Les États-Unis et l’Europe n’ont pas toujours considéré Daech comme un ennemi. Ils l’ont, au contraire, largement financé et armé, raconte le journaliste indépendant Maxime Chaix dans La guerre de l’ombre en Syrie, fruit de cinq années de recherches.  

Maxime Chaix, traducteur de plusieurs ouvrages du Canadien Peter Dale Scott, auteur notamment d’American War Machine (« La machine de guerre américaine »), n’est surtout pas un complotiste. A partir de sources ouvertes, il raconte que les Américains et les Saoudiens, dans leur obsession à vouloir faire tomber rapidement Bachar el-Assad, ont largement aidé les djihadistes en Syrie à partir de 2011. Pour tromper l’opinion publique, ils baptisaient « rebelles modérés » le Front al-Nostra, la branche syrienne d’al-Qaïda. Daech est né en 2013 d’une scission du Front al-Nostra. Ce n’est que bien plus tard, conscients d’avoir favorisé un monstre, que les Occidentaux ont déclaré la guerre à l’État islamique, proclamé par Abou Bakr al-Baghdadi.

Le 11 février 2015, l’ancien commandant de l’Otan, le général Wesley Clark, explique tranquillement sur CNN, et donc à des millions de téléspectateurs, que « Daech [avait] été créé grâce aux financements de nos amis et alliés [au Moyen-Orient], car ils vous diront que si vous voulez des hommes qui combattent le Hezbollah [chiite] jusqu’à la mort, vous ne placardez pas une affiche de recrutement du genre… “Rejoignez nos rangs, on va construire un monde meilleur !“ Vous allez plutôt soutenir [en secret] ces fanatiques religieux, ces fondamentalistes [sunnites] ».

Un milliard de dollars par an        

Dès octobre 2011, Barack Obama autorise David Petraeus, le directeur de la CIA, à lancer une guerre secrète en Syrie, baptisée Timber Sycamore, impliquant une quinzaine d’autres services spéciaux, notamment des services européens, en particulier britanniques et français. « Au fil des ans, cette campagne devint gigantesque au point que le Washington Post la décrivit en juin 2015 comme “l’une des plus vastes opérations clandestines“ de l’histoire de la CIA, dont le financement avoisinait alors le milliard de dollars annuels », écrit Maxime Chaix, dont toutes les informations sont corroborées par une multitude notes de bas de pages.

Un gigantesque réseau d’approvisionnement en armes destinées à la rébellion est ainsi mise en place par David Petraeus, puis par John Brennan, son successeur à la tête de la CIA, « en coordination avec leurs alliés turcs, pétromonarchiques, européens et israéliens ». Ce qui fait dire à Christopher Davidson, qui a mené des recherches sur Timber Sycamore, dans son livre Shadow Wars, que « Daech n’était pas considéré comme un ennemi par le cabinet Obama et ses principaux partenaires, mais comme un turbulent “atout stratégique“ »

Al-Qaïda a fait du « bon boulot »

« La guerre de l’ombre en Syrie » n’épargne pas non plus les grandes puissances européennes. L’ouvrage raconte ainsi que les services britanniques surveillent depuis leur base militaire à Chypre les mouvements des troupes syriennes et en informent les rebelles. Quant à Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, il n’hésite pas à déclarer que le Front al-Nostra a fait du « bon boulot ». Alors qu’il s’agit de la branche al-Qaïda au Levant ! La scission entre al-Nostra et Daech est intervenu au printemps 2013. Le Front al-Nostra a été rebaptisée Jabbat Fateh al-Sham en juillet 2016, puis Hayat Tahrir al-Sham en janvier 2017.

En décembre 2015, le député LR Alain Marsaud, ancien juge antiterroriste, interviewé dans ce livre, rappelle qu’il a eu « l’occasion de montrer à l’Assemblée nationale des photos de combattants d’al-Nostra en possession de fusils d’assaut français ». Quant au député socialiste Gérard Bapt, il reconnaît que l’aide française aux rebelles dans ce pays « et plus généralement le soutien occidental en leur faveur, se sont poursuivis y compris après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, pourtant revendiqués par al-Qaïda ».

La guerre de l’ombre en Syrie est d’autant stimulant que son auteur n’épargne pas pour autant le régime syrien. Il rappelle que Bachar el-Assad a lui aussi une indéniable part de responsabilité dans l’essor de l’islamisme au Moyen-Orient « en particulier après l’invasion de l’Irak mené par les États-Unis en 2003 ». Maxime Chaix rappelle également qu’à une autre époque la CIA sous-traitait à ses partenaires syriens l’incarcération extrajudiciaire et la torture de suspects djihadistes après les avoir illégalement kidnappés.

(*) Maxime Chaix, La guerre de l’ombre en Syrie. Cia, pétrodollars et djihad, Éric Bonnier Éditions, février 2019.

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Le lobby pro saoudien aux Etats-Unis (1/2)

mars 21st, 2019 by René Naba

L’auteur dédie ce texte à Raif Badaoui et son épouse Ensaf, icône de la résistance saoudienne à l’absolutisme monarchique, blogueur et créateur en 2008 du site «Free Saudi Liberals», sur lequel il militait pour une libéralisation morale du Royaume Wahhabite. Accusé d’apostasie et d’insulte à l’islam, il est emprisonné depuis juin 2012. Il a été condamné à 1.000 coups de fouet et 10 années de prison. Son avocat Waleed Abu Al Khair est également emprisonné.

Arabie saoudite/ Etats Unis: Une relation sado masochiste

L’alliance entre les Etats Unis et l’Arabie saoudite est à proprement parler une alliance contre nature, en ce qu’elle scelle, sur la base du pétrole, une alliance antinomique entre l’une des plus anciennes démocraties du Monde et un royaume théocratique, le plus obscurantiste de la planète.

Pis, cette alliance débouchera sur une triangulation entre les Etats Unis, Israël, et l’Arabie saoudite d’une grande perversité en ce que le plus petit état du trio, Israël, dictera constamment sa volonté aux Etats Unis, la première puissance militaire de la planète, laquelle en obtempérant répercutera ses oukases au chef de file du Monde musulman, une communauté de 1,5 milliards de croyants.

En apparence paritaire, matérialisée par le pacte de Quincy, l’alliance saoudo américaine traduit en fait une relation sado masochiste, en ce que «le gardien des lieux saints de l’islam» souscrit sans sourciller aux ordres de son maître américain, tandis que le chef du Monde libre, à défaut de souscrire en catimini à toutes les turpitudes du pétrolier, l’exonère à tout le moins publiquement de sa responsabilité directe, comme ce fut le cas lors du raid du 11 septembre 2011 contre les symboles de l’hyperpuissance américaine.

Pour aller plus loin à propos du Pacte de Quincy, cf ce lien :
https://www.renenaba.com/le-pacte-de-quincy/

A – Bandar Bush

Illustration de cette singularité, deux pointures saoudiennes se sont distinguées au cours du dernier quart de siècle au sein du cénacle diplomatique de Washington, auprès des deux présidents américains les plus ouvertement perméables aux arguments des Saoudiens:

Bandar Ben Sultan, le propre fils de l’inamovible ministre saoudien de la défense pendant un quart de siècle, Sultan Ben Abdel Aziz, auprès de Georges Bush jr, si intime avec le président américain par ailleurs héritier de la grande dynastie pétrolière du Texas, qu’il fut surnommé «Bandar Bush».

Si intime que le «Great Gasby» du cénacle diplomatique de Washington prendra la liberté de s’installer sur le coude d’un canapé du bureau ovale pour recueillir, en primeur, bien avant les autres alliés de la coalition, la décision des Etats Unis d’envahir l’Irak, le 20 mars 2003, alors que les troupes américaines avaient dejà engagé leur offensive. Une photographie par son photographe personnel et non par celui de la Maison Blanche immortalisera cet instant de connivence.

Chez les Bush, le pétrole arabe est une affaire de famille, cf ce lien :
https://www.courrierinternational.com/article/2004/03/01/chez-les-bush-le-petrole-arabe-est-une-affaire-de-famille

L’invasion de l’Irak en 2003, présentée comme une opération en représailles au raid taliban du 11 septembre 2001 contre les symboles de l’hyperpuissance américaine, apparaitra rétrospectivement dans les annales internationales, comme le premier cas de représailles par substitution de l’Arabie Saoudite, dont l’Irak en sera la victime collatérale d’un jeu de billard à trois bandes en ce que le commando terroriste était constitué de 15 membres de nationalité saoudienne sur un total de 19.

Son frère, le général Khaled Ben Sultan, interface du général Norman Scwharzkoff, commandant en chef de la coalition internationale lors de l’opération «tempête du désert» contre l’Irak, en 1990-1991, a ponctionné, lui, en toute impunité, l’intendance du corps expéditionnaire occidental de 4 milliards de dollars à titre de rétro commissions sur le ravitaillement des troupes.

Bandar se contentera de moins. Il percevra une dime d’un milliard de dollars dans les transactions militaires de son pays avec les puissances occidentales (le contrat Toronado avec le Royaume Uni). Sans doute, au titre de contrepartie au sacrifice des troupes occidentales pour la défense du Royaume et de contribution à la vie luxuriante de l’ambassadeur saoudien à Washington.

https://www.lemonde.fr/international/article/2007/06/07/bae-systems-aurait-verse-un-milliard-de-livres-de-pots-de-vin-a-un-prince-saoudien_919926_3210.html

Quand le «born again» s’en est allé vers l’oubli politique, au terme d’une double mandature calamiteuse pour les Etats Unis, le dandy saoudien, propulsé à la tête du djihadisme planétaire, versait dans l’alcoolisme, avant de sombrer dans l’éthylisme, vaincu par son rival régional dans la guerre de Syrie, le Hezbollah libanais.

La confrontation entre le cappo di tutti cappi et Hassan Nasrallah, sur ce lien
https://www.renenaba.com/sous-la-syrie-le-hezbollah/

B – Khaled Ben Salmane, la 2me pointure: le propre fils du roi, un pilote membre de la coalition anti Daech

Quinze ans après, sous Donald Trump, le Roi d’Arabie saoudite a choisi comme ambassadeur son propre fils, le prince Khaled Ben Salmane Ben Abdelaziz (28 ans), pilote de l’armée de l’air, membre de l’escadrille ayant bombardé les positions du groupe islamique Daech dans le cadre des frappes organisées par la coalition internationale menée par les Etats-Unis.

Mieux Donald Trump a réservé son premier déplacement à l’étranger, au Royaume, le 19 Mai 2017, marquant l’adoubement de l’artisan du «Muslim Ban» par les pétromonarchies sunnites. Le «Muslim Ban», mesure phare de l’administration, est le décret anti immigration signé par le président américain le 30 janvier 2017 interdisant aux réfugiés et à sept pays musulmans d’entrer sur le sol américain.

La caution du gardien des Lieux Saints de l’Islam à l’égard de la politique xénophobe du président américain, dans un geste qui va à l’encontre du tollé suscité par cette mesure tant sur le plan intérieur américain et que sur le plan international, s’est accompagnée d’une abdication des pétromonarchies à l’égard de la question palestinienne et sa substitution par un pacte tacite entre Les Etats Unis, l’Arabie saoudite et Israël face à l’Iran.

A noter que le prince Khaled sera exfiltré de l’ambassade saoudienne à Washington et nommé vice-ministre de la défense dont le titulaire n’est autre que son frère aîné  le Prince héritier Mohamad Ben Salmane,  pour sa probable implication dans l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi et remplacé par la princesse Rim Bint Bandar, la propre fille de Bandar Bush.

Une triangulation d’une grande perversité

Les ambassadeurs d’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis sont ainsi donc les deux diplomates qui ont l’accès le plus facile à la Maison Blanche, sous la présidence de Donald Trump, bénéficiant même d’une sorte de préséance sur les représentants de l’Otan et se situent juste derrière l’ambassadeur d’Israël.

L’Etat hébreu constitue en fait un plafond de verre infranchissable, malgré toutes les courbettes des pétro monarques, malgré toutes les couleuvres qu’ils avalent à journée faites.

Leur primauté s’arrête là où commence le passe droit israélien en raison de la puissance du lobby juif américain, le plus puissant au monde au sein du plus puissant pays du Monde. Jamais lobby n’a autant mieux exercé son emprise sur un état dans les annales internationales au point que le lobby juif américain constitue un cas d’école de captation absolu de pouvoir.

L’Arabie Saoudite vit donc ainsi sous un régime de «souveraineté limitée» invariablement sous les fourches caudines des Etats Unis, au-delà d’Israël, conditionnée par les impératifs stratégiques des Etats-Unis, eux-mêmes sur conditionnés par les impératifs hégémoniques israéliens sur la zone. Une triangulation d’une grande perversité.

Le discours disjonctif américain

L’Arabie saoudite est certes l’artisan de deux plans de paix pour le règlement du conflit israélo-arabe, mais les Etats Unis n’ont jamais daigné faire pression sur Israël pour qu’il prenne en compte les offres de paix saoudiennes et sauver ainsi la face du meilleur allié arabe des Etats Unis.

C’est Israël qui a introduit la course aux armements atomiques au Moyen Orient et cela depuis soixante-dix ans et refuse de se soumettre aux contrôles prévus par le Droit International. Mais c’est l’Iran qui constitue l’unique danger nucléaire de la zone. Durant toute cette période, l’Arabie saoudite ne s’est jamais plainte de la possession par Israël de l’arme atomique, ni à chercher à imposer un contrôle international de son usage.

Il en est de même du péril chiite, suscité par les Américains en décapitant les deux adversaires idéologiques -et sunnites- de l’Iran chiite révolutionnaire, les Talibans, en Afghanistan, en 2001, et l’Irak baasiste et laïc de Saddam Hussein, en 2003. L’Iran est ainsi devenue une puissance régionale redoutée non pas tant sous l’effet d’une politique volontariste, mais par effet d’aubaine consécutive à la politique erratique américaine.

Les guerres croisées des États-Unis en Irak pour le compte d’Israël, depuis 2003, la guerre d’Israël au Liban contre le Hezbollah pour le compte de l’Amérique, en 2006, constituent de parfaites illustrations de l’intrication d’Israël dans la stratégie américaine.

L’exemple le plus criant est l’important contrat militaire de l’ordre de 300 milliards de dollars sur dix ans, -conclu en 2017 entre les Etats Unis et le Royaume saoudien destiné à renforcer les capacités balistiques et navales du royaume saoudien face à l’Iran-, tout en «préservant la supériorité militaire israélienne dans la zone» selon un membre de l’administration américaine. Trois cents milliards sans pouvoir parvenir à la parité avec Israël.

Le 2me exemple est la transaction sur la fourniture de réacteurs nucléaires à usage pacifique à l’Arabie saoudite. Promise par Donal Trump au Roi Salman, cette transaction sur 18 réacteurs d’une valeur de 150 milliards de dollars se heurte néanmoins à une vive opposition au Congrès du fait du loby juif américain, quand bien même la dynastie wahahbite a scellé une alliance souterraine avec l’Etat Hébreu face à l’Iran, le voisin millénaire des Arabes.

Le 3 me exemple: Le retrait unilatéral américain de l’accord international sur le nucléaire iranien

Le retrait américain de l’accord international sur le nucléaire iranien ne résulte pas d’une décision stratégique de Donald Trump, mais répond largement à son souci d’honorer d’une créance électorale, de s’acquitter d’une dette en quelque sorte, à l’égard de trois milliardaires américains hyper pro-israéliens: le casinotier Sheldon Adelson, Bernard Marcus, (immobilier) et Paul Singer, fondateur du fonds «Elliot Management Corporation», réputé pour sa rapacité au point d’être qualifié de «fonds vautour». Sheldon Adelson, un proche du premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et ses deux autres collègues ont largement financé la campagne présidentielle de Donald Trump.

Eli Clifton soutient que Donald Trump se heurtait à une vive résistance des personnalités importantes de son proche entourage (le ministre de la Défense, James Mattis, le président de la commission des Affaires étrangères de la chambre des représentants, Ed Ross- Républicain de Californie, de même que les trois principaux alliés européens de l’Amérique (Allemagne, France, Royaume Uni), ainsi que plus des 2/3 des Américains qui ne s’imaginaient pas que le président allait se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien, selon un sondage CNN effectué mardi 8 Mai 2018, le jour même de l’annonce du retrait américain.

Sheldon Adelson et Bernard Marcus sont deux membres de la coalition de Likoud du Parti Républicain, autrement dit des adhérents au parti d’extrême droite israélienne au sein d’un parti américain.

Leur pari sur Donald Trump leur a généré de substantielles retombées: Alliance totale des Etats-Unis avec Israël, transfert de l’ambassade des Etats Unis vers Jérusalem, prélude à l’officialisation de la mort du projet de création de deux Etats: Israël- Palestine.

Dans ce contexte, il est important de rappeler la position du tandem Adelson Marcus sur l’Iran: Le casinotier préconisait un bombardement nucléaire préventif assorti d’une menace de changement de régime à Téhéran, en prélude à des négociations portant sur la renonciation définitive de l’Iran à son programme nucléaire.

Bernard Marcus a, pour sa part, résumé sa position, dans une interview à Fox Business en 2015 par cette formule lapidaire: «l’Iran c’est le diable».

CF Eli Clifton: Follow The Money-Three Billionaires paved way to Trump’s Iran deal withdrawal. Mays 8 2018
https://lobelog.com/three-billionaires-paved-way-for-trumps-iran-deal-withdrawal/

L’argumentaire saoudien et le réseau lobbyiste saoudien aux Etats Unis

L’argument de base: Le golfe Arabo-Persique, dont les sous-sols renferment les deux tiers des réserves pétrolières connues dans le monde, demeure pour longtemps un espace géostratégique de première importance, qu’il convient de garder sous contrôle coûte que coûte.

Tel un leitmotiv, cet argument répété inlassablement par le lobby saoudien a fini par porter, allant droit au cœur des partisans d’une politique étrangère belliqueuse justifiant par là même l’absence de solution de rechange au partenariat entre Washington et Riyad.

Le lobby pro saoudien profite à plein de ce que l’anthropologue Janine Wedel appelle l’avènement du «gouvernement de l’ombre».

Depuis la révolution néolibérale de la décennie 1980-1990, observe-t-elle dans son livre Shadow Elite (Basic Books, 2009), les administrations successives ont méticuleusement privatisé les fonctions du gouvernement en les sous-traitant à des «compagnies, des agences de consultants, des think tanks et d’autres prestataires non gouvernementaux». «Ces intervenants privés, ajoute-t-elle, sont parties prenantes du travail gouvernemental, impliqués dans tous les aspects de la gestion des affaires publiques ainsi que dans la conception, l’adoption et la mise en œuvre des lois.» Alors qu’autrefois la mise en application des décisions fédérales incombait presque exclusivement aux agents de la fonction publique, à présent les trois quarts de ce travail, mesuré en termes d’emplois, sont confiés à des contractants externes.

La pratique était connue depuis longtemps, mais elle s’est propagée comme un feu de brousse depuis les premières années de la présidence de M. William Clinton (1993-2001).

Le Général David Petraeus, Anthony Cordesman, et Brooking Institution parmi les bénéficiaires américains des subventions pétro monarchiques:

Le Centre pour le progrès américain (CAP) a bénéficié d’une subvention d’un million de dollars de la part d’Abou Dhabi. Ce think Thank a été fondé par l’ancien directeur de campagne d’Hillary Clinton, John Podesta, dont le frère Tony est dûment enregistré comme lobbyiste pro saoudien. Les deux frères opèrent désormais en tandem au sein du «Podesta Group».

Le chroniqueur du Washington Post David Ignatius est un bon exemple de courroie de transmission entre groupe d’intérêts et monde des médias. Ses détracteurs l’affublent des sobriquets d’«apologiste en chef de la CIA» et de «majorette de l’Arabie saoudite».

Le Conseil de l’Atlantique (Atlantic  Council) a reçu 2 millions de dollars en 2015 de la part des Émirats arabes unis et de bienfaiteurs proches de Riyad. Le général David H. Petraeus, ancien commandant du Centcom, est membre de son conseil de direction.

Le Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) a eu droit à 600.000 dollars en 2015 de la part de Riyad et d’Abou Dhabi. Anthony Cordesman, une des figures du CSIS est un ténor du réseau pro saoudien à Washington. Ex-conseiller du sénateur républicain John McCain, ce vétéran du Pentagone, du département d’État et du ministère de l’énergie a surtout la réputation d’être un savant sérieux, dont les travaux sur le marché international de l’énergie sont largement respectés. C’est donc une recrue de choix.

A noter que durant la phase finale du projet de loi JASTA, c’est-à-dire après son vote par le Congrès américain et dans l’attente du veto du président Obama, le Centre d’études et des affaires des médias à la Cour royale saoudienne a signé un contrat avec la société «Squire Patton Company Boggs LLP» pour les services juridiques, d’un montant de 100 000 dollars par mois. Ce contrat prévoyait que la société offre ses services juridiques, entre le 19 Septembre 2016 et le 30 Septembre 2017, sans compter «une assistance stratégique et juridique sur la politique étrangère et les questions relatives au gouvernement des Etats Unis

Un constat identique a avait été signé avec «SRG LLC, Relations gouvernementales et lobbying», d’une valeur de 45.000 $ dollars par mois, s’étalant du 18 Septembre au 18 Décembre 2016, en vue de convaincre les responsables de la politique américaine d’apprécier «la valeur du partenariat privé américano-saoudien et l’importance de l’Arabie dans la garantie des intérêts économique et sécuritaire sensibles des États-Unis ».
La liste serait incomplète si l’on oubliait de mentionner la Brookings Institution (21,6 millions de dollars de dons en provenance du Qatar depuis 2011, et au moins 3 millions des Émirats depuis mi-2014), deux des plus belliqueux états de la zone.

Enfin, une mention spéciale pour le New York Times, qui pendant 70 ans à assumer un rôle laudateur en faveur du royaume saoudien, se pâmant avec constance devant toutes les réformes même les plus insignifiantes décidées au compte-goutte par le plus obscurantiste régime de la planète.

René Naba

 

Les prétentions de l’Empire de prendre le contrôle, par tous les moyens, de l’État vénézuélien, sont incontournables. Toutes les options sont sur la table pour que cet objectif  devienne réalité. Si le dialogue  peut conduire à une transition pacifique du socialisme bolivarien au capitalisme impérial, il sera le bienvenu.  Si les sanctions, sous ses diverses formes, en arrivent à soulever le peuple contre son gouvernement, elles seront maintenues jusqu’au changement de régime. Si ces actions ne conduisent pas aux objectifs poursuivis, ce sera alors l’intervention militaire. Il pourra compter sur le groupe de Lima et sur la participation  militaire des gouvernements de Colombie et du Brésil.

D’autre part, le peuple majoritaire du Venezuela accompagne, avec déterminations, son gouvernement légitime, sous la présidence de Nicolas Maduro. L’organisation civique militaire  se veut une réponse percutante à toutes les initiatives interventionnistes de l’Empire. Nicolas Maduro peut compter sur une armée qui a su résister aux offres alléchantes de l’ennemi et sur l’adhésion d’un peuple conscient à la révolution bolivarienne. Il ne saurait être question de se soumettre à l’Empire et encore moins d’en devenir les sujets. La souveraineté et l’indépendance sont du peuple et de personne d’autre. Dans ce combat, ils ne sont pas seuls. La Russie et l’Iran, entre autres, répondent oui à la requête du Président légitime du Venezuela, Nicolas Maduro, de se joindre à cette confrontation qui s’avère inévitable.

La rencontre toute récente (19 mars)  d’Elliot Abrams, représentant de Washington pour le Venezuela,  avec le vice-ministre russe des Affaires extérieures, semble avoir porté certains fruits. C’est à tout le moins ce qu’on peut comprendre de la déclaration d’Elliot Abrams, suite à cette rencontre.

« «Nous ne sommes pas arrivés à une « rencontre des esprits », mais je crois que les négociations ont été positives dans le sens que les deux parties ont désormais une meilleure compréhension de leurs positions respectives», a fait savoir le diplomate. »

https://fr.sputniknews.com/international/201903191040417058-venezuela-russie-etats-unis-positions-negociations/

Le même jour de cette rencontre, la Russie et l’Iran faisaient également une déclaration commune. 

« Dans le document, l’Iran et la Russie se méfient de la légitimité de l’autoproclamation de Juan Guaidó en tant que président en charge et réitèrent leur rejet des agressions constantes menées par le gouvernement américain contre le Venezuela.

Pour sa part, la Russie a annoncé que l’ingérence des États-Unis compliquait encore la situation au Venezuela. Pendant ce temps, l’Iran a manifesté sa coopération militaire et défensive au gouvernement de Nicolás Maduro, si nécessaire. Les deux nations reconnaissent le présidentMaduro comme président légitime, élu par le peuple en mai 2018. » (Traduction Google)

https://www.telesurtv.net/news/iran-rusia-reiteran-apoyo-dialogo-paz-venezuela-20190319-0008.html

À QUOI PEUT-ON S’ATTENDRE?

Tout est évidemment possible avec de tels interlocuteurs (Empire).  Il faut toutefois prendre en compte certains facteurs de nature à ralentir le processus. Tout le monde sait que la position du président Trump est plutôt fragile et que ses ennemis, à l’interne, se font toujours plus menaçants. L’aventure d’une guerre incertaine contre le Venezuela, fortement soutenu entre autres par la Russie, l’Iran et Cuba peut dégénérer en un véritable désastre. Nous n’en sommes plus  à 1962, au temps des missiles à Cuba. Dans le contexte d’aujourd’hui, les États-Unis sont bien mal placés pour se plaindre de cette présence militaire russe et iranienne dans les eaux du Venezuela. Ils sont eux-mêmes les responsables d’un chapelet de missiles entourant la Russie et en Asie, entourant la Chine et la Corée du Nord.

Je me demande si les déclarations récentes du New York Times sur les auteurs qui ont mis à feu les camions d’aide humanitaire et celle de CNN, sur l’homicide ratée du 4 août  visant l’assassinat du président et de ses principaux collaborateurs,  ne sont pas liées à la campagne de dénigrement  et de destitution du président Trump. Ces deux médias, de très grande importance, mettent à nue les mensonges et les ratés de ses interventions au Venezuela.

Chose certaine, le Venezuela ne baissera pas la garde et, en tout temps, il sera là pour contrer tous les coups bas d’interventions de cet Empire aux décisions imprévisibles. Il est toujours possible que Trump, devant les présidentielles de 2020, réajuste son tir et remette à plus tard ses ambitions de conquêtes.

Oscar Fortin

20 mars 2019

 

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La cause ouïghoure, coqueluche de l’Occident

mars 21st, 2019 by Bruno Guigue

Reprise en boucle par les médias occidentaux, l’accusation portée contre la Chine s’est répandue comme une traînée de poudre : dans sa province stratégique du Xinjiang, Pékin aurait « emprisonné un million de Ouïghours dans des camps d’internement et contraint deux millions d’entre eux à suivre des cours de rééducation ». Les Ouïghours sont l’une des 54 nationalités minoritaires reconnues par la Constitution de la République populaire de Chine. Située à l’extrémité occidentale de la Chine, la Région autonome ouïghoure du Xinjiang a une population composite de 24 millions d’habitants, dont 46% de Ouïghours et 39% de Han.

Si les allégations de la presse occidentale sont exactes, la population ouïghoure, qui est estimée à 10 millions de personnes, aurait donc subi un monstrueux coup de filet ! Pour interner un million de personnes, en effet, il faudrait capturer pratiquement la moitié de la population adulte masculine de cette malheureuse ethnie. Curieusement, aucun témoignage ne mentionne cette disparition massive dans les rues d’Urumqi, de Kashgar et des autres cités de la province autonome.

Outre cette invraisemblance factuelle, le procès fait à Pékin souffre aussi de la partialité et de l’unilatéralité des sources d’information mentionnées. Croire sur parole le discours officiel est complètement naïf, mais tomber dans l’excès inverse en épousant aveuglément le discours oppositionnel ne vaut guère mieux. Or la narration médiatique relative à cette incarcération massive s’appuie sur un rapport rédigé par une organisation composée d’opposants au gouvernement chinois et financée par le gouvernement des Etats-Unis.1

Cette organisation qui a pignon sur rue à Washington, le « réseau des défenseurs chinois des droits de l’homme » (CHRD en anglais), est présidée par une fervente admiratrice du dissident chinois nobélisé Liu Xiaobo. Condamné à 11 ans de prison en 2009, puis décédé d’un cancer en 2017 peu après sa libération, ce dernier approuvait avec enthousiasme les interventions militaires US et appelait à la colonisation de son pays par les puissances occidentales afin de le « civiliser ». C’est ce réseau d’opposants en exil aux USA qui orchestre la campagne médiatique contre Pékin en présentant sa politique au Xinjiang comme une entreprise d’asservissement totalitaire.

Comme par hasard, l’une des principales sources citées dans le « rapport accablant » du CHRD n’est autre que « Radio Free Asia », une station de radio gérée par le « Broadcasting Board of Governors », agence fédérale supervisée par le Département d’État et destinée à promouvoir les objectifs de la politique étrangère des Etats-Unis. Une autre source importante est le Congrès mondial des Ouïghours. Organisation séparatiste créée en 2004, elle est considérée comme terroriste par les autorités chinoises qui l’accusent d’être à l’origine des sanglantes émeutes d’Urumqi qui, en 2009, donnèrent le signal d’une déstabilisation de toute la région. Installée aux USA, sa présidente avait obtenu le soutien officiel de George W. Bush en 2007.

Naturellement, cette organisation est financée par le « National Endowment of democracy », une émanation du Congrès des Etats-Unis qui constitue la cheville ouvrière des politiques de « changement de régime » et sur laquelle plane le soupçon d’une proximité douteuse avec la CIA. Comme le notent Ben Norton et Ajit Singh dans une étude récente, « la dépendance quasi totale à l’égard de sources liées à Washington est caractéristique des reportages occidentaux sur les musulmans ouïghours en Chine, comme sur ce pays en général, et ils présentent régulièrement des allégations sensationnelles ».2

En publiant un « Livre Blanc sur la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme et la protection des droits humains au Xinjiang », le 18 mars 2019, le gouvernement chinois a répondu à ces allégations.3 Peu commenté en Occident – et pour cause – , le terrorisme djihadiste qui a frappé durement la Chine dans les années 2009-2014 a créé dans ce pays un véritable traumatisme. Depuis le carnage qui fit 197 morts à Urumqi en mai 2009, les attentats commis par les séparatistes se sont multipliés : Kashgar en mai 2011 (15 morts), Hotan en juillet 2011 (4 morts), Pékin (sur la place Tiananmen) en octobre 2013 (5 morts), Kunming en mars 2014 (31 morts), puis à nouveau Urumqi en avril (3 morts) et en mai 2014 (39 morts). Encore cette énumération ne mentionne-t-elle que les attentats les plus sanglants sur le sol chinois.

« Les Ouïghours de l’Etat islamique mettent en scène des enfants soldats dans leurs vidéos de propagande ». ©DR Source : France Soir

Confrontées à un phénomène semblable à la terreur importée en Syrie, les autorités chinoises ont réagi sans mollir. Dans le « Livre blanc » précité, Pékin affirme que, depuis 2014, 2 955 terroristes ont été arrêtés, 2 052 explosifs saisis et 30 645 personnes sanctionnées pour 4 858 activités religieuses illégales. Le document indique aussi que 345 229 copies de textes religieux illégaux ont été confisquées. Contrairement à ce qu’affirme la presse occidentale, il ne s’agit pas du Coran, mais d’une littérature wahabite takfiriste qui transpire la haine à l’égard des musulmans n’appartenant pas à cette obédience sectaire. Dans un pays où le pouvoir politique est jugé sur sa capacité à garantir la stabilité, il va de soi que toute tentative de déstabilisation – a fortiori par le terrorisme aveugle – est combattue sans pitié.

On peut juger cette politique particulièrement répressive. Elle l’est, et les autorités chinoises ne s’en cachent pas. Un cap a sans doute été franchi lorsque la terreur s’est répandue hors de la province du Xinjiang. La perspective d’un embrasement général du pays a fait planer le spectre d’un scénario à la syrienne. Cette crainte était d’autant plus justifiée que la principale organisation séparatiste ouïghoure, le parti islamique du Turkestan, sévit en Chine comme en Syrie, où les Ouïghours (qui seraient encore au nombre de 15 000, familles incluses) sont particulièrement appréciés au sein de la mouvance djihadiste.4 Mais les défenseurs de cette noble cause oublient généralement de mentionner que cette organisation – qu’ils considèrent sans doute comme une association philanthropique – est la branche locale d’Al-Qaida.

Frappant à l’aveugle, ses attentats ont fait des centaines de morts. Devant cette vague de violence, que devait faire le gouvernement chinois ? Contrairement aux Etats occidentaux, la Chine n’expédie pas ses extrémistes chez les autres. Elle combat vraiment le terrorisme, elle ne fait pas semblant. La surveillance est généralisée, la répression sévère, la prévention systématique. La presse occidentale fustige les camps de rééducation chinois, mais elle observe un mutisme complice lorsque la CIA offre des camps d’entraînement aux terroristes. En Chine, la répression des activités extrémistes est massivement approuvée par la population, et cette politique a eu pour résultat de faire cesser la violence armée.

Mais les adversaires irréductibles du régime chinois font feu de tout bois : ils vont désormais jusqu’à incriminer son hostilité présumée à l’égard de l’islam. Or cette accusation repose sur du vent. La presse occidentale a cité des internautes qui auraient stigmatisé la religion musulmane et dénoncé la pratique du « halal ». Dans un pays où 300 millions de personnes tiennent un blog sur Internet et où la liberté de parole est beaucoup plus grande qu’on ne croit, des propos de toute nature sont tenus. Malheureusement, il y a des islamophobes en Chine comme ailleurs. Mais contrairement aux affirmations de la presse occidentale, le gouvernement chinois, de son côté, n’a jamais lancé de campagne contre la religion musulmane.

Car l’islam fait partie des cinq religions officiellement reconnues par la République populaire de Chine au côté du taoïsme, du bouddhisme, du catholicisme et du protestantisme. Les mosquées sont innombrables (35 000), et elles constituent parfois des joyaux du patrimoine national attestant l’ancienneté de la présence musulmane. Aucune discrimination légale ne frappe les musulmans, qui sont libres de pratiquer leur religion dans le respect des lois. Comme les Ouïghours, les musulmans Hui disposent également d’une région autonome, le Ningxia. Les femmes Hui portent souvent le hijab, et rien ne l’interdit. On trouve des restaurants halal à peu près partout, notamment dans les gares et les aéroports. A l’intérieur de la Chine, l’islam fait partie du paysage. A l’extérieur de ses frontières, la RPC coopère avec des dizaines de pays musulmans dans le cadre de la Nouvelle Route de la Soie.

Ceux qui soutiennent les séparatistes ouïghours et accusent Pékin de persécuter les musulmans commettent une triple erreur. Ils calomnient un pays qui n’a aucun contentieux avec le monde musulman et dont la politique a été saluée par l’Organisation de la Conférence islamique. Ils prennent parti pour des extrémistes affiliés à une organisation criminelle (Al-Qaida) dont la majorité des victimes sont de confession musulmane. Enfin, ils croient défendre les musulmans alors qu’ils servent les intérêts de Washington, qui est leur pire ennemi. Le problème du Xinjiang, ce n’est pas l’islam et sa prétendue persécution par les autorités chinoises. L’origine des troubles qui agitent cette partie du territoire chinois n’est pas religieuse, mais géopolitique : c’est l’instrumentalisation du religieux par des organisations sectaires qui doivent l’essentiel de leur nocivité à des complicités étrangères.

Le problème du Xinjiang n’est pas davantage celui de la nation ouïghoure, intégrée dans la République populaire de Chine depuis sa fondation en 1949. Le Xinjiang faisait déjà partie de l’empire des Qing (1644-1912) et la présence chinoise y remonte à la dynastie Tang, il y a 1300 ans. Qu’il y ait des difficultés de cohabitation entre les uns et les autres n’est guère étonnant, s’agissant d’un problème auquel n’échappe aucun pays au monde. L’accroissement du peuplement han a sans doute nourri un sentiment de frustration chez certains Ouïghours. Mais cette situation paraît difficilement réversible. Le brassage multi-séculaire des populations et la fixation progressive des frontières ont uni une multitude de nationalités au sein de la République populaire de Chine. Elle a hérité de son prédécesseur impérial sino-mandchou l’essentiel de son assise territoriale. Il se trouve que les Ouïghours en font partie, et cet héritage historique ne saurait être balayé d’un trait de plume.

Les détracteurs de la Chine affirment que les Han (90% de la population) sont dominateurs. Mais s’ils avaient voulu dominer les nationalités minoritaires, Pékin ne les aurait pas exemptées de la politique de l’enfant unique infligée à l’ethnie han de 1978 à 2015. Ce traitement de faveur a stimulé l’essor démographique des minorités, et notamment des Ouïghours. Utiliser le langage servant à décoder les pratiques coloniales pour expliquer la situation des nationalités en Chine n’a aucun sens. Depuis Mao, aucune discrimination ne frappe les minorités, bien au contraire. Malgré son éloignement et son aridité, le Xinjiang se développe au bénéfice d’une population multiethnique. Encouragé par des opposants inféodés à l’étranger et des droits-de-l’hommistes sans cervelle, le séparatisme ouïghour est une folie que vient redoubler une autre folie : celle du djihadisme planétaire parrainé par Washington depuis quarante ans.

De même que le gouvernement des Etats-Unis a poussé les feux du djihad contre l’Union soviétique en Afghanistan, puis armé ses « proxys » du Moyen-Orient contre la Syrie, il instrumentalise aujourd’hui la cause ouïghoure pour déstabiliser la Chine sur son flanc occidental. Ce n’est pas un hasard si le Département d’État a annoncé en septembre 2018 qu’il étudiait la possibilité de sanctions contre la Chine pour sa politique au Xinjiang. Comme d’habitude, le discours humanitaire des chancelleries occidentales et de leurs ONG satellisées est la face émergée de l’action clandestine visant à organiser la subversion par la terreur. Loi du genre, les pays visés sont toujours ceux dont l’indépendance et le dynamisme constituent une menace systémique pour l’hégémonie occidentale.

Carte simplifiée de la « nation du Turkestan ». Dzungaria en rouge, Altishahr en bleu. Source : Wikipédia

La propagande djihadiste ouïghoure, aujourd’hui plus que jamais, cible la République populaire de Chine. Pour ses prédicateurs, la « nation du Turkestan » (c’est sous ce nom qu’ils désignent la majeure partie de l’Asie centrale turcophone) subit une oppression insupportable sur son versant oriental (Chine) comme sur son versant occidental (Russie). Lançant un appel au boycott de la Chine, ils fustigent les sévices historiques qui auraient été infligés par les Chinois aux Ouïghours, mentionnant des choses aussi absurdes que « le viol des musulmanes » ou « l’obligation de manger du porc ». Désenchanté par la tournure des événements au Proche-Orient, poussé par les services de renseignements turcs, le mouvement djihadiste du Turkestan a réorienté son combat : désormais, il entend frapper à nouveau l’ennemi proche (la Chine) plutôt que l’ennemi lointain (la Syrie).5

Il faudrait être naïf pour croire que la coïncidence entre cette propagande djihadiste, la fébrilité des opposants chinois et la stigmatisation de la Chine par les médias occidentaux est fortuite. Si l’on fait pleurer dans les chaumières sur le peuple ouïghour opprimé, ce n’est pas pour rien. Le moment est bien choisi. Alliée de la Russie, la Chine a fourni une aide précieuse à la Syrie dans son combat contre les mercenaires de l’Occident. Marginalisant les USA, elle participe activement à la reconstruction du pays. En Amérique du sud, elle soutient le Venezuela en lui achetant son pétrole, mettant en échec l’embargo occidental. La guerre commerciale avec Pékin est au mieux un jeu à somme nulle, et Washington en perçoit les limites. La réalité, c’est que la Chine est la puissance montante, les USA la puissance déclinante. Lorsque les deux courbes se croisent, tout est bon, du point de vue des perdants, pour tenter d’enrayer le cours des choses.

Bruno Guigue

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Libye, de l’opulence à la plus grande pauvreté

mars 20th, 2019 by Hedelberto López Blanch

La Libye s’est complètement transformée, mais pas en bien, plutôt en mal, parce que ses citoyens, qui, avant l’invasion et la destruction par les pays occidentaux de cette nation arabe, avaient un niveau de vie élevé, sont maintenant en proie à des guerres entre factions, endurent la pauvreté et la négligence économique et sociale.

En 1990 et 1991, j’ai eu l’occasion de visiter cette nation arabe, où j’ai trouvé un niveau de vie élevé, la tranquillité et la sécurité pour ses habitants, ainsi qu’un vaste système d’attention publique gratuite qui inclut la santé et l’éducation pour ses habitants.

Pour mieux comprendre les changements subis par cette nation, il est nécessaire de se rappeler un peu de son histoire depuis qu’elle est devenue une colonie italienne en 1912 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, quand elle a été occupée par la France et le Royaume-Uni. En 1949, l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté une résolution en faveur de l’indépendance.

Le roi Idris, qui soutenait les intérêts économiques et militaires anglo-saxons, proclama l’indépendance de certaines provinces nouvellement unies en décembre 1951.

pluson-jeune-mouammar-kadhafi-1973Avant 1969, lorsque Mohammar Kadhafi a renversé la monarchie du roi Idris, la Libye n’avait pas d’écoles et comptait 16 diplômés universitaires. Malgré la découverte en 1963-1964 d’importants gisements de pétrole et de gaz, cette richesse économique n’a pas profité à la population.

Avec ses succès et ses échecs, Kadhafi a conduit la Libye à être considérée comme un exemple de développement pour l’Afrique et le monde arabe. Il a habilement unifié tous les groupes ethniques en une seule nation et institutionnalisé le pays.

Il a procédé à une réforme agraire, et lorsqu’une personne possédait des terres et les utilisait pour des travaux agricoles, le gouvernement lui accordait un crédit et un apport en machines, semences et conseils de l’État.

Il a également promu un système de sécurité sociale, d’assistance médicale gratuite et de participation des travailleurs aux bénéfices des entreprises publiques.

Grâce à ses politiques sociales, l’analphabétisme, qui atteignait auparavant 95 % de la population, a été réduit à 17 %, chiffre jamais atteint auparavant par les pays de ce continent.

Le logement était considéré comme un droit de l’homme et les jeunes mariés recevaient une prime de 50 000 dollars pour en acquérir un, tandis que l’électricité et l’eau parvenaient gratuitement à tous les ménages.

Pour 1970 et 1971, le gouvernement nationalisa l’industrie pétrolière et retira les bases étrangères de son territoire, ce qui n’était pas bien vu par la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne, dans leur empressement à contrôler le pays stratégique qui, avec l’Égypte, leur donnait une sécurité maritime totale sur le canal de Suez et la mer Méditerranée, routes fondamentales pour le transfert du pétrole brut de la mer Rouge.

En 1992, Kadhafi a commencé à changer de politique et à ouvrir à nouveau les champs pétroliers aux transnationales, et depuis lors, il est devenu un « allié gênant » pour les pays capitalistes.

Pour sa survie (et son assassinat subséquent), cela n’a servi à rien qu’il ait été reçu avec tous les honneurs dans différents pays européens ; que le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi, avec qui il partageait les affaires pétrolières, l’ait chargé d’être « la police de la Méditerranée« , ni qu’il ait donné 50 millions au Président français Sarkozy pour sa campagne en échange de sa réhabilitation devant la communauté internationale. En 2006, Washington a retiré la Libye de la liste des pays terroristes.

Bien que cette nation arabe ne soit pas la clé de la production mondiale de pétrole brut, puisqu’elle n’extrait que 1,5 million de barils par jour, les transnationales étaient désireuses d’obtenir de meilleurs dividendes dans leurs accords.

Une autre question pertinente, presque non mentionnée par les grands médias parce que les intérêts monopolistiques veulent les garder semi-cachés, est celle des énormes gisements d’eau potable qu’elle possède, estimés à 35 000 kilomètres cubes (la capacité du Nil en 300 ans) situés dans la partie sud de son territoire et que le pays arabe a commencé à utiliser dès 1984 quand il a commencé la construction du fameux Fleuve de la Vie, qui transporte l’eau par de vastes canaux souterrains vers les principales villes du Nord.

46705-silvio-berlusconi-accueillant-mouammar-kadhafi-le-10-juin-2009-a-romeL’activité de vente de ce précieux liquide dans le monde a augmenté, principalement grâce à l’appui de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire International et de l’Organisation Mondiale du Commerce, qui ont encouragé sa privatisation et ses exportations en faveur des sociétés transnationales qui gagnent des milliards de dollars.

Les analystes insistent pour affirmer que dans les années présentes et futures, la majorité des guerres seront pour le contrôle de ce liquide essentiel à l’existence humaine.

En outre, le dirigeant libyen a proposé de ne pas effectuer de transactions commerciales en dollars ou en euros, d’utiliser les dinars or dans le commerce international et de créer un seul État africain avec un espace économique commun, ce qui a suscité une réaction violente des États-Unis et de l’Union Européenne.

Depuis le renversement et l’assassinat de Kadhafi, la Libye est devenue un véritable chaos avec deux parlements rivaux et trois gouvernements différents. Ce pays a été utilisé par les mafias pour le transit et le commerce des réfugiés d’Afrique vers le continent européen.

Selon le Middle East Monitor, plus de 5 600 personnes sont mortes, près d’un million ont fui le pays, leurs exportations de pétrole brut ont chuté de 90% et les pertes de leur PIB s’élèvent à environ 200 milliards d’euros sur les huit dernières années.

Ce qui était le pays le plus développé et le plus prospère du continent africain, avec plus de 2 000 000 d’immigrants intégrés dans son appareil de production et une grande richesse pétrolière, est aujourd’hui le centre mondial de l’esclavage, de la torture, du viol et du terrorisme, tous dus à la politique occidentale et surtout à celle des États-Unis dans une tentative de contrôler le monde de manière unilatérale.

Hedelberto López Blanch

 

Article original en espagnol : Libia, de la opulencia a la mayor pobreza

Traduit par Pascal, revu par Martha pour Réseau International

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Assassinats au Rwanda; Prix Victoire Ingabire

mars 20th, 2019 by Placide Kayumba

Le 9 mars dernier s’est tenu à Bruxelles la grande cérémonie de remise du Prix Victoire Ingabire Umuhoza pour la démocratie et la paix. Or l’événement, qui a réuni plus de 300 personnes venues de nombreux pays, a été attristé par l’assassinat pendant la nuit de M. Anselme Mutuyimana, principal assistant de Victoire Ingabire Umuhoza.

Placide Kayumba, porte-parole du FDU-Inkingi à Bruxelles, décrit le parcours de ce militant pour la paix et la démocratie ainsi que les circonstances de son assassinat où tout indique que le régime de Kagame qui dirige le pays en porte l’entière responsabilité. L’objectif, semer la peur et intimider les Rwandais qui souhaitent une transformation pacifique de ce pays vers la démocratie. Monsieur Kayumba énumère aussi les nombreux cas de meurtre politiques qui ont précédé celui du 8 mars dernier.

Aussi, Placide Kayumba décrit la soirée de remise du prix, organisé de main de maître par le Réseau international des femmes pour la démocratie et la paix et explique le travail que fait chacun des autres lauréats, Jean-Pierre Mbelu, prêtre congolais habitant la Belgique et Abraham Mutai, un jeune Kenyan de Nairobi qui se bat pour la justice sociale.

Cette entrevue se termine avec une reprise du discours de réception du prix de Robin Philpot, 3e lauréat et animateur de l’émission le Pied à Papineau.

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Comment le petit peuple, les gens modestes, et les femmes en particulier des quartiers populaires (que les grands médias s’évertuent à invisibiliser) vivent-ils la guerre économique décrétée par les Etats-Unis, organisent-ils la résistance et renforcent la démocratie à la base… ? De cela, l’information calibrée ne parle jamais. Ce film surgit d’un an de vie commune avec les habitants du barrio Bello Monte, Aragua et fait le point sur la révolution bolivarienne en essayant de faire « politiquement du cinéma plutôt que du cinéma politique« . Pour le spécialiste de ce continent qu’est le journaliste français Maurice Lemoine, «c’est le film le plus juste que j’ai vu sur l’Amérique Latine».

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Les populations de 13 villages situés à l’Ouest de la Guinée ont déposé une plainte contre la Société financière internationale (SFI), institution du groupe de la Banque mondiale chargée du secteur privé, pour avoir financé le développement d’une mine de bauxite nocive. Les 540 plaignants affirment que la Compagnie des bauxites de Guinée, qui pilote le projet financé par la Société financière internationale (SFI), a confisqué leurs terres, détruit leurs moyens de subsistance et l’environnement local ainsi que les ressources hydriques.

La plainte soumise au conseiller-médiateur (CAO), organisme de contrôle indépendant de la SFI, relève les violations systématiques des normes environnementales et sociales de la SFI et du droit international. La majorité des banques de développement du monde ont instauré des mécanismes de recours pour veiller au respect de leurs politiques environnementales et sociales et répondre aux plaintes formulées par les communautés concernées.

Les plaignants demandent une réparation complète et équitable des préjudices subis ainsi qu’une protection contre de nouvelles violations. Ils ont demandé au conseiller-médiateur (CAO) de faciliter la médiation avec la SFI et la Compagnie des bauxites de Guinée pour examiner et traiter leurs griefs.

« Les terres sur lesquelles nous vivons et cultivons depuis des siècles ont été presque totalement consommées par la CBG », a déclaré Mamadou Lamarana Bah. « Sans terres, forêts, ni eau, comment allons-nous survivre ? »

Les villageois ont perdu leurs terres agricoles, ce qui a conduit à une baisse drastique de leurs revenus et à la détérioration de leur qualité de vie, à la restriction de leur accès aux ressources en eau, qui ont été polluées, entre autres impacts négatifs. La situation est particulièrement précaire pour les populations du village Hamdallaye, lesquelles ont été informées par la société de leur imminente réinstallation, sans leur consentement, sur une ancienne zone minière n’ayant pas été convenablement réhabilitée.

Les plaignants sont représentés par deux organisations guinéennes, le Centre du Commerce International pour le Développement (CECIDE) et l’Association pour le développement rural et l’entraide mutuelle en Guinée (ADREMGUI) ainsi que par l’organisation américaine de défense des droits de l’Homme, Inclusive Development International (IDI).

La Guinée dispose des plus grandes réserves de bauxite au monde. Les sociétés minières ont envahi le pays ces dernières années, en dépit des graves inquiétudes concernant les impacts sociaux et environnementaux qui ont déjà été soulevées par Human Rights Watch et d’autres organisations. La bauxite extraite par Compagnie des bauxites de Guinée est transformée en aluminium, lequel est utilisé par les principales marques grand public pour la fabrication de véhicules, de cannettes de boisson et de biens technologiques. Cependant, peu de Guinéens bénéficient de ces projets d’extraction de bauxite.

« Les sociétés minières internationales tirent une fortune des riches ressources minérales de la Guinée, tandis que les communautés touchées par l’exploitation minière sont littéralement laissées sans rien, a déclaré Mathilde Chiffert, coordinatrice juridique pour l’Afrique de l’Ouest chez Inclusive Development International. « Il est grand temps que les communautés locales tirent une part équitable des avantages de l’extraction minière. »

La Compagnie des bauxites de Guinée est une société conjointe détenue par le gouvernement guinéen, la Compagnie d’aluminium des États-Unis (ALCOA), le géant minier anglo-australien, Rio Tinto, ainsi que Dadco enregistré à Guernesey. En 2016, en plus des 150 millions de dollars octroyés par la Société des États-Unis pour les investissements privés à l’étranger (OPIC), la SFI a accordé un prêt de 200 millions de dollars à cette entreprise conjointe pour que cette dernière étende ses opérations minières.

Par ailleurs, 473 millions de dollars lui ont été attribués par un consortium de banques commerciales, dont : Société Générale France, BNP Paribas, Crédit Agricole, Natixis, filiale allemande de la banque ING, ING-DiBa et deux banques guinéennes, la Société Générale de Banques en Guinée et la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie de la Guinée, membre du groupe BNP Paribas.

Le gouvernement allemand a assuré une partie du financement à travers son Programme de garantie des prêts non liés.

Depuis le début de ses opérations en 1973, la Compagnie des bauxites de Guinée a exploité de vastes superficies de terres dans les environs de la ville de Sangaredi située dans la région de Boké. Pendant des années, cette entreprise a privé les communautés locales de leurs droits fonciers, créant ainsi d’immenses frustrations au sein de ces populations.

« Nous attendons avec impatience de nous engager dans un processus de dialogue équitable avec la CBG, facilité par un médiateur indépendant, afin de résoudre leurs griefs datant de longue date », a déclaré Saa Pascal Tenguiano, Directeur exécutif du CECIDE.


Cette plainte est disponible
 :
- En français : https://www.inclusivedevelopment.net/wp-content/uploads/2019/02/CBG_CAO_Request-for-Mediation_FINAL-FRE.pdf
- En anglais : https://www.inclusivedevelopment.net/wp-content/uploads/2019/02/CBG_CAO-Request-for-Mediation_FINAL-EN.pdf


Pour en savoir plus, consultez
 :
« Qu’est-ce que nous y gagnons ? » Impact de l’extraction de la bauxite en Guinée selon Human Rights Watch, Human Rights Watch, octobre 2018

 

Source : Afrique en Lutte via CADTM

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Les faucons de Trump risqueront-ils Israël?

mars 19th, 2019 by Alastair Crooke

Paradoxales incertitudes iraniennes

En ce moment, si vous envisagez une guerre américaniste, – puisqu’enfin, l’américanisme doit être toujours gros d’au moins une guerre possible/probable, – ce serait plutôt avec l’Iran. Le casting est excellent : Trump, Bolton et Pompeo sont des Iran-haters pur sucre et certifiés, tandis que les obstacles à une telle entreprise, notamment les trois généraux (McMaster, Kelly et Mattis) en poste au gouvernement l’année dernière et qui étaient tous trois très prudents vis-à-vis de l’Iran, sont partis. L’hostilité à l’Iran permet en plus de faire de l’European-bashing et d’interférer en toute exterrorialité et en pratiquant le sport national des sanctions sur les affaires, le commerce et la finance de ces chers “alliés” aussi bien que contre l’Iran… Mais justement, au-delà ?

Au-delà, il y a Israël, en pleine campagne électorale, avec un Netanyahou dont on connaît la rhétorique guerrière contre l’Iran. Mais la stratégie de Netanyahou a été depuis plusieurs années, de concert avec celle de MbS d’Arabie Saoudite, d’appeler à la guerre contre l’Iran à condition que ce soit essentiellement les USA qui la fassent pour lui (pour eux). Ce que montre le texte d’Alastair Crooke ci-dessous, c’est que l’extrême complexité de la situation au Moyen-Orient, comme à l’habitude d’ailleurs, place les USA plutôt en position de manipulateurs qu’en position de manipulés à cet égard, et peut-être d’ailleurs sans intention, par simple nature. L’administration Trump agit surtout par les mesures que Trump affectionne par-dessus tout, qui sont des mesures de rackets, de pressions commerciales de de communication, d’influence, d’agitation et de subversion, et finalement dans des conditions telles que, par le jeu des dispositifs de dissuasion antagonistes sur le théâtre qui nous intéresse, ce serait Israël d’abord qui pourrait se trouver engagé directement dans une guerre régionale de grande dimension, avec confrontation avec l’Iran

D’où la question de Crooke : est-ce que les USA ne vont pas pousser Israël vers un conflit qu’Israël aimerait bien voir les USA prendre à leur compte ? Israël n’a jamais eu de “meilleur allié” (de meilleure “marionnette”, diront certains) à la Maison-Blanche que Trump. Mais Trump est un “allié-marionnette” qui réserve des surprises, très manipulable mais dont la manipulation peut provoquer cez lui des attitudes inattendues, y compris lorsqu’il soutient à fond un de ses propres “alliés”, et même dira-t-on, surtout lorsqu’il le soutient à fond…

Ci-dessous, une traduction-adaptation du texte d’Alistair Crooke mis en ligne le 11 mars sur Strategic-Culture.org.

dde.org (dedefensa.org)


C’était la onzième et peut-être la plus importante rencontre entre le président Poutine et le premier ministre Netanyahou le 27 février, écrit le journaliste bien informé, Elijah Magnier : “Le visiteur israélien a clairement entendu de son hôte l’affirmation que Moscou n’a pas assez d’influence pour convaincre l’Iran de quitter la Syrie, – ou d’arrêter le flux d’armes vers Damas … Moscou [a également] informé Tel Aviv de la détermination de Damas à répondre à tout bombardement futur ; et que la Russie ne se considère pas concernée [c’est-à-dire une partie au conflit]”.

Cette dernière phrase nécessite un peu plus d’explication. Ce qui se passe ici, c’est la montée en puissance de la prochaine phase de la stratégie sino-russe visant à contenir la politique américaine d’entretien du désordre hybride et de soutien aux diverses guerres en cours dans la région. Ni la Chine ni la Russie ne veulent entrer en guerre avec les États-Unis. Le président Poutine a averti à plusieurs reprises que si la Russie devait être poussée au bord du gouffre, elle n’aurait d’autre choix que de réagir, – et que les conséquences possibles vont au-delà de l’imaginable.

Les récentes guerres américaines ont clairement démontré leurs limites politiques. Oui, ils sont militairement très destructeurs, mais ils n’ont pas produit les dividendes politiques escomptés ; ou plutôt, les dividendes politiques se sont manifestés sous la forme d’une érosion de la crédibilité des USA et de leur attrait comme “modèle” à imiter pour le monde. Nulle part dans la région il n’y a de de “nouveau” Moyen-Orient qui émerge, qui suive le modèle américain.

Les responsables de la politique étrangère de Trump ne sont pas des interventionnistes “libéraux” à l’ancienne, qui cherchent à liquider les monstres tyranniques de la région pour les remplacer par les valeurs américaines. Cette aile du néo-conservatisme américain s’est assimilée, – sans véritable surprise, – au parti démocrate et aux dirigeants européens tentés par les aventures d’une prétendue “vertu morale”, en opposition à l’approche transactionnelle et supposée amorale de Trump.

Bolton & Cie, cependant, sont de l’école néoconservatrice qui croit que si vous avez le pouvoir, vous devez l’utiliser avec toute sa force ou vous le perdez. Ils ne se préoccupent tout simplement pas de toutes ces folles promesses de démocratie ou de liberté (comme Carl Schmitt, ils considèrent l’éthique comme affaire de théologiens et nullement comme leur préoccupation). Si les États-Unis ne peuvent plus imposer directement certains résultats politiques (selon leurs conditions) au monde comme ils le faisaient auparavant, alors la priorité doit être d’utiliser tous les moyens pour s’assurer qu’aucun rival politique ne puisse émerger pour défier les États-Unis. En d’autres termes, l’instabilité et les conflits ouverts et en cours deviennent des outils puissants pour empêcher les blocs de pouvoir rivaux d’accumuler un poids et une position politiques plus larges. (En d’autres termes, si vous ne pouvez pas “faire” de la politique, vous perturbez et empêcher les autres d’en faire.)

Quelle place cette situation a-t-elle dans le message du Président Poutine à Netanyahou ? Tout d’abord, cette rencontre a eu lieu presque immédiatement après la visite du président Assad à Téhéran. Ce dernier sommet a eu lieu dans le contexte des pressions croissantes exercées sur la Syrie (par les États-Unis et l’UE) pour tenter de réduire le succès syrien dans la libération de ses terres (évidemment avec l’aide de ses amis). L’objectif explicite étant de tenir la future reconstruction syrienne en otage de la reconfiguration politique de la Syrie selon les conceptions de l’Amérique et de l’Europe.

Le sommet précédent de Téhéran (avec Assad) s’est lui aussi déroulé dans le contexte d’une possibilité affichée d’une confrontation avec l’Iran à Washington. Il tout d’abord adopté le principe selon lequel l’Iran constitue la profondeur stratégique de la Syrie et, parallèlement, la Syrie constitue la profondeur stratégique de l’Iran.

Le deuxième point à l’ordre du jour était de savoir comment mettre en place une structure de dissuasion pour la partie nord du Moyen-Orient qui pourrait contenir l’impulsion de M. Bolton de perturber cette sous-région, et tenter de l’affaiblir. Et en l’affaiblissant, affaiblir les risques pour la Russie et la Chine (cette dernière ayant un enjeu majeur en termes de sécurité d’approvisionnement énergétique et de viabilité d’une sphère commerciale asiatique).

Le Président Poutine a simplement exposé à Netanyahou les principes du prétendu plan d’endiguement établi à Téhéran ; mais les Israéliens avaient déjà compris le message par d’autres sources (de Sayyed Nasrallah et des fuites de Damas). L’essentiel, c’est que la Russie a l’intention de se tenir au-dessus de toute confrontation militaire régionale (c’est-à-dire d’essayer de ne pas être impliquée dans le conflit éventuel). Moscou veut garder les mains libres et le contact avec toutes les parties. Le système de défense aérienne S-300 installé en Syrie est opérationnel mais Moscou, semble-t-il, préservera une ambiguïté constructive quant aux règles d’engagement de ces missiles très sophistiqués.

Dans le même temps, la Syrie et l’Iran ont clairement indiqué qu’il y aura désormais une réponse à toute attaque aérienne israélienne contre des défenses syriennes “stratégiques” importantes. Au départ, il semble que la Syrie réagirait probablement en lançant ses missiles dans le Golan occupé ; mais si Israël intensifie son attaque, ces missiles seraient ciblés sur des centres stratégiques dans la profondeur d’Israël. Enfin, si Israël montait encore un degré dans l’escalade, il serait alors possible d’activer également les missiles iraniens et ceux du Hezbollah.

Pour confirmer ce schéma, l’Iran confirme que ses conseillers se trouvent effectivement partout en Syrie où se trouvent les forces syriennes. Autrement dit, toute attaque visant les forces syriennes sera automatiquement interprétée par l’Iran comme une attaque contre le personnel iranien.

Ce qui se met en place ici, c’est une dissuasion complexe et différenciée, avec une “ambivalence constructive” à tous les niveaux. D’une part, la Russie entretient une complète ambiguïté sur les règles d’engagement de ses S-300 en Syrie. A un autre niveau, la Syrie maintient une certaine ambiguïté indéfinie (en fonction du degré d’escalade israélienne) sur l’emplacement géographique de sa réponse (Golan seulement ; ou l’étendue d’Israël) ; et l’Iran et le Hezbollah maintiennent également une ambiguïté sur leur engagement possible (en disant que leurs conseillers peuvent être partout en Syrie).

Netanyahou est revenu de sa rencontre avec Poutine en disant que la politique d’Israël d’attaquer les forces iraniennes en Syrie était inchangée (il le dit à chaque fois), – bien que Poutine ait dit clairement que la Russie n’est pas en mesure d’imposer un retrait iranien au gouvernement syrien. La Syrie avait, – et a toujours, – le droit de choisir ses propres partenaires stratégiques. Le Premier ministre israélien a cependant été formellement prévenu que de telles attaques pourraient entraîner une réaction qui affecterait gravement l’opinion publique israélienne (c’est-à-dire des missiles dirigés directement sur Israël). Il sait aussi que les systèmes de défense aérienne syriens existants (même sans le soutien du S-300) fonctionnent avec une très grande efficacité (quoique les commentateurs et les militaires israéliens puissent prétendre). Netanyahou sait que les défenses antimissiles israéliennes “Iron Dome” et “David’s Sling” sont considérées comme d’une faible efficacité par l’armée américaine.

Netanyahou risquera-t-il de lancer de nouvelles attaques importantes contre l’infrastructure stratégique syrienne ? Elijah Magnier cite des sources bien informées : “Tout dépend de la direction que prendront les élections israéliennes. Si le Premier ministre Benjamin Netanyahou estime que ses chances de remporter un second mandat sont suffisamment élevées, il ne s’aventurera pas de sitôt dans une nouvelle confrontation avec la Syrie et ses alliés. La date de la prochaine bataille sera reportée. Mais, s’il croit qu’il perdra l’élection, alors la possibilité qu’il engage une bataille devient très élevée. Une bataille sérieuse entre Israël, d’une part, et la Syrie et l’Iran, d’autre part, serait suffisante pour faire reporter les élections. Netanyahou n’a pas beaucoup de choix : soit il gagne les élections et reporte la procédure de corruption contre lui ; soit il va en prison”.

Cette thèse peut sembler convaincante mais le raisonnement sur lequel elle repose peut s’avérer trop limité. Il est clair que le stratagème de dissuasion différenciée, décrit par Poutine, – bien qu’il soit formulé en termes syriens, – a un objectif plus large. Le langage actuel utilisé par les États-Unis et l’Europe indique assez clairement qu’ils en ont largement fini avec les opérations militaires en Syrie. Mais, parallèlement au désaveu de nouvelles opérations militaires en Syrie, nous avons également assisté à une consolidation de la mentalité de l’administration américaine en faveur d’une confrontation avec l’Iran.

Alors que Netanyahou a toujours été véhément en appelant à la confrontation avec l’Iran, il n’est pas connu en Israël comme un homme à prendre des risques militaires (appeler à liquider tous les moyens palestiniens ne comporte aucun risque politique dans la politique intérieure israélienne). De plus, l’establishment militaire et sécuritaire israélien n’a jamais apprécié la perspective d’une guerre totale avec l’Iran, à moins que celle-ci ne soit menée avec les États-Unis en tête. (Il serait toujours très risqué pour n’importe quel Premier ministre israélien de lancer une guerre éventuellement existentielle à travers la région, sans avoir un consensus solide au sein de l’establishment sécuritaire israélien.)

Pourtant, M. Bolton préconise également depuis longtemps le bombardement de l’Iran (par exemple dans un op-ed du NYT de mars 2015). Jusqu’à récemment, on supposait toujours que c’était Netanyahou qui essayait d’amener les Américains à déclencher une “guerre” avec l’Iran. Est-il possible que ces rôles se soient inversés ? Que ce soit maintenant John Bolton, Mike Pence et Pompeo qui cherchent, non pas à déclencher une guerre totale mais à exercer le maximum de pressions hybrides sur l’Iran, – par des sanctions, en fomentant des insurrections anti-iraniennes parmi les minorités ethniques en Iran, et cela bien qu’Israël s’en prenne régulièrement à l’Iran avec des interventions militaires calibrées (en Syrie), dans l’espoir que l’Iran réagira de manière excessive et tombera dans le piège de M. Bolton qui veut “avoir un Iran exactement où il le souhaite” ?

C’est là l’objectif de l’ensemble des mesures de dissuasion de l’Iran et de la Syrie, – il s’agit avant tout de “contenir” les États-Unis. L’initiative est construite, pour ainsi dire, avec tous ses liens délibérément ambivalents entre acteurs, pour signaler que toute tentative américaine de favoriser le chaos dans le Grand Levant ou en Iran, au-delà d’un certain point indéfini, risque maintenant d’entraîner son protégé, Israël, dans une guerre régionale beaucoup plus vaste, – et aux conséquences imprévisibles. La question n’est pas tant de savoir si Netanyahou “prendra le risque”, mais si Bolton osera “risquer Israël” ?

Alastair Crooke

 

Article original en anglais : Will Trump’s Hawks Dare to Risk Israel?, Strategic Culture, le 11 mars 2019

Version française : dedefensa.org

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« Il est possible de mener une vie normale » dans les zones contaminées par la radioactivité, assure le ministre japonais de la Reconstruction, huit ans après l’accident nucléaire majeur de Fukushima. Ce discours de « normalisation », qui vise à minimiser le risque nucléaire et les conséquences d’un accident n’est pas l’apanage des autorités japonaises : on le retrouve en France depuis le lancement du programme nucléaire ou en Biélorussie après Tchernobyl. Sezin Topçu, historienne et sociologue des sciences, décrypte cette stratégie de communication, qui accompagne des politiques exonérant les exploitants de centrales nucléaires de leurs responsabilités. Entretien.

Lors des lancements des programmes nucléaires civils, aux États-Unis ou en France, la filière est clairement jugée à très haut risque. Comment les industriels qui se lancent dans l’aventure vont-ils être, en quelque sorte, en partie dédouanés de ces risques ?

Sezin Topçu [1] : Le caractère ingérable des dégâts provoqués par un accident nucléaire majeur est reconnu par les experts nucléaires dès les années 1950, bien avant le passage au stade industriel. Ils étaient d’accord sur le fait que de très vastes territoires allaient être contaminés pendant des centaines voire des milliers d’années ; et qu’il faudrait, en théorie, évacuer un nombre très important de personnes. Il est même envisagé de désigner des zones d’exclusion pour l’implantation des sites nucléaires. Des calculs effectués en 1957 à la demande de la commission à l’énergie atomique aux États-Unis (Atomic Energy Commission) imaginent alors un coût financier de l’ordre de 7 milliards de dollars.

Afin de protéger l’industrie nucléaire contre de tels risques financiers, l’État américain décide de limiter de façon drastique et exceptionnelle la responsabilité civile des exploitants en cas d’accident. Sans ces lois d’exception, il n’est alors pas envisageable pour les industriels de se lancer dans l’aventure nucléaire. Tous les pays qui développent le nucléaire vont s’inscrire dans ce schéma, qui n’a guère évolué depuis. EDF, par exemple, est aujourd’hui tenue par une responsabilité civile limitée à 91 millions d’euros en cas d’accident majeur, ce qui représente une somme dérisoire si on la compare aux évaluations des pouvoirs publics français qui estiment à environ 430 milliards d’euros le coût moyen d’un accident nucléaire majeur, jusqu’à 760 milliards pour un scénario « majorant ».

Le Japon fait figure d’exception vis à vis de cette atténuation des responsabilités, puisque l’exploitant doit dès le départ mettre de côté une réserve financière très élevée. Qu’a dû payer l’exploitant de Fukushima ?

Effectivement. La loi japonaise de 1961 relative à la responsabilité civile contraint tout exploitant à débloquer une « réserve de sécurité » d’un milliard d’euros, avant même de se lancer dans l’exploitation des centrales nucléaires. C’est une somme assez importante, égale à onze fois le montant imputé à EDF en cas d’accident. Cela dit, quand la catastrophe de Fukushima frappe le Japon en mars 2011, l’exploitant nucléaire privé Tepco aurait pu s’exonérer de toute responsabilité car la loi de 1961 prévoit aussi de rendre nulle la responsabilité de l’exploitant en cas de « catastrophes naturelles majeures ». Face à l’ampleur des réactions suscitées dans la population japonaise, Tepco a finalement décidé de ne pas demander d’exonération.

Les sommes à débourser sont telles – les estimations oscillent entre 250 et 500 milliards d’euros jusqu’à récemment – que l’État a en fait avancé une partie des indemnités versées aux victimes, sans que l’on sache si Tepco remboursera un jour. Les consommateurs ont également été mis à contribution via une augmentation du prix du kWh. Ainsi, même dans un contexte où a priori l’exploitant porte une « responsabilité illimitée », des ajustements sont apportés au cadre législatif existant. Le « fossé » entre ce qu’un industriel est censé – et surtout est « en mesure » de – payer et ce qu’il faut réellement débourser pour prendre en charge correctement les dommages, impose une limitation forcée des responsabilités de l’industriel. Cela engendre une ré-organisation des charges à imputer à l’État et à la collectivité.

En France, au moment où le programme nucléaire est lancé dans les années 1970, plusieurs centaines de physiciens dénoncent une mauvaise évaluation du risque nucléaire. Comment se fait-il que leur avis n’ait pas été pris en compte ?

Le lancement du programme nucléaire français – le plus ambitieux du monde – ne s’est pas du tout fait dans des eaux tranquilles. Il y a alors de très grandes controverses. En février 1975, des physiciens du Centre national de recherche scientifique (CNRS), du Collège de France, de l’Institut de physique nucléaire, et d’autres encore, se mobilisent via une pétition qui met en garde contre le plan nucléaire du gouvernement. Ils conseillent à la population de ne pas accepter ce programme tant que les risques ne sont pas mieux évalués. Ils dénoncent un recours massif à l’énergie nucléaire – la France prévoyait alors 100 % d’électricité d’origine nucléaire – qui est selon eux extrêmement dangereux, d’autant qu’à l’époque la filière nucléaire n’était pas éprouvée. Ils critiquent aussi la technocratie propre à ce secteur. Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et EDF décident alors de tout, en lien avec les ministères de l’économie, de l’industrie et de l’énergie. En dehors de ce noyau, aucun scientifique n’est intégré.

Il n’était pas banal qu’autant de savants – 4000 au total – s’opposent à un tel programme. A ce moment, EDF a réellement peur de devoir stopper son programme nucléaire. Ces savants sont immédiatement désignés comme illégitimes, parce que ne connaissant pas, soit disant, le secteur. Cette stigmatisation est habituelle, en France, pour disqualifier les mouvements anti-nucléaires. EDF et le gouvernement les ont toujours présentés comme des partisans irrationnels du retour à la bougie, opposés au progrès. Dans la période actuelle, on observe un retour à ce discours de dénigrement des opposants anti-nucléaires, notamment à Bure [lieu d’un projet d’enfouissement à grande profondeur de déchets radioactifs, ndlr]. Avec un interventionnisme très important de l’État, qui oppose les « habitants citoyens » aux « opposants casseurs ».

Vous évoquez également une façon de gouverner par l’urgence, et la très alléchante taxe professionnelle pour faire accepter les projets nucléaires…

Dans les années 1970, le suivi de l’opinion publique devient un enjeu majeur pour le gouvernement et pour EDF. A partir d’études de comportement de la population à l’échelle locale comme nationale, notamment via les enquêtes d’opinion, EDF est avertie que les critiques d’un projet diminuent au fur et à mesure qu’un chantier avance. C’est logique : on a moins envie de s’opposer à un projet une fois qu’il est terminé. Il faut donc aller le plus vite possible dans la mise en chantier. C’est l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de chantiers sont lancés avant d’avoir les autorisations de construction.

Les nombreuses plaintes déposées par des habitants ou des communes contre ces travaux non autorisés ont cependant toutes été classées, avec une régularisation a posteriori. Nous sommes confrontés à l’irréversibilité des projets techniques. On rend d’abord les projets irréversibles, ensuite on les régule. Cela estompe les possibilités de contestation. C’est la même chose avec les pesticides, qu’on tâche aujourd’hui de réguler alors qu’ils sont déjà disséminés partout dans l’environnement.

La taxe professionnelle joue également un rôle important pour rendre les projets nucléaires acceptables, avec d’autres avantages matériels, comme l’aménagement de piscines olympiques ou la réfection des routes. Des communes entières sont ainsi modernisées au fur et à mesure du déploiement du programme nucléaire. La région de La Hague, dans le Nord Cotentin, est un des bons exemples de ces avantages. C’est le visage scintillant de la modernité nucléaire. Aujourd’hui, le même phénomène se produit dans la région de Bure où on trouve des salles des fêtes immenses et toutes neuves, même dans des communes dépeuplées. Il y a toujours eu beaucoup d’investissements pour que les populations soient hospitalières vis à vis du nucléaire.

- Lire à ce sujet notre enquête : Un milliard d’euros ont été dépensés pour rendre « socialement acceptable » l’enfouissement de déchets nucléaires


EDF n’a-t-elle pas également beaucoup investi dans la communication ?

Si bien sûr. L’aspect informationnel – certains diraient propagande étatique – joue un rôle central dans le fait de rendre le nucléaire acceptable. On accentue ses avantages, qui font rêver : une énergie illimitée, zéro coût, avec un risque quasi-nul. Nous savons désormais que les conséquences immenses d’une catastrophe ont conditionné des lois d’exception pour ce secteur. Mais dans la France des années 1970, on pouvait entendre dire que la chute d’une météorite était plus probable qu’un accident nucléaire. Des sommes très importantes sont investies dans la publicité pour « éduquer » le public, notamment les opposants, ceux et celles « qui ne comprennent pas ».

Comment évoluent les stratégies de communication à partir du moment où les catastrophes nucléaires deviennent réalité ?

A la fin des années 1980, suite à l’accident de Tchernobyl, de nouvelles stratégies de communication se mettent en place, avec ce qu’on appelle la dissonance cognitive : il s’agit d’affirmer plutôt qu’être sur la défensive. En 1991, une campagne de communication est ainsi organisée via les journaux et la publicité audiovisuelle qui assène que 75 % de l’électricité est d’origine nucléaire. Il faut que les Français sachent que leur grille pain fonctionne au nucléaire, il faut qu’ils l’acceptent. C’est comme ça, c’est la réalité, plus personne ne peut s’y opposer. Depuis l’accident de Fukushima aussi, cette même stratégie est à l’œuvre. C’est terrible, nous disent les promoteurs du nucléaire, mais c’est comme ça, il faut apprendre à vivre avec. Les programmes de publicité sont à l’inverse d’une tournure pessimiste des choses, avec des enfants qui courent dans la verdure.

Ce nouvel axe de communication, qui affirme qu’il faut « accepter le nucléaire », va de pair avec une nouvelle idée : on peut continuer à vivre dans les territoires contaminés. La Biélorussie, dont une partie importante a été touchée par l’accident de Tchernobyl en 1986, devient un laboratoire grandeur nature pour l’expérimentation de cette nouvelle « idée ». Quel rôle jouent les experts français dans cette normalisation des zones contaminées ?

Au début des années 1990, la Biélorussie est encore dans une économie de type post-soviétique, où l’État s’engage à prendre en charge totalement les victimes. Des systèmes de compensation sont mis en place, la possibilité pour les enfants malades d’aller en sanatorium, etc. Dans la deuxième moitié de la décennie, les organismes internationaux comme l’AIEA, l’OCDE et la Banque mondiale ont commencé à lancer des ultimatums à la Biélorussie pour qu’il accomplisse sa conversion. Les expertises pilotées par l’AIEA et l’OMS jugent que les règles d’évacuation et de compensation sont trop précautionneuses, économiquement insoutenables, politiquement contre-productives et de fait nuisibles à la possibilité d’opérer une transition vers une économie – néolibérale – de marché. Il faut que les gens soient responsabilisés, et qu’ils n’attendent pas tout de l’État, ce n’est pas « moderne ».

C’est à ce moment qu’intervient le programme Ethos, mené par des experts français, issus du CEA et réunis au sein du centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire (CEPN), une association loi 1901 ne comptant que trois membres : CEA, EDF et IRSN. Ces consultants se rendent régulièrement en Biélorussie, proposent une « réhabilitation participative » des territoires « moyennement » contaminés. L’idée, c’est que l’on peut rester dans ces villages si on éduque les gens. Exemples : si on a mangé trop de champignons – chargés en radioactivité – le lundi, on mangera des aliments moins chargés le reste de la semaine. Idem pour le temps passé dehors : si on passe plusieurs heures dans un lieu contaminé – la forêt par exemple –, il faut faire attention, les jours suivants, à passer plus de temps chez soi. C’est une individualisation des risques, chacun doit apprendre à gérer les becquerels.

Cette stratégie de « normalisation » des territoires contaminés est-elle également mise en place à la suite de la catastrophe de Fukushima ?

Oui, et c’est en partie à l’initiative des experts français et leur « retour d’expérience » biélorusse. Ceux qui ont mis au point le programme Ethos sont au Japon actuellement. La normalisation des territoires contaminés y a été orchestrée en premier lieu par l’État japonais lui-même. Très vite, elle est devenue un mot d’ordre officiel. Dans un premier temps, en vue de limiter les évacuations, le gouvernement multiplie la dose maximale admissible par vingt, qui est ainsi passée de 1 mSv (millisievert) – la norme en vigueur en Europe et en France pour le fonctionnement « normal » des centrales – à 20 mSv par an. Soit le niveau maximal fixé pour les travailleurs du nucléaire en France et en Europe. Les pouvoirs publics japonais considèrent par ailleurs, depuis 2011, qu’en dessous du seuil de 100 mSv, le risque de développer un cancer radio-induit est proche de zéro – le tabagisme ou l’obésité, disent-ils, sont des problèmes plus préoccupants.

À partir de 2012, les responsables politiques japonais passent à l’offensive en matière de politique de normalisation de l’accident, en n’hésitant pas à parler de la nécessité de « reconquérir » au plus vite la plupart des zones évacuées. En comparaison, les ex-états soviétiques avaient été plus prudents à procéder de la sorte. Le gouvernement japonais investit dont énormément dans la décontamination pour opérer ce prétendu retour à la normale. Il dit à la population : « Revenez, il faut tourner la page, il faut que le Japon achève de faire son deuil. » Pour le moment, ce discours ne semble pas convaincre les personnes évacuées qui peinent à croire que l’on peut vivre heureux dans un univers contaminé. La plupart du temps ils sont stigmatisés par les experts gouvernementaux ou par les non-victimes en tant qu’individus peureux et irresponsables, entravant l’effort national relatif à la reconstruction de Fukushima.

Vous dites que la « normalisation » des territoires contaminés est une aubaine pour les promoteurs du nucléaire, notamment en France. Pourquoi ?

Ces stratégies visent à minimiser les évacuations, et à « normaliser » les territoires contaminés moyennant des normes sanitaires anormales ou des guides pour « apprendre à vivre avec ». Mais ces territoires contaminés ne pourront plus jamais redevenir normaux au sens propre. Ces stratégies sont en fait le moyen, pour l’industrie nucléaire, d’assurer sa survie, de continuer à diffuser le mythe du nucléaire « propre », de rendre ainsi invisibles les dégâts réellement engendrés en cas d’accident. La minimisation des impacts catastrophiques d’un accident nucléaire est ainsi en passe de devenir un grand classique de notre temps.

S’il parait incontestable qu’il faut aider les victimes à s’informer, et à agir vis-à-vis des risques radioactifs qui les menacent, ces démarches de réhabilitation participative des territoires contaminés ont ceci de problématique qu’elles sont portées par des experts ou des institutions nucléaristes. Elles ont tout intérêt à prétendre, par ce biais, auprès de l’opinion publique nationale comme internationale, que les conséquences graves d’un accident nucléaire sont maîtrisées. Tout ceci pose de graves problèmes éthiques et démocratiques, en ce qu’il subordonne l’avenir de nos sociétés à des visions fatalistes, qui déforment la conception même des droits humains de base, dont le droit fondamental des individus à vivre dans un environnement sain.

Propos recueillis par Nolwenn Weiler

Photo : Inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique à Fukushima en novembre 2013 / CC IAEA Imagebank

[1Sezin Topçu est historienne et sociologue des sciences, chargée de recherche au CNRS. Elle est membre du centre d’étude des mouvements sociaux à l’EHESS. Son ouvrage La France nucléaire, l’art de gouverner une technologie contestée a été publié en 2013 au Seuil.

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«Il faut que tout change pour que tout reste comme avant»  Guiseppe de Lampedusa 

Nous avons vécu des moments exceptionnels avec un peu d’angoisse; et si ce n’était qu’un rêve ? Comment transformer ce rêve en réalité. On aura tout dit de ce peuple merveilleux, mature. Les Algériennes et les Algériens ont vaincu leur peur; elles et ils ont déconstruit les clichés occidentaux et moyen-orientaux qui classaient l’Algérie dans la case des losers de la vie. Les forces de l’ordre ont été exemplaires. Les Algérien (ne)s ont aussi le sens de l’humour, remarqué par plusieurs médias français qui nous «ont préféré aux gilets jaunes». 

Personne en France n’a voulu faire la comparaison entre ce qui s est passé chez eux 28 000 manifestants soit 0,4% et chez nous avec 8 millions de personnes qui défilent dignement soit 25 % de la population !! Ceci sans heurt et avec beaucoup de symboles au lieu de casser on offre des fleurs, du couscous , un service d’ordre de »gilets » aides pour la dimension soft par des papys pour maîtriser les éventuels excités des fins de manifs. Le meilleur est pour la fin des jeunes qui font le ménage balais à la main comme un pied de nez aux gilets jaunes spécialisés dans  » le descellage » des pavés.  

L’artiste visuel Faouzi Louadah a publié un dessin pour souligner que l’Algérie n’était plus « Bled Mickey», montrant le célèbre personnage des comiques américains quittant le pays la tête baissée. Ou même des jeunes réclamant du shampoing aux forces de l’ordre qui les arrosent. Une autre vidéo qui nous a donné la chair de poule, l’exécution magistrale de l’hymne national par un jeune virtuose avec un saxophone hymne repris en cœur sans un couac par une foule survoltée. Il nous a fait du bien et nous a donné l’illusion que nous aussi nous pouvons innover. C’est une belle leçon qui se résume par cette phrase d’un jeune: «Loukane nkamlou akdha, man nahragche». C’est une leçon au monde

Le 8 mars 2019 est à marquer d’une pierre blanche en Algérie. Dans l’expérience extraordinaire que vit le peuple algérien (on parle de dix millions), ce peuple a marché comme un seul homme et une seule femme pour dire basta au gouvernement actuel et pour militer pour une nouvelle vision du futur, Ce futur pour lequel la femme algérienne (épouse, sœur, mère, fille), barycentre de la famille, était au premier rang, avec ou sans voile, fière d’être là et nullement «soumise» pour venir témoigner dans la joie et la détermination de la volonté de s’inscrire dans le futur, naturellement sans rien abdiquer de son espérance religieuse née de cet islam maghrébin fait d’empathie, de tolérance que nous nous sommes réapproprié non pas pour en faire un fonds de commerce mais comme supplément d’âme pour un parcours spirituel.

Est-ce que le système actuel est une singularité ?  

Le problème est le suivant : est-ce que le système tel qu’il est n’a pas encore compris que le peuple ne veut pas de lui et qu’il veut l’alternance ici et maintenant ? Apparemment, le pouvoir joue la montre. Il compte sur la lassitude du peuple et il se trompe. Car les jeunes ne se laisseront pas faire. En fait, tout a commencé avec le hold-up de la révolution après l’échec du Congrès de Tripoli en juin 1962 qui vit la force primer le droit pour prendre le pouvoir, en fait même en 1963 par la Constitution bricolée par quelques initiés du FLN. Revenons à la lettre de démission du président Ferhat Abbas qui annonce d’une façon prophétique la suite pendant 56 ans de déni du droit. 

Lisons ce qu’il écrivait :

«Donner une Constitution à la République est un acte d’une extrême importance. Le gouvernement vient de violer cette règle fondamentale. Nous ne sommes pas encore au stade d’un régime policier. Nous y arriverons à brève échéance. Le projet de Constitution fait du président de la République, en même temps que le chef de l’État, le chef du gouvernement et le chef du parti. Pratiquement, il n’y a plus de démocratie». «Quant à notre jeunesse, elle sera condamnée à ne plus penser. Le régime fabriquera des robots, des opportunistes et des courtisans. Assurer le pain au peuple est, certes, un objectif primordial. Lui assurer cet autre pain qu’est la liberté de pensée et d’expression est également un bien précieux. La jeunesse algérienne en sera privée. La nature même des pouvoirs multiples exercés par un seul homme aura pour conséquence inévitable le culte de la personnalité. L’équilibre des pouvoirs n’existe pas. (…) Nous jouons à «pile ou face» le sort du pays. Un tel régime finira par engendrer des activités subversives, des coups d’État et des complots». (1)

Ferhat Abbas appelle à mettre en place la démocratie :

«La démocratie seule est salutaire. Elle signifie : le gouvernement du peuple par le peuple. Une bonne Constitution doit donner la parole au peuple. La libre discussion permettra de révéler des cadres valables et enrichira les institutions de l’État. Un Etat «confisqué» est un État mort-né. Un chef du gouvernement, investi par une Assemblée nationale souveraine et responsable devant elle, est la seule formule qui corresponde à notre devise «par le peuple et pour le peuple» et si nous voulons éviter les aventures, il est vital et salutaire d’associer le peuple. Depuis l’indépendance, le peuple n’a pas encore été une seule fois librement consulté. Il est temps de le faire participer à la vie publique. Nous devons lui faire confiance. Et même s’il se trompait, cette erreur serait moins grave de conséquences que le fait de le museler, et de lui imposer une camisole de force. Il a mérité mieux que cette suprême injure» (1).

C’était en 1963 !!! Déjà, le système qui broie toute contestation se mettait en place. Cela a empiré depuis, mis à part la parenthèse du président Zeroual où le peuple comme aujourd’hui est allé voter. Le score fut largement mérité. Depuis, nous avons renoué avec nos vieux démons. Cependant, nous devons protester d’une façon civilisée. L’appel au calme est plus que jamais un mot d’ordre. C’est une expérience nouvelle pour l’Algérie. Pour nous, c’est une deuxième indépendance, nous allons avec l’aide de Dieu remettre le train démocratique à l’endroit sur rail comme le voulait la plateforme de la Soummam et la fameuse lettre de Ferhat Abbas.

Qu’avons-nous fait depuis vingt ans ?  

En vingt ans, la rente de 1.000 milliards de dollars a permis 4 millions de logements, 1.000 km d’autoroutes. Plus de deux millions d’élèves nouveaux avec plusieurs milliers de classes, une université par wilaya avec une massification qui a dénaturé le savoir. Nos diplômés sont des ignares. Et les travers sont là. Pas d’industrie, une dépendance accrue aux hydrocarbures. Une loi de finances indexée sur le prix du baril erratique. Une démographie galopante, l’Etat rentier n’ayant pas les moyens d’y répondre. Le social sans discernement, en gros, le social a profité à ceux qui n’en ont pas besoin; électricité, eau, pain, santé, lait, dérisoires pour ceux qui peuvent payer les carburants bradés 6 à 8 fois moins cher. Pas de politique de transport. Le citoyen lambda ne peut pas se permettre un 4X4 mais paye l’essence avec sa R4 le même prix. La politique de subvention de plus de 10 milliards de dollars fait que c’est un tonneau des Danaïdes. Pas de création de richesse* mais par-dessus tout, la corruption et le manque de perspective des jeunes.  

La Corée du Sud, pays sans ressources naturelles, exporte 20% de plus que la Russie, qui en est largement pourvue. Elle a un ministère de la Connaissance où toutes les idées de chacun sont rassemblées. La Corée exporte principalement de la connaissance : téléphones, caméras, systèmes de guidage laser, disques durs
, alors qu’en 1960, elle avait un PIB équivalent à celui de l’Algérie, cinquante ans après, il est à 1.600 milliards de dollars contre 200 pour l’Algérie.

Le rêve confisqué, le système persiste et signe  

La phrase en préambule tirée du film «le Guépard» de Luschino Visconti résume à elle seule la tragédie de ce que nous vivons présentement.  Le système par des simples petites mesurettes sans lendemain pense avoir raison de la colère et que tout reviendra comme avant :! En clair nous continuerons à subir un népotisme, une ‘accabya, des passe droits bref une hogra (humiliation )   structurelle 

Pourtant le peuple a décidé comme une seule femme et un seul homme de dire halte à la gabegie ! Halte à l’imposture et à qui l’on présente une proposition que l’on ne peut pas refuser. Voilà un président que l’on disait très malade et qui vient en l’espace de moins de 24 heures de Genève, sans fatigue, recevoir en privé ensuite en public, les principaux décideurs. Ensuite, signe des décrets, limoge Ouyahia.

Il rédige ensuite une lettre de sept pages où rien n’y manque et qui se résume en quelques phrases : «Vous ne voulez pas du cinquième mandat ? Soit ! pas de cinquième mandat, mais je reste président malgré la Constitution, au-delà du 10 avril. Je prolonge le quatrième mandat à la durée. Je supprime les élections, sans aucun motif constitutionnel. Je nomme une commission, une de plus pour discuter de l’avenir, en clair, pour amuser le peuple». C’est tout bénéfice pour le pouvoir actuel car dans le meilleur des cas, il faudrait un an pour que la commission, dont je contrôle indirectement la composition, mette au point une Constitution –une de plus-, ensuite, il faut la faire voter par le peuple, ce n’est qu’après qu’il faudra organiser les élections présidentielles encore trois mois au minimum. Le président sera là encore pour un an et demi. C’est de fait le cinquième mandat comme l’a voulu le président en se présentant aux élections et que le peuple lui offre sans élections. En clair, le clan présidentiel va encore perdurer comme il le veut au moins d’un an et demi. Voilà donc la dernière tromperie d’un système qui ne veut rien lâcher.

Ce que devrait être la Deuxième République  

Pourtant, les  22 février 1er mars  8 mars  et 15 mars ont  été les quatre   journées glorieuses   qui ont  marqué notre vie, nous qui désespérions de l’avenir. Nous sommes dans la situation de juillet 1962 après cette parenthèse postcoloniale de 57 ans. Nous devons reprendre notre destin sur la base des belles orientations de la plateforme de la Soummam en rendant la parole au peuple. La situation n’est pas celle de 1962, la jeunesse ne se laissera pas faire, elle est cultivée. Elle sait ce que la démocratie et l’alternance peuvent apporter au pays. Elle maîtrise les outils de communication. Mais cela ne suffit plus.

Dans une intervention à Question d’Actu le lundi 12 mars 2019, ayant été pris de court par l’annonce de la présidence une heure avant le débat, je m’en suis tenu à marteler la nécessité de l’alternance et l’obligation de répondre rapidement à l’attente des jeunes, notamment en nommant des jeunes quadras compétents et qui parlent «leur langage». N’étant pas juriste, je me suis focalisé -à tort ou à raison- sur le futur, n’ayant pas jugé qu’en définitive, le système va perdurer au moins pendant un an. En clair, c’est le mandat 4+ par d’autres moyens les plus répréhensibles : la ruse et la force. Nul doute que cela n’appelle pas à l’apaisement, les prochaines échéances seront décisives car le peuple est déterminé et l’attente de la jeunesse ne pourra pas venir d’un système qui, pendant vingt ans, a dilapidé une rente de 1.000 milliards de dollars en dépenses sociales sans création de richesse avec en prime une corruption structurelle.

Que faire pour mettre la maison Algérie en phase avec la réalité du monde ? Comment organiser, sans attendre deux ans, l’alternance sereine et faire en sorte que l’on ne nous vole pas cette victoire sur le système ? La vigilance est de mise. Il faut militer pour le départ sans heurt du système actuel et veiller à mettre en place rapidement de nouvelles élections. Le nouveau président devrait ouvrir le débat d’une constituante à même de donner enfin des textes infalsifiables dune constitution qui projette l’Algérie dans la modernité.

Les vrais défis du pays : Le vivre ensemble   

Rien ne peut se faire en présence d’un système que les Algériennes et Algériens ne veulent plus voir ! Cependant la pérennité de l’Etat doit être assuré ! Chacun à son poste. Certes  le président et les acteurs principaux qui nous amené à cette Révolution  doivent rapidement partir . Après il faudrait trouver les voies et moyens d’adapter pour la bonne cause la constitution pour permettre la mise en place d’une Commission Nationale de Transition  qui sera chargé de mettre en place un gouvernement d’union nationale tout en travaillant à l’élaboration d’une Constitution consensuelle qui sera adopté par référendum Immédiatement après toujours sous l’égide de la Commission les élections  présidentielle sera organisée  L’idéal est de se mettre au travail dans ls meilleurs délais pour réduire cette période transitoire 

L’un des projets prioritaires que nous retrouvons en creux dans l’élaboration de la Constitution est celui de définir un projet de société pour le XXIe siècle  En effet, qu’est ce qu’être Algérien au XXIe siècle. ? Comment consacrer  dans le marbre la nécessité de s’accepter tels que nous sommes avec nos forces et nos faiblesses avec nos mutuelles différences ? Le  bonheur de vivre ensemble devrait  notre credo et la Nation à  laquelle nous aspirons devrait être un plébiscite de tous les jours. Pour se faire n nous ne devons rien nous interdire en terme d’imagination  comment s’organiser pour que l’Algérie soit toujours à l’optimum de son efficacité en terme de ressources de créativité   Il nous faut  peut être penser à permettre l’expression des provinces et sortir du modèle jacobiniste hérité pour aller à une gestion à l’allemande : landers, cantons ou Etats. Il nous fait tout faire pour faciliter le brassage et spécialiser les universités et certains lycées notamment d’excellence.

L’éducation et l’économie de la connaissance 

Le deuxième chantier  prioritaire une fois que les Algériennes et les Algériens sont unis pour faire réussir le pays  est celui de l’éducation et de  l’économie de la connaissance  qui devraient être pour nous le graal. L’éducation  Redonner leurs places aux disciplines mathématiques, c’est de mon point de vue la plus grande erreur faite que de continuer à avoir à peine 3% de bas, math et math technique, alors qu’en Iran, c’est 25%, ce qui explique le respect technologique que l’on doit à l’Iran, ce taux est de 35% en Allemagne. Et du même ordre en Chine et en Inde. L’autre grande erreur est d’avoir supprimé les filières d’ingénieurs et de techniciens sur les 350.000 diplômés moins de 1.500 ingénieurs. Avant la casse, c’était 8.000 pour des besoins de 50.000 ! Alors qu’à la Révolution industrielle, la connaissance doublait tous les 50 ans, aujourd’hui, elle double tous les 7 à 9 ans. L’économie de la connaissance est collégiale. Si on partage un bien matériel, on le divise; si on partage un bien immatériel, on le multiplie. Les échanges sont en somme positifs. Les seules conditions pour acquérir du savoir sont : l’attention et le temps. Il faut ajouter le formidable potentiel des NBIC (nano technologie, biologie, intelligence artificielle et communication).

Le monde évolue très rapidement et l’Algérie ne doit pas rester en marge du progrès. Disons que les GAFA (Google qui nous a aidés, facebook, Amazon et Apple pèsent 700 milliards de dollars. Ils ont été créés au XXIe siècle. La Silicon Valley, 200 universitaires de haut vol inventent l’avenir. C’est un siècle de la science du savoir, de la puissance technologique où l’informatique, la robotique, l’intelligence artificielle, bref, les NBIC jouent un rôle majeur. Donnons du rêve qui sera indexé sur la sueur.  

Le président Kennedy avait promis en 1963 au peuple américain qu’avant la fin de la décennie, ils iraient sur la Lune. Nous devons nous arrimer à des nations technologiques et de mon point de vue, il nous faut revoir de fond en comble les relations internationales, nos principes du XXe siècle devraient être réétalonnés à la dure réalité du XXIe siècle. Nos ennemis d’hier peuvent être nos partenaires dans ce XXIe siècle. Le futur président devra promettre d’envoyer un Algérien dans l’espace et peut-être dans la lune.  

Un plan informatique, à savoir un laptop pour chaque enfant à l’école à 30 dollars, coûterait pour 30 millions de dollars par an pendant cinq ans, 30 millions de dollars, c’est moins de 8 h de pompage de pétrole et de gaz ! Nous gaspillons dix fois plus en dépenses de prestige ! Ce que pourrait faire notre diaspora, c’est de mettre ses neurones à la disposition du Plan Informatique. En Inde, ils produisent des millions d’ordinateurs à moins de 1.500 roupies (25 dollars). Ce plan serait construit avec la formation des formateurs et c’est là que la diaspora, évaluée à 500.000, pourrait contribuer à sa mise en œuvre avec seulement 10 dollars chacun abrités dans un compte, soit 5 millions de dollars, on pourrait acquérir tout les périphériques

De plus, il est possible de les fabriquer en Algérie, ce qui va donner du savoir et du travail à nos élites de la formation professionnelle.  

La transition vers le développement humain durable 

Pourquoi n’avons-nous pas été résiliants et n’avons pas mis en place depuis près de trente ans une transition énergétique indispensable si on veut penser aux générations futures. Voilà ce que devrait être le développement durable. Pourquoi le barrage vert est abandonné. Pourquoi nous n’avons aucune ambition de faire de nos villes des poumons verts. L’exemple de l’ancienne décharge de Oued Smar devrait être généralisé. Si seulement les 12 millions d’élèves et d’étudiants plantaient chacun un arbre, c’est douze millions d’arbres par an. C’est cela l’eco-citoyenneté. Plus que jamais une transition vers le Développement Humain Durable qui nous permette d’épargner les faibles réserves de pétrole et de gaz pour les générations futures s’avère indispensable et urgente. Nous devons sans état d’âme ne plus gaspiller cette rente et adosser chaque m3 de gaz de pétrole à la mise en place en aval de leur équivalent en kWh solaire ou éolien à partir de l’immense potentiel du Sahara. Cette électricité verte nous permettra une ambition celle de la Révolution électrique aussi bien dans le tertiaire mais dans la locomotion électrique qui nous permettra de prendre enfin le train du progrès 

D’autre part,  toutes les  grandes nations ont donné des utopies à leur peuple . Au plus fort de la crise de  1929  (le fameux crash de la bourse) qui a ruiné des millions de personnes et à provoqué un chômage de masse le prônait Franklin Roosevelt avait mis en place une politique de grands travaux  Il serait indiqué de nous inspirer de la politique du New Deal de Franklin Delanoë Roosevelt qui a mis une politique de grands travaux encadrée par l’armée du développement national, ce fut une réussite qui a permis de construire des infrastructures et de créer des centaines de milliers d’emplois.  

Nous avons un immense territoire occupé à 15%. Il contient toutes les réserves possibles, il dispose d’une jeunesse exubérante. Construire une nouvelle Californie n’est pas un vain mot. Nous avons l’électricité solaire, l’éolien, 280 sources d’énergie géothermique en nappes phréatiques de 45.000 milliards de m³ et du gaz de schiste peut être exploitable dans le futur si la technologie est mature. Une transsaharienne électrique des villes nouvelles qui vont dégorger le Nord sur la dorsale In Salah-Tam, avec un pipe d’eau existant de 750 km.  C’est tout cela qui fera que nous allons adosser une calorie thermique exportée à l’importation d’un savoir-faire pour mettre en place un kWh solaire. Une centrale solaire coûte autant qu’une centrale thermique à 1.000 MW, nous épargnerons 1,5 milliard de m³ que nous laisserons aux générations futures.

Conclusion 

Nous qui sommes  dépositaires de cette belle Algérie qui – selon les scientifiques est l’un des berceaux de l’humanité, -l’Homme de Aïn Boucherit serait vieux de  2,4 millions d’années-, nous n’en retirons aucune fierté. Cette merveilleuse Algérie n’a pas cessé de nous étonner par la présence archéologique de l’enfance de l’humanité, par son histoire, par la générosité de son climat, par la richesse de ses sols et de son sous-sol, mais aussi par la faconde de son peuple, la débrouillardise de sa jeunesse qui, malgré tout, arrive à tenir la tête hors de l’eau. Non, mille fois non, les pouvoirs qui se sont succédé et celui qui gère à la petite semaine cette immense Algérie doivent comprendre que l’heure est arrivée de passer la main le plus rapidement possible car il ne faut pas compter sur la fatigue des jeunes et jouer comme on dit la montre !

Le moment est venu de tourner la page après vingt ans d’errance multidimensionnelle Les Algériennes et les Algériens seraient reconnaissants  à ceux qui prennent en otage les rêves des jeunes de partir dans la dignité sans heurt, sans clash, sans s’accrocher en vain au pouvoir.   Ne décevons pas les jeunes qui attendent beaucoup de cette transition. Il faut  penser avant tout à l’Algérie et à tout celle qui nous regardent attendant avec impatience le clash ! Montrons que nous pouvons par nous même faire  cette transition en pente douce.

Dans le même temps, il  faut aller vers le XXIe siècle dans le calme, la sérénité et la non-violence pour donner une utopie à cette jeunesse en panne d’espérance. Cette «belle révolution» doit montrer à la face du monde que les Algériennes et Algériens ont décidé d’être acteurs de leur destin. Elle devra imaginer comment mettre en place des élites représentatives capables de lui dessiner le futur. Veillons à éviter les provocations et les récupérations malsaines. Une Algérie de nos rêves, fière de ses identités multiples, ancrée dans son islam maghrébin fait de tolérance mais résolument tournée vers le progrès est à notre portée. 

« Yes we can !  »  ( oui nous pouvons) martelait Obama  « Wir  shaffen das ! »  ( Nous y arriverons) avait dit  Muttie Merkel quand elle a accueilli, nourri, logé instruit, un million de Syriens quand d’autres pays au nom des droits de l’homme  tétanisés qu’ils étaient par leur extrême; traînaient les pieds pour accueillir quelques milliers de damnés de la Terre !   Mutatis mutandis nous devons faire le même pari  Oui nous pouvons y arriver tous ensemble ! Amen

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

Notes :
1- Lettre de démission du Président Ferhat Abbas 1963 

Article de référence  http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5274416 

 

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Sélection d’articles :

La politique canadienne à l’égard du Venezuela et d’Haïti révèle une hypocrisie ignorée par les médias.

Par Yves Engler, 17 mars 2019

Si les médias traditionnels voulaient sérieusement obliger le gouvernement canadien à rendre des comptes concernant ses décisions en matière de politique étrangère, ils pourraient facilement s’appuyer sur de nombreuses histoires soulignant l’hypocrisie de la réaction d’Ottawa face aux récents développements politiques en Haïti et au Venezuela.

 

La crise actuelle en Algérie

Par Djamel Labidi, 18 mars 2019

Si la jeunesse s’est mise en mouvement, c’est qu’elle a tout simplement de nouveaux besoins , de nouvelles aspirations économiques et politiques, qu’elle aspire à une meilleure qualité de la vie et plus de liberté, et donc plus de démocratie. … Ici, en Algérie, le système politique s’est avéré trop étroit pour ces nouveaux besoins historiques.

 

Etats de droit

Par Michel Raimbaud, 18 mars 2019

Ce vendredi 15 mars 2019 marque le huitième anniversaire d’un conflit universel. Déjà plus long que les deux guerres mondiales, il a passé « l’âge de raison » qui signifiait pour les parents et grands-parents de jadis la fin de l’innocence de leur progéniture. Les intellectuels de toutes les rives auraient intérêt à lire l’article publié à cette occasion par Kamal Khalaf, écrivain, journaliste et analyste politique palestinien bien connu, qui rappelle une réalité escamotée…

 

Au Venezuela, l’Empire devra composer avec la Russie

Par Oscar Fortin, 18 mars 2019

Aussi puissant que puisse être l’Empire, son monopole sur le monde n’est plus absolu. Déjà, la Russie lui a fait ce rappel lors de son intervention en Syrie, en appui au président légitime Bachar El-Hassad.  Une intervention qui a permis de mettre à jour, entre autres, toute l’hypocrisie de cet Empire qui, sous le prétexte de combattre le terrorisme, en était finalement le promoteur.

 

 Où mène le racisme ‘décomplexé’ de la sphère politico-médiatique

Par Daniel Vanhove, 18 mars 2019

Après Utøya en Norvège, Christchurch, en Nouvelle Zélande. Dans les deux cas, la haine. La haine à l’état pur. Dans son expression la plus brutale, la plus violente, la plus viscérale. Le ventre se noue, la gorge s’étreint, les larmes noient le regard. Et la tête s’ébouillante à la vue de tant de haine. Dont on se demande, presque naïvement : comment cela est-il possible ? Comment peut-on en arriver-là ? Qu’est-ce qui fait qu’un individu puisse basculer à ce point dans la détestation de l’autre ? Dans une telle ignominie ?

 

Après l’Acte XVIII des Gilets-Jaunes, quelles seront les réponses du gouvernement français?

Par Jean-Yves Jézéquel, 18 mars 2019

Pendant que la France des Gilets-jaunes se mobilisait partout sur le territoire national, pour une 18ème manifestation, 80% des Français attendaient impatiemment les décisions du Gouvernement macronien, faisant suite au « grand débat » qui est désormais clos. Le jour même de cette manifestation, annoncée comme l’une des plus importantes du mouvement avec la convergence des luttes, celle pour le climat notamment, le ministère de l’Intérieur devait mobiliser 80.000 policiers pour encadrer cette journée qui allait être difficile pour eux après 4 mois d’opérations de maintien de l’ordre sur toute la France.

 

Le “parti américain” dans les institutions Ue

Par Manlio Dinucci, 19 mars 2019

“La Russie ne peut plus être considérée comme un partenaire stratégique et l’Union européenne doit être prête à lui imposer d’ultérieures sanctions si elle continue à violer le droit international” : c’est ce qu’établit la résolution approuvée par le Parlement européen le 12 mars avec 402 voix pour, 163 contre et 89 abstentions. La résolution, présentée par la parlementaire lettone Sandra Kalniete, nie avant tout la légitimité des élections présidentielles en Russie, en les qualifiant de “non-démocratiques”, et en présentant ainsi le président Poutine comme un usurpateur.

 

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Un peu plus de trois ans après le drame de Samarco, à Mariana, un autre barrage minier de la multinationale Vale s’est effondré fin janvier au Brésil. La catastrophe, qui a fait plus de 300 victimes, met à nouveau sur le devant de la scène ce géant minier brésilien présent un peu partout dans le monde… jusqu’en Nouvelle-Calédonie. Un collectif de chercheurs et de mouvements sociaux a réalisé une cartographie des activités de Vale dans le monde et de nombreux cas de pollution et de conflits sociaux qu’elles entraînent. Le texte ci-dessous, qu’ils ont rédigé, présente ce travail.

Le 25 janvier 2019, une mer de boue a détruit les bâtiments administratifs et le réfectoire de la mine Córrego do Feijão ainsi qu’une partie de la communauté de Vila Ferteco à Brumadinho, entraînant la mort de plus de 300 personnes (lire notre article). Une tragédie humaine et environnementale incommensurable… et annoncée. Un peu plus de trois ans après le drame de la mine Samarco à Mariana, c’est encore une fois la rupture d’un barrage minier dans l’état de Minas Gerais. Et encore une fois une catastrophe impliquant la multinationale Vale.

(cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Au Brésil et dans les autres pays où elle opère [1] cette entreprise s’illustre par de nombreux cas de conflits, de violation des droits de l’homme, de procédures douteuses d’octroi de licences environnementales et d’indemnisation, d’amendes non payées, de dommages écologiques irréversibles et de destruction des moyens de subsistance des populations indigènes et autochtones.

Dans cet article, grâce à la contribution de chercheurs et de mouvements sociaux de différents pays, nous présentons une cartographie des conflits environnementaux liés à l’entreprise Vale, qui montre que la négligence et l’insécurité ressenties par les populations touchées par les tragédies de Brumadinho et de Mariana au Brésil ne sont pas des cas isolés et s’inscrivent dans un modus operandi systématiquement reproduit par Vale à l’échelle internationale.

« Ce n’était pas un accident. C’était un crime. »

Cet échantillon de près de 30 cas au Brésil, au Pérou, en Argentine, au Chili, au Mozambique, en Nouvelle-Calédonie, en Guinée, en Australie et en Indonésie renforce sans aucun doute les nombreuses voix qui disent : « Ce n’était pas un accident. C’était un crime. »

La version originale interactive de cette cartographie est disponible, avec des articles présentant chaque cas signalé, sur le site de l’Environmental Justice Atlas.

Il y a à peine trois ans, à Mariana, suite à la rupture du barrage minier Fundão, le fleuve Rio Doce a été complètement contaminé sur près de 700 kilomètres jusqu’à l’océan (lire notre enquête : Plus de deux ans après la catastrophe, les sinistrés de Samarco face au cynisme des multinationales minières). Dix-neuf personnes ont perdu la vie dans cet accident, tandis que des centaines de familles ont vu leurs maisons détruites. Ironiquement, ce même Rio Doce avait inspiré le nom original de Vale : Companhia Vale do Rio Doce (CVRD).

Dans cette région de l’État de Minas Gerais, où le CVRD, propriété de l’État brésilien, a vu le jour en 1942, en plus de l’insécurité croissante due à la présence de nombreux barrages, les populations souffrent également des impacts quotidiens de l’exploitation minière et de la lutte contre les projets d’expansion de Vale (par exemple, dans la chaîne de montagnes de Gandarela et à Nova Lima).

La croissance de CVRD et les « zones sacrifiées » dans le nord du Brésil

CVRD, fondée dans les années 1940 pendant la dictature de Getulio Vargas pour exploiter les ressources naturelles et stimuler l’industrialisation de l’économie brésilienne, a développé et élargi ses activités d’un point de vue sectoriel et géographique. À partir des années 1980, l’entreprise a étendu ses activités au nord du Brésil, dans l’État du Pará.

Aujourd’hui, selon le Système d’information géographique de l’exploitation minière (Sigmine), Vale dispose de 1 630 concessions minières au Brésil, couvrant une superficie totale de 53 977 km2 (équivalent à la surface de la Croatie).

(cliquez sur l’image pour l’agrandir)

En outre, selon l’Agence nationale brésilienne de l’exploitation minière (ANM), en plus des barrages de résidus miniers de Brumadinho et Mariana, Vale possède 160 autres barrages similaires à travers le pays, dont 65 sont identifiés comme présentant un risque potentiel élevé de dommages en cas de rupture.

Dans un contexte international où les industries polluantes et électro-intensives ont été progressivement délocalisées dans les pays du Sud, la municipalité de Barcarena dans l’État de Pará se spécialise dans l’industrie de l’aluminium (lire notre enquête sur place : Polluées, menacées, déplacées : ces communautés amazoniennes aux prises avec des multinationales européennes). Dans ce processus, les populations autochtones (quilombolas et autres communautés locales) ont subi les impacts négatifs de l’industrie sans bénéficier du développement promis (par exemple avec le projet hydroélectrique Alunorte, le pipeline de Moju ou l’exploitation de la bauxite à Oriximiná).

En outre, le projet ferroviaire de Carajás, construit par CRVD afin d’exporter les importantes réserves de minerai de fer exploitées dans la région, a accéléré la déforestation de la forêt amazonienne, le bois coupé étant ensuite transformé en charbon de bois et utilisé par l’industrie de la fonte établie le long du chemin de fer. Dans l’une des communautés situées le long du chemin de fer de Carajás, Piquiá de Baixo, où la population souffre de problèmes de santé en raison de la pollution de l’industrie de la fonte, plusieurs groupes de résistance se sont organisés et formé le Rede Justiça nos Trilhos (« Réseau justice sur les rails ») en 2007. Cette alliance a joué un rôle fondamental pour que la relocalisation revendiquée par les habitants vers une nouvelle communauté sur un site non pollué, rebaptisée Piquiá da Conquista (« Piquiá de conquête »), ait enfin lieu.

Le réseau Justiça nos Trilhos joue également un rôle actif dans une autre affaire d’injustice environnementale impliquant CVRD : le projet S11D, qui n’est autre que le plus grand projet de mine de fer au monde. Celui-ci a été vivement contesté pour ses incidences sur l’environnement dans la forêt nationale protégée de Carajás et pour des allégations d’acquisitions irrégulières de terres et d’expropriations violentes dans la communauté de Canaã dos Carajás – à quoi s’ajoutent les violations des droits de l’homme liées à l’implantation du chemin de fer de Carajás, utilisé pour transporter le minerai du S11D.

Les Xikrin, un des peuples indigènes implantés en bordure de la forêt de Carajás, sont aussi affectés par deux autres projets de la société, le projet de nickel Onça Puma et le projet de cuivre Salobo. Plusieurs procédures judiciaires sont en cours opposant cette communauté et Vale. Une des préoccupations majeures des Xikrin est la pollution de la rivière Cateté par les métaux lourds, qui a des conséquences dramatiques pour leur survie et leur culture. Ils reçoivent une compensation de Vale, mais exigent surtout la cessation des opérations afin d’assurer la préservation de leur mode de vie.

De CVRD à la multinationale Vale

Ces affaires impliquant la communauté autochtone xikrin et les autres cas cités précédemment, suggèrent que Vale ne comprend ou n’écoute pas les revendications locales, en particulier lorsque la destruction de modes de vie et de valeurs culturelles et écologiques (voire de vies tout court) ne peut être compensée financièrement. Après tout, combien vaut une rivière ? Et si l’histoire passée de Vale a toujours été une histoire de destruction, son histoire récente est, à certains égards, encore plus troublante.

Depuis 1997, CVRD a connu un processus de privatisation et d’internationalisation. Ce processus a été couronné en 2007 par son changement de nom au profit de Vale, plus moderne. Le V de CVRD, qui signifiait « vallée » en référence à la dépression géographique naturelle du fleuve Rio Doce désormais contaminé par les résidus miniers, céda ainsi sa place à un nouveau Vale, annoncé en grande pompe par l’ancien président de la société Roger Agnelli : « Partout dans le monde, le mot Vale est facile. Vale est synonyme de valeur. C’est un nom court et facile à retenir. » Ce changement de désignation visait à améliorer la communication de Vale avec ses actionnaires dans le monde entier. Par contre, l’effet ne fut pas le même en ce qui concerne les communautés locales.

En général, les activités de Vale en dehors du Brésil sont marquées par des injustices environnementales très similaires à celles observées dans les cas brésiliens. L’une des initiatives lancées pour lutter contre les impacts et les violations des droits de l’homme causés par Vale au niveau mondial, est la coalition internationale des personnes impactées par Vale, qui rassemble depuis 2009 des organisations et des mouvements sociaux de nombreux pays où la société est présente.

Pendant qu’au Brésil Vale consolidait sa position de premier producteur mondial de minerai de fer (avec plus de 350 millions de tonnes produites en 2017), l’acquisition de la société minière canadienne Inco Limited en 2006 et les investissements à Moatize au Mozambique en 2004 l’ont également élevé au rang de producteur majeur de nickel et de charbon à l’échelle internationale. Le fer, le charbon et le nickel sont les éléments nécessaires à la production d’acier, alliage métallique dont la consommation a drastiquement augmenté en raison de la forte croissance économique chinoise. Inco possédait les plus grandes réserves de nickel au monde et représentait le deuxième producteur mondial de nickel, avec des activités en Indonésie et en Nouvelle-Calédonie.

En Indonésie, Inco (absorbée depuis par Vale) a commencé ses activités en 1968. Depuis plus de cinquante ans, les peuples autochtones se battent pour avoir accès à leurs terres ancestrales et à leurs moyens de subsistance ainsi que contre la pollution de l’eau, de l’air, du sol et les problèmes de santé causés par l’exploitation du nickel. Leur combat vise aussi les projets hydroélectriques de la région, présentés comme une source d’énergie « propre », alors qu’ils servent principalement à alimenter en électricité l’activité minière locale. La région de Moatize a été considérée comme recelant les plus importants gisements de charbon non exploités du monde. Dans la région, des centaines de petits agriculteurs mozambicains, réinstallés dans des conditions précaires par Vale, continuent de réclamer une indemnisation appropriée et respectueuse.

Au cours de la période récente, Vale a également étendu ses activités aux secteurs de l’énergie et de la logistique, en raison de leur rôle clé de support des activités minières. Au Brésil, outre le chemin de fer Carajás, la multinationale a réalisé d’importants investissements dans l’énergie, notamment dans le gigantesque projet hydroélectrique de Belo Monte en Amazonie.

Dans le secteur minier, outre le « paquet acier », Vale a investi dans des projets d’extraction de cuivre et de phosphates principalement en Amérique du Sud. Au Pérou, par exemple, selon l’Institut géologique de l’activité minière et métallurgique (INGEMMET), Vale dispose de 432 concessions minières (242 concessions autorisées, 188 en attente d’autorisation et 2 annulées), ce qui représente une superficie totale de 4297 km2.

Dans l’un des rares cas de justice environnementale répertoriées dans notre cartographie, les communautés de Cajamarca (Pérou) ont réussi à suspendre un projet d’exploitation de cuivre de Vale après avoir prouvé qu’il y avait d’innombrables irrégularités dans l’approbation des permis d’exploration et des licences environnementales.

Pour conclure, il est également important de souligner que la privatisation et l’internationalisation de Vale lui donnent une plus grande flexibilité pour des acquisitions et des cessions sur de courtes périodes. Dans de nombreux cas, Vale a revendu des projets miniers sans assumer sa responsabilité environnementale et sociale (par exemple, un projet de cuivre au Chili, un projet de phosphate au Pérou, un projet de potasse en Argentine). Dans le cas du projet de phosphate Bayóvar au Pérou, la communauté locale a dénoncé une appropriation illégale de la terre et les pêcheurs une pollution de la mer et de l’air. Deux pêcheurs ont été tués en 2012 lors de manifestations contre Vale.

Si la présence d’importants passifs sociaux et environnementaux est l’un des traits communs des cas rassemblés ici, il y en a d’autres : le peu de bénéfices sociaux ou économiques pour les communautés locales, et le fait que la multinationale essaie toujours de se décharger de sa responsabilité. Pour cette raison, il est nécessaire de veiller à ce que l’impunité ne prévale pas en ce qui concerne les deux tragédies de Mariana et de Brumadinho, ainsi que dans tous les autres cas cités dans cet article. Mais il apparaît tout aussi nécessaire de réfléchir aux problèmes engendrés par l’intense extractivisme qui prévaut dans les pays du Sud, mené par de grandes sociétés minières telles que Vale, afin de satisfaire les « besoins » de consommation de pays plus riches.

Version interactive de la cartographie et lien vers les études de cas détaillées (généralement en anglais, espagnol ou portugais) : https://ejatlas.org/featured/envconflictsvale#

Cette cartographie a été coproduite par des universitaires activistes, des chercheurs indépendants et des activistes locaux. Les auteurs des fiches de conflits sont indiqués à la fin de chaque fiche. Nous sommes reconnaissants aux organisations et aux collectifs qui ont échangé avec nous des informations et des données et qui luttent chaque jour sur le terrain, devant les tribunaux, chez eux.

Nous remercions spécialement les organisations suivantes : Movimento d ’Atingid @ s por Barragens (MAB) ; Arculação Internacional da Atingid @ s Pela Vale ; Movimento Aguas de Gandarela ; FASE ; Jubileu Sul Brasil, Movimento pela Soberania ; Grupo de pesquisa de Mapa de Conflitos envolvendo Injustiça Ambiental e Saúde no Brasil ; Mining Watch Canada ; JATAM Indonesia.

Cette carte s’appuie sur la coordination générale, les recherches et le graphisme du groupe de recherche EJAtlas (Daniela Del Bene, Sara Mingorría, Greel Navas, Lucrecia Wagner, Raquel Neyra, Max Stoisser), de Yannick Deniau du collectif Geocomunes et de Beatriz Saes (Universidade Federal Fluminense).

 

Source : https://ejatlas.org

 

[127 pays au total ; dans dix pays, elle n’a que des bureaux, dans quatorze pays, elle a des projets extractifs opérationnels, et des activités de prospection sont en cours dans les trois derniers.

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Si nous avons l’air assez indépendants, nous pouvons faire pour vous des choses que même la CIA ne peut pas faire – l’ancien premier ministre du Canada Jean Chrétien.

À mesure que la crise politique au Venezuela s’aggrave, le rôle de premier plan que jouent le Canada et le gouvernement Trudeau dans le coup d’État orchestré par les États-Unis devient de plus en plus évident. Comme son homologue américain, l’impérialisme canadien convoite les vastes ressources pétrolières du Venezuela et est déterminé à empêcher la Russie, la Chine et d’autres «rivaux stratégiques» d’étendre leur influence dans les Amériques, même si cette poursuite nue des intérêts prédateurs menace de déclencher un sanglant conflit.

Le 25 février, le vice-président américain Mike Pence a été invité à prendre la parole lors d’une réunion à Bogota du Groupe de Lima, une coalition d’alliés des États-Unis dans la région, co-fondée et dirigée par le Canada. Dans un discours belliqueux, M. Pence a juré «qu’il n’y a pas de retour en arrière» au Venezuela et a réitéré la menace du président américain Donald Trump que «toutes les options sont sur la table» – c’est-à-dire une intervention militaire – pour forcer Nicolás Maduro et son régime nationaliste bourgeois à quitter le pouvoir.

Après le discours de Pence, le Groupe de Lima, composé du Canada et de treize pays d’Amérique latine, a publié une déclaration réitérant son soutien au président intérimaire autoproclamé Juan Guaidó et appuyant la demande de Pence que l’armée vénézuélienne achève le coup d’État mené par les États-Unis en passant de Maduro, président élu du pays, au futur dirigeant fantoche des États-Unis.

Seuls deux membres du groupe, le Mexique et l’Uruguay, ont refusé d’appuyer la déclaration. Mais le Canada travaille en coulisse, apparemment avec un certain succès, pour convaincre le Mexique d’abandonner sa position actuelle qui consiste à préconiser un règlement négocié entre Maduro et l’opposition de droite, pro-américaine, du Venezuela.

S’exprimant au nom du Groupe de Lima, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a déclaré: «Nous avons réaffirmé notre conviction que la transition vers la démocratie doit être menée par les Vénézuéliens eux-mêmes, pacifiquement, dans le cadre de la Constitution, conformément au droit international et avec le soutien de moyens politiques et diplomatiques, sans recours à la force».

C’est un subterfuge. En excluant l’intervention militaire, le Canada ne cherche pour l’instant qu’à prendre ses distances par rapport aux menaces belliqueuses de l’administration Trump, pour mieux appuyer l’opération de changement de régime dirigée par les États-Unis, tout en jetant les bases politiques d’un blocus naval ou d’une invasion totale si les sanctions économiques croissantes – qui constituent en soi un acte d’agression équivalent à un acte de guerre – s’avèrent insuffisantes.

Créé en 2017 dans le but prétendu de négocier une résolution «pacifique» de la crise sociopolitique croissante au Venezuela, le véritable objectif du Groupe de Lima – et le rôle du Canada en est un exemple – est de donner une façade «humanitaire» et «démocratique» aux intrigues impérialistes américaines dans ce pays.

Comme l’a fait remarquer le journaliste radical Yves Engler dans un commentaire récent sur le rôle du Canada dans le coup d’État orchestré par les États-Unis au Venezuela, l’ancien premier ministre libéral Jean Chrétien a fait un commentaire révélateur qui montre comment l’impérialisme canadien aide et encourage ses alliés américains. M. Chrétien a déclaré au président américain Bill Clinton: «Garder une certaine distance sera bon pour nous deux. Si nous avons l’air d’être le cinquante et unième État des États-Unis, nous ne pouvons rien faire pour vous au niveau international, tout comme le gouverneur d’un État ne peut rien faire pour vous au niveau international. Mais si on a l’air assez indépendants, on peut faire des choses que même la CIA ne peut pas faire pour vous.»

L’intervention de M. Pence à la réunion de Bogota a souligné que, bien que les États-Unis ne soient pas officiellement membres du Groupe de Lima, le Canada et ses alliés d’Amérique latine travaillent en tandem avec lui. En fait, le Groupe de Lima est directement impliqué dans les plans de guerre américains, comme l’a montré la réunion de la semaine dernière en Floride entre le chef des forces armées colombiennes, le général Luis Navarro Jiménez, et les dirigeants du commandement sud du Pentagone.

Comme les États-Unis, le Canada a blâmé le régime Maduro pour la violence qui a eu lieu le mois dernier lors de la provocation organisée par les États-Unis à la frontière entre le Venezuela et la Colombie au sujet du prétendu convoi «d’aide humanitaire». Freeland et la ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau, ont immédiatement publié une déclaration demandant que «les auteurs» de cette «violation inacceptable des principes humanitaires fondamentaux et de la décence humaine…» soient traduits en justice. Dans le but de légitimer le renversement du président élu du Venezuela et de justifier une action militaire future, le Canada a déjà demandé à la Cour pénale internationale d’enquêter sur le régime Maduro.

Cependant, la tentative des Etats-Unis, du Canada et de l’opposition vénézuélienne de déclencher un tollé de propagande sur le convoi «d’aide» s’est rapidement heurté à la vérité. Le week-end dernier, même le New York Times a dû admettre que c’étaient les forces loyales à l’opposition vénézuélienne qui avaient mis le feu au camion «d’aide» dans une provocation calculée.

Tout comme l’administration Trump, le Canada se sert du blocage par le gouvernement vénézuélien du «convoi d’aide» (qui sert de cheval de Troie) pour justifier l’imposition de sanctions plus sévères contre les fonctionnaires du gouvernement vénézuélien. Freeland a déclaré que le Canada a «mis bon nombre des hauts dirigeants du régime Maduro sur la liste des sanctions et qu’il discute actuellement avec ses partenaires des moyens d’élargir cette liste afin qu’elle soit encore plus mordante».

Depuis 2018, plusieurs responsables vénézuéliens ont été la cible de sanctions américaines et canadiennes. Inutile de dire que de telles mesures ne sont pas prises contre des régimes alignés sur Ottawa et Washington qui ont des antécédents bien pires en matière de violations des droits de la personne, comme la dictature Al-Sisi en Égypte ou la monarchie absolutiste saoudienne.

L’exigence de Pence que les États membres du Groupe de Lima transfèrent la propriété de tous les actifs vénézuéliens à l’intérieur de leurs frontières, y compris ceux de la compagnie pétrolière d’État PDVSA, au «gouvernement intérimaire» dirigé par Guaidó est une idée élaborée conjointement par le groupe de réflexion du Dialogue interaméricain de Washington et le Centre canadien pour l’innovation en gouvernance internationale, basé à Waterloo en Ontario.

La tentative actuelle d’évincer le régime de Maduro est l’aboutissement d’une campagne de déstabilisation impérialiste américaine de longue date, y compris un coup d’État manqué orchestré par les États-Unis contre le prédécesseur de Maduro, Hugo Chávez, en 2002.

Un rapport de la Presse canadienne publié à la fin de janvier a révélé que les diplomates canadiens ont travaillé systématiquement pendant plusieurs mois avec leurs homologues latino-américains à Caracas pour préparer l’opération actuelle de changement de régime, pressant les opposants de droite de Maduro de mettre de côté leurs différends et de lancer un défi commun au gouvernement. «Le moment clé» a déclaré la presse canadienne, a été «le 4 janvier, lorsque le Groupe de Lima a rejeté la légitimité de la victoire électorale de Maduro aux élections de mai 2018 et son investiture imminente le 10 janvier, tout en reconnaissant l’Assemblée nationale « légitimement élue »». Selon le rapport, un représentant canadien anonyme a déclaré que l’opposition «était vraiment à la recherche d’un soutien international, pour pouvoir s’accrocher à une raison de s’unir et pousser quelqu’un comme Juan Guaidó».

Un jour avant l’investiture de Maduro, Freeland s’est entretenue par téléphone avec Guaidó, le président nouvellement élu de l’Assemblée nationale, pour lui demander instamment de défier le président vénézuélien élu.

Comme Washington, l’impérialisme canadien est déterminé à mettre en place un régime fantoche au Venezuela afin de faire progresser ses ambitions prédatrices en Amérique latine et de contrer la présence croissante de la Russie et de la Chine dans la région.

Les sociétés financières et minières canadiennes sont très actives en Amérique latine et dans les Caraïbes (ALC), une région qui possède environ 25% des forêts du monde et environ 35% du potentiel hydroélectrique de la planète, ainsi que 85% de toutes les réserves connues de lithium et un tiers des ressources de cuivre, bauxite et argent. La région est également riche en charbon, pétrole, gaz et uranium, et des réserves de pétrole sous-marines sont régulièrement découvertes le long de ses côtes.

Dans leur livre de 2016 Blood of extraction: Canadian Imperialism in Latin America, Todd Gordon et Jeffrey Webber décrivent en détail l’expansion du capital canadien en Amérique latine et dans les Caraïbes, ainsi que les crimes des entreprises canadiennes pour assurer l’accès aux ressources de la région et au vaste bassin de main-d’œuvre bon marché.

En 1990, les capitaux canadiens en Amérique latine, sous forme d’investissements étrangers directs cumulatifs (IED), s’élevaient à 2,58 milliards de dollars canadiens. En 2000, ils s’élevaient à 25,3 milliards de dollars canadiens, soit une augmentation de 800%, et en 2013, à 59,4 milliards de dollars canadiens, soit une augmentation de 134% par rapport à 2000 et de 2198% depuis 1990. De 2007 à 2012, le Canada a été la deuxième source d’IED dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes, derrière les États-Unis seulement.

Plus de la moitié des actifs miniers canadiens détenus à l’étranger, soit quelque 72,4 milliards de dollars canadiens, sont en Amérique latine et les Caraïbes. Il n’y avait que deux mines canadiennes en exploitation dans la région en 1990. En 2012, ce nombre était passé à quatre-vingts, et 48 autres étaient en développement ou prospection. Les mines en exploitation ont généré des revenus combinés de 19,3 milliards de dollars canadiens en 2012 pour les entreprises canadiennes. En 2014, 62% de toutes les mines actives dans la région appartenaient à des sociétés ayant leur siège social au Canada.

Derrière la rhétorique «humanitaire» bidon, ce sont ces investissements de plusieurs milliards de dollars et l’espoir d’un pillage encore plus important qui poussent le gouvernement du Canada à jouer un rôle de premier plan dans l’opération de changement de régime menée par les États-Unis au Venezuela, le pays qui abrite les plus importantes réserves prouvées de pétrole au monde. Le gouvernement Trudeau et les grandes entreprises canadiennes sont déterminés à s’emparer de la plus grande part du gâteau possible en Amérique latine, même si cela signifie la dictature et la guerre sans fin pour la classe ouvrière de la région.

 

Article paru en anglais, WSWS, le 14 mars 2019

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Le “parti américain” dans les institutions Ue

mars 19th, 2019 by Manlio Dinucci

“La Russie ne peut plus être considérée comme un partenaire stratégique et l’Union européenne doit être prête à lui imposer d’ultérieures sanctions si elle continue à violer le droit international” : c’est ce qu’établit la résolution approuvée par le Parlement européen le 12 mars avec 402 voix pour, 163 contre et 89 abstentions. La résolution, présentée par la parlementaire lettone Sandra Kalniete, nie avant tout la légitimité des élections présidentielles en Russie, en les qualifiant de “non-démocratiques”, et en présentant ainsi le président Poutine comme un usurpateur.

Elle accuse la Russie non seulement de “violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et de la Géorgie”, mais de l’”intervention en Syrie et de l’interférence dans des pays comme la Libye”, et, en Europe, d’interférence visant à influencer les élections et à attiser les tensions”. Elle accuse la Russie de “violation des accords de contrôle des armements”, en lui attribuant la responsabilité d’avoir fossoyé le Traité FNI. Elle l’accuse en outre d’ “importantes violations des droits de l’homme en Russie, y compris tortures et exécutions extra-judiciaires”, et d’”assassinats perpétrés par des agents de renseignement russes au moyen d’armes chimiques sur le sol européen”.

Au terme de ces accusations et d’autres, le Parlement européen déclare que le Nord Stream 2 -le gazoduc destiné à doubler la fourniture de gaz russe à l’Allemagne à travers la Mer Baltique- “accroît la dépendance européenne vis-à-vis de l’approvisionnement en gaz russe, menace le marché intérieur européen et ses intérêts stratégiques […] et qu’il doit donc y être mis fin”.

La résolution du Parlement européen répète fidèlement, non seulement dans ses contenus mais dans ses paroles mêmes, les accusations que les USA et l’Otan adressent à la Russie. Et chose plus importante, il répète fidèlement la demande de bloquer le Nord Stream 2 : objectif de la stratégie de Washington visant à réduire les fournitures énergétiques russes à l’Union européenne pour les remplacer par celles provenant des États-Unis ou en tous cas de compagnies étasuniennes.

Dans ce même cadre entre la communication de la Commission européenne aux pays membres, dont l’Italie, ayant l’intention d’adhérer à l’initiative chinoise de la Nouvelle Route de la Soie : la Commission les prévient que la Chine est un partenaire mais aussi un concurrent économique et, chose de la plus haute importance, “un rival systémique qui promeut des modèles alternatifs de gouvernance”, en d’autres termes des modèles alternatifs à la gouvernance jusque là dominée par les puissances occidentales.

La Commission avertit qu’il faut avant tout “sauvegarder les infrastructures digitales critiques de menaces potentiellement sérieuses contre la sécurité”, dérivant de réseaux 5G fournis par des sociétés chinoises comme Huawei mise au ban par les États-Unis. La Commission européenne répète fidèlement l’avertissement des États-Unis aux alliés. Le Commandant Suprême Allié en Europe, le général étasunien Scaparrotti, a averti que les réseaux mobiles ultra-rapides de cinquième génération joueront un rôle de plus en plus important dans les capacités guerrières de l’Otan : de ce fait ne sont pas admises de “légèretés” de la part des alliés.

Tout cela confirme quelle influence exerce le “parti américain”, puissant camp transversal qui oriente les politiques de l’Union le long des lignes stratégiques USA/Otan.

En construisant la fausse image d’une Russie et d’une Chine menaçantes, les institutions Ue préparent l’opinion publique à accepter ce que les États-Unis sont en train de préparer pour “défendre” l’Europe : les États-Unis -a déclaré à CNN un porte-parole du Pentagone- se préparent à tester des missiles balistiques avec base à terre (interdits par le Traité FNI enterré par Washington), c’est-à-dire de nouveaux euromissiles qui feront à nouveau de l’Europe la base et en même temps la cible d’une guerre nucléaire.

Manlio Dinucci

 

 

Édition de mardi 19 mars 2019 deil manifesto

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

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Des équipes de journalistes du World Socialist Web Site ont interviewé des étudiants qui ont manifesté vendredi dernier dans des pays du monde entier en faveur d’une action contre le changement climatique.

Royaume-Uni

Ladan, 18 ans, qui s’est absentée des classes de son école dans l’Oxfordshire, a rencontré l’équipe du WSWS. Elle a expliqué: «Moi et mon amie, nous nous préoccupons vraiment du changement climatique et nous avons voulu faire quelque chose pour y remédier pendant si longtemps. Si nous ne faisons rien bientôt, nous n’aurons pas d’autre occasion».

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi tant de jeunes gens étaient venus à la manifestation, Lucy, l’amie de Ladan, âgée de 16 ans, a répondu: «Beaucoup de choses sont dues aux médias sociaux. C’est beaucoup plus facile d’y accéder et de trouver une réponse. On peut trouver tellement de comptes rendus qui préconisent de faire quelque chose pour remédier à ce qui ne va pas. Les gens se rendent compte que le capitalisme et l’argent ne sont plus les choses les plus importantes».

«Le capitalisme est responsable du changement climatique parce que les capitalistes veulent trouver la solution la moins chère pour vendre des choses aux gens».

«Le capitalisme tue la planète. Il faut tuer le capitalisme!» et «Des frontières ouvertes pour les réfugiés climatiques» (Royaume-Uni)

Quatre élèves de l’école «Tunbridge Wells Bennett Memorial School» ont hissé des banderoles qui déclaraient: «Nous sommes la révolution pour la solution» et «Changer le gouvernement. Pas le climat». Ils ont dit au WSWS qu’ils pensaient que le changement climatique est le plus grand problème pour les jeunes.

«C’est aussi politique», a fait remarquer un étudiant. «Nous devons changer le système et l’approche au changement climatique. Parce qu’il n’existe pas de politique véritable, à l’heure actuelle».

«Notre école nous disait d’écrire [sur le changement climatique] et de ne pas de faire la grève, mais nous avons décidé de faire grève. Ça fait une différence de venir ici. Parce que nous sommes tous ensemble. Les jeunes ont été dépeints comme étant apathiques vis-à-vis de la politique, mais maintenant ils trouvent leur chemin».

«Cette planète est une chose que nous avons tous en commun. Et elle est détruite par le capitalisme au nom du profit. La situation se détériore si rapidement».

«Ils se fichent de la richesse pour gens ordinaires. C’est arrivé au point où l’argent, les marges de profit sont ce qui compte. Ce ne sont plus les gens qui travaillent ou qui font la production qui comptent».

Un des étudiants a déclaré: «Le système bipartite ne fonctionne plus». Un autre a dit: «Je propose une forme démocratique de socialisme, où le 1 pour cent ne contrôle plus 60 pour cent de la richesse».

Trois autres étudiants étaient également venus ensemble à la manifestation. L’un d’entre eux, tenant une pancarte «Mort au Capitalisme! Mort au changement de climat!» a expliqué qu’il avait assisté à la précédente manifestation au Royaume-Uni le 15 février et qu’il voulait «Arrêter ce glissement vers la catastrophe».

Son ami a expliqué que des députés avaient récemment tenu un débat sur les changements climatiques et que seulement 30 d’entre eux étaient présents. «C’était le premier débat depuis deux ans et personne n’est venu. Cela montre qu’ils s’en fichent».

«L’une des raisons pour lesquelles les gouvernements ne se soucient pas du changement climatique, c’est qu’ils font l’objet de pressions et ce sont les sociétés pétrolières qui les financent. Nous pouvons faire évoluer les choses par des manifestations, mais aussi en appelant à la propriété publique plutôt qu’à la propriété privée. Aujourd’hui, c’est une bonne façon de changer les choses».

Un autre élève a cependant insisté sur le fait que «Il n’y a pas grand-chose qu’on peut faire individuellement. C’est une question d’accords internationaux et de coopération avec d’autres pays».

Son ami a dit: «C’est beaucoup plus une question de changer qui contrôle la propriété. Les gens se rendent compte que le système s’est détérioré et ont vu la montée de l’extrémisme de droite. Il s’agit de contrôler les entreprises et de les mettre entre les mains du peuple».

France

Lys, une lycéenne parisienne, a déclaré: «On va à la manifestation justement pour montrer que la jeunesse a la possibilité de faire changer les choses. On aimerait qu’il y ait des choses qui soient vraiment faites, que ce ne soit pas juste de la promotion du gouvernement».

«Certains rêvent d’une banque. Nous rêvons d’une banquise.» (Paris)

«Il y a une pression des lobbies etc. Il y a des fausses solutions qui sont mises en place: les voitures hybrides, c’est bien, ça ne polluera pas dans les villes, mais les batteries, ça pollue énormément. … Du coup je serais contente qu’il y ait vraiment des actions à l’échelle mondiale, dans toute l’Europe ou dans tout le monde aujourd’hui».

«Actuellement en France il y a 280.000 soldats, mais ils sont déployés partout dans le monde. Je trouve que déjà la France a un rayon d’action qui est beaucoup trop grand. … Pour moi c’est vraiment une guerre d’intérêts, que ce soit financiers ou politiques. C’est ça que je trouve dangereux. C’est pour ça aussi que j’ai peur pour le climat, et c’est d’abord les intérêts qui peuvent s’acheter la politique et le pouvoir. Et c’est pour ça que je suis là aujourd’hui.».

«Je trouve ça complètement débile de taxer des particuliers avec de l’essence, des populations rurales qui n’ont pas d’autre moyen de transport que la voiture alors que les Parisiens prennent la voiture pour aller au boulot. Ils pourraient quand même s’en passer».

Un lycéen du Lycée Saint-Louis à Paris a dit:

«Notre inaction d’aujourd’hui est un crime pour demain» (Paris)

«Ce n’est pas en taxant le pétrole qu’on va révolutionner l’écologie. C’est en changeant tout, la société et le modèle économique qui sont faits pour faire du profit avec les banques et le capitalisme. Moi je pense que c’est en changeant en profondeur le système économique qu’on va sauver la terre. En ce moment, on n’est pas sur une logique de sauver l’espèce humaine, mais de sauver le profit».

«Pour moi le traité de Paris c’était surtout une grosse intox pour donner l’impression qu’on arrivait à quelque chose».

Interrogé au sujet de l’annonce par Macron de son service militaire obligatoire en France, l’étudiant a déclaré: «Aller me battre pour Macron, certainement pas. Pour la France non plus, parce que moi ne me considère pas français, mais humain. Moi mon espace c’est l’humanité. Je ne suis pas français. Et pour moi le service ne devrait pas être militaire, mais pour nous enseigner par exemple les premiers secours».

Allemagne

Arvid et Finn sont étudiants en physique à l’Université libre de Berlin.

Des étudiants manifestent à Berlin

Arvid a déclaré: «La mobilisation qui a eu lieu ces dernières semaines pour la protection du climat m’a enthousiasmé. Mais je pense qu’il est très difficile de s’attaquer à cette grande tâche de protection du climat avec le système économique actuel où tout est conçu pour être concurrentiel. Dans ce système, les entreprises ou les nations se battent pour elles-mêmes. Le capitalisme n’est pas le meilleur moyen de relever ce défi».

Finn a ajouté que «tout effort qui vise à protéger le climat est considéré comme un « désavantage concurrentiel » dans ce système».

Liz, Pascal, Valérie et George sont étudiants en géographie à l’Université Humboldt.

Pascal a dit: «La politique climatique nous concerne tous. Nous sommes des scientifiques, des géographes. Les politiciens ont dormi là-dessus pendant des années, même si nous connaissons la limite du réchauffement climatique de 1,5 degré fixée par la science pour prévenir une catastrophe naturelle. On ne peut pas accepter ça. C’est la génération qui descend dans la rue aujourd’hui qui sera massivement touchée. Cela changera toute notre vie. Mais je pense qu’on peut encore tourner le gouvernail. Mais il ne nous reste que 10 ans et c’est une période extrêmement courte».

George a dit qu’il n’était pas opposé au système capitaliste, mais qu’il aurait besoin d’être «restructuré» pour faire face au problème du changement climatique, afin qu’il ne soit pas axé sur la «croissance».

«Nous avons perdu environ un quart de notre sol d’humus au cours des 25 dernières années», dit Pascal. «Ça n’intéresse personne parmi ceux qui font la politique gouvernementale. C’est dramatique et nous voyons les dangers partout. La biodiversité continue de décliner. Nous devons agir maintenant, à tous les niveaux».

États-Unis

L’International Youth and Students for Social Equality (IYSSE) de l’Université du Michigan s’est entretenu avec des étudiants et des jeunes à Ann Arbor, Michigan. Marisol, une lycéenne, a déclaré: «J’ai l’impression que nous vivons avec un nuage au-dessus de notre tête. Les entreprises et les politiciens ne veulent absolument rien changer. La classe ouvrière a juste besoin de se réveiller et de voir sa puissance».

Elle a ajouté: «Ce n’est pas la faute des gens du bas de l’échelle, qui n’ont rien. Ce sont les riches, les entreprises et les politiciens qui sont responsables». Isaac a convenu que le système capitaliste était à l’origine du problème du changement climatique: «Nous devons sortir du bipartisme, c’est sûr, ils sont tous les deux pour les riches».

Nissa et Isaac, qui sont étudiants à l’Université du Michigan, sont venus à la manifestation parce qu’ils pensent que le changement climatique est l’un des problèmes les plus urgents auxquels la classe ouvrière est confrontée aujourd’hui. Nissa a expliqué: «Je crois que c’est un problème systémique, c’est-à-dire du système capitaliste. Et pour le résoudre, nous devons le comprendre. Les élites mondiales sont si loin de régler ce problème, et elles ne peuvent pas. On n’a rien fait et ça s’empire». Isaac a ajouté: «Je pense que nous sommes tous les deux d’accord que les seules personnes qui peuvent résoudre ce problème sont les gens ordinaires, la classe ouvrière».

Issac et Marisol à l’Université du Michigan aux États-Unis

À l’Université de New York, les militants de l’IYSSE ont assisté à plusieurs manifestations dans la ville. Lucie, une étudiante de l’Université de New York, spécialisée dans les études européennes et méditerranéennes, a déclaré: «Les marches en Europe m’ont inspiré et nous avons besoin de montrer notre soutien. Nous n’avons pas de planète B. Nous ne voyons pas les changements qui s’imposent. Les politiciens ne changent pas les lois qui existent avant qu’on ait fait cette recherche, et ils agissent comme si c’était trop difficile à changer maintenant». Quand on lui a demandé si elle pensait que le changement était possible sous le capitalisme, elle a ajouté: «Non, nous avons besoin de changements radicaux maintenant. L’alternative doit devenir la norme».

L’amie de Lucie, Audrey, a dit: «Je ne comprends pas pourquoi tout le monde n’est pas là. Nous constatons que cette question frappe plus durement certaines personnes, mais elle touche tout le monde. Les politiciens nous ignorent et prétendent que tout va bien».

Une équipe de la campagne IYSSE à La Nouvelle-Orléans a interviewé Darryl. «Je pense que ce mouvement mondial de plus en plus important, dirigé par les jeunes, est vraiment essentiel pour que quelque chose se produise», a-t-il dit. «Je pense que nous devons changer complètement de politique en matière d’énergie, garder le pétrole et le gaz dans le sol et nous diriger rapidement vers l’énergie solaire et les ressources renouvelables». Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il nous faut pour mettre en œuvre ces politiques, Darryl a répondu: «Je pense qu’il faut un mouvement politique de masse. J’ai vu le New Deal vert, mais il doit aller beaucoup plus loin que ce dont ils parlent».

Canada

Une équipe de WSWS a interviewé des étudiants à Montréal. En réponse à une question sur l’inaction des gouvernements du monde entier, un étudiant a répondu: «Il faut les changer, mais ça revient du pareil au même». Son ami a ajouté que «que tout le monde doit s’opposer à leurs gouvernements», autrement, les conséquences seraient «qu’il n’y aura plus rien d’ici une couple de générations».

Expliquant pourquoi il manifestait, Théo, un élève du secondaire, a dit: «On est ici pour manifester contre le changement climatique, parce que les gouvernements ne font rien, ni les grandes entreprises».

Soulignant le caractère international des manifestations, le reporter du WSWS a demandé à un autre groupe d’étudiants ce qu’ils pensaient de leur importance. En réponse, ils ont montré leur signe, qui disait: «Que le capitalisme aille se faire f**tre».

«Ce qu’il faut, c’est un changement de système», a dit un étudiant, en ajoutant: «C’est bon de voir tous les gens – les étudiants, les gens qui ont des enfants, les personnes âgées – se rassembler pour protester».

Fanny, une étudiante suisse, a déclaré qu’elle avait déjà participé à des manifestations similaires dans son propre pays. Elle a reconnu l’importance du caractère international des manifestations et elle a souligné la nécessité d’une action politique mondiale, ajoutant que les tentatives qui visent à présenter le changement climatique comme un problème individuel doivent être contrées. «Les gouvernements se dérobent à cette responsabilité en la présentant [l’action environnementale] comme une question individuelle».

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Lors de la mobilisation pour l’Acte 18 marquant quatre mois du mouvement des «gilets jaunes», les manifestants ont appelé à la poursuite du mouvement et à la solidarité avec les luttes en Algérie.

Après quatre mois, il est clair qu’en se mobilisant, les «gilets jaunes» se sont engagés dans une lutte plus longue que prévu et dont le caractère international est de plus en plus évident. La mobilisation de millions de travailleurs et de jeunes Algériens évolue vers un affrontement révolutionnaire avec la dictature militaire algérienne. Et en fait, le régime de Macron, appuyé par les banques et par l’Union européenne s’avère tout à fait aussi insensible aux revendications légitimes des travailleurs que la dictature sanguinaire présidée par Abdelaziz Bouteflika.

Les reporters du WSWS sont intervenus sur les Champs Elysées où ils ont rencontré des «gilets jaunes» qui manifestaient pacifiquement leur opposition à Macron. Ils ont interviewé Agnès, Patrice et Dany, des travailleuses venues de Picardie, une région durement touchée par le chômage et la désindustrialisation.

Elles ont expliqué les conditions qui les ont poussées à manifester: «On ne vit plus, on essaye de garder la tête hors de l’eau. Et puis voilà, donc il y en a marre, c’est toujours les mêmes qui récoltent le fruit de notre travail. Et puis tout ferme, les usines ferment les unes après les autres. Alors on est des oubliés. … Rien ne se crée, aucune industrie. Donc il nous restait que les administrations qui sont en train de s’éclater. Donc en fait c’est juste des cités dortoirs. On en a ras le bol de Macron. On attendra pas 2022.»

Elles ont déclaré leur soutien au mouvement en Algérie et espéré qu’il déboucherait sur autre chose qu’un régime plus jeune qui ferait la même politique que Bouteflika: «Enfin on espère que si en Algérie il y a un gouvernement jeune, que ça ne se passe pas comme avec nous avec Macron. Vous avez de belles paroles, il était jeune, il ressemblait au gendre idéal, et pour finir au bout du compte c’est une merde pas possible. On souhaite aux Algériens autre chose … et qu’ils ne fassent pas les mêmes erreurs que nous.»

Elles ont également évoqué leur préférence pour une lutte organisée indépendamment des appareils syndicaux, qu’elles rejettent après de longues expériences avec la faillite de la classe politique officielle en France.

Sur les syndicats, elles ont dit, «Ils ont été très timides. On leur a ouvert légèrement la porte, mais finalement on se débrouille mieux sans eux. Sincèrement. Les syndicats ils ont des subventions de l’État aussi, les grandes têtes sont payées par l’État. Donc les bases essayent de bouger mais les têtes non, automatiquement, c’est ça qui bloque tout. Les têtes sont payées, elles sont reçues par le gouvernement, donc on ne peut pas avancer.»

Elles ont ajouté, «Les têtes des syndicats veulent conserver leurs privilèges, ils se disent ‘on se mouille pas trop,’ c’est ça donc, automatiquement. Avec tous les privilèges qu’ils ont, ils ne vont pas essayer de les perdre.»

Le WSWS a également interviewé Dorian, un auto-entrepreneur qui a rejoint le mouvement des «gilets jaunes» dès les premières manifestations du 17 novembre: «Moi je suis là depuis le début, depuis les rond-points. Et en fait, rien n‘a changé par rapport à ce qu‘Emmanuel Macron nous a promis. Moi je ne trouve pas qu’il y ait des choses qui ont changé en fait.»

«Ce qui m’a poussé au départ à manifester, c’était un ras le bol lié au pouvoir d’achat. Je suis auto-entrepreneur, voilà, je gagne plutôt bien ma vie. Mais à la fin du mois, il ne reste pas grand chose par rapport au coût de l’essence, par rapport à plein de choses. Tout augmente d’année en année et tout est de plus en plus dur. On a beau travailler, travailler, travailler, on ne s’en sort pas,» a-t-il expliqué.

Dorian a aussi souligné son soutien pour la mobilisation en Algérie contre la dictature du FLN: «Ils ont raison parce que ce n’est pas un peuple qui était libre jusqu’à maintenant. Du coup, ils veulent une nouvelle génération, sur une nouvelle politique.»

Il a ajouté que les Français sont face à un problème similaire, lié à l’intransigeance du régime dirigé par Macron: «Il ne bougera pas, pour moi il ne bougera pas. Mais voilà, donc on veut le renverser, c’est un peu ça.»

Nos reporters ont parlé à Patrick, un ancien chef d’entreprise de la région lyonnaise qui travaille à présent dans le handicap et qui a aussi déclaré sa solidarité avec le mouvement algérien: «On les comprend complètement, parce qu’ils étaient dans une dictature. Nous ce n’est pas une dictature, ou en fait c’est complètement caché ici. Mais vous avez ici 1 pour cent de la population qui se partage la richesse de la France, et il y en a 99 qui bossent pour cette richesse.»

Il a ajouté, «Il y a beaucoup de gens qui gagnent 2.000-3.000 euros qui n’y arrivent plus. Et ce qu’on craint aussi c’est pour nos enfants; aujourd’hui, on ne peut plus vivre. Et puis en plus on est devenu un État policier: vous descendez une fois manifester, vous vous faites taper dessus et gazer. A un moment donné, il y a plus de respect du peuple.»

Sur ses conditions de vie, il a expliqué: «J’avais une société, je me suis fait casser la figure, j’ai déposé le bilan. Maintenant je travaille pour 650 euros par mois. Heureusement que ma femme est infirmière, on peut subvenir à nos besoins, mais sinon je me lève à 6 heures du matin pour gagner 650 euros par mois et ce sont des boîtes qui sont subventionnées par l’État. … On est surtaxés, on donne tout pour les multinationales. J’ai travaillé pour une multinationale, ils font du black à outrance. Ils ne sont jamais contrôlés, bien sûr. On est dans une mafia pas possible.»

Patrick a aussi souligné sa colère face à la montée de la répression de l’État policier français et la complicité entre la police et les forces d’extrême droite qui répriment les manifestations: «A Lyon, les fachos sont venus, ils sont protégés par les flics. Ce n’est pas normal, on a été chercher les CRS pour qu’ils défendent les ‘gilets jaunes,’ ils sont partis à l’opposé en courant.»

Il a dit, «A Lyon il y en a une cinquantaine qui sont protégés, on l’a vu, par la BAC. Ils sont infiltrés par la BAC. Nous, on est fouillé; les mecs, eux, rentrent avec des barres à mine et des battes de baseball et ils tapent sur les ‘gilets jaunes.’ Et on laisse faire. Il y a bien un blocage quelque part, c’est bien le gouvernement à un moment donné. Vous allez à Lyon dans les manifs une fois sur deux ils infiltrent, on les connaît, tout le monde les connaît, les flics ne bougent pas. … La BAC, ils ont traité ma femme de salope de pute de gilet jaune. On ne parle pas comme ça aux gens.»

 

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La crise économique et les banques centrales

mars 18th, 2019 by Eric Toussaint

Les éléments d’une nouvelle crise financière internationale sont réunis, on ne sait pas quand elle va éclater mais elle éclatera et son impact sur toute la planète sera important.

Les principaux facteurs de crise sont :

- l’augmentation très forte des dettes privées des entreprises, d’une part, et d’autre part, la bulle spéculative sur les prix des actifs financiers : bourses des valeurs, prix des titres de la dette, et, dans certains pays (États-Unis, Chine, …), de nouveau le secteur immobilier. Les deux facteurs sont étroitement interconnectés.

Même les entreprises qui ont d’énormes liquidités à leur disposition comme Apple s’endettent massivement car elles profitent des bas taux d’intérêt pour prêter à d’autres l’argent qu’elles empruntent. Apple et de nombreuses autres entreprises empruntent pour prêter et pas pour investir dans la production. Apple emprunte également pour racheter ses propres actions en bourse. J’ai expliqué cela dans un article intitulé « La montagne de dettes privées des entreprises sera au cœur de la prochaine crise financière » http://www.cadtm.org/La-montagne-de-dettes-privees-des, publié le 9 novembre 2017.

Les bulles spéculatives mentionnées plus haut sont le résultat de la politique menée par les grandes banques centrales (Réserve Fédérale des États-Unis, BCE, Banque d’Angleterre, depuis dix ans, et de la Banque du Japon depuis l’éclatement de la bulle immobilière dans les années 1990) qui ont injecté des milliers de milliards de dollars, d’euros, de Livres Sterling, de Yens dans les banques privées pour les maintenir à flot. Ces politiques ont été appelées Quantitive easing ou assouplissement monétaire. Les moyens financiers que les banques centrales ont distribué à profusion n’ont pas été utilisés par les banques et les grandes entreprises capitalistes des autres secteurs pour l’investissement productif. Ils ont servi à acquérir des actifs financiers : actions en bourse, obligations de dettes des entreprises, titres publics souverains, produits structurés et dérivés… Cela a produit une bulle spéculative sur le marché boursier, sur le marché obligataire (c’est-à-dire les obligations de dettes), et, à certains endroits, dans le secteur immobilier. Toutes les grandes entreprises sont surendettées.

Cette politique des banques centrales témoigne du fait que les décisions de leurs dirigeants sont entièrement déterminées par les intérêts à court terme des grandes banques privées et des grandes firmes capitalistes des autres secteurs : empêcher des faillites en chaîne et, en conséquence, des pertes considérables pour les grands actionnaires.

Cette politique tient également à une caractéristique du capitalisme financiarisé contemporain : une partie de moins en moins importante de la valeur nouvelle créée est réinvestie dans la production (voir François Chesnais, De nouveau sur l’impasse économique historique du capitalisme mondial, http://alencontre.org/economie/de-nouveau-sur-limpasse-economique-historique-du-capitalisme-mondial.html consulté le 17 mars 2019). Une partie croissante de la valeur nouvelle est dépensée sous forme de dividendes pour les actionnaires, sous forme de rachats d’actions, sous forme d’investissements spéculatifs notamment en produits structusré et dérivés, … François Chesnais parle notamment d’« un afflux toujours plus massif des profits non-réinvestis des groupes financiers à dominante industrielle » [1].

Revenons à la politique adoptée par les banquiers centraux pour combattre la crise qui a éclaté en 2007-2008. Leur intervention n’a pas permis d’assainir le système, au contraire les éléments de fragilité se sont maintenus ou ont augmenté : le ratio entre les fonds propres (le capital de l’entreprise) et les engagements pris par l’entreprise est beaucoup trop faible. En effet, le niveau de ce ratio est insuffisant pour faire face à une perte de valeur qui serait provoquée par une chute des cours boursiers, du marché obligataire ou d’autres actifs financiers détenus par l’entreprise qu’elle soit une banque ou une entreprise comme Apple ou General Electric pour ne prendre que quelques exemples. Toutes les entreprises sont fortement endettées car le recours à l’emprunt leur coûte très peu grâce aux taux d’intérêts qui sont très bas (0 % dans la zone euro, -0,1 % au Japon, 0,75 % en Grande Bretagne, 2,5 % aux États-Unis) et une pléthore de capitaux sont à la recherche d’un maximum de rendement financier quitte à acheter des titres douteux de dettes (junk bonds) émis par des entreprises en mauvaise posture. Donc les entreprises comme Apple qui ont une bonne réputation en termes de santé financière empruntent pour acheter ensuite des titres pourris à haut rendement. Les entreprises en mauvaise posture qui émettent ces titres pourris à haut rendement sont dans une politique permanente d’endettement : elles empruntent pour pouvoir rembourser des emprunts antérieurs.

A la fin de décembre 2018, un grand Krach boursier a failli éclater aux États-Unis et l’effet de contagion a été immédiat. Il s’agissait d’un signal supplémentaire annonciateur d’un important krach à venir.

Le marché de l’immobilier aux États-Unis est redevenu fragile : le prix de l’immobilier a augmenté de 50 % depuis 2012 et son niveau dépasse celui atteint juste avant la crise qui a démarré en 2005-2006 et a provoqué la grande crise internationale de 2008-2009. Certains spécialistes considèrent qu’on pourrait être à l’aube d’une nouvelle crise de l’immobilier car l’activité commence à ralentir, les ventes de logements diminuent.

La poursuite de la politique d’assouplissement monétaire (Quantitative Easing) en Europe, de même que sa sortie aux USA sont des facteurs de crise.

Les grandes banques privées dites systémiques sont extrêmement fragiles et la valeur de leurs actions a fortement baissé aux États-Unis et en Europe dans la deuxième moitié de 2018, la chute se poursuit au premier trimestre 2019. Les grandes banques privées sont soutenues à bout de bras par la banque centrale de leur pays. La Fed ne respecte pas son engagement de revendre les titres de dette privée toxique (les fameux mortgage backed securities – MBS –). En mars 2019, elle détenait un volume énorme de 1600 milliards de $ de MBS (voir https://www.federalreserve.gov/releases/h41/current/h41.pdf consulté le 17 mars 2019) acquis en 2008-2009 auprès des grandes banques privées pour les sauver. La Fed sait très bien que si elle vendait massivement comme promis ces titres, le prix de ceux-ci s’effondrerait et à sa suite le marché obligataire des États-Unis. Elle sait également que si elle augmentait le taux d’intérêt au-dessus de 2,5 % toute une série d’entreprises endettées seraient confrontées à de graves difficultés de remboursement/refinancement de leurs dettes. Sans compter que cela augmenterait également le coût du remboursement de la dette publique.

La BCE de son côté continue de prêter des liquidités aux banques à 0 % de taux d’intérêt et elle vient de leur promettre de ne pas augmenter le taux avant la 2020 (voir Martine Orange, « La BCE face à ses limites », https://www.mediapart.fr/journal/international/080319/la-bce-face-ses-limites?page_article=1 publié le 8 mars 2019 et Delphine Cuny (La Tribune), « La BCE choque les marchés en repoussant la hausse des taux », https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/la-bce-choque-les-marches-en-repoussant-la-hausse-des-taux-809976.html#xtor=EPR-2-[l-actu-du-jour]-20190308, publié le 7 mars 2019). En plus, la BCE va accorder aux banques privées de nouveaux prêts massifs à moyen et long terme, ce qu’on appelle dans le jargon, TLTRO (Targeted longer-term refinancing operations). Ce sont les banques italiennes et espagnoles qui en dépendent le plus (selon JPMorgan, elles représentent 55 % du montant emprunté lors du dernier TLTRO) mais comme toutes les banques sont interconnectées, toutes en dépendent plus ou moins directement. Ajoutons que les banques européennes utilisent massivement l’argent qu’elles reçoivent à taux d’intérêt zéro pour acheter des titres de la dette souveraine, de préférence de leur Etat, et aussi d’autres Etats européens, ce qui leur procure un rendement positif sur des titres considérés comme sûrs puisqu’ils sont émis par l’État.

L’engouement des banques et des autres acteurs sur les marchés financiers pour les titres de la dette publique est impressionnant : tous les États de la zone euro ont réussi à emprunter de fortes sommes d’argent au cours des trois premiers mois de l’année 2019 (de même qu’en 2018). Chaque annonce d’un emprunt voit affluer les offres d’achat. Généralement, lorsqu’un État veut emprunter un milliard €, les banques lui en proposent 4, c’est dire à quel point elles disposent de liquidités (qui proviennent largement des banques centrales à leur service), c’est dire à quel point elles veulent acheter des titres publics car rémunérateurs et sûrs. De plus, comme je l’ai expliqué dans mon livre Bancocratie, le fait d’acheter des titres souverains permet aux banques d’augmenter artificiellement le ratio de leurs fonds propres par rapport à leur bilan grâce au système de la pondération des actifs par le risque (voir « Tout va très bien madame la marquise » http://www.cadtm.org/Tout-va-tres-bien-madame-la et Bancocratie, chapitre 12, Aden, Bruxelles, 2014). Mais dès que la crise prendra une tournure catastrophique, les médias dominants et les banquiers accuseront une nouvelle fois les Etats de faire trop de dépenses publiques et d’émettre trop de dettes publiques.


Croissance très faible en général, stagnation ou forte récession dans une série de cas

La croissance économique dans les pays « anciens » les plus industrialisés reste faible et elle est en baisse dans plusieurs pays clés. En particulier en Europe où, après une petite croissance en 2017, l’année 2018 s’est terminée avec une stagnation et dans le cas de l’Allemagne, une chute de la production industrielle au 4e trimestre de 2018 et au premier trimestre 2019 (Financial Times, « German industrial production drops unexpectedly », 11 March 2019, https://www.ft.com/content/2e93cb1a-43ca-11e9-a965-23d669740bfb). Les autorités allemandes ont revu à la baisse les prévisions de croissance pour 2019 en la ramenant à 1 % (alors qu’en 2016-2017 le taux de croissance annuel dépassait 2 %). L’investissement dans l’UE a mis 12 ans à revenir à son niveau de 2007 avant l’éclatement de la crise (Financial Times, « EU investment rebounds to level before 2008 financial crash », 9 March 2019).

Au niveau de la zone euro, la croissance au troisième trimestre 2018 n’a été que de 0,2 %, la plus basse depuis 4 ans. L’Italie est en récession. La France connaît une petite reprise grâce à la légère hausse de consommation qui est le résultat du mouvement des Gilets jaunes qui a amené Macron à ne pas respecter aveuglément la discipline budgétaire (voir mon article : Europe : désobéir pour mettre en œuvre une alternative favorable aux peuples, 12 février 2019, http://www.cadtm.org/Europe-desobeir-pour-mettre-en-oeuvre-une-alternative-favorable-aux-peuples)

Au Japon, la croissance sur la période avril 2018-mars 2019 est d’environ 0,9 %, elle aussi en baisse par rapport à 2017. L’économie des USA est également en phase de ralentissement, le FMI prévoit une croissance de 2,5 % en 2019 contre 2,9 % en 2018. D’autres experts prévoient une croissance plus faible. Cela a amené la Réserve fédérale des États-Unis à suspendre provisoirement l’augmentation des taux d’intérêt entreprise depuis fin 2016.

La croissance chinoise ralentit encore même si elle continue à jouer la locomotive mondiale, elle serait de l’ordre de 6 %, la plus basse depuis 25 ans. En Chine, une crise financière peut éclater à tout moment, faire chuter la croissance domestique et mondiale, aggraver les conditions de vie de centaines de millions de Chinois/ses.

L’économie des autres BRIC’s ralentit également, sauf l’Inde qui connaît un taux de croissance d’un peu plus de 7 %. La Russie connaît une croissance très faible, de l’ordre 1,2 % en 2018 et une prévision de 1,3 % pour 2019. L’Afrique du Sud a été en récession au cours de la première moitié de 2018, elle connaît un petit rebond. Le Brésil qui a connu une forte récession en 2015-2016 a retrouvé un peu de croissance mais c’est très faible, à peine un peu plus de 1 % en 2018.

Des crises très fortes frappent déjà une série de pays dits émergents : Turquie, Argentine, Venezuela, … Dévaluation de la monnaie, grosses difficultés pour poursuivre le remboursement de la dette externe publique et privée.

Une série de pays périphériques parmi les plus pauvres sont confrontés à une crise aiguë de la dette (Mozambique, …). Ce n’est que le début d’une liste qui va s’allonger.

Malgré cette croissance économique très faible au niveau mondial et notamment dans les principales vieilles puissances industrielles polluantes, les facteurs qui poussent à l’accélération du changement climatique ne s’atténuent pas. Nous en avons des preuves tangibles sous les yeux avec les effets du dérèglement et du réchauffement climatique aux quatre coins de la planète. Face à cette crise dont les conséquences dramatiques s’accroissent, les gouvernements s’en tiennent à des promesses purement rhétoriques, ce qui entraîne heureusement de fortes réactions dans la population en général et parmi la jeunesse en particulier.


Bilan de l’action de la BCE

Depuis le début de la crise en 2007-2008, la BCE a joué un rôle vital pour venir à la rescousse des grandes banques privées, de leurs grands actionnaires et principaux dirigeants tout en garantissant la poursuite de leurs privilèges. On peut affirmer sans risque de se tromper que sans l’action de la BCE, de grandes banques seraient tombées en faillite, ce qui aurait forcé les gouvernements à prendre à l’égard de leurs dirigeants et des grands actionnaires des mesures contraignantes fortes. Il faut ajouter que l’action de la BCE a renforcé la concentration du secteur bancaire au profit d’une vingtaine de grandes banques qui jouent un rôle dominant. La BCE a contribué activement à maintenir en place et à développer des monstres bancaires trop grands que pour faire faillite. En plus du sauvetage des grands actionnaires des banques, la BCE poursuit officiellement l’objectif d’une inflation de 2 %. De ce point de vue, le bilan de la BCE est un échec puisque le taux d’inflation dans l’Eurozone en 2018 a atteint seulement 1,6 % et qu’il est en baisse au premier trimestre 2019.

Trois objectifs supplémentaires de l’action de la BCE peuvent être résumés de la manière suivante :
- Défendre l’euro qui est une camisole de force pour les économies les plus faibles de la zone euro ainsi que pour tous les peuples européens. L’euro est un instrument au service des grandes entreprises privées et des classes dominantes européennes (le 1 % le plus riche). Les pays qui font partie de la zone euro ne peuvent pas dévaluer leur monnaie puisqu’ils ont adopté l’euro. Or les pays les plus faibles de la zone euro auraient avantage à dévaluer afin de retrouver de la compétitivité face aux géants économiques allemands, français, au Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) et à l’Autriche. Des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne ou l’Italie sont donc coincés par leur appartenance à la zone euro. Les autorités européennes et leur gouvernement national appliquent dès lors ce qu’on appelle la dévaluation interne : ils imposent une diminution des salaires au seul profit des actionnaires des grandes entreprises privées. La dévaluation interne est synonyme de réduction des salaires.
- Renforcer la domination des économies européennes les plus fortes (Allemagne, France, Benelux…) où sont basées les plus grandes entreprises privées européennes. Cela implique de maintenir de fortes asymétries entre les économies les plus fortes et les plus faibles.
- Participer et soutenir de manière offensive les attaques du Capital contre le Travail afin d’augmenter les profits des entreprises et rendre les grandes entreprises européennes plus compétitives sur le marché mondial face à leurs concurrents états-uniens, chinois, japonais, coréens… Les exemples de l’intervention de la BCE pour atteindre cet objectif en Italie, en Grèce, à Chypre, au Portugal, en Irlande, en Espagne, … sont multiples.

L’acharnement de la BCE à contribuer aux attaques contre ceux d’en bas vient une fois de plus de s’exprimer très clairement. En mars 2019, la BCE et les banques de l’Eurosystème ont refusé de rendre à la Grèce une partie des bénéfices réalisés sur le dos du peuple grec [2] sous le prétexte que le gouvernement d’Alexis Tsipras n’avait pas suffisamment approfondi les contre réformes sociales. Il s’agit notamment de la volonté de la BCE de voir supprimer les derniers obstacles à l’expulsion des ménages grecs incapables de poursuivre le remboursement de la dette hypothécaire pour leur résidence principale. Rien n’est épargné comme sacrifices au peuple grec qui constitue une victime expiatoire de la Troïka au sein de laquelle la BCE joue un rôle clé.


La nécessité de solutions radicales

La nouvelle crise financière qui vient s’inscrit dans un contexte plus large de crise systémique du capitalisme global. Cette crise systémique est multidimensionnelle : économique, écologique, sociale, politique, morale, institutionnelle, …

Il faut rompre de manière radicale avec la logique qui guide aujourd’hui les gouvernements en place et prendre des mesures d’urgence. A l’opposé du système actuel qui offre l’impunité et des parachutes dorés aux responsables des débâcles, il est nécessaire de faire payer la facture des sauvetages bancaires à ceux et celles qui en sont responsables.

Les mesures annoncées pour discipliner les banques sont cosmétiques. La supervision centralisée des banques de la zone euro, la création d’un fonds européen de garantie des dépôts, l’interdiction de certaines opérations (ne touchant que 2 % de l’activité bancaire globale), le plafonnement des bonus, la transparence des activités bancaires ou encore les nouvelles règles de Bâle III ne constituent que des recommandations, des promesses ou, au mieux, des mesures tout à fait insuffisantes en regard des problèmes à résoudre. Or il faut imposer de véritables règles très strictes et incontournables.

Cette crise devrait être dépassée par la réalisation de mesures qui touchent la structure même du monde de la finance et du système capitaliste [3].

Le métier de la banque est trop sérieux pour être laissé dans les mains du secteur privé. Il est nécessaire de socialiser le secteur bancaire (ce qui implique son expropriation) et de le placer sous contrôle citoyen (des salariés des banques, des clients, des associations et des représentants des acteurs publics locaux), car il doit être soumis aux règles d’un service public et les revenus que son activité génère doivent être utilisés pour le bien commun.

La dette publique contractée pour sauver les banques est clairement illégitime et doit être répudiée. Un audit citoyen doit déterminer les autres dettes illégitimes, illégales, odieuses, insoutenables… et permettre une mobilisation telle qu’une alternative anticapitaliste crédible puisse prendre forme.

Ces deux mesures doivent s’inscrire dans un programme plus large que nous avons ébauché ailleurs Voir : Gilets jaunes : apprendre de l’histoire et agir dans le présenthttp://www.cadtm.org/Gilets-jaunes-apprendre-de-l-histoire-et-agir-dans-le-present

Les banques centrales doivent être radicalement refondées, leurs missions doivent être redéfinies. Elles doivent reprendre le rôle de création monétaire en faveur du secteur public et contribuer activement au financement de la transition écologique et à la lutte contre l’injustice sociale.

La mobilisation citoyenne et l’auto-organisation sociale constituent la condition sine qua non à la réalisation des différentes solutions proposées.

Eric Toussaint

 

 

Notes :

[1]Je suis d’accord avec la conclusion de l’article de François Chesnais déjà mentionné : « Ce sont d’abord les politiques publiques d’austérité partout, mais aussi une configuration dans laquelle les entreprises et la grande distribution doivent persuader des ménages dont le pouvoir d’achat stagne d’acheter, au-delà du quotidien indispensable, des choses qu’ils possèdent déjà. Parallèlement dans les chaînes de valeur mondiales les donneurs d’ordre pressurent toujours plus les sous-traitants et les transporteurs maritimes et routiers tout au long de la chaîne. La courbe de l’accumulation du capital argent porteur d’intérêt renforce le poids économique et politique dans tous les pays des gestionnaires de fonds et de fortunes et des managers des groupes financiers industriels et commerciaux attachés uniquement de la sécurité des flux d’intérêts et la distribution maximale de dividendes. Ainsi les processus à effet de contraction qui dominent l’économie mondiale s’accompagnent-ils d’une accélération de la dilapidation des ressources minières, de la déforestation et de l’épuisement des sols. Parallèlement, le montant des investissements publics exigé par toute « transition écologique » est inatteignable sans l’annulation des dettes publiques laquelle est plus que jamais une revendication démocratique absolument centrale. »

[2]Concernant les bénéfices odieux réalisés par la BCE sur le dos du peuple grec voir : Eric Toussaint, « Les profits odieux de la BCE sur le dos du peuple grec », http://www.cadtm.org/Les-profits-odieux-de-la-BCE-sur publié le 13 octobre 2017 et « La politique de la Troïka en Grèce : Voler le peuple grec et donner l’argent aux banques privées, à la BCE, au FMI et aux États dominant la zone euro », http://www.cadtm.org/La-politique-de-la-Troika-en-Grece-Voler-le-peuple-grec-et-donner-l-argent-auxpublié le 20 août 2018

[3]Je suis bien d’accord avec l’orientation de l’article de Michael Roberts : « Stagnation laïque, politique monétaire et John Law », https://www.anti-k.org/2019/03/16/stagnation-laique-politique-monetaire-et-john-law/ consulté le 17 mars 2019

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Pendant que la France des Gilets-jaunes se mobilisait partout sur le territoire national, pour une 18ème manifestation, 80% des Français attendaient impatiemment les décisions du Gouvernement macronien, faisant suite au « grand débat » qui est désormais clos. Le jour même de cette manifestation, annoncée comme l’une des plus importantes du mouvement avec la convergence des luttes, celle pour le climat notamment, le ministère de l’Intérieur devait mobiliser 80.000 policiers pour encadrer cette journée qui allait être difficile pour eux après 4 mois d’opérations de maintien de l’ordre sur toute la France. Quant à lui, Macron décidait d’aller skier en montagne au soleil bienfaisant de la Mongie.

Encore une fois, vu le contexte tragique des luttes sociales en cours, il va de soi que la fonction symbolique présidentielle n’était absolument pas comprise par ce banquier de la maison Rothschild parachuté par « erreur » sur le siège présidentiel de l’Elysée. Il allait de soi que le Président devait être présent, c’est-à-dire à l’écoute de la souffrance et de la colère du peuple et se dépêcher de lui donner une réponse! Aller faire du ski sous le soleil des Pyrénées, en cette occasion, voulait dire implicitement et symboliquement que la souffrance et la colère de ce peuple maltraité, violenté depuis 40 ans, étaient le dernier de ses soucis; il n’était pas concerné par ce qui animait encore une fois cette « foule haineuse de gens qui ne sont rien » et qu’il a qualifiée de « complice des actes barbares qui ont été accomplis durant cet acte 18 à Paris », sans doute très mécontent d’avoir été obligé d’écourter son séjour à la montagne!

Comment la colère n’aurait-elle pas atteint son sommet, dans ces conditions là? Pourquoi s’en étonner et pratiquer cette hypocrisie infâme en traitant de « criminels » (dixit Castaner) les gens qui n’ont plus que la violence pour se faire entendre? Pourquoi ne pas répondre sérieusement aux revendications légitimes d’une majorité au sein du peuple français, surtout celle qui réclame qu’on lui rende sa souveraineté après 40 ans de cannibalisme sociale? La macronie non seulement n’a aucune légitimité à gouverner la France, comme on l’a déjà démontré dans les articles précédents consacrés aux Gilets-jaunes, mais elle veut encore se permettre de réprimer la volonté de 80% des Français qui demandent une reprise en mains de leur destinée politique. 

Il est certain que l’ensemble majoritaire des Français ne va pas forcément approuver la méthode violente utilisée actuellement pour se faire entendre du Pouvoir, mais pourtant cet ensemble compte sur les mobilisations actuelles pour lui redonner sa souveraineté et la liberté de décider de sa vie politique présente et de la direction à prendre pour l’avenir… La  violence policière extrême qui a jalonné les actes successifs des Gilets-jaunes, et le comportement de surdité du Gouvernement, ont fini par provoquer la réaction violente inévitable de certains gilets-jaunes désespérés qui se sont laissés désormais entraîner dans les opérations des « black bloc » très organisés et qui étaient environ 1500 à Paris ce samedi 16 mars. Les scènes de chaos dans Paris nous désolent tous et nous navrent, mais nous ne pouvons pas oublier que le Pouvoir en place ne veut rien changer à sa politique qui est en accord avec Bruxelles et en désaccord avec la majorité des citoyens Français les plus modestes. Lorsque quelqu’un ne veut rien entendre, on crie plus fort!

J’attends toujours la personne qui me fera la démonstration que quelque part dans l’histoire patriarcale de l’humanité, c’est-à-dire depuis l’âge du bronze, précisément depuis la chute de Sumer (entre 5000 et 6000 ans), il y aurait eu des revendications et avancées sociales ayant abouti sans la moindre violence! Personnellement je n’en connais aucune. Car, toute revendication sociale provient forcément d’une situation qui implique l’existence d’un Pouvoir, le Pouvoir étant par définition, une supercherie, une perversion, un détournement de ce qui aurait du rester l’exercice d’une autorité au service d’une responsabilité veillant sur les intérêts du bien commun.

Toutes les revendications sociales s’adressent à des gouvernants qui ont systématiquement abusé du pouvoir s’étant mis au service d’autre chose que de veiller aux intérêts du bien commun. Dans notre cas, cette autre chose, c’est la cause de « l’ultra libéralisme » et son paradis financier que les Pouvoirs servent de bon cœur au détriment des intérêts du bien commun.

Non seulement il est choquant d’entendre les discours outrés de ces politiques minables sur la violence de ceux qui n’obtiennent aucune réponse valable à leurs revendications légitimes, mais de plus, il est parfaitement révoltant de constater l’entêtement à ne pas voir, et à ne pas entendre la souffrance vécue depuis 40 ans par cette majorité de Français maltraitée par le fascisme ultra libéral, cette politique du « renard dans le poulailler », ce mépris affiché des « élites » au pouvoir se relayant dans le mensonge et organisant en permanence la punition des récalcitrants par des sens interdits disposés partout, la banalisation du chômage de masse culpabilisé, en plus de l’injustice qu’il représente déjà en soi, des lois liberticides à outrance, la répression de tous ceux qui osent faire entendre une voix réclamant plus de justice sociale et plus de justice fiscale… Face à toutes ces violences là, insupportables, odieuses, inadmissibles, révoltantes, criminelles, les grands magasins de luxe et ceux des grandes marques du CAC40 brûlant sur les Champs Elysée dévastés ne sont rien!

Je pense qu’il est inutile d’espérer une réponse judicieuse de la part de gens qui sont des amateurs en politique et qui n’ont aucun sens des responsabilités politiques, ni même de la valeur symbolique de leur fonction. Nous devons continuer la réflexion et comprendre peu à peu où se trouve la clé permettant d’ouvrir une porte de sortie à cette crise majeure en Europe, sans rien attendre de la caste des oligarques au Pouvoir. Nous devons opérer cette libération sans eux et contre eux.

Le parlement européen et la Constitution

Nous avons déjà dit, dans l’article précédent, que le Parlement Européen ne représentait pas le « peuple européen » puisque ce peuple n’existe pas. Il fait coexister les représentants de 28 nations qui discutent de tas de choses, qui délibèrent mais ne décident de rien. C’est une assemblée pour la palabre qui se réunit, en coûtant très cher aux contribuables, non seulement à cause du salaire des Députés, mais aussi des déménagements incessants de leurs cabinets au complet entre Bruxelles et Strasbourg, afin de discuter de tout et de rien. Ce Parlement est un leurre, il est un gouffre financier pour les européens et n’est pas un Législateur. Le Parlement n’a ni l’initiative des sujets à débattre ni le dernier mot aboutissant à une réglementation.

C’est le Conseil européen, dans lequel les Etats sont représentés, et la Cour de Justice de l’Union Européenne qui ont le rôle de Législateurs associés. Nous avons expliqué la dernière fois, que c’est notamment la CJUE siégeant au Luxembourg qui, depuis ses premiers arrêts en 1963 et 1964, s’est symétriquement auto-instituée en juge constitutionnel et en législateur. (Cf., Cayla D., Delaume C., 10 questions + 1 sur l’Union européenne, Paris, Michalon, 2019. P.13)

De fait, la CJUE a joué un rôle évident dans la dérive de l’Union Européenne qui est passée d’une organisation internationale à une organisation supranationale, sans l’avis des peuples. C’est une sorte de Gouvernement des Juges qui a fait son coup d’État et qui a donné le ton à la direction qu’allait prendre ensuite l’UE pendant des années, sans rien dire à personne. (Idem, p. 14)

Le squatteur actuel de l’Élysée, Emmanuel Macron, enfonce le clou à son tour en voulant faire de l’UE une « fédération » avec un État centralisé à Bruxelles.

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/03/04/pour-une-renaissance- européenne

Il faut aussi ajouter que la présidente actuelle de la CDU (parti allemand) ne veut pas entendre parler de « Fédération Européenne» supposant un État centralisé à Bruxelles.

https://www.cdu.de/artikel/faisons-leurope-comme-il-faut-getting-europe-right 

L’un des problèmes majeurs qui se présente actuellement à l’UE, ayant pris cette direction d’organisation supra nationale, c’est qu’elle n’a aucun moyen financier pour assurer cette fonction qu’elle s’est attribuée. C’est la contribution des Etats membres qui assure les budgets de l’UE, en rappelant également au passage que cette contribution financière concernant l’Allemagne, la France et l’Italie, est une contribution qui est supérieure à ce que chacun de ces trois pays reçoit en retour de l’UE!

Lors de son arrêt du 30 juin 2009, la Cour de Karlsruhe (l’équivalent allemand du Conseil Constitutionnel français) a stipulé, « qu’en raison des limites du processus démocratique en Europe, seuls les États-nations sont dépositaires de la légitimité démocratique. » (Cf., H. Haenel, « Rapport d’information », n° 119, Sénat, session ordinaire 2009-2010, Paris, 2009.
) Cet arrêt allemand est d’une importance immense pour toutes les Nations Européennes et remet les choses à leur place. Le projet européen n’est envisageable que s’il reste celui d’une « Europe des Nations ». Il est donc évident qu’il y a un sérieux retour aux sources à réaliser si l’on ne veut pas que l’UE disparaisse purement et simplement dans le chaos.

C’est un Gouvernement des Juges qui dirige l’UE. Barroso disait en 2014 que l’UE était un projet « sui generis ». (Cf., Barroso J-M., Speech by President Barroso: “Global Europe, from the Atlantic to the Pacific”, Speech 14/352, discours prononcé à l’université de Stanford, 1er mai 2014.)

M. Barroso cherchait à supprimer tout contrôle démocratique, comme la possibilité d’une contestation en légitimité. Le principe de souveraineté nationale était atomisé avant d’être enterré et la nouvelle formule était mise en place avec le traité de Maastricht. Ce processus d’élimination des souverainetés nationales s’amplifiait peu à peu. Il allait devenir tout à fait évident lors du Referendum du 29 mai 2005 sur le projet constitutionnel. Nous avions le droit en France à un spectaculaire déni de justice qui se traduirait concrètement par l’imposition du Traité de Lisbonne, après les magouilles de Sarkozy à Versailles le 4 février 2008. Sans hésiter, Sarkozy se permettait de changer la Constitution pour que le « non » du Referendum français devienne un « oui » totalitaire, faisant de la marionnette politique qu’il incarnait, un fidèle serviteur des dictateurs du Gouvernement des Juges de l’UE. 

Il y a, bien entendu, dans l’Union Européenne, des personnes qui contestent formellement la notion de « Souveraineté du peuple », ou « souveraineté Nationale », en accord avec la doctrine sociale de l’Eglise catholique qui inspire les lignes essentielles du Traité de Lisbonne, notamment à travers l’idée qu’elle se fait du « principe de subsidiarité » largement utilisé pour justifier la « non souveraineté du peuple »  et qui assimile « Referendum avec plébiscite ». D’ailleurs, la même doctrine sociale de l’Eglise catholique ne reconnaît pas la légitimité du droit de faire grève et de manifester. Il faut également savoir que la doctrine sociale de l’Eglise catholique s’est immiscée dans les Traités européens, parce que ceux-ci ont été concoctés par des personnes, non élues, échappant au contrôle démocratique, et qui appartenaient, comme Monsieur Barroso, à « l’Opus Dei », une secte catholique chargée de redonner indirectement le pouvoir à l’Eglise, pouvoir qu’elle avait perdu depuis la Révolution française et les Lumières. (Cf., « La libération de l’homme », tome 2, Jean-Yves Jézéquel, éditions Publibook,  2013, pages 74 à 82.)

En revanche, ce que reconnaît pour sa part, le Conseil Constitutionnel français, c’est la supériorité logique de la Constitution sur la Loi. Cela veut dire tout simplement que le processus législatif est encadré par la Constitution. La Constitution ne peut être Constitution que si elle a été écrite par le peuple pour le peuple. La Constitution ne peut être validée que par le peuple et modifiée que par la volonté du peuple. Toutes les autres lois doivent être en accord avec ce que dit la Constitution. Ce principe est contraire au Traité Européen de Lisbonne qui nous impose sa loi actuellement, ainsi qu’aux antipodes de la doctrine sociale de l’Eglise qui l’a inspiré. Macron est un fidèle sujet du Saint Empire Romain Germanique, comme il l’a démontré en signant la sainte concorde avec l’Allemagne à Aix-La-Chapelle, le 22 janvier 2019.

L’UE et la question sociale 

Tout d’abord, il faut dire que le « Couple Franco-Allemand » est une vue de l’esprit et n’existe donc pas en réalité, même si Macron a trouvé le moyen de signer un contrat de mariage avec l’Allemagne, sans notre avis, à Aix-La-Chapelle le 22 janvier 2019. On peut aussi s’interroger par exemple sur le drame de la Grèce et la situation du Portugal . 

Sur la question du Portugal, Coralie Delaume et David Cayla analysent le succès de la stratégie du Gouvernement portugais mais aussi ses limites. Ils montrent que sa théorique «réussite», repose en réalité sur  l’émigration et sur le dumping social comme fiscal. (Cf., Cayla D., Delaume C., 10 questions + 1 sur l’Union européenne, op. cit., p. 60-61.)

La politique du Portugal s’apparente donc à la pratique du Rémora: le Portugal profite pleinement de l’UE, puisqu’il n’y a pas d’harmonisation ni sociale ni fiscale dans l’UE. La place du social et du fiscal dans l’UE a été conçue explicitement, selon les principes de l’ultra libéralisme, pour mettre volontairement en concurrence les pays les uns contre les autres, certains d’entre eux s’étant spécialisés dans le détournement des mannes fiscales vers leur système bancaire par les faveurs opérant une attraction malhonnête des grands groupes. Ce qu’il faut examiner attentivement pour avoir une idée claire sur le sujet, c’est le coût salarial réel, autrement dit le salaire horaire compensé par la productivité. On peut ainsi voir que l’écart s’accroît et ne se réduit pas, dans la mesure où la productivité augmente bien plus vite dans les pays nouvellement entrés dans l’UE que le salaire horaire. Il ne peut y avoir une « Europe sociale » dans le cadre de l’UE telle qu’elle s’est volontairement organisée. (Cf., Denord F. et Schwartz A., L’Europe Sociale n’aura pas lieu, Paris, Raisons d’agir, 2009.)

L’UE et l’euro 

Le système bancaire et financier de l’UE fait de la zone euro un espace vulnérable aux crises spéculatives provenant de l’extérieur de l’UE. Concernant l’abandon de la monnaie unique, des économistes, Durand et Villemot, ont démontré que pour les pays du Sud de la zone euro (à l’exception de l’Espagne), les effets d’une sortie de l’euro seraient au pire insignifiants mais en tous les cas globalement favorables. Il n’y a pas de souveraineté nationale sans la souveraineté monétaire. Il serait également inutile d’avoir la souveraineté Constitutionnelle sans la souveraineté monétaire: l’une entraîne l’autre. Une monnaie commune n’est pas la monnaie unique et permet aux monnaies nationales d’exister. Ce sont là les conditions basiques de la survie des souverainetés nationales et donc d’une « Europe des Nations ».

Le FREXIT 

L’UE entraîne une course au « moins disant » social et fiscal et elle ne peut pas être changée sur ce point depuis l’intérieur de ses institutions. Une unanimité est nécessaire pour changer les traités. La question des travailleurs détachés est à ce titre exemplaire. Dire aux Européens qu’ils doivent voter prochainement pour élire les députés qui se battront pour une « autre Europe », n’a aucun sens, puisque le Parlement Européen n’a aucun pouvoir décisionnel. En disant « Europe », on dit toujours en réalité « Union Européenne ». Il est impératif de savoir que si nous voulons la sortie du « Traité de Lisbonne », le « FREXIT », cette sortie ne pourra pas se faire dans le cadre légal de l’UE. Pour réaliser un « FREXIT », il faudrait violer la légalité de l’UE et lui imposer d’autres normes légales. Personne n’entend parler en France de « désobéissance » comme passage obligé d’une sortie de l’UE telle qu’elle est. Personne n’entend jamais les politiques nous dire qu’il faudrait commencer par abolir la CJUE. 

La sortie de l’UE ne peut être qu’un éclatement généralisé de l’UE. Si la France décidait le « FREXIT », elle ferait éclater l’UE et toute la légitimité de ses institutions.  Cayla D., et Delaume C. ont également démontré, dans leur ouvrage cité auparavant, que l’article 50 du TFUE a été écrit de telle sorte qu’il ne puisse pas « raisonnablement » être appliqué. Si un pays veut sortir de l’UE en utilisant l’article 50, il se place de facto entre les mains de l’UE et de ses organisations technocratiques. On ne peut pas sortir de l’UE si on utilise les procédures que l’UE a elle-même fixées. C’est pour cette raison que le BREXIT pose tant de problèmes à Theresa May qui devait s’attendre à l’opposition actuelle du Parlement Britannique, puisque toutes les négociations ont été faites au profit de l’UE, par l’UE qui a fixé les règles étant donné que la Grande Bretagne est passée par l’article 50… La sortie de l’UE, implique une violence légale faite à l’UE, puisque l’UE s’est imposée à nous par une violence illégale, celle du Traité de Maastricht/Lisbonne, refusé par la France en 2005. CQFD…

Le RIC en toutes matières et l’article 16 

Chaque État Nation a la capacité de prendre des décisions en dehors de tout cadre juridique extérieur. Pour cela il est nécessaire de montrer qui est « souverain ». C’est dans le peuple Constituant, que s’affirme et se révèle la souveraineté. Lorsqu’une décision est prise par le peuple Constituant et qu’elle est mise en application par l’autorité légitime élue, mise en place par la volonté du peuple Constituant, la mise en application devient un acte légal en soi. Si le peuple décide le FREXIT, l’autorité légitime élue, doit procéder « légalement » à la sortie de l’UE, sans passer par l’article 50 et autres «chausse-trappes» concoctées par les technocrates de l’UE. 

C’est le peuple Constituant qui forme une communauté politique, démocratique, et qui est seule en mesure légitime de définir ce qu’est l’intérêt général. Aucun Traité extérieur ne peut venir limiter, ou détourner, ou contrôler, ou s’imposer à cette souveraineté. 

L’existence de l’État est liée à la Constitution qui n’a de sens que si elle est écrite et validée par les citoyens Constituants. Cet État Nation tient sa légitimité de la souveraineté du peuple Constituant et par conséquent détient en soi une supériorité permanente sur toute norme juridique qu’il peut, dans ces conditions de légitimité constitutionnelle, abolir à tout moment pour l’intérêt du bien commun. 

Il existe donc deux voies possibles pour sortir de l’UE, deux voies qui seront appelées à être combinées: le Referendum et l’article 16 de la Constitution. Étant donné qu’il est question dans cet article 16 de « donner les pleins pouvoirs au Président de la République », qui devrait prendre, en l’occurrence, la décision légale importante de sortir de l’UE, demandée par le peuple s’étant prononcé par Referendum, il est plus qu’évident que le « RIC en toutes matières » retrouve du coup sa totale et primordiale importance. Sans le « RIC en toutes matières », il n’y aura pas de sortie possible de l’UE selon ce scénario qui a été déroulé dans cette analyse. On voit mal un Macron acceptant l’ultimatum d’un Referendum national et mettant l’UE en demeure de bien vouloir aller se faire voir ailleurs sans discuter, acceptant même la dissolution implicite de ses Institutions actuelles reconnues comme illégales et sans valeur pour tous les européens!

Enfin, d’autres éléments indépendants de la France pourraient venir faire éclater l’UE de l’extérieur comme de l’intérieur d’elle-même et dans ce cas là, même si nous ne pouvons pas souhaiter une telle solution, la France serait expulsée de l’UE par la même occasion. Ce scénario n’est malheureusement pas impossible du fait de la présence d’une armée d’occupation en Europe commandée par les États-Unis: l’OTAN et ses intentions déterminées de déclencher un conflit armé contre la Fédération de Russie, copieusement diabolisée dans le cadre de cette préparation psychologique à une guerre qui serait bénéfique pour les intérêts du complexe militaro-industriel des USA, mais destructrice et parfaitement ruineuse pour les pays d’Europe.

La vraie solution d’un BREXIT comme d’un FREXIT, passe par la dissolution radicale de l’UE telle qu’elle est aujourd’hui. Si nous voulons toujours mettre nos forces en commun, il faut alors penser sa refonte éventuelle à partir du principe sacro saint d’une « Europe des Nations » avec une monnaie commune, mais certainement pas unique.

A l’heure actuelle, il n’y a pas d’issue possible pour les Gilets-jaunes, une réponse satisfaisante qui pourrait leur être faite, de la part d’une macronie aux commandes de la France. A l’heure actuelle, il n’y a pas une autre solution, qui pourrait être donnée en réponse aux revendications des « Gilets-jaunes », que celle d’une sécession pure et dure d’avec l’UE provoquant sa dissolution. C’est là qu’on en est aujourd’hui si l’on veut qu’il y ait une étape suivante à cette mobilisation de 4 mois!

Enfin, on peut se dire que le contrat de mariage qui a été signé en catimini, entre Merkel et Macron, à Aix-La-Chapelle, sans laisser le temps à personne d’en prendre connaissance avant le 22 janvier dernier, devait probablement avoir un rapport avec cette situation implosive pressentie par l’Allemagne. L’Allemagne prenait la précaution de lier « durablement » la France à sa position de leader européen, en vue de créer un noyau dur qui gardera la main dans la prévisible implosion de l’UE à venir. Si nous pouvons donc espérer un retour prochain vers une « Europe des Nations », mettant un point final à la dictature actuelle de l’UE et à la présence de son armée d’occupation qu’est l’OTAN, c’est sans doute aux Gilets-jaunes qu’on le devra.

Jean-Yves Jézéquel

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Après Utøya en Norvège, Christchurch, en Nouvelle Zélande.

Dans les deux cas, la haine. La haine à l’état pur. 

Dans son expression la plus brutale, la plus violente, la plus viscérale.

Le ventre se noue, la gorge s’étreint, les larmes noient le regard. Et la tête s’ébouillante à la vue de tant de haine. Dont on se demande, presque naïvement : comment cela est-il possible ? Comment peut-on en arriver-là ? Qu’est-ce qui fait qu’un individu puisse basculer à ce point dans la détestation de l’autre ? Dans une telle ignominie ?

Puis, l’horreur… L’horreur absolue submerge tout cela ! 

Et la sidération aussi. Mêlée d’un immense dégoût, à la vision des crimes commis par un individu ivre, malade de racisme au point de commettre l’innommable. Au point de s’en délecter. De filmer son « trip ». D’en jouir !

Je ne cèderai pas à tous les ressentiments qui montent en moi. Malgré la difficulté, je m’efforcerai de prendre du recul. Et de raison garder.

Je ne cèderai pas à la tentation de ces commentaires faciles que l’on entend chaque fois, après de tels actes, déclarant que « ce n’est pas humain » … qu’il s’agirait-là « de l’acte d’un monstre, bestial » … parce que de telles déclarations ont pour objectif de se désolidariser à moindre frais d’individus qui font pourtant partie de la société. Et qu’elles évitent ainsi de remettre le modèle de cette société en question. Alors que c’est précisément à cela qu’il est urgent de procéder. 

Ces individus ne surgissent pas de nulle part. Ils peuvent être nos voisins. Ceux-là mêmes à qui le commerçant du coin a vendu des armes et des munitions pour perpétrer leurs crimes. Qu’on le veuille ou non, ce sont nos semblables. Ce ne sont ni des monstres ni des bêtes inhumaines. Bien au contraire, de tels actes sont ce que l’humain est capable de produire de pire quand son mental est pollué. Et il faut le voir bien en face : aucun animal ne se comporte de la sorte. Seuls les humains en sont capables !

Et même si je peux la comprendre, je ne cèderai pas non plus à la tentation d’alimenter le sentiment de la revanche. Car cela ne ferait qu’ajouter de la haine à la haine. Et que, raisonnablement, je sais que ce n’est pas, que ce n’est jamais la solution.  

Par contre, je ne tairai pas ma colère ! 

Ma colère face à ce qu’avec quelques autres je dénonce depuis des années déjà, avec le peu de moyens qui sont les nôtres : ce terreau occidental où fleurit une haine xénophobe anti-noirs, anti-arabes et anti-immigrés dont les principaux acteurs en France se pavanent et font florès dans la plupart des cercles politico-médiatiques. 

Alors que cette tragédie se déroulait en Nouvelle Zélande, un merdia polémiquait une fois encore à propos du burquini… entre autres invités connus pour leur penchant assumé de vomir tout ce qui touche à l’arabité ! (https://blogs.mediapart.fr/merome-jardin/blog/150319/49-morts-ne-suffisent-pas-david-pujadas-et-lci?utm_source=twitter&utm_medium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-67)

Sur d’autres plateaux (CNews & RMC), une poignée de ces abonnés aux propos décomplexés avec Elisabeth Lévy d’une part, Olivier Truchot et Gilles-William Goldnadel de l’autre débattaient déjà pour dire à l’unisson qu’il fallait faire très attention qu’à la suite de cette tuerie en Nouvelle Zélande, les médias ne puissent plus dénoncer ce qu’ils ont l’habitude de déverser à longueur d’émissions, et sur les dangers de « criminaliser toute critique de l’immigration ou toute personne qui s’inquiètera du changement démographique de nos sociétés » et autres propos du même cru qui sont leur fonds de commerce les faisant exister dans ces merdias. (https://twitter.com/arretsurimages/status/1106852263576985600)

Il y a quelques semaines, la porte-parole de la Macronie, Mme. Aurore Berger, menaçait de poursuites Julian Branco, avocat de Julian Assange, lui reprochant « d’armer les esprits » par ses déclarations à propos des ‘Gilets Jaunes’… Sauf erreur de ma part, nul ‘Gilet Jaune’ n’a jamais pris de fusil-mitrailleur pour tuer dans le tas, des civils innocents en prière. 

Où est sa voix ? Que dit-elle à propos des « esprits » qu’arment et polluent à longueur d’antennes ces ‘éditocrates’ dont, à la suite d’Anders Breivik lors de son massacre en Norvège, se revendique le tueur australien Brenton Tarrant, déclarant explicitement qu’à travers son geste, il a voulu « venger la France, victime d’une invasion par les non-blancs » ? (https://www.lexpress.fr/actualite/monde/tuerie-en-nouvelle-zelande-derriere-l-attentat-l-ombre-d-anders-breivik_2067274.html). Et de citer ses références en la matière, brandissant la théorie du ‘Grand remplacement’, allant de Renaud Camus à Marine Le Pen en passant par Alain Finkielkraut, roi de la victimisation et « sous-philosophe » comme le qualifiait Pierre Bourdieu. Tous champions non-déclarés d’un suprématisme blanc qui ne dit pas son nom, et sionistes avérés pour la plupart d’entre eux.

Dans un papier écrit fin 2018, Julien Lacassagne, professeur d’histoire et de géographie, reprend une déclaration de Michel Onfray en 2015 disant :

« L’islam, un sujet sur lequel on ne peut pas s’exprimer » dont il pointe l’ineptie, « tant la production éditoriale concernant ce ‘problème’ n’a jamais été aussi abondante ». Indiquant que « Les productions éditoriales de cette année [2018] montrent une part démesurée d’ouvrages consacrés aux dangers de l’islamisation, juxtaposés à ceux de l’immigration, de l’incivisme scolaire ou de la criminalité ». (https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/le-spectre-d-edouard-drumont-plane-sur-l-edition,2823)

Ajoutant un peu plus loin que :

« Cette avalanche de titres semble confirmer (…)  qu’il y a un juteux marché de la peur de l’islam et de l’immigration, remarquablement exploité par les éditeurs ». Et soulignant qu’« il y a bien une vie ultérieure de l’antisémitisme occidental réincarné en islamophobie, et qui ne se contente pas de le remplacer car il alimente aussi sa propre résurgence. Est-ce vraiment étonnant qu’Eric Zemmour, contempteur féroce de l’islam, se fasse le défenseur du régime de Vichy et de Philippe Pétain qui auraient permis de sauver des Français juifs » ? 

 Et le professeur Lacassagne de terminer son article qui retrace « l’antisémitisme d’hier, à l’islamophobie d’aujourd’hui » par cette assertion :

« A bien y réfléchir, il y a toutefois une différence majeure par rapport aux années 1930 : celle de la faiblesse, voire de l’absence d’un mouvement intellectuel et politique d’ampleur à même de dresser une force contre cette hégémonie culturelle qui chercher à faire passer l’islam et l’immigration pour des périls majeurs ». 

Sauf que, le contrôle des médias n’a jamais été aussi important et qu’une poignée de milliardaires en assurent la ligne éditoriale, en accord direct avec les élus, les liant par le financement de leurs campagnes électorales de plus en plus onéreuses et rendant dès lors ceux-ci redevables. Ce qui fait une différence majeure dans la possibilité d’un débat équilibré sur la question, voire sur n’importe quel sujet de société par des mouvements qui existent bel et bien mais n’ont pas accès aux médias envahis par ces suprématistes blancs.

Loin de vouloir en rajouter une couche, je veux quand même pointer que lorsqu’un citoyen de confession juive se fait agresser en France (même quand il s’agit d’un coup qui se révèle par la suite avoir été « monté »), cette même panoplie d’histrions se poussent sur les plateaux pour hurler à « l’attentat terroriste antisémite ». Alors que dans le carnage de Christchurch en Nouvelle Zélande où près de 50 personnes sont mortes, il est question de « fusillade », ou de « crime », mais jamais « d’attentat terroriste ». Chacun pourra juger de l’imposture de ceux-là !

Et je veux dire qu’à ce stade, et malgré leur prudence de langage, leurs circonvolutions sémantiques, il ne s’agit plus de simple « islamophobie ». Ce terme-là est bien trop accommodant et ne reflète pas ce que véhiculent les interventions régulières de ces sinistres émissaires de xénophobie et de suprématisme blanc. Où il s’agit véritablement de haine xénophobe anti-arabes et anti-immigrés. Quand Mr. G-W. Goldnadel, à peine quelques heures après cet odieux attentat raciste, insiste lourdement en direct sur RMC pour dire « qu’on est très, très, très, très loin… très, très, très loin du compte, hein, en ce qui concerne l’islamisme… » n’y a-t-il pas là une manière à peine déguisée, d’en appeler au meurtre et à la poursuite de tels actes terroristes en direction des arabo-musulmans ? On n’ose même pas imaginer le tollé que de tels propos auraient provoqués s’ils avaient été proféré par un basané dans un Etat où les plus hautes instances du pouvoir font l’amalgame entre antisémitisme et antisionisme !

Au-delà de ma colère personnelle face à cet abject attentat, une colère citoyenne doit émerger et rejoindre celle des ‘Gilets Jaunes’, légitimes à renverser des gouvernements dont les pratiques ne nourrissent plus une saine démocratie, mais participent au contraire par de sordides calculs électoralistes, à son musèlement par l’entremise de médias de caniveaux où se déverse, semaine après semaine, un racisme décomplexé qui tue !

Et vu la prédominance du discours politico-médiatique ambiant, désormais aucun pays n’est à l’abri de tels « actes terroristes » et certainement pas la France qui alimente et entretient depuis des années une politique identitaire et discriminatoire vis-à-vis des ressortissants arabo-musulmans au point que l’ONU vient de publier un rapport qui en dénonce les dérives. (http://www.islamophobie.net/articles/2019/03/13/la-rapporteuse-speciale-de-lonu-denonce-les-consequences-alarmantes-de-la-lutte-contre-le-terrorisme-pour-les-musulmans-de-france/?)

Daniel Vanhove 

18.03.19

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Aussi puissant que puisse être l’Empire, son monopole sur le monde n’est plus absolu. Déjà, la Russie lui a fait ce rappel lors de son intervention en Syrie, en appui au président légitime Bachar El-Hassad.  Une intervention qui a permis de mettre à jour, entre autres, toute l’hypocrisie de cet Empire qui, sous le prétexte de combattre le terrorisme, en était finalement le promoteur.

L’agression dont est victime le Venezuela, de la part de ce même Empire, est tout à fait inacceptable et hors de toute norme internationale.  Le Conseil de sécurité des Nations Unies a condamné, tout récemment, à deux reprises, cette agression de la part des États-Unis et de ses alliés.

L’attaque cybernétique, du 4 au 12 mars, contre la plus importante centrale électrique (Guri) du Venezuela, a eu pour effet de plonger dans le noir, une population de plus de 30 millions de Vénézuéliens et Vénézuéliennes. Pendant plus de 8 jours, ces derniers ont été privés  de tous les services qui sont directement liés  à l’énergie électrique, comme le transport, les équipements médicaux, les ascenseurs, la préparation des repas,  l’eau, etc. À la manière des hackers qui s’infiltrent dans nos ordinateurs pour les contaminer, Trump et les siens se sont infiltrés dans l’ordinateur central de cette très importante centrale électrique pour en modifier les fonctions. Heureusement que les techniciens et ingénieurs ont vite saisi la source du mal. Autrement, le Venezuela serait encore dans le noir et sans électricité.

Dire que ce sont ces mêmes personnes qui versaient, il n’y a pas encore longtemps, des larmes de crocodile devant les pauvres vénézuéliens qui attendaient leur aide humanitaire. Une aide humanitaire qui s’est révélé un véritable cheval de Troie, dissimulant armes et tout ce qu’il faut à des terroristes, pour créer le chaos. Ce sont, finalement, eux-mêmes qui ont brulé  ces camions d’aide humanitaire que le gouvernement de Nicolas Maduro avait bloqués à la frontière, sachant ce qu’ils contenaient. Il a fallu quelques semaines pour que le New York Timesen confirme les faits.

 Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Riabkov

Mardi, le 19 mars,  le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Riabkov, rencontrera l’envoyé spécial des États-Unis pour le Venezuela, Elliott Abrams, à qui il affirmera clairement qu’une intervention militaire dans le pays sud-américain est inadmissible.

L’approche centrale de la réunion, qui se tiendra à Rome, sera qu’une intervention militaire des États-Unis au Venezuela ainsi que toute autre forme de pression sur le gouvernement légitime de Caracasest inadmissible. », a déclaré le vice-ministre, selon un rapport de Sputnik Nóvosti.

Elliott Abrams

Il sera également question de la pression exercée par le gouvernement du président des États-Unis, Donald Trump, sur les entreprises russes qui maintiennent des relations économiques avec le Venezuela.

Serguei Riabkova également déclaré que le gouvernement du président Vladimir Poutinemaintiendrait sa coopération avec Caracas dans les domaines de l’énergie et de la technologie militaire,malgré les pressions américaines.

« Nous continuerons d’encourager une coopération normale, absolument naturelle, mutuellement avantageuse et légitime dans divers domaines, tels que l’énergie, la production de pétrole, l’exploitation minière ou la coopération technique militaire, que nous développons avec succès depuis plusieurs années », a-t-il déclaré.

Oscar Fortin

17 mars 2019

Serguei Riabkov

https://www.telesurtv.net/news/rusia-encuentro-eeuu-intervencion-inadmisible-venezuela-20190317-0007.html

 

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Etats de droit

mars 18th, 2019 by Michel Raimbaud

Ce vendredi 15 mars 2019 marque le huitième anniversaire d’un conflit universel. Déjà plus long que les deux guerres mondiales, il a passé « l’âge de raison » qui signifiait pour les parents et grands-parents de jadis la fin de l’innocence de leur progéniture. Les intellectuels de toutes les rives auraient intérêt à lire l’article publié à cette occasion par Kamal Khalaf, écrivain, journaliste et analyste politique palestinien bien connu, qui rappelle une réalité escamotée :  » s’il y a une guerre qui n’est pas innocente, c’est bien celle de Syrie « . Près de 400 000 morts, des millions de réfugiés, déplacés, exilés, sinistrés, et une multitude de blessés, d’estropiés, de handicapés à vie. Des orphelins, des veuves, des familles brisées ou dispersées. Sans parler d’un pays en partie détruit, à dessein. Ayant déjà beaucoup dit et écrit à ce propos, je n’allongerai pas l’inventaire des supplices infligés à tout un peuple, victime par surcroît d’un flagrant déni de vérité et de justice sans précédent.

Les dévots, prédicateurs ou imprécateurs qui croient représenter le « monde civilisé » le savent sûrement, si cette tragédie aux innombrables victimes n’a pas la puissance d’évocation d’un 11 septembre, c’est qu’on l’a ensevelie sous une forêt de « faux pavillons », que son récit a été étouffé sous une chape d’omerta ou de mensonge. La manipulation a permis aux faussaires de justifier la poursuite de ce crime collectif au nom de la légalité internationale, pourtant violée par eux sans vergogne et sans pudeur. Que l’on invoque pour prétexte la démocratisation, la défense des droits de l’homme, la responsabilité de protéger, ou bien qu’on la drape dans les oripeaux de la morale humanitaire ou de l’Etat de Droit, l’entreprise alliant dans son lit les « croisés » euro-atlantiques sous leurs enseignes variées et les « djihadistes » sous leurs franchises diverses aura été une entreprise perverse, illégale et criminelle. Et c’est par le biais d’une escroquerie médiatique et intellectuelle sans précédent qu’ils ont pu la faire passer pour une guerre noble, voire une guerre sainte.

Si l’Etat syrien a pu compter sur des alliés fidèles, son peuple a hérité d’un « groupe d’amis » que l’on ne peut souhaiter qu’à des ennemis héréditaires : à Marrakech en décembre 2012, on dénombre (excusez du peu) 114 Etats, les protagonistes de l’agression. Dans ces pays, incluant la France, les politiques, les intellectuels et les médias n’ont jamais dit « Nous sommes tous des Syriens », ou « tous des Arabes », alors que le « peuple si bon » avait bénéficié de nos effusions à nous, qui étions « tous des Américains » à l’insu de notre plein gré.

Ce deux-poids, deux-mesures est lié à la conviction que l’Occident est la seule humanité qui vaille, que seules ses valeurs, ses langues, ses modèles, ses conceptions, ses combats ont une portée universelle. Cette certitude est si incrustée que les hommes et femmes de la rue comme les « élites » ne voient pas malice à ce que leurs gouvernants s’arrogent « le droit de dire le droit » et puissent intervenir militairement pour changer le « régime » de tout pays résistant que le maître américain aura daigné qualifier de « voyou ». Que les abonnés des plateaux de la télévision remplacent l’invocation à « nos grandes démocraties » vaguement surfaite par des incantations sur « nos Etats de droit » ne change pas les fondamentaux : l’Occident se considère comme l’incarnation du Droit. Une fois de plus, il constitue le modèle, évidemment inimitable, en la matière. Le résultat est croquignolesque, ainsi qu’en témoignent les réunions du Conseil de Sécurité, où chaque prestation occidentale est un morceau de bravoure, un chef-d’œuvre d’hypocrisie, un grand moment de n’importe quoi. On dira : et la France alors, et Descartes et le cartésianisme, Voltaire et les philosophes, et les Lumières, la raison et la logique, dont on se pique dans nos « Etats de droit » en général, et chez nous en particulier ?

Parlons franc, le satané et infernal Etat de droit impose au ci-devant « homme blanc » un fardeau tel qu’il serait injuste de ne pas trouver de circonstances atténuantes à ces personnages si élégants et bien coiffés qu’ils ne peuvent être malhonnêtes. A défaut d’entendre leur sanglot, il suffit de voir leur visage accablé par la misère du monde, leur indignation devant l’iniquité des Etats faillis que le monde civilisé est obligé de bombarder et de punir, devant l’insolence des émergents para-communistes, ou face aux provocations de tous ces « axes de la résistance ». Que de stoïcisme il faut pour mettre de côté son attachement aux principes des Nations-Unies afin d’imposer justice et démocratie chez les Barbares. Le vrai Etat de Droit n’est-il pas l’Etat de tous les droits : de définir des règles, des normes, de nommer, de juger, de menacer, de condamner, de sanctionner, de punir, d’intervenir, de changer les régimes inadaptés, d’occuper, de changer la géographie, etc. C’est une grande souffrance morale et une tache prenante, qui implique des devoirs et des droits, pile et face de la même médaille.

Dans ces conditions, les Etats de Droit ne sauraient déchoir en s’embarrassant de scrupules indignes de leur rang, en respectant dans des pays barbares, des Etats « qui n’existent pas » aux dires de nos intelligences complexes, les principes et les règles d’un Droit qu’ils malmènent chez eux, à contre-coeur, n’en doutons pas. Le Droit est affaire de gens ou de pays civilisés. Les « Etats voyous » sont faits pour être sanctionnés, bombardés, punis, mis sous embargo ou sous blocus.

A ce stade, un souci aura peut-être désespéré les adeptes du droit, ceux qui croient en la diplomatie et vénèrent la légalité onusienne… Pour qui juge naturelle l’hégémonie exercée depuis si longtemps sur le monde, il est logique de chercher à imposer des noms et des normes. C’est ainsi que l’Etat « hors-la-loi » a été défini par les idéologues inspirés par le messianisme néoconservateur. Selon Avraham Shlaïm, juriste israélien et professeur à Oxford, un « Etat voyou » détient des armes de destruction massive (ADM), soutient ou pratique le terrorisme et viole régulièrement le Droit international. Or, ces critères peuvent inspirer de mauvaises pensées : le cambrioleur crie au vol, l’agresseur hurle au viol.

C’est ainsi qu’en Syrie, les trois Occidentaux et leurs alliés, puissances nucléaires détentrices d’ADM, ont enseveli un peuple sous des tonnes de sanctions sadiques, armes de destruction massive par excellence ; ils ont soutenu, armé, financé et protégé les centaines de groupes terroristes (y compris Da’esh et Al Qaida) qui ont martyrisé le peuple syrien. Ils bombardent, lancent des frappes punitives contre les « méchants ». Ils violent le droit international par leur seule présence militaire sans aval du gouvernement légal, enfreignant la charte des Nations-Unies par leur occupation illégale. Certains comme Erdogan ont même des revendications territoriales ou des velléités de recolonisation, sans s’attirer les foudres des « Gardiens du Droit », membres permanents du Conseil de Sécurité, alliés d’Ankara par la grâce de l’OTAN.

Les réalités s’accommodent mal d’affirmations sommaires : il en va ainsi de celle, largement admise, qui réduirait le conflit de Syrie à une guerre contre le terrorisme, assimilée à la lutte contre Da’esh. Or, vue de Damas, cette guerre ne serait pas finie avec la seule disparition de l’Etat Islamique. A Idlib, sur la rive est de l’Euphrate ou du côté de la base US d’Al Tanaf, on trouve encore des milliers de terroristes présentés comme des opposants « modérés » ou des « rebelles armés » alors qu’ils n’ont que changé de badge afin d’échapper aux résolutions de l’ONU. Quand bien même ces « terroristes modérés » seraient-ils éradiqués ou évaporés, la guerre ne serait pas achevée. Resterait à obtenir le départ des « forces spéciales » occidentales et le retrait des janissaires du néo-calife traînant illégalement sur le territoire. Tant que le gouvernement n’a pas atteint ses objectifs légitimes, la Syrie sera en état de guerre.

Il semble d’ailleurs que les partenaires atlantiques (l’Amérique, l’Europe et Israël) n’aient pas l’intention de déguerpir facilement. La Syrie, qui devait être « lentement saignée à mort », a été endommagée, mais elle résiste vaillamment, aidée par de puissants alliés. A défaut d’avoir gagné la guerre, pourquoi ne pas empêcher son retour à la vie en l’étouffant avec les armes que le maître fouettard aime tant : les sanctions, blocus et embargos. L’Amérique*, chef spirituel de tous les criminels dévots, en battle-dress ou en trois pièces cravate, fait preuve d’une imagination débordante qui illustre son leadership moral et culturel, tandis que l’Union Européenne lui emboîte le pas avec une servilité inépuisable et un manque de fantaisie à faire dormir debout. Néanmoins, le dispositif est efficace, tant est puissante l’étreinte de l’Amérique et tellement est pervers son dispositif de normes unilatérales et extraterritoriales. Au point qu’un vague attaché commercial de l’ambassade US à Amman peut terroriser le gouvernement jordanien en interdisait tout commerce avec la Syrie, sa voisine. Les entreprises françaises, guère plus hardies, filent doux devant les menaces de sanctions financières ou commerciales. Le gouvernement de la « grande nation », comme on disait fièrement naguère, n’a plus que deux options : se soumettre bon gré mal gré ou se soumettre mal gré bon gré.

Dans tous les domaines, la Syrie est déjà gavée de sanctions, y compris les plus farfelues. Depuis huit ans, les « trains » de mesures punitives se succèdent à un rythme effréné. La dernière fournée : la loi César, votée par le Congrès, qui généralise les sanctions, les étendant à tous les secteurs, et touchant non seulement les sociétés ou les banques, mais désormais les Etats et les individus. Il s’agit d’assécher les circuits financiers syriens pour interdire toute reconstruction, autrement dit d’étrangler le peuple syrien. Par ailleurs, les pays voisins ayant accueilli des réfugiés sont soumis à des pressions violentes visant à empêcher le retour de ces exilés vers la Syrie, « la situation n’étant pas mûre » (disent les occidentaux). L’Union Européenne s’est empressée d’imiter son grand timonier. Ses Etats, qui ne sont plus leurs propres législateurs, ne peuvent que se rallier à la majorité, laquelle ne jure que par la voix de son maître.

Les discussions sur la question syrienne sont étouffées par une omerta et une censure impitoyables. Le lavage de cerveau est parvenu à pervertir le débat. Celui-ci ne porte jamais sur la légalité ou l’illégalité de l’envoi de troupes contre la volonté du gouvernement syrien. Aucun doute n’est émis sur la légitimité de leur présence et de leur maintien, prétendument pour combattre Da’esh, soutenir les « démocrates kurdes », vérifier le niveau de l’eau dans l’Euphrate, ou bombarder pour tuer le temps. Par contre, on distrait la galerie lorsque la tactique est critiquée sur le plan technique par tel ou tel officier. Comme si l’aventure militaire lancée par un « Etat de Droit » ne pouvait qu’être légale et légitime. De même, le débat national s’enflamme lorsqu’il concerne le retour et le jugement des terroristes français partis faire le djihad. Mais la discussion envisage le problème du seul point de vue de la sécurité de la France : quel danger représenteront ces individus à leur retour. Aucune condamnation de l’action passée en Syrie. A qui les remettre, aux Turcs, aux Kurdes… ? Pas un mot sur leur éventuelle remise aux seules autorités légitimes, celles de Damas. A en croire nos chefs de guerre, il n’y aurait plus d’Etat, pas de justice en Syrie. Dans ces conditions, comment la France peut-elle espérer remettre un pied dans ce pays qu’elle a contribué à détruire et dont elle nie l’existence, un Etat pourtant considéré comme le vainqueur potentiel ?

Aux dires des experts la guerre est terminée, mais tant de mensonges ont été répandus qu’il sera difficile de normaliser. Loin de faire machine arrière, l’Occident, qui porte une responsabilité écrasante dans la tragédie, semble parti pour une fuite en avant où tous les coups seront permis, dans un mépris total de la légalité. L’approche tordue de « nos Etats de Droit » ne présage rien de bon. En ce huitième anniversaire, les dirigeants français sont enferrés dans un désir de vengeance irrationnel, prétendant plus que jamais décider de l’avenir de la Syrie, sur lequel ils n’ont guère de prise. On accordait jadis à la France une vocation de médiatrice ou de conciliatrice. Il est navrant que les dirigeants d’aujourd’hui se contentent d’une capacité de nuisance. Reviendront-t-ils à la raison ?

Michel Raimbaud
Ancien ambassadeur de France

* L’auteur utilise le terme Amérique pour désigner les États-Unis d’Amérique

La crise actuelle en Algérie

mars 18th, 2019 by Djamel Labidi

Si la jeunesse s’est mise en mouvement, c’est qu’elle a tout simplement de nouveaux besoins , de nouvelles aspirations économiques et politiques, qu’elle aspire à une meilleure qualité de la vie et plus de liberté, et donc plus de démocratie. … Ici, en Algérie, le système politique s’est avéré trop étroit pour ces nouveaux besoins historiques.

Mardi 12  mars 2019. Sur Cnews, chaine d’information continue française, l’émission d’Yves Calvi: « L’info du vrai ».  On y débat de la situation actuelle en Algérie.  Une émission comme on en voit beaucoup  d’autres à ce sujet actuellement sur les chaines françaises d’information. 

Sur le plateau de l’émission d’Yves Calvi, comme sur d’autres d’ailleurs, c’est la grande tendresse à l’égard des réseaux sociaux algériens.  Elle tranche avec la méfiance, voire l’hostilité des mêmes intervenants envers les réseaux sociaux français lorsqu’il s’agit des « Gilets jaunes ».  Ceux-là, on les accusait d’antisémitisme,  de racisme, de propagateurs  de haine, de » complotisme », de diffuser des fakenews.  Vérité en deçà des Pyrénées,  erreur au-delà…

Affirmations sommaires: Le président Bouteflika est qualifié de « dictateur corrompu », rien que ça,  avec une désinvolture étonnante, comme l’aurait fait un quelconque anonyme sur Facebook. Ce plateau de Cnews va aligner , en guise d’explications, tous les clichés habituels: « dictature militaire », « corruption généralisée » en Algérie. Certes on peut toujours dire que des Algériens eux-mêmes l’affirment. Qu’il soit employé en France ou en Algérie, l’argument du « Tous pourris » , n’est jamais sain et n’a jamais aidé à la réflexion et à la démocratie. Il finit d’ailleurs, pernicieusement, par porter atteinte à tout un pays.

Il est mauvais de caricaturer une réalité. Cela n’aide pas à voir clair. S’il y a eu, seulement,  tout  cela en Algérie, une telle dictature aussi horrible, comment expliquer que des centaines de milliers de personnes puissent manifester pacifiquement, sans violence de part et d’autre, et que la fête soit même si joyeuse. Il faut être deux parties antagonistes, à la fois forces de l’ordre et manifestants,  pour que la  violence  s’installe. Encore que les forces de l’ordre par définition ont une plus grande responsabilité. Ce qui s’est passé avec les « Gilets jaunes » en France le prouve amplement. Dès le départ , les manifestants , pourtant bien moins nombreux qu’en Algérie, ont été réprimés cruellement, afin , peut-on le supposer, d’éviter que les manifestations ne se développent. En Algérie, bien au contraire, le sentiment de sécurité de chacun a contribué à permettre une  participation de plus en plus large.   La contradiction n’embarrasse pas le plateau.

Certes, il ne faut pas faire preuve d’angélisme ou de chauvinisme à rebours.  Ce genre de situations historiques sont, on le sait, à haut risque. Aucun peuple n’est meilleur qu’un autre, et l’Histoire chancelle souvent entre le rêve et le cauchemar.

Sur ce plateau de Cnews, comme sur d’autres d’ailleurs, on se contentera de dire, au sujet de  la comparaison entre le mouvement populaire français et celui en Algérie,  « que les situations ne sont. pas comparables ». L’un des participants au débat, assènera, à ce propos et comme argument définitif » qu’il est impensable qu’en Algérie il y ait une affaire Benalla pour la bonne raison que le moindre article sur un tel sujet ne pourrait paraitre ».  Il est merveilleux qu’on puisse, à ce point, être donneur de leçons. Esprit de suffisance, mépris, ou bien ignorance crasse de la situation en Algérie. La vérité est que la liberté de ton de la presse algérienne et des chaines télé d’information est très grande, et probablement bien plus qu’en France. Eh oui… La grande majorité des journaux sont dans l’opposition au pouvoir. La sympathie manifestée par des chaines de télé privé algériennes aux manifestations actuelles serait impensable en France. 

                                        Dis-moi qui te paie je te dirai qui tu es

Et il y a sur le plateau de l’émission les inévitables experts « locaux » au sens qu’ils vivent en France et sont originaires du pays en question. Ils sont supposés avoir une compétence et apporter des données factuelles. Étrange idée, comme si un Français vivant depuis des lustres en Algérie était appelé sur un plateau algérien pour donner une analyse sur la France. Journalistes franco- algériens, directeurs de centres de recherches aux noms pompeux spécialistes des questions maghrébines arabes ou musulmanes, professeurs émérites d’universités françaises, ils sont là, Algériens ou Franco-Algériens, comme l’étaient hier des Syriens ou des Libyens, à rivaliser de zèle pour prouver leur compétence et justifier leurs confortables salaires. Mais jamais on ne les verra prendre le risque, au nom de la liberté de critique dont ils se prévalent, de soutenir intellectuellement « les Gilets jaunes », ou de dénoncer par exemple  l’intervention en Libye, bref  prendre le risque d’une confrontation avec leur employeur. Dis-moi qui te paye, je te dirai qui tu es.

S’ils faisaient au moins leur travail, s’ils donnaient  au moins des données factuelles pour élever le débat… Leurs spécialités supposées, en sociologie, en sciences politiques ou même en Histoire ne leur servent que de masque pour cacher la pauvreté d’une pensée  intellectuelle asséchée par des lustres d’absence du terrain, du  pays. Ils l’aiment en effet trop pour souffrir d’y vivre. Les données qu’ils avancent ne dépassent pas souvent le niveau des rumeurs, des clichés  ou des ragots recueillis probablement dans une conversation téléphonique avec l’Algérie.

C’est ainsi que l’un d’eux dira , péremptoire, que les ressources en hydrocarbures représentent 95% des ressources de l’Algérie. Faux, elles représentent 95% des ressources en devises, mais seulement 30 à 40% de son PIB ( selon les variations du cours du pétrole). 

Autre cliché: « l’Algérie est un pays riche dont la population est pauvre ». Faux, l’Algérie n’est pas un pays riche. Elle a, actuellement, un PIB par habitant d’environ 4000 dollars par  habitant. À titre de comparaison, la Turquie et le Liban ont un PIB par habitant de deux fois et demie supérieur, la Grèce cinq fois supérieur, l’Espagne sept  fois supérieur. De telles erreurs confinent à de la propagande.

Le même expert dira que 800 milliards de dollars sur 20 ans  ont été dépensés en Algérie sans que rien n’ait été fait. Encore un thème de pure propagande qui n’aide pas à la rationalité. Ce chiffre correspond au montant des investissements. Asséné ainsi il est destiné à frapper l’imagination. Mais 800 milliards sur 20 ans c’est 40 milliards par an. C’est déjà relativement  autre chose. D’autre part, il est inexact de dire que l’Algérie n’a rien fait depuis 1962.

Comparons .La France a un PIB par habitant de 45 000 dollars soit plus de 10 fois celui de l’Algérie. Elle a 170 000 SDF, un chômage de 9% et qui atteint 39% pour les jeunes sans qualification. Avec 5000 dollars par habitant en moyenne sur la période , l’Algérie, depuis 20 ans, s’est modernisée. Les transformations  sont visibles, spectaculaires partout dans le pays: autoroutes,  hôpitaux, universités par dizaines, logements par millions, barrages, généralisation de l’électricité. Il y a quinze ans , les grandes villes souffraient de pénurie d’eau, d’électricité, elle ne sont plus qu’un souvenir. Les villages dans les montagnes ont le gaz. L’espérance de vie est la même que celle des pays développés.

En 1962, l’Algérie avait 9 millions d’habitants. Elle avait été dévastée par le colonialisme et la guerre. Elle en a plus de 40 millions aujourd’hui. Elle a pu pourtant résoudre les problèmes de base du développement, Education, santé etc..  La France avait en 1962 40 millions d’habitants. Imaginons quelle serait sa situation  aujourd’hui si elle avait 160 millions d’habitants, c’est-à-dire une augmentation  du  même ordre. Elle serait dans une crise sans nom.

Il faut dire tout cela, non pas pour dédouaner les responsabilités du pouvoir mais pour raison garder. Les contrevérités n’ajoutent rien à la solution d’une  crise qui est déjà assez grave en elle-même, et dont il faut chercher les véritables causes. 

Ce sont  précisément les progrès faits  qui permettent de comprendre l’explosion actuelle. Tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui que la jeunesse algérienne est  instruite et qu’elle est l’âme de ces manifestations. C’est bien la preuve des progrès. Il y a 30 ans, en 1988, les manifestations, notamment islamistes, drainaient en cortèges interminables, des masses d’hommes  pauvres, le visage have, les yeux brûlants de privations. Rien à voir avec les cortèges des  jeunes d’aujourd’hui pleins de modernité. Le niveau de vie s’est élevé. Il y a trente ans les cortèges détruisaient sur leur passage tous les symboles de l’économie d’État, magasins d’État « Souks el fellah », entreprises d’État, qu’ils accusaient de tous les maux. Aujourd’hui , ils tiennent à protéger la ville, leur pays,  leur environnement. Ils le nettoient même. Si la jeunesse s’est mise en mouvement, c’est qu’elle a tout simplement de nouveaux besoins , de nouvelles aspirations économiques et politiques, qu’elle aspire à une meilleure qualité de la vie et plus de liberté, et donc plus de démocratie. Ainsi va la vie. Les progrès faits créent de nouveaux problèmes, de nouvelles exigences. Ici, en Algérie, le système politique s’est avéré trop étroit pour ces nouveaux besoins historiques. Il ne s’est pas mis au niveau de l’Algérie nouvelle. Au  Brésil, c’est précisément au moment où ce pays est devenu l’une des plus grandes puissances économiques mondiales, la huitième, que les explosions sociales et politiques sont survenues.

Il serait  donc bien plus intéressant de réfléchir à ces questions plutôt que de continuer à penser  à base de catégories usées en pays « en déficit de démocratie » vers qui  l’Occident viendrait exporter sa démocratie. On a vu ce qu’il en est advenu  et les terribles drames humains où ont conduit les interventions étrangères.

Plutôt de dire avec suffisance que le mouvement des « Gilets jaunes » n’a rien de comparable avec le mouvement populaire en Algérie, ne serait-il pas plus intéressant de voir au contraire ce qui leur est commun dans un monde sur lequel  souffle partout le vent de la démocratie..  N’est-ce pas d’ailleurs le « dégagisme » de la révolution tunisienne qui  a gagné, à partir de  2011, les pays européens , l’Espagne, puis la Grèce, pour arriver aujourd’hui en France et concerner toute la classe politique française et finalement le président Macron. Aujourd’hui en Algérie le mouvement populaire rejette lui aussi « le système », toute la classe politique, y compris des partis d’opposition dont les leaders sont expulsés des manifestations quand ils viennent y participer. Il se refuse à toute structuration. Il s’organise sur les réseaux sociaux. Il est intelligent, créatif. Il dit « nous sommes le peuple souverain ». Il brandit partout le drapeau algérien, comme les « Gilets jaunes »  le drapeau français, non pas par nationalisme étroit, mais en signe d’unité et de fraternité nationales. 

                                                 Un pays, deux sociétés

À y réfléchir, la chute du mur de Berlin n’a pas été la victoire de la démocratie contre le totalitarisme, comme on l’a dit peut être trop rapidement, mais le vecteur d’un  besoin général de plus de démocratie dans le monde, et une critique globale des  mœurs et procédés de  la démocratie existante . Cette crise  concerne aussi bien les vieilles démocraties que les démocraties naissantes. Elle est générale: elle se présente donc avec des points qui sont  communs partout, en même temps qu’ elle s’exprime de façon particulière, dans  les conditions propres à chaque pays.

L’Algérie, comme décrit précédemment, s’est certes modernisée. Mais des problèmes nationaux, majeurs, vitaux  n’ont pas été réglés. 

Sur le plan économique, les problèmes sont connus, notamment celui de son retard à diversifier ses exportations. Elle est donc restée prisonnière de l’exportation de ses hydrocarbures, ce qui la rend vulnérable. Elle est trop longtemps restée en même temps captive d’une économie d’État  dont le pendant politique est une bureaucratie d’État  autoritaire, méprisante et trop souvent vulnérable au trafic d’influence.

Autre question nationale vitale, l’Algérie, quoi qu’on en dise, ne s’est pas réellement libérée du colonialisme et ici donc de l’influence française. Ceci explique son extrême sensibilité à la question et le caractère récurrent de ce thème , ou des accusations à ce sujet dans la vie politique algérienne. Des responsables politiques ou administratifs sont régulièrement accusés d’appartenir au « parti français ». Un pays, comme le Vietnam, est bien plus serein sur la question, preuve qu’il l’ a réglée et qu’il a  tourné véritablement la page.  La question de la bi- nationalité franco- algérienne reste très sensible. Le français reste la langue dominante, en tant que langue d’affaires et de travail, face aux langues nationales,  l’Arabe et l’Amazigh, qui sont marginalisées et n’ont d’utilisation que politique. C’est d’ailleurs la raison de leur regain à chaque grand mouvement politique, comme c’est le cas actuellement. La question de la bi- nationalité franco-algérienne est très sensible comme celle de la place de la communauté établie en France. L’exode des compétences continue de faire rage, notamment pour des raisons culturelles, les jeunes élites francophones, notamment les médecins qui étudient en langue française, fournissant les plus gros contingents. Cette exode a toujours existé et il n’a fait qu’augmenter, proportionnellement  au nombre  des effectifs de diplômés. Le pouvoir, comme partout, a une responsabilité en la matière, puisque cet exode dépend du rythme du développement économique mais c’ est surtout la fermeture des frontières dans le monde, qui a donné un tour dramatique à la question, avec  l’émigration sans visa, « les Harragas », qui est devenu un des thèmes de la révolte actuelle. 

L’Algérie et le pouvoir n’ont pas encore réussi  à combler le fossé, à supprimer la dualité existante, héritée du colonialisme, entre deux sociétés, l’une occidentaliste (sous la forme ici francophone) et l’autre, la société profonde, arabo-islamique. Cette dualité existe partout, dans la presse, dans les universités, les uns francophones, les autres arabophones, dans la vie économique et commerciale, dans l’occupation de l’espace avec des quartiers riches ou aisés généralement francophones. Et même dans les relations sociales, puisqu’on se marie en général dans sa propre société, suivant ces affinités et déterminants culturels. Les polémiques permanentes sur la langue de l’École , sur la place de l’Islam dans l’éducation, témoignent de ces clivages socioculturels qu’une approche laicarde ne peut permettre de saisir. L’existence  de ces deux sociétés en Algérie (mais aussi au Maroc et en Tunisie), la permanence de cette fracture socioculturelle explique en profondeur des charges de violence sociale et le danger de leur répétition. Elles peuvent expliquer aussi le rejet de l’État, à travers  celui de certaines élites étatiques, administratives et économiques, perçues quasiment comme étrangères aux préoccupations de la nation. 

En Octobre 1988 en Algérie, tout le monde s’était uni contre le pouvoir autoritaire sur la question de la démocratie puis déchiré sur les questions sociétales. Ceux qu’on avait appelé les « éradicateurs », le courant démocrate laïc, avait fait appel à l’intervention de l’armée contre l’islamisme politique et demandé l’arrêt du processus électoral. La loi sur la concorde civile et la charte de réconciliation nationale sont finalement venus mettre fin à une terrible guerre civile. Cela a été le principal apport historique du président Bouteflika. Le pouvoir s’est, alors, en quelque sorte, interposé entre les belligérants. C’est probablement là le secret des retours à une gestion politique autoritaire comme cela a été le cas en Égypte.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a donc le danger, en Algérie, que tout cela se reproduise, et que les mêmes forces qui s’entendent aujourd’hui se déchirent demain. Jusqu’à présent, tous les pouvoirs qui se sont succédés depuis 1962, mais aussi les forces politiques, n’ont jamais voulu regarder en face cette fracture socioculturelle, probablement  par souci d’unité politique nationale et sociale, préférant le déni plutôt que de la prendre en compte afin de la réduire. 

L’Algérie attend encore les forces politiques capables de réduire cette fracture et d’unir le tissu national. Aujourd’hui, il y a cependant matière à optimisme. Les jeunes ont brandi partout sur le territoire le drapeau national et les manifestations populaires actuelles ont renforcé plus que jamais l’unité nationale au-dessus de tous les particularismes régionaux. La jeunesse s’est unie. La mixité partout est devenue, d’un coup, sans crier gare, une réalité totale dans les manifestations. Femmes et hommes se côtoient tout naturellement. Leurs cortèges joyeux montrent ce besoin de fraternité nationale et de dépassement des clivages socioculturels, mêlant authenticité et modernité.

Peut-être pourront-ils faire ce que n’ont pu faire leurs parents qui , après avoir libéré le pays, sont restés profondément perturbés par la tragédie  coloniale. En tous cas, c’est la tâche et la mission de cette nouvelle génération qui a surgi aujourd’hui puissamment  sur la scène politique.

Djamel Labidi

 

Carlos Aznarez – Pourquoi une Assemblée internationale des peuples maintenant?

Joao Pedro Stedile – L’effort que nous faisons avec cette articulation, sans nous substituer à d’autres comme celle des partis et des syndicats, est d’essayer de rassembler toutes les forces populaires pour que nous puissions promouvoir des luttes communes contre les ennemis communs que sont les impérialistes. C’est la raison principale pour laquelle il faut chercher de nouvelles formes d’articulation internationale qui promeuvent les luttes et qui essaient de donner une unité aux divers espaces et formes d’organisation dans nos pays. Dans cette première Assemblée, à cause du degré de conflit au Venezuela, qui est maintenant l’épicentre de la lutte des classes mondiales, du moins en Occident, où l’impérialisme veut faire basculer le Venezuela, notre numéro un, la priorité zéro pour nous tous est de partir d’ici avec un agenda de mobilisations, de dénonciations, pour que nos mouvements puissent se développer dans chacun des pays où nous sommes.

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Je me fais l’avocat du diable : chaque fois que ce type de réunion se tient, il est proposé à chacun de retourner dans leurs pays et de coordonner les actions, puis, pour une raison ou l’autre, même internes de chaque pays, ces choses ne sont pas menées à bien ou les documents et résolutions sont restés au placard.

Telle est notre réflexion autocritique : nous devons sortir du monde du papier et essayer de promouvoir davantage des actions. Je crois que nous devrions promouvoir des luttes et des actions concrètes parce que les forces populaires qui sont ici sont déjà habituées aux processus d’articulation populaire dans leurs pays, elles sont mieux préparées, elles ont plus de vocation, pour construire des processus unitaires et de lutte sociale. En d’autres termes, ce n’est pas une réunion bureaucratique qui vient avec le logo ou le parti, voilà des gens qui sont impliqués dans leur pays dans de véritables processus de lutte. Nous sommes donc persuadés qu’à leur retour dans leur pays, ils inscriront la question du Venezuela, la question de l’internationalisme, à leur ordre du jour permanent dans les luttes nationales qu’ils mènent déjà.

Le Venezuela est aujourd’hui un tournant dans la lutte anti-impérialiste, comment pensez-vous qu’il soit plus valable ou plus efficace de faire preuve de solidarité avec le Venezuela sur le continent ?

Il est vrai qu’il y a une grande confusion et c’est pourquoi le Venezuela est un point clé, car même certains secteurs de gauche d’Amérique latine et d’Europe se laissent influencer par ce que dit la presse bourgeoise. Nous avions invité plusieurs forces européennes qui refusaient de venir parce que le Venezuela n’est pas la démocratie. Regardez, un pays qui a tenu 25 élections en 20 ans, où la presse privée est majoritaire, où l’opposition manifeste tous les jours comme elle le veut, comment peut-on dire qu’il n’y a pas de démocratie dans ce pays ? Ainsi, ces idées de la bourgeoisie ont aussi affecté des secteurs de la gauche, des plus institutionnels, qui plus tard n’évoluent que par logique électorale, que s’ils sont dans une année électorale, ils croient qu’il est commode pour nous d’être proches des Vénézuéliens car ils sont très radicaux. Comme par le passé, ils se sont isolés de Cuba, mais il y a Cuba, après 60 ans de résistance et maintenant avec son peuple heureux et instruit.

Le Venezuela est donc très important parce que c’est la bataille du siècle. Si l’empire réussit à renverser le Venezuela, cela signifie qu’il aura plus de forces pour renverser Cuba, le Nicaragua, tous les processus qui se proposent pour le changement, même cette gauche institutionnelle qui ne pense qu’aux élections avec une défaite du Venezuela aura plus de difficultés pour gagner les élections. Donc, même pour la lutte institutionnelle ou publique, il est très important de défendre le Venezuela et de le transformer en tranchée de résistance et de creuser ici la tombe, au moins, du gouvernement Trump.

53117901_1809038209202923_2213661607903363072_o.jpgDans vos discours et déclarations, vous avez tendance à critiquer les erreurs des gouvernements néo-développementaux, mais il y a une tendance qui veut que pour sortir de cette offensive impérialiste, il faut recourir une fois de plus à la social-démocratie : comment voyez-vous cela, est-ce valable ou faut-il se définir plus clairement en proposant le chemin du socialisme ?

L’évaluation que nous faisons, c’est qu’il y a une crise profonde du mode de production capitaliste et que l’issue qu’ils trouvent pour résoudre leurs entreprises, leur accumulation, est de s’emparer d’une forme encore plus offensive de ressources naturelles, que ce soit le pétrole, les minerais, l’eau, la biodiversité, et d’augmenter le taux d’exploitation de la classe ouvrière en retirant les droits historiques conquis durant la décennie après la Deuxième guerre mondiale. Sur le plan idéologique, ce que le capital promeut, c’est le retour de l’extrême droite, comme lors de la crise des années 1930, il a fait appel aux idées fascistes et nazies.

L’avantage que nous avons en ce moment, c’est que ce projet ne peut pas être répété comme une proposition de la droite parce qu’ils n’ont pas de mouvement de masse dans la classe ouvrière comme l’ont eu le fascisme et le nazisme, et cela nous donne un peu de sécurité. Mais, d’un autre côté, comme ils n’ont pas de masses, ils nous font la lutte idéologique et utilisent toutes les armes qu’ils ont, la télévision, Internet, les réseaux, les fausses nouvelles, dans le but de nous vaincre sur le plan de l’idéologie.

52951207_1809037585869652_2169241136277749760_o.jpgSur ce plan, le capital a déjà vaincu la social-démocratie. En Amérique latine, l’Europe et la social-démocratie dans le monde entier étaient une manière d’humaniser le capital, mais le capital ne veut plus être humain. Le capital, pour se rétablir, doit être le diable, pour aller jusqu’aux dernières conséquences, que ce soit en termes de manipulation de l’État ou de super-exploitation de la nature et du travail humain.

Alors, ce serait une erreur de la gauche que de penser que pour gagner à nouveau les élections, il faut être encore plus sociaux-démocrates. Maintenant, nous devons essayer de retourner au travail de base, à la lutte idéologique, à la récupération de notre base sociale qui est la classe ouvrière déplacée, précaire, qui fait face à de nombreux problèmes. Mais nous devons le réorganiser sous d’autres formes qui ne sont pas seulement syndicales et partisanes comme nous en avions l’habitude, mais avec de nouvelles formes, de nouveaux mouvements, pour avoir une base sociale qui met sur la table de nouvelles formes y compris la démocratie participative, car il ne suffit pas de gagner des élections, comme cela a été prouvé en Uruguay, Brésil et Argentine. Bien sûr, il est important de gagner les élections, mais nous avons la force accumulée pour réaliser des changements structurels dans l’économie et dans le régime politique.

Il y a un phénomène en Europe qui attire l’attention et c’est les gilets jaunes. Curieusement, cette vague vient d’Europe et non d’Amérique latine comme on aurait pu l’imaginer, avec une approche antisystème. Croyez-vous que ce phénomène pourrait prendre sa place dans ces nouvelles formes de lutte que nous devons donner à l’empire ?

Sans aucun doute. Nous sommes très intéressés par le processus d’articulation, nous allons essayer d’envoyer nos gens pour rester un peu et apprendre avec eux les formes qu’ils ont adoptées. Cela a attiré notre attention parce qu’ils font partie de la classe ouvrière, ce n’est pas un mouvement de la petite bourgeoisie ou d’étudiants désabusés comme cela se faisait autrefois en Europe avec ces occupations sur les places publiques, qui était un peu à gauche, plus maintenant. Nous percevons qu’il y a des initiatives depuis la classe ouvrière précaire qui était en dehors des syndicats, des partis, mais qui ont réagi à cette contradiction quand ils ont vu que le capitalisme ne résout plus précisément leurs problèmes quotidiens et ils ont adopté cette forme qui nous semblait très intéressante.

Cependant, ce n’est pas une forme que nous devrions appliquer dans chaque pays, mais leur importance est qu’ils ont été créatifs et ont découvert une forme qui sert la réalité française. C’est ce que nous devons rechercher au Brésil, en Argentine et dans chacun des pays. En d’autres termes, promouvoir un débat dans les forces populaires pour rechercher de nouvelles formes de lutte qui ralentiront le capital et leur feront du mal, parce que ce n’est pas seulement avec des manifestations, des slogans et des mots d’ordre, des rassemblements, on de freinera pas le capital. Là-bas, les gilets jaunes de France ont causé des dégâts parce qu’ils ont coupé les routes et tout le monde sait que les capitaux ne circulent plus dans les camions qui transportent les marchandises. Je félicite les camarades et j’espère que la gauche française apprendra d’eux et s’impliquera afin de tirer des leçons du point de vue méthodologique sur la manière dont nous devons travailler avec les masses désorganisées.

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53211100_1809038265869584_61881407764430848_o.jpgComment le MST propose-t-il la lutte en ce moment au Brésil où le temps passe, Lula est toujours en prison, il y a des contradictions dans le gouvernement, mais ils continuent à avancer sur les droits des travailleurs et les acquis ?

Le MST se trouve aujourd’hui dans une situation très complexe parce que nous devons redoubler d’efforts et de travail, parce que notre mouvement a une base paysanne, il a développé son expérience de lutte de classe dans les campagnes contre les grand propriétaires terriens et l’agrobusiness, qui sont les grandes multinationales. C’est là que nous nous sommes formés, que nous avons politisé et que nous avons compris que la Réforme Agraire n’est pas seulement une terre pour ceux qui la travaillent comme les idées zapatistes l’ont défendues au 20ème siècle, mais maintenant la Réforme Agraire est une lutte contre le capital international, contre sa technologie des transgènes et agrotoxiques. C’est cette lutte qui nous a politisés pour extrapoler ce que sont les mouvements paysans classiques.

Face à l’échec de la prison pour Lula et à la victoire de Bolsonaro, de nouveaux défis nous sont imposés qui extrapolent la lutte pour la réforme agraire. En même temps, pour appliquer la Réforme agraire, nous devons gagner dans la lutte politique. Ensuite, le MST doit faire preuve de plus de prudence dans la réforme agraire, car la droite est prête à ce que nous tombions dans un piège et que nous soyons battus. Maintenant, dans les campagnes, nous devons agir avec beaucoup plus de sagesse et beaucoup plus de gens pour nous protéger de la répression à venir. Pour l’instant, les milices du capital a été très ponctuelle, nous n’avons pas encore fait face à la répression de l’État, du gouvernement de Bolsonaro, mais nous ne doutons pas que c’est ce qu’ils veulent.

Sur le plan politique, ce que nous devons faire, et nous préparons nos militants, c’est essayer d’aller en ville avec notre militantisme, notre expérience, et d’y développer un mouvement qui agit précisément à la périphérie avec toutes les forces, et pour cela nous avons créé au Brésil un large front unitaire des mouvements populaires appelé le Front Populaire Brésil. Nous sommes en train de développer notre manière de faire du travail de base, que nous appelons Congrès du Peuple, c’est un nom pompeux, mais il essaie de défier, de faire du porte-à-porte pour parler aux gens, pour poser des questions sur leurs problèmes et pour les motiver à aller à une assemblée populaire dans leur quartier, leur paroisse, leur lieu de travail. Après les assemblées où les gens disent leurs problèmes, essayez de tenir des assemblées municipales, puis des assemblées provinciales, pour arriver un jour, l’année prochaine ou à la fin de l’année, à un Congrès national du peuple comme moyen de stimuler les gens à participer à la politique, à récupérer de nouveaux moyens de communication, à distribuer notre journal, à en discuter avec le peuple, à utiliser les réseaux Internet, à tenir des événements culturels, à atteindre le peuple par la musique, le théâtre et pas seulement par le discours politique que personne n’entend. Nous devons utiliser d’autres pédagogies de masse pour que les masses comprennent ce qui se passe au Brésil, la créativité dont je parlais.

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53220902_1809038945869516_2147537150407606272_o.jpgLula et sa libération restent-ils à l’ordre du jour du MST ?

C’est la deuxième grande question en politique : la liberté de Lula est au centre de la lutte des classes au Brésil. Il n’y a pas de successeur à Lula parce que celui qui choisit le leadership populaire ce n’est pas un parti, c’est le peuple, c’est pourquoi on l’appelle le leadership populaire parce que le peuple choisit ses dirigeants et Lula est le dirigeant populaire du Brésil.

C’est une tâche fondamentale pour la lutte des classes que nous réussissions à libérer Lula pour qu’il redevienne le principal porte-parole, celui qui a la capacité d’aider à mobiliser les masses contre le système et le projet de l’extrême droite. C’est pourquoi l’extrême droite est horrifiée et l’empêche même de parler, de donner des interviews, ce qui va à l’encontre de la Constitution. N’importe quel narcotrafiquant au Brésil parle à la télévision nationale, mais Lula ne peut même pas donner une interview à un journal écrit.

Nous sommes donc dans cette lutte pour la liberté de Lula qui dépendra de deux facteurs importants : la solidarité internationale. Je profite donc de cette occasion pour demander à tout le monde de nous aider, maintenant qu’il y a une campagne massive de soutien avec la nomination de Lula au prix Nobel de la paix.

Le deuxième facteur est la mobilisation nationale : au Brésil nous encourageons à converger la campagne pour Lula avec la lutte concrète, pour que les gens commencent à réaliser qu’ils devront se mobiliser contre les mesures du gouvernement néolibéral, pour la défense des droits historiques de la classe ouvrière qu’ils cherchent à éliminer.

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Par Carlos Aznárez, Resumen Latinoamericano / traduit par Venesol

Photos: CRBZ, Alba Ciudad.

Via Venezuela Infos

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Les sociétés «isolées», un fantasme de touriste

mars 17th, 2019 by Aurélie Condevaux

En novembre 2018, John Chau était tué dans les îles Andamans, en voulant accéder à l’île de Nord-Sentinel pour, disait-il, « apporter Jésus » à ses habitants.

Dans le même archipel, sur les îles Andaman du sud et centrale, les Jarawa connaissent une situation quasiment opposée à celle des Sentinelles, réputés vivre en complet isolement.

Là, à l’inverse, les tentatives pour interdire la présence des touristes – considérés comme porteurs d’une curiosité malsaine et d’influences néfastes – sont un échec plus ou moins total puisque ces derniers ont accès aux communautés îliennes et se comportent avec eux comme les Européens du XIXe siècle pendant les expositions coloniales leur jetant même des bananes.

Des imaginaires occidentaux qui perdurent

Le traitement médiatique de la première affaire, et les formes de tourisme qui existent parmi les Jarawa, nous renseignent notamment sur les représentations solidement ancrées dans les imaginaires occidentaux sur certains types de sociétés considérées comme « à part » (nous verrons à quel titre), et sur la relation aux « autres » que toute société entretient.

 Les îles Andamans, au large de l’Inde. Wikimedia, CC BY

Les îles Andamans, au large de l’Inde. Wikimedia, CC BY

Ces cas ont, en outre, soulevé des polémiques dont l’objet central est le caractère approprié ou non du comportement des étrangers – en l’occurrence missionnaire ou touristes – dans des sociétés où ils n’ont pas été conviés. En réaction à la mort de John Chau, la réalisatrice Aruna HarPrasad s’était exclamée :

« Mais qui était-il, ce jeune homme, et d’ailleurs, qui sommes-nous donc, pour nous arroger le droit d’aller déranger ces gens et corrompre ces tribus isolées vivant en harmonie avec une nature dont nous avons désormais oublié l’essence même ? »

Comment les chercheurs en sciences sociales peuvent-ils en effet répondre à cette question et comment se positionnent-ils vis-à-vis des questions éthiques suscitées par ces « contacts » et le développement du tourisme dans des sociétés dîtes « isolées » ?

Des sociétés hors du temps ?

Le vocabulaire mobilisé dans les médias pour désigner les Sentinelles ou les Jarawa, deux groupes autochtones (au sens de premiers habitants) des îles Andaman, est, à bien des égards daté : les premiers sont qualifiés de « peuplade » ou de « peuplade isolée », de« tribu considérée comme la plus isolée de la planète » qui « vit en autarcie depuis des siècles ».

De même les Jarawa sont considérés comme « une tribu isolée qui commence tout juste à entrer en contact avec le monde extérieur », dont l’histoire « remonte à la nuit des temps », puisqu’ils sont « issus des premières migrations d’Afrique » et à ce titre seraient même des « Pygmées ».

Le champ sémantique utilisé n’est pas anodin : placées à l’écart du reste de l’humanité par l’utilisation d’une terminologie spécifique (« peuplade » plutôt que « société » par exemple) et la suggestion d’un stade de développement plus « primitif », ces sociétés subissent une forme de différenciation, qui est aussi hiérarchisation. Sans s’arrêter sur cette question, disons simplement que cette vision correspond à des idées remises en cause de longue date puisque ces sociétés sont contemporaines – leur histoire ne remonte ni plus ni moins à la nuit des temps que celle des autres – et ont « évolué » comme les autres.

Un isolement largement exagéré

En outre, il n’est pas besoin d’être un spécialiste de cette région pour saisir que si les contacts des habitants de l’île Nord-Sentinel avec des personnes qui n’y résident pas sont effectivement faibles, donner l’impression que ces sociétés sont restées dans un isolement quasi total jusqu’à ces dernières années est largement exagéré.

En dehors des échanges entre sociétés autochtones au sein des Iles Andaman elles-mêmes, des contacts existent avec d’autres groupes. L’archipel n’a pas échappé à l’emprise coloniale : entre 1858 et 1900, un système pénitentiaire britannico-indien y a été établi.

 Les touristes apprécient la visite du pénitencier « cellular jail » sur Port Blair, dans l’une des îles principales de l’archipel des Andamans et Nicobar, au large de l’Inde. Pexels

Les touristes apprécient la visite du pénitencier « cellular jail » sur Port Blair, dans l’une des îles principales de l’archipel des Andamans et Nicobar, au large de l’Inde. Pexels

Les habitants des Andaman, représentés avant même d’être connus comme étant parmi les peuples les plus « primitifs », deviennent à ce moment des objets de photographie, d’étude « scientifique », voire de « désir », qu’il faut « domestiquer » ; bref, ils sont largement « contactés ».

Au XXIe siècle, bien qu’éphémères, les contacts se prolongent.

La mise en scène des soi-disants « premiers contacts »

La surenchère médiatique sur l’isolement des Sentinelles et Jarawa est donc un exemple de plus dans une longue série de mises en scène de soi-disants « premiers contacts » qui semblent se rejouer incessamment en différents points de la planète.

Comme le souligne Pierre Lemonnier en Papouasie-Nouvelle-Guinée ces sociétés sont présentées comme les traces d’un « âge de pierre »révolu, et le périple pour arriver jusqu’à elles comme un voyage dans le temps.

Dans ces différents cas, le fait que certaines sociétés aient eu des contacts ténus avec les représentants de leur administration nationale et encore plus avec le « monde occidental », ne font pas d’elles des « tribus perdues » qui ignoreraient le monde extérieur, et encore moins les témoignages vivants d’organisations humaines disparues.

Film d’Aruna HarPrasad.

Les malentendus de la rencontre

On ne peut donc se contenter d’expliquer ce qui s’est passé dans la mort du jeune américain, et dans les interactions touristiques avec les Jarawa, comme relevant d’un rejet ignorant – mais aussi « hostile », « agressif » – de l’« autre » dans le premier cas, ou à l’opposé d’une fascination pour « les étrangers et ce qu’ils ont à offrir » dans le second cas. Au contraire, on devrait l’expliquer dans la continuité d’échanges plus anciens.

Comme l’écrit l’anthropologue Gérard Lenclud dans un article paru dans la revue Gradhiva (1991, « Le monde selon Sahlins ») « toute rencontre entre êtres humains, appelle d’un coup et de chaque côté la mise en relation entre ce qui est perçu et un système symbolique ».

Autrement dit, chacun est amené à rapporter l’inconnu à quelque chose de plus familier pour que cela « ait du sens ». Ces interprétations, on l’imagine aisément, sont susceptibles de générer des malentendus, qui découlent des significations divergentes qui peuvent être données de part et d’autre à une même situation.

Une question d’interprétation

Dans le cas des Sentinelles et des Jarawa, les interprétations de – et donc réactions face à – l’arrivée d’étrangers serait à comprendre en fonction de deux points clefs. D’une part, le statut et les représentations de ces derniers dans la société et d’autre part, les interactions qui ont eu lieu par le passé avec d’autres étrangers.

Toutefois, on ignore à peu près tout du premier point, et on ne peut donc comprendre la manière dont les Sentinelles perçurent le jeune missionnaire arrivant sur leur plage, et le « malentendu » qui a pu se jouer là.

En revanche, on en sait un peu plus sur les représentations qui permettent aux touristes ou au missionnaire de « donner un sens » à leurs rencontres : pour les premiers, les Jarawa sont une « peuplade isolée », qui plus est relique des sociétés d’homo sapiens sorties d’Afrique il y a 60 000 ans.

Pour le second, ils sont en plus des païens qu’il faudrait sortir de l’ignorance et du péché. Les voir ainsi peut expliquer en partie (mais non excuser) que l’on s’autorise à demander à une femme de danser pour soi, à prendre des photos interdites, voire jeter de la nourriture par la fenêtre des voitures, ou que l’on puisse poser le pied sur une plage en pensant y être autorisé et protégé par une mission divine.

Le tourisme dans les sociétés autochtones

Soulignons que personne n’échappe aux assignations catégorielles et aux malentendus de la rencontre. L’étranger – qu’il soit missionnaire, touriste, anthropologue ou autre (les nuances que nous faisons entre ces catégories ont parfois peu de sens pour ceux qu’ils rencontrent) – se voit toujours assigner une identité par la société qu’il veut étudier, évangéliser ou visiter.

Réciproquement il ou elle pense l’« autre » en fonction d’un système de référence qui lui est propre. Bien que les anthropologues n’échappent pas à ces mécanismes, ils sont attentifs à la place qui leur est donnée dans une société, conscients que cela ne dépend pas uniquement d’eux, et que trouver cette place prend du temps. Ils appellent à être vigilants aux réactions que leur présence peut susciter et à ne travailler que dans ou avec des sociétés lorsque celle-ci est clairement acceptée.

De nombreux anthropologues reprendraient donc sans doute à leur compte la première partie de la question d’Aruna HarPrasad :

« Qui sommes-nous donc, pour nous arroger le droit d’aller déranger ces gens ? »

Et beaucoup, probablement, déplorent que d’autres – des touristes notamment – s’arrogent le droit de le faire sans y être autorisés.

Être à l’écoute

En revanche, cette question – et c’est là la différence sans doute essentielle entre la posture de l’anthropologue et celle souvent défendue dans les médias autour des cas évoqués précédemment – ne se pose pas au regard d’une nature supposée « intacte » des sociétés concernées, voire de leur rapport « harmonieux » avec la nature.

Être à l’écoute des attentes des groupes sociaux avec lesquels on travaille ou que l’on visite s’impose comme un principe éthique – défendu par les institutions, les chercheurs et/ou les communautés – que celles-ci soient « isolées » ou non.

La question de l’« acceptation » du chercheur dans la société étudiée se pose par exemple de manière aiguë aujourd’hui dans des sociétés « autochtones » immergées dans la globalisation technologique et économique, et qui appellent à un renouvellement des pratiques de recherche pour que celles-ci soient plus « collaboratives » et moins « coloniales ».

 Les membres de la Mission Dakar-Djibouti au Musée d’ethnographie du Trocadéro, emblématique de l’ethnographie dite « coloniale » du début du XXᵉ siècle. De gauche à droite : André Schaeffner, Jean Mouchet, Georges Henri Rivière, Michel Leiris, le baron Outomsky, Marcel Griaule, Éric Lutten, Jean Moufle, Gaston-Louis Roux, Marcel Larget. 1931. Charles Mallison, CC BY

Les membres de la Mission Dakar-Djibouti au Musée d’ethnographie du Trocadéro, emblématique de l’ethnographie dite « coloniale » du début du XXᵉ siècle. De gauche à droite : André Schaeffner, Jean Mouchet, Georges Henri Rivière, Michel Leiris, le baron Outomsky, Marcel Griaule, Éric Lutten, Jean Moufle, Gaston-Louis Roux, Marcel Larget. 1931. Charles Mallison, CC BY

Ce qu’une « société » dans son ensemble pense et souhaite

Une des difficultés est bien sûr de savoir ce qu’une « société » dans son ensemble pense et souhaite – toutes les sociétés sont traversées de lignes d’opposition et de points de vue divergents sur ce qui est « acceptable » ou non, y compris en matière de développement touristique.

Une autre difficulté vient de la réalité des relations de pouvoir qui peuvent rendre compliquée l’expression d’un refus de la fréquentation touristique.

C’est en cela peut-être que la situation des Sentinelles et des Jarawa, comme celle d’autres sociétés autochtones, est spécifique.

Ces sociétés ont subi une longue histoire de discrimination et de marginalisation qui peut les rendre vulnérables et peu en capacité de faire entendre leur voix face à l’arrivée d’étrangers, alors que dans d’autres cas elles peuvent se saisir du tourisme comme d’une arme politique dans la reconnaissance de leur autochtonie.

On ne peut donc affirmer une fois pour toutes que le développement touristique est positif ou négatif. Cela dépend largement des situations locales et des relations de pouvoir qui s’y jouent – et notamment de la capacité des acteurs locaux à maîtriser les flux touristiques – mais pas, au regard des anthropologues, d’une supposée nature « isolée » ou « primitive » des sociétés visitées.

Aurélie Condevaux

 

Photo en vedette : Danseurs et musiciens « Jarawa » : pourquoi les imaginaires créant un « Autre » exotique persistent et continuent d’attirer les touristes ? Jeremy Weate/Flickr, CC BY-SA

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Néolibéralisme: la lente mort de la démocratie

mars 17th, 2019 by Ambroise de Rancourt

Alors que l’attentat ayant visé deux mosquées à Christchurch et causé la mort d’une cinquantaine d’innocents, donne lieu à un débat renouvelé sur le communautarisme, il devient de plus en plus manifeste que la question qui sous-tend absolument tous les débats politiques de premier ordre aujourd’hui, est celle de la capacité des systèmes d’organisation, voire des idéologies, à se réguler, ou à être encadrés par le politique.

La tragique illusion du réformisme

Cela vaut concernant le néo-libéralisme, que trois ou quatre sociaux-démocrates croient encore pouvoir modérer, ou encadrer par des syndicats, voire de petites mesures redistributives ponctuelles, au mépris des évolutions mondiales du phénomène, qui l’ont rendu de plus en plus impossible à réguler depuis des décennies. Or, pour qui observe avec attention l’évolution du phénomène néo-libéral, il devient de plus en plus difficile de prétendre le réguler, tant sa dimension transnationale, et donc foncièrement en rupture avec la notion même de souveraineté étatique, échappe de plus en plus aux tentatives nationales d’encadrement. Les premiers à l’avoir compris sont sans doute les Etats-Unis qui, depuis maintenant plus de quarante ans, ont doté le droit américain, par l’entremise de leur monnaie – mais pas seulement – d’une portée extraterritoriale.

Le raisonnement s’applique également au débat sur l’Union européenne, dont certains croient pouvoir faire une Europe sociale, une Europe qui protège, une Europe des nations, alors même que le processus européen en lui-même est, depuis plus de trente ans – et même plus, mais c’est un autre sujet –, un projet de libéralisation économique. L’Acte unique, mais également l’euro, ont été avant tout des outils d’homogénéisation des Etats et de leurs économies respectives, entre eux, mais aussi vis-à-vis du monde extérieur ; vouloir transformer l’édifice actuel pour en faire un rempart contre la folie du monde, relève probablement autant du bon sens qu’un projet de centrale à charbon n’émettant pas de gaz à effet de serre.

De même, s’agissant du débat sur la communautarisation de la société, que certains croient pouvoir canaliser, tempérer, en donnant de petits gages à telle ou telle clientèle. Evidemment, les débats récurrents sur le hijab, mais également sur les normes alimentaires, placent l’islam au premier rang des préoccupations sur ce sujet. Ce qui n’est en rien « islamophobe » ou autre qualificatif sympathique : le phénomène est on ne peut plus naturel, à partir du moment où il s’agit d’une idéologie volontiers prescriptrice de comportements – ce que n’est plus, n’en déplaise aux intégristes eux-mêmes, ou à ses pourfendeurs pavloviens, le traditionalisme catholique, devenu aussi minoritaire qu’incapable, en conséquence, d’édicter des normes.

Autre exemple : le débat sur l’intelligence artificielle et sur la bioéthique, qui nous montre chaque jour une confrontation de plus en plus inévitable entre les partisans d’un progressisme ivre de son propre reflet dans le miroir, et ceux qui tentent de nous avertir de l’irréversibilité absolue du progressisme technoscientifique, lorsqu’il est porté à incandescence, comme il l’est aujourd’hui – les deux causes de cette incandescence étant, d’une part, la soif illimitée de puissance de l’individu-roi, et d’autre part, le potentiel mercantile colossal ouvert par cet appétit inextinguible. Jacques Testart, bien sûr, mais aussi et surtout Olivier Rey, sont les deux grands penseurs contemporains de ce scepticisme face à la technique. Dans le champ de la bioéthique, nous sommes en effet passés, en un laps de temps très court, de la question de savoir s’il était acceptable, en soi, de manipuler le génome humain, à celle consistant à se demander lesquelles de ces manipulations étaient pertinentes, souhaitables, justifiées.

Le capitalisme indépassable ?

Tout aussi pertinente est cette grille de lecture, cette fois au sujet du capitalisme, sous sa forme mondialisée, qui montre de plus en plus sa formidable vocation à devenir un système politique en soi, et non un simple colocataire paisible des institutions démocratiques, comme on aurait pu naïvement le croire après 1945. Un système où toute mutualisation, où toute forme d’organisation collective autre que le contrat liant deux personnes juridiques, doit progressivement être exclu, parfois avec douceur, et parfois – de plus en plus souvent – par l’autorité ou par la violence. Une dérive autoritaire du capitalisme, elle-même justifiée par le fait qu’ « il [le capitalisme] aurait sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté ». Argument d’autorité rencontré des centaines de fois, et qui m’a souvent donné l’occasion d’avoir des discussions très intéressantes avec ceux qui y souscrivent – ce qui n’est en rien mon cas. Sans doute le capitalisme, par l’importance notable qu’il accorde à la propriété privée, a-t-il permis l’avènement plus rapide, par exemple, d’une importante batterie d’innovations, et sans doute n’est-ce pas là son seul accomplissement ; mais il restera difficile, pour l’éternité, d’établir un lien univoque de cause à effet entre son déploiement mondial, et la réduction de la pauvreté ou de la précarité sanitaire dans laquelle vivent des pans entiers de l’humanité. La démocratisation, mais aussi l’hyper-abondance chronique de matières premières à laquelle notre espèce s’est habituée depuis plusieurs décennies, possèdent sans doute, à bien y réfléchir, des vertus comparables, sinon supérieures. Et, partant, une responsabilité tout aussi importante dans l’amélioration du sort humain.

Mais toutes les idéologies totalisantes dont nous avons parlé, c’est bien là le problème, ont un point commun, et de taille : leurs effets pervers se diffusent comme un poison lent, de façon insidieuse. Que l’on parle des mutations du capitalisme, du communautarisme, de la bioéthique, ce ne sont que des signaux faibles, désespérément ténus, qui semblent nous avertir des désastres qu’ils portent en germe. D’où d’interminables discussions avec ceux qui ne voient qu’à un horizon relativement court, et ceux qui tentent d’imaginer les évolutions de très long terme. Ces derniers jours encore, nous faisons face à un cas d’école de duel – perdu d’avance pour les seconds – entre progressistes et technosceptiques, avec le déploiement demain généralisé des réseaux de 5G : là où les premiers voient une formidable occasion de rendre le fonctionnement de nos sociétés et de nos économies plus rapide, plus fluide, plus profitable, les seconds aperçoivent déjà les prémices cauchemardesques d’un monde où la surveillance généralisée de tout ce qui bouge et respire sur cette planète, déjà bien avancée, deviendra la norme, et même au-delà de la norme, la nature même.

Revenons à notre exemple premier, celui du capitalisme. Admettons qu’il ait sans doute contribué, c’est indéniable, à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté, ou en tout cas de la condition rurale – ce qui est très différent, mais c’est un autre sujet. A l’instant où nous parlons, son bilan coût/avantages est très probablement positif. Qu’en sera-t-il si dans quelques décennies, il s’est transformé en outil de destruction indistincte et continue, quoique très progressive, de toutes les institutions politiques lui faisant concurrence, et de l’environnement ? Je doute qu’en 2060, pour une foule de raisons, le bilan du capitalisme nous paraisse aussi favorable qu’aujourd’hui – où son image est déjà, pour partie, dégradée. Cette question fait d’ailleurs aujourd’hui l’objet d’une querelle souvent très vive, entre théoriciens de « l’effondrement », comme le prophète très New Age Pablo Servigne, pour citer l’un des plus connus, et défenseurs acharnés du Progrès et avec lui, de la capacité de l’humanité à se tirer de tous les mauvais pas – prenons, par exemple l’ineffable Gaspard Koenig.

En définitive, on peut être surpris par la façon dont les partisans de tel système d’organisation politico-économique, ou de telle idéologie, choisissent, parfois délibérément, parfois inconsciemment, de refuser d’envisager les mutations monstrueuses que « leur » système contient en puissance. Aucun système, aucune idéologie, n’est indépassable. Le fait même de prétendre à sa propre indépassabilitéest, au contraire, le signe que ce système, cette idéologie, commencent à être prédateurs et dangereux. Et c’est bien là que nos sociétés se trouvent, à mon avis, à un carrefour stratégique majeur.

Le TINA de Macron : « vous n’avez pas le choix ! »

Prenons un exemple très concret, à taille humaine, d’affirmation autoritaire du progressisme en tant que voie unique et vouée à s’imposer – si besoin par la contrainte : le « Vous n’avez pas le choix » martelé par le dernier clip de campagne de La République en marche, pour les Européennes. Imaginait-on, il y encore vingt ans, qu’un régime démocratique pourrait un jour expliquer à ses citoyens qu’il n’avait « pas le choix » dans son vote ?  Imaginait-on, pour prendre un autre exemple, qu’un jour des livres aussi abjects que ceux de Yuval Noah Harari nous prédiraient, dans un grand éclat de rire, un techno-progressisme divisant autoritairement la société entre « Dieux », c’est-à-dire, détenteurs de savoirs techniques possédant une forte utilité économique et donc, non remplaçables par des machines, et « inutiles », c’est-à-dire remplaçables par des machines, et non essentiels à la poursuite infinie du Progrès ? Et pourtant, nous y sommes.

Nos sociétés contemporaines sont le lieu d’une cohabitation hautement explosive entre des idéologies foncièrement totalisantes (néo-libéralisme, transhumanisme, islamisme…), d’une part, et des individus foncièrement incapables de penser les dangers de ces idéologies, occupés qu’ils sont à admirer leurs propres particularismes individuels ou communautaires, d’autre part.

C’est cette cohabitation qui explique que nous assistions à une multiplication de ce que l’on pourrait appeler les idéologies prescriptrices. Une constellation de petits systèmes normatifs parcellaires, parvenant à agglomérer autour d’eux, comme des aimants d’un type nouveau, des communautés humaines plus ou moins importantes – communautés devenues incapables de se reconnaître dans un système normatif épousant imparfaitement leurs propres aspirations, et donc, logiquement, de se soumettre à lui. Si j’ai évoqué à plusieurs reprises l’idéologie islamiste, c’est parce qu’elle offre un exemple parfait de renouvellement de ces instruments de contrôle et d’encadrement de tous les actes de la vie humaine, pour qui se donne la peine de l’étudier dans le détail.

Le dilemme se posant à nous, et à nos descendants, est donc le suivant : combien de temps pourrons-nous faire cohabiter le progressisme scientifico-économique, en tant qu’idéologie par essence infinie, avec l’objectif, jusqu’ici prioritaire, d’augmentation du niveau de dignité que nous accordons à l’espèce humaine ? La société dont a accouché le capitalisme mondialisé – il l’est, certes, par essence, nous disait Marx – pourra-t-elle longtemps faire cohabiter l’idéal démocratique de gouvernement par la majorité avec les individus profondément inaptes au compromis qu’elle a largement contribué à générer ?

Tout porte à croire que l’équation est insoluble, en l’état. Un jour se posera certainement la question du choix entre primat démocratique – c’est ce que veut la majorité qui, en tant que tel, est bon et souhaitable – et primat scientifico-économique – c’est ce qui contribue à la fluidification des relations économiques et à l’augmentation de notre contrôle technique sur le monde qui, en tant que tel, est bon et souhaitable. Tocqueville voyait la démocratie comme un mode d’organisation foncièrement égalitariste. Marx voyait dans le capitalisme un phénomène produisant inexorablement des mécanismes de concentration du capital entre des mains de moins en moins nombreuses. Depuis trente ans c’est le primat du fait économique sur le fait démocratique qui est devenu la pierre de touche guidant l’action de la plupart des gouvernements.

Il n’est pas certain que les sociétés humaines puissent supporter indéfiniment une telle dépossession, dès lors que ce choix aura révélé, de crise en crise, ses vices cachés.

Ambroise de Rancourt

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Vêtu d’une veste de sport cintrée, une main posée sur le cœur et l’autre étreignant la constitution, Juan Guaidó — jusque-là inconnu— s’est autoproclamé président par intérim du Venezuela, fonction actuellement occupée par le représentant démocratiquement élu, Nicolás Maduro. Cela faisait 61 ans, jour pour jour, qu’était tombé le général Marcos Pérez Jiménez, dictateur vénézuélien allié des États-Unis. La différence cette fois? Les États-Unis accusent maintenant Maduro d’être le dictateur et s’empressent de soutenir le prétendu vainqueur.

La veille de cette autoproclamation du 23 janvier 2019, le vice-président étatsunien Mike Pence avait assuré Guaidó du soutien indéfectible de son gouvernement. Après la reconnaissance immédiate de la Maison-Blanche, plusieurs pays ont rapidement emboîté le pas, dont les gouvernements latino-américains conservateurs de l’Argentine au Paraguay, et le Canada en tête de peloton. L’événement a été parfaitement orchestré. Comme le rapporte le Globe and Mail, deux semaines avant son autoproclamation, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, félicitait Guaidó pour « l’unification des forces d’opposition ».

Aucune surprise de ce côté, puisque depuis le 8 août 2017, le Canada a pris les rênes du Groupe de Lima, une coalition ad hoc comprenant 14 des 33 pays membres de l’Organisation des États Américains (OEA). Ces 14 pays se sont regroupés pour cibler le gouvernement vénézuélien, après avoir échoué à convaincre les membres de l’OEA. L’élément le moins analysé cependant est l’intérêt particulier du Canada pour les affaires vénézuéliennes. Sa présence ailleurs dans la région, particulièrement dans les activités minières, et son alliance économique avec les pays de droite du Groupe de Lima fournissent cependant quelques pistes.

Voix dissidentes à l’égard du Groupe de Lima

À l’occasion de la rencontre du Groupe de Lima tenue à Ottawa le 4 février dernier, on a annoncé que Guaidó et l’Assemblée nationale contrôlée par l’opposition adhéreraient à la coalition. Le Canada a aussi annoncé une aide supplémentaire aux pays limitrophes du Venezuela, notamment le Brésil, le Pérou et la Colombie. Madame Freeland a invité « tous les pays démocratiques » à appuyer la « transition pacifique » du Venezuela.

Alors que le Canada continue de susciter l’adhésion à sa position à l’échelle mondiale, on sent une lente montée de la contestation au sein du pays. Lors de la dernière rencontre du Groupe de Lima, une cinquantaine de personnes ont manifesté leur désapprobation. Pendant la conférence de presse de clôture de madame Freeland, deux personnes se sont précipitées à l’avant et ont déroulé une bannière sur laquelle on pouvait lire : « ARRÊTEZ le pillage! SORTEZ du Venezuela! » Établies à Toronto, ces femmes autochtones mapuches du sud du Chili font partie du Comité de coordination des femmes pour un Wallmapu libre.

« Étant donné la censure dont sont victimes les médias alternatifs, il nous semblait important de faire savoir que les Canadien-ne-s ne pensent pas tous la même chose », a déclaré à Ricochet Y.A. Montenegro, une des protestataires. Madame Montenegro a expliqué que l’accréditation pour la conférence de presse n’avait pas été accordée à certains médias internationaux, dont Telesur, et ce, sans aucune justification.

Quand madame Montenegro et les autres protestataires ont été escortés jusqu’à la sortie, la ministre Freeland a fait remarquer qu’au Canada, les manifestants « jouissaient de la démocratie » à laquelle n’avaient pas droit les contestataires au Venezuela.

« Quelle ironie », s’est exclamée madame Montenegro, « alors que certains groupes médiatiques ont été littéralement censurés ».

Au moment de la rédaction de cet article, l’attaché de presse de la ministre Freeland, Adam Austen, n’avait toujours pas répondu à notre deuxième demande d`entretien.

Suppression du droit de vote

En vertu de la Loi Magnitsky et de la Loi sur les mesures économiques spéciales, le Canada a imposé trois séries de sanctions à l’encontre du Venezuela, qui ont été condamnées par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Depuis 2017, le Canada a aussi expulsé le chef de la diplomatie vénézuélienne, saisi la Cour pénale internationale de la situation au Venezuela et interdit aux Canadiens vénézuéliens de voter lors des élections vénézuéliennes de mai 2018.

« Je m’apprêtais à aller voter au consulat vénézuélien de Vancouver », nous a confié le militant et écrivain canadien vénézuélien, Nino Pagliccia, précisant qu’il devait également jouer le rôle de témoin aux élections. « Apprendre qu’on nous retirait le droit de voter m’a causé un très grand choc. Voilà un gouvernement qui m’enlève mon droit de vote! »

Pagliccia ajoute que le Canada s’est empressé de déclarer ces élections illégales, avant même qu’elles n’aient lieu.

« J’étais très contrarié, frustré et bouleversé » par les mesures prises par le gouvernement canadien, a-t-il dit rappelant qu’il a participé à presque toutes les élections fédérales, provinciales et municipales au Canada au cours des 35 dernières années.

Des syndicats canadiens et des groupes de la société civile s’opposent à ces mesures

La position du gouvernement s’est heurtée à l’opposition des syndicats, notamment celle du plus grand syndicat canadien, le SCFP. La réaction du NPD est pour le moins mitigée, alors que des ONG canadiennes, comme CoDevelopment Canada, considèrent que les mesures canadiennes contreviennent aux chartes de l’OEA et de l’ONU.

Un ancien expert indépendant des Nations Unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, Alfred de Zayas, s’est rendu au Venezuela en 2018 afin d’évaluer la crise qui prévalait au pays. Selon lui, les sanctions internationales à l’encontre du Venezuela — y compris celles du Canada — ont aggravé la situation, et il les qualifie de « criminelles », en violation de nombreuses chartes.

« Il s’agit d’une question qui relève de la Cour pénale internationale. Ce genre de comportement ne constitue pas seulement une violation des principes fondamentaux du droit international, il viole également les chartes de l’ONU, de l’OEA (chapitre 4, article 19), de même que le Statut de la Cour pénale internationale, dont l’article 7 définit les « crimes contre l’humanité », a déclaré M. de Zayas par courriel adressé à Ricochet. « Le Canada a perdu toute sa crédibilité en tant que pays qui défend la démocratie et les droits de la personne ».

« Dans la mesure où la mortalité maternelle et infantile a connu une augmentation à la suite de l’embargo financier et de l’imposition de sanctions, le Canada est complice de ce fait, et sa responsabilité est à la fois civile et criminelle ».

Le Canada sur la scène internationale

Bien que le Groupe de Lima soit relativement nouveau, le Canada soutient l’opposition au Venezuela depuis au moins deux décennies. Comme le souligne Yves Engler, commentateur politique et auteur de Left, Right : Marching to the Beat of Imperial Canada, Ottawa a versé des millions de dollars aux ONG de l’opposition, comme Súmate. Il a également invité au Canada sa dirigeante, Maria Corina Machado, peu de temps après l’échec référendaire d’août 2004 qui visait à évincer le défunt président vénézuélien Hugo Chavez, prédécesseur de Maduro.

Selon Todd Gordon, professeur adjoint du programme ‘Droit et société’ à l’Université Wilfrid Laurier et auteur de Blood of Extraction : Canadian Imperialism in Latin America, toutes ces années de soutien à l’opposition vénézuélienne expliquent le rôle que joue le Canada sur l’arène internationale ainsi que ses intérêts dans l’ensemble de l’Amérique latine.

« L’engagement idéologique du gouvernement canadien à renverser Maduro et promouvoir l’opposition dans le pays découle d’une politique néolibérale et réactionnaire », affirme Gordon à Ricochet. « Le Canada est déterminé à affirmer son pouvoir dans les pays plus pauvres afin d’avoir accès à leurs ressources et à leur main-d’œuvre ».

En comparant les États-Unis et le Canada, Gordon relève que « c’est un peu plus compliqué pour les États-Unis de jouer ce rôle [assumé par le Canada], parce qu’ils trainent beaucoup plus de casseroles dans cette région du monde ».

« Le Canada s’enorgueillit d’être non impérialiste et d’être perçu de cette façon dans les médias internationaux », explique-t-il. Il ajoute que son leadership au sein du Groupe de Lima et sa position sur le Venezuela semblent moins « agressives » que celle, équivalente, des représentants étatsuniens, comme John Bolton ou Elliot Abrams, car le gouvernement Trudeau se perçoit comme « centriste ».

Les mesures prises par le Canada au Venezuela préoccupent au moins un chien de garde. La coordonnatrice de Mining Watch en Amérique latine, Kirsten Francescone, a confié à Ricochet que ces mesures constituent la « préoccupation majeure » de son organisme, car « elles pourraient ouvrir une brèche à l’avantage des sociétés minières canadiennes ».

« Une offensive visant à libéraliser le Venezuela pourrait favoriser l’accès à ses ressources », dit madame Francescone. Elle ajoute que le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole au monde, et que ses mines d’or en particulier — l’or étant le principal métal extrait par les entreprises canadiennes en Amérique latine — sont d’intérêt canadien.

Les sociétés minières canadiennes ont déjà engrangé des bénéfices malgré la crise actuelle au Venezuela. En effet, elles ont poursuivi le Venezuela pour avoir nationalisé son secteur minier aurifère. D’après un rapport de Mining Watch Canada et de l’Institute for Policy Studies publié en février 2019, des sociétés comme Crystallex, Rusoro et Gold Reserves Corp. ont obtenu 2,9 milliards de dollars en dommages-intérêts pour le règlement de différends en matière d’investissement, en vertu du Traité bilatéral d’investissement Venezuela-Canada.

La violence exercée par les sociétés minières canadiennes en Amérique latine

Selon madame Francescone, la présence des sociétés minières canadiennes en Amérique latine explique au moins en partie les alliances et les intérêts du Canada dans cette région. La majorité des sociétés minières du monde ont leur siège social au Canada, alors que 41 % des sociétés minières importantes en Amérique latine sont canadiennes.

Selon un rapport marquant publié en 2016 parJustice and Corporate Accountability Project — une clinique juridique associée à deux facultés de droit canadiennes —, les sociétés minières canadiennes contribuent à la violence et agissent en toute impunité dans la région. Première enquête de ce genre, le rapport a documenté 44 morts, 403 blessés et 709 cas de criminalisation des actions de protestation impliquant 28 sociétés canadiennes dans 13 pays latino-américains, sur une période de 15 ans.

Les sociétés minières canadiennes s’en tirent à bon compte depuis longtemps, explique madame Francescone : « comme il n’y a pas de recours juridique, les entreprises s’en sortent indemnes ». Elle ajoute que « nos propres politiques encouragent nos entreprises à travailler à l’étranger ».

Selon monsieur Gordon, dont le livre explore les déportations violentes dues à l’extractivisme canadien en Amérique latine, les pays dont l’économie est ouverte aux investissements étrangers sont les alliés du Canada. Sans surprise, ces pays comprennent ceux du Groupe de Lima.

Depuis un peu plus d’un an, on observe une frénésie d’élections en Amérique latine, de celle du Honduras en novembre 2017 jusqu’à celle du Brésil en octobre 2018. La réaction du Canada à ces élections, et ses relations générales avec le Honduras et le Brésil — tous les deux membres du Groupe de Lima — offrent deux exemples probants des relations contrastées que le Canada entretient avec le Venezuela, et pourquoi il réclame un changement de gouvernement sous la direction de Guaidó.

Le Canada et le Honduras : du coup d’État aux élections controversées

La dernière élection au Honduras fut entachée de nombreuses allégations d’irrégularités. Dans ce contexte, au moins 23 personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées à la suite de la répression des manifestations par l’État. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a déclaré que la force « excessive » et « létale » utilisée par les forces de sécurité honduriennes « peut s’apparenter à des exécutions extrajudiciaires. »

Le Canada a tardé à publier une déclaration, et quand il l’a fait, elle ne contenait guère de reconnaissance de ces faits, encore moins de condamnation du gouvernement en place ou de la répression violente qui a suivi les élections. La réaction discrète du Canada à cette élection très controversée contraste fortement avec sa déclaration sur les élections vénézuéliennes, en mai 2018.

La réaction du Canada n’est pas surprenante, compte tenu de l’accueil bienveillant qu’il a réservé au coup d’État militaire de 2009 qui a renversé le président démocratiquement élu, Manuel Zelaya. Le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, fut le premier dirigeant étranger à rencontrer le gouvernement issu du coup d’État dirigé par le président Porfirio Pepe Lobo. L’annonce de l’Accord de libre-échange entre le Canada et le Honduras eut lieu peu de temps après.

Lorsque M. Zelaya fut élu en 2006, il préconisa l’interdiction de l’exploitation minière à ciel ouvert, entreprit la refonte de la législation minière du pays et mit un terme aux nouvelles concessions minières. Le coup d’État s’est produit avant que la nouvelle législation minière ne soit soumise au Congrès.

Les sociétés minières canadiennes, dont Yamana Gold, Breakwater Resources et Goldcorp, ont toutes des investissements dans le pays, et ce, depuis au moins 1998, lorsque le Honduras a accueilli 40 sociétés canadiennes dans le cadre d’un programme d’aide de 100 millions de dollars offert par le Canada, peu après le passage destructeur de l’ouragan Mitch en Amérique centrale. Depuis lors, l’exploitation minière par des sociétés canadiennes s’est accrue pour atteindre 90 % de tous les investissements étrangers au Honduras. Le rapport du Justice and Corporate Accountability Projectétablit un lien entre des entreprises canadiennes et les violences suivantes : 1 décès, 10 blessures, 15 mandats et revendications juridiques, 85 arrestations, détentions et accusations.

« Le Honduras ne pose aucun problème en Amérique latine », a déclaré M. Gordon. « C’est notre ami et allié parce que la répression qu’il exerce ne menace pas les intérêts économiques canadiens. »

Approfondissement des liens entre le Canada et le Brésil sous Bolsonaro

Au sud du Honduras, les élections dans le plus grand pays d’Amérique latine ont donné le pouvoir à l’extrémiste de droite, Jair Bolsonaro, concrétisant un appui stupéfiant à son sexisme, son racisme et son homophobie bien documentés, et à sa nostalgie des années de dictature au Brésil. Quelques semaines seulement après le début de sa présidence, le Brésil a connu un recul de ses politiques en matière de droits des femmes, de protection de l’environnement, de droits des peuples autochtones et d’autres encore.

Bien que la déclaration de la ministre Freeland après les élections brésiliennes ait été laconique, elle ne contenait aucune critique et exprimait plutôt l’espoir que les deux pays maintiendraient des « liens bilatéraux solides ».

Cette collaboration était évidente le 23 janvier, jour de la déclaration de Guaidó comme président par intérim, lorsque plusieurs pays du Groupe de Lima ont annoncé leur soutien au leader vénézuélien, lors du Forum économique mondial à Davos, en Suisse. Madame Freeland se tenait aux côtés de M. Bolsonaro, ainsi que du président colombien Iván Duque et de la vice-présidente péruvienne Mercedes Aráoz, alors qu’à tour de rôle ils ont exprimé leur soutien à Guaidó au nom de leur alliance.

Le mois dernier, rapportait Global News, le premier ministre Justin Trudeau a esquivé une question au sujet de son appui à Bolsonaro lors d’une assemblée publique où il défendait les politiques d’Ottawa à l’égard du Venezuela.

L’alliance actuelle du Canada avec le Brésil est précédée par son appui au gouvernement de Michel Temer, le président le plus impopulaire de l’histoire du Brésil. Il est arrivé au pouvoir en 2016 après la destitution de la présidente Dilma Rousseff, destitution considérée comme un coup d’État par plusieurs au Brésil.

Les relations entre le Canada et le Brésil se sont détériorées sous la présidence de madame Rousseff, lorsque des documents divulgués par le lanceur d’alerte Edward Snowden ont révélé que le Centre de la sécurité des télécommunications Canada avait espionné le ministère des Mines et de l’Énergie du Brésil. La quarantaine de sociétés minières canadiennes, actives au Brésil, ont alors été soupçonnées.

Selon madame Francescone, le Brésil compte actuellement 70 projets miniers appartenant à des intérêts canadiens, notamment celui de la compagnie minière Belo Sun dont le projet Volta Grande — qui devrait devenir la plus grande mine d’or du Brésil — a suscité la controverse.

« Nous sommes particulièrement préoccupés par [l’élection de] Bolsonaro, parce qu’il préconise une déréglementation qui risque d’ouvrir la porte aux catastrophes environnementales », a déclaré madame Francescone. « Nous sommes préoccupés par les intérêts miniers canadiens… sous Bolsonaro ».

Cette année, le congrès de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs — le plus important congrès annuel de l’industrie minière canadienne — qui aura lieu à Toronto en mars, consacrera une journée entière au Brésil. Selon madame Francescone, c’est un assez bon indicateur des priorités de l’industrie pour l’année à venir.

Comme Chris Arsenault de CBC l’a clairement indiqué dans son reportage après l’élection de Bolsonaro, « les pertes de la forêt amazonienne sous Bolsonaro pourraient entraîner des gains importants pour les investisseurs canadiens ».

Un autre « coup d’État de droite » en Amérique latine

Alors que le Canada accumule des appuis à sa position par des moyens diplomatiques, une prise de conscience croissante — tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays — remet en question les véritables motifs du gouvernement libéral. Même si l’histoire du Canada en Amérique latine n’est guère comparable à celle des États-Unis, ses liens économiques, qui durent depuis des décennies, et ses alliances émergentes soulèvent de nouvelles questions.

Du point de vue de monsieur de Zayas, autrefois titulaire de la chaire en droits de la personne Douglas McKay Brown, à l’Université de la Colombie-Britannique, les actions du Canada sont « une honte absolue, une débâcle morale ».

« Je ne comprends pas pourquoi le Canada appuie un autre coup d’État de la droite en Amérique latine et pourquoi il apporte aide et réconfort à M. Trump ».

« La seule façon de sortir de la crise passe par la médiation et le dialogue à l’échelle internationale. C’est ce que préconisent le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, et la représentante du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Michelle Bachelet », a-t-il poursuivi. « Ils n’approuvent pas le changement de régime imposé par les États-Unis et une poignée de pays riches ».

Pour monsieur Pagliccia, qui considère le Canada et le Venezuela comme ses deux patries, l’intervention du Canada est tout à fait déplacée.

« C’est une honte de voir le Canada agir ainsi ».

Urooba Jamal

 

Article original en anglais : Why Canada wants regime change in Venezuela, Ricochet, le 25 février 2019

Traduction par Claire Lapointe; révision : Échec à la guerre

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Si les médias traditionnels voulaient sérieusement obliger le gouvernement canadien à rendre des comptes concernant ses décisions en matière de politique étrangère, ils pourraient facilement s’appuyer sur de nombreuses histoires soulignant l’hypocrisie de la réaction d’Ottawa face aux récents développements politiques en Haïti et au Venezuela.

Au lieu de cela, le silence. Ou pire, les encouragements.

Le Venezuela est une société profondément divisée. Près d’un quart des Vénézuélien-ne-s réclament la destitution du président par (presque) tous les moyens. La même proportion soutient Nicolas Maduro. La plus grande partie de la population oscille entre ces deux pôles, bien qu’elle privilégie généralement le président aux forces d’opposition qui approuvent les sanctions économiques et une éventuelle invasion.

On peut adresser de nombreuses critiques légitimes à l’égard de Maduro, y compris sur sa « bonne foi » électorale après le sabordage d’un référendum révocatoire présidentiel et l’usurpation, par l’Assemblée constituante, du pouvoir de l’Assemblée nationale dominée par l’opposition. Ajoutons cependant que la légitimité démocratique de nombreux acteurs de l’opposition est encore plus douteuse. Mais l’élection présidentielle de mai dernier démontre que Maduro et son parti, le PSUV, continuent de bénéficier d’un soutien considérable. Malgré le boycottage de l’opposition, le taux de participation a dépassé 40 %. De fait, Maduro a obtenu une plus forte proportion du vote global que celle recueillie par les dirigeants des États-Unis, du Canada et d’ailleurs. De plus, le Venezuela dispose d’un système électoral efficace et transparent — « le meilleur au monde » a déclaré Jimmy Carter en 2012 — et c’est le gouvernement qui a sollicité davantage d’observateurs électoraux internationaux.

Contrairement au Venezuela, Haïti n’est pas divisé. En gros, tout le monde veut que l’actuel « président » parte. Alors que les bidonvilles le crient haut et fort depuis des mois, des pans importants de l’establishment (Reginald Boulos, Youri Latortue, la Chambre de commerce, etc.) tournent maintenant le dos à Jovenel Moïse. Même si les sondages fiables sont limités, il est permis de penser que 9 Haïtien-ne-s sur 10 souhaitent le départ immédiat du président Moïse. Plusieurs sont fermement déterminés à cet égard, ce qui explique que les zones urbaines du pays sont en grande partie paralysées depuis le 7 février.

Afin d’étouffer les protestations, les forces gouvernementales et leurs alliés ont tué des dizaines de personnes au cours des derniers mois. Si l’on y ajoute le terrible massacre perpétré du 11 au 13 novembre dans le quartier La Saline de Port-au-Prince rapporté ici et celui rapporté ici, ce nombre dépasse largement la centaine.

Même avant les récentes protestations, la prétention du président à la légitimité était mince comme du papier de soie. Jovenel Moïse a accédé à ce poste en empêchant des gens de voter et en commettant des fraudes électorales. Le taux de participation n’a atteint que 18 %. Son prédécesseur et parrain, Michel Martelly, n’avait tenu des élections qu’après d’importantes manifestations. À l’époque, Martelly avait pris le pouvoir avec quelque 16 % des voix, l’élection ayant été largement boycottée. Après le premier tour, les représentants étatsuniens et canadiens avaient fait pression sur le Conseil électoral pour qu’au second tour, le candidat qui occupait la deuxième place, Jude Célestin, soit remplacé par Martelly.

Bien que les médias traditionnels en parlent très peu, les récentes manifestations en Haïti sont liées au Venezuela. Les manifestant-e-s revendiquent principalement une reddition de comptes concernant les milliards de dollars détournés de Petrocaribe, un programme pétrolier à prix réduit mis en place par le Venezuela, en 2006. Au cours de l’été, des manifestations ont forcé le premier ministre de l’équipe Moïse à démissionner alors qu’il essayait d’éliminer les subventions sur le carburant; et depuis, les appels au départ du président n’ont cessé de grandir. Pour ajouter à l’écœurementpopulaire à l’égard de Moïse, son gouvernement a cédé aux pressions du Canada et des États-Unis en votant contre le Venezuela à l’OEA, le mois dernier.

Quelle a donc été la réaction d’Ottawa aux manifestations populaires en Haïti? Y a-t-il eu une déclaration d’Affaires mondiales Canada appuyant la volonté du peuple? Le Canada a-t-il mis sur pied une coalition régionale pour écarter le président? Le premier ministre du Canada a-t-il téléphoné à d’autres dirigeants internationaux pour leur demander de se joindre à lui en vue d’écarter le président d’Haïti? Ces pays ont-ils fait une annonce d’aide majeure visant à provoquer un changement de régime? Ont-ils demandé à la Cour pénale internationale d’enquêter sur le gouvernement haïtien? Justin Trudeau a-t-il qualifié le président haïtien de « dictateur brutal » ?

En fait, c’est exactement le contraire de ce qui se passe au Venezuela. Si le président haïtien est encore en poste, c’est seulement en raison du soutien du soi-disant « Core Group » des « Amis d’Haïti ». Ce noyau dur est composé des ambassadeurs du Canada, de France, du Brésil, d’Allemagne et des É-U, ainsi que de représentants de l’Espagne, de l’UE et de l’OEA. Le « Core Group » a publié la semaine dernière une déclaration « saluant le professionnalisme dont a fait preuve la Police Nationale d’Haïti dans son ensemble ». La déclaration teintée de condescendance réitère « le constat que dans une démocratie, le changement doit se faire par les urnes, et non par la violence ». Précédemment, la réaction du « Core Group » aux manifestations populaires fut d’appuyer encore plus vigoureusement ce gouvernement impopulaire.

Comme je l’ai expliqué en détail, il y a 10 semaines, dans un article intitulé « Le Canada appuie le gouvernement haïtien, même lorsque la police tue des manifestants », Ottawa a fourni d’innombrables manifestations de soutien au gouvernement impopulaire de Moïse. Depuis, Justin Trudeau a eu une « rencontre très productive » avec le Premier ministre haïtien Jean Henry Céant. De son côté, la ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau, a déclaré vouloir « venir en aide » au gouvernement haïtien, et Affaires mondiales Canada a publié un communiqué déclarant que « les actes de violence de nature politique n’ont pas leur place dans le processus démocratique ». Le gouvernement Trudeau a fourni diverses formes de soutien à la police répressive qui maintient Moïse en place. Depuis que les libéraux de Paul Martin ont joué un rôle important dans l’éviction violente du gouvernement de Jean-Bertrand Aristide en 2004, le Canada a financé, formé et supervisé la Police nationale haïtienne. Tout comme cela s’était passé la nuit où Aristide a été expulsé du pays par les Marines étatsuniens, des troupes canadiennes ont récemment été photographiées en train de patrouiller l’aéroport de Port-au-Prince.

À l’instar d’Ottawa, les médias traditionnels ont minimisé l’ampleur des récentes manifestations et de la répression en Haïti. Il y a eu peu de reportages (ou pas du tout?) concernant des manifestants risquant leur vie au nom de la liberté et du bien commun. Les médias ont plutôt mis l’accent sur les difficultés rencontrées par un petit nombre de touristes, de missionnaires et de travailleurs humanitaires canadiens. Alors que ce pays de 12 millions d’habitants, depuis longtemps appauvri, vit une situation politique critique, les médias racistes/nationalistes du Canada couvrent fébrilement la situation « désespérée » de Canucks coincés dans un complexe touristique tout compris!

L’incroyable hypocrisie de la réaction d’Ottawa aux récents développements politiques en Haïti et au Venezuela est une honte. Comment se fait-il qu’aucun grand média n’ose faire la lumière sur cette politique de deux poids, deux mesures?

Yves Engler

 

Article original en anglais : Canadian policy on Venezuela, Haiti reveals hypocrisy that media ignores, yvesengler.com, le 19 février 2019

Traduction par Claire Lapointe; révision : Échec à la guerre

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Dix mini-chroniques de la résistance populaire

mars 16th, 2019 by Gustavo Borges

A chaque menace de guerre, la peau du Venezuela se hérisse, se laisse toucher, sort ses griffes et sa mémoire de peuple mille fois recommencé, jamais tout à fait dans la révolution, jamais tout à fait en dehors d’elle, inapte aux violences calculées par les psychologues. A l’autre bout, dans les quartiers riches, le seixième siècle s’abîme dans Discovery Channel. La minorité coloniale qui sert de “peuple vénézuélien” aux médias occidentaux, se retrouve plus seule que jamais, hors-sol, rivée au WhatsApp qui promet la délivrance par les marines et le bombardement des quartiers populaires où grouillent les chavistes. Il est facile de comprendre d’où viennent les projets qui s’affrontent ici, et pas seulement depuis vingt ans. Le plus haut niveau de l’Histoire des vénézuéliens est un geste de libération : ce fut pour libérer d’autres peuples qu’en 1819, Bolivar et son armée populaire traversèrent les Andes.

Thierry Deronne, Caracas, 14 mars 2019


1. « Nous nous sommes assis pour filer des mèches de lampe dans le salon. Moi je savais que l’affaire allait durer. Il était près de huit heures du soir. Mes deux garçons et ma fille observaient presque sans respirer pendant que la maman cherchait un tissu, du coton ou de la corde, dans l’obscurité. Quand tout fut prêt, tous regardaient fébrilement, les gamins complètement hypnotisés avec ce truc, c’était un vrai film, ce moment… une adrénaline familiale, tous me scrutaient au moment où j’allais allumer la mêche dans l’obscurité. Ce fut incroyable, je ne pourrais pas décrire l’euphorie de la famille. Les enfants et la fillette applaudirent en riant, je crois même avoir vu une larme sur la joue d’Aurora, la maman. Cette nuit j’ai compris qu’ils ne pourraient jamais nous vaincre« .

José Antonio Tovar. Habitante de Petare.

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2. « Nous avons dîné tous ces soirs sans électricité. Les gosses ont joué à se raconter des histoires pendant la coupure d’électricité, nous avons calmé la fièvre de la fillette en lui mouillant le front dans l’obscurité. Nous nous sommes douchés dans la nuit. Dans l’obscurité nous avons lavé le plus petit, qui s’est guidé par l’odeur du sein de sa maman, il n’a pas eu besoin de lumière. Sans courant nous sommes allés dormir, du sommeil de qui dort d’un oeil, qui garde ses bottes. Sans lumière s’est réveillé le corps de la petite, sans lumière nous lui avons remis les tissus humides au front, sans lumière la fièbre est tombée. Dans l’obscurité s’est raffermie notre résolution têtue, intransigeante, caraïbe, de résister »

Julia Méndez. Barrio Bolívar, La Pastora.

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3. « Dans mon quartier, à Charallave, nous avons fait une soupe avec tout ce qui pouvait s’abîmer par manque d’électricité. Nous avons fait une soupe de tête de poisson, de carcasses de poulet, trois morceaux de côtelettes de veau, un peu de légumes et pas mal d’amour. La nuit nous avons appris à faire des lampes à mèches. Nous avons écouté de la musique sur les téléphones des enfants et il y en a eu un parmi nous qui se décida à danser. Ce qui était hier un manière de résister à la guerre, s’est converti pour nous en célébration d’une petite victoire géante »

Oktyabrina Hernández. Charallave, état de Miranda.

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4. « Une famille de huit personnes, tou(te)s autour du feu allumé dans la cour. On se racontait des histoires, on parlait de la situation politique. Un petit transistor à piles nous tenait informés. Les gosses jouaient à lancer des branches aux flammes. Et nous on les surveillait qu’ils n’aillent pas jeter le chien ou le chat ou qu’ils aillent mettre le feu à la maison. On a même organisé une bataille de domino à quatre. La belle-mère qui commandait le groupe de cuisine au foyer, au fond de la cour, parlait avec une des femmes. Comment font les gens à Caracas, carajo, sans bois ni rien pour allumer un feu ? Nous avons un puits, mais sans courant le moteur ne sert à rien. Un des avantages de vivre à la campagne est que nous avons toujours plein d’eau dans les barils. J’étais heureux de ne pas me trouver à Caracas« .

Mauro Parra. État de Trujillo.

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5. « Je les ai vus et écouté depuis le balcon. Ils étaient sur la place d’en face. Je ne pouvais pas le croire. Et moi, merde, avec une angoisse et pire, tout seul dans l’appartement et ce groupe de personnes, après presque vingt heures sans électricité, jouant rageusement du tambour et dansant au milieu des rires et des cris. Ils avaient allumé la maxi-rumba. J’ai compris quelque chose, mon frère: à ces moments le vieux père caraïbe se réveille en nous et on ne peut pas rester seul, frère. Si je n’avais pas dû descendre ces sept étages dans le noir je m’y mettais aussi, moi, à la fête« .

Armando Belisario. Résidence à Chacao.

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6. « Le premier jour nous a pris par surprise et tout le monde restait enfermé dans les appartements, on ne savait pas ce qui se passait. Ce jour-là deux amies du quartier populaire de Petare sont restées à la maison parce qu’en arrivant au métro de Coche il était fermé. Et puis, voilà, dans l’appartement nous avons fait à dîner, nous avons fait du pop-corn, nous avons allumé la radio pour savoir ce qui se passait, nous nous sommes raconté nos affaires. Le deuxième jour, nous avons décidé de faire des lampes à mèche, les gens se sont bougés pour chercher et pour porter l’eau tôt le matin, les garçons jeunes et plus petits jouant dans le parc. Il y avait près de 100 gosses, garçons et filles, jouant au ballon, à la bicyclette, au football, ici il y a un parc de jeux d’enfants et un terrain d’exercices. Les gens badinant avec les voisins, toujours dans le calme. Bonheur de boire un café avec les copines les plus proches, de se réunir pour parler de la vie, enfin, en attendant que tout se résolve. Le troisième jour, tout le monde s’est activé pour chercher de l’eau, on a trouvé plusieurs robinets, le camion-citerne est apparu à l’aube pour aider les gens. Dans cette situation, ce qui est remonté à la surface ce fut la solidarité, l’union, l’appui entre voisins, pas les misères humaines« .

Belinda Aranguren. Logements sociaux de Ciudad Tiuna.

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7. « Il fallait cuisiner au bois ou au gaz vu la quantité de personnes. Nous avons pu nous unir à plusieurs familles et manger, ensemble, 11 adultes et 5 enfants. Nous nous sommes rendus compte que seuls nous ne pourrions pas résister et j’ai ouvert les portes de ma maison, ici, à Cabimas. Tous ensemble nous avons rassemblé de quoi faire à manger pour un tas de gens. Nous achetions l’eau tous ensemble, l’eau, les médicaments. Mais ce n’était pas facile non plus. Nous essayions de garder le calme face à un aïeul de 80 ans désespéré par la chaleur faute de ventilateur, face au nouveau-né qui pleurait; quelques opposants se sont joints à cette solidarité, d’autres ne faisaient que se moquer de nous. Ludo, dames, domino, cartes, conversations sur la situation politique ou blagues familiales. Tout dans les soirs, sous la lumière des lampes de kérozène, celles que nous avions fabriquées quand nous nous sommes rendus compte que cette nuit ne serait pas la seule. Je pense que ce fut un apprentissage pour nous préparer à toute éventualité, nous avons démontré qu’ils n’ont pas pu briser ce qu’il y a de plus important entre nous : la solidarité aux heures les plus dures« .

Rosanna. Quartier populaire de Cabimas, état du Zulia.

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8. « Deux jours de cauchemar et je n’ai vu personne de brisé dans les rues du centre de Caracas. La rapidité des faits, parfois, ne permet pas de nous rendre compte de comment nous résistons. Avec cette coupure de l’électricité on s’est rendu compte qu’on avait des livres autour de soi, des histoires à raconter, des voisins solidaires, des repas prêts comme par magie, et bien sûr la radio qu’on peut écouter sur un portable. Ne pas avoir d’électricité vous pousse à converser davantage, à ressentir la proximité de ceux qui partagent la même incertitude, à consacrer plus d’un regard au ciel. 24 heures sans nouvelles mais le monde, semble-t-il, continue« .

Nathali Gómez. La Candelaria, Caracas.

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9. « Tout l’immeuble, nous avons plus de vingt familles ici, s’est réuni pour faire des lampes à mèche, pour garantir la lumière pendant le black-out. Pour que personne n’en manque. Ici sur les vingt familles, 17 ont fabriqué leurs mèches. Les caisses du CLAP (Comité Local d’Approvisionnement et de Production) étaient arrivées la veille. A toutes les familles. Celui qui n’avait pas de gaz a cuisiné pour l’autre. Nous n’avons pas de gaz direct, seulement les bonbonnes. L’immeuble entier était comme vivant, comme s’il n’y avait pas d’obscurité. Une solidarité de guerre s’est activée, urgente car on savait que la coupure était nationale et provoquée par une attaque. Nous avons installé une radio. Les violences des opposants n’ont tenu qu’un moment parce que les gens ont allumé les amplis de leurs voitures et ont fait la fête à plein volume, avec de la musique et du guagancó, les violents n’avaient plus qu’à se retirer. Les plus jeunes ont occupé la rue pendant la journée, c’était leur terrain de jeux. La nuit, avec les voisins de l’immeuble, nous nous réunissions et en plus de faire des rondes de sécurité, nous partagions les jeux des plus jeunes, les jeux, les histoires. Ici, ou nous résistons tous, ou nous nous détruisons« .

Andy Franco. Caracas.

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10. « Une de mes filles a été surprise par la première attaque contre le système électrique quand elle sortait de l’Université Expérimentale des Arts (UNEARTE) et prenait la direction de Palo Verde. Elle a marché jusqu’à Palos Grandes où un couple de concierges très pauvres, solidaires, lui ont offert le gîte pour la nuit. Ceux qui ont le moins donnent le plus« .

Willians Moreno. Palo Verde, Caracas.

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Témoignages recueillis par Gustavo Borges. Photos: Jesus Reyes

 

Source: http://misionverdad.com/OPINI%C3%B3N/como-se-vivio-el-apagon-10-minicronicas-de-resistencia

Traduction et introduction: Thierry Deronne, Venezuela Infos

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Brésil, un navire à la dérive

mars 16th, 2019 by Fernando De la Cuadra

Après plus de deux mois de gouvernement Bolsonaro, le pays semble paralysé et perdu dans une suite interminable de déclarations bizarres qui n’indiquent aucun destin viable, une production absurde d’incongruités et d’erreurs. Cette indescriptible hémorragie d’absurdités a commencé le jour même où le gouvernement a pris le pouvoir, le 1er janvier de cette année. Dès lors, les déclarations du président et de ses premiers ministres sont devenues une véritable « comédie d’horreurs », se surpassant jour après jour.

Déjà dans sa première déclaration à la nation et renonçant à son rôle d’homme d’État et de président de « tous les Brésiliens », Jair Bolsonaro a réussi l’exploit d’esquisser un programme qui ne peut que satisfaire ses partisans d’extrême droite, ultraconservateurs et obscurantistes. Il a proclamé que le Brésil ne serait plus jamais socialiste – comme s’il avait jamais été socialiste – qu’il mettra fin au politiquement correct, que l’idéologie du genre sera effacée, que le drapeau brésilien ne sera jamais rouge et d’autres slogans de ce genre.

Ses ministres n’ont pas été laissés pour compte et il serait long et fatigant d’énumérer un à un l’abondant et vaste inventaire des annonces irrationnelles et extravagantes que certains membres de l’exécutif ont faites. Comme le Ministre des Affaires Étrangères Ernesto Araujo, qui a souligné – parmi beaucoup de folies – que la mondialisation et le changement climatique sont une invention marxiste. D’autres cas pathétiques sont ceux de la Ministre de la Femme, de la Famille et des Droits de l’Homme, Damares Alves, du Ministre de l’Éducation, Ricardo Vélez ou du Ministre de l’Environnement, Ricardo Salles.

Les Brésiliens, effrayés par un océan de bêtises, observent avec une préoccupation légitime un gouvernement qui s’est arrogé le rôle de « restaurateur de la nation » pour la libérer des griffes de l’idéologie de gauche, qui s’est consacré jusqu’ici à donner des signes confus de ce qu’il entend faire et qui pour cette même raison n’a montré aucune mesure concrète des progrès vers un minimum de construction.

On peut résumer que le gouvernement actuel a proposé de façon chaotique d’imposer un ordre du jour moral ultra-conservateur ou rétrograde, représenté par des porte-paroles convaincus, qui depuis leur arrivée au pouvoir se sont consacrés principalement à demander la démission des fonctionnaires considérés comme « marxistes » ou à essayer d’imposer un ordre du jour de restrictions et de censure. Par exemple, le ministère de l’Éducation a été confié à un ancien professeur de l’Académie militaire, qui a mis en œuvre des initiatives telles que « l’École sans parti », impliquant la dénonciation et le rapport de tout enseignant qui fait une sorte de déclaration « idéologique » dans sa classe. Cette mesure pourrait rapidement vous faire entrer dans une nouvelle « chasse aux sorcières » au Brésil du 21ème siècle.

Pour sa part, le décret 9.465 promulgué le 2 janvier – un jour après l’investiture – a créé un secrétaire pour la promotion des écoles civico-militaires, qui vise à instituer un système d’éducation supervisé par les Forces Armées afin d’éloigner les enfants et les jeunes de l’endoctrinement marxiste qui, selon le décret, serait en vigueur dans les centres éducatifs du pays.

Au début de l’année scolaire, le Ministre de l’Éducation a émis une directive obligeant les élèves à chanter l’hymne national tous les lundis, à filmer les élèves lors de cette cérémonie et à envoyer la vidéo au ministère. Ce règlement s’est avéré si contre-productif parmi les citoyens et les transgresseurs de la Constitution que le ministre lui-même a dû s’excuser et le retirer des directives du ministère, démontrant une ignorance flagrante de l’ordre juridique du pays. Jusqu’à présent, il a proposé de démanteler les programmes en cours et d’accroître les degrés de coercition et de sanction des enseignants, des fonctionnaires et des étudiants en général.

Jair Bolsonaro takes office as Brazil's President

S’il devait y avoir une synthèse, ce gouvernement s’articule autour de deux axes. L’un des axes est d’ordre éthique, moral et culturel qui se caractérise par son obscurantisme culturel et son fondamentalisme religieux, soutenus par divers aspects du pentecôtisme représentés au parlement, le « Banc de la Bible ». A cela s’ajoute le soutien des militaires, ex-militaires, policiers et agents de sécurité ayant également adhéré à d’importants quotas de participation au congrès, le « Banc de la Balle ». Ils soutiennent un projet de populisme autoritaire incarnant les valeurs de la dictature militaire, ils font l’apologie de la torture et pensent que les problèmes de sécurité des citoyens seront résolus en augmentant le nombre de policiers et en tuant les criminels. Leur slogan est : « Un bon bandit est un bandit mort« .

Cependant, les pentecôtistes et les militaires ne fonctionnent pas comme un bloc monolithique ; au contraire, ils maintiennent un vif conflit au sein du gouvernement sur les quotas de pouvoir. Certains représentants du banc évangélique soulignent qu’il y aurait une intolérance religieuse parmi les militaires, faisant pression sur le président pour qu’il disculpe plusieurs fonctionnaires qui faisaient partie des cadres exécutifs du gouvernement et qui ont été licenciés peu à peu sans avertissement préalable.

Paulo Guedes

Paulo Guedes

Un autre axe du gouvernement est représenté par l’ultralibéralisme économique, synthétisé dans la figure et le projet du ministre de l’Économie, Paulo Guedes, un économiste qui a circulé dans les sphères du marché, méprisé par le monde universitaire et par les agences gouvernementales. Il n’a jamais occupé une position importante parmi les institutions de l’État. Le choix de Guedes pour prendre en charge le portefeuille économique représente la ferme adhésion de Bolsonaro à la politique économique de l’école de Chicago, où Guedes a obtenu son doctorat avec une partie de la génération connue sous le nom des Chicago Boys. Pendant son séjour au Chili au début des années 80, Guedes a vécu avec José Piñera, au moment précis où le frère de l’actuel président du Chili mettait en pratique l’installation et la privatisation du système de retraite chilien, qui continue à faire l’objet de tant de critiques à ce jour en raison des énormes profits obtenus par les six fonds privés qui dominent le marché des pensions et en raison des mauvaises conditions dans lesquelles il laisse les futurs retraités.

La proposition de Guedes est principalement de mettre en œuvre un agenda ultralibéral qui, entre autres mesures, implique un grand programme de privatisations d’entreprises encore aux mains de l’État (avec Petrobras en vue), des réductions des dépenses sociales et la transformation du système actuel de distribution des pensions en un système de capitalisation individuelle, sur les traces de ce que le Chili a fait.

En ce moment, Guedes se bat pour obtenir le plus rapidement possible l’approbation par le Congrès de la réforme du système brésilien des retraites. Le problème, c’est que l’adoption d’une loi qui touche de manière si sensible des millions de citoyens n’est pas une tâche facile et le président, avec ses déclarations quotidiennes sur Twitter, n’a pas rendu cette tâche plus facile. Chaque jour, il fournit à ses fidèles des commentaires grossiers et grotesques ou expose des vidéos eschatologiques, comme dans le cas des images qu’il a diffusées d’un couple faisant une « Golden Shower » (uriner sur quelqu’un) pendant le dernier carnaval. Bolsonaro n’a jamais été caractérisé par sa position de président, mais son manque de décorum et ses opinions vulgaires ont boycotté son projet et jeté le doute sur sa permanence au pouvoir.

C’est parce qu’avec ses bévues permanentes, le président compromet le soutien aux réformes et devient un obstacle à la continuité de celles-ci et du programme régressif qu’elles offrent au pays. C’est précisément son vice-président, le général Hamilton Mourão, qui s’est révélé un personnage plus prudent et tolérant au cours de ces deux mois, un profil qu’il n’avait pas pendant la campagne. Il y a des rumeurs selon lesquelles Mourão tenterait de catalyser le mécontentement croissant des bolsonaristes, afin de provoquer un auto-coup d’État qui donnerait une plus grande viabilité aux changements que les élites économiques et les groupes d’intérêts qui jusqu’à récemment soutenaient le gouvernement souhaitent entreprendre.

En même temps, de nombreux juristes ont souligné que les conditions sont réunies pour juger Bolsonaro pour manque de décorum et d’improbité dans les fonctions exercées par un président, non seulement pour la publication dans un média officiel d’une vidéo pornographique, mais pour d’autres événements qui ont impliqué le président et compromis la liturgie de la fonction comme inciter les actes de violence envers ses détracteurs.

Bref, le gouvernement Bolsonaro se décompose très tôt et le pays ressemble à un navire à la dérive, mû seulement par une inertie institutionnelle qui se démantèle aussi chaque jour. On dirait un gouvernement qui s’éteint langoureusement à la fin de sa période, usé, désarticulé et dénigré. Cependant, il s’agit d’une administration qui existe depuis un peu plus de deux mois et qui est déjà en déclin absolu. Cela soulève la question de savoir combien de temps encore le président et son gouvernement pourront durer et quelle sera la réaction des citoyens dans les jours à venir au cas où – comme on peut s’y attendre – la crise économique, politique, sociale et écologique dans laquelle le Brésil se débat actuellement s’aggraverait encore.

Fernando de la Cuadra

 

Article original en anglais : Brasil: Una nave a la deriva, Alai, le 12 mars 2019

Traduit par Pascal, revu par Martha pour Réseau International

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Une manifestation de l’opposition à Caracas le 4 mars. Les drapeaux américains côtoient souvent les drapeaux vénézuéliens dans ces rassemblements. (Photo: AFP)

Maurice Lemoine est journaliste et écrivain, spécialiste de l’Amérique latine. Il publie le 15 mars Venezuela, chronique d’une déstabilisation, un livre dans lequel il bat en brèche la vision manichéenne de la crise vénézuélienne. Dans un entretien au Quotidien, il décrypte la façon dont comment l’administration Trump manœuvre depuis deux ans pour tenter de renverser le président Nicolas Maduro.

Le Venezuela possède les premières réserves pétrolières au monde et est dirigé depuis 20 ans par des gouvernements socialistes. Pour Washington il présente donc un double enjeu, économique et politique. Donald Trump a fait de la chute du président Nicolas Maduro une priorité de sa politique étrangère. Le journaliste français Maurice Lemoine, spécialiste de l’Amérique latine et ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique, explique la responsabilité et les objectifs des États-Unis dans cette crise. Il livre un regard critique sur les Européens dont le discours ambigu dissimule un alignement sur la position de Trump.

Le Quotidien : Vous publiez Venezuela, chronique d’une déstabilisation, un livre dans lequel vous affirmez que les événements actuels sont le fruit d’une action extérieure.

Maurice Lemoine : Il y a une déstabilisation du Venezuela qui est féroce et multifactorielle. La crise humanitaire est en réalité une crise économique provoquée par un sabotage. Cela ne veut pas dire que le gouvernement vénézuélien ne commet pas d’erreurs, mais aucun autre gouvernement faisant les mêmes erreurs ne se trouverait dans une situation aussi catastrophique. Il y a une déstabilisation économique à l’intérieur et à l’extérieur avec des sanctions des États-Unis qui sont devenues importantes. Le gouvernement vénézuélien évoque le chiffre de 30 milliards de dollars. Je le prends avec précaution, mais ce n’est pas complètement absurde.

C’est-à-dire?

Ces dernières semaines, les États-Unis ont annoncé qu’ils s’emparaient des actifs de Citgo, la filiale américaine de la compagnie pétrolière vénézuélienne, c’est-à-dire de 7 milliards de dollars. S’ils empêchent l’importation du pétrole vénézuélien aux États-Unis, ce sera une perte de 11 milliards l’an prochain. En Europe, l’organisme qui gère les flux financiers retient 1,6 milliard de dollars en application des sanctions américaines. La Banque d’Angleterre retient pour sa part 1,2 milliard de dollars d’or vénézuélien. D’un côté, il y a un étranglement économique du pays et, de l’autre, on annonce une opération humanitaire pour l’aider. C’est une absurdité. Si les sanctions sont levées, il n’y a plus besoin d’aide humanitaire.

Vous évoquiez aussi une déstabilisation intérieure?

Les Vénézuéliens vivent aujourd’hui une situation extrêmement difficile, c’est une réalité. La cause en est que les circuits de distribution ont été complètement déstabilisés. Le secteur privé importe une partie de l’alimentation et des médicaments, mais ne les met pas en circulation dans les endroits normalement destinés à leur achat, c’est-à-dire les supermarchés, les pharmacies, etc. Les étals sont vides, mais les mêmes produits sont vendus au marché noir à un prix 10 à 30 fois supérieur. La population galère pour trouver les produits les plus élémentaires dont on a besoin pour vivre décemment et de plus cela lui coûte beaucoup plus cher. Une partie de ces biens de première nécessité part aussi en contrebande vers la Colombie. Celle-ci a toujours existé entre les deux pays, comme sur toutes les frontières. Mais elle a pris une proportion industrielle, de manière à saigner le Venezuela. L’objectif est évident : rendre la vie impossible à la population pour la retourner contre Maduro, y compris les chavistes.

Maduro ne dispose pas du même soutien de la population qu’Hugo Chavez en 2002, quand les Vénézuéliens étaient massivement descendus dans la rue pour rétablir son pouvoir après un coup d’État. Pourquoi?

Le coup d’État de 2002 était plus classique. Pour employer un terme français, un quarteron de généraux félons avait pris le pouvoir, le président avait disparu. Là c’est plus diffus. Le gouvernement fonctionne, Maduro est toujours à la tête du pays. Dans l’opération pseudo-humanitaire de samedi dernier, le gouvernement n’a pas cédé et l’opposition se retire la queue entre les jambes, même si ce n’est pas fini. Il n’y a pas pour le moment matière à avoir une population dans la rue. En revanche, ce qu’il faut dire, c’est que si une partie de la population ne faisait pas bloc autour de Maduro, il serait tombé depuis longtemps.

Le président élu, Nicolas Maduro, le 26 février à Caracas, capitale du Venezuela. (Photo : AFP)

Le président élu, Nicolas Maduro, le 26 février à Caracas, capitale du Venezuela. (Photo : AFP)

Cette semaine, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a dénoncé la politisation de l’aide humanitaire…

Cela me fait penser à l’histoire de Niels Högel, cet infirmer allemand condamné à la perpétuité en 2018 pour l’assassinat d’une centaine de patients. Il leur administrait des médicaments provoquant des arrêts cardiaques dans le seul but de les réanimer afin de passer pour un héros aux yeux de ses collègues. L’aide humanitaire au Venezuela, c’est exactement ça : les États-Unis étranglent le Venezuela pour ensuite jouer au sauveur. Guterres n’est pas seul à dire que cette opération est politique. Le CICR, le Comité international de la Croix-Rouge, a refusé d’y participer pour la même raison.

Et, selon vous, Maduro est moins isolé qu’il n’y paraît?

Ce prétendu isolement n’est pas vrai. Il y a un groupe de pays qui se prennent pour les maîtres du monde : les États-Unis et l’Union européenne. Mais pour l’Assemblée générale des Nations unies, Maduro reste le président légitime du Venezuela. Si on prend la communauté internationale dans son ensemble, des pays comme la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud ou l’Union africaine lui ont envoyé un message de sympathie. Sur 194 pays qui composent l’assemblée générale de l’ONU, il n’y en a qu’une quarantaine qui a reconnu Guaido.

La position de l’UE est singulière. D’un côté, elle s’aligne sur Trump en reconnaissant Guaido et, de l’autre, elle veut participer au « mécanisme de Montevideo » pour une résolution pacifique du conflit, la solution prônée par l’ONU. C’est paradoxal?

Il n’y a pas consensus européen et l’UE en tant que telle ne peut donc pas arrêter une position commune. En revanche, il y a six pays qui sont le fer de lance de l’offensive qui a reconnu Guaido. Ce sont surtout les vieilles puissances coloniales : la France, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni auxquels s’ajoute l’Allemagne. Mais pour ces pays c’est aussi une question de politique intérieure. En France, par exemple, le sujet du Venezuela sert à attaquer en permanence la France insoumise, aujourd’hui la composante la plus importante de la gauche française. C’est aussi vrai en Grande-Bretagne avec Jeremy Corbyn ou en Espagne avec Podemos.

En politique étrangère, le Venezuela n’est pourtant pas le seul sujet sur lequel les Européens cèdent à Trump?

Il y a objectivement un tropisme euro-américain, bien qu’on ait des problèmes avec Trump qui impose des sanctions à tout le monde : à la Russie, à l’Iran, au Venezuela, à la banque BNP Paribas taxée de 9 milliards de dollars parce qu’elle a travaillé avec des pays sous embargo américain. Il est de mon point de vue scandaleux de voir l’UE s’aligner sur Trump, alors que des pays d’Amérique latine comme l’Uruguay et le Mexique essayent de monter ce « mécanisme de Montevideo » pour relancer un dialogue qui aboutisse à une résolution raisonnable de cette affaire.

Cela contredit l’attachement au multilatéralisme affirmé par les Européens depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche.

Tout se rejoint et ce type d’attitude explique aussi la méfiance, sinon le rejet, à l’égard de l’UE par les citoyens dans certains pays européens. Dans cette affaire, le problème, ce n’est pas d’être pro ou anti-Maduro, c’est que tout cela n’a aucun sens!

Dès le lendemain de son arrivée à la Maison-Blanche, Trump avait demandé si une intervention militaire était possible au Venezuela. Pourquoi cette obsession : le pétrole ou l’idéologie?

Il y a plusieurs choses. Il y a bien sûr le pétrole et John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de Trump, a dit que ce serait bien mieux si les compagnies américaines pouvaient travailler au Venezuela. Il joue cartes sur table. Mais avant le pétrole, il y a le symbole. Le vice-président américain, Mike Pence, a dit qu’il faut en finir avec Cuba, le Venezuela et le Nicaragua qu’il qualifie de troïka de la tyrannie. C’est totalement idéologique.

Des partisans de Juan Guaido jettent des pierres vers les forces de l’ordre vénézuéliennes depuis la frontière colombienne pour tenter de forcer le passage d’un controversé convoi d’aide humanitaire, le 23 février. (Photo: AFP)

Il y a un air de déjà entendu dans ces déclarations…

Oui, on revient à l’époque de la guerre froide, à Ronald Reagan. Le Venezuela est le symbole de cette partie du monde qui a échappé à l’emprise des États-Unis ces vingt dernières années. Pour les Américains, il faut le détruire au plus vite. Ils pourraient très bien attendre, car, à terme, l’opposition, si elle est un peu raisonnable et intelligente, peut gagner l’élection présidentielle, compte tenu de la situation. Mais ils ne voient pas les choses ainsi. Maduro doit payer de façon violente par un supposé rejet du peuple vénézuélien et une intervention étrangère contre une dictature.

Et les États-Unis ont plusieurs fois menacé d’intervenir militairement. Est-ce crédible?

Trump est un individu complètement imprévisible et dangereux. Des voix s’élèvent au Congrès pour dénoncer le danger d’une telle intervention. Washington a deux alliés dans la région : le Brésil, dirigé par le président d’extrême droite Jair Bolsonaro, et la Colombie. Mais les militaires colombiens ne sont pas chauds du tout pour se lancer dans cette aventure et leurs collègues brésiliens encore moins. Les militaires brésiliens sont un peu nationalistes et ils ont toujours pris de la distance avec la volonté américaine de contrôler l’Amérique latine. Une intervention américaine déclencherait une crise régionale.

Et comment réagiraient les Vénézuéliens ? Ils s’y opposeraient?

Pas forcément dans l’opposition de droite. Dans les milieux populaires, ce serait différent. Il ne faut pas oublier qu’on est à côté de la Colombie où il y a eu un conflit armé pendant 50 ans. Il y a dans la région une tradition de résistance populaire à travers la guérilla qui se manifesterait même si des secteurs entiers de l’armée tournaient casaque ou lâchaient totalement Maduro. Et puis, il y a une chose importante dont Chavez avait tiré la leçon. Quand Jacobo Arbenz a été renversé en 1954 au Guatemala et quand il y a eu le coup d’État au Chili en 1973, la gauche latino-américaine, mais aussi européenne, s’est demandé pourquoi ils n’avaient pas armé le peuple. Or Chavez a renforcé la milice bolivarienne qui existe depuis Simon Bolivar au XIXe siècle. Il y a 1,6 million de Vénézuéliens qui s’entraînent volontairement et régulièrement avec les armes de l’armée. Cela fait 1,6 million de personnes prêtes à défendre la patrie. Une invasion du Venezuela ne ressemblerait en rien à celle du Panama en 1989 ou à celle de la Grenade en 1983.

Une intervention armée semble donc irréaliste?

Mon analyse personnelle est que s’il doit se passer quelques chose de grave, ce ne sera pas le fait d’armées officielles mais de paramilitaires colombiens. Ils peuvent très bien revêtir des uniformes de l’armée vénézuélienne et attaquer des soldats colombiens pour déclencher le conflit. Ce genre de chose est à craindre. Ce qui l’est aussi, c’est une vague de violence lancée par l’opposition vénézuélienne à l’intérieur du pays pour justifier cette fameuse intervention humanitaire.

L’opposition vénézuélienne est incarnée par Juan Guaido, un parfait inconnu il y a encore quelques semaines. D’où sort-il?

Guaido, c’est l’imposture de l’année. Il est député, élu avec 97 000 voix. Maduro a été élu président avec 6,5 millions de voix. Au sein de l’Assemblée nationale, il y a principalement quatre partis d’opposition que l’on appelle le G4. Ils ont décidé de se partager la présidence de l’Assemblée par rotation. Cette année, c’est au tour de Guaido qui devient donc quasiment un héros malgré lui. Il se retrouve dans une situation qui n’est pas facile. L’opposition a décidé de lancer une guerre totale contre Maduro le jour de sa prestation de serment pour son deuxième mandat, le 10 janvier. Et c’est à Guaido de mener cette guerre. Ça lui tombe un peu dessus, il va au charbon et ses copains l’envoient au casse-pipe, puisqu’ils ont déjà rédigé un accord de transition stipulant qu’il ne pourra pas se présenter à la prochaine présidentielle. Comme Trump, ils se servent de lui comme d’une marionnette.

Pour autant, Guaido n’est pas sorti de nulle part?

Il est dans la boucle depuis 2007. Ça a commencé au Mexique avec ce qu’on appelle la Fiesta mexicana, la fête mexicaine, une réunion avec de jeunes Vénézuéliens dont on attendait qu’ils soient les futurs dirigeants du pays. Ils se sont distingués en menant campagne contre le référendum que voulait organiser Chavez pour se représenter à la présidence. Il est apparu à ce moment-là. Il est connu des spécialistes, mais pas des Vénézuéliens.

Le leader de l'opposition et président autoproclamé Juan Guaido, le 4 mars lors de son retour au Venezuela qu'il avait quitté une dizaine de jours plus tôt. (Photo: AFP)

Le leader de l’opposition et président autoproclamé Juan Guaido, le 4 mars lors de son retour au Venezuela qu’il avait quitté une dizaine de jours plus tôt. (Photo: AFP)

Peut-on dresser un parallèle entre ce qui se passe aujourd’hui au Vénézuela et les années 80, quand les Américains soutenaient de sanglantes dictatures au Salvador et au Guatemala tout en attaquant le Nicaragua?

Si on prend le Brésil, on ne peut pas parler de dérive dictatoriale. Mais Bolsonaro a été élu après un authentique coup d’État contre Dilma Roussef, tandis que Lula était expédié en prison pour 12 ans à l’issue d’un procès manifestement irrégulier. En Colombie, Ivan Duque est le successeur élu d’Alvaro Uribe. C’est l’extrême droite. Le problème vient des médias qui ne fonctionnent que sur des séquences de trois mois, en oubliant ce qui s’est passé.

Et qu’oublient-ils?

En 2002, il y a eu la tentative de coup d’État contre Chavez. En 2004, Aristide était renversé en Haïti avec l’aide des États-Unis et de la France. En 2008, il y a eu la tentative de renversement d’Evo Morales en Bolivie. En 2009, Manuel Zelaya a été renversé au Honduras. En 2010, il y a eu une tentative contre Rafael Correa en Équateur et en 2012 c’était la destitution de Fernando Lugo au Paraguay. C’est une lutte globale des États-Unis pour éliminer les dirigeants de gauche.

Depuis près d’un siècle, le Venezuela bénéficie régulièrement de prix élevés du pétrole sans que cela profite au développement du pays, sous des gouvernements aussi bien de droite que de gauche. Pourquoi?

Si on prend Chavez et Maduro, ils sont au pouvoir depuis 1998. Mais en réalité ils n’ont commencé à mettre en œuvre leur politique qu’à partir de 2004 et on ne transforme pas l’économie d’un pays aussi vite. Maduro subit une offensive majeure depuis 2016, ce qui le met sur la défensive et l’empêche de développer un modèle économique. Pour réussir, il faut aussi un secteur privé qui accepte de collaborer. Le pétrole, ce sont 95 % des dollars qui entrent dans le pays. Le secteur privé, 1 %. Il n’y a jamais eu un entrepreneuriat dynamique au Venezuela. Mais c’est un pays riche qui dispose des premières réserves de pétrole au monde et des quatrièmes réserves d’or.

Entretien réalisé par Fabien Grasser

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Sélection d’articles :

Venezuela – La vie (et la mort) ne s’arrêtent pas pour une coupure d’électricité

Par Romain Migus, 13 mars 2019

Le service d’électricité a été rétabli sur l’ensemble du territoire national. Celui de l’eau potable est encore en cours mais de très nombreux endroits ont enfin accès de nouveau au précieux liquide. Au moment où l’électricité commençait à revenir, les habitants du Venezuela, ainsi que l’opinion publique internationale, ont été soumis à une intense campagne psychologique.

 

Au Moyen-Orient, les mauvais choix européens s’accumulent

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Depuis ces derniers mois, une nouvelle polémique enfle et commence à agiter la sphère politico-médiatique européenne : que faire des nombreux ressortissants désignés comme « jihadistes » qui rentrent ou désirent rentrer dans leur pays d’origine après s’être battus contre l’Etat syrien ? Question sensible qui renvoie au plan sécuritaire autant que juridique, sans oublier l’opinion publique, mais qu’il convient comme toujours, de contextualiser pour tenter d’en comprendre les tenants et aboutissants.

 

Le Sommet Trump-Kim à Hanoi: Un échec? Un sabotage? Que s’est-il passé? Que va-t-il arriver?

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Le monde avait suivi pendant huit mois, depuis le sommet de Singapour en juin 2018, les dialogues de paix officiels et officieux des équipes professionnelles de négociation. À mesure que le Sommet approchait, le monde avait l’espoir de voir des résultats positifs. Mais, le monde n’a pas compris ce qui s’est passé; le monde espérait que la faible lumière de paix se transforme en lumière brillante, mais elle est demeurée faible. Le sommet n’a pas marché. Pourquoi?

 

Haïti: le développement du sous-développement

Par Jacques B. Gélinas, 15 mars 2019

Haïti : un pays qui se sous-développe en périphérie et au profit des États-Unis, du Canada, de la France et des compagnies transnationales.  Précision : avec la complicité des élites locales qui empochent impunément. Le propos de cette chronique est de mettre en lumière la vraie nature du sous-développement qui afflige Haïti et de démontrer, en remontant le fil de l’histoire, comment ce pays apparaît aujourd’hui comme le cas typique d’une impitoyable dépossession.

 

Algérie – Pour une alternance sereine: La deuxième République maintenant

Par Chems Eddine Chitour, 16 mars 2019

Les Algériennes et les Algériens vivent des moments exceptionnels en montrant leur unité et leur détermination pour une Algérie qui sourit à la vie. Nous avons vécu depuis le 22 février une nouvelle chute du mur de la peur. C’est un mur à côté duquel le mur de Berlin fait pâle figure. Beaucoup parmi nos voisins du Nord, de l’Est, de l’Ouest, pensaient que l’Algérie était ingouvernable, qu’elle n’avait pas émergé aux temps historiques et qu’elle avait besoin de parrains et de conseillers. Par cette Révolution de tout un peuple…

 

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«  On peut tromper une personne mille fois ; On peut tromper mille personnes une fois . Mais on ne peut pas tromper mille personnes mille fois ».  Alain Berberian

Les Algériennes et les Algériens vivent des moments exceptionnels en montrant leur unité et leur détermination pour une Algérie qui sourit à la vie. Nous avons vécu depuis le 22 février une nouvelle chute du mur de la peur. C’est un mur à côté duquel le mur de Berlin fait pâle figure. Beaucoup parmi nos voisins du Nord, de l’Est, de l’Ouest, pensaient que l’Algérie était ingouvernable, qu’elle n’avait pas émergé aux temps historiques et qu’elle avait besoin de parrains et de conseillers. Par cette Révolution de tout un peuple, de 7 à 77 ans et plus, l’Algérie a montré qu’il fallait compter avec elle et que surtout, il ne fallait pas l’enterrer vivante, elle, qui respire la vie, la jeunesse que tant de peuples nous envient mais qui ne semble pas être la préoccupation des princes qui nous gouvernent. 

Il faut dire qu’on a été tous agréablement surpris par la prise de conscience de toutes les catégories sociales du pays, non pas d’une manière brutale, mais «civilisée». La mise en garde contre toute ingérence étrangère dans les affaires internes du pays est une priorité de chacun pour éviter les scénarios à l’irakienne, libyenne, et syrienne, la sérénité devrait être maintenue et que les jeunes soient à la hauteur et devraient continuer à montrer une preuve de retenue.

L’apport des réseaux sociaux, c’est l’équivalent de plusieurs divisions tant il est vrai que le peuple est informé en direct. On ne peut plus lui cacher la vérité, même les médias officiels se sont démonétisés eux-mêmes en «vendant» un discours qui n’a pas plus de prise. Un autre constat est que les partis politiques officiels ont disparu. Ils ont été mis à nu, à savoir qu’ils ne représentent que les tenants du pouvoir, du statu quo et de ceux qui émargent indûment au râtelier de la République. Il est vrai que le pouvoir a tout fait par des manoeuvres différentes pour étouffer les trois ou quatre partis d’opposition qui ont une certaine représentativité.

L’Algérie de nos rêves

Le 8 mars, ce sont deux anniversaires que nous aurions eu à fêter si toutes les choses étaient normales. D’abord le ressourcement d’un évènement douloureux que nous fêtons dans le recueillement, la mise à mort dans des conditions abjectes le 3 mars 1957 de notre icône nationale Larbi Ben Mhidi qui eut, dit-on, ces mots terribles et qui sont d’une brûlante actualité: «Lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles. On oubliera toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer des places; ce sera la lutte pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà, des clans se forment. Oui, j’aimerais mourir au combat avant la fin.» 

Le deuxième évènement fut la fête de la  Femme qui a eu une tonalité particulière cette année, puisque ce sont des millions d’Algériens qui ont manifesté dans la bonne humeur pour une Algérie de nos rêves où la femme prend toute sa place et comme le dit si bien Aragon, «la femme est l’avenir de l’homme». Ces Vendredis du bonheur c’est une situation analogue à la situation de juin 1962 si le fleuve de la révolution n’avait pas été détourné pour mettre le peuple dans une situation où comme par le passé colonial, les libertés étaient restreintes, le manque de dialogue et surtout le refus de l’alternance.

Cette élection aurait pu être l’occasion de la deuxième indépendance au vu de l’engagement de tout un peuple. A la place, l’entêtement du pouvoir, à perdurer en dépit de la volonté populaire On sait que les dérives, l’usure du pouvoir et la tentation de l’éternité peuvent caractériser la gestion pendant vingt ans. S’il ne faut pas tout rejeter en bloc, notamment le retour à la paix chèrement payé, mais pas à en faire un fonds de commerce brandi à chaque fois que le peuple émet des velléités de changement. 

Nous sommes au  XXIe siècle !

Nous sommes au XXIe siècle, un siècle où tout change à vive allure. Des pays plusieurs fois millénaires disparaissent, d’autres apparaissent. Dans un siècle où tous les grands récits de légitimités «laïcs» en isme (colonialisme, communismes, socialisme, fascisme disparaissent comme l’avait pointé du doigt le philosophe Jean-François Leotard qui ajoute que même les récits religieux (christianisme, judaîsme, islam) sont soumis à des remises en cause existentielles, du fait d’une science conquérante qui pousse ces spiritualités dans leurs derniers retranchements.

Dans plusieurs de mes écrits j’avais appelé à l’alternance, la violation est devenue la norme, la Constitution de 1996 promulguée sous le président Zeroual a eu tout de même le mérite de consacrer dans le texte l’alternance au pouvoir par la limitation des mandats présidentiels. Les manifestations populaires ont fait preuve de maturité et de civisme, mais aussi, d’un haut niveau de conscience. Ce qui se passe actuellement dans notre pays est exceptionnel dans ce sens que tout se passe dans le calme et la sérénité. 

On ne peut pas continuer à gérer le pays au XXIe siècle avec les réflexes du XXe siècle et un logiciel de l’ordre ancien. En somme, le moment est venu pour une alternance sereine. On sait que des hommes d’Etat ont passé la main au sommet de leur gloire. Ce fut le cas de Mandela, de Pepe Mujica. La deuxième République doit émerger sans retard. Dans ce processus, «la mémoire de la Révolution de Novembre et son aura devraient nous servir de référent permanent». Et «si l’Algérie veut garder son rôle sur la scène internationale, il faut qu’elle change de paradigme, de logiciel. C’est à cette seule condition qu’on pourra tendre l’oreille à ces jeunes et à tous ceux qui veillent sur la maison Algérie».

Comment cela pourrait se faire?

Les propositions actuelles du pouvoir seront difficiles à mettre en oeuvre et le peuple aura l’impression que rien n’a changé puisque la superstructure de l’ordre ancien est toujours en place. Ne serait-il pas mieux si on veut sortir par le haut de cette épreuve que la rupture franche et loyale avec l’ordre ancien soit actée par une décision forte? Celle de ne pas remettre aux calendes grecques l’élection présidentielle?Il y a un juste milieu; la vacance du pouvoir une fois acceptée, le président du Sénat aura à organiser dans un délai raisonnable – même si les délais constitutionnels sont dépassés – la mise en place des conditions propres, transparentes et honnêtes. 

Peut-être que quatre à cinq mois pourraient convenir. C’est au prochain président de la République à s’engager sur une consultation citoyenne visant à refonder une nouvelle Constitution où enfin l’alternance après au maximum deux mandats de 5 ans, les libertés individuelles, la démocratie seraient consacrées avec naturellement la nécessaire dichotomie entre la sphère privée et la sphère publique où l’Algérien devra demontrer pas ses actes sa citoyenneté et sa contribution au vivre ensemble: «Dans tous les cas de figure, il faudra une consultation citoyenne et tous les citoyens algériens, ici et ailleurs, notamment la diaspora ont leur mot à dire, à contribuer à l’émergence de la nouvelle Algérie».

Avant d’aller plus loin, nous devons rendre au FLN son lustre historique; patrimoine de tous les Algériens, il devrait transcender les parties politiques. Le FLN des pères fondateurs a fini sa mission historique comme l’a si bien martelé Mohamed Boudiaf, l’un des pères fondateurs. Il est incompréhensible que le système s’accroche à cette référence pour faire taire toute velléité de remise en cause des travers des dirigeants actuels et des clients qui émargent au râtelier de la République. Nous sommes au XXIe siècle! Le moment est venu de donner une nouvelle utopie mobilisatrice à la jeunesse, de faire place à de nouvelles légitimités basées sur le savoir.

Les chantiers du futur

Sans rupture déterminante avec les pratiques précédentes, nous retomberons dans les mêmes travers. Il nous faut sortir du système politique actuel qui repose sur une phagocytose institutionnelle de tous les pouvoirs établie, au profit du président de la République sans contrepoids réel. Le futur gouvernement devrait s’interdire les lettres de cachet, les faits du prince et devra rendre compte systématiquement au peuple pour toutes les grandes décisions engageant l’avenir du pays, la démocratie, le rejet systématique de la violence, l’avènement des libertés publiques, le droit à l’expression. Enfin, mettre fin à la corruption qu’il faut combattre résolument en édictant des textes sévères qui ne doivent pas rester lettre morte dans leur application. L’Algérie est très sensible à cette violence symbolique de la corruption, du passe droit, du népotisme.

La sagesse commande de promouvoir l’alternance immédiate, sans arrière-pensée. Nous serons reconnaissants au président de ne pas lancer le pays vers l’inconnu, de ne pas désespérer la jeunesse en détournant le fleuve de liberté qui défile chaque vendredi. Nous avons besoin plus que jamais d’un nouveau souffle. Encore une fois, de nouvelles légitimités basées sur le savoir et l’amour du pays devraient prendre en main le destin du pays car le monde actuel nous commande d’avoir un cap, un système de gouvernance pour préparer le futur. C’est dire, si les défis sont immenses. Il n’y a pas de mission supérieure à celle de former nos enfants qui sont la prunelle de nos yeux; il serait indiqué de graver dans le marbre un Conseil de l’économie de la connaissance avec de réelles prérogatives pour aller vers l’école de demain, l’université de demain, une école qui fait réussir, qui est réellement un ascenseur social avec cette dimension de partage qui n’est pas lié à la naissance et à la fortune excluant du même type les autres. 

Le vrai défi pour le pays, est celui de réussir la mutation de son économie en améliorant progressivement ses performances et sa compétitivité. Il s’agit de se battre pour exister dans un monde de plus en plus impitoyable. Le développement durable par une politique de grands travaux comme l’avait faite Franklin Roosevelt permettra la création de villes nouvelles dans le Sud. Autant d’utopie mobilisatrice qui permettra de mettre un frein à l’errance actuelle de la jeunesse ballottée entre la fuite (Harga), le maquis et les paradis artificiels de la drogue. Notre jeunesse bien éduquée est capable de relever le défi en opérant de fait un nouveau premier novembre du XXIe siècle.

Force est de constater que l’usure du pouvoir actuel, les promesses sans lendemain, le manque de conviction et la recherche compulsive de la paix sociale a achevé de stériliser toute créativité. Il n’y a pas de détermination à la rupture: cette vision capable d’emballer les jeunes et leur tracer un destin, nous devons inlassablement militer pour passer des moi personnels à un nous national et à ce titre la reconnaissance de cette dimension essentielle de l’Algérie est une pierre angulaire pour la consolidation du vivre ensemble. 

Nous avons un immense pays dont les citoyens sont avant tout et après tout des citoyens algériens avec des richesses spécifiques que nous devons préserver au même titre que notre fond rocheux, celui d’un islam tolérant, fait d’empathie qui ne fait pas dans l’invective ou dans l’anathème. Une culture assumée, revendiquée est le plus sûr moyen de lutter contre l’errance identitaire. Un peuple uni fasciné par l’avenir, sera fort si on le respecte si on l’associe à son destin.

Révolution de Novembre

Pour cela nous n’avons pas besoin d’hommes providentiels, ni de messie ni de mehdi. Nous en appelons cependant à des personnalités d’expérience, compétentes, qui parlent vrai à la jeunesse, profondément convaincues des principes de liberté et de justice pour tous en dehors de toute démagogie. Le Graal c’est arriver à redonner à l’Algérien cette fierté d’être algérien et réconcilier ce peuple avec lui-même; prôner en toute chose l’altérité.

Nous devons dans le calme et la sérénité convaincre que persister dans la situation c’est aller à l’aventure. La jeunesse n’a rien à faire d’une conférence qui permet de gagner du temps. Elle veut des dirigeants qui maîtrisent les enjeux mondiaux. Les légitimités révolutionnaires aussi respectables soient-elles n’ont plus cours. Si plus que jamais nous avons besoin de nous ressourcer par l’exemple des valeureux martyrs, le moment est venu d’aller vers une autre révolution qui libère génie qui sommeille en chacun des Algériens à même de leur permettre de donner la pleins mesure de leur talent. Nous avons besoin de réhabiliter la maison Algérie, redorer le blason terni et galvaudé de la glorieuse Révolution de Novembre qui, en son temps, fut une aventure humaine citée en exemple dans tous les continents et que les différents pouvoirs depuis 1962 ont méticuleusement détricoté.

Nous devons forger l’Algérien du XXIe siècle, fier et se revendiquant de ses riches identités, fasciné par l’avenir et militant par-dessus tout pour une école qui sert d’ascenseur social, une école qui permet de réussir, une école tournée vers le futur. Pour cela, seul le parler vrai permettra de convaincre l’Algérien, ce frondeur qui a l’Algérie à fleur de peau. capable du meilleur comme du pire si on attente à ses fondamentaux au nom d’une âme «algérienne» que nous avons en héritage depuis trois dizaines de siècles. Soyons vigilants et prônons le dialogue.

L’Algérie devrait être pour chacun de nous un plébiscite de tous les jours, il y a toujours un avenir si on a la foi chevillée au corps. Comment sortir de la malédiction de la rente? En militant inlassablement pour une Algérie du XXIe siècle qui fait sienne les conquêtes de la science du Web 3.0 de la 5 G son Graal. Une Algérie du travail bien fait, de la sueur, il faut réhabiliter l’effort, il nous faut nous remettre au travail. Seuls le savoir et la connaissance permettront à l’Algérie d’aller vers un futur apaisé.

De grâce messieurs, écoutez pour une fois le peuple, pour que nous puissions nous en sortir par le haut et éviter une situation de colère des jeunes, qui peut amener à des positions radicales qu’il sera très difficile de calmer. Le peuple algérien est déterminé à être acteur de son destin. Il y arrivera dans le calme, la sérénité, le refus de la violence, il montrera ainsi comme il l’a fait qu’il est le digne héritier de ces battantes et ces battants qui ont jalonné une épopée de trois mille ans d’histoire

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

 

Article de référence :

http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_ chitour/311926-la-deuxieme-republique-maintenant.html

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Montréal, le 15 mars 2019  —  Les Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient (CJPMO) sont dévastés et bouleversés par la terrible attaque qui a eu lieu aujourd’hui contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande, où 49 personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées. À la suite de cette terrible tragédie, CJPMO demande de nouveau au gouvernement canadien de défendre toutes les communautés musulmanes en désignant le 29 janvier comme une Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie.

Plus tôt ce matin, la nouvelle s’est répandue que deux tireurs avaient ouvert le feu sur deux mosquées à Christchurch. La police a arrêté quatre personnes suspectées d’être responsables de ce massacre. Sur un compte Twitter maintenant supprimé, l’un des suspects avait publié un manifeste raciste de 87 pages faisant état des motivations antimusulmanes et anti-immigration de l’attaque. Il avait également publié une photo suggérant qu’il avait été horriblement inspiré par Alexandre Bissonnette – l’homme qui a assassiné six hommes musulmans alors qu’ils faisaient leur prière lors de l’attentat de la mosquée de Québec en 2017.

Le président de CJPMO, Thomas Woodley, a déclaré : « Les Canadiens sont malheureusement familiers avec les conséquences mortelles de l’islamophobie au Canada. Nous exprimons notre profonde sympathie et notre solidarité aux musulmans à Christchurch et dans le monde entier en ce jour sombre. ». CJPMO souligne que ces attaques récentes prouvent que l’islamophobie est un fléau mondial de plus en plus alarmant qui doit être traité par tous les gouvernements. L’automne dernier, en réaction à l’islamophobie croissante au Canada, CJPMO et le Forum musulman canadien (FMC-CMF) ont lancé la campagne « Je me souviens du 29 janvier ». Cette campagne demande au gouvernement canadien de désigner le 29 janvier, l’anniversaire de l’attentat de la mosquée de Québec, comme une Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie et toute autre forme de discrimination religieuse, comme le recommande le rapport du Comité permanent du Patrimoine canadien publié en février 2018. À la suite d’un autre massacre tragique, CJPMO appelle de nouveau le gouvernement canadien à se lever et à soutenir nos concitoyens musulmans.

Comme la Nouvelle-Zélande, le Canada a connu une augmentation de l’islamophobie au cours des dernières années. Le récent rapport de Statistique Canada sur les crimes haineux déclarés par la police a montré que, de toutes les communautés ciblées, les musulmans canadiens ont connu la plus forte augmentation de crimes motivés par la haine à leur encontre, ces derniers ayant plus que doublé entre 2016 et 2017. L’année dernière, un sondage des Associés de recherche EKOS a confirmé que l’islamophobie est un défi persistant pour la société multiculturelle canadienne. Néanmoins, le sondage a également révélé que beaucoup de Canadiens reconnaissent le problème de la discrimination religieuse et de l’islamophobie au Canada, s’y opposent fermement, et s’attendent à ce que le gouvernement prenne des mesures pour le résoudre. Le gouvernement canadien doit maintenant plus que jamais soutenir les musulmans canadiens.

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Pour plus d’informations, veuillez communiquer avec :
Miranda Gallo
Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient
Téléphone: 438-380-5410
Courriel CJPMOSite Web CJPMO

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J‘avais 23 ans lorsque nous avons envahi l’Irak, et je n’étais pas sûr que c’était fondé sur des mensonges, mais quelque chose dans mon for intérieur – une vague impression — me disait que c’était fondé sur des mensonges. Un peu comme vous, si votre nouveau rendez-vous trouvé sur un site de rencontre arrivait avec un téléphone portable à rabat de 2004. Cela semblerait vaguement inquiétant, et aucune explication qu’il ou elle pourrait donner ne vous mettrait à l’aise. De plus, toute autre personne qui agirait comme si c’était normal deviendrait également suspecte.

L’invasion de l’Irak m’a semblé être fondée sur un mensonge. Et il s’est avéré que j’avais raison, que c’était un mensonge et que l’ensemble des médias grand public et notre gouvernement avaient tort, mentaient ou, la plupart du temps, les deux.

Aujourd’hui, notre gouvernement et nos médias tentent par tous les moyens de nous plonger dans une autre guerre, cette fois avec le Venezuela. Ils nous disent que le peuple vénézuélien est désespérément à la recherche de produits de première nécessité comme du dentifrice, alors que des journalistes indépendants montrent des étals pleins de tubes de dentifrice abordable à Caracas.

Et même s’ils n’avaient pas de dentifrice, cela ne semble pas être une bonne raison pour que l’Amérique commence à laisser tomber ses mauvaises décisions de longue portée sur la tête d’innocents. Transformer une ville en cratère au nom d’une bataille contre la gingivite semble un peu extrême.

Les médias grand public et la quasi-totalité du gouvernement américain nous disent que Juan Guaido est le « président par intérim », même s’il n’a jamais été élu à ce poste et que le président actuel dirige toujours le gouvernement et l’armée vénézuéliens. Donc, je suppose que ce terme « d’intérim » désigne le laps de temps situé entre le moment où Guaido n’était personne et le moment où il retournera à l’anonymat. Au moins, il pourra dire aux femmes, dans les soirées : « Vous savez, j’ai été président par intérim ».

Les médias grand public nous informent également que l’armée vénézuélienne a mis le feu à des camions d’aide américains, alors que des vidéos prouvent que c’était l’opposition qui incendiait les camions. [Le New York Times a effectivement été obligé de publier une correction, NdT]. De plus, l’idée selon laquelle le Venezuela devait prendre « l’aide humanitaire » du pays dont les sanctions les écrasent équivaudrait à demander aux Sioux de Standing Rock d’accepter des menus cadeaux de la part des équipes de construction qui transforment leurs terres en gruyère pour poser le pipeline Dakota Access [dont les Sioux ne veulent de toutes façons pas parce qu’en plus de passer sur leurs terres ancestrales, il est beaucoup trop polluant pour la terre et les rivières d’où ils tirent leur eau potable, NdT].

À moins que les paquets cadeaux ne soient remplies d’essuie-tout industriels pour les aider à nettoyer les flaques de pétrole, je ne vois pas en quoi ce serait bénéfique. Parfois, il faut en effet regarder la denture d’un cheval de Troie (ou devrais-je dire « chien de Troie » ?) [La compagnie responsable de la pose du pipe-line Dakota Access lance des chiens d’attaque contre les Sioux qui tentent de protester contre sa construction, NdT].

Ce n’est pas la première fois que notre gouvernement et nos médias conspirent pour entraîner le peuple américain dans une guerre contre un autre pays — ou aider à perpétrer un coup d’État aux effets forcément désastreux. J’ai donc pensé que c’était le moment idéal pour passer en revue les quatre principales productions US.

 Numéro 4 : La guerre hispano-américaine

Elle est largement considérée comme le point de départ de la propagande médiatique moderne, parce que c’était la première guerre réellement déclenchée par les médias. Les journaux avaient inventé des atrocités dans une quête incessante de lectorat.

Et comme l’avait noté le New York Times, « Le reportage sensationnaliste sur le naufrage du cuirassé américain Maine dans le port de La Havane le 15 février 1898… et tous les autres reportages grotesques qui ont mené à la guerre hispano-américaine auraient pu être considérés comme des caricatures s’ils n’avaient pas mené à un conflit international majeur ».

Dommage que le NYT ne s’en soit pas tenu à cette éthique et se soit lui-même fait un avocat des guerres.

 Numéro 3 : La guerre du Vietnam

Bien sûr, presque tout le monde sait que la guerre catastrophique du Vietnam a été précipitée par l’Incident du golfe du Tonkin : des navires de la marine américaine avaient été attaqués sans aucune raison par des torpilleurs nord-vietnamiens. Après cette escarmouche, le ministre de la Défense Robert McNamara avait recommandé au président Johnson de riposter, et l’horrible guerre du Vietnam a commencé. Mais la plupart des Américains ne savent toujours pas qu’il n’y a jamais eu d’incident dans le golfe du Tonkin, à part des navires de la marine américaine qui avaient tiré des salves, littéralement, contre des phénomènes météorologiques qu’ils avaient vus sur leur radar. Le documentaire de 2003 « The Fog of War » a finalement révélé la vérité. L’ancien secrétaire à la Défense Robert McNamara a avoué que l’attaque du Golfe du Tonkin n’avait pas eu lieu.

C’est comme ça. Ça ne s’était pas produit. Tout comme les lutins, les dragons ou le talent de certaines célébrités, c’était imaginaire.

Les mensonges de notre gouvernement, soutenus par les reportages serviles de nos médias, ont entraîné la mort de 3,8 millions de Vietnamiens et de 58 000 militaires américains.

Le gouvernement des États-Unis possède l’un des départements de désinformation les plus puissants jamais créés. C’est une merveille moderne qui n’a d’égale que la Grande Pyramide de Gizeh et le coup droit de Rafael Nadal.

 Numéro 2 : La guerre d’Irak

Bien sûr, il y a le mensonge le plus évident au sujet de l’Irak, à savoir que Saddam Hussein avait tellement d’armes de destruction massive qu’il en utilisait comme gratte-dos dans sa baignoire. Mais ce n’est pas la seule intox qui a conduit à l’anéantissement complet de la nation souveraine gouvernée par Saddam Hussein. Il y en a eu d’autres, par exemple que Saddam était lié à Al-Qaïda et qu’il avait peut-être joué un rôle dans les attentats du 11 septembre. William Safire du New York Times, en mai 2002, écrivait : « Selon le service de renseignements tchèque, Mohamed Atta, qui allait être le principal pirate de l’air suicidaire du 11 septembre, aurait rencontré au moins une fois l’automne dernier le chef de l’espionnage de Saddam Hussein à l’ambassade d’Irak ».

Oui, Safire a été capable de briquer tout un tas de conneries avec tant de soin qu’il brillait comme un saphir. Et cette chronique est toujours en ligne sur le site Web du NYT, sans correction ni rétractation. Je dirais que le Times n’est utile que pour couvrir le fond d’une cage à oiseaux, mais je craindrais que le papier n’entraîne même votre cacatoès domestique dans une invasion malavisée qui tuerait des millions de personnes.

Mais la propagande ne s’est même pas arrêtée là. Il y a eu aussi les attaques à l’anthrax, à la suite du 11 septembre 2001. De l’anthrax avait été envoyé par la poste aux médias et aux bureaux des politiciens. À ce jour, beaucoup de gens croient encore que cela avait quelque chose à voir avec l’Irak ou Al-Qaïda à cause de hontes nationales primées comme le « journaliste » Brian Ross.

Brian Ross, d’ABC News, avait écrit : « Le bacille du charbon contenu dans la lettre envoyée au leader de la majorité au Sénat, Tom Daschle, contenait de la bentonite, et la bentonite est une marque du programme d’armes biologiques du leader irakien Saddam Hussein ». Comme l’a clairement dit Salon, « toutes ces affirmations censément factuelles […] étaient complètement fausses, de façon démontrable et incontestable … Pourtant, ni ABC ni Ross n’ont jamais rétracté, corrigé, clarifié ou expliqué ces articles frauduleux. »

Et, comme on pouvait s’y attendre, Brian Ross n’a pas perdu son emploi à la suite de ces faux reportages. En fait, il n’a été mis au vert par ABC News que l’an dernier, quand il a rapporté que « Michael Flynn, conseiller à la sécurité nationale, était prêt à témoigner que Trump lui avait dit de contacter les Russes pendant la campagne ».

Cette information, tout comme les affirmations d’intégrité journalistique de Brian Ross, s’est avérée absolument mensongère.

(À mon avis de professionnel, quiconque a eu quelque chose à voir avec la vente, la perpétration ou la planification de la guerre en Irak ne devrait pas occuper de poste plus élevé que celui d’assistant-stagiaire d’un préposé au ramassage des crottes d’un chien qui n’appartiendrait à personne de particulièrement . Si cette position n’existe pas, nous, en tant que nation, devrions la créer juste pour ces personnages. Pourtant, malgré mes objections, Robert Mueller (chef du FBI au moment de l’invasion et grand partisan de celle-ci) conduit la plus grande enquête du pays, le Russiagate. John Bolton, qui avait préconisé l’invasion de l’Irak dès les années 1990, est maintenant Conseiller à la sécurité nationale. Bill Kristol, qui a insisté pour faire la guerre en prédisant qu’elle serait finie en deux mois, est toujours régulièrement invité sur MSNBC. Et la liste continue.)

Contrairement au ministre de la défense McNamara, qui a admis que l’incident du Golfe du Tonkin ne s’était jamais produit, nous n’avons pas de preuve irréfutable que l’administration Bush ait délibérément raconté ces mensonges pour nous amener en Irak. … Oh, mais si ! Il s’avère que la déchiqueteuse du bureau ovale de Bush était en grève pour une augmentation de salaire en 2002, et qu’en fait, nous ayons une note de service écrite par le secrétaire à la Défense de Bush, Donald Rumsfeld, un an avant que les forces américaines ne déclenchent une ère de terreur pour le peuple irakien.

Sa note de service sur la guerre contre l’Irak disait :  » Par où commencer ? Les États-Unis découvrent le lien de Saddam avec le 11 septembre ou les attaques à l’anthrax ? Ou peut-être un différend sur les inspections d’ADM ? »

Je ne sais pas ce qui est le plus frappant – que cette note de service existe, ou qu’il semble que les gars de Bush aient planifié une invasion internationale massive de la même façon qu’un jeune homme de 35 ans fauché écrirait le brouillon du plan d’un mauvais roman dont il pense que ce sera son passeport pour la réussite.

« Comment commencer guerre horrible ? Peut-être découvrir que Saddam a un deuxième job comme star de porno ? »

Le fait est que de multiples intox complètement farfelues ont jeté les bases d’une invasion de l’Irak qui a fait plus d’un million de morts.

 Numéro 1 : Le bombardement de la Syrie

Le président Bachar Assad aurait gazé son propre peuple, garantissant ainsi une extension de l’intervention américaine, et il l’aurait fait quelques jours seulement après que Donald Trump eut dit au Pentagone de commencer à retirer ses troupes de Syrie. Du moins, c’est l’histoire que les médias grand public ont répétée en boucle pendant au moins un mois, ne s’autorisant une pause que toutes les 10 minutes pour essayer de nous vendre des hamburgers ou des appareils pour augmenter la taille du pénis. [aux USA, les infos sont entrecoupées de publicités, NdT].

On s’attendait donc à ce que nous avalions qu’Assad ait fait la seule chose qui garantirait un durcissement de l’hostilité des États-Unis, et ce au moment même où il était sur le point de gagner sa guerre ? C’est un peu comme quand si moi, quand je suis sur le point de finir de donner une bonne raclée à un adversaire, je me mettais à me taper la tête contre un mur, juste pour que ça soit plus marrant.

Seymour Hersh et Robert Fisk, deux journalistes célèbres, ont fait un excellent travail en démontrant que les attaques chimiques n’ont jamais eu lieu, et il y a une nouvelle mise à jour : il y a un peu plus de deux semaines, un producteur de la BBC a déclaré que les images de l’attaque chimique de Douma, en Syrie, avaient été mises en scène [Lien en français, NdT].

Son tweet dit qu’après six mois d’investigations, il peut prouver qu’aucun décès n’est survenu à l’hôpital. Pourtant, nos médias grand public incroyablement ineptes, avec peu ou pas d’indices à l’appui, s’étaient précipités pour assurer : « Il y a eu une attaque chimique ! Ces pauvres gens ! Et ils n’ont pas de dentifrice non plus ! Nous devons les bombarder pour les aider ! »

Le fait essentiel ici est que nous avons remplacé depuis longtemps nos médias par des sténographes de l’élite dirigeante. La classe dirigeante invente un mensonge pour emporter l’adhésion des Américains à ses crimes de guerre-maison, et ce mensonge est ensuite passé par couches successives, comme un vernis, sur tous les citoyens américains lambda. Et cela continue jusqu’à ce que le citoyen moyen qui se pose ouvertement des questions sur ce mensonge soit considéré comme une bête de foire à deux têtes, dont une couverte d’excréments de rats.

Les « journalistes » qui arrosent le mieux le pays de mensonges obtiennent des récompenses, et des jets privés, et des cocktails avec des célébrités de seconde zone comme Chuck Norris. Nous en arrivons aujourd’hui au point où les dirigeants actuels — l’administration Trump – ne cachent même plus leur corruption. John Bolton a déclaré à Fox News que le but des USA est de voler le pétrole du Venezuela. Mais nos médias continuent de suivre la ligne de leur propagande. Même après les propos de Bolton, vous ne verrez pas Anderson Cooper, de CNN, ou l’un quelconque des hommes-troncs de Fox News dire : « Le Venezuela subit un coup d’État soutenu par les États-Unis parce que nous voulons voler leur pétrole. » C’est vraiment vertigineux que les médias grand public maintiennent leur propagande, même après que les « leaders » aient étalé leurs véritables intentions au grand jour.

« Défendez la matrice » clignote en rouge dans leurs yeux.

La ligne de propagande pour le Venezuela en ce moment est : « Nous voulons aider les pauvres Vénézuéliens. » Si vous voulez les aider, gardez les USA hors de leur vue. Ne les forcez pas à avoir quoi que ce soit à voir avec le pays qui a inventé le poulet frit industriel servi dans des seaux et les sprays nasaux aux opiacés. Personne, à aucun moment, n’a regardé la présidence de Donald Trump en se disant : « wow, ce pays a vraiment tout compris. J’espère qu’ils nous ferons profiter de la justesse de leurs décisions ».

Lee Camp

Article original en anglais :

We Are Being Lied into War Again

Truthdig 7 mars 2019

Traduction Entelekheia

Lee Camp est un satiriste politique, écrivain, acteur et activiste américain. Il anime l’émission satirique hebdomadaire Redacted Tonight sur RT America. Il a écrit pour The Onion et le Huffington Post. 

 

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Haïti: le développement du sous-développement

mars 15th, 2019 by Jacques B. Gélinas

« Le développement est un processus simple : il faut le faire soi-même.
Pour toute économie, ou bien on le fait soi-même
ou bien il n’y aura pas de développement du tout

Jane Jacob, Les villes et la richesse des nations

Haïti : un pays qui se sous-développe en périphérie et au profit des États-Unis, du Canada, de la France et des compagnies transnationales.  Précision : avec la complicité des élites locales qui empochent impunément.

Le propos de cette chronique est de mettre en lumière la vraie nature du sous-développement qui afflige Haïti et de démontrer, en remontant le fil de l’histoire, comment ce pays apparaît aujourd’hui comme le cas typique d’une impitoyable dépossession.

Il en résulte une riche oligarchie possédante, régnant sur un peuple pauvre et dépossédé, le plus mal gouverné et le plus mal aidé du continent. Mais un peuple incroyablement résilient qui, le 7 février dernier, s’est soulevé pour protester contre cette dépossession et crier : Ça suffit!

Brève histoire de la longue dépossession d’Haïti

Il était une fois une île appelée Quisquéia, sise à l’orée d’un vaste continent ignoré du reste du monde. Y vivaient un million d’habitants prospères et pacifiques.

En 1492, les conquistadors espagnols tombent d’aventure sur ce paradis qu’ils renomment Hispaniola et qu’ils vont convertir en enfer. À force d’exploitation et de brutalité, ils exterminent la population autochtone, les Taïnos. Le premier des génocides que vont commettre les Européens sur le continent américain.

Pendant plus d’un siècle, Espagnols, Français et pirates européens de tout acabit vont se disputer cette terre fertile et par surcroît riche en minerai.

En 1626, les Français prennent officiellement possession de la partie ouest de l’île qui, en 1804, deviendra Haïti. À la fin des années 1670, ils décident d’en faire une terre de plantation pour l’exportation de café, d’indigo et surtout de sucre. La culture de la canne à sucre exige une main-d’œuvre abondante et âpre à la tâche. Comme la mère patrie ne peut fournir ce genre d’ouvriers malléables et corvéables à merci, les colons se tournent vers l’Afrique. De 1679 à 1791, ils arrachent à leur terre natale 800 000 êtres humains réduits en esclavage. Haïti devient le premier destinataire de la traite négrière.

À l’époque, le sucre, c’est la grande affaire. Les Européens en raffolent. Rapidement, Haïti devient le premier producteur mondial de cette denrée. Vers 1750, la colonie exporte plus de sucre que toutes les îles anglaises réunies.

En 1791, les esclaves surexploités commencent à se révolter dans le but de fonder une république libre et indépendante. Ils l’emporteront en 1804. C’est la première et seule fois dans l’histoire qu’une population d’esclaves réussit à s’affranchir de ses maîtres.

En 1825, un gouvernement français sans vergogne réclame au gouvernement haïtien 150 millions de francs – rançon ramenée à 90 millions – en guise de dédommagement pour les colons esclavagistes chassés en 1804. C’était la condition requise pour la reconnaissance officielle de l’indépendance du pays par la France et les États-Unis. Haïti traînera cette dette comme un boulet pendant plus de cinq décennies.

En 1913, le président Woodrow Wilson déclare : «Notre responsabilité envers le peuple américain nous force à aider les investisseurs américains en Haïti». L’année suivante, les marines états-uniens passent à l’acte. Ils débarquent en Haïti et s’emparent des réserves d’or du pays. Finalement, les États-Unis occupent militairement Haïti qui devient leur colonie pour 20 ans, soit de 1915 à 1934.

Arrivons-en à la dictature féroce des Duvalier qui va durer 30 ans, de 1957 à 1986. Le 7 février 1986, le peuple exaspéré se soulève et chasse le rejeton de Papa Doc, Jean-Claude Duvalier.

Considérant ces multiples exactions et prédations, on ne peut que conclure que si ce malheureux peuple est aujourd’hui le plus pauvre et le plus mal gouverné du continent, ce n’est pas sa faute, c’est sa tragédie.

Le président Aristide forcé d’appliquer les politiques néolibérales du FMI et de la Banque mondiale

La chute de la dictature Duvalier a conduit à la mise sur pied d’une constituante qui a accouché d’une nouvelle Constitution progressiste, arrachée par un puissant mouvement social.

Le 7 février 1991, Jean-Bertrand Aristide devient le premier président élu démocratiquement selon les règles de la nouvelle Constitution. Il applique des mesures progressistes, combat la corruption institutionnalisée, demande aux patrons d’augmenter le salaire des ouvriers. Mais il n’a le soutien ni de l’élite, ni de l’armée, ni de l’Église, ni des États-Unis… qui ourdissent un coup d’État.

Le 30 septembre, le lieutenant-général Raoul Cédras s’empare du pouvoir, sous le regard ambigu du gouvernement états-unien. L’Oncle Sam compatissant prend sous son aile le président déchu, l’amène aux États-Unis, lui assigne une résidence – surveillée – et le comble d’attentions.

Après 20 mois de réclusion, Aristide est considéré comme suffisamment domestiqué pour reprendre son siège présidentiel à Port-au-Prince. Cédric est prié de lui céder la place. De son côté, Aristide doit accepter, en échange de ce cadeau, d’appliquer à la lettre le Programme d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) : «Maintien des bas salaires, privatisation des entreprises publiques, suppression des droits de douane et un plus grand accès des entreprises étrangères aux ressources et au marché haïtiens». Le néolibéralisme entre ainsi à Haïti par la grande porte.

Après cette domestication et cette humiliante abdication, Aristide n’est plus le même. Il devient erratique. Quand même réélu en 2001, il sera de nouveau éjecté manu militari, en février 2004, par les États-Unis… avec la complicité de la France et du Canada.

Il s’ensuit une grande instabilité politique, que les États-Unis et les Nations Unies vont aggraver en disant vouloir y remédier.

Comment le pouvoir est passé des mains de l’ONU aux mains des États-Unis

Juin 2004, la Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) composée de 12 000 militaires et de 2 500 policiers débarque dans le pays.

Juillet 2004, après l’éviction d’Aristide, apparaît dans le ciel haïtien un étrange supra-mécanisme appelé Core Group composé d’un représentant du secrétaire général des Nations Unies, d’un représentant de l’Organisation des États américains (OEA), des ambassadeurs des États-Unis, du Brésil, du Canada, de la France, de l’Espagne et de l’Union européenne.

Mais voilà qu’à l’instabilité politique, s’ajoute l’instabilité géophysique : tremblements de terre, ouragans, inondations. La plus terrible de ces ruades de la nature a été le séisme du 12 janvier 2010 : 230 000 morts, 300 000 blessés, 1,2 million de sans-abri.

Un tel malheur a ému le monde entier, ce qui a forcé la supposée «communauté internationale» à bouger. Promesses, promesses pour 11 milliards de dollars US. Finalement, il en a résulté un fonds d’aide à la reconstruction de 5,5 milliards. On ignore comment l’administration de ce fonds a été confiée à Bill Clinton. Cet ancien président des États-Unis copréside avec le premier ministre Jean-Max Bellerive la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti, créée en avril 2010. La Commission s’est appliquée avant tout à servir les intérêts états-uniens, sous le parapluie de la Fondation Clinton. Et la reconstruction n’a jamais eu lieu.

Le 10 mars 2010, Bill Clinton fait son mea culpa devant la Commission des Relations extérieures du Sénat états-unien :

«Les pays riches comme le nôtre, qui produisent beaucoup de nourriture, doivent vendre aux pays pauvres et les soulager du fardeau de produire leur propre nourriture, de sorte que, Dieu aidant, ils puissent sauter directement dans l’ère industrielle. Cela n’a pas fonctionné. Cela a peut-être été bon pour mes fermiers de l’Arkansas, mais ça n’a pas fonctionné. Ce fut une erreur. […] La conséquence pour Haïti a été la perte de la capacité de produire son propre riz pour nourrir son peuple[1]

Arrêtons ici cet interminable récit de déprédation pour réfléchir sur la vraie nature du sous-développement qui tenaille Haïti.

Une impitoyable dépossession appelée sous-développement

Le sous-développement n’a pas toujours existé. C’est une création de notre époque. Il est né – et le nom et la chose – des décombres de la Seconde Guerre mondiale. Ce conflit dévastateur a créé les conditions favorables à l’avènement d’un nouvel ordre économique et géopolitique mondial, dominé par les États-Unis d’Amérique.

Dans son discours inaugural du 20 janvier 1949, le président Harry Truman, annonce qu’il existe dans le monde des «régions sous-développées» où règnent la maladie, la misère et la famine. Ces régions – l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine et les Caraïbes– affichent un retard lamentable par rapport aux pays développés. Les États-Unis, explique-t-il, peuvent et doivent les aider à rattraper ce retard. Comment? En leur fournissant des vivres, des capitaux et des techniciens. Il enjoint les autres pays avancés à suivre cet exemple. C’est le lancement de ce qu’on appellera l’aide publique au développement (APD), la plus grande croisade de tous les temps.

Or, contrairement à ce qu’a édicté le président Truman, à la suite des économistes conventionnels de l’époque, le sous-développement n’est ni un retard ni une différence d’étape dans la croissance économique. C’est plutôt une différence de position et de fonction à l’intérieur de la structure économique mondiale. La fonction des pays du Tiers-Monde dans ce système consiste à fournir des matières premières et une main-d’œuvre bon marché, ainsi qu’un vaste débouché pour les biens et services des pays industrialisés.

À noter que les pays aujourd’hui industrialisés ont pu passer par des périodes de stagnation et de non-développement, «mais ils n’ont jamais connu le sous-développement au sens actuel du terme». (Merci André Gunder Frank, Le développement du sous-développement, Paris, Maspero, 1972, p. 238)

Le véritable nom du sous-développement, c’est la dépossession et la dépendance organisées.

Le développement, c’est le faire soi-même

Ce sont les outils qui lancent toute avancée dans la production de biens et de services. Des outils que la communauté peut et doit contrôler. Pour connaître les ressorts de ces outils, elle doit les inventer et les fabriquer elle-même. Ou encore, si elle les emprunte d’une autre société, il faut qu’en les acquérant elle apprenne à les contrôler.

Or, une communauté ne peut inventer et fabriquer ses propres outils que si des membres de celle-ci peuvent être libérés pour se consacrer à des tâches de recherche et développement. Cela n’est possible que si ladite communauté dégage des surplus, en produisant plus qu’elle ne consomme. Toutes les sociétés peuvent produire plus qu’elles ne consomment, serait-ce au prix d’un mode de vie plus frugal. Cela s’appelle l’épargne. Cette épargne peut alors être investie dans la fabrication d’outils et d’équipements de production.

Ce processus d’accumulation de surplus commence par l’agriculture vivrière. Lorsque la production agroalimentaire débouche sur un marché local, producteurs et acheteurs se donnent la main pour créer une économie circulaire destinée à satisfaire les besoins de la population. Le même circuit pourra s’étendre au niveau régional.

En somme, le véritable nom du développement, c’est la capitalisation à partir de son propre savoir et de ses propres instruments de production.

Comme l’énonce le dicton latino-américain : No hay desarrollo sino a partir de su propio rollo : il n’y a de développement qu’à partir de sa propre enveloppe.

Le 7 février 2019 : jour de colère, jour de révolte

Le 7 février, 33e anniversaire de la chute de Duvalier et 2e anniversaire de la prise de pouvoir du président parvenu, Moïse Jovenel, le peuple en colère se donne rendez-vous dans la rue. Manifestations bruyantes et fracassantes pendant plus d’une semaine, dans plusieurs villes du pays. Le peuple affamé veut savoir où est passé l’argent du Fonds PetroCaribe évalué à quelque 3,8 milliards de dollars US.

Fin janvier, la Cour supérieure des comptes a déposé la première partie de son rapport sur la dilapidation du Fonds PetroCaribe. Le document décrit les fraudes et détournements de fonds commis par les huit gouvernements qui se sont succédés depuis 2008.  On a perdu la trace d’au moins 2,5 milliards, un montant supérieur à l’actuel budget de l’État. Une quinzaine de ministres, anciens et actuels, sont épinglés. Michel Martelly et Jovenel sont eux-mêmes impliqués dans la plus grande opération de corruption de l’histoire d’Haïti.

L’Alliance PetroCaribe a été créé par le président vénézuélien Hugo Chavez, en 2005. L’objectif : aider les pays des Caraïbes à se développer eux-mêmes. 18 pays du bassin des Caraïbes y ont souscrit. Le gouvernement Haïtien a reçu la plus grosse part de cette aide qui, par le biais du pétrole à prix réduit, rompait avec l’aide traditionnelle. Les termes de l’Alliance spécifiaient que le Fonds devait favoriser les coopératives de travailleurs, l’agriculture vivrière et l’autosuffisance alimentaire.

La gestion calamiteuse de l’argent mis à disposition par le Venezuela a doublement pénalisé le peuple haïtien, En plus d’avoir été privé de cette aide à son développement, il devra, par le biais de divers prélèvement directs et indirects, rembourser cette dette qui grève le budget de la nation.

Le peuple haïtien peut-il s’arracher des griffes d’une oligarchie nationale et internationale ?

Un pays sous-développé peut-il échapper à la dépossession et en arriver à se posséder lui-même ? Les auteurs haïtiens et québécois du livre recensé, le mois dernier, dans les pages de L’aut’ journal tentent d’apporter une réponse à cette lancinante question[2].

  • D’abord commencer par le commencement : se nourrir soi-même ; c’est la première des souverainetés.
  • Développer une agriculture vivrière qui débouche sur un marché local et enclenche ainsi une économie circulaire.
  • Mettre en commun la petite épargne locale et régionale, par la création de caisses d’épargne et de crédit au service des paysans, des regroupements de femmes et des petites et moyennes entreprises artisanales.
  • Tisser des liens entre la multitude d’organisations de la société civile, surtout les organisations paysannes, les regroupements de femmes et les associations d’intellectuels progressistes.
  • Créer une vaste coalition susceptible de s’imposer comme un «véritable acteur social» : «un acteur collectif capable de mener des actions visant la transformation profonde de la société, de la culture et de l’économie». (p. 260)

Jacques Gélinas

jacquesbgelinas.com

 


[1] The Associated Press, le 20 mars 2010.

[2] Yves Vaillancourt, Christian Jetté et alii, Une coopération Québec-Haïti en agroalimentaire, L’économie sociale et solidaire en mouvement, Presses de l’Université du Québec, 2018. Voir aussi l’excellent article de Louis Favreau et Lucie Fréchette, «Comment ‘aider’ Haïti aujourd’hui», Le Devoir, 19 février 2019.

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Régis Portalez est un homme dangereux. Heureusement, la Garde des Sceaux et le procureur du tribunal de grande instance de Paris, son relais répressif zélé, veillent et sont décidés à le mettre hors d’état de nuire.

Pensez donc, voilà quelqu’un qui a passé le concours de l’École Polytechnique et qui l’a réussi. Il a étudié quatre ans dans cette école pour en sortir muni de son prestigieux diplôme. Pendant sa scolarité, et comme tous ses condisciples il portait dans les cérémonies, officielles ou non, le fameux uniforme bleu très foncé (noir?) assorti du bicorne à cocarde avec l’épée au côté. Ce n’est pas un uniforme militaire, simplement une tenue civile que la tradition autorise à porter une fois l’école quittée, dans les occasions qui le méritent : cérémonies familiales, mariages, réunions d’anciens élèves etc. etc. Il se trouve que Régis Portalez a été touché par le surgissement du mouvement des gilets jaunes, et qu’il a souhaité faire part à cette France d’en bas de sa solidarité et de sa gratitude. Parce que ce diplôme prestigieux, il le doit évidemment à son talent, mais aussi aux citoyens de ce pays qui l’ont financé. Il a trouvé logique de saluer leur combat pour la dignité et de leur dire merci et quel meilleur moyen que de se rendre dans une de leurs manifestations, revêtu de cet uniforme si reconnaissable. On imagine aisément que sentimental, il a aussi pensé au précédent dont rend compte le célébrissime tableau de Delacroix « la liberté guidant le peuple » ou apparaît sur la barricade le bicorne d’un de ses condisciples de 1830. Un peu tendu au départ il se demandait ce que serait l’accueil. Ce fut chaleureux, fraternel et reconnaissant pour ce message de si belle allure qui disait beaucoup.

Que n’avait-il fait malheureux ! Fraterniser avec la foule haineuse, oser dire à la France d’en bas qu’il n’y a qu’une seule France, exprimer une opinion politique contraire à celles d’Emmanuel Macron ? Mais Monsieur, non seulement c’est interdit, mais c’est une infraction pénale qui doit être réprimée sans pitié. Probablement immédiatement saisie, la direction de l’école fut sommée de sévir à l’encontre de quelqu’un avec lequel elle n’avait pourtant plus aucun lien juridique. En rupture avec la tradition, le nouveau président de l’X récemment nommé par Emmanuel Macron, n’est pas issu de l’armée française ou des grands corps, mais sans surprise d’un cabinet de conseil anglo-saxon. Tout occupé paraît-il à la confection d’un uniforme original pour lui, il n’aurait pas donné suite. Toujours au conditionnel, sévère rappel à l’ordre de la chancellerie par l’intermédiaire du procureur de Paris afin que l’école dépose une plainte pénale (!!!). Ce qui fut fait, et le parquet d’ouvrir immédiatement une enquête préliminaire et de faire convoquer le dangereux criminel par la police.

Le même procureur, vous savez celui qui donne consignes à ses services de se livrer à des détentions arbitraires et protège scrupuleusement les amis de Monsieur Macron comme le révélait récemment le Canard enchaîné, le même procureur donc, toujours soucieux de réprimer et d’intimider a trouvé une incrimination parfaitement inepte. Qu’à cela ne tienne la fin justifie les moyens, probablement. Il s’agit de l’alinéa premier de l’article 433-14 dont la simple lecture démontre le caractère fantaisiste de l’accusation dans la mesure où l’uniforme des polytechniciens n’est pas réglementé par l’autorité publique.

Cela rappelle le sort fait à ce professeur d’université blanchi sous le harnais et convoqué, toujours à la demande du parquet, par une police agressive pour avoir sur Twitter qualifié les blindés utilisés par la gendarmerie contre les gilets jaunes de « matériel obsolète ». Nul doute que ses compétences techniques témoignaient de sa volonté de répondre à l’injonction de Macron et d’aller le chercher à l’Élysée.

Tout ceci serait parfaitement ridicule dans un pays où il faut le rappeler près de 2 millions d’infractions par an, avec auteurs connus font l’objet tous les ans d’absence de poursuites sur décision du parquet. Mais ça ne l’est pas, parce que le symptôme de cette volonté exprimée sans fard par Emmanuel Macron lors de ses vœux du nouvel an où il a fait comprendre qu’il ne se considérait pas comme le président de tous les Français et qu’il réprimerait sans mollir ce qu’il appelle la « foule haineuse ».

Et c’est comme cela que le premier ministre vient triomphalement revendiquer devant l’Assemblée nationale un bilan de répression de masse inconnu depuis la guerre d’Algérie. Le 12 février, le premier ministre, Edouard Philippe, a déclaré devant l’Assemblée nationale : « Depuis le début de ces événements, 1796 condamnations ont été prononcées par la justice et 1422 personnes sont encore en attente de jugement » (…) « plus de 1300 comparutions immédiates ont été organisées et 316 personnes ont été placées sous mandat de dépôt ». Ce bilan qui s’est aggravé depuis lors n’a pas pu être établi dans le respect des règles d’une justice normale, c’est matériellement impossible. Multiplication des procédures illégales, peines hors de proportion, incriminations fantaisistes ont été la norme pendant quelques semaines. En France on s’en est ému, à l’étranger aussi où la presse américaine a été jusqu’à dire qu’Emmanuel Macron allait faire oublier Poutine.

Et c’est comme cela que cette répression judiciaire de masse a été précédée d’une répression policière de masse elle aussi, émaillée d’un nombre invraisemblable et avéré de violences indignes d’un pays démocratique. L’utilisation de techniques policières, de matériels dangereux et de comportements ouvertement violents revendiqués comme tels ont abouti à un bilan humain catastrophique. Partout sur les réseaux on trouve des images qui en témoignent et provoquent l’inquiétude sur l’état des libertés publiques dans notre pays.

Et c’est comme cela, qu’un président de la république, perdant tout bon sens profère des phrases qui illustrent les dérives de ce pouvoir allant jusqu’à dire « il est inacceptable dans un État de droit de parler de violences policières ». Pardon ?

Une « violence policière », c’est une violence commise par un policier dans l’exercice de ses fonctions, en violation du code pénal et des règles qui organisent sa profession et ses interventions. Vis-à-vis du code pénal, les violences ne sont pas traitées de la même façon si elles sont commises par un particulier ou par un policier. C’est le septième alinéa de l’article 222-13 du Code pénal qui aggrave les condamnations des violences commises : « Par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ». Lorsque l’on voit sur des vidéos des violences incontestables et illégales, commises par des policiers en uniforme dans l’exercice de leurs fonctions, il est inacceptable de parler de « violences policières » ? Lorsque l’IGPN, organe républicain de contrôle de la police, enquête sur ce qu’elle qualifie elle-même de « violences policières », c’est inacceptable ? Lorsque le parquet poursuit des policiers pour des faits commis en violation du code pénal français, qui qualifie spécifiquement les « violences policières », c’est inacceptable ? Lorsque des juges d’instruction mettent en examen des policiers pour des violences commises en violation de l’article 223-13 du Code pénal, c’est inacceptable ? Lorsqu’un tribunal condamne des policiers en application de cet article, c’est inacceptable ? Lorsque la presse ou n’importe quel citoyen utilisent la liberté d’expression garantie par la constitution et la déclaration des droits de l’homme pour qualifier de « violences policières », les comportements violents et illégaux de policiers dans l’exercice de leurs fonctions, c’est inacceptable ?

Aurait-on définitivement perdu Emmanuel Macron ? En tout cas, lui n’a pas perdu le soutien obstiné de certains journalistes comme en témoigne ce « débat » où quatre d’entre eux crient au complot, certains allant jusqu’à insulter l’ancienne présidente chilienne Michelle Bachelet accusée élégamment d’avoir « fumé la moquette », alors que comme haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme elle fait son devoir en s’inquiétant, comme d’autres institutions internationales d’ailleurs, des dérives de la répression en France. Pour ces gens-là, faire son devoir et dire la vérité ne peut avoir pour origine qu’un complot concocté avec Maduro et tant qu’à faire, Fidel Castro et Che Guevara. Au point où on en est pourquoi se gêner ?

Ce qui est curieux, c’est que pour ma part je suis aussi très inquiet des dérives liberticides que connaît notre pays présidé par Emmanuel Macron. Et je le dis. Je n’ai pourtant pas organisé de complot avec Nicolas Maduro.

Ce doit être par ce que je n’ai pas son numéro de portable.

Maître Régis de Castelneau

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Depuis plus de huit ans, le fondateur et rédacteur en chef de WikiLeaks, Julian Assange, fait l’objet de diverses formes de restrictions à sa liberté sans inculpation au Royaume-Uni. En dépit d’une décision du Groupe de travail sur la détention arbitraire de décembre 2015 (avis n° 54/2015) selon laquelle M. Assange était arbitrairement privé de sa liberté et a exigé sa libération. Non seulement le Royaume-Uni a refusé de se conformer à cette décision, mais de hauts représentants du gouvernement, y compris le Premier ministre, ont condamné cette décision.

Le 21 décembre 2018, les experts des droits de l’homme de l’ONU ont réitéré l’exigence que le Royaume-Uni respecte ses obligations internationales et autorise immédiatement M. Assange à quitter l’ambassade équatorienne à Londres où il se trouve depuis plus de six ans, craignant d’être arrêté par les autorités britanniques s’il sortait, et extradé vers les États-Unis d’Amérique.

M. Assange a remporté de nombreux prix internationaux de journalisme – du Amnesty New Media Award au Walkley Award pour sa contribution exceptionnelle au journalisme dans son pays natal, l’Australie – et a été nominé pour le prix Nobel pendant huit années consécutives (2010-2018) en raison de son travail avec WikiLeaks.

WikiLeaks est une organisation médiatique internationale à but non lucratif qui est à la disposition de toute personne qui souhaite révéler et exposer des informations sensibles présentant un intérêt pour le public. WikiLeaks offre une protection technologique et l’anonymat aux sources et aux dénonciateurs afin que l’information dans l’intérêt public puisse être fournie et publiée sans crainte de poursuites ou de représailles.

Parmi les publications les plus connues de WikiLeaks à ce jour, on peut citer : le déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire par la multinationale Trafigura ; les manuels d’instructions pour la base militaire de Guantánamo ; les bases de données sur les guerres en Afghanistan et en Irak ; les preuves de corruption et d’exécutions extrajudiciaires au Kenya ; la censure sur Internet en Chine, etc. Des documents publiés par WikiLeaks ont récemment permis d’identifier Maher Mutreb, l’un des assassins présumés du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite en Turquie. Les publications de WikiLeaks ont été citées par des journaux du monde entier et dans des affaires relatives aux droits de l’homme devant la Cour internationale de justice, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour suprême britannique.

Cependant, les publications de WikiLeaks ont également mis M. Assange, journaliste et rédacteur en chef, au centre des représailles exercées par les États qui ont fait l’objet de révélations par WikiLeaks de graves violations des droits humains ou de crimes de guerre. L’Arabie saoudite, l’Australie et d’autres États ont par exemple annoncé des poursuites pénales contre l’éditeur.

La persécution de M. Assange par les États-Unis

La principale menace subie par M. Assange en raison de ses activités journalistiques avec WikiLeaks a été la persécution politique déployée par les États-Unis d’Amérique, qui demandent que M. Assange fasse l’objet de poursuites pénales et par le déploiement de mesures extrajudiciaires contre lui et WikiLeaks. WikiLeaks a révélé des preuves de l’implication des États-Unis dans des crimes de guerre et des actes de torture, et a documenté – à travers les journaux de guerre de l’Afghanistan et de l’Irak [Afghan logs et Iraq War Logs] – l’ampleur des pertes civiles dans les guerres menées par les États-Unis, et les violations des droits humains et la corruption dans le monde entier. Depuis 2010, les États-Unis mènent une enquête criminelle active sur M. Assange et Wikileaks, que le gouvernement australien qualifie de « sans précédent par sa taille et son ampleur ».

Alors que l’enquête criminelle a été ouverte sous le gouvernement Obama, l’administration Trump a adopté une position institutionnelle plus agressive à l’égard de M. Assange et de WikiLeaks. Après la publication par WikiLeaks de Vault 7 en 2017, qui a été décrite comme « la fuite la plus importante de l’histoire de la CIA », le directeur de la CIA, Mike Pompeo (qui est maintenant secrétaire d’État), a déclaré que les États-Unis traiteraient WikiLeaks comme un « service de renseignement hostile et non étatique », que les États-Unis ne laisseraient plus à Assange et à ses collègues « la liberté de faire valoir contre nous des principes de liberté de parole » et que M. Assange ne bénéficierait plus des protections constitutionnelles en la matière. Peu après, le procureur général Jeff Sessions a confirmé que la poursuite de M. Assange était « une priorité ». En novembre 2018, les médias américains ont confirmé que les États-Unis avaient dressé un acte d’accusation contre M. Assange. Les tribunaux américains ont refusé de lever les scellés sur l’acte d’accusation.

Il est extraordinaire et dangereux pour l’administration Trump de prétendre avoir le droit de poursuivre les éditeurs en Europe, les maisons d’édition européennes. L’AIJD craint que ce précédent ne soit utilisé pour mettre fin à la publication d’informations critiques dans le monde entier.

Les administrations américaines successives ont pris des mesures sans précédent au mépris total des garanties juridiques fondementales en ce qui concerne WikiLeaks, une organisation journalistique qui bénéficie à la fois de la protection du système juridique américain et du droit international des droits humains. Les tentatives des Etats-Unis d’engager des poursuites contre Julian Assange et WikiLeaks créent un dangereux précédent contre la liberté de la presse dans le monde entier.

Asile, Équateur, Royaume-Uni et États-Unis

M. Assange s’est vu accorder l’asile par l’Équateur en 2012 en raison de sa crainte légitime d’être persécuté aux États-Unis à la suite des publications de WikiLeaks. M. Assange est aujourd’hui double citoyen australo-équatorien et reste à l’ambassade de l’Équateur à Londres parce que le gouvernement britannique n’a pas donné d’assurances contre son extradition vers les États-Unis. L’arrestation de M. Assange par le Royaume-Uni se fondait sur une enquête criminelle en Suède qui a été abandonnée en 2016. Le Royaume-Uni prétend maintenant que M. Assange sera arrêté pour violation de la liberté sous caution pour avoir demandé l’asile à l’ambassade équatorienne lors de la procédure d’extradition vers la Suède dans le cadre d’une enquête pénale qui a été abandonnée depuis. Le Royaume-Uni continue de refuser de donner une assurance contre l’extradition vers les États-Unis. M. Assange a déclaré à plusieurs reprises qu’il était prêt à affronter la justice britannique, mais pas au risque de faire face à l’injustice américaine.

En raison du non-respect par le Royaume-Uni de l’octroi de l’asile par l’Équateur, M. Assange reste à l’ambassade de l’Équateur. Le Royaume-Uni refuse de lui permettre de quitter l’ambassade pour se faire soigner sans risquer d’être arrêté et extradé vers les États-Unis, ce qui, selon les médecins, a des conséquences graves et permanentes sur la santé de M. Assange. En effet, le Royaume-Uni tente de forcer M. Assange à choisir entre son droit à la santé et son droit d’asile.

État de droit et respect des décisions du Groupe de Travail sur les Détentions Arbitraires

Comme le Groupe de travail l’a clairement indiqué dans sa récente déclaration soutenue par le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme :

« Le Royaume-Uni a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et a la responsabilité d’honorer son engagement en respectant ses dispositions dans tous les cas… Comme l’a dit le Haut Commissaire aux droits de l’homme il y a plusieurs années, le droit des traités relatifs aux droits de l’homme est contraignant, il ne s’agit pas de droit facultatif. Il ne s’agit pas d’une fantaisie passagère qu’un Etat pourrait appliquer au cas par cas… les recommandations émises par le GTDA doivent être appliquées par tous les Etats, y compris ceux qui ne sont parties prenantes dans l’affaire concernant M. Assange. »

Il a ajouté que le Groupe de travail craignait que la privation arbitraire de liberté persistante de M. Assange ne compromette sa santé et ne mette sa vie en danger, compte tenu de l’anxiété et du stress disproportionnés que cette privation prolongée de liberté entraîne.

En conclusion, les experts de l’ONU ont déclaré qu’il était temps que M. Assange, qui a déjà payé le prix fort pour exercer pacifiquement ses droits à la liberté d’opinion, d’expression et d’information, et pour promouvoir le droit à la vérité dans l’intérêt public, retrouve sa liberté.

Compte tenu de ce qui précède, l’AIJD exhorte les États-Unis :

  • de mettre fin à ses tentatives de poursuites pénales contre WikiLeaks et Julian Assange, qui menacent les libertés fondamentales et universelles de la presse ;

L’AIJD exhorte le Royaume-Uni :

  • de se conformer à l’avis du Groupe de travail et, par conséquent, de mettre fin à l’internement indéfini de M. Assange à l’ambassade de l’Équateur à Londres, d’une manière qui soit pleinement compatible avec son statut de réfugié.

Enfin, l’AIJD exhorte l’Equateur :

  • de continuer à protéger M. Assange et de demander les assurances nécessaires pour lui permettre de quitter l’ambassade sans risquer l’extradition des États-Unis.
  • de mettre fin au régime d’isolement imposé à M. Assange, en suspendant l’application du prétendu Protocole spécial, et
  • garantir les droits de M. Assange pendant qu’il reste à l’ambassade, y compris le droit de visite, l’accès à Internet et d’autres protections de base

Association Internationale des Juristes Démocrates

 

 

Traduction par VD pour le Grand Soir

L’Association Internationale des Juristes Démocrates (« AIJD », en anglais « IADL) est une organisation non gouvernementale dotée du statut consultatif auprès du Conseil Économique et Social des Nations Unies (ECOSOC). Pour plus d’informations, voir http://www.iadllaw.org/.

 

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Le général prussien Carl von Clausewitz a déclaré que la guerre est une continuation de la politique par d’autres moyens. Nous assistons aujourd’hui à de nouvelles formes de conflit, dans lesquelles de grandes superpuissances utilisent certaines formes de guerre hybride (économique, sociale, énergétique, cybernétique, etc.). La différence entre la guerre classique et la guerre hybride est que cette dernière est réalisée par des intermédiaires non officiellement reconnus, avec des méthodes de l’insurrection et du terrorisme. Leurs actions sont dirigées exclusivement contre les civils d’autres États.

Par le biais de techniques de pression, de désinformation et de propagande, les médias internationaux sont également utilisés dans la guerre hybride en inventant un conflit moral au sein de la société de l’état cible. Le résultat est la création d’une réalité alternative, qui installe la méfiance dans l’ordre constitutionnel, et oriente la perception de la population du pays ciblé vers un modèle imposé par la superpuissance mondiale commanditaire de l’opération.

La construction de la centrale hydroélectrique Guri au Venezuela a commencé dans les années 60. Elle fournit 80% de l’électricité du pays. La mise à niveau du système de contrôle des générateurs a eu lieu en 2007 et 2009 avec l’introduction d’un logiciel de Siemens. Coïncidence ? Au milieu de la campagne visant à changer illégalement le régime de Caracas par les États-Unis, le système de contrôle de Guri a fait l’objet de cyberattaques à plusieurs reprises au cours de la semaine écoulée. Cette attaque ne pourrait être que l’œuvre d’un État, d’une grande superpuissance.

L’une des formes de guerre hybrides les plus récentes est l’utilisation de cyberattaques pour mettre hors service les infrastructures d’un État, en particulier les services publics (eau, électricité, chauffage, médicaments, nourriture, etc.). Cette violation du droit international, sans limites ni restrictions, est due en l’espèce à la position dominante occupée par les grandes superpuissances et à l’intégration technologique du monde leur permettant d’obtenir ou de maintenir la suprématie dans une zone géographique.

En janvier 2011, le New York Times a rapporté l’existence d’un programme cybernétique (Jeux olympiques) lancé en 2004, autorisé par le président George W. Bush et accéléré par son successeur, Barack Obama. Initialement, le programme visait à créer un antidote contre l’armement nucléaire de l’Iran. Plus tard, il a été amplifié et diversifié, donnant lieu à un nouveau programme (Nitro Zeus) par lequel les États-Unis ont laissé l’ensemble du territoire iranien sans électricité grâce à une cyberattaque. La NSA est le plus grand employeur de mathématiciens dans le monde. Ce sont probablement ceux-ci qui ont recommandé les algorithmes de ces virus, et les géants américains de l’informatique ont coopéré avec les agences d’espionnage américaines dans cette direction.

Stuxnet était un virus utilisé en 2010 pour infecter l’équipement de contrôle (fabriqué par Siemens) des centrifugeuses iraniennes à Natanz. Le virus a agi sur la vitesse de rotation des centrifugeuses et les a détruites. Parmi les révélations de Snowden sur Der Spiegel, il y a aussi la confirmation que Stuxnet était le résultat d’une collaboration américano-israélienne. Kaspersky Lab a découvert plus tard des virus plus puissants, Flame et Duku, qui semblent être des produits du programme Nitro Zeus. Ils ont été utilisés pour le vol massif de données stratégiques militaires, la manipulation des échanges de produits de base et à d’autres fins.

Ainsi, les technologies de pointe et l’intégration économique donnent aux grandes puissances mondiales la capacité de mener des opérations mondiales sans recourir à la force militaire. En 2017, Nikolai Patrushev, secrétaire du Conseil de sécurité de la Russie, a déclaré que la Russie appelait à la mise en œuvre de règles de cybersécurité. Si les autres États refusent de répondre à cet appel, la Russie commencera à créer sa propre législation. Récemment, la Douma d’Etat de Russie a voté pour le « Programme national d’économie numérique », qui prévoit une protection en cas d’attaque informatique massive lancée de l’extérieur du pays.

 Valentin Vasilescu

 

Traduction AvicRéseau International

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Bande dessinée «Semences en résistance»

mars 15th, 2019 by Colectivo de Semillas de América Latina

Nous partageons la bande dessinée Semences en résistance réalisée à partir du dessin animé qui ouvre le documentaire Semences : bien commun ou propriété des entreprises ? Ce documentaire a été réalisé en 2017 par un collectif d’organisations latinoaméricaines qui œuvrent sur tout le continent à la défense des semences autochtones, paysannes et locales comme fondement de la souveraineté alimentaire des peuples.

Nous continuons ainsi à rendre hommage aux millions de paysannes et de paysans qui perpétuent la défense des semences depuis leurs territoires, en particulier celles et ceux qui sont membres de la Via Campesina ; la Campagne pour les semences de cette dernière a inspiré les contenus de cette bande dessinée et nous a permis de prendre conscience du fait que les semences sont « le cœur de la souveraineté alimentaire ».

SEMILLAS, bien común o propiedad corporativa from GRAIN on Vimeo.

« Les semences occupent une place bien à part dans la lutte pour la souveraineté alimentaire. Ces petites graines sont la base de notre avenir. A chacun de leurs cycles de vie, elles déterminent le type d’aliments consommés par les gens, la façon dont sont cultivés ces aliments et par qui. Les semences portent également en elles le passé, la vision du monde, la connaissance et les pratiques accumulées des communautés paysannes du monde entier qui, durant des milliers d’années, ont créé les fondements de tout ce qui nous nourrit et fait vivre aujourd’hui ».

« Nos semences, notre futur ! », les Cahiers de la Via Campesina, num. 6, juin 2013.

Pour aller plus loin :

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L’organisation CANVAS, financée par les États-Unis, qui a formé Juan Guaido et ses alliés, a produit un rapport en 2010 sur l’exploitation des pannes d’électricité et a exhorté l’opposition à « retourner la situation… à son avantage ».

L’organisation CANVAS, financée par les États-Unis, qui a formé Juan Guaido et ses alliés, a produit un rapport en 2010 sur l’exploitation des pannes d’électricité et a exhorté l’opposition à « profiter de la situation… à son avantage ».

Un rapport publié en septembre 2010 par une organisation de soft power financée par les États-Unis, qui a aidé à former le chef du coup d’État vénézuélien Juan Guaido et ses alliés, identifie l’effondrement potentiel du secteur électrique du pays comme  » un événement décisif  » qui  » aurait probablement pour effet de galvaniser les troubles publics d’une manière qu’aucun groupe d’opposition ne pourrait espérer susciter « .

Ce rapport est particulièrement pertinente aujourd’hui alors que Guaido s’apprête à exploiter les pannes de courant à l’échelle nationale causées par une défaillance majeure de la centrale hydroélectrique Simon Bolivar au barrage de Guri – une crise que le gouvernement du Venezuela impute à un sabotage par les États-Unis.

Il a été rédigé par Srdja Popovic du Center for Applied Non-Violent Action and Strategies (CANVAS), une organisation de « promotion de la démocratie » basée à Belgrade et financée par le gouvernement US qui a formé des milliers de jeunes militants pro-US dans des pays où l’Occident cherche un changement de régime.

Ce groupe aurait accueilli Guaido et les principaux dirigeants de son parti Voluntad Popular pour une série de sessions d’entraînement, les transformant en une « Génération 2007 » déterminée à fomenter la résistance au président de l’époque Hugo Chavez et à saboter ses plans pour mettre en œuvre le « socialisme du 21ème siècle » au Venezuela.

Dans le rapport de 2010, Popovic de CANVAS déclarait : « Une des clés de la faiblesse actuelle de Chavez est le déclin du secteur de l’électricité ». Popovic a explicitement identifié la centrale hydroélectrique Simon Bolivar comme un point de friction, soulignant que  » les niveaux d’eau au barrage de Guri baissent, et Chavez n’a pas été capable de réduire suffisamment la consommation pour compenser la détérioration de l’industrie « .

En spéculant sur la  » grave possibilité qu’environ 70 % du réseau électrique du pays puisse s’éteindre dès avril 2010 « , le dirigeant du CANVAS a déclaré qu’ » un groupe d’opposition serait mieux servi pour profiter de la situation et la retourner contre Chavez et à son avantage « .

Retour à Mars 2019, et le scénario esquissé par Popovic se déroule presque exactement comme il l’avait imaginé.

Le 7 mars, quelques jours à peine après le retour de Guaido de Colombie, où il a participé à la tentative ratée et manifestement violente du 23 février de forcer la frontière vénézuélienne avec une cargaison d’aide US, la centrale hydroélectrique Simon Bolivar a connu un effondrement majeur et encore inexpliqué.

Quelques jours plus tard, l’électricité reste sporadique dans tout le pays. Entre-temps, Guaido a fait tout ce qu’il a pu pour  » profiter de la situation et la retourner  » contre le président Nicolas Maduro, comme ses alliés avaient été encouragés à le faire plus de huit ans auparavant par CANVAS.

Rubio promet « une période de souffrance » pour le Venezuela quelques heures avant la panne d’électricité

Le gouvernement vénézuélien rejette la faute sur Washington, l’accusant de sabotage par le biais d’une cyber-attaque sur son infrastructure électrique. Les principaux acteurs de la tentative de coup d’État dirigée par les États-Unis n’ont guère contribué à dissiper cette accusation.

Dans un tweet du 8 mars, le secrétaire d’État Mike Pompeo a qualifié la panne d’électricité d’étape cruciale dans les plans américains de changement de régime :

Le 7 mars à midi, lors d’une audition sur le Venezuela à la sous-commission sénatoriale des relations étrangères, le sénateur Marco Rubio a explicitement appelé les Etats-Unis à provoquer « des troubles généralisés », déclarant qu’ils « doivent se produire » afin d’obtenir un changement de régime.

« Le Venezuela va entrer dans une période de souffrance à laquelle aucune nation de notre hémisphère n’a été confrontée dans l’histoire moderne », a proclamé Rubio.

Vers 17 heures, la centrale hydroélectrique Simon Bolivar a connu un effondrement total et encore inexpliqué. Les habitants de Caracas et de tout le Venezuela ont immédiatement été plongés dans l’obscurité.

A 17h18, un Rubio clairement excité s’est rendu sur Twitter pour annoncer la panne de courant et prétendre que les « générateurs de secours sont en panne ». Il n’était pas clair comment Rubio avait obtenu des informations aussi précises si peu de temps après la panne. Selon Jorge Rodriguez, le ministre vénézuélien des communications, les autorités locales ne savaient pas si les générateurs de secours étaient en panne au moment du tweet de Rubio.

De retour à Caracas, Guaido s’est immédiatement mis à exploiter la situation, comme l’avaient conseillé ses entraîneurs du CANVAS plus de huit ans auparavant. Sur Twitter, un peu plus d’une heure après Rubio, Guaido déclarait : « La lumière reviendra quand l’usurpation [de Maduro] prendra fin ». Comme Pompéo, le président autoproclamé a présenté les coupures de courant comme faisant partie d’une stratégie de changement de régime, et non comme un accident ou une erreur.

Deux jours plus tard, Guaido était au centre d’un rassemblement d’opposition qu’il avait convoqué dans l’est de Caracas, en train de hurler dans un mégaphone : « Article 187, le moment venu. Nous devons être dans la rue, mobilisés. Ça dépend de nous, et de personne d’autre. »

L’article 187 établit le droit de l’Assemblée nationale « d’autoriser l’utilisation de missions militaires vénézuéliennes à l’étranger ou étrangères dans le pays ».

Lorsqu’il a mentionné l’article constitutionnel, les partisans de Guaido ont répondu : « Intervention ! Intervention ! »

Exploiter la crise pour « revenir au pouvoir ».

Comme Dan Cohen et moi l’avons rapporté ici au Grayzone [version française], la montée en puissance de Guaido – et le coup d’Etat qu’il avait été nommé pour diriger – est le produit d’un projet de dix ans supervisé par le CANVAS de Belgrade.

CANVAS est une spin-off d’Otpor, un groupe de protestation serbe fondé par Srdja Popovic en 1998 à l’Université de Belgrade. Otpor, qui signifie  » résistance  » en serbe, était le groupe d’étudiants qui a travaillé aux côtés des organisations américaines de soft power pour mobiliser les protestations qui ont finalement renversé le feu président serbe Slobodan Milosevic.

CANVAS a été financé en grande partie par le National Endowment for Democracy, une façade de la CIA qui fonctionne comme le principal bras du gouvernement américain pour promouvoir le changement de régime. Selon des courriels internes provenant de Stratfor, une société de renseignement connue sous le nom de « CIA fantôme« , CANVAS « a peut-être aussi reçu des fonds et une formation de la CIA pendant la lutte contre Milosevic de 1999/2000 ».

Un courriel d’un employé de Stratfor qui a fait l’objet d’une fuite indiquait qu’après avoir évincé Milosevic,  » les enfants qui dirigeaient OTPOR ont grandi, ont reçu des costumes et conçu CANVAS… ou en d’autres termes un groupe  » d’exportation de révolutions » qui a semé les graines pour un nombre de révolutions couleur. Ils sont toujours financés par les US et font le tour du monde pour tenter de renverser les dictateurs et les gouvernements autocratiques (ceux que les États-Unis n’aiment pas 😉 ».

Stratfor a par la suite révélé que CANVAS s’était « tourné vers le Venezuela » en 2005, après avoir formé des mouvements d’opposition qui avaient mené des opérations de changement de régime pro-OTAN en Europe de l’Est.

En septembre 2010, alors que le Venezuela se dirigeait vers des élections législatives, CANVAS a produit une série de mémos décrivant les plans qu’ils avaient élaborés avec des « acteurs non formels » comme Guaido et son groupe d’étudiants militants pour faire tomber Chavez. « C’est la première occasion pour l’opposition de se remettre en position de pouvoir « , écrivait Popovic à l’époque.

Dans son rapport sur les pannes d’électricité, Popovic a souligné l’importance de l’armée vénézuélienne pour le changement de régime. « Les alliances avec l’armée pourraient être critiques car dans une telle situation d’agitation publique massive et de rejet de la présidence, écrit le fondateur de CANVAS, les secteurs mécontents de l’armée décideront probablement d’intervenir, mais seulement s’ils croient avoir un soutien suffisant. »

Si le scénario envisagé par Popovic ne s’est pas concrétisé en 2010, il décrit parfaitement la situation qui s’est instauré aujourd’hui au Venezuela, où un leader de l’opposition cultivé par CANVAS cherche à retourner la crise contre Maduro tout en appelant les militaires à rompre les rangs.

Depuis que le Grayzone a exposé les liens profonds entre CANVAS et le parti de la Voluntad Popular de Guaido, Popovic a tenté de se distancier publiquement de son bilan de formation de l’opposition du Venezuela.

Aujourd’hui, cependant, le rapport de Popovic de 2010 sur l’exploitation des pannes d’électricité se lit comme un plan directeur pour la stratégie que Guaido et ses alliés à Washington ont activement mise en œuvre. Que la panne soit le résultat d’un sabotage externe ou non, elle représente l’ »événement décisif » auquel CANVAS a préparé ses cadres vénézuéliens.

Max Blumenthal

 

Article original en anglais :

US Regime Change Blueprint Proposed Venezuelan Electricity Blackouts as ‘Watershed Event’ for ‘Galvanizing Public Unrest’

The Grayzone 11 March 2019

Traduction par VD pour le Grand Soir 

Max Blumenthal est un journaliste primé et l’auteur de plusieurs livres, dont les best-sellers Republican Gomorrah, Goliath, The Fifty One Day War et The Management of Savagery. Il a écrit de nombreux articles pour un large éventail de publications, et effectué de nombreux reportages vidéo et plusieurs documentaires, dont Killing Gaza. Blumenthal a fondé The Grayzone en 2015 pour mettre en lumière par le journalisme l’état de guerre perpétuelle de l’Amérique et ses dangereuses répercussions intérieures.

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Déstabilisation de l’Algérie

mars 14th, 2019 by Stratediplo

La fièvre du vendredi matin, que l’on constatait en Syrie en juin 2011, touche à présent l’Agérie. Elle ne saurait surprendre ceux qui ont vu se multiplier les préparatifs en vue de la déstabilisation qu’on annonçait le 17 octobre 2018 (http://stratediplo.blogspot.com/2018/10/tant-qua-destabiliser.html).

A peine un mois après cet article, un groupe de 43 « syriens » infiltrés clandestinement par la frontière malienne a été arrêté près de Tamanrasset. En langage algérien cela signifie, comme dans le cas des dits « afghans » des années quatre-vingt, des mercenaires d’origines diverses ayant servi en Syrie, mais du moins sait-on qu’il s’agissait d’arabophones, pas de Français (plus gros contingent européen détaché en Syrie). Il y avait en tout cas parmi eux de vrais Syriens, anciens officiers déserteurs passés aux forces islamistes. Porteurs de grosses sommes d’argent destinées au recrutement de réseaux en Algérie, ils se sont réclamés de l’Armée Syrienne Libre (faction soutenue notamment par la France), ont en effet bénéficié immédiatement de pressions étrangères en vue de leur libération et surtout de leur éviter un renvoi vers la Syrie, et ont été expulsés début décembre en direction du Soudan prêt à les recevoir, avec un groupe de Yéménites (ou islamistes arabes revenus du Yémen) d’effectif non diffusé. Quelques jours plus tard 53 Palestiniens ont été à leur tour capturés dans la région de Tamanrasset après leur infiltration. Puis le 8 décembre une trentaine de « syriens » a encore été capturée à Tamanrasset, et d’autres encore à Ghardaïa. Quelques individus avaient quitté la Syrie, après la défaite de l’Etat Islamique, par la Jordanie, mais la grande majorité étaient passés par la Turquie d’où ils avaient ensuite été acheminés par avion vers Khartoum, dotés là de faux passeports soudanais, transférés par voie aérienne à Bamako et de là par voie terrestre sous escorte armée.

Si des centaines de mercenaires islamistes ont été ainsi interceptés depuis novembre il est difficile d’estimer combien ont été introduits sans être interceptés. Le 2 janvier le ministère de l’Intérieur a révélé que des centaines de « syriens » avaient ainsi été capturés, après leur entrée clandestine par la frontière malienne alors que les Syriens n’ont pas besoin de visa pour se rendre légalement en Algérie, et a annoncé des mesures comme l’interdiction formelle aux Syriens d’entrer par la frontière sud dans un pays qui a accueilli légalement 50000 vrais réfugiés syriens depuis le début de la guerre. Pour sa part le Mali ne cache pas son hostilité (récente) envers l’Algérie, coupable d’avoir décidé en 2017 l’expulsion du cinquième de la centaine de milliers de clandestins dits subsahariens (parmi lesquels on estime 5% d’islamistes), et d’y avoir procédé de manière à dissuader la récidive, en déposant ces clandestins « en plein désert », en l’occurrence sur la route mais à la frontière puisque l’armée algérienne ne saurait faire incursion en territoire malien. Ainsi la police malienne n’a pas empêché l’attaque et le saccage de l’ambassage algérienne à Bamako par des « refoulés » le 12 mars de l’année dernière. Certes le nord du Mali, par où passe l’infiltration des mercenaires islamistes pour entrer en Algérie, est pour sa part pratiquement contrôlé par la France, au nom de l’Union Européenne.

Parallèlement aux infiltrations d’islamistes étrangers l’armée algérienne a découvert des centaines de caches le long des frontières orientales et méridionales, avec bien sûr des stocks alimentaires et du carburant mais surtout de l’armement, y compris collectif, antichar (lance-roquettes) et antiaérien sophistiqué (missiles). En matière d’armement individuel la presse algérienne déclare que l’armée a saisi en quelques mois, fin 2018, quarante-huit millions de munitions (il y a peut-être un zéro de trop). Et fin décembre un cargo chargé d’armement, provenant de Turquie, a été appréhendé à son arrivée en Tripolitaine. Il est difficile d’attribuer tout cela à un mouvement spontané, pas plus que les recommandations de gouvernements européens envers leurs ressortissants d’éviter, en cas de tourisme au Maroc, la zone frontalière avec l’Algérie.

C’est pourtant très spontanément qu’ont éclaté les manifestations monstres du 22 février, immédiatement qualifiées de protestations à l’annonce de la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à l’élection présidentielle du 18 avril, mais dont il n’est pas interdit de se demander si elles n’auraient pas spontanément trouvé un autre motif au cas où celui-là ne se serait pas présenté. En effet si une telle mobilisation avait eu lieu deux mois plus tard, dans les isoloirs habituellement massivement boudés par l’électorat algérien, un candidat honni n’aurait certainement pas pu être élu. Et d’ailleurs peu d’Algériens croient que c’est la momie présidentielle qui gouverne réellement leur pays, entre ses séjours médicaux en France. Sans le moindre préavis sur « réseau social », des centaines de milliers d’Algériens sont sortis dans la rue pour manifester dans quasiment toutes les grandes villes, y compris à Alger où c’est interdit depuis 2001. La presse, prise par surprise, ne l’a ni vu venir ni même rapporté le soir, et a dû s’informer et se concerter dans la nuit pour rendre compte de l’événement le lendemain samedi. Plus de trois semaines plus tard tout le monde assure ignorer qui a appelé à cette marche du vendredi 22 février, qui s’est ensuite reproduite vendredi 1er mars, puis vendredi dernier 8 mars et se reproduira certainement vendredi prochain 15 mars. Dans tout le pays, en fin de matinée et en synchronie surprenante, les gens se sont spontanément mis à manifester en sortant des dizaines de mosquées des grandes villes, comme si une révélation prophétique leur était soudainement apparue sans que personne ne leur donne de consigne.

Il y eut certes une exception, à Bougie, la ville dont le régime fondé par le colonel de Gaulle entend faire oublier qu’elle a donné son nom français à la chandelle de cire. Vendredi 22 février, dans son homélie, le moufti de Bougie a appelé ses ouailles au calme et au respect de l’ordre constitutionnel dans la période troublée que traversait le pays. Ignorant ce qui se passait au même moment dans d’autres mosquées, et donc choqués qu’un ministre du culte se mêle soudain de politique, et de plus qu’il appelle la population kabyle à soutenir le régime arabe, de nombreux fidèles sont alors sortis de la mosquée. C’est certainement par une heureuse coïncidence, ou une inspiration divine, que ce moufti a appelé au respect de l’ordre au moment même où dans de nombreuses mosquées du pays des centaines de milliers de personnes acquéraient collectivement l’idée de manifester spontanément en sortant.

Le 9 mars un appel à la grève générale de cinq jours a été lancé, paraît-il par un petit syndicat méconnu, très généralement diffusé et relativement bien suivi le 10 mars. A ce sujet il faut savoir que la culture syndicale et gréviste n’est pas la même en Algérie qu’en France. Dans un pays socialiste les employés ne servent pas le grand capitalisme privé mais la population, et dans un pays pauvre ils savent que ce sont leurs compatriotes qui souffriront de toute interruption des services essentiels. Un bel exemple est celui du métropolitain d’Alger, dont la grève consiste à débrancher les distributeurs de tickets et fermer les guichets (plus quelques bouches de métro) afin que les usagers puissent utiliser le transport public gratuitement. Dans certaines villes, une sorte d’incertitude quant à l’ampleur et la suite des événements a fait fermer pratiquement tous les petits commerces, mais en même temps les commerçants discutaient avec leurs clients sur le trottoir des difficultés qu’entraînerait la prolongation de cette grève. Tous les débats publics, oraux ou écrits, montrent que l’opinion est très divisée et n’est certainement pas majoritairement acquise à une véritable grève de cinq jours. Là comme en matière de manifestation, la seule coordination qui soit apparue au grand jour est celle des étudiants, rejointe aujourd’hui par les enseignants. Des étudiants préparent aussi un service d’ordre pour contrer les provocateurs, introduits vendredi dernier en marge des manifestations pacifiques comme à Kiev il y a cinq ans.

Rapatrié d’urgence par vol bleu de Genève où il était hospitalisé, l’homme faible du régime a annoncé avant-hier lundi 11 sa mission ultime de fondation d’un nouveau régime, le report de l’élection présidentielle, un remaniement ministériel, le lancement d’une grande « conférence nationale » ou remue-méninges devant préparer pour fin 2019 un projet de constitution pour soumission à referendum, la tenue ensuite d’une élection présidentielle conforme aux prédicats étrangers, la formation d’un gouvernement de transition avant l’élection présidentielle, et le retrait du dictateur (au sens classique de chargé de mission exceptionnelle avec pleins pouvoirs) à l’issue de l’élection présidentielle.

En Algérie comme à l’étranger l’annonce présidentielle a été perçue comme un projet de prolongation du mandat et du régime, et donc reçue négativement par les aspirants au changement et positivement par les tenants de la stabilité. En Kabylie la réaction assez générale des journaux et des réseaux sociaux semble être un appel à la sécession.

Plus franchement encore que lors de l’interruption du processus électoral parlementaire en décembre 1991, les gouvernements des grandes puissances ont officiellement déclaré approuver le plan gouvernemental, à l’exception notable de l’allié de l’Algérie, la Russie, qui conformément à sa doctrine de non-ingérence et au droit international déclare ne pas se prononcer sur une question interne. Dans les Etats de non-droit comme les Etats-Unis et les pays arabes la presse commente le fond de la décision gouvernementale, en Europe quelques médias comme Le Monde et la BBC soulignent qu’elle viole la constitution algérienne, sans pour autant la qualifier de coup d’Etat comme le fait une partie de la presse algérienne. D’une manière générale l’ensemble de la presse occidentale dépendante des agences monopolistiques des pays de l’OTAN (AFP, Reuters et AP), suivie par la presse des pays arabes, dénonce la manoeuvre gouvernementale et annonce le chaos. L’illustre libérateur de la Cyrénaïque et éminence grise du gouvernement français, connu pour ses appels au bombardement de Belgrade puis de Moscou au siècle dernier et plus récemment sa prose d’appel à la haine contre le président russe, a dès lundi appelé la population algérienne à la révolution.

En réalité un certain nombre de puissances et de pouvoirs étrangers attendaient ou préparaient la déstabilisation. Quelques jours après les manifestations surprise du 22 février, Amnesty International et ses soutiens ont fortement appelé les forces de l’ordre algériennes à la retenue en vue des manifestations du vendredi suivant. Cette ingérence est particulièrement notable alors que seuls 41 activistes violents avaient été interpellés (et libérés au bout de quelques heures) sur des centaines de milliers de manifestants, quand en France les manifestations de, paraît-il, quelques dizaines de milliers de personnes le samedi (le néo-poujadisme est constitué de travailleurs) donnent lieu à des milliers d’arrestations et de placements en garde à vue ou défèrements immédiats. Elle surprend aussi dans la mesure où la police a unanimement toléré (et parfois accompagné) les manifestations, y compris à Alger où elles sont prohibées, en singulier contraste avec la France, condamnée en cela par le Parlement Européen, où chaque manifestation donne lieu à des violences gouvernementales inouïes avec tortures et mutilations ciblées.

Algérie Patriotique de ce mercredi relaie, avec force détails troublants, des révélations persanes sur les préparatifs organisés de la déstabilisation de l’Algérie (www.algeriepatriotique.com/2019/03/13/un-plan-de-destruction-de-lalgerie-est-entre-en-action-a-partir-du-maroc/). Dans un centre de coordination installé à Rabat, un certain nombre d’agents étatsuniens, marocains et de spécialistes d’Otpor (l’agence initialement serbe financée par Soros pour les « révolutions de couleur ») travailleraient depuis déjà un an à la planification, au financement et au ravitaillement de mouvements activistes en Algérie, et des cadres algériens auraient suivi là six mois de formation intensive. Deux douzaines d’officiers étatsuniens, marocains, serbes et français (et quelques Algériens félons), seraient déjà à pied d’oeuvre dans deux états-majors de conduite opérationnelle déployés à Oujda et Errachidia (Maroc), et des dizaines d’autres formeraient déjà un millier de futurs miliciens dans trois camps d’entraînement (dont un en Mauritanie), tandis que deux bases de soutien logistique auraient été installées en Tunisie.

Pourtant le gouvernement algérien s’est conformé aux discrètes injonctions uniopéennes et françaises de revirement politique en matière migratoire. Dès le 14 février, donc avant le déclenchement de la crise actuelle, Ramtane Lamamra, ancien ministre des Affaires Etrangères, a été désigné conseiller diplomatique spécial auprès de la présidence, comme pour superviser ou court-circuiter le ministre des Affaires Etrangères. « Kabyle de service » comme disent les Berbères, diplomate de formation et spécialiste de l’Afrique (subsaharienne surtout), Lamamra est un homme de l’Union Africaine et de l’ONU, qui a accompli de multiples missions pour l’une et l’autre, ainsi que pour diverses agences du système onusien. Son aversion pour la politique de contention de l’immigration illégale subsaharienne n’est pas un secret. Estimé par les hauts fonctionnaires internationaux, il est particulièrement apprécié de Federica Mogherini, ministre des Affaires Etrangères de l’Union Européenne. Il est membre du conseil d’administration de la fameuse officine de conception et déclaration de crises déstabilisatrices International Crisis Group.

L’hospitalisation de Abdelaziz Bouteflika à Genève, au surlendemain des premières manifestations spontanées à la sortie des mosquées, était en fait un paravent à des consultations discrètes organisées par son frère Saïd à l’avance, puisque les visites ont débuté le jour même de leur arrivée, dimanche 24 février. Un envoyé spécial de haut rang du président Emmanuel Macron a même été reçu en même temps que Ramtane Lamamra, et dès lundi 25 l’agence Reuters émettait l’hypothèse d’une remise directe du pouvoir présidentiel à Lamamra par Bouteflika. Diverses personnalités et diverses formules de transmission du pouvoir, manifestement préparées ailleurs, ont été présentées ou recommandées au président à l’occasion de plusieurs entrevues de courte durée. Le 2 mars Euronews a annoncé que le président allait annoncer la nomination de Lamamra comme premier ministre.

Finalement un remaniement ministériel a eu lieu avant-hier 11 mars. Ramtane Lamamra redevient ministre des Affaires Etrangères, mais aussi vice-premier ministre, poste nouvellement créé pour renforcer sa position alors qu’il eût suffi de le nommer ministre d’Etat, comme lors de son premier mandat de ministre des Affaires Etrangères et à la différence de son successeur d’alors, et prédécesseur d’aujourd’hui, Abdelkader Messahel autodidacte arabe dont les détracteurs algériens fustigent le français grossier et l’arabe primaire. L’étranger, surtout, reprochait à Messahel son soutien dès juillet 2017 à la politique de fermeté face à l’immigration illégale, mise en oeuvre par le premier ministre Ahmed Ouyahia devant l’accroissement subit des flux d’origine subsaharienne, la menace de leur transformation en une route clandestine massive vers la France, et dernièrement l’apparition d’une composante arabe islamiste en marge de ces flux. Accessoirement le Maroc lui reprochait sa dénonciation du premier narco-Etat au monde (en réalité après l’Afghanistan). Le premier ministre kabyle Ahmed Ouyahia a été démissionné, selon le souhait de tous les appareils internationaux, uniopéens et crypto-gouvernementaux qui lui reprochaient depuis sa nomination en 2017 son combat contre l’immigration clandestine, d’ailleurs soutenu par la population algérienne. Il est remplacé par l’Arabe anti-kabyle Noureddine Bedoui, apparatchik issu de l’administration préfectorale et ministre de l’Intérieur du gouvernement Ouyahia, chouchou des chancelleries occidentales et dont le mérite principal est d’avoir régulièrement manifesté son opposition à la politique de lutte contre l’immigration clandestine, et d’avoir lancé un recensement national vraisemblablement destiné à une régularisation massive.

Enfin, en marge du gouvernement, le président a aussi nommé, pour piloter la conférence nationale constituante, l’islamiste arabe Lakhdar Brahimi, haut fonctionnaire de l’ONU, ancien secrétaire général adjoint de l’ONU et de la Ligue Arabe, plusieurs fois représentant spécial du Secrétaire Général de l’ONU, membre du comité des Elders (chibanis) pour la Paix de l’ONU, grand pourfendeur de la souveraineté des Etats, et dont la mission impossible et hypocrite en Syrie ne lui a pas permis de faire valoir les talents de conciliation que nécessitent la convocation d’Etats Généraux en Algérie. Sa nomination ressemblerait presque à une mise sous tutelle internationale de l’Algérie en crise provoquée.

Lundi 11 mars, le pouvoir politique algérien semble avoir abdiqué sa souveraineté et ses frontières et mis le pays sous contrôle étranger en croyant éviter la déstabilisation qui entre en phase finale. Deux-tiers des Algériens d’aujourd’hui n’ont pas connu la guerre civile islamique des années quatre-vingt-dix et ignorent où va leur pays.

 

 

La description du pays « sapin » présentée en pages 93 à 100 du Septième Scénario de Stratediplo (www.lulu.com/fr/shop/stratediplo/le-septième-scénario/paperback/product-22330739.html) peut être utile à la compréhension des forces, faiblesses et capacités actuelles de l’Algérie.

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Trump veut que les alliés otaniens des US rapatrient leurs ressortissants capturés au cours des opérations anti-terroristes menées par les mandataires des USA. Ils pourront alors être jugés ou réintégrés à la société, au choix de chaque pays.

Cette exigence fait l’objet d’une forte levée de boucliers de la part de ces pays, qui craignent les réactions de leurs populations à voir l’argent du contribuable dépensé à cela, alors qu’il ne coûterait rien de les laisser croupir au Moyen-Orient jusqu’à la fin de leurs jours. Le sentiment populiste croissant sur le continent européen complique la tâche aux gouvernements, et même aux plus euro-libéraux d’entre eux comme en Allemagne, dans la mise en pratique de leurs principes infamants, chose dont les USA sont bien conscients et qu’ils exploitent à des fins politiques.

Toute rhétorique « droit-de-l’hommiste », de « liberté » ou de « justice » mise à part, les USA et leurs alliés régionaux pourraient facilement tuer les suspects de terrorisme, ou les garder prisonniers ad vitam æternam dans une quelconque forteresse au cœur du désert, mais Trump tient à mener tambour battant son opération de « légitimité démocratique », en donnant à ces suspects une « chance équitable » pour l’avenir, consistant à laisser leur gouvernement statuer sur leur sort. Faute de quoi, il a funestement fait allusion sur Twitter à une possible libération de ces suspects de leur emprisonnement, et à la possibilité qu’ils s’« infiltrent en Europe » – de quoi mettre l’Union Européenne face à un dilemme sans précédent : ou bien elle souscrit aux exigences de Trump, en opposition avec le sentiment populiste de ses habitants, ou bien elle met en risque la sécurité de ses habitants en laissant les USA libérer ces suspects, ce qui lève le risque de voir mener des attentats terroristes dans leurs pays d’origine dans quelque temps.

Il s’agit d’un scénario perdant sur tous les tableaux pour l’UE, qui se voit ainsi manipulée dans les grandes longueurs par Trump : une revanche pour lui avoir résisté au cours des deux années écoulées. Le Président connaît parfaitement la terrible réputation de son pays à l’étranger, et se fiche souverainement de se voir cyniquement accusé de laisser des terroristes rentrer en Europe. Il pourra toujours jouer l’ingénu, en affirmant que les USA ne contrôlent pas pleinement leurs mandataires en Syrie, et n’ont donc pas la main sur le sort de ces prisonniers, et que les USA n’ont pas les moyens d’assurer la garde de ces prisonniers sans limite de temps. En fin de compte, les USA indiquent tout simplement que le sort de ces combattants n’est plus leur problème et ne relève plus de leur responsabilité, et que l’Union Européenne peut agir de manière responsable en les rapatriant, ou attendre qu’ils reviennent d’eux-mêmes si elle ne prend pas cette responsabilité.

Dans tous les cas, les USA encouragent ici indirectement la montée du sentiment populiste anti-gouvernemental en Europe, à quelques mois des élections du Parlement européen en mai 2019 ; la stratégie est ici de peser dans l’équilibre politique du continent, en favorisant les mouvances euro-réalistes montantes en Europe du Sud et du Centre, au détriment des euro-libéraux encore au pouvoir en Europe occidentale. Coïncidence du calendrier, cette demande de rapatriement des terroristes est très propice à peser sur ces élections, mais les USA ont bel et bien l’intention de l’exploiter comme arme à leurs propres fins. Comme le dit le proverbe, « quand on veut, on peut », et Trump prouve ici qu’il ne reculera pas pour obtenir sa revanche de l’UE d’avoir refusé ses politiques commerciales et de sécurité, quand bien même cela faciliterait le retour de terroristes sur le continent.

Andrew Korybko

 

Article original en anglais : Trump’s Not Shy About His Plan To Ship Syrian-Based Terrorists Back To Europe, Oriental Review, le 25 février 2019.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Sputnik News le 22 février 2019.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

Photo en vedette : Des hommes ayant fui les territoires tenus par l’EI attendent leur interrogatoire par l’armée kurde

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

 

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On peut mesurer à quel point l’attitude de la communauté internationale à l’égard d’Israël s’est complètement inversée au cours des cinquante dernières années en étudiant le sort d’un simple mot : « sionisme ».

En 1975, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, le monde entier se dissociait de la position des États-Unis et de l’Europe pour déclarer que le sionisme, l’idéologie fondatrice d’Israël, « est une forme de racisme et de discrimination raciale ».

Les publics occidentaux ont en général été choqués par ce vote. Le sionisme, leur avait-on dit et répété, était un mouvement de libération nécessaire pour le peuple juif après des siècles d’oppression et de pogroms. Sa création, Israël, était simplement le redressement de terribles torts qui avaient culminé dans les horreurs de l’Holocauste.

Mais le sionisme semblait très différent aux yeux des pays du monde qui avaient été exposés à des siècles de colonialisme européen et à l’avènement plus récent de l’impérialisme américain.

La longue histoire de crimes contre les Juifs qui a conduit à l’établissement d’Israël s’est principalement déroulée en Europe. Et pourtant, c’est l’Europe et les États-Unis qui ont parrainé et facilité l’arrivée de Juifs dans la patrie d’un autre peuple, loin de leurs propres côtes.

Aux yeux des pays du Sud, les grandes purges de Palestiniens indigènes menées par les Juifs européens en 1948 et en 1967 ne faisaient que rappeler la purification ethnique menée par des Européens blancs contre des peuples autochtones aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud.

Un anachronisme colonial

En 1975, au moment du vote de l’ONU, il était clair qu’Israël n’avait aucune intention de restituer aux Palestiniens les territoires occupés qu’il avait saisis huit ans plus tôt. Bien au contraire, Israël renforçait l’occupation en transférant illégalement sa propre population civile dans les territoires palestiniens.

Sur une grande partie du globe, ces colons juifs ressemblaient à un anachronisme, une réminiscence des « pionniers » blancs se dirigeant vers l’ouest à travers les terres prétendûment vides des États-Unis ; des fermiers blancs qui accaparèrent de vastes étendues de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie comme leur propriété privée ; et des nouveaux venus blancs qui ont parqué les résidus des peuples autochtones de l’Australie dans des réserves ou les ont transformés en un spectacle de foire dans leurs sites touristiques.

La résolution de l’ONU affirmant que « Le sionisme est une forme de racisme » a duré 16 ans – jusqu’à la chute de l’Union soviétique et l’émergence des États-Unis en tant que seule superpuissance mondiale. Après de nombreuses intimidations et pressions diplomatiques de la part de Washington, comprenant la promesse qu’Israël s’engagerait dans un processus de paix avec les Palestiniens, la résolution 3379 a finalement été révoquée en 1991.

Des décennies plus tard, le pendule a basculé de manière décisive dans l’autre sens.

Les élites américaines et européennes ont quitté leur position défensive d’autrefois qui affirmait que le sionisme n’est pas du racisme. Maintenant, elles sont passés à l’offensive. Elles présument que l’antisionisme – la position de la majorité de la communauté internationale il y a 44 ans – est synonyme de racisme.

Ou plus précisément, il est de plus en plus admis que l’antisionisme et l’antisémitisme sont les deux faces d’une même pièce.

Système de type Apartheid

Cette tendance s’est consolidée la semaine dernière lorsque Emmanuel Macron, le Président français centriste, est allé plus loin que la simple réitération de sa confusion entre l’antisionisme et l’antisémitisme. Cette fois, il a menacé d’interdire l’antisionisme en le pénalisant.

L’amalgame de Macron entre antisionisme et antisémitisme est manifestement absurde.

L’antisémitisme fait référence à la haine des Juifs. C’est de la bigoterie et de l’intolérance, purement et simplement.

L’antisionisme, en revanche, est une opposition à l’idéologie politique du sionisme, un mouvement qui a insisté sous toutes ses formes politiques pour donner la priorité aux droits des Juifs à une patrie par rapport à ceux, les Palestiniens, qui y vivaient déjà.

L’antisionisme n’est pas un racisme contre les Juifs ; c’est une opposition au racisme des Juifs sionistes.

Bien sûr, un antisioniste peut aussi être antisémite, mais il est plus probable qu’un antisioniste professe sa position pour des raisons pleinement rationnelles et éthiques.

Cela a été rendu encore plus clair l’été dernier lorsque le Parlement israélien a adopté une loi fondamentale définissant Israël comme l’État-nation du peuple juif (PDF). La loi affirme que tous les Juifs, même ceux qui n’ont aucun lien avec Israël, y jouissent d’un droit à l’autodétermination dont tous les Palestiniens sont privés, y compris le cinquième de la population israélienne qui est palestinienne et détient la citoyenneté israélienne.

En d’autres termes, la loi crée deux statuts en Israël – et, de manière implicite, dans les territoires occupés également – sur la base d’un système de classification ethno-religieux imposé qui octroie à tous les Juifs des droits supérieurs à tous les Palestiniens.

Sur le plan constitutionnel, Israël applique explicitement un système juridique et politique assimilable à celui de l’Apartheid, un système encore plus complet que celui de l’Afrique du Sud. Après tout, les dirigeants sud-africains de l’Apartheid n’ont jamais prétendu que leur pays était la patrie de tous les blancs.

Criminaliser le BDS

La menace de Macron d’interdire l’antisionisme est le prolongement logique des mesures existantes en Europe et aux États-Unis visant à pénaliser ceux qui soutiennent BDS, le mouvement croissant de solidarité internationale avec les Palestiniens qui appelle au boycott, au désinvestissement et à des sanctions contre Israël. (BDS).

De nombreux membres du mouvement BDS, mais pas tous, sont antisionistes. Une proportion d’entre eux est constituée de Juifs antisionistes.

Le mouvement non seulement saute par-dessus les décennies de complicité des élites politiques occidentales à l’oppression des Palestiniens par Israël, mais souligne l’ampleur de cette complicité. C’est une des raisons pour lesquelles il est tellement honni par ces élites.

La France est allée plus loin que tous les autres dans cette direction en criminalisant le BDS en tant que forme de discrimination économique. Elle assimile ainsi un État, Israël, à un groupe ethnique, les Juifs, exactement comme les antisémites.

Une telle législation a autant de sens que la France interdisant, dans les années 80, le boycott de l’Afrique du Sud de l’Apartheid au motif qu’elle constituerait une discrimination à l’égard des blancs.

Les lobbyistes israéliens en action

La France, cependant, est simplement en tête de ce mouvement. Aux États-Unis, quelques 26 États ont promulgué des lois punissant ou sanctionnant les individus et les organisations favorables au boycott d’Israël. Une législation similaire est en cours de promulgation dans 13 autres États.

Aucun d’entre eux ne semble préoccupé par le fait de violer les droits Américains si précieux garantis par le Premier amendement, et de faire une exception au droit à la liberté d’expression dans un cas seulement – celui d’Israël.

Ce mois-ci, le Sénat américain s’est joint à la mêlée en adoptant un projet de loi incitant les États à infliger des sanctions économiques aux personnes qui soutiennent le boycott d’Israël.

Ces victoires contre le mouvement non-violent BDS sont le résultat des efforts vigoureux et malveillants déployés dans les coulisses par les lobbyistes israéliens pour assimiler l’antisionisme et l’antisémitisme.

Alors que la position d’Israël aux yeux des publics occidentaux s’est effondrée avec l’avènement des réseaux sociaux, avec la diffusion d’innombrables vidéos de la violence perpétrée par l’armée israélienne et les colons filmées par les caméras des téléphones portables, et la famine imposée à Gaza par Israël, les lobbyistes pro-israéliens ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour qu’il soit de plus en plus difficile de dénoncer Israël.

Redéfinition de l’antisémitisme

Leur coup d’État a été la récente acceptation généralisée en Occident d’une redéfinition de l’antisémitisme qui le confond volontairement avec l’antisionisme.

Les empreintes digitales d’Israël maculent les travaux de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Il n’est donc guère surprenant que la définition longue et vague de l’antisémitisme élaborée par l’IHRA ait été complétée par 11 exemples, dont 7 se rapportent à Israël.

Un exemple, affirmant qu’Israël est une « entreprise raciste », suggère que les 72 États membres de l’ONU qui ont voté pour la résolution de 1975 intitulée « Le sionisme est une forme de racisme », de même que les 32 États qui se sont abstenus, ont eux-mêmes épousé –ou fermé les yeux sur – l’antisémitisme.

Les gouvernements occidentaux, les autorités locales, les partis politiques et les organismes publics s’empressent maintenant d’adopter la définition de l’IHRA.

Le résultat a été une peur croissante au sein des publics occidentaux à propos de ce que l’on peut encore dire sur Israël sans susciter des accusations d’antisémitisme.

C’est bien là le but. Si les gens ont peur que d’autres pensent qu’ils sont antisémites parce qu’ils ont critiqué Israël, ils se tairont, laissant à Israël une plus grande marge de manœuvre pour commettre des crimes contre les Palestiniens.

Le trope de la « haine de soi juive »

Si Macron et l’IHRA avaient raison – à savoir que l’antisionisme et l’antisémitisme seraient indistincts – nous aurions alors à accepter des conclusions très gênantes.

L’une serait que les Palestiniens sont systématiquement condamnés comme antisémites car ils revendiquent leur propre droit à l’autodétermination. Autrement dit, il serait impossible pour les Palestiniens de revendiquer les mêmes droits que les Juifs dans leur propre pays sans que cela soit déclaré raciste. Bienvenue à Alice de l’autre côté du miroir.

Une autre conclusion serait qu’une proportion importante de Juifs à travers le monde, ceux qui s’opposent à l’auto-définition d’Israël comme « État juif », sont également des antisémites, contaminés par une haine irrationnelle de leurs semblables Juifs. C’est le trope du « Juif qui se hait lui-même » sur lequel Israël s’appuie depuis longtemps pour discréditer les critiques émises par des Juifs [Noam Chomsky, Norman Finkelstein, Shlomo Sand, etc.].

De ce point de vue, les Juifs qui veulent que les Palestiniens jouissent des mêmes droits que ceux que les Juifs revendiquent pour eux-mêmes au Moyen-Orient sont racistes – et pas seulement cela, mais racistes contre eux-mêmes.

Et si les efforts de Macron pour criminaliser l’antisionisme s’avéraient fructueux, cela signifierait que Palestiniens et Juifs pourraient être punis – voire même emprisonnés – pour avoir exigé l’égalité entre Palestiniens et Juifs en Israël.

Aussi grotesque que ce raisonnement puisse sembler lorsqu’on l’exprime en des termes si explicites, des acteurs en l’Europe et aux États-Unis acceptent facilement de telles approches pour lutter contre l’antisémitisme.

L’ampleur de cette folie est évidente dans la décision de la banque allemande Bank für Sozialwirtschaft, ou Banque pour l’économie sociale, de clore le compte d’un groupe juif antisioniste, La voix juive pour une paix juste au Moyen-Orient, à cause de son soutien au boycott d’Israël. C’était la première fois qu’une banque allemande fermait le compte d’une organisation juive depuis les Nazis.

La banque a pris cette mesure après avoir reçu des plaintes selon lesquelles La voix juive pour une paix juste au Moyen-Orient était antisémite de la part du centre Simon Wiesenthal, un groupe qui dissimule son soutien fervent à Israël par sa campagne en faveur des droits des Juifs.

Amalgamer la gauche et l’extrême droite

L’antipathie de Macron à l’égard de l’antisionisme – partagée par beaucoup d’autres qui cherchent à le confondre avec l’antisémitisme – a une cause explicite et une cause plus voilée. Les deux sont liées à la crise politique à laquelle il est confronté. Après deux ans au pouvoir, il est le président le plus impopulaire de l’histoire de la République.

Selon Macron, la montée de l’antisionisme, ou plus généralement l’opposition croissante à Israël, grossit les rangs de ceux qui veulent faire du mal aux Juifs en France, que ce soit par des attaques, par la griffonnage de croix gammées sur des tombes juives ou par la pollution du discours public, en particulier sur les réseaux sociaux.

Deux groupes que lui et les groupes de pression juifs français ont identifiés comme étant au cœur du problème sont les musulmans français, souvent considérés comme des immigrants récents qui importeraient avec eux des attitudes supposément racistes à l’égard des Juifs propres au Moyen-Orient, et des gauchistes laïques qui sont à l’avant-garde du soutien pour BDS.

Bien qu’un tout petit nombre de musulmans français ait adopté des positions extrémistes, la grande majorité ressent une hostilité envers Israël en raison de son rôle dans le déplacement et l’oppression des Palestiniens. Ce sentiment est également dominant chez les activistes de BDS.

Mais Macron et le lobby laissent entendre que ces deux groupes antisionistes sont en réalité étroitement alignés sur les groupes antisémites d’extrême droite et néonazis, quelles que soient leurs différences évidentes quant à l’idéologie et à l’attitude vis-à-vis de la violence.

Le flou entretenu par Macron entre l’antisionisme et l’antisémitisme vise à semer le doute sur ce qui devrait constituer une distinction évidente entre ces trois circonscriptions idéologiques très différentes.

Macron le prestidigitateur

Le tour de passe-passe de Macron s’inscrit toutefois dans un ordre du jour connexe et intéressé, comme le montre clairement l’abus plus général – ou usage comme une arme – des insultes antisémites en Europe et aux États-Unis.

Macron est confronté à une révolte populaire connue sous le nom des « Gilets jaunes », qui envahit les rues principales depuis de nombreux mois. Les manifestations ébranlent son gouvernement.

À l’instar d’autres insurrections populaires récentes, telles que le mouvement Occupy Wall Street, les Gilets Jaunes n’ont pas de dirigeants et leurs revendications ne sont pas univoques. Ce mouvement représente davantage une humeur, un mécontentement généralisé à l’égard d’un système politique déconnecté du quotidien des habitants, et qui, depuis la crise financière survenue il y a dix ans, est apparu chroniquement défaillant et irréformable.

Les Gilets Jaunes incarnent un grief qui recherche désespérément à se frayer un chemin vers une nouvelle étoile politique, une vision différente et plus juste de la manière dont nos sociétés pourraient être organisées.

Le manque d’articulation même du mouvement a été son pouvoir et sa menace. Ceux qui sont frustrés par les politiques d’austérité, ceux qui sont en colère contre une élite politique et financière arrogante et qui ne réagit pas à leurs demandes, ceux qui aspirent à un retour à un sens plus clair de la Francité peuvent tous chercher refuge sous sa bannière.

Mais cela a également permis à Macron et à l’élite française de projeter sur les Gilets jaunes toutes sortes de motivations malveillantes qui servaient au mieux leurs efforts de diabolisation du mouvement. Des accusations que les porte-parole du mouvement rejettent en bloc.

Et compte tenu de la marée montante des mouvements nativistes et d’extrême droite à travers l’Europe, il a été difficile pour le Président français, dans son grand désarroi, de résister à la tentation de lancer l’accusation d’antisémitisme contre les Gilets jaunes.

De même que Macron a présenté les militants de gauche et antiracistes soutenant BDS comme étant de mèche avec les néonazis, il a mis les Gilets jaunes et les nationalistes blancs d’extrême droite dans le même sac. La plupart des médias français ont recyclé cette calomnie avec joie.

L’amour des centristes pour l’autorité

Pour ceux qui croiraient que les dirigeants centristes tels que Macron sont mus non par un intérêt politique impudent, mais par souci d’éliminer les préjugés et de protéger une communauté vulnérable, il convient de faire une pause pour examiner les recherches récentes sur les attitudes politiques à l’échelle mondiale.

L’année dernière, le New York Times a publié un commentaire de David Adler montrant que contrairement à la sagesse populaire, les centristes étaient en moyenne nettement moins investis dans la démocratie que l’extrême gauche et l’extrême droite. Ils étaient moins favorables aux droits civils et aux « élections libres et équitables ».

Ces tendances étaient particulièrement prononcées aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, en Australie et en Nouvelle-Zélande, mais étaient manifestes dans de nombreuses autres démocraties libérales occidentales.

De plus, dans la plupart des pays occidentaux, y compris la France, le soutien pour un homme fort et pour l’autoritarisme était beaucoup plus fort chez les centristes qu’à l’extrême gauche. Les centristes britanniques et américains ont également dépassé l’extrême droite dans leur attachement pour les figures autoritaires.

Adler a conclu : « L’appui en faveur d’élections ‘libres et équitables’ diminue au centre de l’échiquier politique de chaque pays étudié. La taille de l’écart centriste est frappante. Dans le cas des États-Unis, moins de la moitié des individus du centre politique considèrent les élections comme essentielles. […] Les centristes […] semblent préférer un gouvernement fort et efficace à une politique démocratique vectrice de désordre. »

La mainmise des lobbyistes

Il n’est donc peut-être pas surprenant que des dirigeants centristes tels que Macron soient parmi les plus disposés à se désengager d’un débat juste et ouvert, à dénigrer leurs adversaires et à estomper aisément les distinctions idéologiques entre ceux qui se trouvent à leur gauche et à leur droite.

De même, les partisans du centrisme sont les plus susceptibles de boire comme du petit lait les accusations infondées d’antisémitisme au service du maintien d’un statu quoqu’ils perçoivent comme leur étant bénéfique.

Dernièrement, ce processus est à l’œuvre de manière frappante en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

Pendant des décennies, les centristes à Washington ont dominé la politique des deux côtés d’un prétendu clivage politique. Et un problème qui a bénéficié d’un soutien bipartisan particulièrement fort aux États-Unis est le soutien à Israël.

La raison de l’étroit consensus de Washington sur toute une série de questions, y compris Israël, a été la mainmise sur le processus politique américain de l’argent des entreprises et des lobbyistes rémunérés.

Les lobbies préfèrent opérer dans l’ombre, exerçant une influence hors de la vue du public. Cependant, dans le cas d’Israël, le lobby est devenu de plus en plus visible pour le public, et sa défense farouche d’Israël est de plus en plus difficile à maintenir, les abus à l’encontre des Palestiniens étant constamment diffusés sur les médias sociaux.

Cela, à son tour, a stimulé la croissance du mouvement BDS, et d’une nouvelle vague, bien que modeste, de politiciens rebelles.

Ilhan Omar attaquée

Ilhan Omar, membre musulmane du Congrès américain, a montré la manière dont le système en place cherchait à dompter les bizuts rebelles après son Tweet dénonçant un fait évident : le groupe de pression pro-israélien AIPAC – comme d’autres lobbyistes – utilise son argent pour imposer l’orthodoxie politique à Washington dans son domaine de prédilection. Ou, comme elle l’a dit, « Tout est à cause des Benjamins » – terme d’argot pour désigner les billets de 100 dollars, sur lesquels figure un portrait de Benjamin Franklin.

Elle a rapidement été submergée par un torrent d’affirmations selon lesquelles son commentaire était une preuve d’antisémitisme. Elles venaient de tout le prétendu spectre politique, des hauts représentants de son propre parti démocrate au Président Trump. Écrasée par les critiques, elle a présenté ses excuses.

Omar a justifié ce rétropédalage en affirmant qu’il incombait aux Juifs de décider de ce qui est antisémite. À une époque de politique identitaire rampante, cela peut sembler superficiellement plausible. Mais en vérité, ce propos n’a aucun sens.

Même si une nette majorité de Juifs pensait réellement que critiquer Israël ou ses lobbyistes était antisémite – une hypothèse extrêmement douteuse – ils ne jouissent pas du droit spécial ou exclusif de déterminer cela.

Israël opprime les Palestiniens, comme cela a été très largement documenté. Nul n’a le droit de revendiquer la supériorité morale en tant que victime du racisme lorsqu’il utilise ce piédestal pour faire obstruction à l’examen des crimes perpétrés par Israël contre les Palestiniens. Penser le contraire reviendrait à donner la priorité à la défense des Juifs face à un racisme éventuel sur les innombrables preuves de racisme concrètes d’Israël à l’encontre des Palestiniens.

Mais plus précisément, les excuses d’Omar supposent que les Juifs dont les voix portent le plus – c’est-à-dire ceux qui ont les plus grandes plateformes et le plus d’argent – représentent tous les Juifs. Cela rend la communauté juive américaine organisée, dont le soutien vigoureux pour Israël s’est révélé inébranlable – alors même que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a poussé le pays à l’extrême droite – l’arbitre de ce que pensent l’ensemble des Juifs.

En fait, cela va encore plus loin. Cela revient à décréter que c’est au lobby israélien lui-même qu’il revient de déterminer s’il existe un lobby israélien. Cela donne au lobby la permission de se soustraire entièrement aux regards, permettant à son influence de devenir encore plus enracinée et opaque.

Omar est loin d’être seule. D’autres critiques éminents d’Israël, souvent des Noirs, se sont vus stigmatisés par l’accusation d’antisémitisme à cause de leurs critiques contre Israël. Dernièrement, ce fut le cas de Marc Lamont Hill et Angela Davis.

L’écoulement incessant d’accusations selon lesquelles elle exprimerait des « tropes antisémites » lorsqu’elle s’exprime vise à contraindre Ilhan Omar de commencer à s’autocensurer, de devenir aussi « modérée » que ses collègues politiciens, et d’adhérer au consensus bipartisan selon lequel il faut laisser Israël continuer à maltraiter les Palestiniens impunément.

Si elle ne le fait pas, on présume qu’elle sera finie politiquement, et sera exclue par la bureaucratie de son propre parti ou par les électeurs.

Corbyn sur la défensive

Ce processus est beaucoup plus avancé en Grande-Bretagne, où une campagne concertée et de longue haleine vise à stigmatiser Jeremy Corbyn par des accusations d’antisémitisme depuis qu’il est devenu chef du Parti Travailliste il y a plus de trois ans.

Corbyn est à la fois un retour à la tradition socialiste britannique qui a été liquidée par Margaret Thatcher au début des années 1980 et un fervent partisan de la cause palestinienne. En fait, il s’agit d’une anomalie majeure : un politicien européen à la portée du pouvoir qui donne la priorité au droit des Palestiniens à obtenir justice face à la politique israélienne d’oppression des Palestiniens.

Le lobby israélien a beaucoup à craindre de lui en ce qui concerne le changement du climat politique en Europe vis-à-vis d’Israël.

Au Royaume-Uni, le Parti conservateur au pouvoir a viré implacablement vers la droite au cours des dernières décennies, laissant le Parti travailliste au parlement occuper le terrain centriste qui avait été façonné pour lui sous la direction de Tony Blair dans les années 1990.

Bien que bénéficiant d’un énorme soutien parmi les membres du Parti travailliste qui l’ont propulsé au poste de dirigeant, Corbyn est en guerre avec la plupart de ses députés. Les centristes y ont utilisé l’antisémitisme comme une arme avec joie de manière à nuire à Corbyn et aux centaines de milliers de membres qui le soutiennent, tout comme l’a fait Macron contre ses propres opposants politiques.

Les propres députés de Corbyn l’ont publiquement accusé de se livrer à un « antisémitisme institutionnel » au Parti travailliste, voire d’être lui-même antisémite.

Ils l’ont fait bien que toutes les preuves suggèrent qu’il y a très peu d’antisémitisme parmi les membres du Parti travailliste – et moins que dans le Parti conservateur au pouvoir. Cependant, grâce à Corbyn, les membres du Parti travailliste se sont sentis libres de critiquer Israël bien plus ouvertement.

L’apaisement échoue

Ce mois-ci, un groupe de huit députés travaillistes a rompu avec le parti pour constituer une nouvelle faction, le Groupe indépendant, invoquant le prétendu « problème d’antisémitisme » du mouvement comme l’une des principales raisons de leur rupture. Soulignant leur programme centriste, trois députés conservateurs « modérés » se sont joints à eux, opposés à la ligne dure du Premier ministre Theresa May pour la sortie de l’Union européenne, connue sous le nom de Brexit. D’autres députés des deux côtés vont peut-être les rejoindre.

En réponse, l’adjoint de Corbyn, Tom Watson, un autre centriste, a soutenu les transfuges et dénigré les membres de son propre parti, réitérant les allégations d’une crise d’antisémitisme au sein du Parti et affirmant qu’il était temps de déraciner ce mal.

Corbyn a tenté à plusieurs reprises d’apaiser les centristes, ainsi que les groupes et lobbys pro-israéliens au Royaume-Uni, qu’il s’agisse de membres de son Parti comme les Amis travaillistes d’Israel et le Mouvement travailliste Juif, ou de l’extérieur, comme le Conseil des députés, le BICOM (Centre de communication et de recherche israélo-britannique) et la Campagne contre l’antisémitisme.

Malgré l’opposition apparente de ses membres, le Parti travailliste a même accepté la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, y compris les exemples destinés à protéger Israël des critiques – mais en vain.

En réalité, plus Corbyn a cédé aux critiques, plus ses critiques ont claironné le prétendu problème d’antisémitisme dans le Parti travailliste.

Corbyn apprend lentement, comme d’autres aux États-Unis et en Europe, qu’il ne s’agit pas d’un désaccord de bonne foi et qu’il n’y a pas de juste milieu.

L’industrie de la calomnie et de la diffamation ne veut pas une protection contre l’antisémitisme, elle veut un retour à une culture politique dans laquelle son pouvoir restait sans rival et n’était jamais soumis à l’examen.

Pour le lobby israélien, cela signifie la renaissance d’un climat politique qui existait avant le discrédit du processus d’Oslo, lorsque les critiques d’Israël étaient publiquement rejetées et les Palestiniens traités principalement comme des terroristes.

Pour les centristes, cela nécessite l’enracinement d’une politique managériale et néolibérale dans laquelle les grandes entreprises et industries et la finance ont toute liberté pour dicter leurs politiques économiques et sociales, et où leurs échecs sont compensés sans aucune question par le public par le biais de programmes d’austérité.

Il s’agit d’un pacte impossible et dans lequel les Juifs sont utilisés pour huiler les roues des politiques défaillantes, impuissantes et de plus en plus autoritaires du centre.

Jonathan Cook

Article original en anglais : France’s Macron leads the way as western leaders malevolently confuse anti-Zionism with antisemitism, jonathan-cook.net, le 27 février 2019

Traduit par Sayed Hasan

Photo en vedette : Macron au Mémorial de la Shoah

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Washington a annoncé lundi soir qu’il retirait tout le personnel de son ambassade à Caracas. Cela pourrait bien indiquer des préparatifs d’intervention militaire directe des États-Unis pour mener à son terme l’opération prolongée de changement de régime visant le Venezuela.

« Cette décision reflète la détérioration de la situation au Venezuela ainsi que la conclusion que la présence du personnel diplomatique américain à l’ambassade est devenue une contrainte à la politique des États-Unis », a déclaré dans un communiqué le secrétaire d’État Mike Pompeo.

Interrogé lors d’une conférence de presse mardi, Elliott Abrams, l’envoyé spécial de l’administration Trump pour le changement de régime au Venezuela, a déclaré qu’il était « prudent de retirer ces personnes », car leur présence rendait « plus difficile aux États-Unis de prendre les mesures qui s’imposent pour soutenir le peuple vénézuélien ».

A la question de savoir si on préparait une intervention militaire et si le gouvernement Maduro devait considérer la déclaration de Pompeo comme une menace, Abrams, un ancien fonctionnaire du département d’État sous Reagan, a répondu qu’il allait continuer « à dire, car c’est vrai, que toutes les options sont sur la table ». Dans les années 1980, Adams a supervisé de vastes crimes de guerre en Amérique centrale. Il a été condamné pour avoir menti au Congrès sur une opération illégale pour financer la guerre contre le Nicaragua,

Il a refusé de répondre à une question sur les options militaires élaborées par le Pentagone pour une intervention au Venezuela ; il serait « pour [lui] insensé d’aller plus loin » et de préciser la nature de la menace brandie par le gouvernement Trump.

Abrams a également averti de ce que de nouvelles sanctions économiques plus sévères contre le Venezuela étaient en préparation et que des sanctions secondaires, y compris contre la Chine, étaient une autre option qui restait « sur la table ».

Le département d’État américain a aussi lancé un avertissement extraordinaire à l’intention des citoyens américains, les exhortant à ne pas se rendre dans le pays et demandant à ceux qui y séjournaient ou y résidaient de partir.

Ambassade des États-Unis à Caracas

Le Venezuela a rompu ses relations diplomatiques avec les Etats-Unis après que Washington eut fomenté, puis reconnu l’investiture auto-proclamée de Juan Guaidó le 23 janvier comme « président par intérim ». Le législateur de droite et « actif » politique américain de longue date n’avait été installé que peu avant comme président d’une Assemblée nationale contrôlée par l’opposition.

En réaction, le gouvernement de Nicolas Maduro avait ordonné le retrait de tout le personnel diplomatique américain. Les Etats-Unis ont retiré tous les américains à charge et les fonctionnaires « non essentiels », ne laissant en place qu’un effectif minime.

Le gouvernement vénézuélien a réagi avec colère à l’annonce de Pompeo, insistant sur le fait qu’il avait ordonné lundi que tout le personnel américain restant quitte le pays dans les 72 heures. Cela suivait la rupture de pourparlers entre les deux pays sur la création de sections d’intérêts pour maintenir des relations diplomatiques minimes, des ambassades de fait opérant sous la protection d’une puissance tiers.

Pompeo avait annoncé le retrait du personnel américain quelques heures seulement après avoir lancé, à une conférence de presse du Département d’État, une diatribe incendiaire contre le Venezuela et le « socialisme », mais sans rien dire de l’évacuation du personnel de l’ambassade américaine.

Suivant ses notes, Pompeo avait décrit Cuba comme la « véritable puissance impérialiste » du pays et condamné la Russie pour les accords obtenus au Venezuela par sa compagnie pétrolière publique Rosneft et sa fourniture d’équipements militaires au gouvernement Maduro, dont des systèmes portables de défense aérienne.

La diatribe de Pompeo, un ex-député républicain droitier du Kansas, exprimait l’objectif primordial de l’impérialisme américain : une mainmise totale des conglomérats énergétiques basés aux Etats-Unis sur les réserves pétrolières du Venezuela, les plus importantes de la planète. Elle exprimait aussi sa crainte qu’une intervention militaire directe n’ait un coût considérable.

L’escalade des menaces américaines se produit dans le contexte d’un enrayement manifeste de l’opération de changement de régime axée sur la tentative d’imposer au peuple vénézuélien Guaidó comme président « légitime ».

Une tentative visant à entraîner la chute de Maduro par le biais d’une intervention « humanitaire » bidon à la frontière colombienne s’est soldée par un fiasco le 23 février. L’opposition n’a pas réussi à mobiliser un soutien populaire significatif et l’accusation des médias occidentaux que le gouvernement Maduro avait incendié des camions d’« aide » douteuse a été démasquée comme l’acte de bandes organisées par l’opposition de droite qui ont lancé des cocktails Molotov aux forces vénézuéliennes.

L’opération de changement de régime orchestrée par les États-Unis a tenté d’exploiter la panne d’électricité prolongée qui a touché au moins 70 % du pays à partir de jeudi dernier. Les représentants du gouvernement ont déclaré que l’électricité avait été rétablie dans la majeure partie du pays mardi, mais mercredi école et travail furent suspendus pour une quatrième journée consécutive.

Pompeo, Abrams et le sénateur Marco Rubio, un républicain de droite de Floride qui a joué un rôle majeur dans l’élaboration de la politique latino-américaine de l’administration Trump, se sont tous réjouis des souffrances infligées au peuple vénézuélien et de ce que des millions de personnes étaient privées d’eau et de lumière dans 18 des 23 États du pays.

Le gouvernement Maduro a imputé la panne de courant à une cyber-attaque montée par l’impérialisme américain, qui, selon lui, visait le système informatisé du barrage de Guri et a fermé ses turbines. Alors que les responsables gouvernementaux n’ont pas encore présenté de preuves concluantes d’une attaque, Caracas a juré de présenter ces preuves aux Nations-Unies.

D’autres au Venezuela ont déclaré que la panne d’électricité dans tout le pays n’était pas le résultat d’une intervention extérieure, mais plutôt de l’incapacité du gouvernement à investir dans le système électrique du pays et à l’entretenir, et de la perte de personnel technique clé, qui a quitté le pays.

Le secrétaire exécutif de la Fédération des travailleurs de l’industrie électrique, Ali Briceño, a déclaré aux médias qu’une surcharge électrique avait déclenché un incendie qui avait détruit trois lignes à haute tension déclenchant la fermeture du barrage de Guri, et que le personnel formé pour faire face à une telle crise n’était plus là.

Dans un article publié par Forbes, Kalve Leetaru, chercheur au George Washington University Center for Cyber Homeland Security et ancien chercheur et instructeur à l’École pour le service extérieur de l’Université de Georgetown, écrit que le scénario d’un sabotage du réseau électrique véézuélien par les États-Unis était « en fait très réaliste ».

« Les cyber-opérations à distance nécessitent rarement une présence au sol importante, ce qui en fait l’opération d’influence démentable idéale », déclare M. Leetaru. « Compte tenu des préoccupations de longue date du gouvernement américain à l’égard du gouvernement vénézuélien, il est probable que les États-Unis maintiennent déjà une forte présence au sein du réseau d’infrastructure national du pays, ce qui rend relativement simple l’ingérence dans le fonctionnement du réseau. »

« Les pannes généralisées d’électricité et de connectivité, comme celle qu’a connue le Venezuela la semaine dernière, sont aussi directement tirées du manuel cybernétique moderne. Réduire la puissance aux heures de pointe, assurer un impact maximal sur la société civile et plein d’images médiatiques post-apocalyptiques, tout cela s’inscrit parfaitement dans le cadre d’une opération d’influence traditionnelle », poursuit-il

Son article ajoute encore que le réseau électrique vénézuélien vieillissant offrait une cible parfaite pour de telles opérations « puisque le blâme pour les défaillances du réseau incombe généralement aux fonctionnaires du gouvernement pour ne pas avoir supervisé adéquatement cette infrastructure ».

Entre-temps, le budget proposé par l’administration Trump pour l’exercice 2020 comprend 500 millions de dollars pour aider à la « transition démocratique » au Venezuela, dans des conditions où le financement du département d’État pour toute l’Amérique latine devrait être réduit de 27 % pour atteindre seulement 116 millions.

Bill Van Auken

Article paru en anglais, WSWS, le 13 mars 2019

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Dans la dernière édition de la revue Nature, un groupe de 18 scientifiques et éthiciens de sept pays réclame l’instauration d’un moratoire international sur toute modification génétique effectuée sur des cellules reproductrices humaines et des embryons précoces à des fins cliniques, et qui aboutirait à la naissance de bébés génétiquement modifiés. Ce moratoire ne serait toutefois pas permanent, mais devrait rester en vigueur tant et aussi longtemps que la technologie d’édition du génome n’aura pas atteint des niveaux de sécurité et d’efficacité suffisants.

Cet appel à un moratoire et à l’adoption d’un cadre de gouvernance international est lancé quelques mois à peine après que le biophysicien chinois He Jiankui a annoncé la naissance des deux premiers bébés génétiquement modifiés. Chercheur à la Southern University of Science and Technology, de Shenzhen, He Jiankui a expliqué avoir modifié le génome d’embryons venant tout juste d’être formés par fécondation in vitro. Plus précisément, il aurait altéré le gène CCR5 — qui est responsable de la production d’un récepteur que le VIH utilise pour entrer dans les cellules — afin de rendre les individus porteurs de cette modification moins à risque de développer le sida.

Dans un commentaire publié dans Nature, les dix-huit signataires, dont certains ont été impliqués dans la découverte et la mise au point de la technologie Crispr-Cas9, permettant l’édition du génome (Emmanuelle Charpentier et Feng Zhang), son utilisation ainsi que dans l’étude des questions éthiques qu’elle soulève (la Canadienne Françoise Baylis), précisent que le moratoire ne viserait pas les modifications du génome des cellules germinales humaines (ou reproductrices : ovules et spermatozoïdes) effectuées dans le cadre de recherches qui n’impliquent pas le transfert des embryons formés dans l’utérus d’une personne. Le moratoire ne s’appliquerait pas non plus aux modifications du génome des cellules somatiques (non reproductrices) humaines, qui visent à traiter une maladie et qui ne sont pas transmissibles à la descendance contrairement à celles qui sont faites dans les cellules germinales ou dans les cellules des embryons précoces.

Les signataires soulignent également le fait que même si les techniques ont progressé au cours des dernières années, l’édition génomique des cellules germinales n’est pas encore assez sûre et efficace pour autoriser son utilisation en clinique. « Un large consensus prévaut au sein de la communauté scientifique quant au fait que le risque d’échouer à effectuer la modification génétique désirée ou d’introduire des mutations inattendues à l’extérieur de la cible est encore trop élevé pour que l’édition des cellules germinales soit employée en clinique. Beaucoup de recherche doit encore être menée pour résoudre ces problèmes. Aucune application clinique ne devrait être envisagée avant que les conséquences biologiques à long terme pour les individus et l’espèce humaine soient suffisamment comprises », écrivent les auteurs du commentaire.

Quand toutes ces conditions seront remplies, il faudra débattre du possible recours à l’édition génomique des lignées germinales pour certaines applications cliniques particulières. Selon les auteurs, chaque pays pourrait alors décider de la limite à ne pas franchir en matière de modifications génétiques. « Mais ces décisions ne devront pas être prises que par des scientifiques et des médecins, elles devront prévoir la participation de personnes handicapées, de patients et leur famille, de personnes socio-économiquement défavorisées, de membres de groupes marginalisés, de groupes religieux et de la société civile en général ».

Scepticisme

Un éditorial publié dans la même édition de la revue Nature montre un certain scepticisme quant à l’efficacité d’un moratoire, compte tenu du fait que la Chine possède une réglementation qui équivaut à un moratoire national, laquelle n’a visiblement pas fonctionné. L’éditorial insiste néanmoins sur l’urgence d’établir des règles permettant de mieux surveiller l’utilisation de cette technologie sur des cellules germinales humaines, et sur l’importance de procéder à un débat quant à son application en clinique, lequel débat devra inclure la participation de la société dans son ensemble, particulièrement les familles touchées par des maladies génétiques.

Selon Yann Joly, directeur de la recherche au Centre de génomique et politiques (CGP) de l’Université McGill, ce que proposent les auteurs du commentaire de Nature sera extrêmement complexe à mettre en oeuvre. « Je doute que cela puisse se faire rapidement », dit-il.

« L’adoption d’un moratoire mondial par chaque pays sera un processus trop long et qui viendra trop tard compte tenu de la rapidité avec laquelle la technologie progresse », ajoute Bartha Maria Knoppers, directrice du CGP.

Selon Mme Knoppers, « un moratoire crée l’illusion de sécurité, ce qui risque de clore le débat plutôt que de le nourrir ».

Elle préfère l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui annonçait en décembre dernier la création d’un comité d’experts chargés de mettre en oeuvre des normes internationales de gouvernance et de surveillance de l’édition du génome humain.

Pour l’instant, ce comité ne comprend essentiellement que des scientifiques et des bioéthiciens, font remarquer les deux juristes. « Il faudrait qu’il intègre des patients atteints de maladies héréditaires, des personnes ayant des handicaps qui pourraient être affectés par les décisions que devra prendre ce comité », affirme M. Joly.

Mme Knoppers croit que l’OMS pourrait ainsi guider les pays dans ce domaine particulier de l’édition génétique. « Les pays pourraient adhérer à un encadrement international provenant d’une instance liée à la santé, comme l’OMS, qui est assez neutre et qui a une bonne crédibilité », suggère-t-elle.

« Il faut absolument que la technologie soit sécuritaire avant qu’on puisse l’utiliser en clinique. Mais la technologie pourrait se raffiner beaucoup plus rapidement que semblent le croire les auteurs. Et s’il en est ainsi, il faudrait disposer d’un processus qui sera simple à mettre en oeuvre et qui permettra de répondre rapidement aux questions sociales et éthiques », fait valoir M. Joly.

CE QUE DIT LA LOI CANADIENNE

Au Canada, l’édition du génome est illégale, et ce, tant pour des applications cliniques que pour la recherche. La Loi sur la procréation assistée interdit toute modification génétique de la lignée germinale. Selon cette loi fédérale promulguée en 2004, « nul ne peut, sciemment : […] modifier le génome d’une cellule d’un être humain ou d’un embryon in vitro de manière à rendre la modification transmissible aux descendants ». La violation de cette loi peut entraîner une peine pouvant aller d’une amende (jusqu’à 500 000 $) à un emprisonnement (jusqu’à dix ans).

Pauline Gravel

pour Le Devoir

 

 

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Le monde avait suivi pendant huit mois, depuis le sommet de Singapour en juin 2018, les dialogues de paix officiels et officieux des équipes professionnelles de négociation. À mesure que le Sommet approchait, le monde avait l’espoir de voir des résultats positifs. Mais, le monde n’a pas compris ce qui s’est passé; le monde espérait que la faible lumière de paix se transforme en lumière brillante, mais elle est demeurée faible. Le sommet n’a pas marché. Pourquoi?

Un train est parti de Pyongyang très tard au soir du 25 février pour un trajet de 4 000 km vers Hanoi au Vietnam. Dans un grand train blindé vert olive avaient pris place Kim Jong-un et l’équipe complète de négociation qui avaient échangé et travaillé avec leurs homologues américains pendant des mois. C’est un trajet en train long et même dangereux, mais c’est ce qu’a choisi Kim. Il aurait pu prendre l’avion et atteindre Hanoi en à peine 4 heures. Pourquoi a-t-il choisi le train?

Quatre facteurs peuvent expliquer son choix : Kim espérait que sa décision augmenterait les chances de succès du Sommet de Hanoi.

Premièrement, un trajet en train signifiait qu’il s’absenterait de Pyongyang pendant 10 jours. En s’absentant si longtemps, il voulait démontrer au monde qu’il avait le contrôle politique total de son pays et que la population nord-coréenne avait une totale confiance en lui.

Deuxièmement, en prenant la même route qu’avait prise son grand-père, Kim Il-sung il y a plusieurs décennies, il voulait démontrer non seulement au peuple nord-coréen mais aussi au monde sa légitimité politique.

Troisièmement, les trois jours du trajet en train lui ont permis de montrer au monde entier qu’il était un leader «normal» d’un pays «normal».

Quatrièmement, le trajet lui a donné une bonne occasion de rencontrer et de discuter, pendant trois jours, avec tous les gens impliqués dans le processus de dénucléarisation. Ceci a sûrement aidé Kim Jong-un à concevoir une stratégie efficace de négociation face au président des États-Unis, Donald Trump, qui est un interlocuteur très difficile à comprendre.

Tout indique que la longue discussion avec ses conseillers a permis Kim d’espérer des résultats plutôt favorables du Sommet. Il semble que Kim était prêt de démolir les sites nucléaires à Yongbyon. Ces sites sont le cœur de la puissance nucléaire. En retour, Kim espérait voir la levée d’une partie des sanctions imposées à son pays. Kim connaît trop bien les peines, les sacrifices et la souffrance qu’a dû supporter son peuple à cause du développement des armes nucléaires. 

Il y a lieu de croire que Kim avait une certaine confiance en Donald Trump grâce à ses paroles plutôt cordiales. Kim n’aurait jamais pensé que Trump détruirait le Sommet. Maintenant, Kim connait le vrai Trump; Kim sait maintenant qu’il ne peut pas, qu’il ne doit pas avoir totalement confiance en Trump.

J’espère que Kim Jong-un n’est pas découragé. Au contraire, il faut qu’il trouve une stratégie plus compatible avec les tactiques américaines et même un plan alternatif de paix et de prospérité non seulement dans la péninsule coréenne, mais aussi dans la région de l’Asie de l’Est. 

Le présent article comporte trois sections. D’abord, tentons de préciser les ententes conclues entre les équipes de négociations qui devaient être signées par Kim et Trump. Ensuite, on verra pourquoi, le Sommet n’a pas marché. Enfin dans la troisième section, on verra ce qu’il adviendra du processus de paix.

1. Les contenus possibles des ententes préalables

Il paraît que les ententes préalables établies par les négociateurs professionnels comprenaient :

1.1 Les cadeaux de Pyongyang

(1) Le moratoire sur les armes nucléaires. Pyongyang aurait offert un moratoire qui consiste en un non-développement, en une non utilisation, sans essai ni prolifération, des produits nucléaires militaires. Il faut savoir que Kim Jong-un l’avait déjà promis dans son discours de la nouvelle année de 2019.

(2) Kim a proposé de démolir les sites nucléaires de Yongbyon qui représentent 80% de la capacité nucléaires de la Corée du Nord. Autrement dit, c’est une concession majeure de la part de Pyongyang. Washington essaie de minimiser l’importance de ces sites en disant qu’ils ont vieilli. Cependant, il importe de noter que d’après des experts en la matière, la démolition de ces sites pourrait signifier l’irréversibilité de la dénucléarisation. Autrement dit, une fois que ces sites seront démolis, la Corée du Nord ne pourra pas redevenir une puissance nucléaire.

(3) Kim était prêt de se débarrasser d’autres sites nucléaires en fonction du niveau de la levée des sanctions imposées à la Corée du Nord.

1.2 Les cadeaux offerts par Washington

Washington aurait offert :

(1) L’installation de bureaux de liaison à Pyongyang et à Washington. Des bureaux qui faciliteraient la communication entre les deux pays, qui joueraient des rôles importants dans la création d’une confiance mutuelle; ils constitueraient une base pour la normalisation des rapports diplomatiques entre les deux pays.

(2) La réouverture du Complexe Industriels de Gaesung (CIG) et du tourisme dans la région de Kumgang-san auraient fait partie des discussions entre les comités de négociation. La possibilité de la rouvrir le tourisme dans la région de Kumgang-san n’est pas impossible sans nécessairement violer les sanctions moyennant, par exemple, un système qui permettrait de payer les services nord-coréens une fois la sanction levée.

En ce qui a trait au CIG, qui est très lucratif à la fois pour Pyongyang et pour Séoul, sa réouverture devra attendre jusqu’à la levée des sanctions.

(3) La Déclaration de «la Fin de la Guerre de Corée» aurait été considérée comme partie intégrante des ententes préalables. À noter que cette déclaration ne serait qu’une manifestation de la volonté de mettre fin à la guerre, mais elle constituerait une étape importante à franchir avant la signature du traité de paix.

(4) La levée des sanctions. Il y aurait eu entente sur un niveau raisonnable de sanctions. Cependant, le niveau de la levée des sanctions aurait varié selon le modèle choisi de dénucléarisation. Selon le modèle de John Bolton, par exemple, la levée des sanctions vient seulement après la «dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible» (CVID). Il convient de noter que le modèle de Bolton peut signifier la destruction complète d’un pays ; la Corée du Nord ne l’acceptera jamais.

2. Pourquoi l’effondrement du Sommet?

Il semble qu’il y ait au moins six facteurs qui en soient responsables.

2.1 Les désaccords sur le prix des concessions avant les interventions de John Bolton

Pyongyang aurait demandé la levée de cinq résolutions de sanction de l’ONU:2276, 2321, 2371, 2375, 2397.

Ces résolutions portent sur le commerce nord-coréen de ressources naturelles dont le charbon, le fer, le pétrole, le textile, en plus du déploiement outre-mer des travailleurs nord-coréens. Il importe de noter que ces sanctions sont intimement liées à la survie de la population.

La Corée du Nord aurait demandé la levée de ces sanctions en échange de la démolition des sites nucléaires de Yongbyon. 

Kim pensait que la levée de ces cinq sanctions était un prix raisonnable pour l’abandon des sites nucléaires de Yongbyon. Mais, pour Trump, le prix était trop élevé, et c’est une des raisons de l’échec du Sommet.

2.2 Le désaccord sur le prix des concessions après les interventions de John Bolton

Le conseiller de Donald Trump en matière de sécurité nationale John Bolton s’est présenté sans prévenir à la fin de la session étendue du Sommet. D’après l’entente de protocole du Sommet, John Bolton n’était pas supposé intervenir. John Bolton a remis une enveloppe jaune dans laquelle se trouvaient sans doute des exigences additionnelles de Washington. Il est plus que probable que ces exigences contenaient le modèle de CVID, soit le modèle lybien, ce que Kim ne pouvait pas accepter

Le modèle de John Bolton est celui que préfèrent les conservateurs au Japon et en Corée, ainsi que les faucons à Washington. C’est un groupe qui souhaitait l’échec du Sommet et qui souhaite la continuation de la crise nucléaire, car cette dernière apporte des victoires électorales et la richesse venant du commerce des armes.

2.3 La méfiance mutuelle

Lors de la séance du Sommet, Donald Trump a demandé à Kim si ce dernier était au courant de l’existence d’autres sites nucléaires en Corée du Nord. C’était une question humiliante pour Kim. 

Ce dernier était au courant, mais il voulait utiliser cette carte comme moyen de marchandage plus tard. Un tel comportement de Trump pouvait être interprété comme un manque de confiance en Kim, ce qui n’a pas facilité le dialogue entre les deux chefs d’état.

D’ailleurs, le manque de confiance mutuelle a toujours été à la base des relations tendues entre Washington et Pyongyang. Je reviendrai plus tard sur ce problème. Il se peut que ce soit normal, les deux pays étant ennemis depuis 70 ans.

Les médias, les think tanks (en anglais, groupes de réflexion) et l’élite militaire-industrielle à Washington ont l’habitude d’accuser les Coréens du Nord de ne pas être fiables, mais aux yeux des Coréens du Nord, ce sont les Américains qui ne sont pas fiables.

La méfiance des Coréens du Nord s’est intensifiée surtout après l’incident de l’Accord-cadre de l’année 1994. D’après cet accord, le KEDO, un consortium international composé de pays alliés de Washington avait l’obligation de fournir les fonds requis pour la construction de deux centrales nucléaires non militaires, ce que les alliés n’ont pas respecté. En outre, toujours d’après ce même Accord-cadre, Washington avait l’obligation de donner 500 000 tonnes de pétrole à la Corée du Nord, ce qu’il n’a pas fait. 

Washington a justifié la violation des ententes sous prétexte que Pyongyang n’avait pas accompli son devoir d’arrêter toute activité nucléaire militaire. La vérité est que Pyongyang a respecté les ententes. C’est Washington qui a menti. C’est Washington qui ne méritait pas la confiance de Pyongyang. 

2.4 Le facteur Cohen

Il est incroyable de penser que les Démocrates américains aient pu entendre le terrible témoignage de Michael Cohen à propos de Donald Trump au moment précis où ce dernier pensait signer les ententes du Sommet d’Hanoi.

Les révélations de M. Cohen avaient des conséquences trop graves pour qualifier son témoignage de simple coïncidence. Trump lui-même admet que le témoignage été un facteur dans sa décision de ne pas signer les ententes.

Ce qui est certain, c’est que compte tenu de la situation, Trump a calculé que la signature des ententes n’aurait pas de bénéfice politique. 

Au fait, il se peut que le témoignage de Michael Cohen ait été un acte de sabotage empêchant Trump de signer les ententes.

2.5 Le facteur Japon

Il est bien connu que le Japon a un réseau de «lobbying» très bien rodé à Washington; le but de ce lobbying est de perpétuer la crise nucléaire en Corée, car cette dernière a permis au parti politique conservateur du premier ministre japonais Shinzo Abe d’obtenir des victoires électorales successives depuis 60 ans et donner aux conservateurs japonais des occasions d’amasser une fortune provenant du commerce des armes.

John Bolton est un grand ami de Shinzo Abe et des grandes corporations japonaises. Il est bien possible que l’enveloppe jaune qu’a présentée M.Bolton à Donald Trump contenait ce que le Japon a toujours voulu au sujet de la crise nucléaire. 

D’abord, le Japon demande de rouvrir l’enquête sur l’enlèvement d’une douzaine des citoyens japonais par la Corée du Nord dans les années 1970 et 1980. Ensuite, le Japon veut que la Corée du Nord se débarrasse des missiles de moyenne portée. Finalement, il se peut que l’enveloppe jaune ait contenu une demande sur la question des droits de la personne en Corée du Nord.

Ce que demande le Japon ne sera jamais accepté par Kim Jong-un. La question de l’enlèvement des citoyens japonais est un problème qui doit être résolu entre Tokyo et Pyongyang; elle n’a rien à voir avec la dénucléarisation. La démolition de missiles de moyenne portée aura pour effet d’affaiblir sérieusement la capacité nord-coréenne à se défendre. Enfin la question des droits de la personne ne fait pas l’objet de négociation entre Washington et Pyongyang.

Bref, les requêtes du Japon transmises par John Bolton ont certainement joué dans la décision difficile de Kim de ne pas signer les ententes du Sommet.

2.6  Le facteur Trump

Enfin, le facteur le plus important de l’échec du Sommet est le comportement de Donald Trump. Lors de la conférence de presse avant son retour à Washington, Trump a dit:« J’aurais pu signer les ententes, mais je ne l’ai pas fait». Donc, il a admis que c’était lui qui avait causé l’échec du Sommet. Le plus malsain est qu’il n’a prononcé aucun mot de regret et qu’il n’a pas voulu présenter d’excuses à Kim.

C’est donc Donald Trump lui-même qui a saboté le Sommet. Sur ce point, il y a deux articles intéressants  du Global Researchà consulter du Professeur Michel Chossudovsky, daté du 1er mars et de Mike Whitney, daté du 3 mars.

3. Que va-t-il arriver au processus de paix?

L’avenir du processus de paix semble bien sombre à moins que le problème fondamental ne soit résolu, soit le manque de confiance mutuelle.

On sait qu’aux États-Unis, il y a une perception négative très répandue à propos de la Corée du Nord. Non seulement les militaires, les industries de défense nationale, les think tanks, les médias, mais même la population en général croient que la Corée du Nord ne mérite pas qu’on lui fasse confiance. 

D’où vient cette culture de la méfiance à l’égard de la Corée du Nord? Elle vient d’un schéma logique très simple et très dangereux élaboré par des individus et des institutions aux États-Unis, en Corée du Sud et au Japon. Ces individus et ces institutions sont les grands bénéficiaires de la crise nucléaire. 

Le schéma logique commence par l’affirmation que la Corée du Nord est une menace pour le monde, en particulier, pour les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon. Puisqu’elle est une menace, elle est dangereuse. Étant dangereuse, on ne peut pas avoir confiance en elle. Puisqu’on ne peut pas avoir confiance en elle, elle doit être punie soit par des sanctions soit par des attaques militaires.

Bref, la racine de la méfiance est la croyance que la Corée du Nord est une menace globale. Mais quelle partie du monde la Corée du Nord menace-t-elle ?

Il faut se rappeler que la Corée du Nord est un pays minuscule, très pauvre mais très fier. La Corée du Nord peut-elle menacer la Corée du Sud? Elle le pouvait dans le passé, mais, maintenant, elle ne veut pas et elle ne peut pas, car en 2018, le Nord et le Sud ont signé un traité de non-agression.

Est-ce que la Corée du Nord est une menace pour le Japon ? La Corée du Nord n’a aucun intérêt à menacer le Japon. Au contraire, aux yeux de la Corée du Nord, c’est plutôt le Japon qui la menace, et ce danger de menace pourrait s’intensifier au fur et mesure que le gouvernement de Shinzo Abe modifie la Constitution pacifiste du Japon lui permettant d’envahir des pays étrangers. 

Est-ce que la Corée du Nord peut être une menace pour les États-Unis? La position de la Corée du Nord n’a pas changé en ce qui a trait à l’usage des armes nucléaires contre les États-Unis. Elle a toujours maintenu la position qu’elle ne riposterait pas avec des armes nucléaires que si les États-Unis l’attaque.  Les armes nucléaires sont purement un instrument défensif. 

Par ailleurs, même si Pyongyang devait lancer des missiles balistiques intercontinentaux vers le territoire américain, les États-Unis qui dépensent chaque année 700 milliards de dollars pour la défense nationale, pourront surement détruire les missiles nord-coréens avant que ces derniers atteignent le territoire américain.

Il est absurde d’imaginer que la Corée du Nord puisse menacer la Chine ou la Russie.

Bref, la prétention voulant que la Corée du Nord soit une menace pour le monde n’est qu’un prétexte pour la transformer en démon.

Maintenant, si la Corée du Nord n’est plus une menace pour le monde, la question de la méfiance à son endroit ne se pose plus.

Il y a un autre problème relié à la question de la confiance. C’est le rapport entre confiance et mensonge. Quand on dit qu’on ne peut pas avoir confiance en la Corée du Nord, ceci veut dire qu’elle ment. Mais, les États-Unis mentent aussi.

La question intéressante est de savoir qui ment le plus entre la Corée du Nord et les États-Unis. 

Pour répondre à une telle question, il faut examiner les rapports entre le fort et le faible. Il va de soi que les États-Unis sont les plus forts, alors que la Corée du Nord est le plus faible. Lequel des deux ment le plus? La probabilité qu’il y ait mensonge dépend des coûts des mensonges, ces coûts sont déterminés par la sanction imposée pour les mensonges. 

Il est clair que les coûts associés aux mensonges du plus faible sont plus lourds que ceux associés aux mensonges du plus fort, car le faible ne peut pas punir le plus fort. Ainsi, la probabilité que les États-Unis mentent plus que la Corée du Nord est plus grande. 

Ce qui ressort de cette analyse est que l’image atroce de la Corée du Nord fabriquée par les médias, les think tanks et les groupes militaires-industriels est biaisée et faussée. Il est important de voir la vraie image positive de la Corée du Nord. Cette image augmentera la confiance à son égard, et permettra au processus de paix de réussir.

Le Sommet de Hanoi n’a pas fonctionné et nous sommes tous déçus. Cependant, il n’est pas nécessairement un échec sur toute la ligne. Au contraire, il a été utile en ce sens que les deux parties ont appris ce que le partenaire peut faire et ne peut pas faire. 

Surtout Kim Jong-un, un jeune chef d’état qui n’a pas d’expérience en politique internationale, a compris à quel point il est difficile de négocier avec Donald Trump et avec le pays le plus puissant au monde. Kim Jong-un est très déçu et se sent même humilié. 

Mais, il faut qu’il continue à dialoguer avec Washington à la condition, préalable, que les États-Unis veuillent vraiment la paix et qu’ils ne cherchent pas à provoquer un changement de régime en Corée du Nord.

Je tiens à insister sur l’importance de la confiance mutuelle sans laquelle le processus de paix ne peut pas réussir. Supposons que Kim dit qu’il y a 30 bombes atomiques. Si Trump dit qu’il en a 45, la négociation n’ira pas plus loin. C’est en effet ce qui est arrivé à Hanoi.

Il est donc nécessaire que la Corée du Sud et la Corée du Nord investissent des ressources humaines et financières afin de détruire ce mythe de la méfiance à l’endroit de la Corée du Nord. 

Il est également important que le public sache que la crise nucléaire et que la tension entre les deux Corées n’est bénéfique qu’à une minorité de l’élite militaire industrielle aux États-Unis, en Corée du Sud et au Japon. 

Il faut que le public fasse pression sur Trump pour qu’il ait confiance en la Corée du Nord, et qu’il lève les sanctions en échange d’une dénucléarisation «raisonnable».

L’avenir du processus de paix dépend du rôle de médiation du président sud-coréen Moon Jae-in de la Corée du Sud. Il faut rappeler que les deux sommets ont été possibles en grande partie grâce au travail acharné de M. Moon.

Cependant, pour que le travail de Moon Jae-in porte fruit, il faut que Pyongyang et Washington se forcent à faire plus de concessions.

En terminant, je dirais que la Corée du Nord n’acceptera jamais le modèle lybien de dénucléarisation, car il détruit complètement un pays. La Corée du Nord est sincère dans son désir de se débarrasser des armes nucléaires et de développer son économie. Mais, elle n’acceptera jamais les idées de John Bolton d’imposer une dénucléarisation complète d’abord, avant de lever les sanctions, car c’était le modèle imposé à la Lybie.

Si la dénucléarisation imposée par Donald Trump signifie la destruction totale de moyens de défense nationale, Kim Jong-un choisira «His Way» (en anglais, sa façon de faire).

Si cela arrive, Dieu seul sait ce qui va arriver.

Joseph H. Chung

 

 

Professeur Joseph H. Chung est co-directeur de l’Observatoire de l’Asie de l’Est (OAE) – Centre d’Études sur l’Intégration et la Mondialisation (CEIM) -Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est Associé de Recherche du Center for Research on Globalization (CRG).

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Depuis ces derniers mois, une nouvelle polémique enfle et commence à agiter la sphère politico-médiatique européenne : que faire des nombreux ressortissants désignés comme « jihadistes » qui rentrent ou désirent rentrer dans leur pays d’origine après s’être battus contre l’Etat syrien ?

Question sensible qui renvoie au plan sécuritaire autant que juridique, sans oublier l’opinion publique, mais qu’il convient comme toujours, de contextualiser pour tenter d’en comprendre les tenants et aboutissants.

La raison de la question est simple : dans leur guerre frontale mais non-avouée contre la Syrie, les Européens se sont trompés – comme presque chaque fois qu’ils suivent les injonctions américaines – d’alliés, et ne peuvent que constater leur échec. 

En lieu et place d’opter pour dénoncer les manœuvres qui tendaient à déstabiliser le gouvernement de la République arabe syrienne, laisser cette dernière régler ses questions intérieures et en respecter ainsi la souveraineté, ils se sont alignés sur ceux qui voulaient renverser le président Bachar al-Assad, au premier rang desquels les USA en appui à Israël qui poursuit son objectif de semer le chaos dans la région pour diviser les Etats en sous-Etats morcelés, affaiblis, dont la dévastation nécessitera plusieurs générations avant de les remettre à flots, si tant est qu’ils y parviennent. 

Après l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, il était entendu que le tour de la Syrie – farouche et fidèle opposant au régime israélien – était arrivé. Avant celui du Yémen, et de l’Iran programmé mais pas encore activé sur le registre militaire, tant ce dernier Etat a pu anticiper les sordides plans occidentalo-sionistes et représente un défi de taille à quiconque voudrait s’y confronter.

On connaît aujourd’hui l’hypocrisie des cercles politico-médiatiques occidentaux pour travestir la réalité à travers une information contrôlée : les médias dominants entre les mains de quelques milliardaires liés au pouvoir sont passés maîtres dans la désinformation des citoyens. Mais, à l’heure d’internet, s’il s’agit de ne plus prendre le risque de cacher les choses qui ne peuvent échapper à la vigilance des internautes, il faut, plus encore qu’avant, leur donner l’apparence de la vertu. C’est de cet art sémantique que sont nées les formules « Droit d’ingérence », « Frappes chirurgicales », « Guerres humanitaires », «  Révolutions de couleurs », et j’en passe…

Ainsi, dans la foulée des « Printemps arabes » et après huit années d’une guerre illégale masquée sous l’euphémisme de la coalition en « Guerre civile » voire « Révolution syrienne » mais qu’il convient de qualifier « d’internationale » voire « mondiale » puisque près de 80 pays y participent de manière directe – par intervention militaire – ou indirecte – par soutien logistique, financier, diplomatique, ou humanitaire – le bilan est au sens premier du terme, catastrophique. Les infrastructures de la République arabe syrienne sont dévastées, les victimes – morts & blessés – se comptent en millions, et les déplacés et/ou réfugiés également. Sans parler des enfants qui ont perdu leurs parents et se retrouvent démunis, abandonnés et parfois livrés à eux-mêmes. Ni de l’accès à une eau potable ainsi que de la famine qui touchent plusieurs régions et dont personne ne parle. 

Les pays qui se sont aventurés dans cette énième sale guerre contre un Etat arabo-musulman, se posent dès lors la complexe question de leurs ressortissants qui ont eu la mauvaise idée de rejoindre les combattants de ce qui est communément désigné sous l’appellation Daesh ou Etat Islamique – regroupant toutes sortes d’organisations de mercenaires dont les composantes changent de nom en fonction des évènements, des lieux et des liens qu’ils nouent sur le terrain. 

Sauf qu’il ne faudrait pas oublier que nos gouvernements qui se sont coalisés aux va-t’en-guerre US et ont détruit l’Etat syrien, ont financé, soutenu, formé, armé ces mercenaires hostiles à cet Etat souverain, pensant ainsi s’appuyer sur leur aide connexe.

L’incompétent L. Fabius, pro-sioniste notoire, alors ministre des Affaires étrangères du gouvernement Hollande – tout aussi pro-sioniste – et qui n’en était pas à sa première bévue, a déclaré à travers des propos dignes de ragots de comptoir que « Bachar al-Assad ne méritait pas d’être sur la Terre », allant jusqu’à relayer une déclaration émanant de responsables arabes opposés au président syrien « qu’al-Nosra faisait du bon boulot ». Si une telle éloquence pour un diplomate permet d’en situer le niveau, elle indique pour qui sait lire entre les lignes, l’orientation du gouvernement français.

Dans cette certitude occidentale de détenir la vérité en tous sens et en tous lieux, et ce privilège commode d’en appeler aux « Droits-de-l’Homme » à la moindre occasion – mais de préférence quand cela nous arrange – comment être cohérent et donc crédible, en refusant d’accueillir ces ressortissants égarés qui sont partis se battre contre le gouvernement syrien quand nos propres armées et gouvernements ont fait – et continuent d’ailleurs – pareil ?! Embarrassant.

La coalition qui a perdu cette guerre – même si elle n’est pas terminée et que d’aucuns s’entêtent encore – doit en assumer les conséquences. Et là aussi, l’hypocrisie est à son comble : les gouvernements arabes qui en temps ordinaires sont toisés de haut par l’occident qui n’hésite pas à les détruire, seraient pour le coup malgré leurs pays en chantiers, à même de juger ces encombrants « jihadistes » là où ils se trouvent. 

Le problème étant délicat pour les raisons que je viens de rappeler, une fraction de ce petit cercle politico-médiatique, dans un sursaut d’humanisme de façade, se déchire maintenant sur la question de savoir si, quand même, il ne conviendrait pas d’établir une différence entre les hommes, les femmes et les enfants qui se trouvent pris au piège de cette guerre perdue ? Les uns arguant qu’il ne faut pas séparer les mères de leurs enfants, les autres indiquant qu’il est difficile d’établir à quel âge un enfant devient un adolescent responsable, quand d’autres encore – plus radicaux et en référence aux attentats survenus en Europe – ne veulent rien savoir et sont pour le refus catégorique de tout retour, nous offrant ainsi ce minable tableau d’adultes débattant sur les victimes d’une politique d’Etat mal pensée, suintant le racisme, et directement responsable de la situation actuelle. Dans la tête de ceux-là, les victimes deviennent ainsi les coupables et les vrais coupables que sont les responsables politico-médiatiques qui n’ont cessé d’en appeler à la guerre contre la Syrie et le renversement de son président, sont ignorés et passés sous silence. 

C’est comme toujours, une manipulation à mettre au compte des agresseurs tombant sur le dos des agressés qui n’ont personne – ou presque – pour remettre les pendules à l’heure et rappeler certains faits incontournables. Et ce mélange des plans fonctionne bien puisque d’après les enquêtes, une majorité d’Européens s’opposent au retour des ainsi nommés « jihadistes » dans leur pays d’origine.

Lors de son émission du 6 mars dernier « Interdit d’interdire » sur RT (Russia Today) l’animateur Fr. Taddéï expliquait que d’après un sondage, 67% des Français s’opposaient au retour des ressortissants au pays. Par la suite, il relayait une information du Wall Street Journal signalant que les forces spéciales françaises sur place renseignaient les forces irakiennes pour que ces dernières éliminent par des frappes ces « jihadistes » ayant fui la Syrie pour se réfugier en Irak et que l’Etat français ne voulait pas voir revenir.  

En d’autres mots, l’annonce est claire : gardez-les chez vous, on n’en veut plus ! Sauf que, faits prisonniers, ceux-là encombrent leurs hôtes qui, ayant des soucis autrement plus graves, veulent les renvoyer d’où ils viennent. 

Situation d’autant plus lamentable qu’après la multiplication des désastres que l’occident a semés lors de sa nouvelle croisade au Moyen-Orient à la suite du prétexte des « attentats du 11 septembre », ses échecs sont patents. Ces derniers devraient pourtant indiquer l’urgence de revoir une politique étrangère européenne absurde qui ne peut aboutir qu’à des réactions violentes de ceux qui se sentent détestés et attaqués de la sorte. Utilisant alors les moyens qui sont les leurs, en représailles à la puissance de machines de guerre redoutables d’Etats dépensant des milliards – nos impôts ! – dans leurs conquêtes criminelles de pays qui ont pour malheur d’abriter des ressources convoitées pour maintenir nos niveaux de vie sans accepter d’en partager les profits de manière plus équitable. 

Alors, que faire de ceux qui n’auront pas été « liquidés », témoins gênants des erreurs répétées de nos incompétents gouvernements européens ?

Il va encore s’en passer des choses, en coulisses… Et une fois de plus : pas belles, nos « démocraties éclairées », tant vantées par les ‘éditocrates’ et ‘experts’ des médias dominants ?!

Daniel Vanhove 

15.03.19

 

Photo en vedette : Enfants dans une rue détruite par la guerre, Alep en Syrie ; source : Les Maristes Bleus

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Bien qu’elle soit inscrite depuis près de 40 ans dans de nombreuses constitutions et autres textes fondamentaux ou législatifs, comme la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’égalité salariale entre les hommes et les femmes reste une illusion. Notre pays aurait tout intérêt à combler cette lacune, pour des raisons éthiques mais aussi économiques.

En Europe ou aux États-Unis, à travail et responsabilités égales, les femmes sont encore payées entre 10 % et 30 % de moins que les hommes. Au Sud, la situation est encore bien pire. Dans un rapport de 2016, l’ONG ActionAid France estimait que la différence annuelle des inégalités de genre au travail pour les pays du Sud s’élevait à plus de 8 000 milliards d’euros, soit un montant supérieur aux PIB combinés de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne [1].

Et ce montant ne tient pas compte du travail non rémunéré de care, que l’on nomme aussi travail reproductif, à savoir les travaux domestiques, l’éducation, les soins aux personnes dépendantes et âgées, etc. Or, c’est un fait que l’on oublie souvent : une grande partie de ce travail repose encore aujourd’hui sur les femmes et n’est pas rémunéré. Une étude de l’Insee a montré qu’en 2010 en France, le temps de travail domestique annuel équivalait à 60 milliards d’heures, soit le même nombre d’heures que le temps de travail rémunéré [2]. Les Nations unies ont calculé que cette contribution à la richesse mondiale, énorme mais invisible, des femmes, s’élève à environ la moitié du PIB mondial ! Le slogan choisi cette année pour le 8 mars, « Si les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête », est donc des plus appropriés.

De plus, il faut ajouter que les inégalités de genre dans le travail comportent d’autres dimensions : le travail des femmes reste généralement confiné dans les emplois les moins rémunérés, les plus ingrats, les moins qualifiés et les plus précaires. Fréquemment, elles n’obtiennent que des temps partiels, alors qu’elles souhaiteraient travailler à temps plein. De plus, les femmes restent souvent reléguées au bas de l’échelle hiérarchique. C’est ce qu’on appelle le « plafond de verre ».

Cinq minutes de courage politique ?

Depuis le 1er janvier 2018, l’Islande est devenu le premier pays au monde où les inégalités de salaire entre les femmes et les hommes sont punissables par la loi. Cette nouvelle loi concerne toutes les entreprises, privées et publiques, employant au minimum 25 personnes. Elle est intéressante à deux niveaux. Premièrement, la charge de la preuve est inversée, c’est-à-dire que ce n’est plus aux travailleuses de prouver la discrimination qu’elles subissent, mais aux entreprises de démontrer que, s’il y a un écart de salaire, le genre n’a rien à voir là-dedans. Deuxièmement, les entreprises qui ne respectent pas la loi se verront infliger une amende de 400 euros par jour. Et si nos représentants politiques n’attendaient pas le 26 mai et prenaient 5 minutes de courage politique pour faire passer une loi identique ?

La question de la sanction est fondamentale

La question de la sanction est fondamentale ici. Il est insuffisant et illusoire de se satisfaire d’engagements volontaires non obligatoires, basés sur la confiance dans la bonne foi et le bon vouloir des grands acteurs économiques. Il faut veiller à mettre en place des outils efficaces de contrôle et de sanction pour rendre effective l’égalité salariale et obliger ainsi toutes les entreprises à la respecter. En effet, comment espérer que toutes les entreprises appliquent cette loi si elles savent pertinemment qu’elles resteront impunies si elles ne le font pas.

Imposer l’égalité salariale pour assainir les finances publiques ?

En 2015 en Belgique, un rapport réalisé conjointement par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, le SPF Economie et le Bureau fédéral du Plan calculait que le salaire horaire brut des femmes était inférieur de 2,43 € à celui des hommes. La moitié de cet écart s’explique par de nombreux facteurs : le secteur d’activité, la profession, le contrat ou encore l’expérience. Ces facteurs ne sont pas illégaux mais ne sont pas pour autant légitimes comme par exemple la dévalorisation salariale dans des secteurs d’activité qui sont majoritairement occupés par des femmes. Dans tous les cas, l’autre moitié de cet écart peut être considérée comme une discrimination à l’égard des femmes.

Dans un article datant également de 2015, l’économiste Olivier Derruine a calculé « ce qui se passerait si, du jour au lendemain, chaque travailleur était rémunéré de manière égale pour un même travail, quel que soit son sexe, sans modifier la structure du marché du travail belge, (…) et donc en appliquant uniquement une correction du salaire horaire brut des femmes sur la partie dite “inexpliquée” de l’écart salarial. Il en ressort que l’ensemble des travailleuses devrait alors percevoir un revenu supplémentaire de 3,6 milliards d’euros par an, soit environ 1 % du PIB. » [3]. Il poursuit : « en appliquant un taux de prélèvement d’environ 30 % pour avoir une estimation (grossière) des recettes fiscales additionnelles qu’une plus grande égalité salariale entre les sexes amènerait, on arrive à 1,1 milliard. Si l’on rapporte ce montant à l’ensemble de la législature, cela fait près de 5,4 milliards, soit à peu près 1/3 des 17 milliards d’euros d’économies budgétaires envisagés par le gouvernement Michel. »

Poursuivre la mobilisation

La conclusion est à la fois évidente et très intéressante : faire respecter la loi pourrait jouer un rôle très utile quant à l’amélioration des finances publiques, l’amélioration du pouvoir d’achat, et donc aussi quant à la relance de l’activité économique. A l’inverse, maintenir l’écart salarial constitue un frein pour notre économie et notre sécurité sociale.

Si la question de l’égalité salariale est loin d’être le seul enjeu des luttes féministes, dans tous les cas, les femmes ont toujours toutes les meilleures raisons du monde de continuer à se mobiliser pour que nos représentants politiques et toute la société se saisissent de la question féministe pour transformer les rapports de genre et bâtir une société où le respect et l’égalité entre tous les êtres humains deviennent la règle.

8 mars 2019 – Paris République / Jeanne Menjoulet flickr cc

Olivier Bonfond

Notes :

[1« Le grand écart : le coût des inégalités de genre au travail », ActionAid France-Peuples Solidaires, septembre 2016.

[2« le travail domestique : 60 milliards d’heures en 2010 », Insee

[3« Respecter les travailleuses pour relancer l’économie », Par Olivier Derruine, Observatoire des inégalités, 22juin 2015

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Le service d’électricité a été rétabli sur l’ensemble du territoire national. Celui de l’eau potable est encore en cours mais de très nombreux endroits ont enfin accès de nouveau au précieux liquide.

Au moment où l’électricité commençait à revenir, les habitants du Venezuela, ainsi que l’opinion publique internationale, ont été soumis à une intense campagne psychologique.

Face aux défaites successives de Trump et de ses serviteurs vénézuéliens, le sabotage de l’industrie électrique a été l’occasion de consolider l’image d’un pays en proie à un désastre humanitaire.

En premier lieu, rappelons que la coupure d’électricité est dû à un arrêt de plusieurs turbines sur plusieurs barrages en même temps. Le mythe de la déficience gouvernemental ne tient pas la route face à une attaque de cette magnitude.

Même si cela est une fake news, attribuer la coupure d’électricité au président Maduro est cependant nécessaire pour le rendre responsable de dizaines (voire de centaines) de morts dans les hôpitaux vénézuéliens faute d’électricité. Précisons encore une fois que les hôpitaux vénézuéliens disposent de groupes électrogènes. En revanche, la mort n’attend pas le rétablissement du courant pour frapper et emmener avec elle celles et ceux qu’elle a déjà frappé de son sceau. Des morts dans les hôpitaux, il y en a eu la semaine avant le sabotage électrique, et il y en aura malheureusement cette semaine et celles qui suivront. Les décès font partie de la vie tragique d’un hôpital, au Venezuela ou ailleurs.

Tout comme la mort, la vie non plus ne s’arrête pas. Les Vénézuéliens ont dû faire face au manque d’eau. Des chaines de solidarité se sont crées. A Caracas, le gouvernement a déployé de nombreux camions citernes, et les citoyens ont pris d’assaut les flancs de la montagne Avila, qui entoure la capitale, et d’où coulent de nombreuses sources d’eau potable. Absolument personne n’a été boire ou se baigner dans les eaux ultra-polluées du Guaire, le cours d’eau qui sépare la vallée de Caracas en deux. Dans le cas contraire, nous assisterions ces jours-ci à une épidémie de grande ampleur. Ce n’est pas le cas. Si des eaux usées s’écoulent bien dans le rio Guaire, de nombreux cours d’eau, qui naissent dans les montagnes qui entourent la ville, s’y déversent aussi. C’est cette eau de source que les gens sont venus chercher. Il n’y a pas de doute que ces opérations psychologiques avaient été soigneusement préparées pour tenter de recréer l’image d’un pays vivant une crise humanitaire, et d’un Etat failli qui ne protège plus sa population.

Les médias ont montré des citoyens avec des bidons sur les berges du rio Guaire, sauf que…..

…ils venaient s’approvisionner dans un des nombreux conduits qui acheminent les cours d’eau de la montagne Avila vers le rio Guaire.

En ce qui nous concerne, durant quatre jours, nous avions deux ou trois heures d’électricité, et un accès à l’eau d’une demi heure à l’aube. Un laps de temps suffisant pour remplir absolument tout ce qui ressemblait à un récipient pouvant contenir et retenir ce liquide devenu or, et rechargé tous nos appareils électroniques. Nous avons été privilégiés. De nombreuses zones de Caracas et du pays entier n’ont pas eu la même chance, et sont restés dans le noir et sans eau durant quatre jours.

Mais la vie ne s’arrête pas avec le courant, même si la dynamique change. De nombreux Vénézuéliens sont descendus dans la rue afin de trouver un commerce dont le terminal bancaire fonctionnait et faire leurs courses. Les congélateurs ne marchant plus, les produits stockés se décongelant, il n’y avait pas d’autres choix que de cuisiner, chercher le voisin qui dispose d’une cuisine à gaz, partager les victuailles, mutualiser les denrées alimentaires, privilégier les anciens et les enfants. Et peu importe d’ailleurs l’opinion politique des voisins. Dans ce cas de gravité extrême, la solidarité l’emportait sur le reste. Et la vie pouvait suivre son cours, dans une situation extrêmement difficile, et malgré les cris d’orfraie d’une opposition frustrée qui voyait, de nouveau, son plan mis en déroute.

Cela, répétons le jusqu’à ne plus avoir de salive, nous ne l’avons pas inventé : nous l’avons vu et vécu. Oui, nous avons vu des centaines de personnes, le vendredi soir, dehors, aux pieds de leurs immeubles ou de leurs maisons, partager un moment avec les voisins ; à San Agustin ou sur l’avenue Libertador, sur l’avenue Urdaneta ou dans le centre de la capitale, dans des quartiers populaires ou de petite classe moyenne. Face à l’adversité de la situation, et face à l’ennui qui guète lorsqu’on est seul chez soi sans lumière, la chaleur du collectif est le meilleur des remparts.

Lorsque la lumière est revenue, nous avons enfin pu nous communiquer avec les nôtres:

« J’étais inquiet. Tout va bien ? »

Et les histoires commencent à pleuvoir. Toute sont chargées d’émotions et de cette capacité de résistance qui caractérise le Peuple vénézuélien.

« J’ai fait des puzzles, me dit Paola, cela faisait des années que je n’en avais pas fait ». Même son de cloche chez Tania « j’ai lu des vieux contes avec les enfants, et puis on a fait des jeux de société ». Toutes les histoires nous ramènent à notre propre expérience de ces jours passés, et nous rappelle que nous avions aussi une belle vie avant, sans internet ni les réseaux sociaux.

« Mon père était à l’hôpital public Perez Carreño. Il devait être opéré de l’estomac » nous raconte Charilin avant de poursuivre « et avant que tu me le demandes, non il n’est pas mort pour la coupure d’électricité. Il est convalescent mais il va bien ».

Depuis Barquisimeto, la troisième ville du pays, la tia Salma nous dit en riant « tous les voisins ont ramené un peu d’eau, des légumes ou du poulet, et nous avons fait une grande soupe communautaire pour tous ». Son propos illustre ce que nous avions déjà vu à Caracas. Salma est la seule chaviste de son pâté de maison. Ces témoignages sont peut être la meilleure preuve que la guerre civile, exigée par Guaido et les secteurs extrémistes de l’opposition vénézuélienne, ne prenne pas au sein de la population. C’est aussi une illustration de pourquoi la demande de Guaido de descendre dans la rue et d’organiser des pillages n’a pas été suivi dans les faits. La vie ne s’arrête pas pour une coupure de courant. La vie est comme la végétation qui recouvre des ruines. Elle s’impose à la destruction et à la mort. Et cela, les vénézuéliens viennent de nous le rappeler, encore une fois.

Romain Migus

Caracas, le 13 mars 2019

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Bruxelles, capitale du lobbying européen (3/3)

mars 13th, 2019 by René Naba

1 – Bruxelles, capitale du lobbying européen, plateforme majeure du lobby juif pour l’ensemble européen

Bruxelles, capitale politique de l’Union Européenne, est également la capitale du lobbying européen, en une reproduction miniature de l’industrie du lobbying américaine, la plateforme majeure du lobby juif pour l’ensemble des 27 pays membres de l’Union Européenne. Un phénomène d’attraction identique à celui qu’exerce auprès des ONG, Genève, le siège européen des Nations Unies.

A Genève, la cité-état helvétique accueille le siège du Conseil des Droits de l’Homme, le Palais des Nations Unies, siège de la défunte «Société des Nations», le précurseur de l’ONU, un grand nombre de sièges d’agences internationales directement liées à l’ONU, de même qu’elle abrite quelques grandes et petites ONG: 13.500 sont enregistrées mondialement à l’EcoSoc à New-York (États Unis) et 13.000 Fondations en Suisse, accréditant l’idée d’une industrie florissante.

Pour aller plus loin sur ce sujet https://www.madaniya.info/2018/03/01/geneve-l-ong-une-industrie-florissante/

La proportion est sensiblement identique à Bruxelles: Présents à tous les échelons de la prise de décision de l’Union européenne, les lobbyistes seraient entre 15.000 et 30000 à Bruxelles, soit l’équivalent des effectifs du Ministère français des affaires étrangères. Les plus grandes entreprises françaises comme EDF, Engie ou Total, consacrent jusqu’à 2 millions d’euros par an en rencontres, plaidoyers et conférences pour influencer commissaires, fonctionnaires et élus européens.

Premier échelon du processus législatif européen, la Commission européenne est la cible privilégiée des lobbyistes. Dernier exemple en date: les «Monsanto Papers» ont révélé que des passages entiers de textes de la Commission européenne étaient copiés sur les argumentaires de la firme américaine pour prouver la non-dangerosité du glyphosate.

Plus de 10.000 organisations sont enregistrées dans la capitale belge auprès des institutions européennes sur le registre officiel des lobbys de l’Union européenne. Environ un millier sont françaises. Parmi elles, quelques ONG, mais surtout des grandes entreprises, des associations industrielles et des cabinets de consultants. Tous œuvrent pour faire prévaloir leurs intérêts auprès des décideurs européens.

Le phénomène des «portes tournantes» -autrement dit des allées et venues entre Commission et secteur privé- la version française du pantouflage, est régulièrement dénoncé par les ONG bruxelloises.

Au-delà des cas emblématiques des anciens commissaires européens comme Manuel Barroso passé chez Goldman Sachs ou Connie Hedegaard chez Volkswagen[, le phénomène concerne tous les échelons hiérarchiques de la Commission, et expliquerait en grande partie sa réceptivité aux arguments des lobbys.
Dans le grand jeu du lobbying auprès des institutions européennes, les multinationales bénéficient ainsi d’un rapport de forces favorable non seulement par rapport aux ONG et aux syndicats, mais aussi par rapport à leur concurrentes plus petites et moins internationalisées.

Ainsi, les trois entreprises françaises qui dépensent le plus pour défendre leurs intérêts auprès de la Commission sont toutes issues du secteur de l’énergie. EDF et Engie ont respectivement 14 et 13 lobbyistes «maison» enregistrés à Bruxelles, et déboursent chacune plus de 2,25 millions d’euros de frais de lobbying auprès des institutions européennes. Le pétrolier Total qui emploie six lobbyistes permanents, a dépensé, lui, plus de 2,5 millions d’euros de frais de lobbying auprès des institutions européennes en 2015.

2 – La Belgique dans la 2 ème Guerre mondiale

Contrairement à la France qui a capitulé et collaboré avec l’Allemagne nazie, devant fut sous Vichy l’antichambre des camps de la mort, la Belgique a proclamé sa neutralité durant la 2me guerre mondiale. A la suite de sa reddition, le Roi Léopold, assigné à résidence à son château, a rejeté la coopération avec les Nazis et refusé d’administrer la Belgique selon leurs préceptes, favorisant le départ vers Paris puis Londres du gouvernement belge. En dépit de cette désobéissance passive, le Roi Leopold sera néanmoins destitué à la fin de la guerre et remplacé par son fils Baudouin

3- La communauté juive de Belgique: Les diamantaires d’Anvers et Nathan Wienstock.

La communauté juive de Belgique, au nombre de 40.000 membres, obéit au même maillage que les autres communautés juives du monde occidental, selon le déploiement suivant de ses principales articulations: Fondation Auschwitz, Fondation de la mémoire contemporaine, Kazerne Dossin (Memorial Museum and Documentation Center on the Holocauts and Human Rights), Musée juif de Belgique, l’Instituut voor Joodse Studies-Universiteit Antwerpen, le Centre d’études et de documentation Genre et Sociétés contemporaines…

En superposition aux synagogues et organismes de prévoyance sociale: Consistoire central israélite de Belgique, Cercle Ben Gourion, Radio Judaica, Forum Der Joodse Organsaties, Centre communautaire laîc de Bruxelles, Union des progressistes juifs de Belgique et Comité de coordination des organisations juives de Belgique, l’équivalent belge du CRIF français.
Malgré sa faible importance numérique, la communauté juive de Belgique n’en dispose pas moins d’un important levier d’influence, la place forte de ses diamantaires à Anvers.

Environ 80 pour cent de la population juive d’Anvers vit de l’industrie du Diamant, et plus de la moitié de la production mondiale transite par ce quartier, situé à proximité de la gare centrale. Les centres diamantaires servent aussi de lieux de réunion, où tous les sujets communautaires, culturels politiques, d’intérêt juifs y sont abordés. Toutefois ce monopole est en voie de passer sous contrôle des Indiens qui contrôlent dejà près de 80 pour cent du commerce des pierres précieuses.

Autre levier d’influence, «l’Institut d’études du judaïsme à l’Université Libre de Bruxelles», dont l’un de ses plus célèbres pensionnaires n’est autre NATHAN WEINSTOCK, notoire pour son engagement antisioniste et pour le revirement qui s’est ensuivi. Issu de la gauche israélienne, membre du parti Matzpen, Nathan Weinstock est l’auteur, en 1969, d’un retentissant ouvrage «Le sionisme contre Israël» qui demeure à ce jour la réfutation la plus documentée, la plus argumentée, la plus systématique du projet sioniste.

Il récidivera en 1970 avec un autre ouvrage «Le Mouvement révolutionnaire arabe», deux titres qui deviendront des classiques antisionistes; cet historien né en Belgique reniera cependant ses engagements de jeunesse, à l’instar de la journaliste du Figaro, Annie Krigel, qui passera de l’ultracommunisme à l’ultrasionisme sans le moindre sas de décompression, de son neveu Alexandre Adler, du philosophe français André Glusckman, du secrétaire de Jean Paul Sartre, Benny Lévy et de Romain Goupil, toute cette gauche mutante, le plus important vivier du néo conservatisme pro israélien de l’époque contemporaine.

En dépit de son parcours erratique, cet historien, né en Belgique, spécialiste de la criminologie demeure pour bon nombre d’observateurs une référence intellectuelle, dont la parole fait infiniment plus d’autorité que les saltimbanques médiatiques du calibre de Bernard Henry Lévy.
Une prise de guerre inestimable pour le camp pro israélien qui lui confère la puissance d’un lobby à lui tout seul.

Pour aller plus loin sur la communauté juive de Belgique, ce lien
https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-1963-41-page-1.htmL

4- Les électrons libres du lobbying pro atlantiste et pro israélien:

A – Le Conseil Européen des Relations Extérieures- European Councli of Foreign Relations European Council (ECFR)

Le Conseil Européen des Relations Extérieures est une structure européenne qui se déclare officiellement indépendante, mais qui fait office en fait de relai de la pensée stratégique de la doxa atlantiste. Sa composition dispense d’ailleurs de tout commentaire:

Georges Soros, un des cosmocrates les plus en vue de la finance internationale qui se targue de philantropie en guise de couverture médiatique, de même que son alter ego français Alain Minc, un serial plagiaire, condamné à deux reprises pour son emprunt massif au travail du philosophe Patrick Rodel sur Spinoza, en 1999, puis pour un emprunt de 47 pages au livre de Pascale Froment sur René Bousquet.

Parmi les membres du CERE-ECFR figurent Bernard Kouchner, ancien ministre français des Affaires étrangères et Dominique Strauss Khan, deux des artisans français de la déconstruction de la politique arabe de la France, Jean-David Levitte, ancien Sherpa du Président Nicolas Sarkozy lui aussi impliqué par la politique de «désarabisation du Quai», ainsi que Pierre Moscovici, Commissaire européen, successeur de son ami Jérôme Cahuzac au ministère français de l’économie; Dana Pinto, historienne spécialiste des «espaces juifs», enfin «les demoiselles de Bilderberg», l’inévitable trio journalistique chargé du service après vente de la commercialisation médiatique de la production du centre: Christine Ockrent, épouse Bernard Kouchner, Sylvie Kauffmann, Directrice éditoriale du journal Le Monde et Bassma Kodmani, supplétive du pouvoir français au sein de l’opposition off shore syrienne dans la guerre de destruction de son pays d’origine.

Dernier et non le moindre des membres de ce centre n’est autre que François Burgat, conférencier à l’Otan, l’idiot utile du terrorisme islamique international, qui a bénéficié d’une subvention de 2 millions d’euros du centre pour son travail sur «les révolutions arabes», désormais président de la section parisienne du « Centre Arabe de Paris», après sa mise à la retraité académique.

B- « Les Amis Européens d’Israël »: de la confusion des genres entre fonction législative et sponsoring de type lobbyiste

Ce groupe a été inauguré en 2006 dans le but de devenir un lobby pro-israélien du type AIPAC en Europe. Il est constitué de plusieurs parlementaires pro-israéliens de l’Union Européenne et d’hommes d’affaires juifs le sponsorisant afin d’amplifier la coopération entre les parlementaires pro-israéliens sur l’ensemble du continent et aider à améliorer l’image d’Israël, «à faire de l’Europe un allié d’Israël». Selon Yehoshua Ben-Yosef, représentant de ce groupe de pression en Israël, 150 membres du Parlement européen avaient rejoint ce groupe de pression, présidé par Michel Gur Ari.

Voir à ce propos Europe 10 septembre 2006: Création du premier Lobby pro-israélien auprès de l’Union Européenne Par Yedioth Ahronoth Publié le 6 septembre 2006.

La comparaison avec l’AIPAC paraît présomptueuse pour qui quiconque connaît un soit peu la puissance du lobby juif américain, membre organique du complexe militaro industriel américain et de la stratégie de l’Otan

Pour aller plus loin sur ce sujet, voir ce dossier consacré à la propagande israélienne:

http://www.renenaba.com/israel-de-la-propagande-part-13-2/
http://www.renenaba.com/israel-de-la-propagande-part-23/
http://www.renenaba.com/israel-de-la-propagande-part-33/

Au delà de cette controverse, le fait que des parlementaires européens, déjà rétribués par le budget du parlement européen, soient financés par des hommes d’affaires juifs, sans que cette grave violation à la déontologie, n’entraîne des poursuites judiciaires pour fait de prévarications et de corruption, donne la mesure de la confusion mentale et morale dans laquelle baigne la nébuleuse parlementaire européenne et l’impunité que confère le statut d’Amis d’Israël».

C- L’Institut Transatlantique de Bruxelles: Un diplomate hollandais, lobbyiste principal d’un groupe pro-Israël.

A l’image du pantouflage en France, une pratique courante dans la haute administration française, un diplomate hollandais George Van Bergen est passé du statut de fonctionnaire chargé de la gestion des dossiers sur le Moyen-Orient à celui de lobbyiste auprès de ses anciens collègues pour les intérêts d’Israël.

Débauché de l’ambassade des Pays-Bas auprès de l’Union Européenne pour occuper les fonctions de sous-directeur de l’Institut Transatlantique, le bureau bruxellois de l’AJC (Comité juif américain), Van Bergen, en guise d’entrée en matière, a inauguré ses fonctions par une stigmatisation des Palestiniens, tirant profit l’émotion suscitée par les attentats islamistes de Bruxelles et de la place fantasmagorique qu’occupe dans l’imaginaire belge par Molenbeek, la banlieue populeuse de Bruxelles.

L’homme a été aussitôt relayé par Murray Goldman, l’un des membres du conseil d’administration de l’Institut Transatlantique de l’AJC: «Les leaders politiques en Europe et en Amérique doivent publiquement défier la majorité des musulmans dans le monde à condamner ces actes de terreur et de violence», a-t-il écrit dans l’Atlanta Jewish Times.

Sauf que dans son exaltation guerrière, Murray Goldman a oublié le fait que depuis le début du XXI siècle, les Etats-Unis, le Royaume Uni et la France, sous divers prétexte, «guerre contre le terrorisme», «changement démocratique des pays arabes, ont soit directement attaqué soit participé à des guerres contre des musulmans en Afghanistan, en Irak, en Somalie, au Yémen, au Pakistan, en Syrie, en Palestine, au Liban, au Mali et Libye, souvent avec l’aide des groupements terroristes islamistes, dont ils sont les parrains.

L’Institut Transatlantique de l’AJC est subventionné par le «Comité des Juifs Américains» dont le quartier général est situé à New York. Le plus gros donateur connu de l’AJC est Seth Klarman, un investisseur milliardaire.

Connu pour avoir soutenu Elad, un groupe cherchant à exclure les Palestiniens de la partie occupée à l’est de Jérusalem, l’institut transatlantique de l’AJC essaye de persuader l’UE de faire preuve de souplesse à l’égard des colonies d’Israël dans l’est de Jérusalem et plus largement, en Cisjordanie.

5- L’alliance entre l’extrême droite israélienne et Israël, une imposture morale.

L’arabophobie et son corollaire l’islamophobie ont servi de ciment à l’alliance entre l’extrême droit européenne et Israël; une alliance qui a constitué une imposture morale en ce qu’elle a scellé l’alliance des descendants des victimes du génocide hitlérien avec les héritiers spirituels de leurs anciens bourreaux.

Le carnage d’Oslo, en juillet 2011, par Anders Behring Breivik (75 morts), apparaît ainsi rétrospectivement comme une conséquence indirecte de cette collusion, symptomatique des dérives intellectuelles occidentales.

Circonstance aggravante, le silence complice de la presse occidentale envers cette alliance contre nature. Pas un grand journal européen, en effet, n’a émis la moindre critique contre cette phraséologie islamophobe et arabophobe qui a prospéré dans les débats politiques, particulièrement dans les médias, sous couvert de lutte contre le «terrorisme islamique», pour fustiger en fait les réfractaires à la pensée hégémonique occidentale.

Pas un n’a émis la moindre réserve contre des propos démagogiques, tels le «fascislamisme», l’expression préférée du tandem magique du journal Le Figaro Alexandre Adler et Yvan Rioufol ou «Eurabia», l’expression forgée par la théoricienne de l’ultra droite européenne, Bat Ye’or, une juive égyptienne de nationalité britannique, icône des milieux d’extrême droite, pour dénoncer une prétendue islamisation rampante de l’Europe, de même que leur sœur jumelle, l’expression méprisante d’«islamo gauchiste», brandie en vue de criminaliser la mise sur pied d’une alliance des exclus de la société d’abondance fédérant les diverses composantes de la société française, au delà des clivages religieux ou communautaires.

Pas un n’a cillé face au travail de déconstruction historique entrepris par Bernard Henry Lévy, présentant, dans une sorte de révisionnisme anti arabe, «l’islamisme radical comme une variante de ce phénomène mondial que fut, il y a presque un siècle, le fascisme»

Pas un n’a pointé le déplacement d’une impressionnante délégation de près de trente-cinq parlementaires et responsables européens d’extrême droite, effectué le 18 décembre 2010 en Israël, durant les vacances de Noël. La délégation couvrait toute la gamme des sensibilités droitières européennes, des populistes de l’UDC aux fascistes suédois, dont le lien commun était une égale islamophobie, amplifiée par le passé nazi ou antisémite avéré de certains des participants.

La délégation était composée des personnalités suivantes: Geert Wilders, fondateur du PVV (Partij voor de Vrijheid, Parti pour la Liberté), parti populiste néerlandais, Filip Dewinter et Frank Creyelman (responsable de la commission des affaires étrangères, Parlement belge), Heinz-Christian Strache (successeur de Jorg Haïder), René Stadtkewitz (président du Parti de la Liberté Wilderien, Allemagne), Kent Ekeroth (responsable du Parti des Démocrates Suédois), des Suisses et bien évidemment des Danois, dont l’extrême-droite est ouvertement atlantiste.

6 – Benyamin Netanyahou Viktor Orban même combat

L’illustration la plus parfaite de cette convergence entre l’extrême droite européenne et israélienne aura été la visite effectuée le 19 juillet en Israël par le premier ministre hongrois Viktor Orban en vue de sceller avec son double israélien un rapprochement fondé sur le chauvinisme et le rejet des migrants.

«Il n’y a pas de pays au monde qui ressemble plus à l’Israël de Netanyahou que la Hongrie d’Orbán. Deux Etats de 9 millions d’habitants, dirigés par des nationalistes chevronnés qui s’accrochent au pouvoir malgré les accusations de corruption en effaçant la culture démocratique, cultivant la xénophobie et un sentiment de siège pour apeurer leurs électeurs», a fait valoir Anshel Pfeffer, éditorialiste du Haaretz, le quotidien de la gauche israélienne.

En 2017 à Budapest, le leader israélien avait alors absous de tout antisémitisme son homologue (admirateur déclaré de l’amiral Miklos Horthy, régent hongrois allié d’Adolf Hitler qui permit la déportation des deux tiers des Juifs hongrois, soit près d’un demi-million de personnes).

7- L’islamophobie, une idéologie de masse qui imprègne lentement la société française

«L’islamophobie est une idéologie de masse qui imprègne lentement la société française», observe Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l’extrême droite, pointant la responsabilité tant de l’extrême droite radicale française, que de l’UMP, des intellectuels de la gauche laïque ou les grandes chaines de télévision.

«L’argumentaire islamophobe est né à la marge, dans l’extrême droite radicale, avant de se diffuser dans la société française. Les guerres dans l’ancienne Yougoslavie ont marqué un tournant, avec les premières diffusions de l’idée que l’Europe est en cours d’islamisation. Y compris dans les hauts rangs de l’état-major français et dans une partie de la gauche laïque circulait l’idée que la Serbie était, au Kosovo, en train de défendre l’Europe contre l’islamisation. Depuis dix ans, on laisse le discours islamophobe devenir légitime», explique-t-il dans une interview à libération parue le 25 juillet 2011.

Pour aller plus loin sur ce sujet https://www.renenaba.com/le-carnage-doslo-un-symptome-des-derives-de-la-pensee-intellectuelle-occidentale/

8- Le rapport sur le «Lobby israélien et l’Union Européenne» de David Cronin, Sarah Marusek et David Miller (1)

Oeuvre de trois auteurs appartenant à “Public Interest Investigations /Spinwatch”, David Cronin, journaliste irlandais, Sarah Marusek, chercheuse post-doctorante en étude des religions à l’Université de Johannesburg (Afrique du Sud), et, David Miller, professeur de sociologie au Département des Sciences sociales et politiques de l’Université de Bath (Grande-Bretagne), ce rapport “révèle l’étendue du financement du lobbying pro-israélien en expansion à Bruxelles par des promoteurs et des bailleurs de fonds de l’Industrie de l’islamophobie aux États-Unis et dans les colonies israéliennes illégales en Cisjordanie et à Jérusalem”.

Cette étude, dont la rédaction a pris plus de deux ans, dévoile une “matrice de relations” au sein du lobby pro-israélien, qui constitue un mouvement social dont les contours se superposent largement avec ceux de “l’industrie transatlantique de l’islamophobie”.

Les principaux soutiens du lobby israélien à Bruxelles comprennent par exemple :

Irving Moskowitz, un multi-millionnaire californien propriétaire de casinos, qui finance ouvertement la judaïsation de Jérusalem-Est et les colonies israéliennes en Cisjordanie.

Sheldon Adelson, ami du président américain Donald Trump, un milliardaire propriétaire de casinos et de médias, qui utilise son empire médiatique pour soutenir son ami de longue date, Benjamin Netanyahou.

Nina Rosenwald, héritière de la fortune de Sears Roebuck, surnommée par le journaliste Max Blumenthal “la mama en sucre de la haine anti-musulmane”-Daniel Pipes, que le “Center for American Progress” désigne comme faisant partir d’un “réseau d’experts en désinformation” qui “colporte la haine et la peur des musulmans et de l’islam”

Paul E. Singer, 2me ami de Donald Trump, milliardaire états-unien de droite, qui est le troisième plus important contributeur à la campagne présidentielle des Républicains

Ce rapport lève le voile sur ce réseau transatlantique animé du secret. soulignant la contribution de leurs généraux donateurs à l’amplification de la colonisation illégale de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Il dévoile enfin comment le lobby a persuadé les parlementaires européens de s’abstenir de sanctionner Israël en dépit de ses constantes violations des droits humains, et il analyse comment les supporters d’Israël ont tenté de saper les campagnes citoyennes en faveur de la justice en Palestine.

Le dernier des parachutés néo conservateurs outre atlantique n’est autre que Steve Bannon, l’ultra droitier ancien conseiller de Donald Trump, qui a pris ses quartiers à Bruxelles avec pour mission de propulser au pouvoir le mouvement populiste et xénophobe européen, en vue de saborder l’Union Européenne.

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/03/07/des-milliardaires-americains-financent-discretement-des-campagnes-de-desinformation-en-europe_5432486_4408996.html

Royaume Uni

La très visible domination du lobby pro israélien sur certains aspects de la politique gouvernementale des Etats Unis n’est pas unique. D’autres pays en pâtissent, tel le Royaume Uni.

Pour surprenant que cela puisse paraître, la «Mère des parlements» en Grande-Bretagne est peut-être l’organe législatif le plus dominé par les intérêts israéliens, plus, à bien des égards, que le Congrès des États-Unis.

Le Parti conservateur au pouvoir a un Groupe des Amis d’Israël dont plus de 80 % de ses parlementaires font partie. BICOM, le Centre de communication et de recherche de la Grande-Bretagne, est un clone situé à Londres de l’American Israel Political Action Committee (AIPAC). Il est bien financé et politiquement puissant, travaillant par l’intermédiaire de ses différents mandataires «Amis d’Israël».

Les organisations juives sont autorisées à patrouiller dans les quartiers juifs de Londres dans des uniformes de type policier tout en conduisant des véhicules de type policier. Des rapports font état de patrouilles menaçant les musulmans qui cherchent à entrer dans ces quartiers.

Cf à ce propos : La crucifixion de Jeremy Corbyn. Les amis d’Israël demandent sa totale reddition- Philip Giraldi http://w41k.com/145285

Epilogue : Paul Wolfowitz, Dominique Strauss Khan, Bernard Maddof, Harwey Weinstein.

Au terme de ce panorama non exhaustif, une vérité s’impose: Quatre des plus grands scandales planétaires du début du XXI me siècle ont été le fait de membres actifs du lobby israélien à travers le monde.

Deux des protagonistes étaient des sommités du système bancaire mondiale:

Paul Wolfowitz, Président de la Banque Mondiale, auparavant ultra-faucon secrétaire à la défense lors de l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, contraint à la démission du fait d’un «comportement inapproprié» avec sa subordonnée, en fait son assistante d’origine libyenne. IL quittera ses fonctions poursuivi par les savates de jeunes turcs mécontents de son bellicisme.

Dominique Strauss Khan, le plus important sabordage politique en direct de la vie politique française, victime du penchant naturel d’un prédateur sexuel: le «troussage de domestique» au Sofitel New York.

Le 3me, Bernard Madoff, victime de sa cupidité, a été le maître d’oeuvre d’une escroquerie d’une valeur de 65 milliards de dollars, une jonglerie financière fondée sur le mécanisme de la «Pyramide de Ponzi» fonctionnant sur la base d’une surprime du taux d’intérêt.

Parmi ses principales victimes figurent, paradoxalement, Bernard Henry Lévy et Elie Wiesel, et à titre de dommage collatéral le chanteur Enrico Macias, trois figures de proue du judaïsme institutionnel International.

Un des fondateurs du Nasdaq, à la bourse de New York, Bernard Madoff a été condamné à 150 ans de prison en 2008. Durant les premières années de sa détention son fils ainé, Marc, s’est suicidé et son fils cadet, Andrew, est décédé des suites d’un cancer. Seule survivante, son épouse, dévastée par ce désastre sans nom.

Le 4 ème n’est autre que Harvey Weinstein, le nabab d’Hollywood, victime de sa pulsion prédatrice.

Bernie, Ya ibn Ben Saf, Ismah’h wa chouf, dans la langue de ton pays natal:

«L’affaire Harvey Weinstein montre à quel point le fait de dominer un champ d’activité quelconque rend possible tous les abus de pouvoirs. La violence sexuelle est, en la matière, le paroxysme d’un continuum de pratiques dégradantes infligées à tous les dominés».

Le constat est d’un philosophe comme vous, certes, pas un «nouveau philosophe» mais un vrai, un authentique philosophe, un vrai de vrai, pas un chiqué, Laurent Paillard. Son constat est mentionné dans «l’Affaire Harvey Weinstein et les ordonnances de la honte», «Les indigné.e.s» N° 48 Trimestriel 6ème année Juin 2018. Fhimit ya ibn Beni Saf??

Un fort sentiment d’omnipotence et d’impunité a projeté ces quatre personnages vers l’enfer médiatique, la carbonisation publique et le déshonneur qu’aucun lobby si puissant soit-il n’aurait pu prévenir.

Au delà d’une griserie passagère, la lévitation peut réserver parfois de vilaines surprises. A défaut d’un code moral rigoureux, à défaut d’une conscience civique, la peur du gendarme devrait constituer le commencement de la sagesse, selon l’adage populaire bien connu.

Pour des personnes qui se réclament du «Peuple de la Bible», cela fait quelque peu désordre. Et la bonne preuve que parmi les enfants du Bon Dieu un lot appréciable de canards boiteux se faufilent toujours.

L’Occident chrétien a pensé purger son passif avec le judaïsme et lui témoigner sa solidarité expiatoire en créant l‘Etat d’Israël en vue de «normaliser la condition juive diasporique et l’enraciner dans des composantes nationales claires», selon l’expression de l’écrivain israélien Abraham B. Yehoshua. (cf; La question juive posée au Monde» Libération 29 Novembre 2001.

Mais, en sous traitant au Monde arabe l’antisémitisme recurrent de la société occidentale, il a dans le même temps transmuté son contentieux bi millénaire avec une religion longtemps considérée comme «déicide» en un conflit israélo-arabe et en un conflit islamo-judaïque, en négation avec la symbiose andalouse.

Le refuge des juifs, des rescapés des camps de la mort et des persécutés, le pays du Kibboutz socialiste et de la fertilisation du désert, des libres penseurs et des anticonformistes est devenu, aussi, au fil des ans, un bastion de la religiosité rigoriste, des illuminés et des faux prophètes, de Meir Kahanna (Ligue de la Défense Juive) à Baruch Goldstein, l’auteur de la tuerie d’Hébron, le 25 février 1994, le pays des gangs mafieux et des repris de justice, de Meir Lansky, à Samuel Flatto-Sharon à Arcadi Gaydamak.

Au même titre que d’autres continents, l’Occident a engendré des monstres, tel Hitler et la défense du «Monde libre» n’a pas été l’apanage exclusif des occidentaux. Elle participe également de la contribution des peuples du tiers monde,-asiatique, arabe, africain, toutes religions confondues, dont plusieurs dizaines de milliers ont combattu aux côtés des Européens et des Américains contre les tyrannies du XX me siècle.

L’Allemagne, responsable du génocide juif du XXme siècle, le Royaume Uni, auteur de la Promesse Balfour portant création d’un «Foyer National Juif» sur la terre de la Palestine, au coeur de l’espace arabe, à l’intersection de la rive asiatique et de la rive africaine du Monde arabe, la France, enfin par ses massacres coloniaux répétitifs en terre d‘Islam se doivent d’assumer, aux côtés des Etats Unis, le protecteur absolu de l’État Hébreu et le parrain de toutes ses équipées militaires depuis un demi siècle, un rôle à la mesure de leur responsabilité antérieure dans la naissance du conflit israélo-arabe et de l’exacerbation du sentiment anti-occidental dans le Monde arabo-musulman.

Israël, pour tragique qu’ait été la souffrance des juifs au siècle dernier et éminente leur contribution à la culture du Monde, ne saurait faire l’impasse sur l’intérêt que portent 1,7 milliards de Musulmans et autant de Chrétiens à Jérusalem, une cité que le hasard de l’histoire a voué à être le lieu saint des trois religions monothéistes.

Point de fixation des conflits latents de l’Islam et de l’Occident, le conflit israélo-palestinien, au-delà le conflit israélo-arabe et d’une manière générale le passif post colonial sera purgé non par la coercition, ni non plus par la diplomatie de la cannonière et la négation des droits légitimes du peuple palestinien, mais par la coopération des divers protagonistes d’un contentieux qui a gangrené tout le XX me siècle pour déborder de manière apocalyptique sur le III me millénaire.

En annexe le rapport sur l’Islamophobie en Europe 2017

1- Note Luc Delval: Le rapport sur le «Lobby israélien et l’Union Européenne» de David Cronin, Sarah Marusek et David Miller est accessible sur ce lien: [email protected]

“Public Interest Investigations” est une organisation à but non-lucratif indépendant, fondée en 2004, avec pour objectif de promouvoir une meilleure compréhension du rôle des “relations publiques”, de la propagande, du lobbying et des réseaux de pouvoir qu’ils soutiennent, notamment via son site web :www.spinwatch.org et un “wiki“ :www.powerbase.info

“Europal Forum” est une organisation indépendante de défense des droits des Palestiniens, qui s’attache notamment à améliorer la compréhension et le dialogue entre les Palestiniens et les décideurs européens.

René Naba

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En 2015 la commune de In Salah a surpris et les observateurs et les autorités. Aux yeux de ses habitants, l’exploitation du gaz de schiste, cette énergie dite non-conventionnelle, aurait un impact négatif et irréversible sur leur vie et sur celles des générations futures.

Faits

Fait, la France réalisa une victoire écologique en disant : « Not in my backyard », faisant ainsi allusion au refus de l’exploitation de gaz de schiste sur son territoire;

Fait, le gouvernement québécois fut à l’écoute du grognement de sa population lorsque celle-ci s’est opposée à l’exploitation de gaz de schiste et pour cause, la technique dite « fracturation hydraulique » utilisée dans ce genre de forage nuit considérablement à l’environnement et à la sécurité publique;

Fait, la Chine qui vient à la fois en tête de liste des grands pays pollueurs de la planète et des plus grand pays détenteurs de réserve en gaz de schiste choisit de conclure un contrat de 400 milliard de $ avec la Russie pour son approvisionnement en gaz. Un contrat qui s’étale sur 30 ans ;

Fait, les prix du pétrole ont chuté et cela a causé une crise !

Algérie, le recours à l’exploitation de gaz de schiste

Eu égard à cette conjoncture économique, des spécialistes s’attendaient a priori à ce que les dirigeants en Algérie saisissent ce virage pour annoncer des réformes économiques et des mesures sensées, susceptibles de faire sortir le pays de l’économie de la rente vers une économie plus diversifiée. Or, le gouvernement algérien et contrairement à toutes les attentes choisit pour mesure salvatrice, le recours à l’exploitation de gaz de schiste au sud du pays et ce en partenariat avec des sociétés étrangères.

Toutefois, dès que la machine s’est mise en marche, le gouvernement réalisa qu’il a omis d’inclure dans ses calculs un facteur fort majeur mais marginalisé jusqu’alors, à savoir : « les gens du Sud ». En effet, l’appareil exécutif prit connaissance des grognements lesquels commencèrent à se faire entendre et à prendre de l’ampleur notamment au sein de la communauté de Tidikelt. (1)

En décembre 2014 une délégation ministérielle menée par l’ex-ministre de l’énergie à l’époque Youcef Yousfi, surnommé « l’homme de schiste », fut dépêchée sur les lieux à cet effet. L’ex-ministre s’adressa alors à la communauté locale en vue de la sensibiliser et la conscientiser à propos de la gravité de la situation et que le recours à l’exploitation du gaz de schiste, décision prise en hauts lieux et validée par L’APN (Assemblée Populaire Nationale), répond dans les circonstances à un besoin pressant et demeure par conséquent une alternative incontournable.

Sur un ton rassurant et confiant, l’ex-ministre tenta également d’expliquer au collectif anti gaz de schiste que les craintes et les inquiétudes qu’ils se font à propos de la technique dite fracturation hydraulique utilisée dans ce genre de forages n’ont nullement lieu d’être.

Il faut dire que cette rencontre fut un véritable échec puisque la délégation a échoué à faire vendre l’idée de projet à population.

Le grognement pacifique de Tidikelt

Les habitants du sud ou «Ness Sahara» (2), une population qui vit quasiment en marge d’un semblant d’une dynamique socio-culturelle et économique, faute d’une politique inéquitable dans la répartition des richesses du pays.

Considérés jusqu’alors comme étant une peuplade naïve, déphasée et surtout peu revendicatrice ou réputé l’être, «Ness Sahara» peuvent au gré des circonstances exhiber une facette et une attitude peu habituelles et fort imprévisibles. En effet, les événements de 2015 lesquels ont secoué le sud algérien notamment la commune de In Salah ont surpris et les observateurs et les autorités. Organisés et déterminés, c’est ainsi qu’ils ont tenu tête à un gouvernement gonflé à bloc, arrogant, condescendant et surtout réputé pour ses promesses arlésiennes.

Se gardant aussi de quelconque acte de violence, dans une discipline exemplaire, la communauté dans tout sa composante est sortie et exprimée en parfaite communion son mécontentement et son refus catégorique à la concrétisation d’un projet perçu comme étant anti-environnemental. À leurs yeux et à bien des égards, l’exploitation de cette énergie dite non-conventionnelle aurait un impact négatif et irréversible sur leur vie et sur celles des générations futures. Malheureusement, cette action pacifique et civilisée pour le droit à la vie fut réprimée, brutalisée et dispersée au bout du compte à coup de bombes lacrymogènes de la part des forces de l’ordre, causant ainsi beaucoup de blessés parmi les manifestants.

Le syndrome du mal hollandais

Le 24 février 1971 fut une date charnière dans l’histoire d’une Algérie post-indépendance, à laquelle le Président Houari Boumediene, dans un discours considéré comme historique, annonça la nationalisation des hydrocarbures du pays. Par cette décision l’Algérie voulut concrétiser sa souveraineté et marquer par conséquent sa rupture avec le régime colonial français. Mais depuis, l’économie algérienne est demeurée malheureusement entièrement dépendante de la rente pétrolière qui représente 98% des exportations.

Force est de constater que tous les gouvernements lesquels se sont succédé au pays ont fini au fil des années par développer une addiction maladive à la consommation des hydrocarbures dont ils sont devenus « accros » et peinent vraisemblablement à s’en défaire. Il faut dire que la stabilité voire la sécurité socio-économique en Algérie est restée toujours tributaire de la fluctuation des prix de pétrole. En 2018, trois années après les événements d’In Salah, il semble que les autorités algériennes s’apprêtent à relancer le projet de gaz de schiste -mis jusqu’alors en veilleuse- et ce en partenariat avec des compagnies américaines.

Dans une allocution laquelle fait appel à la sagesse et la rationalité, le Pr Chemss Eddine Chitour (3) exhorta les autorités algériennes à faire preuve de plus de prudence dans la gestion de ce dossier controversé, en l’invitant a posteriori à chercher des solutions à la crise dans des alternatives sensées (la promotion du secteur agricole, le tourisme, les énergies renouvelables,…) et faire en sorte que les réserves en gaz de schiste soient préservés au profit des générations futures, lorsque la technologie qui lui affère serait à ce moment-là plus mature et mieux contrôlée.

Abdelmadjid Abdelkamel

 

Notes :
1. Tidikelt : Région située au cœur du Sahara algérien, ses principales communes sont In Salah et Aoulef
2. Ness Sahra : les gens ou les habitants du sud en français
3. Chemss Eddine Chitour : Professeur émérite à l’École Polytechnique d’Alger

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Un budget américain pour faire la guerre mondiale

mars 13th, 2019 by Patrick Martin

La proposition de budget rendue publique lundi par la Maison Blanche doit être considérée comme un avertissement grave par la classe ouvrière internationale. Le gouvernement américain se prépare à une guerre totale à l’étranger et à de violentes attaques sur le niveau de vie et les prestations sociales des travailleurs en Amérique. Le plus puissant État impérialiste cherche à réaliser un niveau record de dépenses militaires, tout en exigeant des réductions sans précédent des dépenses consacrées aux besoins sociaux tels que les soins de santé, l’éducation et l’environnement.

L’administration Trump entend donner au Pentagone une augmentation presque deux fois supérieure à celle recherchée par le commandement de l’armée lui-même – une augmentation de 4,7 pour cent par rapport aux dépenses actuelles, soit le double de l’augmentation de 2,4 pour cent prévue par les responsables du ministère de la Défense. L’augmentation en dollars est de 34 milliards de dollars, alors que le Pentagone n’avait demandé que 17 milliards de dollars.

Les dépenses militaires américaines totales de 750 milliards de dollars seraient supérieures aux dépenses militaires de 2018 des 14 pays suivants réunis: Chine, Arabie saoudite, Russie, Inde, Grande-Bretagne, France, Japon, Allemagne, Corée du Sud, Brésil, Australie, Italie, Israël et Irak.

Le chiffre le plus surprenant et le plus inquiétant dans la proposition de budget est celui pour les opérations de contingence à l’étranger (OCO), la catégorie fourre-tout pour les interventions militaires comme les guerres américaines en Afghanistan, en Irak et en Syrie, la guerre par drones à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et le renforcement militaire américain aux frontières de la Russie (Initiative de la dissuasion européenne). Alors que le budget de l’exercice 2019 prévoit 69 milliards de dollars pour l’OCO, la proposition faramineuse pour l’exercice 2020 grimpe à 164 milliards de dollars.

Selon de premières informations parues dans la presse, citant des sources à la Maison-Blanche, il s’agirait d’un stratagème comptable, reclassant une partie importante du budget ordinaire du Pentagone en poste d’OCO afin de permettre aux forces militaires de respecter à priori les plafonds de dépenses fixés en 2011 dans le cadre d’un accord budgétaire bipartite conclu entre le l’administration Obama et les républicains du Congrès, mais qui a été depuis lors systématiquement contourné lors des marchandages budgétaires au Congrès. Selon ce scénario, l’administration Trump déclarerait qu’elle observait maintenant les plafonds, les imposant aux dépenses intérieures par le biais d’une réduction brutale généralisée d’au moins cinq pour cent. Entre temps, les dépenses militaires globales augmenteraient considérablement, car l’argent destiné à l’OCO n’est pas comptabilisé dans les plafonds de dépenses.

Quels que soient le bien fondé de telles assertions, injecter près de 100 milliards de dollars de plus dans les opérations de contingence à l’étranger a des implications bien au-delà des manœuvres de Trump avec le Congrès et provoquerait certainement l’alarme à Téhéran, Moscou et Beijing. Cela donnerait au Pentagone plus qu’il ne faudrait d’argent pour mener une guerre majeure, comme une invasion de l’Iran ou du Venezuela, tous deux des cibles des menaces de Trump ces derniers mois, ou de la Corée du Nord, si les négociations en cours entre Washington et Pyongyang s’effondraient complètement. Cette somme considérable pourrait même servir à financer les premières étapes d’une guerre avec la Chine ou la Russie, si un tel conflit ne dégénérait pas immédiatement en un holocauste nucléaire destructeur de la planète.

En outre, étant donné les efforts constants de Trump pour utiliser la déclaration d’une «urgence nationale» fictive à la frontière américano-mexicaine pour réorienter les fonds du Pentagone vers la construction de son mur frontalier, la création d’une gigantesque caisse noire de 164 milliards de dollars fournirait au commandant en chef quasiment toute liberté pour les opérations militaires dans le monde ou aux États-Unis. Pour donner une idée de l’ampleur de l’allocation budgétaire de guerre, le fonds OCO de 164 milliards de dollars à lui seul équivaut à peu près au budget militaire total de la Chine, soit 168 milliards de dollars, et près de trois fois le budget militaire de 63 milliards de dollars de la Russie. Cela financerait la construction du mur frontalier de Trump de nombreuses fois.

Parmi les catégories de dépenses militaires signalées en particulier figurent 104 milliards de dollars pour la recherche et le développement, en mettant l’accent sur les armes hypersoniques (missiles et avions volant beaucoup plus vite que le son), sur les systèmes d’intelligence artificielle (guerre cybernétique et armes de champs de bataille automatisées) et «les technologies de l’espace». La Marine passera une commande pour deux nouveaux porte-avions géants de la classe Gerald Ford, d’une valeur supérieure à 13 milliards de dollars chacun. L’armée de l’air aérienne achètera des avions de combat F-15 améliorés auprès de Boeing et davantage de F-35 auprès de Lockheed Martin. Des dizaines de milliards seront alloués pour mettre à jour et moderniser les armes nucléaires américaines.

Il existe ensuite un poste de «besoins urgents» de 9,2 milliards de dollars qui «traiterait de la sécurité des frontières et des remises en état après un ouragan». La partie consacrée aux «remises en état après un ouragan» concerne les dommages passés et futurs causés aux installations militaires américaines et le coût du déploiement des ressources militaires américaines pendant et après une tempête, et non pas pour des besoins civils. Et la «sécurité frontalière» donnerait à Trump un autre magot pour financer le mur frontalier américano-mexicain, en plus des 8,6 milliards de dollars demandés officiellement dans le budget à cette fin.

Tout en proposant cette aubaine pour le Pentagone, le budget Trump imposerait les plus importantes réductions de Medicaid et Medicare (couverture médicale des retraités et pauvres) de l’histoire, soit près de 2000 milliards de dollars sur 10 ans. Medicaid serait converti en subventions globales aux États fédérés, avec des augmentations de dépenses limitées au taux d’inflation globale, et non au taux beaucoup plus élevé de l’inflation des coûts des soins de santé, ce qui impliquerait des réductions de dépenses presque immédiates de la part des États. En outre, l’extension de Medicaid dans le cadre Obamacare (assurance médicale privée obligatoire par les particuliers du président Obama) serait abrogée, ce qui aurait pour effet de supprimer la couverture maladie de plus de 10 millions de personnes. Les économies totales sur 10 ans sont estimées à 1,1 billion de dollars. Medicare réduirait encore de 845 milliards de dollars le montant des remboursements aux hôpitaux et aux autres prestataires de soins de santé et l’élimination du «gaspillage, de la fraude et des abus».

Selon un résumé de la Maison Blanche publié par le Washington Post, les autres dépenses sociales fédérales seraient réduites encore plus en pourcentage, bien que par des montants moindres: 327 milliards de dollars en moins sur 10 ans pour de bons d’alimentation, d’aide au logement et d’autres programmes de minima sociaux; 200 milliards de dollars en moins pour des plans de retraite des employés fédéraux et des postes; 207 milliards de dollars en moins pour les programmes de prêts aux étudiants, y compris ceux qui fournissent une aide alimentaire et au logement; 32 pour cent en moins pour l’Agence pour la protection de l’environnement, 22 pour cent du ministère des Transports, 11 pour cent du ministère de l’Intérieur, 12 pour cent du ministère de l’Éducation et 12 pour cent du ministère de la Santé et des Services sociaux.

La réaction des démocrates du Congrès et des médias au budget de Trump se concentre sur la demande de 8,6 milliards de dollars pour le mur frontalier, le sujet qui avait déclenché l’arrêt partiel du fonctionnement gouvernement fédéral pendant 35 jours qui s’est terminé fin janvier. C’est une diversion délibérée, permettant aux démocrates de se présenter comme des opposants intransigeants à Trump en se disputant avec lui pour un montant représentant moins de deux millièmes d’un budget de 4600 milliards de dollars.

Les dirigeants démocrates ont pleinement adopté le budget militaire de Trump dans le cadre d’un accord bipartite conclu l’année dernière. Ils appuient avec autant d’enthousiasme le Pentagone cette année. En fait, les démocrates ont généralement attaqué Trump avec des arguments encore plus à droite en matière de politique étrangère, réclamant une position plus agressive à l’égard de la Russie en Syrie et en Europe de l’Est, contre la Corée du Nord et contre la Chine, notamment en matière de commerce.

Même en ce qui concerne la sécurité frontalière, les démocrates sont totalement favorables à une nouvelle augmentation massive des dépenses pour déployer davantage de technologies et embaucher davantage de voyous des Agences de Douanes et de la Protection des frontières, de l’Immigration pour persécuter les immigrants, à condition que cela ne soit pas qualifié d’argent pour le mur de Trump.

L’exécution du budget proposé par Trump marque le début d’une bataille entièrement fictive prévisible et cynique à Washington. Les démocrates vont dénoncer les réductions proposées dans Medicaid, Medicare et d’autres programmes sociaux et s’engager à les combattre à mort. Ils concluront finalement un accord avec Trump qui comprend de nouvelles coupes dans les programmes sociaux, qui ne vont toutefois pas aussi loin que les propositions de la Maison Blanche, en contrepartie du financement intégral de l’armée et des services de renseignement américain, les forces les plus réactionnaires et dangereux sur la planète.

Patrick Martin

 

Article paru en anglais, WSWS, le 12 mars 2019

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Pour comprendre la révolte des Haïtiens

mars 13th, 2019 by Maurice Lemoine

Le Gouvernement des Etats-Unis exhorte tous les citoyens, partis politiques et organisations de la société civile à s’exprimer pacifiquement. La violence aggrave l’instabilité et la souffrance du peuple (…).  » Ce n’est bien entendu ni à l’opposition vénézuélienne, en phase insurrectionnelle en 2014 et 2017, ni à celle du Nicaragua, pareillement soulevée en 2018, que l’ambassade des Etats-Unis a adressé ce message. Ce 15 février 2019, à Port-au-Prince, la déclaration est destinée aux Haïtiens qui, depuis le 7 février, se soulèvent contre le pouvoir dans les principales villes du pays le plus pauvre d’Amérique latine et des Caraïbes. D’ailleurs, pour éviter toute ambiguïté, l’ambassade américaine précise en direction des forces de l’ordre qui mènent la répression : « Nous félicitons la Police nationale haïtienne d’avoir œuvré pour le maintien de la paix et de la stabilité tout en veillant à ce que les citoyens haïtiens exercent le droit de faire entendre leur voix. » Un droit des plus relatifs, pour qui aime pinailler : des chiffres non officiels font alors état d’une dizaine de victimes et d’une centaine de blessés ; deux semaines plus tard, le nombre des morts s’établira à vingt-six, d’après la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH).

Déjà, les 6 et 7 juillet 2018, signe d’une crise profonde, deux folles journées d’émeutes avaient jeté dans la rue des dizaines de milliers d’Haïtiens. Inspirée par le Fonds monétaire international (FMI), qualifiée d’ « irresponsable et inopportune » et de « mépris total de la population » par l’économiste Camille Chalmers, secrétaire exécutif de la Plateforme de plaidoyer pour un développement alternatif (Papda) [1], une hausse allant jusqu’à 50 % des prix des carburants à la pompe venait de provoquer l’embrasement. Pour une multitude vivant avec moins de 2 dollars par jour et, faute de service public digne de ce nom, utilisant le kérosène dans ses foyers, ne serait-ce que pour y faire la cuisine, il s’agissait de la mesure de trop. Car survenant à un moment où déjà s’accumulaient de nombreux motifs d’indignation, dont l’un, particulièrement emblématique : le détournement par la classe dirigeante d’une part importante des 3,8 milliards de dollars du Fonds Petrocaribe, le programme d’aide mis en place par le Venezuela pour financer des projets sociaux [2]. Scandale révélé à l’automne 2017 par un rapport d’une commission du Sénat mettant en cause quinze anciens ministres et hauts fonctionnaires, dont deux ex-chefs du gouvernement. Rapport resté sans suite. D’où l’explosion brutale du mécontentement. Et ces deux jours d’insurrection populaire qui débouchèrent sur la démission du premier ministre Jack Guy Lafontant et le retrait de la mesure contestée sur les carburants.

Six mois plus tard, toujours sur fond de scandale Petrocaribe, les manifestations qui réclament la démission de l’actuel président Jovenel Moïse ont symboliquement repris le 7 février, date anniversaire de la chute, en 1986, de la dynastie dictatoriale de François « Papa Doc » (1957-1971) et Jean-Claude « Baby Doc » (1971-1986) Duvalier.
Car la crise qui fait d’Haïti un baril de poudre a en réalité des racines qui remontent jusque-là. Et pour protagonistes, les mêmes acteurs néfastes et criminels, tant nationaux qu’internationaux.

De Caraïbe en Scylla

Années 1990 : un plan classique d’ajustement du FMI provoque la destruction de la paysannerie. En 1972, le pays était autosuffisant, a rappelé voici peu Camille Chalmers ; il achètera désormais à l’étranger 82 % des aliments qu’il consomme et deviendra le quatrième importateur mondial de riz américain, après le Japon, le Mexique et le Canada ; mais, pendant la décennie dont il est question, 800 000 emplois auront été perdus.

Comment réaliser un tel tour de force ? Le 30 septembre 1991, sept mois après son investiture, un coup d’Etat renverse le président Jean-Bertrand Aristide (élu avec 67,48 % des voix). L’ex-« curé des pauvres » prétendait faire passer son pays de la « misère indigne à la pauvreté digne ». Sous l’œil approbateur de George Bush (père), le général Raoul Cédras et les groupes paramilitaires du Front révolutionnaire armé pour le progrès d’Haïti (FRAPH) – dont le chef, Toto Constant, avouera qu’il était un agent de la CIA – imposent trois années terreur et de répression. Il faut attendre le 19 septembre 1994 pour que William « Bill » Clinton, en quête d’un succès diplomatique, déclenche l’opération « Restaurer la démocratie », avec l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies. Vingt et un mille soldats débarquent à Port-au-Prince. Sans rencontrer aucune résistance, ils rétablissent le pouvoir légitime et (surtout) mettent un terme au flot des boat people qui débarquaient du côté de Miami.
Les archives du FRAPH, qui permettraient de fournir de nombreuses données sur les exactions commises pendant la dictature demeurent en possession du gouvernement étatsunien, qui refuse depuis de les rendre au ministère de la justice haïtien.

Ayant dû se soumettre aux nombreuses concessions imposées par Washington pour permettre son retour au Palais national (le siège de la présidence), Aristide gouverne d’octobre 1994 à janvier 1996. René Préval, qui fut son premier ministre en 1991, avant le coup d’Etat, lui succède et, le 7 février 2001, sera le premier président à terminer sans anicroches son mandat.

Fort d’un appui populaire qui ne se dément pas, Aristide est réélu on ne peut plus démocratiquement en décembre 2000, à la tête de son nouveau parti, Fanmi Lavalas (Famille l’Avalanche), au grand déplaisir de l’opposition. Afin de le délégitimer, celle-ci a boycotté le scrutin présidentiel – une technique déjà rôdée au Nicaragua en 1984 et ultérieurement reprise au Venezuela en 2005 (législatives), 2017 (Assemblée nationale constituante) et 2018 (présidentielle et municipales).

Non exempt de reproches, mais plus que tout diabolisé par ses adversaires et discrédité par une infernale campagne médiatique, Aristide subit une terrible pression. Des Etats-Unis à l’Union européenne, du FMI à la Banque mondiale, la « communauté internationale » gèle la plupart de ses aides et de ses prêts, enfonçant par-là même le pays dans le dénuement et le chaos.

Dépourvue de poids réel, bien que financée à coups de millions de dollars par l’US Agency for International Development (USAID), la Fondation nationale pour la démocratie (NED) [3] et l’International Republican Institute (IRI, lié au Parti républicain), la Convergence démocratique (CD) échouerait à le renverser si n’arrivait à la rescousse un Groupe des 184, ensemble d’associations patronales, syndicales, et de la « société civile », auxquelles se joignent les médias, dirigé par André Apaid, un richissime businessman, propriétaire de plusieurs ateliers de misère – les sweatshops. Il est vrai que, entre autres mesures « extravagantes », Aristide a commis l’imprudence de faire passer le salaire minimum de 1 dollar à 2 dollars par jour.

Main dans la main avec la CIA, le Groupe des 184 finance et arme les paramilitaires anti-Aristide – d’ex-membres de l’armée que ce dernier a supprimée en avril 1995 et d’anciens membres du FRAPH – regroupés en République dominicaine sous le nom de Front de résistance pour la libération et la reconstruction d’Haïti. Sous les ordres de leur « commandant en chef » Guy Philippe, un narcotrafiquant notoire, ces « Forces armées du Nord » (comme les a rebaptisées Colin Powell) occupent la ville de Gonaïves, prennent Cap Haïtien, fondent sur la capitale.
Sous la pression conjuguée de la bourgeoisie, de ces rebelles infréquentables et de Washington, Ottawa et Paris, Aristide est « démissionné ». Le 29 février 2004, il se voit obligé de quitter le pays dans un avion américain à destination de la République centrafricaine – où il est « réceptionné » par des militaires français. Ce qu’on appelle un « kidnapping », mais aussi un coup d’Etat.

« Dans le respect de la Constitution » (sic !), le doyen de la Cour de cassation, Boniface Alexandre, comble « le vide de pouvoir » en prêtant serment comme « président par intérim » devant les ambassadeurs de France et des Etats-Unis. Ça ne s’invente pas ! Exactement ce que tente de faire aujourd’hui à sa manière, mais sans succès vu la résistance organisée du chavisme, la marionnette de Washington Juan Guaido au Venezuela. A l’époque, la Communauté caribéenne (Caricom), qui rassemble quinze des trente-quatre pays membres de l’Organisation des Etats américains (OEA), proteste et estime que « les circonstances du départ d’Aristide sont irrégulières ». Elle agit aussi courageusement aujourd’hui en refusant de lâcher Caracas face à la tentative de coup d’Etat et aux pressions de l’impérialisme « yankee-européen ».

Economiquement dévastateurs pour ses habitants les plus humbles, deux embargos ont frappé Haïti pendant ces années tourmentées. Le premier, de 1991 à 1994, pour faire pression sur la junte militaire afin qu’elle accepte le retour d’Aristide. Le second (2001-2004), pour chasser de la présidence le même Aristide en asphyxiant l’économie du pays. Source d’inspiration : l’embargo illégal imposé (sans succès) par Washington à Cuba depuis les années 1960. Future application : les sanctions financières appliquées par la même capitale impériale au Venezuela à partir de 2015 pour faire tomber Nicolás Maduro.

En cette année 2004, sous les ordres des Etats-Unis, de la France et du Canada (pays actuellement membre du Groupe de Lima, fanatiquement hostile à Caracas), un Conseil des sages flanque le « président » Alexandre d’un premier ministre, Gérard Latortue. Ancien fonctionnaire international installé en Floride, ce dernier est nommé chef du gouvernement intérimaire le 9 mars alors qu’il habite encore aux Etats-Unis. Il entre en fonction le 17 avec pour objectif annoncé de « stabiliser la situation ».

Pour l’y aider, une Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haîti (Minustah) ordonnée par le Conseil de sécurité de l‘ONU prend ses quartiers. Elle ne stabilise pas grand-chose. Sa principale contribution au bonheur des populations qu’elle est censée protéger de la peste sera de propager une terrible épidémie de choléra : près de 10 000 décès et 800 000 personnes malades à partir d’octobre 2010, du fait de l’introduction d’une bactérie par un bataillon de casques bleus venu du Népal [4].

En ce qui le concerne, Gérard Latortue ne pourra ni rétablir l’ordre, ni résoudre les graves difficultés économiques et financières du pays. Moyennant quoi, au terme du mandat de son patron Boniface Alexandre, le 12 mai 2006, il repartira vivre confortablement du côté de Miami.

La comédie des élections

Désordre et confusion, toujours. Un conseil électoral provisoire (CEP) avait été mis en place par le gouvernement intérimaire pour organiser en 2005 des élections municipales, législatives et présidentielles « libres, crédibles et transparentes ». De scandale en scandale, ce CEP faillira à sa mission. Il faudra sa mise sous tutelle par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), l’OEA et la Minustah, pour qu’il finisse par organiser au début de l’année 2006 des élections prévues pour octobre 2005 et plusieurs fois reportées. Bien qu’élu le 7 février 2006, René Préval ne réussit à s’installer dans sa fonction que le 14 mai. Provoquant de nombreux grincements de dents, il signe l’Accord Petrocaribe avec le Venezuela et affirme sa volonté de continuer la coopération, déjà étroite, surtout dans le secteur sanitaire, avec Cuba. Dans un autre registre, des voix s’élèvent pour demander des comptes au sujet de l’emploi douteux de 900 millions de dollars dont le « gouvernement par intérim » précédent a disposé.

Entre août et septembre 2008, quatre cyclones – « Hanna », « Ike », « Fay » et « Gustave » – ravagent le pays. Cent quatre vingt dix sept millions de dollars de Petrocaribe sont réaffecté aux dépenses destinées à réparer les dommages causés par ces ouragans.

Alors qu’Aristide vit toujours exilé en Afrique du Sud et que, avec plus d’un an de retard, les citoyens sont appelés à élire douze sénateurs le 19 avril 2009, le Conseil électoral provisoire (CEP) écarte de ce scrutin Fanmi Lavalas (FL), le parti demeuré le plus populaire du pays. Cette élimination, note à l’époque le chercheur américain Mark Weisbrot, « peut être comparée à l’exclusion du parti Démocrate ou du parti Républicain aux Etats-Unis [5] ». Persistant dans l’arbitraire, le CEP annonce le 26 novembre 2009 que quatorze formations politiques, dont une nouvelle fois la FL, seront exclus des législatives et présidentielle de 2010. Qui passent soudain au second plan…

Le 12 janvier 2010, d’une violence inouïe, un séisme de puissance 7 sur l’échelle de Richter dévaste l’île et détruit des milliers de bâtiments. On dénombre plus de 230 000 morts, 300 000 blessés et 1,2 million de sans-abri. A Port-au-Prince, une ville de plus d’un million d’habitants située au bord de l’épicentre, les services de base s’effondrent, totalement désorganisés.

Huit mois plus tard, en bras de chemise, manches retroussées, cravate desserrée, les bureaucrates de l’ONU haussent exagérément les sourcils. Haïti n’a reçu que 20 % des 10 milliards de dollars d’aide promis par la « communauté internationale ». Si les Etats-Unis déboursent 1,2 milliards de dollars, ils en retranchent immédiatement les 500 millions qu’a coûté l’intervention militaire « humanitaire » qui a suivi le séisme.
Nommé à la tête du club sélect de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), Bill Clinton se transforme littéralement en proconsul. De janvier 2010 à avril 2011, le gouvernement étatsunien signe 1490 contrats pour un montant total de 194 millions de dollars en vue de la reconstruction ; de tous ces contrats, seuls 23 bénéficient à des sociétés haïtiennes, pour un montant de 4,8 millions de dollars (2,5 %) [6]. Dans le cadre du projet « Winner », supervisé par l’USAID, Monsanto fait le don de 475 tonnes de semences de maïs hybride au gouvernement haïtien. Charité bien ordonnée commence par soi-même, on l’aura compris : si l’habitude est prise d’utiliser ces semences, à la place de celles tirées des récoltes précédentes, il faudra à l’avenir les acheter, avec leurs engrais et herbicides, auprès de… Monsanto [7]. Représentant de cette firme en Haïti, Jean-Robert Estimé a été ministre des affaires étrangères sous la longue dictature des Duvalier.

Dans une orgie de sigles et de 4 x 4, 10 000 organisations non gouvernementales déferlent comme une nuée de sauterelles. Haïti devient la « République des ONG ». Sous perfusion constante, le pays se désagrège encore plus. Ses habitants ? Qu’ils laissent « ceux qui savent » gérer la situation. On leur donne une aumône, on leur conseille de s’en contenter.

Une seule tache de lumière éclaire cet épisode ténébreux : au lendemain même du séisme, l’aide mise à disposition par le Venezuela « socialiste » et « bolivarien ». Dans des conditions financières particulièrement souples, Caracas livre quasiment tout le combustible consommé dans l’île. Les générateurs arrivés par avion fournissent un cinquième de l’énergie électrique du pays. Milliers de tonnes d’assistance alimentaire, montage de campements (théoriquement) provisoires pour abriter des marées hagardes de sinistrés… On peut multiplier à l’infini les théories et les hypothèses : si d’aucuns savent à quoi s’en tenir sur ce qu’est une véritable « aide humanitaire », ce sont les va-nu-pieds haïtiens quand ils évoquent le Venezuela (et les médecins cubains).

Retardée en raison des événements, l’élection présidentielle a finalement lieu le 28 novembre 2010, dans un climat de grande tension. A la situation chaotique créée par des millions d’habitants déplacés et le grand nombre de personnes ayant tout perdu, y compris leur carte d’électeur, s’ajoutent les graves irrégularités constatées le jour du scrutin. Mais le pire est encore à venir. Annoncés début décembre, les résultats provisoires placent Jude Célestin, le dauphin du président René Préval, en deuxième position (22,48 % des voix) derrière la professeure et ex-« première Dame » Mirlande Manigat (31,37 %) [8]. Très ostensiblement soutenu par l’ancien porte-parole de l’ambassade américaine Stanley Schager, qui a joué un rôle essentiel pendant le coup d’Etat de 1991 et la période d’embargo, le candidat de Washington, Michel Martelly, n’arrive qu’en troisième position (21,84 %). Il s’agit d’un ancien chanteur néo-duvaliériste et provocateur, violemment anti-Aristide, surnommé « Sweet Micky » ou « Tet kalé » (crâne rasé). La rue s’enflamme pendant trois jours d’émeute qu’organisent « spontanément » ses partisans.

Sur la base d’un rapport de l’Organisation des Etats américains (OEA), les principaux bailleurs de fonds, Etats-Unis en tête, exercent de fortes pressions pour exclure Célestin du deuxième tour, au profit de Martelly. Quasiment deux mois après le premier tour et alors que l’annonce du résultat tarde, la représentante des Etats-Unis devant l’ONU, Susan Rice, exige des autorités haïtiennes « un processus crédible représentant la volonté du peuple haïtien ». Pour éviter un vide du pouvoir, la « communauté internationale » demande au président Préval de rester à son poste au-delà de l’échéance constitutionnelle de son mandat, le 7 février. A condition toutefois, précise le 30 janvier la secrétaire d’Etat Hillary Clinton en visite à Port-au-Prince, que le CEP accepte la recommandation de l’OEA et exclue Célestin du second tour. On arrose, on négocie, on menace, on fait jouer les influences. Le CEP finit par comprendre ce qu’on attend de lui et décide enfin d’inverser les résultats.
Dirigeant de l’Inité (en créole Unité), le parti présidentiel, le ministre de la justice Paul Denis dénonce ouvertement les instigateurs – les Etats-Unis, la France et le Canada – de cette manœuvre, assimilable à un troisième coup d’Etat : « Ils ont tiré des résultats de leurs poches, ils agissent comme des colons, mais il y a des hommes et des femmes dans ce pays qui exigent d’être traités avec dignité ! »

Cause toujours… Au terme du second tour, Martelly l’« emporte » avec 67,57 % des suffrages exprimés contre 31,74% pour Mirlande Manigat. L’enthousiasme qui a porté le nouveau président au pouvoir est tel que son parti, Respons Peyizan (Réponse paysanne), porte triomphalement… trois représentants à la Chambre des députés et aucun au Sénat (Unité, la formation du candidat à la présidence écarté, obtient 48 des 99 sièges du Congres y 17 élus sur 30 au Sénat).

Plus de 70 % de la population vit toujours avec moins de 2 dollars par jour. A partir de la fin 2013, les mouvements de protestation se multiplient. Un an plus tard, les revendications se durcissent. Elles exigent tant la démission du premier ministre Laurent Lamothe que celle du chef de l’Etat et réclament la tenue d’« élections libres ». Le mandat du Parlement devait se terminer le 12 janvier 2014 : Martelly a reporté les élections législatives et municipales sans fixer de nouvelle date. Ce vide politique lui permet de gouverner par décrets. Bien qu’aucune règle d’un Etat de droit ne soit plus respectée, l’OEA, que dirige encore le chilien José Miguel Insulza, considère qu’il n’y a ni rupture ni altération de l’ordre démocratique.
Le 26 mai 2015 restera un jour sombre, tant pour l’Amérique latine que pour Haïti. A Washington a lieu la cérémonie d’investiture de l’uruguayen de « centre gauche » Luis Almagro, nouveau secrétaire général de l’OEA. « Je concentrerai mes efforts pour faire de l’Organisation un instrument efficace en faveur des intérêts de tous les Américains, qu’ils viennent du centre, du sud, du nord du continent, ou de la Caraïbe », affirme-t-il sans rire en professant cette promesse qui n’engage que ceux qui la croient. Totalement inféodé à Washington, l’individu va trahir tous ses engagements et se mettre au service quasi exclusif de la déstabilisation du Venezuela. C’est dire que la situation haïtienne ne constitue en rien, pour lui et ses commanditaires, une quelconque préoccupation.

Visant à élire l’intégralité des députés et deux tiers du Sénat, le premier tour des élections législatives, le 9 août 2015, donne lieu à un « formidable engouement » : le CEP enregistre 128 partis et pas moins de 1 855 candidats plus ou moins opportunistes pour les 139 sièges à pourvoir. L’engouement s’arrêtera là (il ne faut pas prendre les Haïtiens pour des crétins) : le taux de participation n’atteint que 18 % à l’échelle nationale (10 % dans le département de l’Ouest, le plus peuplé du pays, qui englobe la métropole de Port-au-Prince). Pour connaitre le nom des candidats retenus au second tour, prévu le 25 octobre, le CEP recommande de consulter son site internet… auquel il est impossible de se connecter (pour peu d’ailleurs qu’on possède un ordinateur et qu’on puisse essayer). Au bout du compte, seuls trois députés sur 119 seront élus ; aucun sénateur. En raison des violences l’ayant entaché, le scrutin devra être réorganisé dans une vingtaine de circonscriptions.

Le second tour du 25 octobre coïncide avec le premier de la présidentielle. Dans la perspective de cette dernière, et pour noyer les partis traditionnels, en particulier Fanmi Lavalas, Martelly a fait légiférer et réduire les conditions à remplir pour créer un parti et se présenter. Objectif atteint : on dénombre cinquante-huit candidats – beaucoup plus que de programmes ou de lignes politiques. Pendant plusieurs semaines, l’opposition (crédible) dénonce la préparation de fraudes massives au profit de Jovenel Moïse, représentant du Parti haïtien Tet Kale au pouvoir (le PHTK), avec l’appui explicite de Martelly et implicite du Core Group – les « pays amis » (Etats-Unis, France, Canada, Union européenne, OEA, ONU).

L’exportateur de bananes Jovenel Moïse l’emporte avec 32,76 % des voix devant, une fois de plus, le dauphin de René Préval, Jude Célestin, de la Ligue alternative pour le progrès et l’émancipation d’Haïti – une formation de centre droit. Crédité de 25,29 % des suffrages, Célestin dénonce « une farce ridicule ». De nombreux autres candidats – Sauveur Pierre Etienne, Moïse Jean-Charles, Jean-Henry Ceant, Steeven Benoit I., Charles Henry Baker, Eric Jean-Baptiste et Samuel Madistin – annoncent avec lui qu’ils ne reconnaissent pas les résultats et réclament une commission d’enquête indépendante.

Il en faudrait davantage pour émouvoir la « communauté internationale ». Selon la mission d’observation de l’OEA, la journée électorale s’est globalement bien déroulée. Du côté du gouvernement étatsunien, de l’ONU et de l’Union européenne, on ne cesse de se féliciter et d’exhorter à ce que le processus électoral soit mené à son terme au plus vite, c’est-à-dire, comme prévu, le 27 décembre.

Malgré ces diktats, la pression grandissante de la rue ne le permettra pas. Le 21 décembre, le CEP doit annoncer le report du second tour de la présidentielle et des législatives partielles au 24 janvier 2016. Meetings et manifestations se multiplient à travers le pays, provoquant un nouveau renvoi sine die des scrutins à une date ultérieure. Washington s’énerve : l’administration de Barack Obama a dépensé 33 millions de dollars pour organiser ces « élections » ! Au lieu de se soumettre, les protestataires sont galvanisés. Le 7 février, Martelly termine son mandat sans pouvoir transmettre le pouvoir à un successeur. Le 14, au terme d’une longue séance de nuit, sans base légale ni constitutionnelle, le Parlement élit Jocelerme Privert « président provisoire » pour cent vingt jours.

Aucune solution n’a été trouvée lorsque ce mandat d’un nouveau type se termine le 14 juin. Malgré l’opposition de l’ambassadeur des Etats-Unis, Peter Mulrean, une Commission indépendante de vérification et d’évaluation électorale a été créée. Le 26 mai, après un mois de travail, son président François Benoit a remis son rapport et, en précisant qu’il était notamment impossible de retracer l’origine de 40 % des votes, a affirmé : « Il serait juste et équitable que, au moins au niveau des élections présidentielles, le processus soit repris à zéro. »

Il devient de plus en plus difficile de passer outre. Le 6 juin, sous la pression des foules, des défilés et des rassemblements « anti-ingérence », le président du CPE Léopold Berlanger annule le scrutin contesté et informe que les deux tours d’une nouvelle présidentielle auront lieu le 9 octobre et le 8 janvier 2017. Devant tant d’impudence – une décision souveraine ! – les puissances impériales s’étranglent. « Le peuple haïtien mérite que sa voix soit écoutée et non différée », s’emporte à Washington le porte-parole du Département d’Etat. Tout aussi irritée, l’Union européenne décide de suspendre sa mission d’observation électorale, dirigée par l’espagnole Elena Valenciano.

Les vagabonds, le sans-abris, les sans ressources, les infirmes et les enfants abandonnés subissent un nouveau coup du sort le 4 octobre lorsque l’ouragan Matthew dévaste le sud du pays. Plus de 540 morts : cette nouvelle tragédie oblige à reporter le premier tour de la présidentielle, qui aura finalement lieu le 20 novembre 2016.
Bénéficiant d’un financement direct des Etats-Unis à travers l’USAID, le PHTK de Jovenel Moïse peut se permettre de faire une campagne nationale. C’est donc son candidat qui l’emporte au premier tour avec 55,67 % des voix, devant Jude Célestin (19,52 %), Jean-Charles Moïse (Piti Dessalines ; 11,04 %) et Maryse Narcise (Fanmi Lavalas ; 8,99 %). Trois des neuf membres du CEP refusent de signer la feuille des résultats. Seuls 21 % des 6,2 millions d’électeurs se sont déplacés pour voter.

Corruption au plus haut niveau

Mieux vaut tard que jamais ! Le 5 janvier 2017, Guy Philippe, narcotrafiquant notoire, ancien militaire, ex-commissaire principal de police, entraîné par les forces spéciales américaines en Equateur dans les années 1990 et « commandant en chef » des « Forces armées du Nord » qui ont contribué au renversement d’Aristide en 2004, est détenu par la brigade haïtienne de lutte contre le trafic de stupéfiants et des agents américains de la Drug Enforcement Administration (DEA), puis immédiatement extradé aux Etats-Unis. Un mandat d’arrêt émis par la DEA pesait sur lui depuis dix ans, sans que personne ne pense vraiment à l’arrêter. Mais, fraîchement élu sénateur du département de la Grand’Anse pour le compte d’une plateforme, le Consortium national des partis politiques (CNPP), alliée du PHTK, il allait bénéficier de l’immunité parlementaire. Le couperet tombe quatre jours avant qu’il ne prête serment. Sans faire plaisir à tout le monde. Le 15 mars, le Sénat de la République votera une résolution condamnant l’arrestation et la déportation vers les Etats-Unis de tout citoyen haïtien, « notamment celle du sénateur élu de la Grand’Anse Guy Philippe » [9].

Le 18 janvier, quelques jours avant la prestation de serment du 7 février, et deux précautions valant mieux qu’une, quatre députés ont instamment demandé au nouveau président du Sénat, Youri Latortue, et au bureau de l’Assemblée nationale de clore l’enquête ouverte contre celui qui vient d’être élu chef de l’Etat, mais ne jouit pas encore de l’impunité attaché à la fonction, Jovenel Moïse, pour des soupçons de « blanchiment » d’argent. Une entreprise qu’il a dirigée a été identifiée comme bénéficiaire de fonds pour un projet de construction d’une route sans signature de contrat.

Sénat et Assemblée se montrent compréhensifs : ils ne s’attardent pas sur ces soupçons. Le risque définitivement écarté, Moïse prête serment et nomme premier ministre le président du Rotary Club, Jack Guy Lafontant.

Aristide avait supprimé les Forces armées ; Moïse les rétablit quand se répand la nouvelle que, motivés par « le retour à l’ordre constitutionnel », les casques bleus de la Minustah vont quitter le territoire le 15 octobre. Après treize années d’une présence perçue comme une occupation, celle-ci n’a jamais su se gagner la confiance des Haïtiens. De plus petite taille, une Mission des Nations unies pour l’appui à la justice en Haïti (Minujusth) prend le relais pour contribuer à la formation de la police haïtienne (14 000 membres pour 11 millions d’habitants).
Toutefois, à partir de juillet 2018, c’est le ressentiment populaire qu’alimentent des révélations sur les avantages présumés des fonctionnaires, le débat sur l’utilisation discutable des fonds Petrocaribe et l’augmentation des prix des combustibles qui relancent la tension. Puis l’insurrection populaire. « Environ trois milliards des fonds de Petrocaribe ont été gaspillés durant le gouvernement de Martelly,s’indigne Henry Boisrolin, du Comité démocratique haïtien, et, quand on lui a demandé ce qui s’est passé avec cet argent, il a répondu qu’il avait construit les hôtels Marriott, Oasis, etc. Ce sont les hôtels qui ont été attaqués, où des autos ont été incendiées et où de nombreuses choses ont été détruites. C’est une tromperie. Un président qui quitte le pouvoir et reconnaît qu’il a acheté une maison pour 9 millions de dollars, puis prétend qu’une banque les lui a prêtés. Un ex-président qui demande un hélicoptère à la République dominicaine pour fuir le pays avec sa famille [10]…  »

De la quinzaine d’anciens ministres et hauts fonctionnaires épinglés par l’enquête du Sénat, aucun n’a été poursuivi. Pas plus que les banques qui les ont aidés dans leurs détournements de fonds. Confronté aux marées humaines descendues dans les rues, à l’appel du mouvement #PetroCaribeChallenge, le président Moïse, le 18 octobre 2018, appuie l’ouverture d’une enquête. Le 19 novembre, le dos au mur, les représentants des trois pouvoirs de l’Etat se retrouvent pour se pencher sur la crise politique, économique et sociale qu’affronte le pays. La répression s’abat. Féroce. Indiscriminée.

« Il n’est plus possible d’ignorer les évènements de La Saline [un quartier réputé hostile au pouvoir], estime le quotidien Le Nouvelliste, le 4 décembre. En plein jour, des hommes armés assoiffés de sang, des membres de gangs connus, appuyés (…) par un blindé de la BOID [Brigade d’Opération et d’Intervention Départementale de la Police nationale] ont tué hommes, femmes, enfants, charcuté et brûlé des cadavres ».

Aide humanitaire

Début 2019, un nouveau scandale fait exploser les secteurs populaires de colère et de frustration. Grâce à Hugo Chávez et Nicolás Maduro, le Venezuela est le pays du monde qui, ces vingt dernières années, a le plus aidé Haïti. Le 10 janvier, alors que Maduro, réélu avec 67,84 % des votants, prêtait serment pour son second mandat (2019-2025), le secrétaire général de l’OEA Luis Almagro, chaque jour un peu plus à la botte de Washington, a convoqué une session extraordinaire et Haïti a été l’un des dix-neuf pays (sur trente-quatre) qui ont annoncé ne pas reconnaître le chef de l’Etat vénézuélien. Un coup de poignard dans le dos au plus fort de la tentative de coup d’Etat qu’organisent l’Empire et ses supplétifs latino-américains et européens.

Dès lors, une rage totale, sans merci, définitive, s’empare des opposants. Scènes chaotiques, pillages, émeutes en février. Les mouvements, syndicats, partis et dizaines de milliers d’anonymes avancent trois revendications : la démission immédiate de Jovenel Moïse ; le jugement et la condamnation des responsables du pillage du Fonds Petrocaribe ; l’appui au gouvernement vénézuélien et le rejet de l’ingérence américaine dans les affaires de la région.

Jovenel ne semble pas saisir la nature des événements lorsqu’il déclare, de façon irresponsable, « je ne mettrai pas le pays entre les mains de bandes armées et de narcotrafiquants », ravivant la colère de la population.

La peur étreint le milieu des affaires. Le 15 février, Washington appelle Port-au-Prince à faire ce que la « société civile » et surtout la Chambre de commerce et d’industrie d’Haïti (CCIH) recommandent : l’ouverture d’un dialogue, des améliorations politiques et économiques, et une lutte contre la corruption. Dès le lendemain, le premier ministre Jean-Henry Céant obtempère et annonce quelques mesures – réduction de 30 % du budget de son propre bureau ; audit de tous les organismes autonomes de l’Etat afin de récupérer les fonds détournés ; assainissement des douanes, suppression des monopoles, relèvement du salaire minimum journalier ; nomination de nouveaux directeurs des institutions de lutte contre la corruption ; mise en place de conseils d’administration à la tête des organismes autonomes de l’État ; réhabilitation du Fonds de développement industriel (Fdi) ; diminution des prix des produits de première nécessité.

Il ne manquait qu’un grand classique à ce déchaînement de violence pendant lequel des manifestants ont été assassinés par dizaines : le chapitre « barbouzerie ». Celui-ci a surgi le 18 février lorsque la police a appréhendé huit individus – cinq américains, un serbe et un russe résidant aux Etats-Unis, un haïtien – en possession d’un véritable arsenal : 6 fusils d’assaut, 5 pistolets Glock, 15 chargeurs de fusil d’assaut, environ 500 cartouches, 3 téléphones satellitaires, plusieurs plaques d’immatriculation et 2 drones professionnels. L’un d’entre eux, un ancien « marine » à la longue trajectoire militaire, Kroeker Kent Leland, figure comme associé et chef d’opération de Kroeker Partners, une compagnie de sécurité privée (CSP) basée à Baltimore, dans l’Etat de Maryland, aux Etats-Unis. Les autres américains – Christopher Michael Osman, Christopher Mark McKinley, Talon Ray Burton et Dustin Porte – sont d’anciens officiers de l’US Navy.

Selon la police haïtienne, ces hommes ont affirmé participer à une « mission gouvernementale » après avoir été interpellés. Sans doute pas au courant, le premier ministre Jean Henry Céant, les a dans un premier temps qualifié de « mercenaires » et de « terroristes ». Ce qui a amené le gouvernement américain à intervenir. Et, après que des conseillers du président Moïse aient tenté de soustraire les détenus aux autorités policières, le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Jean Roudy Aly, à autoriser leur retour aux Etats-Unis. Le jour même, ils quittaient l’aéroport international de Port-au-Prince sur un vol commercial d’American Airlines à destination de Miami.

Attendus à leur arrivée, ils ont déclaré aux autorités américaines qu’ils se trouvaient en Haiti pour assurer la sécurité privée d’un « homme d’affaires » travaillant pour le compte du gouvernement haïtien. Bien qu’ayant été arrêtés en Haïti en possession d’un arsenal de guerre totalement illégal et plus que suspect, ils ont été immédiatement libérés, après avoir été simplement « débriefés » [11].

Le 26 février, le président Jovenel Moïse a procédé à l’installation d’un Comité de facilitation du dialogue inter-haïtien de sept membres. Toutefois, avant même se présentation publique, deux de ses membres avaient déjà jeté l’éponge – dont Charles Suffrard, issu d’organisations paysannes. De son côté, n’ayant rien abandonné de ses revendications, le regroupement Konbit òganizasyon politik, sendika ak popilè projette de nouvelles journées de mobilisations, pour continuer, entre autres objectifs, d’exiger le départ du président Jovenel Moïse.
Le 1er mars dernier, en visite à Port-au-Prince pour discuter avec les dirigeants du secteur politique, du secteur privé et de la « société civile », le numéro trois du Département d’Etat aux affaires politiques David Hale, a averti haut et fort les « décideurs politiques », mais surtout ceux de l’opposition, que « les Etats Unis, n’accepteront pas qu’Haïti devienne une menace pour la région ». Genre : « elle est déjà très menacés par Cuba, le Nicaragua et le Venezuela. » Il a ajouté que l’administration Trump « mettra tout son poids dans la balance » pour forcer les protagonistes à discuter « pour sortir le pays d’une crise politique qui a trop durée ».

Ses déclarations n’ont pas obtenu un franc succès auprès de l’opposition radicale qui se méfie comme de la peste de la prétendue position de conciliation de Washington. Selon André Michel, l’un de ses porte-parole, « les Américains ne comprennent pas bien la crise politique haïtienne ». Plus direct encore, Jean Clarens Renois, candidat présidentiel en 2015 pour le compte de l’Union nationale pour l’intégrité et la réconciliation, a tranché : si resurgit un fort mouvement populaire, « la rue sera plus forte que les Etats-Unis ».

En attendant, à travers son dernier rapport trimestriel (1er mars 2019) adressé au secrétaire général des Nations unies, la Minujusth vient de souligner que « les conditions de vie de la population haïtienne se détériorent de plus en plus ». Selon ce rapport, et pour l’ensemble du pays, 5,5 % et 27 % des personnes interrogées se trouvent respectivement dans des situations d’urgence et de crise alimentaire ; 2,26 millions de personnes sont classées comme étant en situation d’insécurité alimentaire « et ont besoin d’une aide humanitaire à cet égard » [12].

Quelqu’un pourrait-il en aviser Donald Trump, son vice-président Mike Pence, son conseiller à la sécurité nationale John Bolton, son secrétaire d’Etat Mike Pompeo, le président colombien Ivan Duque ainsi que le « président » vénézuélien fantoche autoproclamé Juan Guaido (et même Emmanuel Macron) ? Plutôt que de laisser pourrir dans la ville colombienne et frontalière de Cúcuta, la pseudo « aide humanitaire » que trois avions cargo C-17 de l’armée américaine ont déposé pour organiser un show destiné à déstabiliser le Venezuela, que ne redirigent-ils ces cargaisons inutiles en direction d’Haïti, pays qui en a réellement besoin et ne les refusera pas ? Il est vrai que la concurrence risque d’être rude en cas de relocalisation. Affecté par la fermeture de la frontière qu’a entraînée la rupture des relations diplomatiques entre la Colombie et le Venezuela, le maire de Cúcuta, César Rojas, critique vertement le président Ivan Duque pour les conséquences négatives que subit sa ville du fait de la politique irresponsable qui en a fait l’épicentre d’un véritable fiasco. Lui aussi réclame désespérément une aide. Située dans une province, le Nord Santander, où deux municipalités atteignent 92 % de pauvreté, Cúcuta est l’une des villes les plus misérables de Colombie, avec, en ce qui la concerne, 34 % de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

Maurice Lemoine


Notes

[1AlterPresse, Port-au-Prince, 13 juillet 2018.

[2Lancé en 2006 par le président Hugo Chávez, Petrocaribe permet à dix-sept pays d’Amérique latine et des Caraïbes d’acquérir des produits pétroliers à un coût avantageux et de payer leurs factures sur 25 ans à un taux d’intérêt de 1 %.

[3Selon Allen Weinstein, l’homme qui a créé la NED à l’époque de l’administration Ronald Reagan, « une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui l’était déjà, mais en secret, par la CIA, voici 25 ans ». (Washington Post, 21 septembre 1991).

[4La contamination a été causée par les eaux usées et une grande quantité de matières fécales directement déversées dans un affluent de la rivière Artibonite, près de laquelle était installé le campement de la Minustah.

[5« Des élections fondamentalement viciées en Haïti », Center for Economic and Policy Research (CEPR), Washington, janvier 2011.

[6Frédéric Thomas, L’échec humanitaire. Le cas haïtien, Centre tricontinental (Cetri), Charleroi, 2013.

[7Benjamin Fernandez, « Quand Monsanto vient au secours d’Haïti », Le Monde diplomatique, juin 2010.

[8Présidente du Rassemblement des démocrates nationaux progressistes de 2006 à 2015, Mirlande Manigat est l’épouse de Leslie Manigat, brièvement chef de l’Etat du 7 février au 20 juin 1988, date de son renversement par les militaires.

[9Le 21 juin 2017, Guy Philippe a été condamné à une peine légère de neuf ans de prison par la justice américaine pour blanchiment d’argent – entre 1,5 et 3,5 millions de dollars entre 1999 et 2003 – provenant de la drogue.

[11D’après l’une des thèses qui circule (et que nous ne confirmons ni n’infirmons, faute d’informations de première main), la mission en Haïti de Kroeker Partners – spécialisée dans la protection d’infrastructures critiques (ports, aéroports, centrales électriques, banques) – était « top secret ». Seuls quelques membres de l’Exécutif en étaient informés, la Police nationale n’ayant pas été impliquée en raison d’un manque de confiance dans sa direction.

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Par GRAIN, MASIPAG et le réseau Stop! Golden Rice

Sur une couverture désormais célèbre du magazine Time en 2000, le riz doré était présenté comme le « riz qui pourrait sauver des millions de vies ». La prévision optimiste selon laquelle le riz génétiquement modifié (GM) serait commercialisé au début des années 2000 était un leurre : 20 ans plus tard, le riz doré n’a pas encore tenu sa promesse messianique, à savoir résoudre le problème de la carence en vitamine A (CVA) chez les enfants des pays pauvres.

Ses promoteurs, notamment l’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) et ses comparses, sont prompts à rejeter la faute sur les agriculteurs et les organisations qui s’opposent au riz OGM. Ils accusent les agriculteurs, les consommateurs, les écologistes et de nombreux autres opposants au riz OGM d’avoir du sang sur les mains, leur opposition « pernicieuse » ayant permis la cécité et la mort de millions d’enfants qui auraient pu bénéficier de ce produit noble et humanitaire.

Mais est-ce vraiment le cas ?

La recherche et le développement sur le riz doré se poursuivent maintenant depuis près de vingt ans. Il est vrai que la société civile a lancé contre le riz génétiquement modifié et contre d’autres organismes génétiquement modifiés (OGM) des campagnes réussies qui sont parvenues à bloquer les essais au champ et la multiplication en masse. Mais, même si la mécanique du riz doré continue de tourner, ce sont les lacunes et les défauts inhérents au riz doré qui expliquent pourquoi celui-ci n’arrive toujours pas sur le marché. Et comme le riz doré est voué à l’échec, la résistance des peuples devient d’autant plus authentique et nécessaire contre ce faux sauveur et son or trompeur.

Qu’est-ce que le riz doré ?

Le riz est une culture très importante pour de nombreuses communautés en Asie. Il est non seulement le principal aliment de base pour la majorité des gens, il est également un élément important de la culture et de la société asiatiques. La production de riz est encore principalement entre les mains de petits agriculteurs de subsistance. Les moyens d’existence de la majorité des travailleurs agricoles dans les zones rurales sont liés, à un degré ou à un autre, à la production du riz. Le riz possède également une grande diversité de variétés, depuis le riz de terres sèches à des variétés qui peuvent pousser dans les zones côtières. Depuis l’Inde jusqu’en Indonésie et depuis la Chine jusqu’aux Philippines, on trouve facilement plus de 40 000 variétés de riz, et plus de 90 % du riz mondial est produit et consommé en Asie.

Bien qu’il soit considéré comme un plat nutritif, le riz manque de micronutriments tels que la vitamine A ou son précurseur, le bêta-carotène. C’est pourquoi il est normalement consommé avec un accompagnement, des légumes ou des protéines à base de viande, pour pallier le manque en micronutriments des régimes riches en riz. En 1999, un groupe de chercheurs européens dirigé par le Dr Ingo Potrykus a essayé de remédier à cette situation en mettant au point un riz génétiquement modifié contenant du bêta-carotène, en y insérant des bactéries ainsi que des gènes de jonquille et de maïs. C’est le riz doré, appelé ainsi à cause de la couleur dorée de ses grains.

Chronologie du projet sur le riz doré de 1999 à aujourd'hui.Chronologie du projet sur le riz doré de 1999 à aujourd’hui.

Ces scientifiques ont fait valoir que le riz doré pouvait résoudre le problème des carences en vitamine A et en d’autres éléments nutritifs, notamment en vitamine A, puisque que le riz est consommé comme aliment de base principalement dans des pays pauvres et en développement dans lesquels les populations ne pourraient pas se permettre un régime alimentaire équilibré.

Syngenta a ensuite mis au point une nouvelle version de Golden Rice, GR2, et en a fait don à son conseil humanitaire, Golden Rice Humanitarian Board, pour assurer l’introduction et le déploiement du GR2. Syngenta a prétendu que la consommation massive de riz doré répondrait à l’ampleur de la carence en vitamine A, qui entraîne la cécité chez environ cent mille enfants chaque année dans des pays comme les Philippines, le Bangladesh, l’Indonésie et l’Inde. En 2011, la Fondation Bill et Melinda Gates a ensuite fait un don d’environ 10,3 millions USD à l’Institut international de la recherche sur le riz (IRRI) pour le développement du riz doré.

Depuis la première annonce sur ce riz génétiquement modifié à la fin des années 1990, le riz doré est passé par différentes étapes de développement et suscite à la fois enthousiasme et opposition aux quatre coins du monde. La lutte sur le riz doré a été passionnée. Ses promoteurs y voient le symbole de tous les bienfaits qui peuvent être offerts par les biotechnologies, ont fait d’elle la panacée pour la CVA et ont accusé ses opposants d’être responsables de la cécité chez les enfants. Le riz doré a ouvert la porte à d’autres cultures génétiquement modifiées biofortifiées et a joué un rôle crucial dans les discussions autour des cultures OGM. Plusieurs de ces plantes génétiquement modifiées biofortifiées en cours de développement peuvent être citées :

–   Riz OGM enrichi en zinc et en fer. Développé par la même équipe de l’IRRI qui travaille sur le riz doré, sur la base d’un rapport publié en 2015 [1].

–   Super-banane ou banane dorée : banane génétiquement modifiée contenant du bêta-carotène, mise au point par des chercheurs de l’Université de technologie du Queensland avec un financement de 5,9 millions de livres sterling de la Fondation Bill and Melinda Gates[2].

–   Pomme de terre dorée : une souche de pomme de terre jaune-orange modifiée par génie génétique qui contient de la vitamine A et de la vitamine E. Développée par un groupe de scientifiques de l’Université d’État de l’Ohio et l’Agence nationale italienne pour les nouvelles technologies[3].

– Riz violet, produit par génie génétique, qui contient les composés antioxydants colorés que l’on trouve normalement dans les myrtilles. Mis au point par une équipe de l’Université agricole de Chine méridionale à Guangzhou. Il est censé contribuer à la prévention du cancer[4].

Quels sont les pays ciblés pour le développement du riz doré et quelle est la situation actuelle ?

Philippines

Des participants internationaux venus d’Asie ainsi que de Nouvelle Zélande et d’Australie se sont réunis face au Département de l’Agriculture des Philippines pour exhorter ce dernier à ce qu’il refuse immédiatement les demandes qui lui ont été soumises pour des essais en champ et l’utilisation directe du riz doré aux Philippines.

Des participants internationaux venus d’Asie ainsi que de Nouvelle Zélande et d’Australie se sont réunis face au Département de l’Agriculture des Philippines pour exhorter ce dernier à ce qu’il refuse immédiatement les demandes qui lui ont été soumises pour des essais en champ et l’utilisation directe du riz doré aux Philippines.

En février 2017, l’Institut philippin de recherche sur le riz (PhilRice) et l’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) ont soumis deux demandes pour des essais en champ et un permis de biosécurité pour une utilisation directe du riz doré GR2E dans l’alimentation humaine ou animale, ou pour la transformation, qui seraient accordées au Bureau de l’industrie végétale du Département de l’Agriculture.

Ces demandes ont été déposées après des essais au champ en milieu confiné par PhilRice entre 2015 et 2016, lorsque PhilRice est arrivé à la conclusion que le riz doré possède les mêmes composants nutritionnels que le riz ordinaire, à l’exception de sa teneur en bêta-carotène, et n’a pas d’impact sur les principales propriétés agronomiques du riz, notamment son rendement.

PhilRice et IRRI ont discrètement effectué l’essai au champ en milieu confiné et sont restés muets sur la situation du riz doré aux Philippines après août 2013, quand plus de 400 agriculteurs et travailleurs du secteur primaire se sont rendus au Bureau régional du Département de l’Agriculture à Pili, dans la province de Camarines Sur et ont arraché les essais au champ de riz doré qui s’y trouvaient[5]. Selon les agriculteurs, l’action directe visait à empêcher la contamination de leurs précieuses variétés traditionnelles, qu’ils ont eux-mêmes sélectionnées. Les deux institutions ont accusé l’action d’arrachage d’avoir causé des difficultés pour la commercialisation prévue du riz doré pendant deux ou trois années de plus, bien que l’IRRI ait également avoué que les rendements de la variété de riz doré cultivée dans les essais au champ se sont avérés un échec, avec des rendements moyens inférieurs à ceux des variétés locales[6].

Les nouvelles demandes d’essais au champ ne concernent que deux sites : les stations expérimentales Philrice de Muñoz (province de Nueva Ecija) et de San Mateo (province de Isabela), considérées comme faisant partie des meilleures régions de riziculture sur Luçon, la plus grande île des Philippines. Selon Philrice, les essais au champ ne dureront qu’une seule saison de culture, après quoi la demande de multiplication commerciale sera déposée.

Outre les essais au champ, les promoteurs du riz doré ont également déposé une demande d’utilisation directe pour l’alimentation humaine et animale, ainsi que pour la transformation. On ne sait toujours pas clairement en quoi consiste la demande d’utilisation directe, mais elle a très probablement été déposée dans le but de faciliter les essais alimentaires chez les consommateurs ciblés et, au final, la mise sur le marché du riz doré.

Bangladesh

Action de solidarité mondiale contre la commercialisation du riz doré au Bangladesh.Action de solidarité mondiale contre la commercialisation du riz doré au Bangladesh.

Le Bangladesh a terminé les essais au champ en milieu confiné du riz doré de l’Institut de recherche sur le riz du Bangladesh (BRRI), situé à Gazipur, au début de 2017. Il est actuellement sur le point de soumettre au ministère de l’Environnement et au ministère de l’Agriculture une demande d’essai au champ sur plusieurs sites, dans des champs d’agriculteurs. Par ailleurs, une demande d’évaluation environnementale et de sécurité alimentaire sur le riz doré GR2E BRRI dhan29 a été transmise au ministère de l’Agriculture en novembre 2017 et au ministère de l’Environnement et des Forêts le mois suivant[7].

Cependant, la contamination par le riz doré dans les échanges commerciaux a également suscité des préoccupations au Bangladesh. Le Bangladesh lui-même est déjà confronté au problème de l’exportation de ses produits agricoles puisqu’il a autorisé la production commerciale d’aubergines Bt en 2013 et que l’Inde a mis en place un moratoire sur les aubergines provenant du Bangladesh[8]. En tant que nouveau pays exportateur de riz, le Bangladesh veille prudemment à ne pas contaminer ses exportations de riz par du riz OGM, craignant que cela n’ait des répercussions sur son marché d’exportation des produits agricoles.

Cela montre que, malgré des années de travail de relations publiques pour convaincre le public qu’il n’y a pas de danger à consommer des aliments génétiquement modifiés, la confiance du public vis-à-vis des cultures génétiquement modifiées reste dans l’ensemble faible, en particulier pour les produits alimentaires de base comme le riz.

Inde

Des délégués internationaux d’Inde, Sri Lanka, Bangladesh, Chine, Vietnam, Indonésie, Australie, Nouvelle-Zélande et Canada ont participé à la Conférence internationale du Réseau Stop! Golden Rice, du 2 au 4 avril 2018.Des délégués internationaux d’Inde, Sri Lanka, Bangladesh, Chine, Vietnam, Indonésie, Australie, Nouvelle-Zélande et Canada ont participé à la Conférence internationale du Réseau Stop! Golden Rice, du 2 au 4 avril 2018.

L’Inde participe au développement du riz doré depuis le tout début. Le Dr Potrykus a lui-même reconnu avoir reçu le soutien de la Collaboration indo-suisse en biotechnologie (ETH Zurich), une institution financée conjointement par le Département indien des biotechnologies à New Delhi (Inde) et l’Agence suisse pour le développement à Berne (Suisse). Le riz doré a été introduit en Inde grâce au cadre organisationnel existant de la Collaboration indo-suisse en biotechnologie, et il était initialement prévu que l’Inde joue un rôle de premier plan et serve de modèle à d’autres pays.

Lors de la 54e assemblée de l’Institut indien de recherche agricole (IARI) en février 2016, le président indien de l’époque, Shri Pranab Mukherjee, a souligné dans son discours que l’IARI avait mis au point par sélection moléculaire un riz doré modifié génétiquement, enrichi en pro-vitamine A et en maïs à forte teneur en protéines, et des variétés de blé, de millet perlé et de lentilles riches en fer et en zinc. Un projet intitulé « Développement du riz doré pour diverses zones agro-écologiques du Bihar » était en cours à l’Université agricole de Rajendra, dans l’État du Bihar, avec un soutien financier de près de 95 000 USD (6,8 millions de roupies) dans le cadre du programme de développement agricole national (Rashtriya Krishi Vikas Yojana).

Bien qu’ils aient été les premiers à avoir développé le riz doré dans le pays, en 2017, un groupe de chercheurs a annoncé que les gènes nécessaires à la production du riz doré avaient des effets indésirables. Lorsqu’ils ont inséré la séquence d’ADN génétiquement modifiée dans le Swarma, une variété de riz indien à haut rendement et de très haute qualité agronomique, ce riz est devenu pâle et rabougri. Les rendements étaient si faibles qu’il s’avérait impropre à la culture[9]. Et depuis, le développement du riz doré n’a pas beaucoup progressé en Inde.

Le rejet du riz doré en Inde s’inscrit dans le cadre d’un rejet plus large des autres riz et cultures OGM. En octobre 2015, des membres de la Bharat Kisan Union, le syndicat des agriculteurs de l’Inde du Nord, se sont introduits dans une parcelle de riz OGM dans l’État d’Haryana, gérée par la filiale indienne de Monsanto, Mahyco, et ont brûlé la récolte. Les essais au champ dans l’État d’Haryana contrevenaient à plusieurs règlements. Premièrement, la lettre d’autorisation de la culture du riz OGM émanant du Comité d’approbation du génie génétique (Genetic Engineering Approval Committee), l’autorité réglementaire indienne pour les essais au champ et la diffusion commerciale des cultures transgéniques, a été publiée dix jours après le semis des cultures. Deuxièmement, Mahyco avait omis d’informer de ces essais les autorités agricoles de l’État et du district, comme l’exigeait la réglementation.

Indonésie

Les informations publiques sur le développement du riz doré en Indonésie sont très limitées. Le riz doré a été testé en Indonésie depuis 2012 au Centre de recherche sur le riz (BB Padi) à Bogor, en Java occidental.

En mars 2014, l’un des chercheurs de l’IRRI s’est rendu au Centre de BB Padi pour observer l’avancement de la recherche sur le riz doré en Indonésie. Lors de la réunion avec le responsable du centre de recherche sur le riz et d’autres chercheurs, l’IRRI a confirmé que les résultats agronomiques obtenus par le riz doré IR64 GR2-R en Indonésie étaient de qualité médiocre par rapport à un riz IR64 classique. Pour cette raison, depuis 2014, les projets visant à réaliser des essais confinés en Indonésie ont été reportés[10].

Malgré les échecs de développement et le report des essais confinés en Indonésie, la demande présentée par l’IRRI à la FSANZ (Food Safety Australia and New Zealand) en 2016 indiquait que l’IRRI menait une consultation sur la biotechnologie avant mise sur le marché, conjointement avec ses partenaires du Système national de recherche et de vulgarisation agricoles (NARES), et prévoyait des demandes d’approbation réglementaire, y compris en Indonésie. L’IRRI affirme que la demande à la FSANZ est basée sur le type GR2E, une version nettement améliorée du riz doré. Mais aucune communication publique appropriée n’a été faite concernant le développement d’un riz doré de type GR2E en Indonésie.

Brevets sur le riz doré : À qui appartient le riz doré ?

Les paysans s’opposent au riz doré car ils savent que ce riz ne rend aucun service aux agriculteurs ni aux consommateurs, et qu’il s’agit plutôt d’une façon de générer des profits pour les multinationales agrochimiques.Les paysans s’opposent au riz doré car ils savent que ce riz ne rend aucun service aux agriculteurs ni aux consommateurs, et qu’il s’agit plutôt d’une façon de générer des profits pour les multinationales agrochimiques.

La technologie sur laquelle repose le riz doré d’origine (GR1, fabriqué à partir d’un gène de la jonquille) a été développée et brevetée en 2000 par des chercheurs du secteur public, Ingo Potrykus et Peter Beyer. Ils ont cédé leurs droits sur la technologie à Syngenta. Syngenta a ensuite négocié d’autres licences provenant d’autres sources, dont Monsanto, afin de rendre la technologie utilisable, puis a redonné une licence aux inventeurs pour une utilisation « humanitaire », sous certaines conditions, dans des pays en développement.

Syngenta conserve tous les droits commerciaux sur le riz doré, y compris sur les améliorations technologiques. La société est également directement propriétaire du brevet sur le GR2, un riz doré modifié, fabriqué avec un gène du maïs. Mais elle a déclaré qu’elle n’était plus intéressée par la commercialisation du riz lui-même dans les pays développés.

Après les approbations réglementaires, la société d’État chinoise ChemChina a acheté la grande majorité des actions de Syngenta en juin 2017, pour 43 milliards de dollars US. ChemChina a acheté les actions restantes peu de temps après et Syngenta a été radiée de la cote. Syngenta est maintenant une société privée détenue par un seul actionnaire, ChemChina. ChemChina a annoncé son intention à l’avenir de réintroduire en bourse une participation minoritaire dans la société.

Bien qu’elle soit maintenant propriété chinoise, Syngenta est toujours une société suisse. Selon son président, Ren Jianxin, la société a pour objectif de doubler de taille au cours des 5 à 10 prochaines années et d’accroître ses ventes de semences de manière significative, notamment par le biais de fusions et acquisitions.

Le site web de Syngenta indique que « la plus grande partie de [sa] propriété intellectuelle mondiale appartient aux filiales suisses de Syngenta. Aucun transfert de ces droits de propriété intellectuelle à des entités chinoises n’est prévu. » Dans le cas du riz doré, la filiale est Syngenta Seeds AG, respectivement cessionnaire et titulaire des deux brevets principaux.

En 2018, le plus grand conglomérat chimique de Chine, SinoChem, envisage de se réunir et de fusionner avec ChemChina dans le cadre ce qui pourrait être un rachat d’une valeur de 120 milliards de dollars US. La nouvelle entité dépasserait Dow-DuPont et deviendrait la plus grande société chimique du monde. En résumé, ChemChina détient Syngenta, qui conserve les droits sur le riz doré. Un transfert de ces droits à d’autres parties n’est pas prévu pour le moment, mais la situation pourrait changer à l’avenir.

Riz doré – Moins performant que des sources naturelles de bêta-carotène

Des agriculteurs et des leaders montrent des sources naturelles de Vitamine A que l’on peut trouver en Asie.Des agriculteurs et des leaders montrent des sources naturelles de Vitamine A que l’on peut trouver en Asie.

Au cours des deux dernières décennies, les créateurs et les promoteurs du riz doré ont continuellement insisté sur le fait que le projet était crucial pour la réduction de l’ampleur de la CVA, un problème qui sévit dans de nombreux pays en développement. Il est vrai que la carence en vitamine A reste l’une des formes courantes de malnutrition dans de nombreux pays pauvres et en développement, notamment en Afrique et en Asie du Sud-Est. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on estime à 250 millions le nombre d’enfants d’âge préscolaire présentant un déficit en vitamine A. La pauvreté et la faiblesse du pouvoir d’achat sont considérées comme des causes majeures de la malnutrition, notamment de la CVA. Le riz doré ne résoudra jamais ces problèmes sous-jacents.

La classification du riz doré est également très vague et il est souvent difficile de savoir si le riz doré est classé comme médicament ou comme aliment, car il est censé être une solution à la carence en vitamine A (CVA). Le Dr Gene Nisperos, de la Health Alliance for Democracy (HEAD) et du Collège de médecine de l’Université des Philippines à Manille, a souligné que l’affirmation des promoteurs du riz doré selon laquelle ce riz est sans danger n’est pas étayée par des expériences de laboratoire in vivo ou extérieures et ne peut satisfaire aux rigueurs de la science. Certaines des études présentées étaient basées uniquement sur des travaux portant sur des caractères protéiques spécifiques.

L’utilisation directe et la commercialisation du riz doré sont donc tout à fait préoccupantes. En février 2009, on a appris que le projet Golden Rice avait effectué des essais dans une école de la province du Hunan, en Chine, avec 68 élèves âgés de 6 à 8 ans. Vingt-trois enfants avaient reçu du riz génétiquement modifié lors de leurs repas à l’école, bien qu’aucun essai n’ait jamais été réalisé dans une étude d’alimentation sur les effets néfastes sur la santé. Cela a provoqué un débat public : la question était de savoir s’il était éthiquement et médicalement responsable d’effectuer de tels essais sur des êtres humains sans essais d’alimentation préalables sur des animaux[11].

Le débat a pris fin en 2015, après que l’American Journal of Clinical Nutrition ait retiré un article scientifique qui prétendait montrer que le riz génétiquement modifié constitue une supplémentation efficace en vitamine A. Cela s’est produit après le rejet par la Cour supérieure du Massachusetts de la demande du premier auteur visant à obtenir une injonction contre l’éditeur. La Cour a estimé que l’étude présentait des manquements déontologiques, n’apportait pas de preuve du consentement des parents à la participation des enfants aux essais et avait falsifié des documents d’approbation éthique[12].

Malgré la controverse entourant les essais d’alimentation directs avec des enfants, l’IRRI et PhilRice ont soumis une demande d’essais d’alimentation directs au département de l’agriculture des Philippines, en février 2017. Par ailleurs, selon une source au BRRI, des essais d’alimentation avec des enfants sont également prévus entre 2018 et 2019 au Bangladesh, une fois que les essais en plein champ seront achevés, avec l’aide de l’institut Hellen Keller, une organisation partenaire du Conseil humanitaire pour le riz doré.

La demande d’autorisation en matière de sécurité alimentaire pour le riz doré : un simple coup de tampon

Des demandes relatives à la sécurité alimentaire ont été transmises à la FDA (Food and Drug Administration) américaine, à la FSANZ (Food Standards Australia New Zealand) et à Santé Canada. Ces demandes sont présentées comme un moyen d’éviter tout problème commercial dans le cas où des petites quantités de riz contamineraient par inadvertance des cargaisons d’autres riz blanchis importés.

En décembre 2017, la FSANZ a accepté les données de sécurité de l’IRRI et a autorisé l’arrivée du riz doré dans l’approvisionnement alimentaire de l’Australie[13]. Cela en dépit du fait que la culture du riz doré n’est pas autorisée en Australie et que l’Autorité de contrôle des technologies génétiques (OGTR) n’a pas reçu de demande. Selon Test Biotech, un institut indépendant basé en Suisse et chargé d’évaluer l’impact des biotechnologies, une campagne de l’industrie a été lancée pour soutenir la demande[14]. Parmi les contributions envoyées à la FSANZ figuraient plusieurs lettres de sociétés telles que Bayer, Dow et Syngenta.

Une analyse complémentaire de Test Biotech montre également que les plantes cultivées au cours d’essais au champ produisent une quantité de caroténoïdes bien inférieure (3,5 µg/g – 10,9 µg/g) par rapport à l’événement initial GR2, censé produire au maximum plus de 30 µg/g. Dans le même temps, alors que des publications antérieures indiquaient que le bêta-carotène représentait environ 80 % du total des caroténoïdes, le riz dans les essais au champ n’avait atteint que 59 %. Ainsi, en ce qui concerne la qualité nutritionnelle, la demande de l’IRRI donne l’impression que les avantages potentiels du riz mentionnés dans les soumissions de l’industrie sont grandement surestimés et ne peuvent être obtenus dans des conditions concrètes.

En mars 2018, à la suite de l’autorisation de la FSANZ, Santé Canada a également délivré une autorisation afin que la variété de riz doré puisse être vendue au Canada pour l’alimentation humaine[15]. La dernière autorisation est venue de la FDA américaine en juin 2018. Bien qu’elle ait approuvé la demande sur le riz doré au niveau de la sécurité alimentaire, dans ses commentaires, la FDA soutient l’évaluation de Test Biotech. La FDA a conclu que le niveau de bêta-carotène dans le riz doré était trop faible pour justifier une allégation sur la teneur en éléments nutritifs, ce qui témoigne de l’échec et de l’insignifiance du riz doré OGM dans la lutte contre la malnutrition et la CVA[16].

Mais avons-nous vraiment besoin du riz doré pour lutter contre la CVA ?

Des pays cibles tels que les Philippines ont réussi à réduire leurs niveaux de CVA dans les secteurs vulnérables avec des programmes de nutrition conventionnels. Selon les données du Conseil national de la nutrition des Philippines, il y a eu une baisse significative des cas de CVA entre 2003 et 2008, l’incidence de la CVA chez les enfants âgés de 6 mois à 5 ans étant passée de 40,1 % en 2003 à 15,2 % en 2008. Chez les femmes enceintes, l’incidence est tombée de 17,5 % à 9,5 % et chez les mères allaitantes de 20,1 % à 6,4 %. Au Bangladesh, selon l’enquête nationale sur la nutrition réalisée par le ministère de la Santé et de la Famille, au milieu des années 1990, 44 % de la population totale avaient couvert leurs besoins en vitamine A grâce à leur régime alimentaire. De plus, entre 1995 et 2005, la prévalence de la CVA au Bangladesh a été réduite à 22 % chez les enfants et à 23 % chez les femmes enceintes[17]. Le ministère de la Santé et des Affaires sociales du Bangladesh a souligné que la supplémentation en capsules riches en vitamine A était la mesure la plus rentable à court terme pour lutter contre la CVA, en la combinant avec des améliorations de la diversification alimentaire et de l’éducation nutritionnelle[18]. On retrouve une situation similaire en Indonésie, où des capsules de vitamine A sont administrées deux fois par an aux enfants âgés de 6 à 59 mois. Le dernier recensement sur la CVA, mené en 2011, a montré que le niveau de CVA était déjà inférieur au niveau considéré comme posant un problème de nutrition publique, ce qui signifie que ce n’était plus un problème de santé au niveau national[19].

D’après les documents de l’IRRI, le riz doré contient moins de 10 % de la quantité de bêta-carotène présente dans une quantité équivalente de carottes. Comme on l’a vu précédemment, même la FDA américaine a souligné la faiblesse de la teneur en bêta-carotène du riz doré. Citant le rapport IRRI, la FDA indique que la teneur en bêta-carotène moyenne du riz doré ne dépasse pas 1,26 µg/g, ce qui est même inférieur à l’expression de 1,6 µg/g de bêta-carotène de la toute première génération de riz doré des années 2000.

La teneur déjà réduite en bêta-carotène de GR2E peut également se dégrader au fil du temps, comme l’a montré une étude réalisée en 2017[20]. Seulement 60 % de la teneur en bêta-carotène est conservée dans le riz doré après trois semaines de stockage et seulement 13 % après 10 semaines. En Australie, le réseau des Mères qui démystifient le génie génétique (Mothers are Demystifying Genetic Engineering, MADGE) souligne que, à ce rythme de dégradation, « la vitamine A se dégradant pendant le stockage, 75 jours après la récolte, une personne aurait besoin de manger 31 kg pour obtenir la même quantité que dans une poignée de persil frais. » Elles affirment en outre qu’« une seule carotte contient la même quantité de vitamine A que 4 kg de riz doré OGM cuit. »[21]. C’est peut-être la raison pour laquelle les promoteurs du riz doré, qui affirmaient, dans les années 2000, détenir la solution pour sauver des millions de vies, déclarent maintenant que le riz doré n’est « qu’une solution parmi d’autres » face à la CVA. Et cela renvoie à la question essentielle : avons-nous vraiment besoin du riz doré pour lutter contre la carence en vitamine A ?

Le riz doré, un faux sauveur

Le retard de la commercialisation du riz doré et l’« acceptation peu enthousiaste » du public sont dus aux lacunes et défauts inhérents à la technologie et au produit lui-même. Le riz doré va être inutile et il est peu probable qu’il atteigne son objectif d’aider à résoudre le problème de la CVA si son bêta-carotène reste faible et est même susceptible de se dégrader. Les rendements ont toujours été faibles, ce qui indique que les agriculteurs pourraient en souffrir sur le plan économique s’ils choisissaient de planter du riz doré. Dans le même temps, le riz doré permettra à de grandes sociétés de mettre le pied dans la porte de notre agriculture et d’introduire davantage de cultures vivrières génétiquement modifiées.

Les groupes qui promeuvent font la promotion du riz doré accusent depuis toujours les détracteurs de ce riz doré, et leur font porter la responsabilité de la mort de millions d’enfants atteints de CVA. Mais qui est vraiment le criminel ?

Tandis que ces groupes favorables au riz doré continuent de qualifier de « vandales » les opposants, ils continuent également de tenir pour acquis la réalité de la faim que vivent quotidiennement ces agriculteurs et les populations asiatiques. Nos pays ont la chance de disposer de ressources abondantes pour nourrir leurs populations, mais la pauvreté et les inégalités sociales empêchent les gens de se procurer des aliments sains et nutritifs. Le riz doré ne résoudra jamais la CVA et ne fera que renforcer le statu quo, au profit uniquement de ceux qui souhaitent contrôler le secteur agricole de nos pays.

Le véritable crime contre l’humanité est commis par le camp des partisans du riz doré, qui colportent un produit OGM qui n’a pas été testé et dont la sécurité n’est pas prouvée. En fait, cela peut conduire à une situation dans laquelle le « médicament » est pire que la maladie qu’il prétend guérir.

Le riz doré est une réponse technologique à la malnutrition et un stratagème des entreprises pour contrôler notre agriculture. Ni les Asiatiques ni le monde n’en ont besoin. En effet, la solution à la faim et à la malnutrition se trouve dans des approches globales qui garantissent l’accès des populations à des sources d’alimentation diversifiées. Le véritable moyen d’améliorer la production alimentaire et d’éliminer la faim et la malnutrition est de garantir le contrôle des petits agriculteurs sur des ressources telles que les semences, les technologies appropriées, l’eau et la terre.

 

Notes

[1]Kurniawan R. Trijatmiko et.al, 2016. Biofortified indica rice attains iron and zinc nutrition dietary targets in the field. https://www.nature.com/articles/srep19792

[2]Jean-Yves Paul, et al. 2016. Golden bananas in the field : elevated fruit pro-vitamin A from the expression of a single banana transgene. Plant Biotechnology Journal. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/pbi.12650

[3]Ruth Kava. 2017. Golden Potatoes : Vitamin-A fortified GMO variety could help tackle childhood blindness in Africa. American Council on Science and Health. https://geneticliteracyproject.org/2017/11/22/golden-potatoes-vitamin-fortified-gmo-variety-help-tackle-childhood-blindness-africa/

[4]Zhu et al. 2017.  Development of “Purple Endosperm Rice” by Engineering Anthocyanin Biosynthesis in the Endosperm with a High-Efficiency Transgene Stacking System. https://www.asianscientist.com/2017/07/in-the-lab/purple-rice-antioxidants-cancer/

[5]Masipag, Sikwal GMO, KMB. 2014. Bicolano farmers continue fight against Golden Rice field tests and commercialization ! Call for a GMO free Bicol. (Les agriculteurs de la région de Bicol poursuivent leur lutte contre les essais en champ et la commercialisation du riz doré ! Appel pour un Bicol sans OGM.)  https://www.grain.org/e/4991

[6]IRRI. 2016. There have been reports that Golden Rice field trials resulted in stunted plants and reduced grain yield. Is this true ? http://irri.org/golden-rice/faqs/there-have-been-reports-that-golden-rice-field-trials-resulted-in-stunted-plants-and-reduced-grain-yield-is-this-true

[7]IRRI. 2018. What is the status of the Golden Rice project ? http://irri.org/golden-rice/faqs/what-is-the-status-of-the-golden-rice-project

[8]Dr Eva Sirinathsinghji. Juillet 2014. Bangladeshi BT brinjal pilot scheme failed http://www.twn.my/twnf/2014/4122.htm

[9] Allison Wilson. 2017. Goodbye to Golden Rice ? GM Trait Leads to Drastic Yield Loss and « Metabolic Meltdown ». https://www.independentsciencenews.org/health/goodbye-golden-rice-gm-trait-leads-to-drastic-yield-loss/

[10]Communication directe avec le Centre indonésien de recherche sur le riz

[11]Xinhua. 2012. China continues to probe alleged GM rice testing. http://www.chinadaily.com.cn/china/2012-09/06/content_15736980.htm

[12]              The Ecologist. 2015. Golden rice GMO paper retracted after judge rules for journal. https://theecologist.org/2015/jul/31/golden-rice-gmo-paper-retracted-after-judge-rules-journal

[13]Food Standard Australia and New Zealand. 20 décembre 2017. Approval report – A1138. Food derived from Pro-Vitamin A Rice Line GR2E. http://www.foodstandards.gov.au/code/applications/Documents/A1138%20Approval%20report.pdf

[14]Test Biotech. Data on ‘Golden Rice’ not sufficient to show health safety and indicate low benefits. Février 2018. https://www.testbiotech.org/en/node/2151

[16]USFDA letter to Dr. Donald McKenzie Regulatory Affairs and Stewardship Leader International Rice Research Institute Re: Biotechnology Notification File N° BNF 000158 https://www.fda.gov/downloads/Food/IngredientsPackagingLabeling/GEPlants/Submissions/ucm608797.pdf

[17]Hannah Ritchie et Max Roser. 2017. Micronutrient Deficiency. https://ourworldindata.org/micronutrient-deficiency#vitamin-a-deficiency

[18]Ministry of Health and Family Welfare, Government of Bangladesh. 2008. National Guidelines for Vitamin A program in Bangladesh. https://www.nutritionintl.org/content/user_files/2014/08/FINAL-VERSION-National-Guidelines-VAS3.pdf

[19]Depkes. 19 novembre 2012. Menkes : Ada tiga kelompok permasalahan gizi di Indonesia. http://www.depkes.go.id/article/print/2136/menkes-ada-tiga-kelompok-permasalahan-gizi-di-indonesia.html

[20]Schaub et al 2017.  Nonenzymatic β-Carotene Degradation in Provitamin A-Biofortified Crop Plants. J. Agric. Food Chem., 2017, 65 (31), pages 6588–6598. DOI : 10.1021/acs.jafc.7b01693

[21]MADGE. Février 2018. An Open Letter on GM golden rice in Australia. http://www.madge.org.au/open-letter-gm-golden-rice-australia

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Nous serons toujours étonnés par l’inconscience habituelle de l’être humain, sa faible empathie, ou son empressement défensif à nier la réalité, ce rejet répressif prenant la forme d’une censure mentale, une sorte d’aveuglement dont font preuve les privilégiés jouissant de leurs privilèges même lorsque ceux-ci sont en réalité minimes!

Qu’est-ce qui est à l’origine de cet empressement des plus favorisés à nier la condition de ceux qui le sont moins? On peut se demander, comment des gens sensibles, intelligents même, habituellement honnêtes et bénéficiant d’une culture d’un certain niveau, peuvent cependant se montrer aveugles au point de nier ce qui pourtant est évident?

Des travaux en psychologie cognitive et comportementale ont été réalisés maintes fois et depuis longtemps par des chercheurs en psychologie. Ces travaux menés dans les conditions de la rigueur expérimentale ont démontré que la raison pouvait facilement capituler face à une instance jugée supérieure qui leur commande de penser le contraire de ce que spontanément leur propre jugement avait été capable d’identifier. 

Si l’autorité utilisant les medias, délivre un message en totale opposition avec une conviction pourtant acquise par un grand nombre, ce grand nombre n’hésitera pas à changer son opinion en faveur de ce qui est divulguer par une instance jugée supérieure en alignant et en soumettant sa pensée tout en abandonnant ce qui était auparavant une conviction raisonnable de la pensée. La pensée personnelle et la conviction personnelle sont jugées inférieures à la parole de l’autorité qui représente celle d’un groupe, en soi supérieur à l’individu, ayant accès à des données supérieures, même si cette « croyance » provient de la « pensée magique », une fantaisie irrationnelle qui fait capituler une conscience lucide, informée, rationnelle jugée « inférieure » à la magie de l’autorité, parce que c’est l’autorité qui le dit! 

Prenons tout d’abord cet exemple d’expérience réalisée plusieurs fois avec un groupe d’une centaine d’enfants âgés de 5 à 7 ans.

Le psychologue, entouré de quelques personnes adultes, est assis à un bureau, dans une salle neutre (sans aucune décoration sur les murs). Il reçoit l’enfant en l’invitant à s’asseoir en face de lui, puis lui fait mettre sur la tête un faux casque relier par câble à une fausse machine présentée, quant à elle, comme étant un « détecteur de mensonges ». Le psychologue lui dit sérieusement que s’il donne une mauvaise réponse, la machine émettra un son lui indiquant qu’il s’est trompé ou qu’il a menti.

Plusieurs questions sont posées par le psychologue qui sait d’avance que les réponses seront forcément justes et donc la machine restera silencieuse. L’enfant a vérifié que la machine sait la vérité et qu’elle approuve ce qui est évident comme par exemple, son nom, sa date de naissance, le nom de ses parents, sa ville… Puis vient le moment où le psychologue va lui poser une question du genre : « Quelle est la couleur d’une orange? » L’enfant va répondre spontanément « orange ». A ce moment là, le test consiste à faire marcher le « détecteur de mensonges » indiquant que la réponse donnée était fausse! Le psychologue déclare à l’enfant : « mauvaise réponse. La couleur de l’orange est bleu »! Puis il répètera deux autres fois la question à l’enfant, « Quelle est la couleur d’une orange? » avant d’obtenir la réponse qui a été demandée : « Bleu ». Dès que la « bonne » réponse est donnée, le « détecteur de mensonges » ne sonne plus.

Puis le test se poursuit normalement.

A la fin du test, le psychologue fait enlever le casque de l’enfant et se met à parler librement avec lui en lui disant « hors test »: « Tu ne penses pas que cette machine est un peu détraquée et qu’elle fonctionne un peu n’importe comment? » L’enfant lui répond que non, cette machine est la machine de la « vérité »! Le psychologue lui dit alors, lorsqu’elle a approuvé la couleur de l’orange comme étant bleu, tu ne penses pas que cette machine dit n’importe quoi? L’enfant répond : « mais non, l’orange est de couleur bleu! » Le psychologue lui repose la question juste avant de partir, alors que l’enfant n’a plus le casque : « Quelle est la couleur d’une orange?» Et l’enfant de répondre résolument : « bleu »!

Ce test a été répété plusieurs fois sur une centaine d’enfants: seuls 7 d’entre eux ont insisté pour affirmer, jusqu’à la fin, que l’orange était orange et que la machine ne fonctionnait pas bien!

Un autre test a été réalisé par d’autres chercheurs, réunis dans une salle aménagée à cet effet. Un groupe de psychiatres en blouse blanche et représentant une autorité, allait procéder à l’expérimentation, mais cette fois-ci avec des adultes. La différence entre les deux tests c’est que, lorsque la personne faussement testée ne donnait pas la « bonne réponse » selon le protocole de recherche sur le conditionnement et la manipulation, l’adulte coupable de ne pas donner la réponse attendue par l’autorité, devait recevoir une fausse décharge électrique de la part de la personne réellement testée et ignorant la comédie, persuadée qu’elle recevait l’ordre de punir le fautif de n’avoir pas pensé ni donné la bonne réponse, comme l’autorité le lui demandait. Avec l’augmentation des « fausses réponses » augmentait également la puissance de la décharge électrique demandée par l’autorité. Ce test est bien connu de tous, depuis qu’il a été immortalisé par Yves Montand, dans le film Icare. Cette expérience de Stanley Milgram, réalisée entre 1960 et 1963, a démontré que 63% des personnes adultes testées allaient obéir sans résistance aux ordres qui étaient donnés même en étant contraires à leur morale, contraires à leurs convictions intimes et aller jusqu’à envoyer au « fautif » une décharge électrique dont la puissance était théoriquement mortelle.

Tout cela démontre clairement que la parole de l’autorité, représentant en général celle d’un ensemble de personnes exerçant un pouvoir, est toujours considérée comme supérieure à la parole d’un individu isolé et jugé comme inférieur, car ses opinions et convictions sont « forcément » erronées face aux opinions et aux convictions d’un groupe représentant une autorité devant laquelle la raison et la conscience doivent se plier. La voix de l’autorité l’emporte donc à 63% sur celle de la raison, celle de la conscience, celle de la lucidité, celle de la connaissance, de la conviction intime, du savoir et de l’expérience personnelle!

Cette expérience de tests psychologiques a été de nombreuses fois répétée sur de nombreuses personnes à travers le temps et des lieux culturels divers. Chaque fois ils ont confirmé des résultats identiques obtenus à travers le monde.

Pourquoi 63% des personnes intelligentes, informées, cultivées, éduquées, abdiquent-elles leurs convictions personnelles et se mettent à parler selon le formatage de la propagande médiatique?

Parce que les medias sont aux mains du Pouvoir, d’une classe de gens détenant les rênes du Pouvoir; parce que les medias sont le porte-parole du Pouvoir, un groupe de personnes responsables qui « détient les bonnes informations » et dicte à l’individu ce « qu’il faut savoir et penser ». L’imagerie médicale a permis depuis les années 80/90 de constater que ce sont les aires cérébrales de la peur qui s’activent lorsqu’un individu seul persiste à dire une évidence face à un groupe et à une autorité morale qui continue de ne pas la voir en allant même jusqu’à affirmer le contraire. C’est à cause de cette peur que la personne va abdiquer ses convictions en préférant celles du groupe jugé supérieur à elle.

La clé est donc là, elle est dans l’angoisse fondamentale des gens qui ont un niveau anxiogène élevé. Les 63% de la population adulte qui se soumet à la manipulation du Pouvoir en place détenant tous les moyens d’exercer le chantage par le mensonge, représentent la portion d’individus qui est concernée par la pathologie anxiogène dominant ces personnes et expliquant pourquoi, bien qu’intelligentes et cultivées, elles vont cependant tenir à leur tour le discours ambiant dicté par le Pouvoir depuis les directions ministérielles, les Administrations, les Assemblées, les Conseils des groupes financiers, et les Rédactions médiatiques, en un mot, depuis toutes les instances de pouvoir et s’y soumettre en tentant de convaincre les autres à faire de même, car c’est un besoin qui permet de maîtriser l’angoisse. 

La preuve est faite, que tous ceux qui se soumettent à la dictature du Pouvoir et servent sa cause, sont de grands angoissés qui ignorent qu’ils sont angoissés. C’est  cette ignorance là qui représente le plus grand danger qui soit pour une société capable de basculer dans la violence extrême si la parole du Pouvoir en venait tout simplement à décréter la « légitimité » de cette violence alors appelée « patriotique », « nationale » ou « citoyenne »!

C’est le même phénomène que celui qui a été observé par les psychologues cognitivo-comportementalistes, qui s’est retrouvé dans le comportement de la police à laquelle le Pouvoir a donné l’ordre de brutaliser férocement les Gilets-jaunes, faisant ainsi des milliers de victimes sur tout le territoire national : victimes judiciaires, victimes des violences policières, victimes économiques, physiquement et mentalement victimes des brutalités plurifactorielles du Pouvoir, depuis 40 ans… 

Si quelqu’un s’engage dans la police, il ne serait pas difficile de prouver que c’est d’abord parce que, devenu adulte, il a trouvé en réalité le moyen d’entrer dans le refuge d’une nouvelle « famille », celle de la police; parce que se mettre au service d’un Pouvoir donne « un cadre qui rassure », crée un lien relationnel de « filialité et de paternité », une grande assurance et « légitimité » qui apaise avant tout une angoisse toujours ignorée par le sujet qui s’engage dans ces structures où il n’est pas demandé de réfléchir mais d’obéir et d’exécuter des ordres…

Voilà pourquoi, le Pouvoir en place ne supporte pas que des télévisions, échappant à son contrôle direct, puissent pratiquer une information honnête, rétablissant la vérité des faits et contredisant formellement la désinformation déversée en permanence, par les organes médiatiques sous contrôle, sur une population réceptive et à dessein manipulée par un discours anxiogène. Car, ces médias indépendants cassent la culture d’angoisse qui est produite par le Pouvoir en place et ainsi entraînent les masses à se libérer de leur angoisse fondamentale en se révoltant contre les exploiteurs et les manipulateurs de la soumission.

Macron tente tout ce qu’il peut pour interdire la parole aux médias échappant à son contrôle, comme l’est RT France et les « réseaux sociaux indépendants ». Il n’hésite pas à les accuser de fomenter la révolte, de conditionner les esprits à voter contre lui qui représente évidemment les « intérêts de la France », de falsifier le débat national et même les élections! C’est un comble, mais c’est le cynisme propre au Pouvoir qui est pervers par nature. Voilà pourquoi nous assistons à une surenchère permanente de lois liberticides contre les « Fake News », contre des « opérateurs », contre des « sites » qui sont fermés, contre tout ce qui pourrait faire entendre une autre voix que celle de la manipulation et du dressage, non pas directement à la soumission, mais à « l’amour de la soumission », car cette soumission appelle un chantage, une falsification, un dressage qui passe toujours par une culture de l’angoisse! Il faut en venir à aimer sa soumission pour accepter de se soumettre. Pour cela il n’y a pas mieux, pas plus efficace que le savoir faire en matière de réveil des peurs par la menace du terrorisme qui rôde toujours dans l’ombre; de la faillite des Etats qui menace de ruiner tout le monde en un seul instant; des ennemis invisibles, même imaginaires, qui guettent le moment pour accomplir leurs méfaits (si les Russes n’étaient pas là nous aurions les Extraterrestres); de l’étranger qui va venir voler son travail; de la mondialisation qui, par sa puissance et l’ampleur de son poids, peut du jour au lendemain disqualifier en les écrasant les peuples isolés dans leur retranchement nationaliste… etc.! 

Le remède à l’aveuglement des « élites » privilégiées qui soutiennent le discours du Pouvoir et son projet pervers de dressage à l’amour de la soumission, c’est un traitement de l’angoisse fondamentale par l’exemplarité d’une révolte de la vérité contre le mensonge, de la citoyenneté active, participative contre l’anonymat de masses engendré par la dépossession de toute souveraineté et liberté à disposer de sa vie et de sa pensée. La voie de la liberté, de l’égalité et de la solidarité implique la résolution individuelle et collective de l’angoisse existentielle comme pathologie élevée au rang de « normalité » par le discours pervers du Pouvoir. Le Pouvoir cherche toujours à exclure de chez lui-même l’individu qui ne peut-être bien et dans la normalité qu’à l’intérieur de lui-même. Cette dualité de l’arrachement permanent à soi-même se nomme la psychose. Le Pouvoir veut le comportement psychotique des personnes, comportement appelé par le Pouvoir la « normalité », le comportement décrété « conventionnel ». C’est donc, pour le Pouvoir, le comportement psychotique qui est « normal », puisque la psychose enferme la personne à l’extérieur d’elle même. L’intérieur et l’extérieur ne sont plus différenciés: dans cet ordre social, les citoyens sont, a priori et a posteriori, traités comme des « ennemis » potentiels du Pouvoir.

Lorsqu’on entend le Pouvoir s’exprimer sur les Gilets-jaunes et leurs revendications, on peut constater qu’il les place d’emblée et logiquement, vu son projet de Pouvoir, dans l’espace de l’arriération mentale. La nature même du Pouvoir est entièrement dépendante d’un système de croyance: celle d’une sacralisation de l’innocence. Je ne peux pas être conscient ou hors de l’arriération mentale, face au Pouvoir, car celui-ci ne peut exister en tant que tel, que si je fais le deuil de ma conscience et de ma raison. Le Pouvoir est structurellement incompatible avec la conscience. C’est aussi la raison pour laquelle il me demande de me « taire », de « rester chez moi », de cesser ma protestation; il veut briser le mouvement de colère et l’étouffer coûte que coûte; il refuse le questionnement sur les faits, sur les violences policières, sur les injustices fiscales et sociales subies depuis si longtemps; il ne veut pas que le citoyen soit « conscient », éclairé, libre et responsable devant sa conscience, car alors le Pouvoir n’aurait plus aucun sens, ni aucune légitimité, ni aucune utilité…

Ce que le Pouvoir me « donne à voir et à entendre », c’est sa compétence en matière de savoir et qui implique mon aliénation, ma nécessaire ignorance et incompétence à savoir. Ce que le Pouvoir me donne à voir et à entendre, c’est une déclaration sur la vérité de l’objet exposé par la seule parole compétente du Pouvoir, à mon regard, à ma considération, à mon observation et à mon adoration. Ce qui est donné à voir et à entendre, est la seule chose que je puisse prétendre voir et admirer, car toute la vérité est déclarée au cours de la parole liturgique « révélée » de l’État qui m’invite simplement à la recevoir en prononçant le mot de mon acceptation et de ma soumission émue, à l’écoute de cette parole qui vient de l’innocence sacralisée du Pouvoir!

Je ne peux pas voir autre chose que ce qui m’est imposé de voir dans la déclaration compétente de ceux qui, seuls, savent et disent la vérité, au nom de l’innocence dont ils sont les garants et à laquelle je suis invité à croire religieusement, sous peine de « délit d’incroyance » ou « d’incitation à l’anarchie », ou « d’atteinte à la sécurité de l’État », ou de « pathologie conspirationniste ou populiste», car je ne peux pas douter de l’innocence du Pouvoir: c’est la supercherie de sa seule réelle justification!

L’État est le Pontife de la société laïque. Or, le « Pontife État », est inspiré de l’esprit sain et infaillible, lorsqu’il dit la vérité à voir et à entendre en opérant une censure du désir chez les citoyens se traduisant fatalement par une frustration immense. Le salut et la protection accordés aux moutons de la bergerie du seul bon pasteur, sont le symbole religieux du rapport du citoyen avec l’État. Le citoyen se soumet à ce que l’État lui donne à voir et à entendre en y adhérant par une croyance: celle de la vérité innocente ayant remplacé le désir. La parole de l’État, celle de Castaner ou de Philippe ou de Macron, tient donc sa légitimité de l’ordre phallique et de sa toute-puissance imaginaire et non pas de la volonté démocratique d’un peuple.

Cette faille qui apparaît dans le discours officiel de l’État, a pour but de nous « morceler ».

Le psittacisme journalistique qui vient alors au secours de la supercherie étatique, a une force incantatoire. Le compte rendu qui passe en boucle sur les « violences » des Gilets-jaunes, pratiqué par les supports médiatiques officiels, est une exhibition qui s’impose à nous les citoyens. Il n’y a pas de représentation possible, c’est une exhibition et c’est par cela que l’effet de sidération est garanti. La sidération vient de l’impossibilité pour chacun d’entre nous de déchiffrer le réel, si nous n’étions pas sur place avec les Gilets-jaunes, car l’individu est manipulé grâce aux images triées sur le volet, placées les unes après les autres dans un ordre étudié pour dénoncer; la sidération des gens qui regardent leur télévision ne vient pas en soi du drame exhibé lui-même, elle vient du morcellement astucieusement opéré par la manipulation médiatique.

Le citoyen ainsi « morcelé », ne peut retrouver son « unité individuelle » que par une surenchère dans ses paroles d’adhésion à ce qui lui a été assené. Ensuite, une fusion identification s’opère avec le Pouvoir qui, via les medias « collabos », a montré, nommé, déclaré les faits. « L’unité nationale », comme la fusion entre les surveillants et les surveillés, peut se mettre en place. Le Pouvoir a les mains libres pour décréter la dictature pure et dure.

Si quelqu’un ose montrer les failles dans le discours du Pouvoir, alors apparaît la psychose qui a pour effet immédiat de supprimer tout mécanisme de défense. Le Pouvoir peut abolir l’État de Droit, installer une authentique dictature : « l’état d’urgence » à perpétuité, et peut déclarer tout ce qu’il veut, jusqu’à rejeter la vie privée hors des libertés fondamentales. Non seulement le citoyen était déjà largement dépouillé de sa souveraineté constitutionnelle, mais désormais il n’aurait même plus les moyens de se défendre.

Le dissident est un résistant. On va faire entendre qu’un seul ou un petit nombre (2 millions de Gilets-jaunes sur 67 millions d’habitants) ne peut pas avoir raison contre la majorité. Les chiffres des statistiques sont faciles à manipuler : ceux de la participation à la mobilisation dans la rue, ceux qui soutiennent les révoltés, ceux qui approuvent les revendications… Le dissident devient donc le « traître » ou le « complotiste », le « récalcitrant », le « populiste » de cette « foule haineuse de ceux qui ne sont rien », qu’il faut faire taire impérativement par tous les moyens. Tous les « frondeurs » et « résistants » de l’histoire ont été persécutés par les Pouvoirs en place et il n’y a rien d’étonnant à cela puisque le Pouvoir ne s’inquiète que de sa pérennité et de ses intérêts immédiats jamais compatibles avec ceux d’une démocratie.

Il est clair qu’un entêtement dans ce jeu insensé du Pouvoir ne peut que déboucher sur la guerre civile! Les « responsables » « savent parfaitement ce qu’ils font », c’est pourquoi, nous ne pouvons pas leur pardonner!

Jean-Yves Jézéquel

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LES LETTRES D’ALEP
Nabil Antaki, Georges Sabé
TÉMOIGNAGE, AUTOBIOGRAPHIE, RÉCIT Syrie

Juillet 2012, la guerre fait rage en Syrie depuis un an et demi. Les auteurs, tous les deux alépins, sont restés sur place. Tout au long de ces années de guerre, ils ont écrit des lettres à l’intention de leurs amis. Ils brossent un tableau de la situation et racontent les souffrances des déplacés, la misère des pauvres, la détresse des habitants et l’atrocité de la guerre. Ce livre n’est pas un ouvrage politique ; les auteurs ne prennent pas position, ne racontent pas les faits militaires, ne jugent pas les parties. Ils décrivent leur réponse à ces drames par l’accompagnement, la solidarité, la compassion et le don de soi à travers leur association, les « Maristes Bleus ».

Nabil Antaki est médecin. En parallèle à une carrière professionnelle très riche, il fonda, en 1986, avec son épouse Leyla et frère Georges Sabé, l’association « L’Oreille de Dieu », un projet qui allait les conduire très loin sur le chemin de la solidarité avec les plus démunis de leur ville. En 2012, avec la guerre, « L’Oreille de Dieu » devint « Les Maristes Bleus ».

Frère Georges Sabé est un religieux consacré, de la congrégation des Frères Maristes dont la mission est l’éducation des jeunes, surtout les plus défavorisés. Tour à tour ou simultanément, il est préfet d’études, catéchiste, animateur spirituel, professeur de français et aumônier scout. Avec Leyla et Nabil Antaki, il fonde en 1986 l’association « L’Oreille de Dieu » qui devint plus tard « Les Maristes Bleus ».

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Le remarquable rapport d’information du Sénat sur l’extravagante affaire Benalla met en évidence des faits d’une gravité extrême qui révèlent la fragilité et la vulnérabilité du pouvoir exécutif.

Les frasques de l’ex sous-chef de cabinet arrogant et menteur ont monopolisé la une des médias occultant les dérives assumées de son comportement et les possibles atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation. « Il ne fait en effet nul doute que les relations entretenues avec un oligarque russe par un collaborateur de l’Élysée directement impliqué dans la sécurité de la présidence de la République et d’un réserviste du commandement militaire du palais de l’Élysée exerçant une responsabilité d’encadrement étaient de nature, en raison de la dépendance financière qu’elles impliquent, à affecter la sécurité du chef de l’État et, au-delà, les intérêts de notre pays » » écrit le sénateur Philippe Bas, ancien magistrat au Conseil d’État, ex-secrétaire général de l’Élysée, plusieurs fois ministre, aujourd’hui président de la commission des lois de la Haute-Assemblée . Il ajoute : « Toutes les hypothèses sont aujourd’hui permises, y compris celle d’une approche délibérée des intéressés, destinée à les placer dans une situation de dépendance vis-à-vis d’intérêts étrangers puissants » Le parlementaire ne prononce jamais le mot  espionnage, mais nul besoin de lire entre les lignes pour comprendre que la suspicion qui pèse sur Benalla et ses comparses est bien celle de la trahison.

Le Cabinet

Les collaborateurs personnels que le chef de l’État se choisit font l’objet d’une surveillance attentive car ils détiennent une multitude de secrets et de confidences que des malveillants de toutes nationalités aimeraient percer. Leurs faits et gestes sont régulièrement rapportés au Président soit directement, soit par le truchement de son directeur de cabinet. Il va sans dire que ces chargés de mission qui l’assistent et le conseillent avec dévouement sont des passes-murailles qui se font rarement remarquer pour leurs exubérances. Il y a des années, un jeune attaché au lendemain d’une soirée passée dans une boite de nuit avait été congédié en pleine réunion de cabinet par cette simple phrase « je ne vous ai pas chargé d’explorer les bas fonds de Pigalle que je saches ! » Autres temps autres mœurs !

Contrairement au Président, ses proches serviteurs ne bénéficient d’aucune immunité, toutefois la mise en cause de l’un d’entres eux pour atteinte aux intérêts de la nation reste improbable aux dires de savants juristes. C’est sans doute pourquoi, les sénateurs rapporteurs Muriel Jourda et Jean-Pierre Sueur, ont mis l’accent sur les dysfonctionnements institutionnels sans pour autant exonérer les hommes de leurs fautes.

Electron libre ou service commandé ?

Le comportement d’Alexandre Benalla pose une série de questions restées sans réponses :

Était-il en service commandé à la manif du premier mai ? Était-il chargé de missions présidentielles en Afrique et au Moyen-Orient ? A t-il rendu compte de ses échanges hors de l’Élysée avec des hommes d’affaires, des agents des services secrets, les ministres et chefs d’états étrangers ? A t-il fait rapport de ses réunions en des lieux privés avec des officiers supérieurs de police, de gendarmerie, des forces armées, ainsi que de ses déjeuners dans les restaurants étoilés avec des anciens ministres, des journalistes, et des PDG du CAC 40 ? A t-il confessé les dividendes qu’il espérait de ses activités d’affaires privées avec des Israéliens, des Russes, des Algériens, des Tunisiens, des Marocains, des Saoudiens, des Turcs, des Tchadiens… ?

Sauf à imaginer l’impensable laxisme des principaux services de renseignement, DGSE et DGSI, ou l’improbable dysfonctionnement de la chaine de commandement de l’Élysée, le Président était informé. A t-il couvert son collaborateur ? A t-il ignoré ces alertes en les attribuant à la jalousie et aux intrigues de cour ?

L’équipe de nettoyage

En partage de l’intimité d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla était intouchable.

Alors, il est probable que quelques hauts fonctionnaires, effarés par la menace que faisait peser le vibrionnant favori du Président sur quelques secrets l’État ont décidé de le dégommer. Dans un premier temps, le gendarme cinq ficelles de la réserve « citoyenne » a été poussé à la faute sous les caméras de vidéo-surveillance. Oubliant qu’il était le serviteur personnel du Président le nigaud a matraqué de bon cœur des manifestants le 1er mai. Probablement rendu furieux par la manœuvre qui ridiculisait son protégé, Macron s’est entêté, il l’a soutenu, peut-être même encouragé et félicité pour son insolence « tu es plus fort qu’eux(les petits Marquis) tu vas les bouffer ». L’enchainement des révélations, la violation du contrôle judiciaire, mais surtout la preuve rapportée par enregistrement clandestin que Benalla galvaudait les confidences du Président lui ont valu d’aller pendant huit jours tester les installations rénovées du quartier VIP de la prison de la santé. On peut espérer qu’il aura compris l’avertissement et qu’il ira se faire oublier sous les tropiques.

Qu’importe son sort. On retiendra de cette affaire qu’il est finalement rassurant d’imaginer qu’à l’insu de l’Élysée des hommes responsables ont dans l’ombre comploté qu’ils ont agi pour protéger les intérêts supérieurs de l’État et pour défendre le Président de la République à son corps défendant. On se félicitera aussi que leur action ait été relayée par les médias et le Sénat.

Le salvateur Sénat

Nous sommes loin de la Troisième République, Mediapart n’est pas Le Bonnet Rouge, Benalla n’est pas Bolo Pacha et le Sénat ne peut plus se réunir en Haute Cour de justice.

Pourtant, dans cet invraisemblable enchainement de révélations, la presse a joué son rôle d’enquête et de lanceur d’alerte. De son coté, le Sénat a non seulement exercé pleinement son rôle de protecteur des institutions, mais il a sans doute également empêché le dévoiement de la plus haute fonction de l’État. Face à une Présidence et à un gouvernement de novices, face à une majorité de députés godillots, la Haute-Assemblée, celle de la France rurale et provinciale, celle « du seigle et de la châtaigne » a montré son irremplaçable fonction d’équilibrage des pouvoirs. Malheur à qui s’avisera de faire disparaître le Sénat !

Entre l’absolution ou la saisine du Parquet pour a minima dénoncer les menteries sous serments de Benalla, le choix du Président Gérard Larcher, et du Bureau du Sénat qui se réunira dans quelques jours sera dicté par la nécessité de trouver une issue républicaine à cette déshonorante affaire.

Hedy Bellassine

 

Références :

http://www.senat.fr/rap/r18-324-1/r18-324-11.pdf

https://www.senat.fr/evenement/archives/D40/bon.html

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Nous anéantissons aussi nos insectes vitaux.

mars 12th, 2019 by F. William Engdahl

Des études indépendantes récentes indiquent que l’extinction généralisée des populations d’insectes nous menace, notamment d’abeilles, à cause du déploiement massif de pesticides (« produits phytosanitaires ») par l’industrie agricole. Pour la plupart d’entre nous, les insectes tels que mouches, moustiques ou guêpes sont des nuisances à éviter. Cependant, ces études indiquent que nous risquons d’éliminer massivement les insectes qui sont vitaux pour la préservation de l’équilibre de la nature. Les conséquences pour la vie humaine commencent à peine d’être sérieusement prises en compte !

La première étude mondiale sur le déclin des espèces et du nombre d’insectes vient d’être publiée par la revue Biological Conservation. Les conclusions sont plus qu’inquiétantes. Parmi d’autres conclusions, l’étude a révélé que plus de 40% des espèces d’insectes sont menacées d’extinction.

L’étude révèle que la perte d’habitat résultant de la conversion à l’agriculture intensive est le principal facteur de déclin, ainsi que des polluants agrochimiques y associés – tels que le glyphosate, les néonicotinoïdes et d’autres pesticides. 

Les auteurs expliquent :

«Nous présentons ici un examen complet de 73 rapports historiques sur le déclin des insectes dans le monde et évaluons systématiquement les facteurs sous-jacents. Nos travaux révèlent des taux de déclin spectaculaires qui pourraient entraîner la disparition de 40% des espèces d’insectes dans le monde au cours des prochaines décennies ».

L’étude note que des analyses récentes indiquent que l’utilisation extensive de pesticides est le principal facteur responsable du déclin des oiseaux de champ et les organismes aquatiques tels que les poissons ou les grenouilles.

Elle cite notamment les résultats d’une étude, réalisée durant une période de 27 ans, des populations d’insectes dans certaines réserves naturelles protégées d’Allemagne, et qui a révélé : 

« un recul choquant de 76% de la biomasse d’insectes volants dans plusieurs zones protégées d’Allemagne… une perte moyenne de 2,8% de la biomasse d’insectes par an dans des habitats soumis à des niveaux de perturbations humaines relativement faibles ».

Fait très inquiétant, l’étude montre une tendance à la baisse constante sur près de trois décennies. 

Une autre étude menée dans les forêts tropicales humides de Porto Rico a révélé des pertes de biomasse 

« comprises entre 98% et 78% pour les arthropodes se nourrissant au sol, et pour ceux vivant dans la canopée, sur une période de 36 ans, ainsi qu’une baisse parallèle du nombre d’oiseaux, de grenouilles et de lézards dans les mêmes zones… »

Un déclin de la population d’abeilles, surtout de bourdons, est particulièrement alarmant. Depuis 1980, ils ont constaté que les espèces d’abeilles sauvages en Grande-Bretagne ont diminué de 52%, et aux Pays-Bas de 67%.

Aux États-Unis, pays qui a lancé l’industrie agroalimentaire intensive et l’utilisation généralisée de produits chimiques après la Seconde Guerre mondiale, la population d’abeilles sauvages a décliné dans 23% du pays entre 2008 et 2013, principalement dans le Midwest, les grandes plaines et la vallée du Mississippi. C’est dans ces zones que la production céréalière, en particulier le maïs OGM destiné à la production de biocarburants utilisant du glyphosate et d’autres produits chimiques, est prédominant. Dans l’ensemble, les États-Unis sont passés d’un sommet de six millions de colonies d’abeilles mellifères en 1947 à moins de la moitié, soit environ 2,5 millions de colonies aujourd’hui. Le déclin a commencé immédiatement après l’utilisation importante de l’insecticide organochloré DDT dans l’agriculture. Il s’est poursuivi sans relâche, même après l’interdiction du DDT en 1972 aux États-Unis, le DDT ayant été substitué par des solutions de remplacement à base de glyphosate et d’autres pesticides chimiques.

(Décimés: les oiseaux d’Allemagne disparaissent alors que l’abondance d’insectes plonge de 76%)

Déclin irréversible?

Le public en général comprend mal le rôle essentiel joué par les insectes dans la préservation de la nature et des espèces. Comme le rapport l’indique : 

«les musaraignes, les taupes, les hérissons, les fourmiliers, les lézards, les amphibiens, la plupart des chauves-souris, de nombreux oiseaux et poissons se nourrissent d’insectes ou en dépendent pour élever leur progéniture. Même si certains insectes en déclin pourraient être remplacés par d’autres, il est difficile d’envisager une réduction nette de la biomasse globale d’insectes. » 

Cette étude conclut notamment que

«Parmi toutes les pratiques agronomiques, c’est l’application d’herbicides sur les terres arables qui a eu le plus grand effet négatif sur des plantes terrestres et aquatiques ainsi que la diversité des insectes. »

Le glyphosate et le Monsanto Roundup à base de glyphosate, sont les herbicides les plus largement utilisés dans le monde aujourd’hui.

Une autre étude récente de la California Xerces Society pour la conservation des invertébrés a révélé que la population de papillons monarques de Californie était à son plus bas niveau. À partir des années 1980, année du début de la surveillance, et jusqu’en 2017, environ 97% des monarques avaient disparu. Puis, de 2017 à aujourd’hui, une autre baisse de 85% a été enregistrée. Les scientifiques affirment que l’utilisation intensive de pesticides dans l’agriculture est la principale cause de ce déclin.

(Photo: Xerces Society / Stephanie McKnight)

Des scientifiques de l’Université du Texas ont identifié durant leurs expériences, que le glyphosate – l’herbicide controversé du Roundup de Monsanto – nuit au microbiote des abeilles domestiques, ce qui est essentiel pour la croissance et la résistance aux agents pathogènes. Ceci, ajoutant aux études menées précédemment liant les pesticides néonicotinoïdes à la mort d’abeilles, exige que nous devions remettre en question d’urgence l’utilisation de ces toxines si largement appliquées à nos cultures agricoles. 

Le plus grand fournisseur au monde de néonicotinoïdes et de Roundup à base de glyphosate est le géant industriel qui résulte de la fusion Monsanto-Bayer.

Toutes ces études mettent l’accent sur un aspect des dégâts agrochimiques jusqu’à présent largement ignorés. 

Les insectes constituent la base structurelle et fonctionnelle de nombreux écosystèmes de la terre. Un monde sans oiseaux ni abeilles engendrerait des dommages catastrophiques à toute la vie sur notre planète. Sans insectes, des écosystèmes entiers s’effondrent. 

Plutôt que de résoudre le problème de la faim dans le monde comme prétend rechercher l’industrie agrochimique, la promotion et production de pesticides tels que le glyphosate risquent de détruire tout notre système alimentaire. 

Personne sain d’esprit ne voudrait faire cela, n’est pas?

F. William Engdahl

Article original en anglais :

We’re Killing Off Our Vital Insects Too, le 3 mars 2019

Traduction : Rob Rowlands

Photo en vedette : Une coccinelle, par Micheline Ladouceur.

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