entre-temps, dans la sphère culturelle, le terme « avant-garde » suscitait à la fois envie et peur chez les artistes et les intellectuels qui souhaitaient s’organiser sous un lexique qu’ils s’étaient imposés.

Et de plus, il y a là une différence de traditions. Dans les arts visuels, le terme d’avant-garde a été utilisé plus librement et le public l’a accepté ainsi. C’est un sujet qui mérite plus d’attention, la relation entre les définitions d’avant-garde et le type d’art concerné. En matière d’organisation, les différents arts requièrent une diversité de ressources et de méthodes. Il semble stupide de le dire à des moments où l’on semble tout avoir, mais je crois que les arts visuels doivent aussi être étudiés dans leur spécificité et dans leur relation au marché, qui est différente de celle que maintient la littérature avec le marché et, disons-le également, avec la simple publication.

 

 

Source : Journal Notre Amérique

Traduit de l’espagnol par Rémi Gromelle

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Depuis la prise de pouvoir par la Révolution iranienne en 1979, le monde se dresse contre l’Iran parce qu’elle est une « République islamique » qui refuse de reconnaître la domination des USA sur le Moyen-Orient et le reste du monde et de s’y plier. J’évoque le monde parce qu’après cette révolution, il y a eu a pérestroïka russe et la chute de l’empire soviétique, une superpuissance qui faisait contrepoids aux USA. L’Iran met aussi à mal les ventes d’armes étasuniennes au Moyen-Orient (nonobstant le montant exubérant investi par les pays du Moyen-Orient dont les dirigeants envisagent une taxe de protection pour les États-Unis plutôt qu’une nécessité), fixe de nouvelles règles d’engagement inédites et sabote les plans des USA visant à créer un « nouveau Moyen-Orient ». L’Iran compromet aussi les plans de sécurité et d’expansion d’Israël, le principal allié des USA dans la région. Malgré le fait que de nombreux spécialistes, responsables politiques (ayant la double nationalité) et érudits en Occident possèdent une vaste connaissance de l’Iran, les décideurs sont incapables de trouver la bonne politique et les mots qu’il faut pour amener l’Iran à la table de négociation.

Les sanctions contre l’Iran ne datent pas d’hier. La « République islamique » a pris la tête du pays il y a 40 ans et les Iraniens vivent sous des sanctions depuis. Le président Carter a interdit les exportations de pétrole iranien, a gelé 12 milliards de dollars de comptes bancaires iraniens et a interdit les échanges commerciaux avec l’Iran et les voyages dans ce pays en 1980. Le président Reagan a déclaré que l’Iran était un État appuyant le terrorisme, s’est opposé aux prêts internationaux, a autorisé les escortes navales de navires dans le golfe Persique et a imposé un embargo contre les importations iraniennes. Le président Clinton (décret 12959) a élargi le régime des sanctions et a interdit toute forme d’investissement et de participation étasuniennes dans l’industrie pétrolière iranienne. Le président George W. Bush a gelé les avoirs des particuliers, des groupes, des entités étrangères et des entreprises faisant affaire avec l’Iran ou qui le soutenaient. Le président Obama a interdit les produits alimentaires et les tapis iraniens, a imposé des sanctions contre le Corps des gardiens de la Révolution iranienne et a mis fin aux échanges avec les institutions financières faisant affaire avec la banque centrale de l’Iran.

Malgré toutes ces sanctions, on dit que le guide de la Révolution gère des actifs valant des dizaines de milliards de dollars.  Sayyed Ali Khamenei a puisé récemment dans le fonds de développement national quatre milliards de dollars pour le développement des capacités de missiles. En réelle situation de crise, l’Iran peut survivre en vendant une partie de son pétrole à des pays qui rejettent les sanctions unilatérales des USA, en passant en contrebande des centaines de milliers de barils de pétrole par jour sur le « marché gris » afin d’augmenterses exportations pétrolières.

Ces sanctions qui perdurent ont des effets néfastes sur la société iranienne, sans toutefois affecter le régime en soi. De plus, l’Iran a pris l’initiative de soutenir la « lutte noble de tous les opprimés » et rejette toute forme de domination impérialiste. Sa constitution (articles 3, 152 et 154) appelle à l’élimination complète de l’impérialisme et de l’influence étrangère sur l’Iran. Les limites et les objectifs des dirigeants iraniens sont clairs.

Le guide iranien Sayyed Ali Khamenei possède suffisamment de pouvoir financier pour continuer à appuyer tous les groupes et les partenaires favorables à l’Iran au Moyen-Orient, peu importe la durée des sanctions. Les menaces israélo-étasuniennes ont amené l’Iran à financer, à armer et à soutenir davantage tous ses partenaires au Moyen-Orient. En cas de guerre menaçant la sécurité nationale et l’existence de l’Iran, il ne sera pas seul et pourra faire très mal à l’ennemi.

Les capacités des missiles et des drones iraniens ont mis à mal les ventes d’armes étasuniennes dans la région à long terme en démontrant que ces armes, notamment les missiles de croisière, ne donnent pas les résultats escomptés. Des drones iraniens ont même frappé un missile Patriot, ce qui a fait ressortir les limites du concurrent étasunien du système S-400 russe.

En livrant des missiles au Liban, l’Iran a aidé le Hezbollah à augmenter sa capacité de causer de lourds dommages aux plateformes pétrolières, aux installations portuaires et aux infrastructures civiles et militaires d’Israël ainsi qu’à ses chars, à ses aéroports, à ses navires, en plus de créer de nouvelles règles d’engagement sans égard à la supériorité écrasante de l’aviation, la marine, l’infanterie et la technologie militaire avancée d’Israël.

De plus, l’intervention rapide de l’Iran en Irak en 2014 après la chute de Mossoul et de 40 % des provinces irakiennes aux mains de Daech a saboté les plans étasuniens de diviser le pays. L’Iran a contribué à faire du groupe de mobilisation populaire irakien, les Hachd al-Chaabi, une force dominante construite sur le modèle du Sepah-e Pasdaran (corps des gardiens de la Révolution). Le Sepah a été créé pour protéger le pays et la « valeur de la Révolution », alors que l’Occident contrôlait la moitié de l’armée iranienne sous le chah. Aujourd’hui, l’Irak se trouve dans une situation analogue, car les USA contrôlentde nombreux éléments au sein de l’armée irakienne. Mais les Hachd al-Chaabi, qui sont fort engagés idéologiquement, resteront derrière l’Iran pour des dizaines d’années encore.

En Syrie, des dizaines de pays (y compris les USA, l’Europe, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie) n’ont pu obtenir le changement de régime souhaité, malgré des investissements financiers et militaires massifs. Le soutien de l’Iran et de ses alliés et l’intervention de la Russie à partir de septembre 2015 se sont avérés plus efficaces que les forces terroristes provenant d’une centaine de pays que l’Occident et ses alliés parrainaient. Un gouvernement stable à Damas a déjoué le plan israélo-étasunien de créer un État en déliquescence et de diviser la Syrie. Le ministre de la Défense d’Israël Moshe Ya’alon affirmait d’ailleurs qu’il « préfère voir l’État islamique (le groupe armé) contrôler le territoire (Syrie) ».

Les armes coûteuses et perfectionnées que les USA ont vendues à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis se sont révélées incapables de neutraliser les Yéménites et les Houthis. Elles n’ont pu assurer la sécurité des pétroliersqui ont subi un acte de sabotage aux Émirats et empêcher des attaques contre d’autres pétroliers naviguant dans le Golfe,  le bombardement de deux stations de pompage d’Aramco en Arabie saoudite et les frappes de missiles sur des aéroports saoudiens et une batterie de défense antimissile Patriot.

L’Iran est aujourd’hui un joueur majeur sur l’échiquier du Moyen-Orient. En rendant ses alliés plus forts, il a réussi à empêcher les USA d’imposer un « Nouveau Moyen-Orient ». Il a négocié et signé un accord sur le nucléaire non contraignant avec les puissances occidentales en 2015, lorsque l’administration Obama a réalisé que les sanctions ne donnaient rien et voulait ralentir les progrès rapides de l’Iran vers une pleine capacité nucléaire, y compris l’obtention de matériel de qualité militaire.

L’Iran n’était pas crédule au point de signer un accord fondé sur une confiance aveugle entre les signataires. L’accord a créé un équilibre entre les partisans de la ligne dure et les pragmatiques iraniens en intégrant des clauses permettant à l’Iran de se retirer partiellement ou totalement de l’accord en cas de non-conformité. L’Iran a fait preuve de patience en attendant 14 mois avant de lancer son premier avertissement, en élevant le niveau de pureté de son uranium enrichi de 3,67 % à 4,5 %.  La progression se fera graduellement et pourrait atteindre 20 % (seuil considéré comme de l’uranium faiblement enrichi qui est le plus difficile à atteindre) ou 70 % (uranium hautement enrichi), ce qui donnera le temps à l’Europe de se distancer des USA avant que les niveaux d’enrichissement permettent la production d’une bombe (80 à 90 %).

Les notions du droit et de l’ordre des gouvernements européens s’appuient sur les principes du siècle des Lumières et ils les invoquent pour se donner une légitimité. Les pays européens sont coincés entre leurs relations avec les USA et les engagements qu’ils ont pris envers l’Iran. Leurs dirigeants seront appelés à respecter le contrat sur le nucléaire iranien qu’ils ont signé (France, Allemagne et Royaume-Uni).

L’Iran ne veut pas paraître faible dans ses négociations ou dans les mesures qu’il prend. Il ne peut revenir sur la position qu’il a adoptée en réponse à l’embargo des USA, sauf si l’Europe propose un allègement considérable sous la forme d’un mécanisme économique lui permettant de contrer une partie des sanctions étasunienne. Il est crucial pour l’Iran de donner l’impression qu’il sauve la face, qu’il préserve la fierté nationale et la dignité de sa population, et qu’il ne recule pas dans sa décision de se retirer graduellement de l’accord sur le nucléaire, d’autant plus que c’est le président des USA qui est responsable de sa révocation.

Le président Donald Trump propose au monde une nouvelle forme d’hooliganisme : j’accapare tout ce que je veux, je prends ce qui me tente, tout m’appartient sans égards aux autres pays ou personnes, et tous doivent nous payer pour assurer leur protection.  Les valeurs des USA ne sont plus respectées à la grandeur du monde et Washington n’est plus considéré comme un partenaire ou un intermédiaire éventuel en cas de crise mondiale.

Au moment où l’ambassadeur du R.U. à Washington Sir Kim Darroch décrit Trump comme « irradiant d’insécurité » et la Maison-Blanche « d’unique dans son dysfonctionnement », il est clair que les USA seront incapables de parvenir à un accord fiable et stable avec l’Iran tant que Trump restera au pouvoir. À compter du jour où Trump terminera son premier ou second mandat, un long intervalle sera nécessaire avant que les pourparlers avec l’Iran ne reprennent. Le seul interlocuteur qui reste à l’Iran, c’est l’Europe, même s’il ne peut s’attendre à grand-chose du Vieux continent divisé. Cependant, la possibilité d’une guerre entre les USA et l’Iran (et le reste du Moyen-Orient) augmentera considérablement si Trump est réélu. L’Iran en est conscient, juge que Trump a de bonnes chances d’obtenir un second mandat et se prépare en vue d’une guerre possible de pair avec ses alliés.

Elijah J. Magnier 

Traduction de l’anglais : Daniel G.

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Bien que le cas de l’Iran fasse légitimement la une des journaux, deux autres histoires confirment que des zombies cannibales décérébrés ont pris le contrôle de la Maison-Blanche. La première émane de David Sanger, journaliste au New York Times, qui rapportait la semaine dernière l’introduction par les États-Unis dans le réseau électrique russe de logiciels malveillants [malware] destinés non seulement à donner un avertissement, mais aussi à être activé par mesure de rétorsion si le Kremlin poursuit ses efforts de guerre numérique.

Ce qui surprend dans cette histoire, c’est la désinvolture avec laquelle elle est présentée. Après tout, introduire un malware dans le réseau électrique de qui que ce soit pourrait constituer un acte de guerre. Pour toute réaction, la Maison-Blanche s’est fendue d’un tweet présidentiel  : «Il s’agit d’un acte de trahison virtuelle commis par un journal autrefois admirable, mais qui ne cherche désormais qu’une bonne histoire, même si elle doit nuire à notre  pays…», omettant de préciser que cette histoire était fausse. En fait, si la trahison était avérée, cela pourrait donner à penser que l’article de presse dévoile justement ce qui aurait du rester classé Top Secret. C’est alors que Trump, ou l’un de ses conseillers, se rendant compte de la négligence, a enchaîné d’un nouveau tweet  : « … ET EN PLUS C’EST FAUX ! »

Si Sanger a bien travaillé, et que l’histoire est vraie, il convient de s’attarder sur plusieurs points. Tout d’abord, s’ingérer dans le réseau électrique d’un pays, dont dépendent de nombreuses infrastructures, est un acte extrêmement téméraire, surtout lorsqu’il est exposé dans la presse. Sanger a retracé la genèse de son récit, révélant qu’il y travaillait depuis plusieurs mois. Il écrit :

Selon d’anciens et actuels responsables gouvernementaux, les États-Unis intensifient leurs incursions numériques dans le réseau électrique russe. Il s’agit de mettre en garde le président Poutine et de montrer que l’administration Trump s’autorise à faire usage de cyber-outils toujours plus agressifs.

Au cours d’entretiens menés durant les trois derniers mois, différents haut placés ont évoqué le déploiement – maintenu secret jusque là – du code informatique américain dans de nombreuses cibles, dont le réseau électrique Russe. Cette botte secrète accompagne les discussions publiques portant sur les unités de désinformation et de piratage utilisées par Moscou lors des élections de mi-mandat de 2018. Les partisans d’une stratégie plus agressive, tels le Département de sécurité intérieure et le FBI ne l’espéraient plus; eux qui depuis plusieurs années avertissent le public que la Russie a introduit des logiciels malveillants susceptibles, en cas de conflit avec les États-Unis, de saboter les oléoducs, gazoducs, centrales électriques, et sources d’approvisionnement en eau.

Sanger développe :

De haut responsables gouvernementaux, retraités ou actifs, affirment que depuis 2012 au moins les États-Unis placent des sondes de reconnaissance dans les systèmes de contrôle du réseau électrique russe. Mais aujourd’hui, la stratégie américaine prend une tournure plus offensive, par l’introduction toujours plus profonde et agressive de programmes malveillants potentiellement paralysants. Ce qui n’est en principe qu’un avertissement peut servir à mener des cyber-attaques en cas de conflit majeur entre Washington et Moscou. Le commandant du Cyber ​​Command américain, le général Paul M. Nakasone, évoque ouvertement la nécessité de « se défendre » jusque dans les profondeurs des réseaux ennemis, pour montrer que les États-Unis sont prêts à réagir aux nombreuses attaques en ligne dont ils pourraient être la cible. John R. Bolton, le conseiller à la sécurité nationale du président Trump, affirmait quant à lui que les États-Unis envisageaient un nombre toujours croissant de cibles numériques potentielles, ne serait-ce que pour prévenir quiconque «tenterait une cyber-opération à notre encontre». « Ils n’ont pas peur de nous », se lamentait-il l’année dernière lors de sa confirmation devant le Sénat.

Si le récit de Sanger est avéré – il semblerait d’ailleurs qu’il contienne nombre d’informations crédibles, il signifie que les États-Unis veulent répondre œil pour œil aux attaques russe visant les réseaux électriques, essentiellement «pour qu’ils aient peur de nous». Tout porte à croire que les deux pays sont déjà en guerre, et ce n’est dans l’intérêt de personne, d’autant que les signaux ainsi envoyés pourraient très rapidement faire dégénérer la situation. L’article précise étonnamment que le président Donald Trump ignore ce programme, qui peut pourtant mener tout droit à la Troisième Guerre mondiale. Ce qui conduit certains lecteurs à se demander pourquoi Sanger n’a pas été arrêté pour avoir divulgué des informations relevant de la sécurité nationale… contrairement à Julian Assange.

Philip Giraldi

 

 

 

Article original en anglais : Are US and Russia Already in a Cyber War? Checkpoint Asia, le 24 juin 2019.

Traduit par jj, relu par Olivier pour le Saker Francophone

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Le mouvement anti-guerre que personne ne peut voir

juillet 12th, 2019 by Allegra Harpootlian

Lorsque Donald Trump s’est installé dans le Bureau ovale en janvier 2017, les Américains sont descendus dans la rue, dans tout le pays, pour protester contre leurs droits immédiatement menacés. Tout sentiment anti-guerre était manifestement absent de cet engagement civique, et encore plus un réel mouvement, malgré plus d’une décennie et demie de guerres stériles et destructrices dans tout le Grand Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Ceux qui, comme moi, militent contre les guerres apparemment interminables de l’Amérique se demandaient pourquoi le sujet méritait si peu de discussions, d’attention ou de protestations. Était-ce parce que la guerre contre le terrorisme, qui se propageait encore, demeurait entourée du secret gouvernemental ? Le manque de couverture médiatique de ce que l’Amérique faisait à l’étranger était-il à blâmer ? Ou était-ce simplement que la plupart des Américains ne se souciaient pas de ce qui se passait au-delà de l’Atlantique ? Si vous me l’aviez demandé il y a deux ans, je vous aurais répondu « pour toutes ces raisons ». Maintenant, je n’en suis plus si sûr.

Après les énormes manifestations de 2003 contre l’invasion de l’Irak, le mouvement anti-guerre a disparu presque aussi soudainement qu’il avait commencé, certains le déclarant même ouvertement mort. Les critiques ont noté l’absence à long terme de protestations importantes contre ces guerres, l’absence de volonté politique au Congrès pour y faire face et, en fin de compte, l’apathie sur les questions de guerre et de paix par rapport à des questions comme les soins de santé, le contrôle des armes, ou même, plus récemment, le changement climatique.

Les pessimistes ont eu raison de souligner qu’aucune de la pléthore de marches sur Washington, depuis l’élection de Donald Trump, n’a montré le moindre intérêt pour les guerres stériles lancées par les États-Unis. Ils ont certainement raison de se demander pourquoi le Congrès, qui a l’obligation constitutionnelle de déclarer la guerre, a jusqu’à récemment permis aux présidents Barack Obama et Donald Trump de faire la guerre comme ils le souhaitaient, sans même lui demander son avis. Ils ont raison de se sentir nerveux lorsqu’un sondage national montre que ceux qui pensent que nous menons une guerre en Iran (ce qui n’est pas le cas) sont plus nombreux que ceux qui pensent que nous menons une guerre en Somalie (ce qui est le cas).

Mais voici ce que à quoi je réfléchissais récemment : Et si un mouvement anti-guerre grandissait sous notre nez sans que nous ne le remarquions ? Et si nous ne le voyons pas c’est en partie parce qu’il ne ressemble à aucun mouvement anti-guerre que nous imaginons habituellement ?

Si un mouvement n’est un mouvement que parce que ses membres remplissent les rues, alors les critiques ont peut-être raison. Mais on peut rétorquer que les marches de protestation ne sont pas toujours la caractéristique d’un mouvement. Un mouvement se définit par sa capacité à remettre en question le statu quo et, à l’heure actuelle, c’est peut-être ce qui commence à se produire quand il s’agit des guerres américaines.

Par exemple quand des étudiants de Parkland condamnent l’impérialisme américain ou quand des groupes luttant contre le refus de visas aux musulmans mènent également une guerre contre le terrorisme ? Quand des anciens combattants essaient non seulement d’affronter les guerres dans lesquelles ils ont combattu, mais se placent en première ligne dans les débats sur le contrôle des armes à feu, les changements climatiques et la brutalité policière. Quand le Congrès adopte la première War Powers Resolution depuis près de 50 ans. Quand des candidats Démocrates à la présidence s’engagent à mettre fin aux guerres interminables de l’Amérique.

Au cours des quinze dernières années, les Américains – et leurs représentants élus – ont à peine jeté un œil sur nos guerres sans fin et s’en sont surtout foutu. En 2019, cependant, un mouvement anti-guerre semble en train de prendre forme. Il ne ressemble tout simplement pas à celui de l’époque du Vietnam, pour ceux qui s’en souviennent, ou à celui précédant l’invasion de l’Irak. C’est plutôt un mouvement qui se glisse au milieu des autres domaines pour lesquels les Américains se battent en ce moment – et c’est exactement pour cela qu’il pourrait bien fonctionner.

Un mouvement anti-guerre mené par d’anciens combattants est-il en train de se former ?

Pendant la guerre du Vietnam des années 1960 et du début des années 1970, les protestations ont, au départ, été menées par des groupes religieux et des organisations pacifistes moralement opposés à la guerre. Cependant, à mesure que le conflit s’intensifiait, les étudiants ont commencé à se joindre au mouvement, puis des leaders des droits civiques comme Martin Luther King, Jr. se sont impliqués, puis des vétérans de guerre qui avaient été témoins de l’horreur sont intervenus – jusqu’à ce que Washington se retire d’Indochine, sous la pression constante des manifestations de rue.

Vous pouvez regarder le manque actuel d’indignation du public, dû peut-être à l’épuisement de s’être indigné et que rien ne change, et penser que le mouvement anti-guerre n’existe plus. Certes, il n’y a plus rien qui ressemble à celui qui s’est battu si longtemps et si obstinément contre l’engagement des États-Unis au Vietnam. Pourtant, il est important de noter que, parmi certains des mêmes groupes (comme les anciens combattants, les étudiants et même les politiciens) qui se sont battus contre cette guerre, un scepticisme sain à l’égard des guerres américaines du XXIe siècle, du Pentagone, du complexe militaro-industriel et même de l’idée même d’exceptionnalisme américain est finalement en hausse – du moins, d’après ce que les sondages nous disent.

Juste après les élections de mi-mandat, l’an dernier, une organisation nommée Foundation for Liberty and American Greatness expliquait avec tristesse que les jeunes Américains « se retournaient contre le pays et oubliaient ses idéaux », la moitié d’entre eux estimant que ce pays n’était pas « grand » et beaucoup voyant dans le drapeau américain « un signe d’intolérance et de haine ». Avec les milléniums et la Génération Z devenant rapidement le plus grand bloc d’électeurs étasuniens pour les 20 prochaines années, leurs priorités occuperont le devant de la scène. En matière de politique étrangère et de guerre, en l’occurrence, ils sont très différents des générations qui les ont précédés. Selon le Chicago Council of Global Affairs,

« Chaque génération successive est moins susceptible que la précédente d’accorder la priorité au maintien d’une puissance militaire dominante dans le monde entier comme objectif de la politique étrangère des États-Unis, de considérer la supériorité militaire des États-Unis comme un moyen très efficace d’atteindre les objectifs de politique étrangère américaine et de soutenir l’expansion du budget à la défense. Dans le même temps, le soutien à la coopération internationale et au libre-échange reste élevé d’une génération à l’autre. En fait, les jeunes Américains sont plus enclins à soutenir les approches coopératives en politique étrangère et plus susceptibles de se sentir favorables au commerce et à la mondialisation. »

Bien que les marches soient le moyen de protestation le plus populaire, une autre façon frappante mais discrète est tout simplement de ne pas participer aux systèmes avec lesquels on n’est pas d’accord. Par exemple, la grande majorité des adolescents d’aujourd’hui ne sont pas du tout intéressés à s’enrôler dans une armée de volontaires. L’année dernière, pour la première fois depuis l’apogée de la guerre en Irak il y a 13 ans, l’armée n’a pas atteint ses objectifs de recrutement, des milliers de soldats manquant à ses objectifs. Cette tendance a été soulignée dans un sondage du ministère de la Défense de 2017 qui a révélé que seulement 14 % des répondants âgés de 16 à 24 ans ont déclaré qu’ils allaient probablement servir dans l’armée au cours des prochaines années. Cela inquiète tellement l’Armée de terre qu’elle a réorienté ses efforts de recrutement vers la création d’une stratégie entièrement nouvelle visant spécifiquement la génération Z.

De plus, nous voyons enfin ce qui se passe lorsque les soldats des guerres américaines de l’après-11 septembre rentrent chez eux avec un sentiment de désespoir par rapport à ces conflits. De nos jours, un nombre important de jeunes vétérans reviennent désabusés et sont prêts à faire pression sur le Congrès contre les guerres auxquelles ils ont participé. C’est le cas d’une nouvelle alliance gauche-droite entre deux groupes d’anciens combattants influents, VoteVets et Concerned Veterans for America, qui cherche à mettre fin à ces guerres sans fin. Leur campagne, qui vise spécifiquement à faire peser le Congrès sur les questions de guerre et de paix, est emblématique de ce qui pourrait être un mouvement potentiel diversifié se rassemblant pour s’opposer aux guerres étasuniennes. Un autre groupe d’anciens combattants, Common Defense, demande également aux politiciens de signer un engagement à mettre fin à ces guerres. En quelques mois à peine, ils ont convaincu 10 membres du Congrès, y compris des jeunes poids lourds de la Chambre des représentants comme Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan Omar.

Et ce n’est peut-être que la pointe d’un iceberg anti-guerre en pleine croissance. Une idée fausse au sujet de la naissance d’un mouvement est qu’il rassemble tout le monde pour la même raison, même vague. Ce n’est souvent pas le cas et il est parfois possible que vous participiez à un mouvement sans même le savoir. Si, par exemple, je demandais à une salle pleine de militants du changement climatique s’ils se considéraient également comme faisant partie d’un mouvement anti-guerre, je peux imaginer leurs dénégations. Et pourtant, qu’ils le sachent ou non, lutter contre le changement climatique signifiera aussi, tôt ou tard, d’assumer l’empreinte écologique du Pentagone.

Pensez-y : non seulement l’armée américaine est le plus grand consommateur institutionnel de combustibles fossiles au monde, mais, selon un nouveau rapport du projet Costs of War de l’Université Brown, entre 2001 et 2017, elle a rejeté dans l’atmosphère plus de 1,2 milliard de tonnes métriques de gaz à effet de serre (dont 400 millions étaient liés à la guerre contre le terrorisme). Cela équivaut aux émissions de 257 millions de voitures particulières, soit plus du double du nombre de voitures actuellement en circulation aux États-Unis.

Un mouvement anti-guerre en pleine croissance au Congrès

Une autre façon de sentir la montée du sentiment anti-guerre dans notre pays que de regarder les rues vides, les organisations d’anciens combattants ou les sondages de recrutement, est d’observer le Congrès. Après tout, l’un des indicateurs d’un mouvement réussi, même s’il n’en est qu’à ses débuts, est son pouvoir d’influence sur ceux qui prennent les décisions à Washington. Depuis l’élection de Donald Trump, la preuve la plus visible d’un sentiment anti-guerre croissant est la façon dont les décideurs politiques du Congrès américain se sont de plus en plus engagés dans les questions de guerre et de paix. Après tout, les politiciens ont tendance à suivre les électeurs et, à l’heure actuelle, un nombre croissant d’entre eux semblent suivre la montée du sentiment anti-guerre et en faire une série de débats sur la guerre et la paix à l’ère Trump.

Au cours de la campagne électorale de 2016, dans un éditorial du Washington Post, la politologue Elizabeth Saunders se demandait si la politique étrangère jouerait un rôle important dans l’élection présidentielle. « Peu probable », concluait-elle. « Les électeurs accordent peu d’attention à la politique étrangère. » Et à l’époque, elle était dans le vrai. Par exemple, le sénateur Bernie Sanders, alors en lice pour l’investiture du parti Démocrate à la présidence contre Hillary Clinton, n’avait même pas préparé de réponses toutes faites aux questions fondamentales de sécurité nationale, choisissant plutôt, au cas où, de revenir rapidement à des sujets plus connus. Lors d’un débat avec Clinton, par exemple, on lui a demandé s’il garderait des troupes en Afghanistan pour faire face à la pression croissante des talibans. Dans sa réponse, il a complètement évité de parler de l’Afghanistan, en ne faisant que mettre vaguement en garde contre un « bourbier » irakien et syrien.

À l’horizon 2020, Sanders est de nouveau en lice pour l’investiture, mais, depuis 2017, au lieu d’éviter la politique étrangère il est devenu le visage de ce qui pourrait être une nouvelle façon de penser notre rôle dans le monde.

En février 2018, Sanders est également devenu le premier sénateur à se risquer à présenter un projet de vote pour mettre fin au soutien américain à la guerre brutale menée par les Saoudiens au Yémen. En avril 2019, avec le parrainage d’autres sénateurs, le projet de loi a finalement été adopté par la Chambre et le Sénat dans une très rare démonstration de bipartisme, mais le président Trump y a opposé son veto. Qu’un tel projet de loi puisse être adopté par la Chambre, voire un Sénat encore républicain, même s’il n’a pas atteint une majorité bloquant le droit de veto, aurait été impensable en 2016. Tant de choses ont changé depuis les dernières élections que le soutien à la résolution du Yémen est devenu ce que Tara Golshan, de Vox, a qualifié de « signe décisif marquant le changement progressif du Parti Démocrate en matière de politique étrangère ».

Sanders n’est pas non plus, ce qui est assez frappant, le seul candidat Démocrate à la présidence qui se présente actuellement avec essentiellement un programme anti-guerre. L’un des principaux aspects du plan de politique étrangère d’Elizabeth Warren, par exemple, est de « revoir sérieusement les engagements militaires du pays à l’étranger, y compris le rapatriement des troupes américaines d’Afghanistan et d’Irak ». L’entrepreneur Andrew Yang et l’ancien sénateur de l’Alaska, Mike Gravel, se sont joints à Sanders et Warren pour signer un engagement à mettre fin aux guerres éternelles des États-Unis s’ils sont élus. Beto O’Rourke a demandé l’abrogation de l’Autorisation d’utiliser la force militaire, donnée par le Congrès en 2001, que les présidents utilisent depuis, chaque fois qu’ils ont envoyé des forces américaines au combat. Marianne Williamson, l’une des nombreuses (improbables) candidates Démocrates à l’investiture, a même proposé un plan pour transformer « l’économie de guerre des États-Unis en une économie de paix, réaffectant les énormes talents et infrastructures du complexe industriel militaire [américain]… au bénéfice de la vie plutôt que de la mort ».

Et pour la toute première fois, trois vétérans des guerres américaines de l’après-11 septembre ; Seth Moulton et Tulsi Gabbard, membres de la Chambre des représentants, et Pete Buttigieg, maire de South Bend ; se présentent aux élections présidentielles, apportant avec eux leur scepticisme quant à l’interventionnisme américain. L’inclusion même de tels points de vue dans la course à la présidence ne peut que changer la conversation, mettant en lumière les guerres américaines dans les mois à venir.

Montez à bord ou dégagez du chemin

Lorsque vous essayez de créer un mouvement, il y a trois résultats probables : vous serez accepté par l’establishment, rejeté pour vos efforts, ou l’establishment sera remplacé, en partie ou en totalité, par ceux qui sont d’accord avec vous. Ce dernier point est exactement ce que nous avons observé, du moins chez les Démocrates, au cours des années Trump. Alors que les candidats Démocrates à la présidence pour 2020, dont certains sont dans l’arène politique depuis des décennies, sautent progressivement dans le train de la fin des guerres sans fin, le véritable élan anti-guerre à Washington a commencé à faire venir de nouveaux membres du Congrès comme Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) et Ilhan Omar qui ne veulent pas accepter le statu quo quand il est question soit du Pentagone soit des guerres permanentes du pays. De plus, ce faisant, ils répondent à ce que leurs électeurs veulent vraiment.

Déjà en 2014, lorsqu’un sondage sur l’énergie de l’Université Texas-Austin demandait aux gens où le gouvernement américain devrait dépenser leurs impôts, seulement 7 % des répondants de moins de 35 ans disaient qu’ils devraient servir aux dépenses militaires et de défense. Au lieu de cela, dans le cadre d’un « virage politique assez important » à l’époque, ils ont massivement opté pour utiliser l’argent des contribuables dans le cadre de la création d’emplois et de l’éducation. Une telle tendance est devenue plus évidente lorsque ceux qui réclament la gratuité des collèges publics, l’assurance-maladie pour tous ou un New Deal écologique se sont rendu compte qu’ils pourraient payer pour de telles idées si l’Amérique cessait de dépenser des milliers de milliards de dollars pour des guerres qui n’auraient jamais dû être lancées.

Les nouveaux membres de la Chambre des représentants, en particulier les plus jeunes et ceux provenant de la diversité, ont commencé à remplacer la vieille garde et se montrent de plus en plus disposés à rejeter des politiques qui ne fonctionnent pas pour le peuple américain, surtout celles qui renforcent la machine de guerre américaine. Ils comprennent qu’en mettant fin aux guerres et en commençant à réduire le complexe militaro-industriel, ce pays pourrait à nouveau avoir les ressources dont il a besoin pour régler tant d’autres problèmes.

En mai, par exemple, Omar tweetait :

« Nous devons reconnaître que la politique étrangère EST de la politique intérieure. Nous ne pouvons pas investir dans les soins de santé, la résistance aux changements climatiques ou l’éducation si nous continuons à dépenser plus de la moitié de nos dépenses discrétionnaires en guerres sans fin et en contrats avec le Pentagone. Quand je dis que nous avons besoin de quelque chose d’équivalent au New Deal écologique pour la politique étrangère, c’est ce que ça veut dire. »

Quelques jours auparavant, lors d’une audience du House Committee on Oversight and Reform, Ocasio-Cortez avait confronté des cadres de l’entreprise militariste TransDigm à la façon dont ils faisaient pression sur le contribuable américain en vendant un disque d’embrayage automobile valant 32 $ au Département de la défense pour 1 443 $ par disque.

« Une paire de jeans coûte 32 $ ; imaginez payer plus de 1 000 $ pour cela », a-t-elle dit, « Savez-vous combien de doses d’insuline nous pourrions obtenir avec cette marge ? J’aurais pu obtenir de l’insuline pour plus de 1 500 personnes avec le coût de la marge de vos prix rien que pour ces seuls disques d’embrayage. »

Et même si ce ridicule gaspillage n’est pas nouveau pour ceux d’entre nous qui suivent de près les dépenses du Pentagone, c’est sans aucun doute quelque chose à quoi beaucoup de ses millions de partisans n’avaient jamais pensé auparavant. Après l’audience, Teen Vogue a dressé une liste des « 5 choses les plus ridicules pour lesquelles l’armée américaine a dépensé de l’argent », la comédienne Sarah Silverman a tweeté le clip-vidéo de Cortez à ses 12,6 millions de fans, l’actrice de Will and Grace, Debra Messing, a publiquement exprimé sa gratitude à Cortez, et selon Crowdtangle, un outil de mesure de médias sociaux, le clip-vidéo de cette audience parlementaire a suscité plus de 20 millions de réactions.

Non seulement les membres du Congrès commencent à attirer l’attention sur ces questions auparavant gardées discrètes, mais ils commenceront peut-être même à accomplir quelque chose. Deux semaines seulement après cette audience controversée, TransDigm a accepté de reverser 16,1 millions de dollars de bénéfices excédentaires au Département de la défense. « Nous avons économisé aujourd’hui plus d’argent pour le peuple américain que le budget total de notre comité pour l’année », a déclaré Elijah Cummings, président du comité de surveillance de la Chambre.

Bien sûr, les manifestants anti-guerres ne défilent pas encore dans les rues, même si les guerres dans lesquelles nous sommes déjà impliqués continuent de traîner et qu’une nouvelle guerre possible avec l’Iran se profile à l’horizon. Pourtant, on voit poindre une tendance notable à l’opinion et l’activisme anti-guerre. Quelque part sous la surface de la vie américaine se cache un mouvement anti-guerre authentique et diversifié qui semble s’unir autour d’un objectif commun : faire croire aux politiciens de Washington que les politiques anti-guerres sont défendables, voire potentiellement populaires. Traitez-moi d’éternel optimiste mais je peux imaginer qu’un jour un tel mouvement contribuera à mettre fin à ces guerres désastreuses.

Allegra Harpootlian

 

 

 

Article original en anglais : The Antiwar Movement No One Can See, Consortium News, le 2 juillet 2019.

Traduit par Wayan, relu par San pour le Saker Francophone

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Dans le domaine des mathématiques et de la physique le langage scientifique se suffit à lui-même les équations sont un langage. On raconte que quand le grand mathématicien russe Grigori Perelman envoya son manuscrit où il démontrait la conjecture de Poincaré problème posé par le mathématicien Henri Poincaré un siècle plus tôt vers 1910, sa résolution comprenait 32 pages d’équations toutes aussi hermétiques les unes que les autres, il n’y avait pas une phrase. Le jury de la revue aurait mis six mois à comprendre les équations et pourtant il n’y avait pas de texte ! Gregori Perelman reçut pour cela le prix de 1 million de dollars de la Fondation Clay pour avoir réussi à démontrer cette conjecture qui résista un siècle. Que fit le mathématicien qui vit reclus avec sa mère dans un appartement plus que modeste à la limite de l’indigence ? Il refusa le prix en ayant cette phrase célèbre « Que voulait vous que je fasse avec ce million de dollars, je sais comment fonctionne l’Univers et cela me suffit ! »

Mon attention a été attirée ces derniers jours par une nouvelle qui risque de créer une fois de plus,  un élément clivant  qui sera utilisé pour attiser les divisions.  En effet, le ministre de l’Enseignement supérieur a officiellement lancé un sondage d’opinion d’étudiants, sur la possibilité de substituer l’anglais au français dans les universités.  Nous remarquerons au passage, que les enseignants premiers concernés , sont hors champ. Par contre, les étudiants qui sont de passage, et même non concernés pour certaines disciplines, sont sollicités.

Cette décision à la hussarde relève de la diversion Au-delà du fait que ce chantier générateur de toutes les tensions tant sont amalgamées plusieurs plaies et stratégies de vision de société qui traversent le corps social réveillant le vieux contentieux en 1962, résolu à l’époque provisoirement, à savoir la gestion technique et administrative du pays aux francisants, l’idéologie aux arabisants. Le premier bastion fut celui de l’éducation, ensuite la culture, suivra enfin, l’administration. Très tôt, à l’école l’antagonisme arabe français fut visible et pratiquement rapidement le premier cycle ( l’école primaire ) fut arabisé « grâce » à l’apport de contingents d’enseignants en nombre du Moyen Orient qui vinrent avec leur compétence, leurs méthodes et leurs idéologies formater chacun à sa façon , l’imaginaire de l’enfant algérien dont le cerveau était ouvert- en absence de défenses immunitaires de fondamentaux algériens –à tout vent.

Les années 70 furent à peine troublées par l’entêtement de Mostefa Lacheraf à vouloir-en connaissance de cause-  mettre en place une école algérienne ouverte sur l’universel en termes de méthodes d’enseignements de formations des hommes et des femmes à mettre  en face des élèves. Profondément opposé   à l’idéologie baathiste qu’il trouvait non adapté à notre génie propre. Le lobby d’arabisants –mal formés, il n’y avait parmi eux aucun bilingue-  fort de l’appui des religieux de toutes tendances confondues y amena un argument imparable : La langue du Coran a la primauté sur tout.  De ce fait, le slogan, tu sais lire , tu sais écrire, tu peux enseigner fit des ravages dans l’imaginaire des enfants

Nous n’avons jamais voulu faire la différence entre la langue française et la nation qui en fait usage ( la France) . En l’occurrence les arabisants ont amalgamé à dessein la langue française et la France, synonyme de pays honni.  De ce fait il paraissait suspect de parler la langue de Voltaire ce butin de guerre- si on sait y faire Au contraire on inventa le vocable démonétisant de Hazb França ( le parti de la France) . L’histoire rendra justice et ceux qui glosent sur la France sont aussi ceux qui se replient en France après avoir tant glosé sur elle.

Bref après le météore Lacheraf , nous eûmes dans le droit fil de la scolastique, l’Ecole Fondamentale avec Kharroubi qui mit en coupe réglée le système éducatif et imposa une arabisation totale du secondaire réduisant la langue française à une portion marginale dans le même niveau que les autres langues étrangères. Parallèlement à l’enseignement supérieur les sciences sociales et humaines étaient arabisées totalement sans période transitoire mettant sur la touche d’éminents professeurs ce qui a abouti à la disparition de la réputation de l’Ecole de droit et de sciences économiques. Du jour au lendemain il était plus important de maitriser le verbe, c’est-à-dire savoir parler que le savoir Le contenu a pris le dessus sur le contenant et c’est tout le drame de quarante ans, nous n’avons pas sédimenté des connaissances et nos étudiants sont des analphabètes

1989 constitue véritablement une rupture avec l’ancien système. Des cohortes d’élèves mal formées et totalement arabisées frappent à la porte de l’université. C’était le coup de force tant attendu à savoir arabiser totalement l’enseignement supérieur y compris les sciences exactes et les sciences médicales et ceci en dépit du bon sens. Pour éviter le clash et ayant en esprit l’intérêt supérieur des étudiants, nous avions voulu préparer les futurs bacheliers en amont en confectionnant des annales du bac bilingues pour les trois disciplines, mathématiques, physique e biologie. Le ministère de l’éducation qui avait accepté cette idée, se récusa au moment où il fallait distribuer ces annales que nous avons préparées avec les meilleurs enseignants du supérieur.  A  l’évidence on misait sur un clash , un coup de force pour imposer d’une façon insensée, l’arabe dans les disciplines scientifiques , derniers bastions qui nous reliaient tant bien que mal au savoir universel.

Pourtant, et pour mettre toutes les chances de notre côté,  une mission dans les pays du Moyen Orient ( notamment en Egypte et en Arabie saoudite) nous avait convaincu qu’il ne fallait pas brader ( les enseignements des sciences exactes et biologiques ne se faisaient pas en arabe, mais en anglais). De plus, et dans ce cadre, il faut signaler la cacophonie au niveau de la terminologie chaque pays à sa propre façon de traduire les termes scientifiques ( il y a l’académie égyptienne qui ne reconnait pas le travail de l’Ecole de traduction de Rabat ou de Syrie ou d’Irak…) Quelle terminologie choisir ? On dit que la langue arabe forge une centaine de mots  en sciences et technologie par an, compte non tenu  des pendant ce temps ce sont des milliers de mots qui sont crées par an en anglais.

1989 : Cohorte de bacheliers  totalement arabisée

A cette rentrée de 1989 et pour ne pas pénaliser les étudiants les cours principaux de mathématiques ,de physique, de chimie et de biologie préparés par les Comités Pédagogiques Nationaux avec les meilleurs profs , ont été transcrits sur casettes et chaque établissement s’est vu doter du package complet des quatre matières pour pouvoir les diffuser aux élèves dans un souci de meilleure pédagogie pour tous les établissements avec des assistants arabisés pour les travaux pratiques. Cela demanda un énorme investissement intellectuel qui ne servit pas. Ce fut la débandade de la rentrée de 1989   faisant fi de tout ce qui a été fait,  un arrêté a été pris  décidant de l’arabisation totale des sciences et de la technologie à l’exception de la médecine ! Et pour cause, le lobby de médecine veillait au grain.

Les établissements notamment de l’intérieur du pays ne purent résister à cette arabisation laminoir – imposée par l’administration qui s’immisce dans le pédagogique- où n’étaient disponibles ni les documents (et pour cause , il n’y en a pas de récents si ce n’est d’anciennes traductions en arabe ( Syrie) d’ouvrages en français des années quarante et cinquante. Ils n’existaient pas aussi d’enseignants arabisants maitrisant les disciplines ! Quelques établissements échappèrent à la curée et pour couronner cette fuite en avant.

Ce descriptif explique comment le combat sourd est toujours d’actualité.les étudiants ne maitrisant ni le français ni l’arabe, n’ont pas aussi les références qu’il faut en arabe. De ce fait le niveau s’en ressent, les étudiants grapillant à gauche et à droite, dans ce qu’ils trouvent comme ouvrages, en médecine ce sera des polycops pour certains ayant plus de vingt ans dans les disciplines scientifiques Ils étudient sur des ouvrages dépassés même en langue française. Seules ont résisté les Ecoles du fait qu’elles ont des effectifs réduits et l’aspect syndicat et idéologie n’est pas prégnant comme dans les établissements de l’intérieur.

Pourquoi  l’ouverture de ce dossier maintenant ?

L’analyse de Abderrazak Dourari, professeur des sciences du langage apporte des éléments de réponse Il explique que cette tentative est récurrente et que le fait qu’elle survienne en plein hirak n’est pas innocent Il est important de faire un état des lieux de la société :

« Les décisions doivent souvent être informées par une connaissance de la société d’abord, par la présence de la langue concernée dans la société c’est-à-dire quel est son ancrage sociétal. (…) En Algérie, l’élite s’exprime en langue française et en langue arabe scolaire. La production scientifique en Algérie se fait essentiellement en langue française (…) Dans les domaines des sciences sociales, humaines et de l’éducation, nous avons -0,001% des publications qui se font en langue anglaise. (…) Notre société vit cycliquement ce genre de décisions. A une époque, on a décidé de tout arabiser. »(1)

« Evidemment,  poursuit le professeur Dourari, l’élite francisante, qui était suffisamment à la pointe du savoir, s’est retrouvée, du jour au lendemain complètement recluse et même qu’on a mis des charretées entières d’enseignants de langue française à la retraite. (…) Aujourd’hui, nous sommes en plein Hirak et en plein mouvement de la société pour un changement fondamental de la société pour la mettre sur des postures nouvelles à tous les niveaux. Et voilà ce problème venu de nulle part et qu’on parle de substitution d’une langue à une autre et de substitution d’un drapeau à un autre. En réalité, c’est une diversion à la demande sociale. L’université algérienne souffre de la non-maîtrise de toutes les langues, pas seulement du français et de l’anglais. Les Algériens et en particulier les universitaires manquent de maîtrise de toutes les langues. (…) Il n’y a aucun pays de la Planète où vous avez un universitaire monolingue. (…)Dans les lycées en Europe, un élève se doit déjà de maîtriser trois langues (…) » (1)

La nécessité  d’apprendre des langues étrangères très tôt  

S’il est vrai qu’il faut aller investir l’universel, personne n’est contre, le problème est de savoir d’abord poser le problème. Dans plusieurs pays l’apprentissage de trois langues se fait dès l’école primaire d’une façon ludique et sérieuse  car il semble que les enfants sont très perméables à l’apprentissage des langues très tôt. Et à l’université, c’est encore plus important.

 « L’apprentissage des langues étrangères pour Amy Thompson, présente de multiples avantages. Pourquoi est-il si important d’étudier les langues étrangères à l’université ? Apprendre une langue, c’est forcément s’imprégner de cultures différentes. Les étudiants piochent des éléments culturels associés à la langue pendant les cours, mais aussi au fil de leurs expériences d’immersion. (..)Avec l’aide de leur professeur, les étudiants peuvent s’exercer à développer une pensée critique sur les stéréotypes associés à différentes cultures, qu’il s’agisse de nourriture, d’apparence ou de façons de converser. (…) Toute conversation dans une langue étrangère implique l’utilisation de mots inconnus. Les personnes dotées d’une haute tolérance à l’ambiguïté ne ressentent aucune gêne à poursuivre la conversation bien qu’elles ne comprennent pas tous les mots. (…) Une haute tolérance à l’ambiguïté comporte beaucoup d’avantages. Elle aide les étudiants à limiter leur anxiété dans le cadre de la vie en société et facilite leurs futures expériences d’apprentissage des langues. (…) » 

« Mais ce n’est pas tout. Les personnes dotées d’un haut biveau de tolérance à l’ambiguïté ont l’esprit d’entreprendre ; elles sont plus optimistes, plus portées sur l’innovation et la prise de risques. La plupart des universités américaines ont une exigence minimale en matière d’enseignement des langues étrangères, qui varie en fonction de l’étudiant. L’université de Princeton, au contraire, a annoncé récemment que tous les étudiants, quel que soit leur niveau de langue quand ils entrent à l’université, doivent désormais apprendre une langue étrangère » (2).

La réalité : L’hégémonie planétaire de l’anglais.

 Il est vrai que la langue anglaise cette vulgate planétaire dont parle si bien le sociologue Pierre Bourdieu envahit tous les domaines et même en France pour être lu, il faut publier en anglais Les principales revues françaises exigent des contributions en anglais.  Les scientifiques algériens n’ont aucune difficulté an niveau du contenant à publier en anglais par contre ils ont toutes les peines du monde  au niveau du contenu à publier dans des revues à grand impact factor mais ceci est une autre histoire qui renvoie à la réalité du système éducatif.

 « Il faut, lit on -dans cette contribution canadienne qui se plaint du désamour même des locuteurs du  français qui font tout pour publier en anglais- rendre à César ce qui appartient à César : l’univers anglo-américain a su monter un vaste appareillage de revues très prestigieuses couplées à de puissantes caisses de résonance tels les grands index de citations comme Web of Science. Que peut-on faire contre une telle machinerie, qui carbure au prestige et à l’argent ? Une bibliothèque universitaire peut payer jusqu’à 100 000 dollars à Thomson Reuters pour avoir accès aux bases de données du service d’information Web of Science, en plus de payer des milliers de dollars pour s’abonner à une seule de ces revues, dont le contenu est lui-même subventionné par les chercheurs, qui paient bien souvent pour y être publiés ! Car la domination anglophone de l’information scientifique crée une sorte de monopole qui donne prise aux francophones, qui comptent parmi les plus gros clients de ces grands groupes d’édition scientifique(3).

La nécessité du multilinguisme  

Nous sommes d’accord, qu’il faut maitriser, l’anglais, pour publier. Mais est ce un problème ? Non ! que les enseignants peinent  certaines fois à traduire leurs publications cela arrive, mais ce n’est pas cela l’élément bloquant, c’est une fois de plus le faible niveau scientifique. J’avais cité  Gregori Perelman dont la publication scientifique ne  comportait que des équations !

Est-ce  pour d’autres arrières  pensées ? On est enclin à le penser même si ce n’est pas l’intention première de la tutelle, mais c’est certainement celle de ceux qui surfent sur ce conflit né avec l’indépendance.  De plus que veut-on faire ? Il eut fallu de mon point de vue affiner tout cela  avant d’ouvrir cette boite de Pandore, dont nous n’avons pas besoin pour le moment. S’agit il de convertir tout les enseignements à la langue anglaise dans les sciences dures ou aussi dans les sciences humaines commerciales et autres Il ne fait aucun doute que le monde est de plus en plus connecté et que le commerce, plus que jamais, est international. L’Algérie se devra d’investir ce créneau . En effet, toute entreprise qui souhaite vendre ses produits et services dans différents cadres culturels et linguistiques se doit de mettre la barre toujours plus haut en matière de multilinguisme. Dans toutes les disciplines de l’économie de la finance, du droit, du commerce international et ceci pour pouvoir parler au monde un langage compréhensible. Ceci concerne aussi la production scientifique dans les sciences humaines Pour investir les marchés il faut cibler les langues porteuses et ce n’est pas forcément l’anglais partout.

Les langues du futur : le top Ten 

La publication suivante propose une liste des 10 langues essentielles qui méritent d’être prises en compte s’agissant du commerce internationale  On y retrouve évidemment l’anglais, mais de plus en plus de langues qui se doivent d’être maitrisées :

« Il devient de plus en plus nécessaire de définir une stratégie de traduction et de localisation qui favorisera de telles interactions à l’échelle internationale. Parmi les 6909 langues vivantes connues, il n’est pourtant pas toujours facile de choisir celles qui constituent un bon investissement. La première chose à faire consiste à évaluer vos objectifs macroéconomiques et vos principaux publics-cibles.(….) L’anglais est la lingua franca des affaires et du milieu universitaire. Parlée dans 94 pays par 339 millions de locuteurs natifs, c’est la langue officielle des 20 organisations internationales les plus importantes. L’anglais est donc incontournable pour toute entreprise qui souhaite prospérer sur la scène internationale .Le chinois est un ensemble de langues sino-tibétaines qui comptabilise au total plus de 955 millions de locuteurs natifs, soit 14,4 % de la population mondiale. C’est, de loin, la langue la plus parlée dans le monde, avec un nombre de locuteurs s’élevant à 1 milliard de personnes. Sa position dominante dans l’économie mondiale en fait une source remarquable d’opportunités commerciales. À l’heure où les entreprises chinoises s’étendent à l’échelle internationale et alors que le pays présente des capacités croissantes de sous-traitance grâce à des coûts très bas et à une productivité élevée, cette langue ne peut être ignorée, d’autant moins que la pratique de l’anglais n’est pas très courante en Chine. Même s’il n’est pas forcément perçu comme une langue d’affaires, l’espagnol, avec 405 millions de locuteurs natifs, est la deuxième langue la plus parlée après le mandarin » (4).

« L’arabe est parlé par 295 millions de personnes à travers le monde. C’est la langue officielle de 28 pays différents, Et ce n’est pas la seule raison qui explique que l’arabe se classe à la deuxième place des « langues d’avenir » selon un rapport publié par le British Council. Si l’affichage de l’arabe a longtemps été problématique sur les sites web, les derniers logiciels ont surmonté cette difficulté. L’allemand compte 95 millions de locuteurs natifs et un total de 210 millions de locuteurs dans le monde. Il s’agit en outre de la quatrième langue la plus utilisée en ligne. L’Allemagne est le troisième contributeur mondial en matière de recherche et développement. L’allemand est donc particulièrement important pour la recherche scientifique et se place en tête des principales langues scientifiques utilisées dans les sciences dites « douces » telles que la médecine, les sciences sociales, la psychologie, les arts et autres sciences humaines. » (4)

«Grâce à leur réputation de qualité, de savoir-faire et d’intelligence, de nombreuses entreprises allemandes dominent leur branche et si vous souhaitez réussir dans leur domaine, vous devrez utiliser leur langue aussi. La Russie est célèbre pour ses ingénieurs talentueux et ses informaticiens de haut niveau et le russe fait partie des langues les plus populaires dans la littérature scientifique et technique des sciences dites « dures » que sont par exemple la physique, l’ingénierie et la science des matériaux. S’agissant du français on estime à 220 millions le nombre de personnes parlant également le français en tant que deuxième langue. Le hindi est la cinquième langue la plus parlée dans le monde et compte 260 millions de locuteurs natifs. En définitive le paysage linguistique est en perpétuelle évolution. Le choix des langues-cibles est crucial pour optimiser ses résultats commerciaux et gagner des parts de marché à l’échelle internationale. Il relève d’une prise de décision qui n’est ni simple, ni évidente ». (4)

Comment l’Intelligence Artificielle révolutionne la traduction  

Pour montrer que l’aspect contenant est de plus en plus maîtrisé grâce à  l’intelligence artificielle,  une solution radicale est en train d être élaborée. Elle permet de s’affranchir du faux débat de la langue, puisque ce qui sera important dans l’avenir, ce n’est pas le véhicule de l’information. Dans ce nouveau siècle beaucoup de paradigmes qu’on croyait immuables ont sauté. La langue a longtemps constitué un rempart que la science vient d’abattre avec brio ! Ce que nous vivons avec l’intelligence artificielle est une révolution car elle a tendance à effacer les frontières linguistiques pour faire apparaître, le signal qui est lui caractéristique de l’état d’avancement de la connaissance. Ainsi l’histoire de l’intelligence artificielle est intimement liée à celle de la traduction, peut-être parce que savoir donner du sens est ce qu’il y a de plus humain et de plus mystérieux pour la machine.

Comme l’écrit Remy Demichelis « Le fait est que lorsqu’un internaute cherche à traduire une phrase via un site Web, le résultat a parfois de quoi laisser perplexe. Mais qui, aujourd’hui, se passerait d’Internet pour cette tâche ? D’autant que le domaine a connu des progrès spectaculaires au cours des dernières années, grâce à l’utilisation de systèmes d’apprentissage automatique basés sur des réseaux de neurones . Google, incontournable dans le domaine de la traduction gratuite avec son service Translate, fut l’un des premiers à l’employer pour cette tâche. Il a été rejoint par le français Reverso ou l’allemand DeepL (propriétaire de Linguee). Facebook a aussi investi dans le domaine (lire ci-dessous), tout comme Microsoft, Fujitsu, Baidu, etc » (5)

« La technologie des réseaux de neurones a été introduite chez Google Translate via son laboratoire Google Brain et grâce aux travaux de Jeff Dean, Andrew Ng, Greg Corrado, Geoffrey Hinton et Quoc Le, figures emblématiques de l’intelligence artificielle. « Pendant dix ans, on utilisait une méthode qui s’appelle ‘Phrase Based Machine Translation’ » (PBMT) : l’algorithme coupait la phrase en petits morceaux et on traduisait chaque petit bout en adoptant une approche statistique », explique Julie Cattiau, ingénieur et product manager chez Google Translate. C’est un peu ce qu’un humain fait lorsqu’il colle trop au texte : le naturel de la phrase n’est pas conservé et cela peut donner lieu à des contresens. Avec un réseau de neurones, au contraire, l’algorithme considère la phrase toute entière. (…) Cette innovation, lancée en 2016, a permis de faire presque autant de progrès qu’en dix ans d’amélioration de la traduction automatique chez Google (…) » (5)

« Car, avec les réseaux de neurones poursuit Remy Demichelis, il faut dans un premier temps donner à la machine des milliers de textes à lire dans une langue et leur traduction – c’est la phase d’entraînement. Après la phase d’entraînement, la machine passe aux exercices pratiques. L’humain lui dit quand elle se trompe ou non. Les « neurones » se mettent alors à jour pour affiner leurs résultats. (…) Google, avec ses 140 milliards de mots traduits par jour et 103 langues, permet aussi à ses utilisateurs de lui indiquer des erreurs directement sur son site afin de perfectionner le modèle. Reste que, la combinaison de ces outils avec d’autres technologies d’IA, comme la reconnaissance vocale ou l’analyse d’images, fait naître des applications spectaculaires. Google Translate permet par exemple d’obtenir la traduction écrite d’une phrase parlée. Avec les écouteurs Pixel Buds, lancés à l’automne dernier aux Etats-Unis, l’utilisateur peut même entendre directement la traduction de son interlocuteur. « Cette fonctionnalité-là, on la voit comme un premier pas vers un monde où les gens pourraient avoir des conversations très naturelles dans deux langues », indique Julie Cattiau. La bataille de la traduction, ouverte par l’IA, vient à peine de commencer. » (5)

Conclusion

Dans ce bref état des lieux qui peut contribuer le moment venu, à la compréhension des enjeux de passage d’une sphère coloniale à une autre, car il ne faut pas se faire d’illusion si nous quittons un espace d’expression d’une langue, nous quittons du même coup notre rapport au monde.

Imaginons que nous décidons l’abandon de la langue française en connaissance de cause , le moment venu, car ce moment viendra, nous devons évaluer ce que nous allons « perdre » ! nous ne savons rien de ce qu’on va gagner dans l’immédiat car nous gérons nos décisions à l’émotion ! Changer toutes les habitudes, les façons de faire, demande du temps, nous n’avons rien à attendre des pays du Moyen Orient où nous serons bons derniers, non seulement nous n’apprendrons rien mais le peu d’ouverture que nous avons sur l’universel sera étouffé par un trou noir qui nous précipitera dans les abysses de la fatalité, de l’intolérance ! Bref nous allons mettre le cap sur le Moyen Âge.

La solution radicale élaborée avec l’apport de l’intelligence artificielle permet de s’affranchir du faux débat de la langue, puisque ce qui sera important dans l’avenir, ce n’est pas le véhicule de l’information mais l’information elle-même  qui est cruciale et c’est là où le bat blesse nous n’avons rien à vendre comme prouesse scientifique quelque soit le véhicule de l’information utilisé. Cela devrait être le vrai combat autrement plus important que cette fuite en avant.

Ouvrir, au risque de me répéter,  la boite de Pandore maintenant en pleine ébullition du mouvement du 22 février 2019  est de mon point de vue dangereux car cela va nécessairement mettre sur le tapis le statut de la langue amazigh où nous avons là aussi des partisans de l’aventure, comme nous les avons connus dans l’arabisation échevelée des années 80.

Avoir une démarche cohérente et œcuménique devrait être le moment venu la priorité du système éducatif dans son ensemble en définissant le continuum des enseignements le continuum des langues que doivent maîtriser les Algériens. Les méthodes d’apprentissage.  Pour cela il y a nécessité d’un état des lieux sans complaisance car le choix d’une langue doit obéir à plusieurs contraintes. D’abord l’opportunité : Pourquoi changer ? Evaluer les atouts et surtout les menaces,  l’acceptation internationale et les contraintes en termes de « représailles » notamment indirectement sur nos relations internationales avec l’ancienne puissance coloniale qui mettra en œuvre, une capacité de nuisances multiples notamment par  l’octroi de   visas à dose homéopathique…..

Une fois la décision prise, par où commencer le primaire ? Avons-nous les enseignants, les moyens pédagogiques et les méthodes pédagogiques ? A quelle abscisse de temps on s’adresse au moins une décennie. Les moyens dont on dispose en temps qu’outils pédagogiques mais surtout méthodes à enseigner. Les personnels à former à différents horizons.

De ce fait changer de sphère linguistique sans étude  sérieuse et profonde -en dehors de tout sentimentalisme  de tout approche revancharde dans ce XXIe siècle scientifique  où les ennemis d’hier peuvent être les amis d’aujourd’hui et redevenir les ennemis de demain- ne me parait pas porteur, je suis de ceux qui prônent l’ouverture vers l’anglais sans perdre le butin de guerre. Je suis convaincu qu’il faut y aller le moment venu avec sérénité pragmatisme, réalisme, tout en sachant que le support de l’information ne fait pas l’information c’est-à-dire la connaissance et c’est là le défi du système éducatif.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique, Alger

 

 

Notes :

1.Younès Djama https://www.tsa-algerie.com/langlais-pour-remplacer-le-francais-a-luniversite-un-coup-tordu-contre-letat-et-contre-la-societe/ 07 Juil. 2019 

2.Amy Thompson https://www.lepoint.fr/societe/pourquoi-il-est-tres-important-d-apprendre-des-langues-etrangeres-22-01-2017-2099233_23.php 

3.https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/500994/langue-de-science# 

4.Inês Pimentel https://blog.amplexor.com/fr/les-10-langues-les-plus-demand%C3%A9es-dans-le-monde-des-affaires 

5.Remy Demichelis https://www.lesechos.fr/2018/05/comment-lia-revolutionne-la-traduction-991256 

Article de référence : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5278950

 

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La Colombie sous la coupe des «criminels de paix»

juillet 12th, 2019 by Maurice Lemoine

En visite officielle en France, le chef de l’Etat colombien Iván Duque a été reçu le 19 juin à l’Elysée. A cette occasion, le président Emmanuel Macron a rappelé l’attachement de Paris au plein succès des Accords de paix signés le 24 novembre 2016 par le pouvoir avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), « accords soutenus financièrement à titre bilatéral ainsi que par l’intermédiaire de l’Union européenne », a-t-il souligné. En ce qui le concerne, Duque a surtout évoqué « sa préoccupation quant aux conséquences en Colombie de la crise migratoire vénézuélienne ». En phase avec son interlocuteur – Paris comme Bogotá ayant reconnu le « président imaginaire » vénézuélien Juan Guaido et invoqué la Cour pénale internationale (CPI) pour juger le chef de l’Etat légitime Nicolás Maduro, qui refuse obstinément de se laisser renverser –, Macron a annoncé que la France doublera cette année sa contribution au Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et au Comité international de la Croix Rouge (CICR), mettant sur la table 1 million d’euros pour venir en aide aux migrants et déplacés vénézuéliens.

Pris par un agenda manifestement très chargé, les deux hommes n’ont hélas pas eu le temps d’évoquer les 7 millions de déplacés internes colombiens [1], ni les 462 dirigeants sociaux, communautaires, indigènes, paysans et défenseurs des droit humains assassinés dans ce pays de janvier 2016 à février 2019 (dont 172 en 2018), si l’on en croit le Défenseur du peuple (Ombudsman) Carlos Negret, ni les 133 ex-guérilleros exécutés (ainsi que 34 membres de leurs familles) depuis qu’ils ont déposé les armes, confiants en la parole de l’Etat [2].

Pour ne pas laisser le champ libre à un possible et léger sentiment de malaise, le ministre de la Transition écologique François Henri Goullet de Rugy (« macroniste » de fraîche date, tendance « le vert est dans le fruit » [3]) a signé un accord bilatéral de coopération pour la protection de l’environnement et des ressources naturelles avec son homologue Ricardo Lozano, qui accompagnait la délégation colombienne. Là encore, par souci d’équilibre et de non ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat souverain, il a été choisi de ne pas évoquer l’autorisation donnée par Bogotá à l’exploitation non conventionnelle, par fracturation hydraulique (« fracking »), du pétrole et du gaz de schiste présents dans le sous-sol colombien ; les premières expérimentations vont incessamment démarrer, sur 33 915 kilomètres carrés, dans les départements de Santander, Cesar, Bolivar et Antioquia [4]. Chère au président français – comme celui-ci l’a rappelé à l’occasion de la signature d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Marché commun du sud (Mercosur) –, la mise en application de l’Accord de Paris sur le changement climatique s’en trouvera sans doute grandement facilitée…

Paradoxalement c’est des Etats-Unis que, pour le président de droite extrême Iván Duque, sont arrivées les contrariétés. Le 18 mai, en titre principal d’une « une » très remarquée, le New York Times a en effet affirmé : « Les nouveaux ordres de tuer de l’armée colombienne inquiètent [5] ». Basée sur des documents officiels et des témoignages anonymes d’officiers de haut rang, l’enquête révélait les instructions du commandant en chef des forces armées nommé par Duque en décembre 2018, le général Nicacio Martínez, exigeant de ses troupes qu’elles doublent le nombre de « captures » et d’ « éliminations de criminels ». L’injonction rappelle la sinistre pratique des « faux positifs » qui a débouché, pour « faire du chiffre », sur l’exécution de civils présentés comme des guérilleros tués au combat – 2248 victimes entre 1988 et 2014 (officiellement), dont plus de 90 % pendant les deux mandats du mentor de Duque, Álvaro Uribe (2002-2010).
Sous les feux de la justice pour 283 de ces exécutions extrajudiciaires dans les départements du Cesar et de la Guajira entre octobre 2004 et janvier 2006, la Xe Brigade blindée avait alors comme commandant en second et chef d’état-major… Nicacio Martínez (nommé depuis par Duque aux plus hautes fonctions, bis repetita).

Sentant poindre une possible réprobation internationale, l’Armée a suspendu cette directive deux jours après la révélation du New York Times (NYT). Toutefois, l’ « incident » ne s’est pas terminé là. Après que le ministre de la Défense Guillermo Botero ait dénoncé un article « plein d’incohérences »,une féroce chasse aux sorcières a été déclenchée au sein des unités militaires pour retrouver, menacer et sanctionner les officiers à l’origine de ces révélations. Quant aux deux collaborateurs du NYT, le journaliste Nicholas Casey et le photographe Federico Ríos, ils ont pris de plein fouet des rafales de déclarations agressives – dont celles du sénateur et ex-président Uribe ou de la sénatrice María Fernanda Cabal (épouse de José Félix Lafaurie, président de Fedegan, la puissante fédération des propriétaires terriens, les principaux bénéficiaires des terres arrachées par les paramilitaires aux paysans) – et, insultés, accusés, menacés même de mort sur les réseaux sociaux, ont dû quitter le pays pour raisons de sécurité.

Ayant fait de Duque l’un de ses principaux comparses au sein de l’Organisation des Etats américains (OEA) pour déstabiliser le Venezuela, Donald Trump a, le 6 mai 2019, nommé ambassadeur à Bogotá Philip Goldberg, diplomate expulsé de Bolivie en 2008 pour son rôle dans une violente tentative de renversement du président Evo Morales. Tout un symbole. Pour ne pas dire un programme. Toutefois, il arrive parfois que les Etats-Unis freinent d’une main ce qu’ils encouragent de l’autre. Surtout en période électorale ! Les opposants à un second mandat de Trump font ainsi feu de tout bois contre les aspects les plus absurdes de sa politique – ce qui ne manque pas s’agissant de l’Amérique latine en général et de la Colombie en particulier.
C’est ainsi que le 29 mai, inquiets de la tournure qu’y prennent les événements avec l’appui de la Maison-Blanche, soixante-treize membre démocrates du Congrès étatsunien ont fait parvenir une lettre ouverte très critique au secrétaire d’Etat Mike Pompeo, lui demandant de faire pression sur Duque afin qu’il cesse de remettre en cause les Accords de paix. D’où, confortant cette accusation, un autre éditorial du New York Times – « Colombia’s peace is too precious to abandon » (« La paix en Colombie est trop précieuse pour être abandonnée ») –, médias et personnel politique (dans ce cas démocrate), sous couvert d’information indépendante, marchant souvent main dans la main.

Pour qui en douterait… C’est également le NYT, pourtant bien peu en phase avec Caracas, qui a jeté un pavé dans le marigot en confirmant avec un temps de retard ce qu’une poignée de journalistes indépendants clamaient dans le désert : lors du show prétendant faire entrer de l’ « aide humanitaire » au Venezuela depuis Cúcuta (Colombie), le 23 février, ce sont des partisans du « fantoche » Guaido et non les forces de l’ordre « de Maduro » qui ont incendié un camion de la caravane des « bienfaiteurs de l’Humanité » ; un site Web libertaro-conservateur, le PanAm Post, a lui révélé la corruption des « représentants » de Guaido qui, côté colombien de la frontière, ont détourné des dizaines de milliers de « dollars humanitaires » théoriquement destinés à cette généreuse opération ; CNN en espagnol a pour sa part confirmé la tentative d’assassinat du président Nicolás Maduro, à l’aide de deux drones chargés d’explosifs, le 4 août 2018, en interviewant en Colombie, où il vit en toute tranquillité, l’un des participants à ce magnicide raté (de peu). Tout autant d’actions scabreuses et d’échecs fracassants imputables à la politique de Trump et de ses faucons Mike Pompeo, John Bolton (conseiller à la sécurité nationale) et Eliott Abrams (« envoyé spécial » pour le Venezuela), qui, comme leurs comparses vénézuéliens, en sortent ridiculisés. D’où quelques révélations qui ne mangent pas de pain (l’offensive contre Caracas se poursuivant sur d’autres terrains).

Car on notera incidemment – pardon pour cette incise ! – que ces échappées de médias en liberté dépassent rarement une raisonnable longueur de corde. En témoigne un édifiant épisode rapporté (28 juin 2019) par Daniel Espinosa dans l’hebdomadaire péruvien Hildebrandt en sus trece. Le 15 juin, le NYT publie un article révélateur sur l’escalade des « attaques cybernétiques » menées par les Etats-Unis contre… le réseau électrique russe (ce qui, entre parenthèses, conforte les suspicions provoquées par la gigantesque panne de courant ayant récemment paralysé le Venezuela). Comme à son habitude, et en un tournemain, Trump s’en prend par Tweet au New York Times  : la diffusion de cette information constitue « un acte virtuel de trahison ». Ce à quoi, avec beaucoup de candeur, le département communication du « média (très) indépendant » répond et révèle : « Nous avons soumis cet article au gouvernement avant sa publication. Comme nous le mentionnons dans la note, les officiers de sécurité nationale de Trump nous ont dit qu’il n’y avait pas de problème »…

En la circonstance, et quoi qu’on pense de ces relations, adverses ou incestueuses selon le moment, l’actuelle collusion « anti-Trump » n’a pas que des aspects négatifs. Car il y a tout lieu de s’inquiéter d’une alliance encore plus mortifère : celle de l’extrême droite colombienne et du Parti républicain américain.
En février 2019, Duque a présenté sa nouvelle politique de défense et de sécurité : celle-ci interdit désormais les trêves bilatérales dans le cadre du conflit armé interne qui oppose toujours l’Etat à l’Armée de libération nationale (ELN), historique guérilla encore en activité. Une mesure dangereusement contreproductive pour la relance d’une éventuelle « négociation », actuellement gelée, surtout lorsqu’on constate que, depuis son arrivée au pouvoir, Duque fait tout pour déchiqueter les engagements pris au nom de l’Etat par son prédécesseur Juan Manuel Santos lorsqu’il a acté la fin du conflit avec les FARC. Un redoutable précédent. Et l’assassinat d’un prix Nobel, par-dessus le marché !

Le cinquième point de l’Accord de paix signé le 24 novembre 2016 dans le théâtre Colón de Bogotá a prévu un « système de justice, vérité, réparation et non-répétition », comprenant une juridiction spéciale pour la paix, dont le Congrès colombien a approuvé la mise en place le 27 novembre 2017.
« Ni trizas ni rizas  ! » (« ni le déchirer ni s’en réjouir »). Conforté par la consultation populaire au cours de laquelle, le 2 octobre 2016, à la suite d’une intense campagne orchestrée par l’ex président Uribe, 50,2 % des votants s’étaient prononcés contre le texte original des Accords, Duque, avant même son élection, et suivant à la lettre les imprécations de son mentor, n’a jamais caché son intention de revenir sur la colonne vertébrale du dispositif : la Justice spéciale pour la paix (JEP). Mise en œuvre, celle-ci aurait de quoi faire transpirer plus d’un membre de l’ « establishment ». A l’origine, doivent en effet comparaître devant son corps de trente-huit magistrats, les 13 000 ex-guérilleros (qui respectent cet engagement et sont prêts à assumer leurs responsabilités), les policiers et militaires, ainsi que les acteurs compromis de la société dite « civile » – entrepreneurs liés au financement du paramilitarisme et agents (non membres de la force publique) de l’Etat. Avec, comme possible châtiment, des peines de restriction de liberté (mais sans incarcération) de cinq à huit années – ou même de vingt ans de prison effective pour qui, auteur des exactions les plus graves, tenterait de se soustraire à la révélation de la vérité.

Crimes de guerre, crimes contre l’Humanité… Ils ont beau prendre des airs très sûrs d’eux, Álvaro Uribe et les siens n’en mènent pas large. Déjà, en septembre 2017, le très « uribiste » procureur général de la République Néstor Humberto Martínez refusa de coopérer avec la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) Fatou Bensouda et de lui remettre les rapports et documents qu’elle sollicitait. Elle s’en montra très irritée (mais sans grandes conséquences). Les mêmes se démènent depuis comme le Diable dans un bénitier pour bloquer l’autre canal d’accès aux atroces dessous du terrorisme d’Etat ouvert par la JEP.
Souhaitant en effet bénéficier de ses aménagements de peine en échange de la vérité due aux victimes, plus de 300 paramilitaires demandent à comparaître devant la juridiction pour révéler leur rôle et celui des secteurs politiques qui ont financé et promu leur mouvement. Pour les mêmes raisons, 1 914 militaires, parmi lesquels cinq généraux et vingt colonels, dont certains lourdement condamnés (pour « faux positifs » ou liens avec le paramilitarisme), se sont présentés devant la JEP et entendent bénéficier de ses mécanismes, leur confession et leurs révélations entraînant des peines très inférieures à celles de la justice ordinaire (sachant qu’ils ne peuvent avoir accès à la JEP qu’après avoir passé au moins cinq années en prison).
Un grand pas pour l’établissement de la vérité, mais un cauchemar pour leurs supérieurs et leurs commanditaires, les « assassins en col blanc ». Raison pour laquelle le président Duque a déclaré son intention de réformer certains articles de la loi clé.

La tentative de dépeçage de l’institution censée juger et conter au pays la réalité d’un conflit sanglant étalé sur cinquante années ne date pas d’aujourd’hui. Dès le 13 juillet 2018, après un très long passage par le Congrès, la Cour constitutionnelle a éliminé la possibilité pour la JEP de convoquer des civils, seule une comparution « volontaire » de ceux-ci étant désormais autorisée. D’après la sentence (570 pages), obliger un non combattant à se présenter devant cette juridiction serait « contraire à la Constitution » car écartant le juge naturel des civils qui est la justice ordinaire. Celle-ci, d’ailleurs, en la personne du procureur général Néstor Humberto Martínez, n’a de cesse d’exprimer son hostilité à ce qu’il considère comme une instance illégitime. Le choc des pouvoirs ira jusqu’à la mise en examen en septembre 2018 de la directrice des affaires juridiques de la JEP, Martha Lucía Zamora, et de deux avocats consultants, July Milena Henríquez et Luis Ernesto Caicedo Ramírez, accusés de « conseiller et protéger » d’anciens combattants des FARC. La haute fonctionnaire sera poussée à la démission.

Finalement transmise en décembre 2018 par la Cour constitutionnelle au Congrès afin qu’elle soit signée par les présidents de la Chambre et du Sénat, chargés de la remettre ensuite au chef de l’Etat, la loi statutaire de la JEP n’en a néanmoins pas fini avec son parcours du combattant. Alors que Duque indique qu’il prendra « tout le temps nécessaire »pour la ratifier, son conseiller pour la paix Miguel Antonio Ceballos précise que le gouvernement envisage de « faire objection à la loi » pour « inconvenencia » (littéralement : « inconvénient »). Seule possibilité restant quand la Cour constitutionnelle a jugé une loi conforme à la Constitution, l’« objection pour inconvénient » permet au chef de l’Etat de la modifier quand même, partiellement ou totalement, le Congrès devant décider ensuite s’il accepte ou refuse l’« objection ». En d’autres termes, Duque tente d’utiliser sa majorité parlementaire pour bafouer et les Accords et la décision de la Cour constitutionnelle, instance suprême qui lui met des bâtons dans les roues.

C’est donc le 10 mars 2019, lors d’un allocution télévisée, que Duque a effectivement annoncé son intention de modifier six des cent cinquante-neuf articles qui régulent la JEP, dont l’un, éminemment sensible, touche à l’extradition des anciens guérilleros. Un thème d’autant plus délicat que, dans le cadre d’une affaire particulièrement « tordue » et hautement significative, les Etats-Unis réclament précisément l’extradition d’un des ex-commandants des FARC les plus prestigieux, Seuxis Paucias Hernández Solarte, plus connu sous le nom de guerre qu’il utilisait à la tête du Bloc Caraïbe : « Jesús Santrich ». Intellectuel, atteint de cécité, il y dirigeait essentiellement les actions d’agitation et de propagande plus que les opérations proprement militaires de l’opposition armée.

A La Havane, d’octobre 2012 à août 2016, Santrich a été l’un des négociateurs les plus coriaces des FARC face aux émissaires de Juan Manuel Santos. Excellent orateur, brillant analyste, il doit occuper l’un des dix sièges du Congrès (cinq députés, cinq sénateurs) réservés pour deux législatures aux dirigeants de la Force alternative révolutionnaire du commun (FARC, nouveau nom de la guérilla reconvertie en parti politique), comme convenu au terme des pourparlers. Toutefois, le 9 avril 2018, il a été incarcéré en vertu d’une circulaire rouge d’Interpol émise par la Cour fédérale du District sud de New York, accusé de « conspiration » pour l’envoi de dix tonnes de cocaïne aux Etats-Unis.

La preuve (qui ne prouve pas grand-chose) : une photo censément prise le 8 février 2018 pendant que Santrich est supposé « négocier » l’expédition au Nord du chargement d’environ 15 millions de dollars avec un agent « infiltré » de la Drug Enforcement Administration (DEA, les « stups » étatsuniens) et quelques comparses – dont un certainMarlon Marín, neveu d’Iván Márquez (le négociateur numéro un des FARC à La Havane).
Curieuse façon de conspirer discrètement avec de dangereux narcotrafiquants : la sulfureuse rencontre a lieu au domicile de Santrich, surveillé et protégé en permanence par la police du fait de la personnalité sensible de son habitant ! Sur une vidéo produite ultérieurement, on voit les mêmes « vrais-faux narcos » discuter et remettre un document à l’ancien guérillero. Détail qui tue : nous l’avons précisé, Santrich est aveugle. On pourrait lui offrir la Bible en lui faisant croire que c’est le Coran. Aucune bande son ne permet d’entendre les mots « cocaïne », « blanche », « drogue », « dope », « snif », « cargaison » ou quelque truande expression approchante que ce soit.

La teneur de l’accusation n’en est pas moins des plus sérieuses. Santrich proteste de sa bonne foi. S’étant présenté comme le neveu d’Iván Márquez, Marlon Marín lui inspirait confiance. Lui et les autres, dont le provocateur de la DEA, évoquaient ce jour-là des fonds apportés pour « un projet productif, spécifiquement de ferme agricole, dans les zones où devaient être mis en œuvre les accords de réforme rurale » destinés entre autres à la réinsertion des anciens combattants. « Cela se faisait avec des fonctionnaires du ministère du Post-conflit, y compris avec le docteur [Rafael] Pardo [6]. »

L’accusation demeure, assénée par la taupe des stups américains et Marlon Marín (immédiatement extradé aux Etats-Unis où il vit en tant que « témoin protégé » sans avoir à aucun moment témoigné devant la justice colombienne) : de mèche avec le Venezuela (forcément !) et le cartel de Sinaloa au Mexique, Santrich n’est rien d’autre qu’un vulgaire narcotrafiquant.

Qu’on la prenne par n’importe quel bout, et avec toute la prudence requise, cette histoire « pue » la provocation. Et la volonté évidente, depuis le Centre démocratique (parti d’Uribe et Duque), le Parquet de Néstor Humberto Martínez et les troubles officines de Washington, d’écarter un redoutable opposant, torpiller moralement les FARC et briser le ressort des partisans de la paix.

Même d’un point de vue légal, le procédé utilisé pour piéger Santrich est prohibé en Colombie. Dans le monde de l’espionnage, il existe deux types d’opérations : l’agent clandestin (« undecover agent ») s’infiltre au sein d’une organisation pour y recueillir du renseignement ; l’agent provocateur dupe sa proie (« entrapment ») et l’incite à commettre un délit. Très utilisée aux (et par les) Etats-Unis, cette dernière technique a été interdite en Colombie par l’article 243 du Code de procédure pénale et par au moins deux sentences de la Cour constitutionnelle (C-176 de 1994 et C-156 de 2016) [7].

Cette grossière entorse à la loi n’empêche pas Juan Manuel Santos, président à l’époque, de justifier l’arrestation, « nécessaire pour rendre crédibles un Accord de paix dont les Colombiens estiment qu’il a été excessivement généreux avec les rebelles » et de préciser : « Ma main ne tremblera pas pour autoriser l’extradition. »
« Plutôt mourir que de pourrir au fond d’une geôle aux Etats-Unis »,réagit Santrich. Il entame une grève de la faim qui durera 43 jours en avril-mai 2018.

A partir de là commence une bataille légale pour savoir qui doit décider de son sort. Si le délit, le crime ou la « conspiration » destinée à les commettre ont eu lieu avant l’entrée en vigueur des accords de paix (1er décembre 2016), la JEP est compétente et, comme le précise la loi, toute extradition est exclue. S’ils ont eu lieu postérieurement, la justice ordinaire rattrape le délinquant, avec toutes ses possibles conséquences (dont un voyage gratuit et sans fin dans l’enfer carcéral américain). Sachant que les douteuses preuves présentées (photo et vidéos) ne permettent pas de déterminer la date précise de la « conspiration ». Même si, sur ce point, Santrich n’a jamais entretenu aucune ambiguïté : la réunion suspecte a bien eu lieu « après » la date charnière, le véritable problème résidant dans le fait qu’il s’agit d’une manipulation destinée à le diffamer pour le broyer.

Le 20 juin 2018, la JEP s’estime compétente pour juger de son cas. Il y a du lynchage dans l’air : noir de colère, Néstor Humberto Martínez accuse la juridiction « concurrente » de « menacer l’ordre constitutionnel ». Tenace comme la vérole, il refuse par deux fois la demande d’habeas corpus déposée par Santrich. La prise de possession officielle de Duque, le 7 août, le gonfle d’énergie. A la JEP qui lui demande le dossier d’extradition de l’ex-guérillero, il fait parvenir en septembre de présumées preuves différentes de celles dont prétend disposer la justice étatsunienne (sans jamais les avoir communiquées aux Colombiens). Ce qui amène une commission rogatoire de la JEP à les réclamer à qui de droit, via le ministère de la Justice (colombien) et le Département d’Etat (américain). Sans résultat. Début février 2019, l’ambassadeur des Etats-Unis Kevin Whitaker se contente d’affirmer : « Jusqu’à présent, nous n’avons rien reçu du gouvernement [colombien] à ce sujet. »

Le très mauvais feuilleton tourne au ridicule (ou à l’obscène, c’est selon) : alors que va se terminer le délai de quarante jours octroyé par la JEP au ministère de la Justice pour lui communiquer les preuves dont disposent les Etats-Unis contre Santrich, la ministre Gloria María Borrero annonce découvrir « avec surprise » que la requête officielle, une « lettre ordinaire » envoyée à Washington via le service postal public 4-72 s’est perdue… au Panamá [8].

Parallèlement, et dans l’espoir de délégitimer cette JEP si dérangeante, les douteuses méthodes de la DEA font des petits. En mars, dans le bar du luxueux hôtel JW Mariott, situé dans la « zona rosa »,quartier de la finance et du divertissement du nord de Bogotá, la police appréhende en flagrant délit un juge de la JEP, Carlos Julio Bermeo. Il vient de recevoir un premier acompte de 40 000 dollars sur les 500 000 qu’on lui a promis pour « trafiquer » le dossier de Santrich afin de lui éviter l’extradition. Corrompu en puissance et « pigeon » parfait, Bermeo ne s’est à aucun moment douté qu’il avait affaire à un agent provocateur du… Parquet colombien [9].
Lorsque les dessous du « show » sont découverts, le procureur qui l’a mis en musique justifie les méthodes employées et affirme qu’on doit considérer tout à fait « normal » que le procureur général Néstor Humberto Martínez ait autorisé l’usage des 500 000 dollars en signant une résolution permettant de les retirer des « fonds spéciaux » du Parquet.

Les preuves demandées aux Etats-Unis n’arriveront jamais. Et comme son homologue Trump, Duque en fait « un peu trop ». Manifestement préoccupée, la Mission de vérification de l’ONU présente en Colombie demande que soit respectée « l’intégralité de l‘Accord de paix signé avec les FARC ». Le 8 avril, malgré la présence omniprésente dans l’hémicycle d’un Néstor Humberto Martínez déchaîné et les pressions du nouvel ambassadeur étatsunien Kevin Whitaker, la Chambre des députés rejette les « objections » du chef de l’Etat avec une nette majorité de 110 voix contre 44. Sa déroute s’accentue lorsque le Sénat vote dans le même sens au début du mois de mai.

Le dos au mur, le Centre démocratique et ses alliés contestent à tort le résultat de ce dernier vote – il manquerait « une voix » – et demandent à la Cour constitutionnelle de trancher. Cette dernière ne fait que mettre en lumière une évidence, le 29 mai : un quorum de 93 sénateurs ayant été appelés à voter et 47 ayant rejeté les « objections », celles-ci sont repoussées. Le bras de fer tourne de plus en plus en défaveur du gouvernement.

Le 15 mai, la Juridiction spéciale pour la paix avait annoncé refuser la demande d’extradition de Santrich : « Les preuves apportées par le parquet des Etats-Unis ne permettent pas d’affirmer [que celui-ci] a trafiqué de la drogue après l’entrée en vigueur de l’Accord de paix ». Par ailleurs, estimait la sentence, « les membres de la DEA [qui se sont livrés à la provocation] n’y ont pas été autorisés légalement par le Parquet colombien, qui aurait pu (et dû !) le faire à travers les mécanismes existant en matière de coopération judiciaire ». En d’autres termes : les « services » yankees croient pouvoir agir en Colombie comme en pays conquis.

La Cour constitutionnelle va désormais dans le même sens. Après treize longs mois d’incarcération, décide-t-elle, Santrich doit être libéré ! Accusant la JEP de « défier l’ordre juridique » et de « menacer la démocratie », le procureur général Néstor Humberto Martínez annonce spectaculairement sa démission et appelle les citoyens « à se mobiliser avec détermination pour le rétablissement de la légalité et la défense de la paix ». La ministre de la Justice Gloria María Borrero le suit. Dans sa mission de remise au pas des déviants, Washington supprime leur visa à un parlementaire (John Jairo Cárdenas), qui a publiquement dénoncé l’ingérence de l’ambassadeur Kevin Whitaker, et annoncent des sanctions contre trois magistrats – deux de la Cour constitutionnelle (Antonio José Lizarazo, Diana Fajardo) et un de la Cour suprême de justice (Eyder Patiño).

Décidée le 13 mai, la libération de Santrich traîne inexplicablement, obligeant la défense à déposer un nouvel habeas corpus. Il faut néanmoins attendre le 17 pour que l’ex-guérillero sorte de la prison de haute sécurité de La Picota, en très mauvais état, sur un fauteuil roulant. Et, coup de théâtre, soit re-capturé dix minutes plus tard, sur ordre du Parquet. Tout cela sans explications. En fonction de leurs opinions, ce coup de théâtre enthousiasme, tétanise ou scandalise les Colombiens. Mais ce n’est que plus tard qu’on pourra reconstituer l’enchaînement des événements.

L’ordre de libérer l’ex-guérillero remis par la JEP aux autorités de l’Institut national pénitentiaire et carcéral (Inpec) est arrivé le 17 mai à 9 heures du matin. Rien ne se passe, aucune autorité n’apparaît. Partout bruissent les conversations, les « on-dit ». Depuis le 13, l’ex-président Uribe a fait feu de tout bois. D’après ce qu’il diffuse aux quatre vents, Santrich va être transféré sur la base du Commandement aérien de transport militaire (Catam), proche de l’aéroport international el Dorado de Bogotá, remis à la DEA et expédié manu militari aux Etats-Unis. Hypothèse confirmée quand, venant des hautes sphères, un bruit court : Duque va décréter l’Etat de commotion intérieure et effectivement livrer le détenu [10].

Santrich a eu vent de ces rumeurs. Et constate que, malgré les ordres de la JEP, on le maintient incarcéré. Il a toujours annoncé la couleur. En aucun cas il ne subira le sort de son camarade Ricardo Palmera Pineda (alias « Simón Trinidad »), arrêté le 2 janvier 2003 en Equateur, livré par Uribe un an plus tard aux Etats-Unis, et enterré vivant pour 60 ans dans une prison de haute sécurité, au milieu du désert, dans le Colorado. Acquitté par la justice américaine au terme de trois premiers procès (deux pour narcotrafic, un pour prise d’otages), Simón Trinidad a finalement été condamné pour appartenance au Secrétariat (l’état-major) des FARC – dont il n’était pas membre ! –, responsable de la « prise en otages » de trois mercenaires étatsuniens en mission d’espionnage et capturés par la guérilla après que celle-ci ait abattu leur avion en février 2003. Dans un monde normal, on appelle cela « prisonniers de guerre »…

Imprégné de ce précédent, et comme il le confirmera ultérieurement au sénateur de gauche Iván Cepeda, Santrich tente de se suicider en s’ouvrant les veines. Lorsque, dans l’après-midi du 17, a lieu le simulacre de sa libération, les dizaines de caméras qui l’attendent à la porte de la prison filment un homme à moitié comateux et, surtout, après l’arrivée surprise de la police, son immédiate détention.

Le Parquet affirme alors détenir de nouvelles preuves contre lui. Eléments qu’il n’a jamais communiqués à la JEP et qui proviennent du « témoin protégé » Marlon Marín et de la « coopération internationale » des Etats-Unis. Cette tentative de « procès express » fera long feu. Le 29 mai, une bonne fois pour toutes, la Cour suprême ordonne l’immédiate libération de Santrich et coupe court à toute tentative de l’extrader.

On pourrait, à partir de là, considérer que « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ». La première décision permettant une telle approche fut celle du Conseil d’Etat. Celui-ci considéra en effet que Santrich conservait son investiture en tant que député dans la mesure où, s’il n’avait pas prêté serment et occupé son siège lors de la prise de fonction de la nouvelle Assemblée, le 20 juillet 2018, c’était pour un cas de force majeure – on l’avait emprisonné ! La Cour suprême de justice confirma en affirmant que Santrich était un parlementaire et ajouta que, de ce fait, sa mise en accusation pour « narcotrafic » ne pourrait être jugé que par elle-même. Moyennant quoi, le 10 juin, Santrich put enfin prêter serment dans le bureau du vice-président de l’Assemblée et, le 11 juin, siéger pour la première fois en tant que député.

Toutefois, la nauséeuse ragougnasse qui a précédé a provoqué en profondeur une triple dislocation aux conséquences encore imprévisibles : un schisme au sein des FARC ; une crise institutionnelle au cœur du pouvoir ; un inquiétant affaiblissement des espoirs de paix.

Au mépris de la parole de l’Etat lorsqu’il les a signés, les Accords de paix n’ont cessé d’être modifiés unilatéralement, à travers les plus hautes juridictions (Cour constitutionnelle, Cour suprême de justice) et la majorité de droite du Congrès. Au détriment tant de la réinsertion sociale et économique des insurgés que des nécessaires réformes permettant de sortir de l’injustice structurelle qui a provoqué le conflit. S’ajoutant à la campagne de terreur menée à travers l’assassinat sélectif et quotidien de dirigeants sociaux, l’offensive des Etats-Unis (viala DEA) et de « Duque-Uribe » (par l’intermédiaire de Néstor Humberto Martínez) contre Santrich a depuis rendu évident que les factions les plus archaïques de la droite colombienne (et « yankee ») faisaient le pari de la politique du pire.

Causalité, finalité, conséquences… Dès l’arrestation de son « camarada » Santrich, en avril 2018, l’emblématique Iván Márquez (de son vrai nom Luciano Marín Arango), numéro « un » des négociateurs des FARC à La Havane, dénonce « un montage » et annonce que, faute de garanties suffisantes, lui-même ne prendra pas possession de son siège de sénateur en juillet : le Parquet et la DEA auraient, d’après lui, et avec des méthodes similaires, l’intention de l’inculper pour le même type de délit. Márquez exhorte les ex-guérilleros regroupés dans les vingt-quatre Espaces territoriaux de formation et de réincorporation (ETCR) à « exiger la libération immédiate de Santrich » et à « défendre la mise en œuvre des accords ». Très en deçà, l’ex-commandant en chef des rebelles et actuel leader du nouveau parti FARC, Rodrigo Londoño Echeverri (plus connu sous ses noms de guerre de Timoleón Jiménez ou Timochenko), appelle au calme et joue la pondération.

Une première véritable fissure apparaît lorsque Márquez quitte Bogotá, rejoint les ex-guérilleros de base de l’ECTR de Miravalle (Caquetá), avant de passer à la clandestinité. Il y retrouve Hernán Darío Velásquez Saldarriaga (alias « El Paisa ») et Henry Castellanos Garzón (« Romaña »), autres ex-commandants de premier rang en rupture de ban. Sans nullement appartenir à la minorité d’ex-insurgés qui ont refusé de déposer les armes, soit pour des motivations politiques, soit pour se livrer à des activités mafieuses, ils se manifestent régulièrement par des messages, tel celui du 25 décembre 2018 – « Nous avons réellement agi comme des aveugles quand nous n’avons pas voulu voir les innombrables antécédents de trahison de cette oligarchie, après la signature d’épisodes de paix »– ou celui qui, fin janvier 2019, dénonce l’agression des Etats-Unis, avec la complicité de Duque, contre le Venezuela bolivarien.

Au mois de septembre précédent, dans un courrier au Parquet, « Romaña » avait confirmé sa volonté de respecter les Accords, réclamé les fonds promis aux ex-guérilleros pour le financement des projets productifs et sollicité une « sécurité juridique » en appui à son intention de « ne pas retourner dans l’illégalité ». Au même moment, un autre « historique », Fabián Ramírez, ratifiait par un communiqué à la Commission de paix du Congrès qu’il se maintenait dans le cadre « du pacte signé avec le gouvernement Santos », tout en expliquant les raisons de sa disparition dans la nature : « Pour cette raison [la perte de confiance due au montage contre Santrich] et pour notre sécurité personnelle, nous avons choisi de ne pas être une victime supplémentaire de la sale manœuvre orchestrée à travers le scénario remis à Marlon Marín pour qu’il salisse le nom de quelques uns de nos camarades avec des accusations totalement fausses [11]. »

Le parti tangue. Lui aussi réaffirme sa volonté de poursuivre le processus de paix, mais, craignant leur influence sur la base, il demande à ses leaders insoumis de respecter leurs obligations et, notamment, de rester dans les ECTR. Sans faire l’unanimité dans ses rangs. Tandis que les uns, à la direction, se montrent très critiques à l’égard des « dissidents », d’autres comprennent et approuvent leurs motivations.

Le débat devient plus aigu encore lorsque, fin avril 2019, le gouvernement offre 1 million de dollars de récompense pour toute information permettant l’arrestation d’El Paisa. Convoqué à trois reprises par la JEP, il ne s’est pas présenté. Cette dernière révoque « la liberté conditionnelle » dont il bénéficiait et, le 15 mai, confirme le mandat d’arrêt lancé contre lui. La mesure intervient au moment où, malgré un ordre de libération, Santrich est maintenu en prison. C’en est trop pour Iván Márquez. Dans une missive incendiaire destinée aux milliers d’ex-rebelles, il « met les pieds dans le plat » : « Collègues de l’ETCR : au nom des commandants militaires de l’ancien Etat-major central des FARC, commandants des fronts et des colonnes, touchés par la trahison de l’Accord de paix de La Havane par l’Etat, nous réitérons, de manière autocritique, que ce fut une grave erreur que d’avoir remis les armes à un Etat qui triche, confiant dans la bonne foi du partenaire. Quelle naïveté de ne pas nous être souvenus des sages paroles de notre commandant en chef Manuel Marulanda Vélez, qui nous avait prévenus que les armes étaient la seule garantie du respect de ces accords [12]. »

On peut parler cette fois d’une véritable fracture. Lorsque Santrich, sortant en fauteuil roulant de la prison de la Picota, a été spectaculairement ré-appréhendé, « Timochenko », le numéro « un » du parti, a fait le service minimum en matière de solidarité avec l’un des siens : que Santrich soit ou non extradé, « nous sommes avec la paix, quoi qu’il arrive ». Il réagit infiniment plus durement à la missive de Márquez, qu’il accuse de « chercher les applaudissements d’une poignée de têtes brûlées »  : « Malheureusement, Iván n’a pas perçu la dimension du poste que notre longue lutte l’a amené à occuper. Il est parti, sans donner aucune explication, et il a refusé d’occuper son siège au Sénat, laissant notre représentation parlementaire acéphale au moment qui requerrait le plus sa présence. » Il va jusqu’à lui reprocher le rôle de son neveu Marlon Marín dans le ténébreux feuilleton nommé « Narcos ». 

Au sein des FARC, beaucoup en restent sans voix. Les premiers murmures se font entendre. Des critiques fusent, plus ou moins feutrées : pour le député du parti Benedicto González, l’opinion de « Timochenko » est « respectable », mais, « on ne peut pas laisser croire qu’elle est partagée par le Conseil national des communs ni par les bases ». Au sein desquelles une perte de confiance en la direction devient perceptible, menaçant cette fois réellement la cohésion d’ex-guérilleros chaque jour plus remontés contre les conditions exécrables dans lesquelles se déroule leur supposée réinsertion.

Dans la tranchée d’en face, l’Etat en tant que tel sort affaibli de la séquence, secoué par la guerre ouverte entre ses diverses institutions. Du côté du gouvernement, l’heure n’est plus au triomphalisme. Les événements n‘ont pas tourné en sa faveur. Même les élites économiques se divisent entre « archaïques » et « modernes », rejouant (ou poursuivant) les discordances entre les ex-présidents Uribe et Santos après que ce dernier ait été élu à la présidence en 2010. En rejetant les « objections » de l’actuel chef de l’Etat, la Chambre des députés et le Sénat lui ont clairement infligé un camouflet. Il n’y dispose plus d’une majorité automatique pour gouverner. Les partisans de Santos, d’anciens alliés (Cambio radical), les Verts, le centre gauche se sont coalisés pour empêcher, autant que faire se peut, un torpillage définitif des Accords de paix.

L’enchaînement des événements a provoqué un tel chahut, qu’il n’a pas été possible à Duque de décréter l’Etat de commotion intérieure (pour l’instant). La démission de son grand allié Néstor Humberto Martínez a par ailleurs rajouté une pierre dans son soulier. Car il n’a échappé à personne que le procureur général a surtout profité de l’occasion pour sortir par la « grande porte » – celle de la « conviction bafouée » – alors que se rapprochait de lui à grande vitesse une mise en examen pour son rôle dans le scandale « Odebrecht » – du nom du géant brésilien du BTP, qui éclabousse tout le continent [13]. Avocat de la société de services financiers Corficolombiana, elle-même associée à Odebrecht en Colombie, Martínez a été au courant d’irrégularités du groupe de construction portant sur 6,5 millions de dollars et ne les a pas dénoncées. Une affaire d’autant plus lourde que trois témoins capitaux sont morts dans des conditions plus que suspectes ces derniers mois. Et qu’une autre énorme affaire de corruption secoue également les hautes sphères de l’armée.

Enfin, l’autre grand « socio » (associé), Donald Trump, se montre aussi imprévisible et versatile avec Duque qu’avec n’importe qui. Aux caresses et aux carottes (pour harceler le Venezuela), succèdent les coups de bâtons quand, se plaignant de l’augmentation de 50 % des cultures de coca et de la production de cocaïne afférant, le locataire de la Maison-Blanche déclare sèchement « Duque est un brave type, mais il n’a rien fait pour nous ». On a connu amis plus chaleureux.

S’agissant de l’avenir, bien malin qui pourrait le prédire. Dernier coup de théâtre (avant le prochain) : alors qu’il devait se présenter devant la Cour suprême de justice le 9 juillet pour y être entendu sur l’accusation de « narcotrafic », Jesús Santrich s’est volatilisé le 30 juin. Commentaires acerbes et supputations hasardeuses se multiplient. Mêmes mots, mêmes raisonnements qu’auparavant. En oubliant une vérité fondamentale : le présent s’explique toujours par le passé. On évoquera ici quelques hypothèses, en ayant soin d’écarter le mot « certitude » (« toute parole qu’un homme qui a un peu vécu raye de son dictionnaire », d’après Voltaire, précisément dans son Dictionnaire, à l’article « Certain »).

Lorsque, le 11 juin, Santrich a finalement accédé à son siège à la Chambre des représentants, le président Duque, depuis l’Argentine où il complotait avec son homologue Mauricio Macri pour savoir comment en finir avec Maduro, venait de demander au Parquet d’« empêcher cette prise de possession »,bien que le Conseil d’Etat l’ait clairement approuvée. Ce que le chef de l’Etat dut accepter, non sans commenter acerbement : « Nous ne pouvons pas cesser d’appeler les choses par leur nom. Alias Jesús Santrich est un mafieux et les évidences que connaît le pays sont celles d’un mafieux qui négociait l’expédition d’un chargement de cocaïne. »
De Washington, pleuvent les critiques contre la Cour suprême colombienne pour avoir rendu sa liberté à l’ex-guérillero. « Nous considérons que cette décision est lamentable et qu’un recours est essentiel et urgent », déclare le porte-parole du Département d’Etat Morgan Ortegas (avant de réchauffer l’atmosphère en épiloguant sur l’alliance entre les deux pays pour tenter d’introduire de l’aide humanitaire et des soldats au Venezuela afin de « faire front » contre Maduro).

Quand enfin le nouveau député, impassible derrière ses lunettes noires, les épaules recouvertes de son éternelle keffieh palestinienne, prend sa place au sein de l’Assemblée, il déclenche une bronca. Les représentants du Centre démocratique brandissent des pancartes « Dehors Santrich » ! Même des prétendus « Verts » exhibent des calicots : « Nous défendons la paix, pas Santrich ».

Pas besoin d’un météorologue pour savoir dans quelle direction souffle le vent. Dans un tel contexte, avec de telles pressions venant de toutes parts, quelle chance a Santrich d’échapper aux sombres nuages qui s’amassent au-dessus de sa tête ? A un jugement et un verdict, très aléatoires, de la Cour suprême de justice ? En entamant sa procédure contre lui, celle-ci a estimé qu’il n’était pas « nécessaire, proportionné ni raisonnable » de le faire incarcérer durant cette cette étape, sa possible privation de liberté pouvant être décidée après l’avoir écouté dans le cadre de l’information judiciaire (« indagatoria ») du 9 juillet. Au risque, en cas d’emprisonnement puis de condamnation, de le voir extrader, puisque la JEP est dessaisie ! Pas sûr que le rebelle ait eu envie de jouer à la roulette russe…

A sa sortie de La Picota, il avait clairement énoncé son alignement sur certains de ses camarades : « [Iván] Márquez a assumé une position autocritique mais a réitéré sa volonté de paix ; je lui envoie un message d’amour et de fraternité. (…) Ce qu’on fait Márquez et El Paisa c’est d’insister sur la nécessité du respect de l’accord, et c’est aussi ce que je vais faire [14] »
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uisqu’on parle de Márquez, on notera au passage que, le 14 juin, le Conseil d’Etat a décrété la perte de son siège au Sénat, pour ne pas en avoir pris possession dans les délais requis et « sans présenter aucune preuve » de ce qu’il considère comme « une absence de garanties ».

L’énumération des possibles caches de Santrich varie à l’infini : les uns le voient au Diable vauvert, protégé par l’ELN ; les autres au Venezuela, avec (ou sans) son compagnon d’armes Márquez, aidé par « son complice » Maduro ; d’autres encore avec un des groupes armés résiduels des FARC ; ou, pour y demander asile politique, dans un pays garant des Accords de paix (la Norvège et Cuba). Seusis José Hernández, son fils, se montre pour sa part très préoccupé : « Je doute que la disparition de mon père ait à voir avec un acte de rébellion ou quoi que ce soit qui aille contre la paix », déclare-t-il, n’écartant pas que l’ex-guérillero ait été séquestré et ne rejoigne la longue cohorte des « disparus » [15].

Où qu’il se trouve, la situation ne sent pas bon, et pour personne. Sauf peut-être pour les adversaires de la paix et de la JEP, à commencer par Duque, qui plastronnent, boivent du petit lait, s’en donnent à cœur joie. Dès l’annonce de la nouvelle, le mouvement citoyen « Défendons la paix », atterré par les conséquences prévisibles, a exhorté Santrich à informer les autorités sur son point de chute et à se présenter devant la CSJ le 9 juillet, comme prévu.

Au jour dit, seuls ses avocats ayant fait acte de présence et Santrich n’étant pas réapparu, la Cour suprême de justice a émis un mandat d’arrêt et ordonné de le capturer. Le revoici affublé du statut de « hors-la-loi ». Sans surprise, le centre, la droite et l’extrême droite ont réagi mécaniquement et haineusement, comme autant de robots. De la gauche modérée de Gustavo Petro – candidat du Pôle démocratique alternatif (PDA) à la dernière élection présidentielle (41,8 % des voix) – à celle du très engagé sénateur Iván Cepeda, une désapprobation unanime s’est exprimée. Les uns ont clairement vitupéré, pesté, blâmé et condamné le rebelle. « Ce qui est arrivé est triste », a plus sobrement confié Cepeda, qui avait accompagné Santrich à sa sortie de prison, inquiet à juste titre pour les dommages causés au processus de construction de la paix.

Dans une déclaration publique, le Conseil politique national des FARC a précisé que la conduite de Santrich « relève uniquement de sa responsabilité » et que « comme il l’a fait pour d’autres de ses décisions personnelles, il [n’a consulté] ni le parti ni sa direction ». Envisageant le mouvement dans son ensemble, le communiqué se terminait en exprimant sa confiance dans le fait que « la communauté internationale et la justice sauront faire la différence entre les déterminations d’individus ou de groupes qui rejettent ce qui a été signé dans les Accords de La Havane, et l’immense majorité de notre parti FARC qui se maintient loyale et ferme dans son projet de paix avec justice sociale ».

A travers ces lignes, on a aisément saisi la logique des dirigeants d’un parti, déjà peu populaire dans l’opinion, directement affectés par la réprobation générale qui, par ricochet, s’abat sur eux. Des dirigeants également préoccupés par le signal négatif que ce retour à la clandestinité envoie aux milliers de guérilleros de base, qui, autant qu’ils respectent Iván Marquez ou « El Paisa », apprécient et admirent Santrich. Toutefois, la dureté du ton à l’égard de ce dernier a choqué nombre de « camaradas ». En particulier celui du sénateur FARC Carlos Antonio Lozada, ancien négociateur à La Havane, particulièrement virulent dans ses propos : « Il n’y a aucune justification à ce que Santrich soit parti ainsi [16]  ! »

Curieux, tout de même… Car c‘est ce même Lozada qui, le 10 juillet, informera sur Twitter et par l’intermédiaire de divers médias, qu’il va porter plainte au nom du parti et apporter « des preuves ou au moins des indices » de ce qu’il y a « en marche un plan pour assassiner les [hauts] dirigeants des FARC ». La veille, deux nouveaux ex-guérilleros viennent d’être exécutés dans le Département du Cauca, portant à 137 le nombre des « camaradas » assassinés.

Quelques jours auparavant (6 juillet), dans une lettre envoyée au président Duque, ce sont trois civils n’ayant jamais porté un fusil (mais d’opposition et très impliqués dans la mise en œuvre des Accords de paix !), les sénateurs Iván Cepeda, Roy Barreras et Antonio Sanguino, qui dénonçaient être victimes d’écoutes illégales de la Direction nationale du renseignement (DNI) destinées à les neutraliser par le biais de « montages judiciaires ». Comme Santrich ? En tout cas, il s’agit là d’un bon vieux retour aux « chuzadas », écoutes et enquêtes clandestines de militants, syndicalistes, hommes politiques, partis traditionnels, journalistes et membres de la Cour suprême effectuées par le Département administratif de sécurité (DAS), dépendant directement d’une présidence de la République occupée par Álvaro Uribe, entre 2002 et 2010. Lequel DAS – mais qui s’en souvient ? – passait ses informations aux paramilitaires pour assassiner les opposants politiques [17].

Dans ces conditions, on attendra d’en savoir davantage pour se prononcer définitivement sur « le cas Santrich ». Après tout, sa décision de prendre la tangente peut reposer sur de bonnes raisons. L’avenir le dira. Infiniment plus inquiétantes que lui sont pour la Colombie les menaces qui planent et sur les opposants et sur le processus de paix.

Maurice Lemoine

 

 

Illustration : « Jesús Santrich », ex-commandants des FARC.

 

 

Notes

[1]D’après l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, 7,4 millions en mars 2017 – https://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2017/3/58c2d740a/hausse-deplacements-forces-colombie-malgre-signature-laccord-paix.html

[2]Au rythme de (au minimum) deux ou trois victimes par semaine, ces chiffres ont considérablement augmenté depuis ce décompte.

[4]L’une des principales conséquences de la fracturation hydraulique est la pollution des eaux et des sols engendrée. Certains chercheurs estiment qu’elle pourrait être liée à des tremblements de terre, glissements de terrains et autres activités sismiques. D’autres évoquent des séquelles sanitaires parfois importantes pour les populations locales.

[6]Ministre de la Défense pendant le mandat du président César Gaviria (1990-1994), Pardo est devenu Haut conseiller pour le post-conflit, les droits de l’Homme et la sécurité en novembre 2015.

[7Semana, Bogotá, 3 juin 2019.

[8]En 2006, arguant de ses « problèmes financiers », l’Administration postale nationale (Adpostal) a été liquidée par le gouvernement colombien. A la place, celui-ci a créé 4-72, l’actuel réseau public.

[9]Avocat, Berneo s’était présenté en 2015 aux élections régionales, dans le Département du Cauca, soutenu par le parti Option citoyenne de l’ex-sénateur Luis Alberto Gil, condamné en 2011 (et sorti de prison en 2013) pour ses liens avec le paramilitarisme. Egalement impliqué dans la provocation liée au « dossier Santrich », Gil a été arrêté en même temps que Berneo, qu’il accompagnait.

[10]En Colombie, sans dissoudre le Congrès ni suspendre (théoriquement) les libertés fondamentales, l’« Etat de commotion interne » (Etat de siège) permet au gouvernement de légiférer par décrets et de suspendre l’application de certaines lois.

[11 El Tiempo, Bogotá, 10 septembre 2018.

[12]De son véritable nom Pedro Antonio Marin, Manuel Marulanda, alias « Tirofijo » (tir précis) a été fondateur et dirigeant des FARC de 1964, année de leur naissance, jusqu’à son décès, le 26 mars 2008, de mort naturelle. Il avait pris le maquis en 1948, au sein milices d’autodéfense paysannes, pendant la période dite de « la Violencia ».

[13]Avocat de la société de services financiers Corficolombiana, elle-même associée à Odebrecht en Colombie, Martinez était au courant d’irrégularités du groupe de construction portant sur 6,5 millions de dollars et ne les a pas dénoncées.

[15Digital BLU Radio, 2 juillet 2019.

[16]Semana, Bogota, 7 juillet 2019.

[17]Hernando Calvo Ospina, « Quand l’Etat colombien espionne ses opposants », Le Monde diplomatique, avril 2010.

En ce début de juillet 2019, les perspectives semblent positives pour la réélection de Donald Trump à la Présidence en novembre 2020. Les chiffres du marché boursier et du PIB semblent tous positifs… pour le moment. La grande question sans réponse est de savoir si ces indicateurs peuvent être maintenus jusqu’aux élections fatidiques. Car nous voyons déjà des signes qui sous-entendent des problèmes potentiels pour les Républicains.

Un problème majeur pour que Trump envisage de gagner un deuxième mandat en Novembre 2020 est le fait que depuis 1913, aucun président américain, ni le Congrès, ne contrôlent plus les décisions de la banque centrale, la légendaire Réserve fédérale ou Fed. Ce que peu de gens savent, c’est que la Réserve fédérale n’est pas un organisme gouvernemental, malgré le fait que le Président nomme des personnes qui agissent à titre d’administrateurs. La réalité est que la Fed est détenue en grande partie par les banques internationales et les groupes financiers qui contrôlent les flux monétaires mondiaux. Ils déterminent de manière complexe le contrôle de la création de la monnaie américaine, c’est-à-dire le cœur de l’économie.

En décembre 1913, une cabale de banquiers internationaux républicains de Wall Street, dirigée par J.P. Morgan, John D. Rockefeller, Paul Warburg et compagnie, a provoqué le coup d’État fatidique qui a vu le « Démocrate » Woodrow Wilson céder le pouvoir monétaire du gouvernement aux banquiers. Depuis lors, la Fed a déterminé le cours de l’économie de la nation indépendamment des intérêts de l’économie nationale ou des citoyens.

Le président de la Fed de New York, Benjamin Strong, en tant que chef de la plus puissante des 12 banques de réserve, a littéralement déterminé le sort des États-Unis et de l’Europe jusqu’à sa mort en 1928. Ses politiques de taux d’intérêt ont été directement responsables de la création de la bulle boursière des années 1920 et du Grand crash de Wall Street en octobre 1929. Par ricochet, cela a mené à la crise bancaire mondiale de 1931 et à la Grande dépression. À son tour, c’est la Fed d’Allan Greenspan qui a été responsable de la création de la bulle immobilière de titrisation aux États-Unis et aussi de sa destruction délibérée lors de la Grande récession de 2007-2008, facteur clé de la victoire d’Obama en 2008. Cette Fed détient le vrai pouvoir sur les bons et les mauvais moments économiques.

On peut démontrer que chaque récession ou boom, chaque soi-disant cycle économique depuis 1914 a été déterminé par la Fed. Lorsque Donald Trump est devenu président, il a sélectionné plusieurs administrateurs du Conseil des gouverneurs de la Fed, dont le président Jerome Powell à partir de février 2018, croyant visiblement que Powell poursuivrait le plan d’argent facile.

Quand Powell et la Fed ont continué la politique de Janet Yellen de remontée des taux d’intérêt et à se retirer de l’assouplissement quantitatif en vendant les actifs qu’ils avaient achetés après la crise financière de 2008, les effets ont d’abord été éclipsés par la Loi Trump sur l’impôt et d’autres facteurs qui ont stimulé à la fois le marché boursier, le dollar et l’économie. À la fin de 2018, cependant, il a commencé à devenir clair que la Fed était en voie de créer un effondrement de la bulle d’actifs post-2008 dans les actions et l’immobilier, ce qui a suscité des critiques acerbes de Donald Trump envers Jerome Powell, son propre choix comme président de la Fed.

En décembre 2018, soit près d’un an après l’arrivée au pouvoir de Powell, les marchés financiers ont semblé en chute libre, les marchés boursiers ont chuté de 30 % en six semaines, les marchés des obligations à risques ont gelé et le prix du pétrole a chuté de 40 %. À ce moment-là, à la demande d’un groupe de gens d’affaires influents, Trump a commencé à accuser Powell d’essayer de créer une nouvelle récession. En mars 2019, Powell a annoncé que la Réserve fédérale n’augmenterait probablement pas les taux d’intérêts comme on l’avait prévu en 2019, les maintenant à 2,375 % et suspendant les projets de trois ou quatre hausses de taux supplémentaires en 2019. Les marchés furent alors euphoriques.

Mais à ce moment-là, les actions antérieures de la Fed avaient déjà amorcé des changements profonds dans l’économie qui sont maintenant devenus évidents, car les décisions monétaires ont tendance à avoir un effet de décalage de six à neuf mois dans l’économie réelle. Or cela commence à inquiéter la Maison Blanche. Voici quelques indicateurs préliminaires épineux.

Fret routier et agriculture

Selon le Trucking Diffusion Index de la Bank of America pour la semaine du 21 juin, les prévisions nationales de fret routier ont atteint le niveau le plus bas depuis octobre 2016, juste avant les élections américaines. Plus alarmant encore, l’indicateur est en baisse de 29 % sur un an, la plus forte baisse enregistrée depuis sa création. Les prévisions de la demande de fret aux États-Unis sont à leur plus bas niveau depuis cinq ans. Selon les rapports, le secteur de la construction éprouve des difficultés en raison des problèmes météorologiques dans les marchés clés.

Ce que cela suggère, c’est que le volume de marchandises expédiées par camion à travers le pays montre une tendance malsaine. Pour le moment, la durée de cette tendance n’est pas définie. C’est aussi un indice de problèmes réels.

Si nous ajoutons à cela la crise qui grandit dans l’agriculture américaine, la situation devient plus sombre non seulement pour le fret routier, mais pour l’économie entière. Les précipitations record sur la ceinture agricole du Midwest ont eu jusqu’à présent un impact dévastateur sur les prévisions de récolte, bien en amont de la principale saison agricole, c’est-à-dire l’été.

En juin, le Ministère de l’agriculture a réduit son estimation de récolte de maïs, ce qui constitue un événement rare. Les agriculteurs accusent le gouvernement de minimiser la crise. De plus, l’absence de mesures par le Congrès au sujet des accords commerciaux avec le Mexique et le Canada ainsi que les restrictions imposées par la Chine aux exportations de soja américain se combinent pour créer l’une des pires crises agricoles de ces dernières années aux États-Unis. La US Farm Bureau Federation, un lobby important, a déclaré qu’un troisième plan de sauvetage d’urgence des agriculteurs serait nécessaire si les marchés d’exportation des produits agricoles américains ne sont pas bientôt rouverts. Le Farm Bureau affirme que la combinaison de la perturbation des principaux marchés d’exportation, de la faiblesse des prix au comptant, du niveau élevé des stocks, du ralentissement des perspectives économiques et du mauvais temps dans le Midwest, « pourrait aboutir à une véritable crise agricole comparable à celle des années 1980. »

Ce ne sont pas les seuls gros nuages orageux sur l’économie américaine : les ventes de maisons existantes ont diminué d’une année sur l’autre pendant 15 mois consécutifs. La hausse des taux d’intérêt est un élément dissuasif majeur dans l’achat d’une maison. En outre, l’enquête mensuelle de Philadelphie sur les perspectives économiques, qui ausculte les prévisions de commandes par les entreprises, les ventes, l’emploi et d’autres indicateurs de l’activité commerciale, a chuté de 16,6 en mai à seulement 0,3 en juin.

Tout cela n’indique pas encore une récession complète dans l’ensemble de l’économie, mais montre à quel point la timide reprise qui a suivi la débâcle de 2008 est encore vulnérable. Or, dans cette situation, la Fed de Powell n’a pas un rôle constructif.

Powell proclame l’indépendance de la Fed

Le 25 juin, le président de la Fed Powell a prononcé un discours devant le Council on Foreign Relations de New York, ce groupe de réflexion des banquiers de Wall Street créé dans le sillage de la Première Guerre mondiale, parallèlement au Chatham Housebritannique. Dans ses remarques Powell a souligné l’indépendance de la Fed vis-à-vis des pressions politiques à court terme :

La Fed est à l’abri des pressions politiques à court terme, c’est ce qu’on appelle souvent notre « indépendance », a-t-il rappelé. Le Congrès a choisi d’isoler la Fed de cette façon parce qu’il avait vu les dommages qui se produisent souvent lorsque la stratégie se plie aux intérêts politiques à court terme. Les banques centrales des grandes démocraties du monde jouissent d’une indépendance du même genre.

C’était une déclaration d’indépendance vis-à-vis de Trump.

La réalité, comme Donald Trump l’a souligné à plusieurs reprises dans des discours publics en mars et avril, malgré la déclaration de la Fed sur la pause des taux d’intérêt en mars, c’est que la Fed n’a pas cessé son resserrement. Par l’intermédiaire d’une politique discrète appelée resserrement quantitatif (QT, quantitive tightening), la Fed a pris des mesures pour restreindre la liquidité monétaire dans le système bancaire et l’économie. Elle a forcé les grandes banques à racheter une partie des quasi 4 000 milliards de dollars d’obligations de sociétés et d’autres actifs qu’elle avait acquis en septembre 2008 dans le but de renflouer les grandes banques et les géants financiers après la crise de Lehman Brothers.

Au début de 2018, alors qu’elle augmentait simultanément les taux d’intérêt des fonds fédéraux, la Réserve fédérale a eu un effet double sur les taux d’intérêt du marché en « vendant » quelque 50 milliards de dollars par mois de ses actifs provenant de son expérience sans précédent d’assouplissement quantitatif (QE, quantitative easing) de 2008. Le QE était une politique de facto d’impression de monnaie en achetant certaines obligations et d’autres titres, y compris les hypothèques, auprès des banques de courtiers en valeurs mobilières primaires, leur donnant d’énormes liquidités en retour. Le QT est la tentative de remettre le génie du QE dans la bouteille en inversant le processus, une expérience très dangereuse et qui n’a rien d’urgent.

En février 2019, alors que l’impact du QT de la Fed commençait à semer le trouble, la Fed a accepté de réduire son resserrement, mais seulement de 50 à 40 milliards de dollars par mois jusqu’à maintenant. Cela représente un retrait de près de 500 milliards de dollars de liquidités dans l’économie chaque année, ce qui n’est pas une mince affaire. Si une récession se déroule maintenant entre les six prochains mois et les élections de novembre 2020, elle aura été causée une fois de plus par les « dieux de l’argent » de la Fed et leurs banquiers bailleurs de fonds. Et si Trump perd sa réélection de 2020, il le devra plus à la Fed qu’à ses bizarres adversaires Démocrates.

F. William Engdahl

 

 

 

Article original en anglais :

Trump’s Re-election? Did the Federal Reserve Already “Decide the 2020 US Election”?, publié le 30 juin 2019.

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

 

F. William Engdahl est consultant et conférencier en risques stratégiques, diplômé en politique de l’Université de Princeton et auteur de best-sellers sur le pétrole et la géopolitique.

Son blog : williamengdahl.com

Le président des États-Unis, Donald Trump, a menacé l’Iran mercredi de resserrer à nouveau les sanctions punitives de «pression maximale» imposées par les États-Unis.

Dans un tweet ignorant et mensonger, le président américain a déclaré: «L’Iran depuis longtemps «enrichit» en cachette, en violation totale du terrible accord de 150 milliards de dollars signé par John Kerry et l’administration Obama […] Les sanctions seront bientôt renforcées considérablement!»

Rien ne prouve que l’Iran «enrichit secrètement» de l’uranium. Le pays s’est soumis au régime d’inspection nucléaire le plus intrusif de tous les pays dans l’histoire.

Quant à la référence à «l’accord de 150 milliards de dollars», que Trump décrit comme une sorte de paiement américain à Téhéran, le chiffre représente des avoirs iraniens à l’étranger déjà existants qui avaient été gelés sous les sanctions nucléaires de l’ONU. Ils ont été rendus au pays dans le cadre de l’accord nucléaire de 2015, anciennement connu sous le nom de Plan d’action conjoint (JCPOA), conclu entre Téhéran et six grandes puissances mondiales: les États-Unis, la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne.

Trump a dénoncé le «terrible accord» le jour même où les États-Unis organisaient une intervention ridicule devant le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à Vienne, en Autriche.

Washington a exigé la tenue d’une session d’urgence du conseil d’administration des 35 pays afin de dénoncer Iran pour les augmentations minimes des niveaux de stocks et d’enrichissement d’uranium de l’Iran, dépassant les plafonds fixés par l’accord de 2015, dans des conditions où l’administration Trump, en violation flagrante du droit international, a abrogé le traité entier il y a plus d’un an, tout en le dénonçant à plusieurs reprises comme inutile.

La performance américaine à Vienne a révélé un cas d’école de la nature de la «diplomatie» américaine, qui consiste en ultimatums conçus uniquement pour promouvoir le double objectif de changement de régime et de guerre.

L’ambassadrice américaine auprès des organisations internationales à Vienne, Jackie Wolcott, a accusé l’Iran «de chantage nucléaire» et a exigé que son «comportement déloyal ne soit pas récompensé». Elle a également insisté sur le fait «qu’il n’y a aucune raison crédible pour que l’Iran élargisse son programme nucléaire».

Tout le monde sait cependant que l’Iran a accepté de réduire son programme nucléaire en échange de garanties de la part des grandes puissances, y compris Washington, que les sanctions soient levées et que les liens commerciaux et économiques avec le pays soient rétablis.

Washington a non seulement dénoncé ces garanties en abrogeant unilatéralement l’accord, il a également instauré un régime de sanctions visant à réduire à zéro les exportations de pétrole iranien et à faire effondrer l’économie du pays en visant non seulement l’Iran, mais également toute entreprise ou pays qui oserait commercer avec lui.

Téhéran a lancé l’accusation, qu’un an après que les États-Unis ont abandonné l’accord et entamé leur campagne de sanctions, les trois signataires à l’accord de l’Europe de l’Ouest n’ont pas pris de mesures concrètes pour en contrer les effets et apporter l’aide qui avait été promise.

Le mois dernier, Téhéran a annoncé qu’il avait délibérément dépassé la limite de 300 kg imposée par le JCPOA sur ses stocks d’uranium enrichi et dimanche dernier, il a annoncé une deuxième violation délibérée d’une limite fixée dans l’accord, augmentant ainsi son niveau d’enrichissement d’uranium – qui avait été plafonné à 3,67 pour cent et a été augmenté à 4,5 pour cent.

Ces deux mesures sont en grande partie symboliques et ne mettent pas de façon significative à la portée d’Iran une production d’uranium à des fins militaires, ce qu’en tous cas Téhéran a répété à maintes reprises n’a jamais été son objectif. En outre, ces stocks et ces niveaux d’enrichissement ne violent nullement les termes des obligations de l’Iran vis-à-vis de l’AIEA, qui continue à inspecter ses installations nucléaires. Ni l’AIEA, ni d’ailleurs Washington, ne font partie du JCPOA, ce qui fait de l’agence un forum tout à fait inapproprié pour la diatribe de Washington.

Le gouvernement iranien a indiqué qu’il prendrait d’autres mesures dans un délai de 60 jours si les puissances européennes ne tiennent pas leur promesse faite l’année dernière, à la suite de l’annulation de l’accord par Washington, de fournir «des solutions pratiques afin de maintenir la normalisation des échanges et les relations économiques avec l’Iran».

Les exportations de pétrole iranien ayant été ramenées de 2,5 millions de barils par jour (bpj) en avril 2018 à seulement 300.000 bpj aujourd’hui, il va de soi que cette «normalisation» n’a pas eu lieu. En attendant, le déploiement par les puissances européennes d’Instex (Instrument de soutien des échanges commerciaux), un mécanisme commercial censé échapper aux sanctions imposées par les États-Unis et contourner le système financier basé sur le dollar, a été reporté à plusieurs reprises pour des raisons prétendument techniques.

Alors que la bourgeoisie européenne craint les conséquences catastrophiques d’une guerre américaine contre l’Iran et a ses propres ambitions d’exploiter les marchés et les ressources du pays, elle n’a pas contesté l’agression de Washington.

Avant la réunion du conseil de l’AIEA, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont publié une déclaration commune lâche et cynique dans laquelle ils ne faisaient aucune mention du sabotage du JCPOA par les États-Unis ni de leurs propres obligations en vertu de l’accord, tout en dénonçant l’Iran pour avoir «poursuivi des activités en contradiction avec le JCPOA» et exigeant que Téhéran «fasse marche arrière immédiatement».

Aux termes de l’accord nucléaire, l’Iran est habilité à «cesser de s’acquitter en tout ou en partie des obligations qui lui incombent en vertu du JCPOA» s’il constate que les parties signataires à l’accord font preuve d’une «inexécution significative» de leurs obligations, jusqu’à ce que le différend soit résolu.

Lors de la réunion de l’IAEA, Kazem Gharib Abadi, chef de la diplomatie iranienne auprès des organisations internationales basées à Vienne, a qualifié de «triste ironie» le fait que les États-Unis soient venus à l’AIEA pour dénoncer l’Iran au sujet d’un accord que Washington avait répudié. Il a décrit les sanctions unilatérales et extraterritoriales américaines comme une forme de «terrorisme économique» qui ne sont «ni légitimes ni légales» et équivaut à «des armes de guerre».

Le président iranien Hassan Rouhani aurait condamné l’hypocrisie des puissances européennes dans une allocution prononcée mercredi devant le gouvernement. «D’un côté, les Américains ont décrit le JCPOA comme le pire accord possible et s’en sont retirés», a déclaré Rouhani. «D’un autre côté, lorsque l’Iran réduit ses engagements vis-à-vis de l’accord, tout le monde exprime sa préoccupation, alors qu’ils devraient s’inquiéter des États-Unis, qui ont violé l’accord dans son ensemble». Il a qualifié de «ridicule» la convocation de la réunion de l’AIEA par Washington.

Le représentant iranien auprès de l’AIEA a indiqué après la session que Washington avait tenté en vain de solliciter d’autres pays membres à convoquer la réunion. Il a noté que l’IAEA n’a pris aucune décision ni publié de déclaration officielle en réponse à l’intervention américaine, soulignant son caractère «ridicule».

Le représentant américain à l’AIEA a exigé de manière provocatrice que Téhéran entame des négociations «sans condition préalable». Après avoir rejeté les résultats de plus d’une décennie de négociations, Washington exige maintenant, sous la pression de sanctions visant à affamer la population du pays, que l’Iran engage des pourparlers dont l’objectif serait de transformer le pays en une semi-colonie de l’impérialisme américain.

Le Pentagone a également intensifié sa menace militaire contre l’Iran mercredi. Le général de la marine Joseph Dunford, président du Comité des chefs d’état-major, a annoncé que les États-Unis formaient une «coalition» pour «assurer la liberté de navigation à la fois dans le détroit d’Ormuz et dans les eaux du Bab al-Mandeb», les points de passage «stratégiques» qui relient respectivement le golfe Persique à l’océan Indien et la mer Rouge au golfe d’Aden.

Dunford a déclaré aux journalistes que la coalition serait «évolutive». Il a poursuivi: «Donc, avec un petit nombre de contributeurs, nous pouvons commencer une petite mission et nous l’étendrons à mesure que les pays désireux de participer s’identifient.»

La remarque laissait entendre qu’à ce stade, la «coalition» ne comprendrait que les États-Unis et les régimes pétroliers des cheiks sunnites menés par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Mark Esper, le plus récent des secrétaires à la Défense par intérim de Trump, a évoqué la possibilité d’une telle coalition le mois dernier avec les alliés supposés de Washington au sein de l’OTAN, mais il a été rabroué.

Quels que soient les pays qui s’embarquent dans cette nouvelle intensification de l’intervention militaire américaine dans le golfe Persique, la multiplication des opérations navales ne fera qu’aggraver la menace d’un affrontement militaire.

Tandis que Washington tente d’affirmer par la puissance militaire son hégémonie illimitée sur le Moyen-Orient et ses vastes réserves d’énergie, un tel affrontement pourrait s’étendre à toutes les grandes puissances, y compris la Russie et la Chine dotées de l’arme nucléaire, posant le grave danger d’une troisième guerre mondiale.

Bill Van Auken

 

 

Article paru en anglais, WSWS, le 11 juillet 2019

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Le Pentagone a annoncé que le Département d’État américain avait approuvé lundi une vente d’armes de plus de 2,2 milliards de dollars à Taiwan. L’accord comportant deux volets, d’autres ventes suivront probablement. C’est l’un des plus importants entre Washington et Taipei et sert à développer les préparatifs américains de guerre avec la Chine.

La première partie de l’accord, estimée à 2 milliards de dollars, comprend 108 chars Abrams M1A2T, des mitrailleuses et des véhicules lourds de transport. La deuxième comprend 250 missiles Stinger du bloc I-92, estimés à 223,56 millions de dollars. Taïwan a confirmé le 6 juin avoir présenté une demande pour ces armes. Le ministère taïwanais de la Défense avait aussi déclaré qu’il voulait acheter 1.240 missiles TOW et 409 missiles antichars Javelin, ce qui porterait la valeur de l’opération à 2,6 milliards de dollars.

«Taïwan va accélérer les investissements en matière de défense et continuer à renforcer ses liens sécuritaires avec les États-Unis et les pays ayant des idées similaires», a déclaré le porte-parole de la présidence taïwanaise Chang Tun-han après l’approbation de l’accord.

L’Agence de Coopération pour la Défense et la Sécurité (DSCA) du Département de la Défense a également notifié l’accord au Congrès, les législateurs américains pouvant soulever des objections dans les 30 jours. Aucun n’est susceptible de le faire, ce qui indique un large soutien des cercles dirigeants américains à la militarisation accrue de la région Asie-Pacifique et aux préparatifs d’une guerre avec la Chine.

En mars, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, avait déclaré que son gouvernement espérait obtenir des États-Unis des chars et des avions de combat, sans donner de détails. Un article de Bloomberg citant des sources à la Maison-Blanche indique que les conseillers de Trump avaient exhorté Taipei à soumettre une demande pour 66 avions de chasse F-16. « Nous continuerons à renforcer nos capacités d’autodéfense (et nous continuerons) à contribuer à la paix régionale», a déclaré Tsai.

Les déclarations de Tsai montrent clairement que Taïwan est bien alignée derrière les États-Unis et qu’elle est prête à aller en guerre contre la Chine continentale tout en présentant Pékin comme l’agresseur.

Le ministère chinois des Affaires étrangères a souligné cet aspect en dénonçant l’accord et a appelé Washington à «l’annuler immédiatement». Le porte-parole du ministère, Geng Shuang, a déclaré que l’accord «s’immisce gravement dans les affaires intérieures de la Chine et porte atteinte à sa souveraineté et à ses intérêts en matière de sécurité».

Les États-Unis tentent de compenser leur déclin économique relatif en encerclant militairement la Chine et en forçant Pékin à accepter un accord commercial qui le subordonne aux intérêts américains. Depuis l’arrivée au pouvoir de Trump, son administration a fortement accru la pression sur Pékin. Le Wall Street Journal écrivait en juin, selon des sources de la Maison-Blanche, que Trump voyait « l’intérêt d’utiliser Taiwan comme monnaie d’échange dans ses discussions (commerciales) avec la Chine».

Critiquant la vente proposée comme insuffisante, un magazine militaire en ligne a fait des commentaires révélateurs sur les plans militaires américains actuels pour l’île. Le magazine déclarait que l’armement «serait bien si Taïwan se préparait à une guerre terrestre, mais que le vrai conflit, si la Chine envahit, serait en mer et dans les airs. Taïwan devrait se concentrer sur l’acquisition des méthodes les plus rentables pour arrêter une force d’invasion chinoise avant qu’elle n’atterrisse.»

En réalité, les États-Unis se préparent non pas à une guerre défensive, mais à une attaque agressive de la Chine continentale qui se trouve à faible distance, de l’autre côté du détroit de Taïwan. En raison de sa situation stratégique, Taïwan deviendrait une base d’opérations dans toute guerre américaine contre la Chine. Dans les années 1950, le général américain Douglas MacArthur avait qualifié Taïwan de porte avion insubmersible – un atout clé dans tout conflit avec la Chine.

Washington a essayé de cacher ce fait. La DSCA a affirmé que cette dernière vente d’armes ne modifierait pas l’équilibre militaire dans la région. Même si c’était vrai, cette vente s’inscrit dans le cadre d’un renforcement militaire plus large parmi les alliés américains dans la région.

Ce dernier accord avec Taïwan est le quatrième accord militaire important conclu sous le gouvernement Trump. En juin 2017, Washington avait vendu pour 1,42 milliard de dollars de missiles et de torpilles à Taïwan et en septembre 2018 pour 330 millions de dollars de pièces de rechange pour les avions de chasse. En avril de cette année, Washington et Taipei ont conclu un accord pour 500 millions de dollars portant sur la formation de pilotes.

Lors d’une visite au Japon en mai, Trump avait confirmé son intention de vendre 105 avions de combat furtifs F-35 à Tokyo. Washington avait également l’intention de vendre 70 F-35 à l’Australie et 40 à la Corée du Sud. Zhou Chenming, un analyste de Pékin, avait alors déclaré: «Cela ne peut que bouleverser l’équilibre des forces dans la région Asie-Pacifique, étant donné la grande quantité d’avions de combat commandés par le Japon».

Cette augmentation des ventes fait partie du programme de Trump depuis son arrivée au pouvoir. Toutefois, elles sont maintenant codifiées dans la loi Initiative de Réassurance de l’Asie, signée par lui à la fin de l’année dernière. Celle-ci appelle à l’augmentation des transferts d’armes militaires à Taïwan et d’autres pays et à des visites officielles de haut niveau entre Washington et Taipei. La Loi sur les voyages à Taïwan, également signée l’an dernier, ratifie elle aussi les contacts de haut niveau entre les deux pays.

En conséquence, Pékin s’inquiète de plus en plus de ce que Washington viole effectivement sa politique d’une seule Chine, qui déclare que Taiwan fait partie de la Chine. Tout récemment, le ministère américain de la Défense a de manière provocante qualifié Taïwan de «pays» dans son «Rapport sur la stratégie inde-pacifique» du 1er juin. Depuis le «Consensus de 1992», Pékin et Taipei se sont mis d’accord sur la politique d’une seule Chine, tout en acceptant des interprétations divergentes sur qui est le dirigeant légitime de la Chine.

L’alimentation de tensions avec Pékin est une intensification par l’Administration Trump du «pivot vers l’Asie» de l’administration Obama. Washington a attisé les tensions au sujet de différends territoriaux de longue date en mer de Chine méridionale et orientale. Il a provoqué Pékin en envoyant des navires de guerre dans la région y compris de plus en plus dans le détroit de Taïwan. Pékin a déclaré à plusieurs reprises qu’il recourrait à la force militaire si Taïwan déclarait son indépendance ou si les États-Unis ou leurs alliés franchissaient d’autres ‘lignes rouges’ militaires, comme par exemple, l’arrivée d’un navire de guerre américain dans un port taïwanais.

Ces agissements irresponsables des États-Unis risquent d’entraîner une guerre catastrophique dans la région Asie-Pacifique, engageant deux puissances dotées de l’arme nucléaire.

Ben McGrath

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 10 juillet 2019

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Le patron du Mossad a dissipé tous les doutes qui pouvaient subsister dans la communauté des médias alternatifs quant à l’existence du « Russraël de Poutinyahou », en remerciant les « canaux de communication avec le Kremlin » d’avoir contribué à ce qu’il appelle une « fenêtre unique d’opportunité » pour conclure un accord de paix « israëlo-arabe  » pour la première fois dans l’histoire du Moyen-Orient.

La Russie et « Israël«  constituent des alliés, à un point tel que l’on peut même aujourd’hui parler d’une entité politique singulière sous le néologisme de « Russraël de Poutinyahou« . Le lien qui précède est rempli de preuves soutenant cette affirmation, mais le pistolet fumant, s’il en fallait encore un, est apparu lundi au cours de la conférence Herzliya, un forum de sécurité annuel tenu par l’auto-proclamé « État juif ». Yossi Cohen, patron du Mossad, a affirmé l’importance que présente la Russie en tant qu’alliée pour « Israël » en remerciant les « canaux de communication avec le Kremlin » d’avoir contribué à ce qu’il décrit comme une « fenêtre unique d’opportunité » pour conclure un accord de paix « israélo-arabe« pour la première fois dans l’histoire du Moyen-Orient ». Reuters le cite :

Le Mossad distingue aujourd’hui une opportunité rare, peut-être la première de toute l’histoire du Moyen-Orient, de parvenir à une compréhension régionale qui amènerait à un accord de paix exhaustif. Des intérêts partagés, la lutte contre des rivaux tels que l’Iran et le terrorisme djihadiste, les relations privilégiées avec la Maison Blanche et les canaux de communication avec le Kremlin : tout s’aligne pour créer ce qui pourrait constituer une fenêtre d’opportunité unique.

Le média rapporte également que le chef-espion « a déclaré que son agence avait formé un groupe de travail en vue de repérer les opportunités d’établissement de la paix dans une région où seuls deux États arabes, l’Égypte et la Jordanie, ont des relations complètes avec Israël », suggérant ainsi une collaboration proche entre le Mossad et ses homologues moscovites ; la grande puissance eurasiatique constitue l’acteur extra-régional le plus influent du Moyen-Orient depuis son intervention anti-terroriste de 2015 en Syrie. La grande stratégie russe du XXIème siècle est sur le point de devenir la force d’« équilibrage » suprêmeen Afro-Eurasie — c’est en vue de ce dessein qu’elle a entamé cette coopération qui change la donne, avec des partenaires non-traditionnels comme « Israël », avec qui la Russie partage l’objectif d’assurer le retrait de l’Iran hors de Syrie. Alors que Tel Aviv vise cet objectif par crainte de Téhéran, Moscou le considère comme la clé pour parvenir à une « nouvelle détente«  avec Washington.

Pour comprendre comment ces « canaux de communication avec le Kremlin » se rapportent à la « fenêtre unique d’opportunité » pour conclure un accord de paix « israélo »-arabe  » pour la première fois dans l’histoire du Moyen-Orient », il faut garder à l’esprit que le président Poutine constitue un ardent défenseur de l’auto-proclamé « État juif », comme l’illustrent ses très nombreuses déclarations de soutien à cet égard depuis les presque deux décennies qu’il a passées à l’exercice du pouvoir, et que l’on peut trouver facilement sur le site internet du Kremlin. En outre, le dirigeant du Conseil de Sécurité National de Russie a réaffirmé que « la Russie accorde une attention spéciale aux garanties de sécurité d’Israël » au cours du tout premier Sommet des Conseillers en Sécurité Nationale [National Security Advisor Summit, NdT], tenu la semaine dernière à Jérusalem. Avec « Israël » estimant qu’un accord de paix avec les pays arabes constitue un pré-requis non-négociable à la sécurisation de sa propre existence, il est donc naturel que l’allié russe soutienne cette démarche de toutes les manières possibles.

Si l’on se souvient du rôle d’« équilibrage » prévu par Moscou pour elle-même dans la région, et son désir de reprendre le flambeau pour remplacer la direction déclinante de Washington sur la zone, il est très probable que les diplomates russes travaillent frénétiquement dans les coulisses en vue d’encourager autant d’États arabes que possible à faire une sortie publique et normaliser leurs relations pas-si-secrètes avec « Israël ». Idéalement, ils aimeraient autant que ces démarches soient réalisées sans cibler l’Iran, afin que les liens entre Moscou et Téhéran ne se compliquent pas plus qu’ils ne le sont déjà. Les « canaux de communication avec le Kremlin » du Mossad sont donc extrêmement importants pour faciliter le succès des projets « israéliens », au point que l’on pourrait les qualifier d’indispensables : le patron de cette agence de renseignement les a cités dans la même phrase que d’autres facteurs pouvant sembler plus importants, tels que « les relations privilégiées avec la Maison Blanche ».

Andrew Korybko

 

Article original en anglais : Mossad Chief Credits Russia For Contributing To Israeli-Arab Peace Prospects, Eurasia Future, le 2 juillet 2019.

 

Traduit par Vincent, relu par San pour le Saker Francophone

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

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La montée en puissance du Bangladesh

juillet 11th, 2019 by M. K. Bhadrakumar

La récente visite officielle de la Première Ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, en Chine du 1er au 6 juillet, met en lumière un nouveau modèle de politique régionale – la montée du Bangladesh en tant que puissance régionale.

L’an dernier, le Bangladesh a devancé l’Inde en tant qu’économie connaissant la croissance la plus rapide en Asie du Sud – à 7,3 %. Hasina s’est fixé comme objectif de faire passer son pays au statut de pays à revenu intermédiaire d’ici 2021 sur la voie du « Sonar Bangla » et de pays développé d’ici 2041.

À mon avis, les trois principaux « points à retenir » de la visite de Hasina en Chine sont : premièrement, le Bangladesh intensifie sa participation à l’Initiative Ceinture et Route et au corridor économique Bangladesh-Chine-Inde-Myanmar (BCIM-ER) ; deuxièmement, la volonté du Bangladesh de renforcer la coopération dans l’économie numérique – ce que le président Xi Jinping a appelé la « route numérique de la soie » qui correspond au plan de Hasina pour le « Bangladesh numérique » ; et, troisièmement, la promesse de la Chine de faciliter « le retour rapide, sûr et digne au Myanmar des personnes déplacées qui sont entrées au Bangladesh depuis l’État de Rakhine« . (La déclaration commune publiée après la visite de Hasina en Chine est ici.)

La Chine semble satisfaite de la bonne dynamique des relations bilatérales et se sent rassurée quant à la politique étrangère indépendante du Bangladesh. Pékin est à l’aise avec le pragmatisme de Hasina – perçu comme « pro-Inde » mais reste en dehors de l’orbite indienne et réceptif à forger des liens étroits avec la Chine et pourtant, ne se range du côté d’aucun de ses voisins.

Il n’y a pas vraiment de contradiction ici puisque Hasina se concentre inébranlablement sur les intérêts économiques du Bangladesh. La Chine apprécie le désintérêt de Hasina qui frôle l’indifférence à l’égard du « grand jeu » de l’océan Indien, Washington s’efforçant d’étendre sa guerre froide à l’Asie du Sud.

Fondamentalement, la Chine prévoit que le « Sonar Bangla » est un rêve qui pourrait devenir réalité. Le Bangladesh, avec un marché de 170 millions d’habitants, offre à la Chine un énorme potentiel inexploité de coopération économique, d’investissement et de commerce. Si le Bangladesh continue de croître rapidement, l’économie aura besoin d’une meilleure infrastructure, d’investissements plus importants et d’un soutien technologique accru. Et la Chine peut fournir des prêts et des transferts de technologie et être un partenaire clé dans la construction de projets d’infrastructure dans des domaines tels que les transports, la distribution d’électricité et les télécommunications.

De même, la Chine tient compte du potentiel du Bangladesh en tant que porte d’entrée sur le marché indien, dernière frontière des stratégies régionales de Beijing. Dans ce contexte, l’Inde doit repenser sa stratégie en Asie du Sud. Il est clair qu’il ne servira pas les intérêts de l’Inde d’aller de l’avant avec le nouveau programme de guerre froide des États-Unis en Asie du Sud et dans l’océan Indien.

La récente réprimande à l’initiative agressive des États-Unis de forcer Colombo à conclure un pacte de sécurité souligne que les États régionaux d’Asie du Sud suivent la trajectoire des pays de l’ANASE en refusant de s’identifier à la politique de confinement des États-Unis à l’égard de la Chine. Les gouvernements élus des pays d’Asie du Sud donnent la priorité à leur programme de développement. Ils recherchent un environnement extérieur propice à la croissance et au développement et accordent la primauté à la sécurité et à la stabilité régionales.

L’Inde pourrait jouer un rôle de chef de file. Mais des aberrations se sont glissées. Au Sri Lanka (2015), la diplomatie indienne a goûté au sang en collaborant au projet anglo-américain de « changement de régime ». L’entêtement qui s’en est suivi a conduit à l’échec d’un projet visant à transformer le Népal en un « Rashtra hindou » (2016-18) – avec des conséquences désastreuses. Mais ensuite, une reprise aux Maldives (2018) a été couronnée de succès – bien que l’arrangement au Sri Lanka se soit effondré.

Est-il logique pour l’Inde d’opérer en Amérique Latine à partir des règles américaines ? Les pratiques néocoloniales des États-Unis en Amérique Latine s’inscrivent dans un programme mercantiliste lourd. Des plantations de bananes aux mines de cuivre en passant par les champs de pétrole, de l’Argentine au Mexique, les multinationales américaines mènent la politique américaine en Amérique Latine. Au contraire, la diplomatie indienne se livre à des passe-temps ésotériques, marquant l’époque. Les dirigeants de Colombo qui ont succédé à Mahinda Rajapaksa en 2015 n’ont pas attribué un seul grand projet à l’Inde. Pendant ce temps, les États-Unis utilisaient l’Inde comme tapis de porte pour pénétrer au Sri Lanka. Et le résultat est que le Sri Lanka a été sérieusement déstabilisé, grâce à des politiques américaines intrusives.

La Chine est partie prenante dans la sécurité et la stabilité de l’Asie du Sud, qui jouxte certaines de ses propres régions les moins développées. Et l’Inde devrait jeter un regard neuf sur le BCIM – EC. Dans une dépêche de Pékin sur la rencontre entre Xi Jinping et Sheikh Hasina le 6 juillet, Atul Aneja, ancien correspondant du journal hindou, a écrit :

« Après avoir signalé le mois dernier (juin) la relance du corridor économique Bangladesh-Chine-Inde-Myanmar (BCIM-EC) lors des entretiens avec le Premier Ministre Narendra Modi à Bichkek, capitale du Kirghizstan, le Président chinois Xi Jinping s’est joint à la Première Ministre du Bangladesh Sheikh Hasina pour accélérer le projet avec le soutien de New Delhi… Le regain de l’intérêt chinois pour le BCIM-EC en collaboration avec l’Inde était évident lorsque Xi Jinping a cité le projet comme exemple d’élargissement des liens entre l’Inde et la Chine, qui sont entrés dans une « nouvelle phase » après le sommet informel de Wuhan en avril dernier, à la suite des entretiens du mois dernier avec Modi en marge du sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (SCO) à Bichkek« .

« En accord avec l’intention de la Chine de s’engager avec l’Inde pour stimuler le BCIM-EC, le Président Xi et la Première Ministre Hasina ont reconnu que « l’initiative devrait être relancée en travaillant avec l’Inde« , a rapporté l’United News of Bangladesh (UNB) sur son site web.

Le BCIM-EC devrait être un test de l’efficacité du concept de coopération « Chine-Inde Plus » préconisé par Pékin. Il y a beaucoup à faire pour renforcer la stabilité régionale si l’Inde s’associe à la Chine. La crise du Rohingya en est un bon exemple.

Pourquoi l’Inde et la Chine ne peuvent-elles pas adopter une approche commune ? En fait, les États-Unis jouent à des jeux sournois sur la question des Rohingyas. Lundi, lors d’une conférence de presse à Dhaka, Hasina s’est emparée de la proposition explosive faite récemment par le député américain Brad Sherman, président du sous-comité Asie et Pacifique, selon laquelle le Bangladesh devrait annexer l’État de Rakhine au Myanmar.

Hasina a riposté :

Hasina a ajouté que les dirigeants chinois ont assuré Dhaka de persuader leur allié crucial le Myanmar de mettre fin à la crise en reprenant les Rohingyas.

M.K. Bhadrakumar

Source : The rise and rise of Bangladesh, Indian Punchline, le 10 juillet 2019

traduit par Réseau International

Espionner pour Israël est sans conséquence

juillet 10th, 2019 by Philip Giraldi

Au printemps dernier, j’ai écrit un article sur le fait de tomber par hasard sur le nom de Arnon Milchan dans le générique d’un film, alors que je prenais l’avion de Venise à Washington. Milchan, certains se souviendront peut-être, est un producteur de films hollywoodien milliardaire né en Israël, bien connu pour des films tels que Pretty Woman et Bohemian Rhapsody. Il est moins connu pour son rôle dans l’approvisionnement et le transfert illégal de la technologie américaine qui a permis à l’État juif de développer son propre arsenal nucléaire. Loin d’avoir honte de sa trahison du pays d’adoption qui l’a rendu riche et célèbre, il a autorisé et contribué en 2011 à sa biographie, qu’il a fièrement intitulée « Confidentiel : La vie de l’agent secret a transformé Hollywood« . Certaines parties du livre étaient à la première personne, Milchan racontant son histoire avec ses propres mots.

J’étais au courant des crimes de Milchan depuis un certain nombre d’années, tout comme j’avais aussi spéculé sur la façon dont un espion israélien de premier plan travaillant activement et avec succès contre les intérêts vitaux américains d’anti-prolifération nucléaire avait réussi à maintenir une maison et une affaire à Los Angeles tout en participant régulièrement à la cérémonie de remise des Oscars. J’ai demandé : « Pourquoi cette ordure fait-elle encore des films à Hollywood ? Pourquoi n’est-il pas en prison ? » avant de conclure que le gouvernement fédéral considère clairement l’espionnage au profit d’Israël comme un crime sans victime et qu’il ne poursuit presque jamais aucun des nombreux agents de renseignement israéliens facilement identifiables qui errent dans le pays.

Milchan était un espion israélien actif aux États-Unis, travaillant pour la division des vols de technologie du Mossad, connue sous le nom de LEKEM. Le Mossad utilise fréquemment ce qu’on appelle le sayanim pour son espionnage, c’est à dire les Juifs de la diaspora recrutés sur la base d’une religion commune ou d’une préoccupation pour la sécurité d’Israël. La menace que représentent les agents de l’ambassade d’Israël aux États-Unis est telle que le Département de la Défense a un jour averti que les Juifs américains au gouvernement seraient probablement la cible de leurs opérations en matière de renseignement.

Le président John F. Kennedy avait tenté d’arrêter le programme d’armes nucléaires israélien, mais il a été assassiné avant d’avoir pu y mettre fin. En 1965, l’État juif avait néanmoins obtenu la matière première d’une bombe composée d’uranium de qualité militaire hautement enrichi appartenant au gouvernement américain et provenant d’une société de Pennsylvanie appelée NUMEC, fondée en 1956 et appartenant à Zalman Mordecai Shapiro, chef du chapitre de Pittsburgh de l’Organisation sioniste des États-Unis. NUMEC était un fournisseur d’uranium enrichi pour des projets gouvernementaux, mais c’était aussi dès le début une façade pour le programme nucléaire israélien, avec son principal bailleur de fonds David Lowenthal, un sioniste de premier plan, qui se rendait en Israël au moins une fois par mois pour rencontrer un vieil ami Meir Amit, à la tête du renseignement israélien.

Avec l’uranium en main, le vol de la technologie de pointe nécessaire à la fabrication d’une arme nucléaire a été l’occasion pour Milchan d’entrer dans l’histoire. Arnon Milchan est né en Israël mais s’est installé aux États-Unis alors qu’il était jeune homme et a fini par devenir le fondateur-propriétaire d’une importante société de production cinématographique, New Regency Films. Dans une interview accordée à la télévision israélienne le 25 novembre 2013, Milchan a admis qu’il avait passé de nombreuses années à Hollywood en tant qu’agent des renseignements israéliens, aidant à obtenir des technologies et des matières sous embargo qui ont permis à Israël de mettre au point une arme nucléaire.

Milchan, qui a manifestement encore d’importants intérêts commerciaux dans ce pays, comme en témoigne Bohemian Rhapsody, a expliqué dans son entrevue :

Il a aussi déclaré que d’autres grands noms d’Hollywood étaient liés à ses affaires secrètes. Certes, il est étonnant que Milchan ait dû admettre ses crimes à une époque où il voyageait encore régulièrement aux États-Unis et résidait en Californie, mais sa croyance en sa propre invulnérabilité découle du fait que le gouvernement fédéral n’a pas agi contre lui pendant les cinquante années où il était principalement résident aux États-Unis, même s’ils savaient pour son activité d’espion.

Entre autres succès, Milchan a obtenu par l’intermédiaire de sa société Heli Trading 800 krytons, les détonateurs sophistiqués pour les armes nucléaires. Les appareils ont été fournis par l’entrepreneur californien de défense top secret MILCO International. Milchan a personnellement recruté Richard Kelly Smyth, président de MILCO, comme agent avant de le confier à un autre employé de Heli Trading, Benjamin Netanyahu, qui l’a pris en charge. Smyth a finalement été arrêté en 1985 et a coopéré à son interrogatoire par le FBI avant d’être condamné à la prison, ce qui signifie que le gouvernement fédéral savait tout sur Milchan et Netanyahu à l’époque mais n’a même pas cherché à les interroger et n’a finalement rien fait.

Milchan était donc un espion israélien qui s’en est tiré et qui gagne toujours de l’argent grâce au pays qu’il a victimisé. Fin de l’histoire, ou pas ? Le journal libéral israélien Haaretz a récemment révélé son implicationdans la corruption politique de haut niveau ainsi que dans la prolifération nucléaire impliquant l’Afrique du Sud lorsque ce pays était sous sanctions. Haaretz observe comment :

« …le magnat d’Israël et d’Hollywood a fait de l’argent ailleurs : dans des marchés d’armes, y compris des avions, des missiles et du matériel pour fabriquer des bombes nucléaires auxquels Israël, puis d’autres pays, étaient parties. Pour faire des films, il n’y a pas besoin d’un capitalisme de copinage, mais pour réussir dans le commerce des armes, les relations gouvernementales sont obligatoires« .

Milchan a été impliqué dans une polémique en Israël même, la police a recommandé qu’il soit accusé de corruption dans le cadre de l’enquête en cours sur la corruption du Premier Ministre Benjamin Netanyahu. Milchan, semble-t-il, a dépensé un million de shekels (250 000 $) pour des articles de luxe qu’il a donnés à Bibi en guise de contrepartie pour une exonération fiscale de son important revenu américain à son retour en Israël en 2013.

Démontrant que la corruption de Milchan avait une dimension internationale, l’enquête policière a établi qu’en 2014, Netanyahou a approché le secrétaire d’État américain John Kerry pour intervenir et obtenir un visa américain de longue durée pour Milchan, qui à l’époque avait des problèmes liés à son statut de résident américain. Milchan aurait pris les dispositions nécessaires en se rendant directement chez Netanyahou avec les boîtes habituelles de cigares coûteux et les caisses de champagne et en attendant le retour du Premier Ministre. Quand Netanyahu est arrivé, Milchan a exigé que Bibi contacte immédiatement Kerry pour obtenir un nouveau visa. Et c’est ce qu’a fait Netanyahou en décrochant le téléphone et en appelant Kerry. En fin de compte, le visa a été accordé et Milchan a continué à faire plus de films et d’argent à Los Angeles.

La corruption de Netanyahou a été largement rapportée, mais il n’est que le dernier dirigeant israélien manipulé par le milliardaire hollywoodien. Milchan s’est également « lié d’amitié » avec Ehud Olmert, Ariel Sharon et Shimon Peres, ainsi qu’avec de hauts responsables de la défense et des dirigeants étrangers d’Afrique du Sud et du Canada. Milchan a ébloui les politiciens en leur offrant des vins et des dîners ainsi que des cadeaux somptueux et il a présenté des Israéliens à d’autres dirigeants juifs d’Hollywood, dont le président de Disney Michael Eisner et le cofondateur de DreamWorks, Jeffrey Katzenberg.

Peres affirme qu’il a personnellement recruté Milchan comme espion et, dès l’âge de 21 ans, Milchan a utilisé une entreprise chimique familiale comme couverture pour vendre des armes et de la technologie. Dès le début, il a été impliqué dans des achats clandestins à l’appui du programme nucléaire israélien.

Milchan est également devenu acheteur d’armes dans les cas où le gouvernement israélien ne voulait pas que les achats lui soient attribués. Dans tous les cas, Milchan a pris une commission sur les ventes, d’où l’affirmation que sa fortune hollywoodienne ne constituait qu’une petite partie de sa richesse. Il s’est parfois retrouvé en train d’acheter des armes de fabrication américaine en utilisant l’argent du gouvernement israélien provenant de l’aide militaire fournie par les contribuables américains, emportant avec lui ses 10 % de l’argent qu’il avait reçu en chemin.

À partir des années 1970, Israël, opérant clandestinement par l’intermédiaire de Milchan, a vendu à l’Afrique du Sud des systèmes d’armes sous embargo, recevant à la fois de l’argent et de l’uranium en échange. L’Afrique du Sud a su rendre un service, permettant à Israël en septembre 1979 de procéder à un essai nucléaire sur une île administrée par Pretoria dans l’océan Indien.

L’article de Haaretz condamne Arnon Milchan pour corruption de politiciens d’Israël, ce qui est quand même assez juste. Mais il y a aussi le côté américain de l’histoire. Pour autant qu’on sache, Milchan a toujours son visa américain actif, une maison à Los Angeles et il peut même se rendre à son bureau à Hollywood à l’occasion. Il est du moins coupable de violation de la Loi sur l’espionnage, une loi qui, pourrait-on dire, a été utilisée contre Julian Assange, qui n’a peut-être jamais été de connivence pour voler des secrets américains, mais qui se fait piéger pour des raisons politiques.

Milchan, en comparaison avec Assange, est protégé par la pensée israélienne de l’establishment américain. Aucun effort n’a jamais été fait pour l’inculper ou l’arrêter par une série de présidents pusillanimes qui ont clairement peur de toucher un milliardaire israélien éminent et connecté qui, en tant qu’espion, a causé de graves dommages aux États-Unis. En mars 2015, Milchan était un invité de marque au Capitole pour assister au discours notoire prononcé par le Premier Ministre Benjamin Netanyahu devant une session conjointe du Congrès. Aucun membre du Congrès ne s’y est opposé et il serait intéressant de savoir quel membre du Congrès corrompu a parrainé l’espion israélien. À mon grand regret, il n’y avait aucun U.S. Marshall ou agent du FBI à la porte qui attendait d’arrêter Milchan en sortant.

Philip Giraldi

 

 

Article original en anglais : Spying for Israel Is Consequence Free, The UNZ Review, le 9 juillet 2019

Traduit par Réseau International

Le sultan brille dans la cour du Roi Dragon

juillet 10th, 2019 by Pepe Escobar

Erdogan semble prêt à acheter le système de défense antimissile russe au mépris des États-Unis et de l’OTAN en attachant son chariot à la Chine et la Russie.

L’image graphique de la Turquie s’éloignant de l’OTAN au profit du partenariat stratégique russo-chinois a été illustrée, à plus d’un titre, par la visite du Président turc Tayyip Erdogan au Président chinois Xi Jinping à Beijing juste après celle du G20 à Osaka.

La Turquie est une plaque tournante des Nouvelles Routes de la Soie (Initiative Ceinture et Route) qui voit le jour. Erdogan est un maître dans la vente de la Turquie comme l’ultime carrefour Est-Ouest. Il a également manifesté beaucoup d’intérêt à rejoindre l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), dirigée par la Russie et la Chine, dont le sommet annuel a eu lieu à Bichkek quelques jours avant Osaka.

Parallèlement, contre vents et marées – des menaces de sanctions du Congrès américain aux avertissements de l’OTAN – Erdogan n’a jamais bougé de la décision d’Ankara d’acheter des systèmes de missiles de défense S-400, un contrat de 2,5 milliards de dollars, selon Sergei Chemezov, de la société Rostec.

Les S-400 commencent à être expédiés en Turquie dès cette semaine. Selon le Ministre turc de la Défense Hulusi Akar, leur déploiement devrait commencer en octobre. Au grand dam de Washington, la Turquie est le premier État membre de l’OTAN à acheter des S-400.

Xi, en accueillant Erdogan à Pékin, a réitéré le message qu’il avait élaboré avec Poutine lors de leurs précédentes réunions à Saint-Pétersbourg, Bichkek et Osaka : La Chine et la Turquie devraient « maintenir un ordre mondial multilatéral avec les Nations Unies en son centre, un système basé sur le droit international« .

Erdogan, pour sa part, a exercé son charme – de la publication d’un article d’opinion dans le Global Timesvantant une vision commune de l’avenir à sa présentation détaillée. Son objectif est de consolider les investissements chinois dans de nombreux domaines en Turquie, directement ou indirectement liés à l’initiative Ceinture et Route.

Abordant de front le dossier ouïghour extrêmement sensible, Erdogan a habilement exécuté une pirouette. Il a évité les accusations de son propre Ministère des Affaires Étrangères selon lesquelles « la torture et le lavage de cerveau politique » étaient pratiqués dans les camps de détention ouïghours et a préféré commenter que les Ouïghours « vivent heureux » en Chine.

C’est d’autant plus surprenant qu’Erdogan lui-même, au cours de la dernière décennie, avait accusé Pékin de génocide. Et dans une célèbre affaire de 2015, des centaines de Ouïghours sur le point d’être déportés de Thaïlande vers la Chine ont fini, après beaucoup de fanfare, par être réinstallés en Turquie.

Nouvelle caravane géopolitique

Erdogan semble avoir enfin réalisé que les Nouvelles Routes de la Soie sont la version numérique 2.0 des Routes de la Soie Anciennes dont les caravanes reliaient l’Empire du Milieu, via le commerce, à de multiples terres de l’Islam – de l’Indonésie à la Turquie et de l’Iran au Pakistan.

Avant le XVIe siècle, la principale ligne de communication à travers l’Eurasie n’était pas maritime, mais la chaîne des steppes et des déserts du Sahara à la Mongolie, comme Arnold Toynbee l’a merveilleusement observé. En parcourant la route, nous aurions trouvé des marchands, des missionnaires, des voyageurs, des universitaires, jusqu’aux Turko-Mongols d’Asie centrale qui migraient vers le Moyen-Orient et la Méditerranée. Ils ont tous formé la substance de l’interconnexion et de l’échange culturel entre l’Europe et l’Asie – bien au-delà de la discontinuité géographique.

On peut dire que Erdogan est maintenant capable de lire les nouvelles feuilles de thé. Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine – directement impliqué dans la liaison de l’Initiative Ceinture et Route avec l’Union Économique Eurasienne et le corridor de transport international Nord-Sud – considère la Turquie et l’Iran comme des plaques tournantes absolument indispensables pour le processus d’intégration eurasiatique en cours et à plusieurs niveaux.

Un nouvel axe géopolitique et économique Turquie-Iran-Qatar évolue lentement mais sûrement en Asie du Sud-Ouest, de plus en plus lié à la Russie et à la Chine. L’axe est l’intégration de l’Eurasie, visible par exemple à travers une frénésie de construction de voies ferrées destinées à relier les Nouvelles Routes de la Soie, et le corridor de transport Russie-Iran, à la Méditerranée orientale et à la Mer Rouge et, vers l’est, le corridor Iran-Pakistan au corridor économique Chine – Pakistan, l’un des points saillants des Nouvelles Routes de la Soie.

Tout cela est soutenu par des accords de coopération interdépendants en matière de transport entre la Turquie, l’Iran, le Qatar et l’Iran, l’Irak et la Syrie.

Le résultat final consolide non seulement l’Iran en tant que plaque tournante de la connectivité de l’Initiative Ceinture et Route (BRI) et partenaire stratégique de la Chine, mais aussi par contiguïté la Turquie – le pont vers l’Europe.

Comme le Xinjiang est la plaque tournante de l’ouest de la Chine qui se connecte aux multiples corridors de la BRI, Erdogan a dû trouver un terrain d’entente – minimisant ainsi, dans une large mesure, les vagues de désinformation et la sinophobie de l’Occident. En appliquant la pensée de Xi Jinping, on pourrait dire que Erdogan a choisi de privilégier la compréhension culturelle et les échanges interpersonnels plutôt que la lutte idéologique.

Prêt à servir de médiateur

Parallèlement à son succès à la cour du Roi Dragon, Erdogan se sent maintenant suffisamment enhardi pour offrir ses services de médiateur entre Téhéran et l’administration Trump – reprenant une suggestion qu’il avait faite au Premier Ministre japonais Shinzo Abe au G20.

Erdogan n’aurait pas fait cette offre si elle n’avait pas été discutée au préalable avec la Russie et la Chine – qui, de manière cruciale, sont membres signataires de l’accord nucléaire iranien ou du Plan d’Action Global Conjoint (JCPOA).

Il est facile de voir comment la Russie et la Chine devraient considérer la Turquie comme le médiateur parfait : un voisin de l’Iran, le pont proverbial entre l’Est et l’Ouest, et un membre de l’OTAN. La Turquie est certainement beaucoup plus représentative que l’UE-3 (France, Royaume-Uni, Allemagne).

Trump semble vouloir – ou du moins donne l’impression d’imposer – un JCPOA 2.0, sans la signature Obama. Le partenariat russo-chinois pourrait facilement mettre fin à son bluff, après l’avoir clarifié avec Téhéran, en proposant une nouvelle table de négociation incluant la Turquie. Même si l’UE-3 inefficace – dans tous les sens du terme – demeurait, il y aurait un véritable contrepoids avec la Russie, la Chine et la Turquie.

De tous ces mouvements importants dans l’échiquier géopolitique, une motivation ressort parmi les joueurs les plus importants : L’intégration eurasienne ne peut progresser de manière significative sans remettre en cause l’obsession de la sanction trumpienne.

Pepe Escobar

 

 

Article original en anglais :

Turkey’s Erdogan Meet’s China’s Xi: Sultan Shines in the Court of the Dragon King, le 10 juillet 2019

Traduit par Réseau International

Mohsen Abdelmoumen : Vous avez écrit « Worker cooperatives and revolution » où vous évoquez les coopératives de travailleurs. Dans ce livre passionnant, on remarque votre optimisme quant à la venue d’une nouvelle ère où l’humain est au centre. Vous citez l’exemple de la coopérative New Era Windows, à Chicago, D’après vous, sommes-nous dans une nouvelle ère où l’union des travailleurs sous forme de coopérative dessinera l’avenir du monde ?

Dr. Chris Wright : Je pense avoir été un peu trop optimiste dans ce livre sur le potentiel des coopératives ouvrières. D’une part, Marx avait raison de dire que les coopératives « représentent dans l’ancienne forme les premiers germes de la nouvelle ». Il s’agit du socialisme microcosmique, puisque le socialisme n’est que le contrôle démocratique de l’activité économique par les travailleurs, ce qui est essentiellement le cas des coopératives. Même dans les grandes entreprises de Mondragon qui ont vu des conflits entre les travailleurs et la direction élue, il y a bien plus de démocratie (et un salaire plus égal) que dans une grande entreprise capitaliste typique.

De plus, il y a un mouvement en expansion aux États-Unis et ailleurs pour lancer de nouvelles coopératives et promouvoir la transformation d’entreprises capitalistes existantes en coopératives (qui, soit dit en passant, sont souvent plus productives, rentables et plus durables que les entreprises conventionnelles). D’innombrables militants s’emploient à diffuser une philosophie coopérative et à bâtir un large éventail d’institutions démocratiques et anticapitalistes, des entreprises au logement en passant par des formes politiques comme la budgétisation participative (des sites Web comme Shareable.net et Community-Wealth.org fournissent des informations sur ce mouvement). C’est toute cette « économie solidaire » émergente qui m’a vraiment intéressé lorsque j’ai écrit le livre, bien que je me sois concentré sur les coopératives des travailleurs. J’ai été frappé par le fait que l’idée même d’une société socialiste n’est que l’économie solidaire au sens large, en ce sens que toutes ou la majorité des institutions, selon les deux visions, sont censées être communautaires, coopératives, démocratiques et non exploitantes.

Il est vrai, cependant, qu’une nouvelle société ne peut pas émerger de la seule initiative populaire. Une action politique à grande échelle est nécessaire, car les gouvernements nationaux disposent d’un pouvoir aussi immense. À moins de pouvoir transformer la politique de l’État de manière à faciliter la démocratisation économique, vous n’irez pas très loin. Les coopératives seules ne peuvent pas faire le travail. Il faut des partis politiques radicaux, des confrontations de masse avec les autorités capitalistes, toutes sortes « d’actions directes » déstabilisatrices, et tout cela prendra beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps. Les révolutions sociales à l’échelle mondiale dont nous parlons prennent des générations, voire des siècles. Cela ne prendra probablement pas aussi longtemps que la transition européenne du féodalisme au capitalisme, mais aucun d’entre nous ne verra le « socialisme » de son vivant.

Les marxistes aiment critiquer les coopératives et l’économie solidaire parce qu’elles ne sont que des intermédiaires, quelque peu apolitiques et pas suffisamment confrontés au capitalisme, mais, comme je le dis dans le livre, cette critique est peu judicieuse. Une transformation socialiste du pays et du monde aura lieu à plusieurs niveaux, de la base jusqu’au plus ambitieux étatiste. Et tous les niveaux se renforceront et se complèteront mutuellement. Au fur et à mesure que le secteur coopératif se développera, de plus en plus de ressources seront disponibles pour l’action politique « étatiste » ; et comme la politique nationale deviendra de plus en plus à gauche, la politique de l’État encouragera les prises de contrôle des entreprises par les travailleurs. Il y a un rôle pour chaque type de militantisme de gauche.

Ne pensez-vous pas que l’affaiblissement du mouvement syndical aux USA et ailleurs dans le monde encourage davantage la voracité de l’oligarchie capitaliste qui domine le monde ? La classe ouvrière à travers le monde n’a-t-elle pas un besoin vital d’un grand mouvement syndical ?

La classe ouvrière a désespérément besoin de syndicats redynamisés. Sans syndicats forts, vous obtenez la forme la plus vorace et la plus misanthrope du capitalisme que vous puissiez imaginer, comme nous l’avons vu au cours des quarante dernières années. Les syndicats, qui peuvent être la base des partis politiques, ont toujours été le moyen de défense le plus efficace des travailleurs et des travailleuses, voire le plus offensif. Aux États-Unis, ce n’est qu’après la fondation du Congrès des organisations industrielles à la fin des années 1930 qu’une importante classe moyenne, soutenue par des syndicats industriels comptant des millions de membres, a vu le jour dans la période d’après-guerre. Les syndicats étaient d’importants sponsors et organisateurs du mouvement américain des droits civiques, et ils ont réussi à promouvoir l’expansion de l’État providence et des règlements sur la sécurité au travail. Ils peuvent être de puissants alliés des écologistes. Il est difficile d’imaginer un avenir viable si le mouvement syndical n’est pas ressuscité et renforcé.

Mais je ne pense pas qu’il puisse y avoir un retour du grand paradigme d’après-guerre de la négociation collective à l’échelle de l’industrie et de la social-démocratie nationale. Le capital est devenu trop mobile et mondialisé ; des compromis de classe comme ceux-là ne sont plus possibles. Dans les décennies à venir, le rôle le plus ambitieux des syndicats sera plus révolutionnaire : faciliter les rachats d’entreprises par les travailleurs, la formation de partis politiques de gauche, le contrôle populaire de l’industrie, la résistance massive à l’agenda mondial de privatisation et d’austérité, l’expansion de la sphère publique, la construction d’alliances internationales des travailleurs, etc.

En fait, je pense que, contrairement aux vieilles attentes marxistes, ce n’est qu’au 21ème siècle que l’humanité entre enfin dans l’ère des grandes batailles apocalyptiques entre le monde du travail et le capitalisme. Marx n’avait pas prévu l’État-providence et le compromis keynésien de l’après-guerre. Maintenant que ces formes sociales sont en train de se détériorer, le travail organisé peut enfin prendre sa dimension révolutionnaire. Si lui et ses alliés échouent, il n’y aura plus que de la barbarie.

Votre livre « Finding our compass : Reflections on a World in Crisis » pose une question fondamentale, à savoir vivons-nous dans une vraie démocratie ?

Certainement pas. Aucun d’entre nous. Les États-Unis ont des structures démocratiques, mais sur le fond, c’est très antidémocratique. Même la science politique dominante le reconnaît : des études ont montré que la grande majorité de la population n’a pratiquement aucun impact sur les politiques, parce qu’elle n’a pas assez d’argent pour influencer les politiciens ou engager des lobbyistes. Pratiquement, la seule façon pour eux de faire entendre leur voix est de perturber le bon fonctionnement des institutions, par exemple par des grèves ou la désobéissance civile. Nous l’avons vu avec les manifestations des gilets jaunes en France, et nous l’avons vu quand les contrôleurs aériens ont refusé de travailler et ont ainsi mis fin à la paralysie du gouvernement Donald Trump en janvier 2019. Nous vivons dans une oligarchie, une oligarchie mondiale, qui n’est pas beaucoup freinée par le processus normal du vote « démocratique ».

Mais le vote peut être un outil important de résistance, surtout s’il y a de véritables candidats d’opposition (comme Alexandria Ocasio-Cortez, par exemple). Dans ce cas, la société peut commencer à devenir un peu plus démocratique. Il reste donc essentiel pour la gauche de s’organiser sur le plan électoral, même s’il faudra un certain temps pour obtenir un grand gain politique.

Ne pensez-vous pas qu’une nouvelle crise du capitalisme est en cours ? Le système capitaliste n’est-il pas générateur de crises ?

Je ne suis pas économiste, mais n’importe qui peut voir que le capitalisme a une tendance profondément enracinée à générer des crises. Il existe une longue tradition d’érudits marxistes expliquant le pourquoi des crises de surproduction et de sous-consommation (entre autres causes) sauvages et à répétition des économies capitalistes : David Harvey, Robert Brenner et John Bellamy Foster sont des chercheurs qui ont accompli récemment un excellent travail sur le sujet. Cela tient en grande partie au fait qu’une « autonomisation capitaliste excessive », pour citer Harvey, conduit à une « répression des salaires » qui limite la demande globale, ce qui freine la croissance. Pendant un certain temps, le problème n’apparaît pas vraiment parce que les gens peuvent emprunter, et sont obligés d’emprunter de plus en plus. Mais l’accumulation de dettes ne peut pas durer éternellement s’il n’y a pas de croissance du revenu sous-jacent. D’énormes bulles de crédit apparaissent à mesure que l’emprunt devient incontrôlable et que les capitalistes investissent leur richesse colossale dans la spéculation financière, et les bulles s’effondrent inévitablement. Puis des choses comme la Grande Dépression et la Récession de 1929 se produisent.

Aussi horribles que soient les crises économiques, les gauchistes devraient reconnaître, comme l’a fait Marx, qu’elles offrent au moins de grandes possibilités d’organisation. Ce n’est que dans un contexte de crise à long terme et de déclin de la classe moyenne qu’il peut y avoir une transition vers une nouvelle société, parce que la crise force les gens à se rassembler et à réclamer des solutions radicales. Elle détruit également d’énormes quantités de richesses, ce qui peut amincir les rangs de l’hyper-élite. Et l’énorme mécontentement social qui résulte de la crise peut affaiblir la résistance réactionnaire à la réforme, comme ce fut le cas dans les années 1930 aux États-Unis. D’un autre côté, le fascisme peut aussi prendre le pouvoir dans de tels moments, à moins que la gauche ne prenne l’initiative.

Il n’y a pas d’espoir sans crise. C’est la leçon paradoxale et « dialectique » du marxisme.

Vous avez écrit un article évoquant la médiocrité d’Obama. Ne pensez-vous pas que l’actuel président des USA Donald Trump rivalise avec Obama dans la médiocrité ?

Dans la compétition pour savoir qui est le plus médiocre, peu de gens peuvent dépasser Trump. Il est juste une non-personnalité pathétique, une incarnation presque invraisemblable, stupide, ignorante, narcissique, apitoyée sur elle-même, cruelle et vulgaire de tout ce qui ne va pas dans le monde. Il est si loin en dessous du mépris que même parler de lui, c’est déjà s’abaisser soi-même. Donc en ce sens, je suppose qu’il est un « leader » approprié du capitalisme mondial. Obama au moins est un bon père de famille, et il est intelligent. Mais il manque presque autant de principes moraux que Trump, et il n’a aucun courage moral. Je ne sais pas quoi dire de quelqu’un qui a annoncé en 2014, alors qu’Israël massacrait des centaines d’enfants à Gaza, qu’Israël avait le droit de se défendre, et qui a ensuite approuvé l’envoi d’armes à cette nation criminelle en plein massacre à Gaza. C’est un mégalomane égocentrique sans morale.

Vous avez dit dans un de vos articles que le gouvernement US considère ses citoyens comme des ennemis en recourant à la surveillance généralisée. Le véritable danger ne vient-il pas de ce système qui espionne tout le monde ?

Je pense que Glenn Greenwald a raison de dire que peu de choses sont aussi pernicieuses qu’un état de « sécurité nationale » expansif. La surveillance en est un élément clé, facilitant la persécution des manifestants, des dissidents, des immigrants et des musulmans. L’État dit de « droit et d’ordre public » est un état de désordre extrême sans droit, dans lequel le pouvoir peut agir en toute impunité. Il commence à s’approcher du fascisme.

L’un des dangers de la surveillance d’État est qu’il pourrait fonctionner comme le panoptique de Jeremy Bentham : parce que les gens ne savent pas quand ils sont observés ou ciblés, ils se surveillent et se régulent tout le temps. Ils évitent de sortir des sentiers battus, étant des abrutis et des consommateurs obéissants. Tout faux pas pourrait les entraîner dans le trou noir de la bureaucratie de l’État policier. Ils intériorisent donc la soumission. Bien sûr, dans notre société, il y a bien d’autres façons de faire intérioriser l’asservissement aux gens. La surveillance n’en est qu’une parmi d’autres, mais elle est particulièrement vicieuse et dangereuse.

Une autre raison de s’inquiéter est que la capacité des sociétés Internet à « espionner » les utilisateurs leur permet de censurer le contenu, soit de leur propre initiative, soit sous la pression politique. Google, Facebook, Twitter et d’autres entreprises de ce genre censurent constamment les gauchistes (et certains à droite) et suppriment leurs comptes. Les critiques des crimes israéliens sont particulièrement exposées, mais ce ne sont pas les seules. La seule véritable façon de résoudre ce problème serait de rendre les sociétés Internet publiques, car les entités privées peuvent faire pratiquement tout ce qu’elles veulent avec leur propre propriété. Il est absurde que les gauchistes ne puissent se connecter, coordonner et construire des mouvements qu’avec l’approbation de Mark Zuckerberg et d’autres fascistes du monde des affaires. Il est également terrifiant qu’une alliance de surveillance puisse se développer entre les géants du monde des affaires et les gouvernements. C’est une autre caractéristique du fascisme.

Comment voyez-vous le traitement inhumain que subit Julian Assange et l’acharnement contre lui des administrations britannique et américaine ?

Comme l’ont dit les commentateurs de gauche, la persécution d’Assange est une attaque contre le journalisme lui-même et contre l’idée même de défier les puissants ou de leur demander des comptes. En ce sens, c’est une atteinte à la démocratie. Mais c’est à peu près toujours ce que font les structures de pouvoir, essayant de saper la démocratie et d’étendre leur propre pouvoir, de sorte que le traitement vicieux d’Assange n’est pas une surprise. Mais je doute que les États-Unis et la Grande-Bretagne puissent gagner leur guerre contre le journalisme à long terme. Il y a trop de bons journalistes, trop de militants, trop de gens de conscience.

Cette société capitaliste est basée sur la consommation mais elle se targue de concepts tels que « liberté d’expression », « droits de l’homme », « démocratie », etc. Ne vivons-nous pas plutôt dans un système fasciste ?

Je ne dirais pas que l’économie politique de l’Occident est vraiment fasciste. Elle a des tendances fascistes et ne se soucie certainement pas de la liberté d’expression, des droits de l’homme ou de la démocratie. Mais la société civile est trop dynamique et donne trop de possibilités d’organisation politique de gauche pour dire que nous vivons sous le fascisme. Le fascisme classique de l’Italie et de l’Allemagne était beaucoup plus extrême que tout ce que nous vivons actuellement, en particulier aux États-Unis ou en Europe occidentale. Nous n’avons pas de chemises brunes qui défilent dans les rues, de camps de concentration pour les radicaux, d’assassinats de dirigeants politiques et syndicaux, ou d’annihilation totale du monde du travail organisé. Il y a toujours la liberté de publier les opinions dissidentes.

Mais les grandes structures de pouvoir aux États-Unis aimeraient bien voir le fascisme sous une forme ou sous une autre et travaillent d’arrache-pied pour y parvenir. Et ils ont des armées d’idiots utiles pour exécuter leurs ordres. Les « libertaires » américains, par exemple, qui sont des millions de personnes, sont essentiellement fascistes sans le savoir : ils veulent éliminer l’État-providence et la réglementation de l’activité économique afin de libérer le génie entrepreneurial et de maximiser la « liberté ». Ils ne voient pas comment, dans ce scénario, les entreprises, auxquelles aucune force compensatoire ne s’opposerait, s’empareraient complètement de l’État et inaugureraient la tyrannie la plus barbare et globale de l’histoire. L’environnement naturel serait complètement détruit et la plus grande partie de la vie sur Terre prendrait fin.

Dans un sens du fascisme, les marxistes des années 1920 et 1930 diraient, comme vous le dites, que nous vivons dans un système plutôt fasciste. Pour eux, le terme désignait l’âge des grandes entreprises, ou plus précisément, la quasi-fusion des affaires avec l’État. Dans la mesure où la société s’approchait d’une dictature capitaliste, elle s’approchait du fascisme. Nous ne vivons pas littéralement sous ce genre de dictature, mais sans résistance déterminée, cela pourrait bien être notre avenir.

N’y a-t-il pas une nécessité de relire Karl Marx ? Comment expliquez-vous la disparition de la pensée critique dans la société occidentale ?

En fait, je pense qu’il y a beaucoup de pensée critique dans la société occidentale. La montée du « socialisme démocratique » aux États-Unis en est la preuve, tout comme la popularité de Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne. La gauche se développe à l’échelle internationale, bien que la droite aussi. Mais dans la mesure où la société souffre d’un manque de pensée critique, les raisons ne sont pas très obscures. La pensée critique et éclairée est dangereuse pour les puissants, alors ils font tout leur possible pour la décourager. De nombreuses études ont examiné les méthodes d’endoctrinement du public par les entreprises et l’État, et l’ampleur de cet endoctrinement. Noam Chomsky est célèbre pour ses nombreuses enquêtes concernant la puissante « fabrication du consentement » ; l’une des leçons de son travail est que la fonction première des médias de masse est de garder les gens ignorants et distraits. Si les informations importantes sur les crimes d’État sont supprimées, comme elles le sont constamment, et que les puissants sont continuellement glorifiés, alors les gens auront tendance à être sous-informés et peut-être trop partisans de l’élite. C’est plus amusant, de toute façon, de jouer avec des téléphones, des applications et des jeux vidéo et de regarder des shows TV.

Les mécanismes par lesquels la classe des affaires favorise la « stupidité » et l’ignorance sont assez transparents. Regardez n’importe quelle publicité télévisée, ou regardez CNN ou Fox News. C’est de la pure propagande et de l’infantilisation.

Quant à Karl Marx : Il y a toujours une nécessité de lire Marx, et de le relire. Lui et Chomsky sont probablement les deux analystes politiques les plus incisifs de l’histoire. Mais Marx était aussi un écrivain tellement formidable qu’il est un pur plaisir à lire et qu’il est sans cesse stimulant et inspirant. Il vous rajeunit. Ses pamphlets politiques sur la France, par exemple, sont des chefs-d’œuvre stylistiques et analytiques. D’ailleurs, on ne peut tout simplement pas comprendre le capitalisme ou l’histoire elle-même si ce n’est à travers le prisme du matérialisme historique, comme je l’ai dit ailleurs.

Bien sûr, Marx n’avait pas raison sur tout. En particulier, sa conception et sa chronologie de la révolution socialiste étaient erronées. La « révolution », si elle se produit, sera, comme je l’ai dit plus tôt, très longue, puisque le remplacement mondial d’un mode de production dominant par un autre ne se fera pas avant deux décennies. Même à l’échelle nationale, le fait que les nations modernes existent dans une économie internationale signifie que le socialisme ne peut pas évoluer dans un pays sans évoluer dans plusieurs autres en même temps.

Je ne peux pas entrer dans les détails sur la façon dont Marx s’est trompé sur la révolution (comme dans sa notion vague mais trop étatiste de la « dictature du prolétariat »), mais dans Worker Cooperatives and Revolution je lui consacre quelques chapitres. Il est malheureux que la plupart des marxistes contemporains soient si doctrinaires qu’ils considèrent qu’il est sacrilège d’essayer de mettre à jour ou de repenser un aspect du matérialisme historique pour le rendre plus approprié aux conditions du 21e siècle, ce que Marx aurait difficilement pu prévoir. Ils n’honorent certainement pas le Maître en pensant en termes de dogmes rigides, qu’ils soient marxistes orthodoxes, léninistes ou trotskystes.

Vous êtes un humaniste et la condition humaine est centrale dans vos travaux. Etes-vous optimiste par rapport à l’avenir de l’humanité ?

Franchement, non, je ne le suis pas. Les forces des ténèbres ont trop de pouvoir. Et le réchauffement de la planète est une menace trop grave, et l’humanité n’en fait pas assez pour y remédier. Il vaut la peine de rappeler qu’à la fin du Permien, il y a 250 millions d’années, le réchauffement climatique a tué presque toute vie. Si nous n’agissons pas très vite, d’ici la fin du siècle, il n’y aura plus de civilisation organisée à protéger.

Et puis il y a le problème des milliards de tonnes de déchets plastiques qui polluent le monde, de l’extinction des insectes qui «  menacent la nature d’effondrement  », des conflits impérialistes dangereux entre grandes puissances, etc. Je ne vois pas beaucoup de raisons d’être optimiste.

Nous savons comment faire face au réchauffement climatique, par exemple. Mais l’industrie des combustibles fossiles et, ironiquement, les écologistes agissent de manière à accroître la menace. Selon de bonnes recherches scientifiques, comme le rapporte le nouveau livre A Bright Future (parmi tant d’autres), il est impossible de résoudre le problème du réchauffement de la planète sans accroître de façon exponentielle l’utilisation de l’énergie nucléaire. Contrairement à l’opinion générale, l’énergie nucléaire est généralement très sûre, fiable, efficace et écologique. L’énergie renouvelable ne peut pas faire le poids. Le monde a dépensé plus de 2 billions de dollars en énergies renouvelables au cours de la dernière décennie, mais les émissions de carbone sont toujours en hausse ! Ce niveau d’investissement dans l’énergie nucléaire, qui est des millions de fois plus concentrée et plus puissante que l’énergie solaire et éolienne diffuse, aurait pu nous mettre sur la bonne voie pour résoudre le réchauffement climatique. Au lieu de cela, la crise est en train de s’aggraver. Les énergies renouvelables sont si intermittentes et insuffisantes que les pays continuent d’investir massivement dans les combustibles fossiles, qui sont incomparablement plus destructeurs que le nucléaire.

Mais la gauche est catégorique contre l’énergie nucléaire, et il est très difficile même de publier un article qui lui soit favorable. Seuls des articles biaisés et mal informés sont publiés, à quelques exceptions près. La gauche est donc en train d’exacerber le réchauffement climatique, tout comme la droite. Pourquoi ? En fin de compte pour des raisons idéologiques : la plupart des gauchistes aiment l’idée de la décentralisation, la dispersion du pouvoir, le contrôle communautaire de l’énergie et l’anticapitalisme, et ces valeurs semblent plus compatibles avec l’énergie solaire et éolienne qu’avec le nucléaire. L’industrie nucléaire n’est pas exactement un modèle de transparence, de démocratie ou d’intégrité politique.

Mais le chroniqueur environnemental du Guardian, George Monbiot, a raison : parfois, il faut choisir un moindre mal pour en éviter un plus grand, dans ce cas-ci l’effondrement de la civilisation et probablement la plupart de la vie sur Terre. Est-ce là le prix que les écologistes sont prêts à payer pour pouvoir se vanter de leur vertu politique ? Jusqu’à présent, il semble que la réponse soit oui.

Nous, les humains, devons nous libérer de nos manières tribales, de nos façons de penser en troupeau. Nous devons être plus disposés à faire preuve d’esprit critique, d’autocritique et à cesser d’être aussi complaisants et conformistes. En fait, la jeune génération semble montrer la voie, par exemple avec Extinction Rebellion et toutes les formes exaltantes de militantisme qui émergent de toutes parts. Mais il nous reste encore un sacré bout de chemin à parcourir.

Je n’ai pas perdu espoir, mais je ne suis pas optimiste. Les vingt ou trente prochaines années seront les plus décisives de l’histoire de l’humanité.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Son blog : https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2019/07/08/dr-chris-wright-la-pensee-critique-et-eclairee-est-dangereuse-pour-les-puissants/

Article en anglais :

“Critical and Informed Thinking Is Dangerous to the Powerful”. Workers Cooperatives and Revolution

 

Chris Wright est titulaire d’un doctorat en histoire américaine de l’Université de l’Illinois à Chicago, et il est l’auteur de Notes of an Underground Humanist et Worker Cooperatives and Revolution : History and Possibilities in the United States.

Son site web est www.wrightswriting.com.

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L’hécatombe économique du gouvernement néo-libéral de Mauricio Macri noie l’Argentine dans la mer des intérêts militaires et géopolitique de Donald Trump.

Sous le patronage des États-Unis, la Conférence des Armées Américaines a réalisé des exercice militaires à la Triple Frontière de l’Argentine, du Brésil et du Paraguay, et le responsable du Commandement Sud, Craig Faller, a visité Buenos Aires pour finaliser plusieurs accords et aligner l’Argentine contre la Russie, la Chine et le Venezuela.

Chronique d’une Argentine occupée en « défense de l’environnement »

La protection de la biodiversité est devenue l’excuse pour la réalisation de pratiques d’occupation à la triple frontière entre Brésil, Argentine et Paraguay, cœur de la réserve aquifère Guarani.

Soldados de EEUULa province Argentine de Misiones a été l’épicentre d’un « Exercice International d’Opération Inter-agences en Protection de l’Environnement et des Ressources Naturelles », organisé par la Conférence des Armées Américaines (organisation inter-américaine surgie après la révolution cubaine sous égide du Pentagone), l’Armée Argentine et le Sous-Secrétariat de Protection Civile de cette province.

Ceci est possible grâce aux nouvelles réglementations que le gouvernement de Mauricio Macri a imposé pour permettre l’articulation des institutions de protection citoyenne (pompiers, défense civile, entre autres), des forces de sécurité intérieures (police), des forces armées argentines, et leur actuel alignement néo-conservateur avec les forces étrangères.

Le nouveau cadre juridique, comme celui amené par la loi 27287 promulguée en 2016 sur le Système de Gestion des Risques, rompt la trame juridique dont se dota le pays au retour de la démocratie en 1983.

Les exercices se réalisèrent dans la localité de Puerta Libertad, aux environs du barrage Urugua-i, en présence de représentants des armées de 15 pays, parmi lesquels se détachaient celles du Canada, des USA et de l’Espagne.

Lors d’une entrevue avec le quotidien « El Independiante » de Misiones, le sous-secrétaire de Protection Civile de la Province, Enrique Parra, mis en évidence la centralité militaire dans ces prétendus exercices civiles : « Nous avons travaillé en d’autres opportunités avec les forces fédérales. Ce qui se passe, c’est que l’armée vient avec toute sa structure et nous allons nous incorporer à sa structure de travail ».

Le portail Infobae, spécialisé dans l’information de l’agenda néo-conservateur du pays, évalue la participation aux opérations à 450 civils et militaires. Pour sa part, la presse de Misiones détailla la réalisation de quatre grands exercices militaires qui, derrière la narration de la protection du milieu ambiant, paraissent être dirigés vers une préparation de l’action civile et militaire face à une éventuelle attaque militaire ou « terroriste ».

Le premier exercice simule une fissure du barrage de Urugua-i. La seconde simulation, la chute d’un avion en pleine selva de Mission. Le troisième traitait du naufrage d’une embarcation dans le lac Urugua-i et le dernier fut la simulation d’un accident de camion contenant des produits chimiques à risque.

« Terrorisme » international dans le pays ?

Depuis que Macri a assumé la présidence, en plus d’une opportunité, dans la presse hégémonique, il a été question de cellules dormantes de Hezbollah dans la zone de la Triple frontière – précisément la zone où se sont déroulés les exercices militaires – un fait qui n’a jamais pu être vérifié.

Au contraire de ce que publiait le matraquage médiatique, le Hezbollah est une organisation politico-militaire qui surgit au Liban en 1982 en réponse à l’invasion israélienne sur son territoire. Son statut d’organisation « terroriste » pour les USA apparut quand en 1983, en pleine guerre contre l’occupation israélienne et occidentale, par le biais d’attaques suicides, ils tuèrent 258 étasuniens dans un casernement de Marine des USA à Beyrouth.

Ce qui est étrange, c’est que après la guerre, le Hezbollah s’est transformé en un parti légalement constitué qui compte actuellement un nombres d’élus des plus importants au Parlement Libanais. Ce qui l’a conduit a faire partie, sans problèmes, du gouvernement de coalition du président chrétien, Michel Aoun.

En Argentine cette organisation fut accusée, de manière réitérée mais sans aucune preuve, des attentats contre l’Ambassade d’Israël et à la AMIA (1992 et 1994), et même d’être responsable de l’assassinat du procureur Alberto Nisman (alors que tout indiquait qu’il s’agissait d’un suicide)

Le Commandement Sud étasunien visite l’Argentine

Par hasard ou par lien de cause à effet, les exercices militaires de Mission coïncident avec la visite de l’Amiral Craif Faller, Chef du Commandement Sud des Forces Armées des USA en Argentine, avant qu’il ne se dirige vers le Chili. L’objectif de cette tournée est de présenter la Chine, la Russie et le Venezuela comme des dangers pour les « démocraties » de l’hémisphère.

« Je crois qu’une alliance forte entre nos deux pays laissera hors de la compétition d’autres pays, y compris la Russie et la Chine », affirma le chef du Commandement Conjoint des forces armées nord-américaines qui assistent, contrôlent et interviennent en Amérique Latine.

Le Venezuela, comme scénario géopolitique central de la région, n’échappa pas à l’analyse du commandant étasunien, quisignala que la tâche du moment « est d’étudier les rapports des services de renseignement, apprendre et parvenir à une perception claire de la situation et de la complexité du désastre pour pouvoir ainsi planifier le lendemain. »

Le chef militaire rendit visite au ministre de la Défense argentin, le radical Oscar Aguad, et à la secrétaire de Stratégie et affaires militaires, Paola Di Chiaro (liée à l’influent Fulvio Pompeo), il était accompagné de Liliana Ayalde, une spécialiste en affaires latino-américaines du Département d’État qui officiait en tant qu’ambassadrice nord-américaine au Paraguay, lors du coup d’état contre Fernando Lugo, et au Brésil pendant l’impeachment (jugement politique) contre Dilma Roussef.

La présence de Craig Miller vient simultanément avec l’offre d’avions et de véhicules blindés aux Forces Armées Argentines. En d’autres termes, l’industrie militaire étasunienne fournit les armes et le Commandement Sud les entraînements.

Mot de la fin

En temps de période électorale, il semble que la stratégie officielle est de focaliser le débat sur le Venezuela et sur leHezbollah et de cesser de parler de la faim, de la pauvreté, du chômage de millions d’argentins et d’argentines.

L’Argentine traverse une féroce récession provoquée par un projet économique qui ne vise que les bénéfices des oligopoles locaux (énergétiques, miniers), les entreprises TIC, les chaînes agroalimentaires, et « les marchés », autrement dit, la vingtaine d’acteurs financiers qui se remplissent les poches avec la « bicyclette financière » de bons et obligations, les LEBAC’s et LELIQ’s.

Ce projet économique ne se soutient que grâce à l’intervention directe du Fond Monétaire International (FMI) et Las bases militares en Colombia, el Comando Sur de EE.UU. y el plan contra Venezuelaau strict alignement du pays sur la stratégie néo-conservatrice de Donald Trump, avec qui Macri espère se réunir de manière bilatérale dans le cadre de l’Assemblée du G20 au Japon.

Pichetto, le sénateur péroniste, qui accompagne à présent Mauricio Macri dans la formule présidentielle pour les élections d’octobre, se prononça clairement : « Nos liens ne se tissent déjà plus avec des pays complexes du Moyen Orient, la Russie ou la Chine – avec qui je suppose qu’il garder des relations – nous devons nous situer résolument dans un profil occidental et revenir à notre relation historique avec les États-Unis. »

La poursuite de ce modèle économique, régit par la valorisation financière (dans laquelle gagne seulement ceux qui ont les moyens de faire « travailler »de grandes quantité de l’argent de la spéculation) exige ce pervers alignement géopolitique. Et c’est cet alignement qui rend obligatoire l’installation de bases étrangères (de la DEA, du Commandement Sud) sur notre territoire et l’accomplissement de ces ignominieux exercices militaires d’occupation.

Les forces populaires de Missiones ont depuis remis en question les mécanismes qui permettent l’entrée de forces armées étrangères dans le pays et elles ont dénoncé le fait que le Congrès de la Nation n’a pas été informé du déroulement de ce genre d’exercices militaires.

« Depuis un certain temps cette tendance [politique] est venue en utilisant des arguments comme les désastres naturels, la prévention du narcotrafic et le terrorisme afin de permettre une plus grande ingérence politique et militaire de la part des USA », affirma Jorge Almada, militant du Front de la Patrie de Misiones, à la presse de la province, où il annoncera aussi la formation de « Trinchera Soberana », une multi-sectorielle qui a convoqué diverses mobilisations populaires contre la militarisation du territoire.

Matías Caciabue et Paula Giménez

 

 

 

 

Article original en espagnol : Argentina. Crece la injerencia militar estadounidenseesumen Latinoamericano, le 30 juin 2019

Traduction Anne Wolff

Note de la traductrice :

Cet accroissement de la présence militaire US en Argentine trouve sa place dans ce qui est (re)devenu une occupation régionale du territoire par les USA qui vise d’une part les ennemis : Venezuela, Chine, Russie, mais également une prise de contrôle des ressources naturelles, ici la ressource aquifère du lac Guarani, 4ème réserve d’eau mondiale, alors que la surconsommation mais surtout les irréversibles pollutions qui résultent de la fracturation hydraulique (fracking) dans l’extraction des hydrocarbures, polluent de manière irréversible une grande partie des ressources aquifères des USA, provoquant pour la population des pénuries d’eau. Un phénomène qui ira en s’aggravant. Des forces militaires US surveillent aussi le lac Guarani depuis le Paraguay. On remarquera également le rôle joué (conseils, entraînement, fourniture d’armes et autre matériel militaire) par les Forces Armées US dans la militarisation de la répression des protestations sociales et populaires dans la région, en Colombie, au Honduras, … Un pays où de nombreuses voix s’élèvent comme un avertissement : « Nous sommes le laboratoire de la reprise en main de la région par les USA ». Ici, Les marines débarquent en Argentine : zoom sur l’invasion militaire

Matías Caciabue et Paula Giménez : Chercheurs argentins de CLAE-FILA (Centre Latino-Américain d’études Stratégiques)

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Le piège de l’endettement

juillet 10th, 2019 by Eric Toussaint

Photo : (CC – needpix)

En 2019, la Banque mondiale (BM) et le FMI atteignent l’âge de 75 ans. Ces deux institutions financières internationales (IFI), créées en 1944, sont dominées par les États-Unis et quelques grandes puissances alliées qui agissent pour généraliser des politiques contraires aux intérêts des peuples.

La BM et le FMI ont systématiquement prêté à des États afin d’influencer leur politique. L’endettement extérieur a été et est encore utilisé comme un instrument de subordination des débiteurs. Depuis leur création, le FMI et la BM ont violé les pactes internationaux sur les droits humains et n’hésitent pas à soutenir des dictatures.

Une nouvelle forme de décolonisation s’impose pour sortir de l’impasse dans laquelle les IFI et leurs principaux actionnaires ont enfermé le monde en général. De nouvelles institutions internationales doivent être construites. Nous publions une série d’articles d’Éric Toussaint qui retrace l’évolution de la BM et du FMI depuis leur création en 1944. Ces articles sont tirés du livre Banque mondiale : le coup d’État permanent, publié en 2006, aujourd’hui épuisé et disponible gratuitement en pdf.

Dans les années 1970, les PED s’endettent de plus en plus car les conditions d’emprunt leur sont apparemment favorables. La Banque mondiale, les banques privées et les gouvernements des pays les plus industrialisés les y encouragent. A partir de fin 1979, la hausse des taux d’intérêts, imposée par le Trésor des États-Unis dans le cadre du virage néolibéral, et la chute du cours des matières premières vont changer radicalement la donne. Les flux s’inversent alors et, durant les années 1980, les créanciers font de juteux profits sur la dette. Depuis la crise financière en Asie du Sud-Est et en Corée qui a éclaté en 1997, les transferts nets sur la dette en faveur des créanciers (y compris la Banque mondiale) s’accroissent de manière importante, tandis que dans le même temps, la dette continue sa course folle vers des sommets jamais atteints auparavant.

Commençons par étudier l’architecture de la dette extérieure des PED du point de vue des créanciers (nous avons arrondi les chiffres fournis par la Banque mondiale concernant l’endettement des PED en 2004) :

et du point de vue des débiteurs :

Le tableau porte sur la période 1970 – 2004. C’est une longue période qui inclut la crise de 1982 ainsi que celles qui la suivent.

Source : World Bank, Global Development Finance, 2005

La colonne 2 présente l’évolution du stock de la dette extérieure totale de l’ensemble des PED pour lesquels la Banque mondiale fournit des données [1] (dettes à court et à long terme, dette due et garantie par les pouvoirs publics des PED ainsi que la dette due par les entreprises privées des PED). Intitulée « dette extérieure publique », la colonne 4 présente l’évolution du stock total de la dette extérieure seulement due et/ou garantie par les pouvoirs publics des PED. La colonne 6 intitulée « dette à l’égard de la Banque mondiale » présente l’évolution du stock de la dette extérieure des PED seulement due à la Banque mondiale (BIRD et IDA).

Les colonnes 3, 5 et 7 présentent le transfert net sur la dette sur les trois types de stocks que l’on vient d’évoquer.

Qu’est-ce que le transfert net sur la dette ? C’est la différence entre ce qu’un pays reçoit sous forme de prêts et ce qu’il rembourse (capital et intérêt). Si le montant est négatif, cela signifie que le pays a remboursé plus que ce qu’il a reçu.


Interprétation du tableau

De 1970 à 1982, les PED augmentent fortement leurs emprunts. La dette extérieure totale (publique et privée) exprimée en dollars courants est multipliée par 10 (elle passe de 70 à 716 milliards de dollars). La dette extérieure publique est également multipliée par 10 (elle passe de 45 à 442 milliards de dollars). La dette extérieure publique à l’égard de la Banque mondiale est multipliée par 7,5. Durant cette période, les transferts nets sur la dette sont chaque année positifs : cela signifie que les PED empruntent plus qu’ils ne remboursent. Ils sont encouragés à s’endetter car les taux d’intérêt réels sont fort bas. De plus, les revenus d’exportation avec lesquels ils remboursent leur dette sont en augmentation car les prix des matières premières sont élevés. En conséquence, les PED n’éprouvent généralement pas trop de problèmes de remboursement [2].

Le tableau n’enregistre pas immédiatement la détérioration qui a commencé fin 1979 avec l’augmentation brutale des taux d’intérêt imposée unilatéralement au monde par le gouvernement des États-Unis. Les taux d’intérêt réels explosent début des années 1980 : 8,6% en 1981, 8,7% en 1982 contre -1,3% (taux négatif) en 1975, 1,1% en 1976, 0,3% en 1977 [3]. A cette augmentation des taux qui entraîne une augmentation des montants à rembourser, s’ajoute au même moment une chute des prix des matières premières (sauf le pétrole dans un premier temps). Quand cette chute entraînera celle du prix du pétrole, les principaux pays endettés producteurs de pétrole tel le Mexique entreront en crise de paiement. C’est ce qui se passera à partir de 1982 [4].

Retournons vers le tableau pour nous apercevoir que les PED entrent alors dans une période de crise de paiement de la dette qui se manifeste par un transfert net négatif sur la dette totale publique et privée entre 1983 et 1991 (neuf années consécutives de transfert net négatif).

Remarquons que, bien que les PED remboursent plus qu’ils n’empruntent, leur dette extérieure totale ne diminue pas. Entre 1983 et 1991, elle s’accroît de 632 milliards de dollars, soit 81% d’augmentation. Explication : les PED, en difficulté à cause des revenus en baisse et des taux d’intérêt élevés, empruntent principalement pour pouvoir rembourser. A ce moment-là, les conditions d’emprunt sont fort onéreuses (taux élevés et primes de risque élevées [5]).

Il faut relever également que le transfert net sur la dette extérieure publique vire au négatif avec un décalage de deux ans. Comment expliquer qu’en 1983 et en 1984, le transfert sur la dette extérieure publique soit encore positif ? C’est clair : les pouvoirs publics empruntent beaucoup (notamment auprès du FMI et de la Banque mondiale) afin de commencer à assumer des dettes initialement contractées par le secteur privé que le gouvernement accepte de prendre à sa charge. Ces emprunts massifs que les pouvoirs publics commencent à rembourser quelques années plus tard se traduisent à partir de 1985 par un transfert net négatif. C’est notamment le cas de l’Argentine où 12 milliards de dettes privées sont mises à charge de l’État par la junte militaire (sous l’action de son serviteur Domingo Cavallo [6]).

Entre 1982 et 1984, la dette extérieure publique augmente de 129 milliards de dollars (passant de 442 à 571 milliards, voir colonne 4) tandis que la dette extérieure privée baisse de 19 milliards de dollars (passant de 274 à 255 milliards) [7].

Si on prend la période de 1982 à 1988, la dette publique augmente de plus de 100% (passant de 442 à 932 milliards de dollars – voir colonne 4) tandis que la dette extérieure privée diminue (passant de 274 à 240 milliards). Les capitalistes des PED se désendettent en faisant payer la facture au Trésor public de leur pays, c’est-à-dire aux salariés, aux petits producteurs et aux pauvres qui contribuent proportionnellement beaucoup plus à l’impôt que les capitalistes. De plus, on verra dans un chapitre ultérieur qu’une très grande proportion des emprunts réalisés durant cette période par les capitalistes des PED repart immédiatement vers les pays créanciers par l’évasion des capitaux. Les capitalistes des PED renvoient au Nord une partie importante des capitaux qu’ils empruntent.

Si nous prêtons attention à la colonne 5, sur la période 1985-2004, nous constatons qu’à partir de 1985, le transfert net sur la dette extérieure publique est systématiquement négatif sauf en 1993. En vingt ans, le transfert négatif au détriment des finances publiques est très lourd : 471 milliards de dollars (soit l’équivalent de cinq plans Marshall offerts par les gouvernements des PED à leurs créanciers). Si on regarde la période 2000-2004 dans le bas de cette colonne 5, on remarque que le transfert négatif annuel s’accroît. Entre 2000 et 2004, le transfert net négatif sur la dette extérieure publique représente 291 milliards de dollars. Rien qu’en cinq ans, les PED ont offert l’équivalent de trois plans Marshall à leurs créanciers.

Selon le raisonnement dominant dans la pensée économique, au bout de vingt années de transferts négatifs, les pouvoirs publics devraient s’être désendettés. En effet, s’ils remboursent chaque année plus que ce qu’ils empruntent, le stock de leur dette devrait diminuer, voire être ramené à zéro. Or, la lecture du tableau dévoile le contraire : la dette extérieure publique des PED a plus que doublé entre 1985 et 2005, passant de 672 à 1459 milliards de dollars [8].

Nous arrivons à l’essentiel des enseignements de ce tableau :

  • La gestion de l’endettement extérieur des PED s’est traduite par la mise en place d’un puissant mécanisme de transfert de capitaux des pays endettés vers les différents créanciers (privés et publics).
  • Malgré des remboursements massifs et continus, la dette totale ne diminue pas.

Au cours des années 1960 et 1970, les pays en développement ont été encouragés à s’endetter de plus en plus, jusqu’au moment où le piège s’est refermé sur eux. Comme nous l’avons mentionné plus haut, le tournant est pris en 1979 avec l’augmentation brutale des taux d’intérêt et le début de la chute des prix des matières premières (affectant d’abord les produits non pétroliers puis le pétrole lui-même à partir de 1981).

Le soi-disant cercle vertueux du recours à l’endettement extérieur pour générer du développement et du bien-être et débouchant sur une croissance auto-soutenue [9] ne fonctionne pas : il s’est transformé en cercle vicieux d’endettement permanent avec des transferts massifs au profit des créanciers.


Graphique 1.
Comparaison entre les montants prêtés annuellement et les montants remboursés annuellement (dette extérieure totale)

Source : World Bank, Global Development Finance, 2005

Commentaire : entre 1983 et 1991, les PED remboursent plus que ce qu’ils empruntent. Idem de 1998 à 2004.

Si nous retournons au tableau du début du chapitre en focalisant la colonne 3 de 1983 à 2004, nous constatons que les transferts nets sont négatifs jusqu’en 1991 inclus, puis redeviennent positifs entre 1992 et 1997. A partir de 1998, ils sont fortement négatifs avec un creux profond en 2000 (transfert net négatif de 127 milliards de dollars cette année-là). Comment interpréter cette évolution ?

Au cours des années 1980, les flux sont négatifs jusqu’en 1989, à la fois pour les entreprises privées des PED et pour les pouvoirs publics de ces mêmes pays. Comme nous l’avons indiqué plus haut : 1) le secteur privé se désendette en transférant une partie de sa dette au secteur public et en remboursant une partie du reste ; 2) le secteur public continue de s’endetter pour reprendre une partie des dettes privées et payer une grande partie de la facture totale. A partir de 1990, le secteur privé, qui s’est partiellement désendetté, recourt à nouveau à des emprunts qui deviennent massifs de 1992 à 1997 (la dette extérieure du secteur privé passe de 381 à 801 milliards de dollars, soit une augmentation de 110 %). Les prêts au secteur privé des PED sont temporairement supérieurs aux remboursements qu’il effectue. Le creux de 1994 correspond à la crise mexicaine qui voit une sortie massive de capitaux.

La situation se retourne à partir de 1998 et correspond à la crise du Sud-Est asiatique (Thaïlande, Malaisie, Philippines, Indonésie) et de la Corée du Sud, suivie de la crise en Russie, au Brésil en 1999, en Argentine et en Turquie à partir de 2001. Les remboursements de la part du secteur privé et du secteur public sont de nouveau massifs. Le transfert net négatif atteint un creux historique en 2000-2001.

En 2003 et 2004, le transfert est toujours négatif mais se réduit car le secteur privé et les pouvoirs publics des PED empruntent massivement en « profitant » de conditions temporairement favorables :

  • les taux d’intérêt sont relativement bas
  • les primes de risque ont fortement diminué
  • les revenus d’exportation augmentent car le prix des matières premières a augmenté (pétrole, gaz …).

Au lieu de profiter de cette bonne conjoncture pour se désendetter radicalement, la plupart des PED à moyen revenu, encouragés par les différents créanciers, recourent à de nouveaux emprunts. Ceux qui, comme la Thaïlande, le Brésil et l’Argentine, remboursent de manière anticipée le FMI [10] ou ceux qui, comme la Russie ou le Brésil, remboursent le Club de Paris, remplacent ces dettes à l’égard des créanciers publics par de nouvelles dettes à l’égard de créanciers privés (qui offrent temporairement des conditions avantageuses). Ces pays augmentent également fortement leur dette publique interne.

Les deux dernières colonnes du tableau concernent la dette des PED à l’égard de la Banque mondiale. Elles nous permettent de constater que cette dette augmente constamment à l’image de celle à l’égard de l’ensemble des créanciers. Ce qui diverge, c’est la dernière colonne, celle du transfert net sur la dette. En effet, jusqu’en 1990, le transfert net reste positif par rapport à la Banque mondiale alors qu’il devient négatif à partir de 1983 sur la dette totale (colonne 3) et à partir de 1985 sur la dette extérieure publique (colonne 5). C’est notamment dû au fait qu’au cours des années 1980, la Banque mondiale prête aux PED pour qu’ils soient en mesure de rembourser les banquiers privés du Nord menacés de faillite en cas de non-remboursement. C’est bien sûr le FMI qui joue le rôle principal à ce niveau mais la Banque l’accompagne.

A partir de 1990, les transferts à l’égard de la Banque mondiale deviennent négatifs jusqu’en 1996. Positifs de 1997 à 1999, ils redeviennent négatifs et atteignent un creux historique en 2002, 2003 et 2004. Rien que pour la période 2000 – 2004, le transfert négatif cumulé représente -21,3 milliards de dollars, somme tout à fait considérable au vu du montant des sommes prêtées par la Banque chaque année (moins de 20 milliards de dollars).

Plus grave, ce transfert négatif imposant, loin de correspondre à un désendettement, débouche lui aussi sur une augmentation de la dette à l’égard de la Banque mondiale.

C’est dire là tout le cynisme de ce puissant mécanisme, débouchant sur une dette au montant artificiellement gonflé, sans commune mesure avec les sommes réellement injectées dans l’économie de ces pays.


Graphique 2.
Comparaison entre l’évolution du stock total de la dette extérieure et le transfert net sur la dette

Source : World Bank, Global Development Finance, 2005
Échelle de gauche : Transfert net sur la dette extérieure totale (publique+privée) de l’ensemble des PED (en milliards de dollars)
Échelle de droite : Évolution de la dette totale extérieure totale (publique+privée) des PED (en milliards de dollars)

Ce graphique permet de visualiser ce que contiennent les colonnes 2 et 3 du tableau en début du chapitre.

On constate que le transfert net est positif de 1970 à 1982, année où éclate la crise de la dette. Il devient négatif en 1983 jusque 1991 inclus. De 1992 à 1997, il est à nouveau positif sauf en 1994, année de la crise mexicaine. De 1998 (crise du Sud-Est asiatique et de la Corée), il est négatif jusqu’en 2004. Pendant toute la période 1970-2004, le stock de la dette poursuit son ascension passant de 70 milliards de dollars en 1970 à 2597 milliards en 2004.

A partir d’ici, nous présentons des graphiques relatifs à la dette extérieure publique des grandes régions de la planète.


Graphique 3. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Amérique latine et de la Caraïbe.

Source : World Bank, Global Development Finance, 2005
Échelle de gauche : Transfert net sur la dette extérieure publique de l’Amérique latine et de la Caraïbe (en milliards de dollars)
Échelle de droite : Évolution de la dette totale extérieure publique de l’Amérique latine et de la Caraïbe (en milliards de dollars)

Commentaire : les transferts nets sur la dette publique deviennent négatifs dès l’année 1983 et le restent jusque 2004.

Population de l’Amérique latine et de la Caraïbe en 2004 : 540 millions

Liste des pays [11] : (Antigua-et-Barbuda), Argentine, Barbade, Belize, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, (Cuba), Dominicaine Rép., Dominique, Équateur, Grenade, Guatemala, Guyana, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, Sainte-Lucie, Saint-Kitts-et-Nevis, St-Vincent et Grenadines, Salvador, (Suriname), Trinité et Tobago, Uruguay, Venezuela.

  • Montant de la dette extérieure publique en 1970 : 16 milliards de dollars
  • Montant de la dette extérieure publique en 2004 : 442 milliards de dollars

L’ensemble constitué par l’Amérique latine et la Caraïbe constitue la région emblématique de la crise de la dette et de sa gestion en faveur des créanciers.

Un aperçu rapide (voir graphiques 4 à 8) des cinq autres grandes régions en développement du point de vue de l’évolution de la dette publique et des transferts nets sur celle-ci, permet de voir que la crise de la dette de 1982 qui a éclaté en Amérique latine, a progressivement affecté toutes les autres régions. Au-delà de différences évidentes, ce qui est frappant, c’est que les transferts nets deviennent partout négatifs à la fin des années 1990. Cela indique qu’à aucun endroit de la planète, la crise n’a été résolue. Cela montre également que l’endettement constitue encore plus un obstacle à surmonter au début du 21e siècle que dans les années 1980.


Graphique 4. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Asie du Sud

Source : World Bank, Global Development Finance, 2005
Échelle de gauche : Transfert net sur la dette extérieure publique de l’Asie du Sud (en milliards de dollars)
Échelle de droite : Évolution de la dette totale extérieure publique de l’Asie du Sud (en milliards de dollars)

Commentaire : les transferts deviennent négatifs à partir de 1994 et le stock de la dette poursuit son augmentation.

Population de l’Asie du Sud en 2004 : 1 450 millions

Liste des pays [12] : (Afghanistan), Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan, Sri Lanka

  • Montant de la dette extérieure publique en 1970 : 12 milliards de dollars
  • Montant de la dette extérieure publique en 2004 : 156 milliards de dollars


Graphique 5. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Afrique subsaharienne

Source : World Bank, Global Development Finance, 2005
Échelle de gauche : Transfert net sur la dette extérieure publique de l’Afrique subsaharienne (en milliards de dollars)
Échelle de droite : Évolution de la dette totale extérieure publique de l’Afrique subsaharienne (en milliards de dollars)

Commentaire : les transferts deviennent négatifs à partir de 1998 et le stock de la dette qui a suivi une ligne ascendante se réduit un peu en 2004.

Population de l’Afrique subsaharienne en 2004 : 720 millions

Liste des pays [13] : Afrique du Sud, Angola, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Érythrée, Éthiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Kenya, Lesotho, Liberia, Madagascar, Malawi, Mali, Maurice, Mauritanie, Mozambique, (Namibie), Niger, Nigeria, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, São Tomé et Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, Tanzanie, Tchad, Togo, Zambie, Zimbabwe.

  • Montant de la dette extérieure publique en 1970 : 6 milliards de dollars
  • Montant de la dette extérieure publique en 2004 : 165 milliards de dollars


Graphique 6. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient

Source : World Bank, Global Development Finance, 2005
Échelle de gauche : Transfert net sur la dette extérieure publique de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient (en milliards de dollars)
Échelle de droite : Évolution de la dette totale extérieure publique de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient (en milliards de dollars)

Commentaire : les transferts deviennent négatifs à partir de 1990. Malgré ces remboursements massifs, la dette ne diminue pas de manière conséquente.

Population de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient en 2004 : 290 millions

Liste des pays [14] : Algérie, (Arabie Saoudite), Djibouti, Égypte, (Irak), Iran, Jordanie, Liban, (Libye), Maroc, Oman, Syrie, Tunisie, Yémen

  • Montant de la dette extérieure publique en 1970 : 4 milliards de dollars
  • Montant de la dette extérieure publique en 2004 : 126 milliards de dollars


Graphique 7. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Asie de l’Est et du Pacifique

Source : World Bank, Global Development Finance, 2005
Échelle de gauche : Transfert net sur la dette extérieure publique de l’Asie de l’Est et du Pacifique (en milliards de dollars)
Échelle de droite : Évolution de la dette totale extérieure publique de l’Asie de l’Est et du Pacifique (en milliards de dollars)

Commentaire : les transferts ont été négatifs entre 1988 et 1991 puis le sont redevenus de manière massive à partir de 1999, année où la dette publique a fortement augmenté en conséquence de la prise en charge de dettes privées par les pouvoirs publics et de lourds emprunts de « sauvetage » auprès du FMI. Malgré ces transferts négatifs très importants, la dette ne se réduit pas.

Population des PED de l’Asie de l’Est et du Pacifique en 2004 : 1870 millions

Liste des pays [15] : Cambodge, Chine, (Corée du Nord et Corée du Sud [16]), Fidji, Indonésie, (Kiribati), Laos, Malaisie, Mongolie, Myanmar, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Philippines, Salomon (Iles), Samoa, Thaïlande, (Timor Oriental), Tonga, Vanuatu, Vietnam

  • Montant de la dette extérieure publique en 1970 : 5 milliards de dollars
  • Montant de la dette extérieure publique en 2004 : 262 milliards de dollars


Graphique 8. Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Europe de l’Est et Asie centrale

Source : World Bank, Global Development Finance, 2005
Échelle de gauche : Transfert net sur la dette extérieure publique de l’Europe de l’Est et Asie centrale (en milliards de dollars)
Échelle de droite : Évolution de la dette totale extérieure publique de l’Europe de l’Est et Asie centrale (en milliards de dollars)

Commentaire : les transferts deviennent négatifs à partir de 1985 et le restent jusque 2004 (à l’exception des années 1992-1993 et 1998). Les transferts négatifs sont très importants entre 2000 et 2003 et pourtant la dette extérieure publique augmente.

Population de l’Europe de l’Est et Asie centrale en 2004 : 470 millions

Liste des pays : Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Estonie, Géorgie, Hongrie, Kazakhstan, Kirghize Rép., Lettonie, Lituanie, Macédoine, Moldavie, Ouzbékistan, Pologne, Roumanie, Russie, Serbie-Monténégro, Slovaquie, Slovénie, Tadjikistan, Tchèque (Rép.), Turkménistan, Turquie, Ukraine

  • Montant de la dette extérieure publique en 1970 : 3 milliards de dollars
  • Montant de la dette extérieure publique en 2004 : 310 milliards de dollars

Eric Toussaint

 

Cet article fait partie de la série : 1944-2019, 75 ans d’intervention de la Banque mondiale et du FMI (partie 14)

Notes :

[1Parmi les pays pour lesquels la Banque mondiale ne fournit pas de données : Cuba, Irak, Libye, Corée du Nord, Corée du Sud.

[2Néanmoins, le nombre de pays endettés qui accusent des arriérés de paiement à l’égard de la Banque mondiale ou/et qui recherchent une renégociation de leur dette multilatérale est passé de trois à dix-huit entre 1974 et 1978 !

[3Voir Eric Toussaint. 2004. La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie. CADTM/Syllepse/Cetim, Liège-Paris-Genève, p. 197-198. Le chapitre 8, p. 187-200 présente une analyse de la crise de la dette qui explose en 1982. Voir aussi Damien Millet et Eric Toussaint. 2002. 50 Questions/50Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, CADTM/Syllepse, Liège-Paris, Question 8, p. 59-62.

[4Les pays d’Amérique latine qui ont emprunté principalement à des banques privées à taux variables sont particulièrement affectés par la hausse des taux d’intérêt qui se combine à l’effet négatif de la chute de leurs revenus d’exportation.

[5Sur les primes de risque, voir Eric Toussaint. 2004. La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie. CADTM/Syllepse/Cetim, Liège-Paris-Genève, p. 214-216.

[6Idem, p. 424 et 426.

[7Pour obtenir le montant de la dette extérieure due par le secteur privé des PED, on soustrait la dette publique (colonne 4) du montant total de la dette (colonne 2).

[8Pendant ce temps, les Trésors publics ont reçu 2402 milliards de dollars sous forme de prêts et ont remboursé 2873 milliards, soit un transfert net négatif de 471 milliards au détriment des pouvoirs publics. Source : World Bank, Global Development Finance, 2005

[9Voir chapitre 10.

[10La Thaïlande l’a fait en 2003, le Brésil et l’Argentine l’ont fait en janvier 2006.

[11Les pays entre parenthèses ne sont pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.

[12Le pays entre parenthèses, l’Afghanistan, n’est pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.

[13Le pays entre parenthèses, la Namibie, n’est pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.

[14Les pays entre parenthèses ne sont pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.

[15Les pays entre parenthèses ne sont pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.

[16Depuis 2003, la Corée du Sud n’est plus considérée par la Banque mondiale comme un pays en développement car le revenu annuel par habitant dépasse le plafond fixé, soit actuellement 9385 dollars. Elle est dorénavant rangée dans les pays développés.

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