Deux choses ressortent du coup d’État étasunien au Venezuela. D’abord, il est inhabituellement public. Généralement, les États-Unis tentent de dissimuler leurs coups d’État. Ensuite, celui-ci est basé sur une série de mensonges flagrants, et pourtant, les représentants du système bipartisan à Washington, à quelques exceptions près, continuent de les répéter.

Nous commencerons par corriger les mensonges pour que les lecteurs partent des mêmes faits. Deuxièmement, nous décrirons comment ce coup d’État a perdu. Il sera un nouvel embarras pour l’administration Trump et la politique étrangère étasunienne.

Il est important de comprendre que le Venezuela est devenu un conflit géopolitique puisque la Russie et la Chine sont ses étroits alliés. La Chine et la Russie qui pénètrent l’arrière-cour des États-Unis remettent en question la désuète Doctrine Monroe.

Le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole au monde et les deuxièmes plus grandes réserves d’or, ainsi que des diamants et d’autres minéraux comme le coltan (nécessaire pour les appareils électroniques). De plus, le Venezuela aura la présidence de l’OPEP et sera en position de faire pression pour que le paiement du pétrole se fasse en monnaies autres que le dollar ou en cryptomonnaies, une menace majeure pour le dollar US.

Manifestation devant le consulat nord-américain à Sydney le 23 janvier pour exiger que les États-Unis n’interviennent pas au Venezuela. Photo: Peter Boyle

Corriger le récit

De nombreuses déclarations répétées par les fonctionnaires de Washington DC et les médias grand public et destinées à justifier le coup d’État sont si évidemment fausses qu’il est difficile de croire qu’elles ne sont pas intentionnelles. Dans son commentaire de deux paragraphes sur le coup d’État, même le sénateur Bernie Sanders les a répétées.

1ère vérité : Nicolás Maduro est le président légitime.

Le président Maduro a été réélu le 20 mai 2018 en réponse à la demande de l’opposition de tenir des élections anticipées. La légitimité de l’élection de Maduro est si évidente qu’il faut supposer que ceux qui affirment qu’il est illégitime disent intentionnellement le faux ou sont ignorants.  L’élection a été fixée conformément à la Constitution du Venezuela et après consultation des partis d’opposition. Lorsqu’il est devenu évident que l’opposition ne pourrait l’emporter, elle a décidé, sous la pression des États-Unis, de boycotter l’élection afin de ruiner sa légitimité. Les faits sont que 9 389 056 personnes ont voté, soit 46% des électeurs. Seize partis ont participé, six candidats se sont présentés à la présidence.

Le processus électoral a été suivi par plus de 150 observateurs. Cela comprenait, entre autres, 14 commissions électorales de huit pays, dont le Conseil des experts électoraux d’Amérique latine, deux missions techniques électorales et 18 journalistes de différentes parties du monde. Selon les observateurs internationaux, « les élections ont été très transparentes et conformes aux normes internationales et à la législation nationale ».

Le Venezuela a l’un des meilleurs systèmes électoraux au monde. La fraude n’est pas possible car l’identification et les empreintes digitales sont requises pour chaque électeur. Les machines à voter sont vérifiées avant l’élection et immédiatement après. Le Venezuela fait quelque chose qu’aucun pays au monde ne fait – l’audit public et citoyen d’un échantillon de 53% des machines à voter, qui est télévisé. Les 18 partis ont tous signé les vérifications.

Maduro l’a emporté à une large majorité, obtenant 6 248 864 suffrages, soit 67.84% des votants; il était suivi par Henri Falcón avec 1 927 958 voix, 20.93%, Javier Bertucci avec 1 015 895 voix, 10.82%, et Reinaldo Quijada, qui a obtenu 36 246 votes, 0.39% du total.

Ce même système de vote a été utilisé dans des élections que le parti de Maduro a perdues, les élections législatives et des gouverneurs. Le Venezuela est une véritable démocratie avec des élections transparentes. Les États-Unis pourraient en apprendre long du Venezuela sur ce qu’est une vraie démocratie.

2e vérité : La crise économique est causée par l’intervention extérieure, le sabotage intérieur et la baisse des prix du pétrole.

Il est indubitable que la situation économique au Venezuela est désastreuse. La cause en est la guerre économique menée par les États-Unis, la baisse importante des prix du pétrole et le sabotage économique de l’opposition. Fondamentalement, les États-Unis et l’opposition ont créé des problèmes dans l’économie vénézuélienne et ils disent maintenant que Maduro doit être remplacé en raison des problèmes qu’il a créés.

Le pétrole a été découvert au Venezuela au début du XXe siècle et a dominé l’économie depuis lors. Le Mal hollandais, l’influence négative d’une économie fondée sur une seule ressource naturelle, provoque un afflux de devises étrangères qui rend les prix des autres produits du pays moins concurrentiels. Il est meilleur marché d’importer des produits que de les fabriquer. Il devient plus difficile pour des secteurs comme l’agriculture et l’industrie manufacturière de se développer.

Chavez/Maduro ont cherché à diversifier l’économie. Ils ont mis en place des milliers de communeset des centaines de milliers de gens travaillant dans des coopératives pour construire l’agriculture et l’industrie. Lorsque le prix mondial du pétrole a été divisé par plus de la moitié, les finances publiques du Venezuela se sont effondrées, ruinant ces efforts. La guerre économique menée par les États-Unis a rendu difficile au Venezuela d’emprunter et de commercer avec certains pays.

Les sanctions économiques contre le Venezuela ont commencé sous le président Obama et l’administration Trump les a renforcées par des sanctions financières. Les sanctions des États-Unis coûtent au Venezuela quelque 6 milliards de dollars depuis août 2017, selon une analyse datant d’octobre. Des mesures contre l’industrie pétrolière du pays ont interdit à la compagnie vénézuélienne à majorité publique CITGO de renvoyer les bénéfices au Venezuela, provoquant 1 milliard de pertes par année pour le gouvernement. Aujourd’hui, la Banque d’Angleterre refuse de restituer 1,2 milliards de dollars en réserves d’or après que des responsables nord-américains, dont le secrétaire d’État Michael Pompeo et le conseiller à la Sécurité nationale John Bolton, ont fait pression sur elle pour que le Venezuela soit coupé de ses actifs à l’étranger.

La guerre économique des États-Unis et le sabotage de l’économie par des intérêts commerciaux ont été révélés dans le cadre des efforts pour chasser Maduro en provoquant des troubles sociaux et un manque de confiance dans le gouvernement. Ces efforts ont inclus le stockage de biens de première nécessité dans des entrepôts et la vente des produits vénézuéliens à la Colombie.

En septembre 2018, le Venezuela a signalé une campagne mensongère exagérant l’émigration du Venezuela. Le gouvernement a publié des statistiques du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés pour affirmer que le Venezuela a le plus petit nombre d’émigrants volontaires du continent. Il a souligné que 5.6 millions de Colombiens avaient fui la violence dans le pays pour vivre au Venezuela. Celui-ci a des programmes qui ont aidé des milliers de Vénézuéliens à retourner chez eux.

Le socialisme renforce les économies, comme l’a démontré le cas du Portugal. En effet, une critique adressée au Venezuela est que le processus bolivarien avance trop lentement pour instaurer une économie socialiste. Davantage de secteurs doivent être nationalisés et placés sous le contrôle démocratique du peuple.

3e vérité : C’est l’opposition qui est violente, pas le gouvernement de Maduro

Les manifestants de l’opposition ont été extrêmement violents. Une des tactiques de l’opposition était d’user de la violence puis de filmer la réponse du gouvernement pour le faire paraître violent. Lorsque Abby Martin a été confrontée à des manifestants de l’opposition, ils lui ont dit : « Ne filmez rien de ce que nous faisons. Filmez seulement ce que le gouvernement nous fait. » Elle rapporté sur la violence en disant : « la plus grande partie a été causée par la violence directe ou indirecte de l’opposition ».

Abby Martin rapporte que l’opposition a attaqué des hôpitaux, incendié le ministère du Logement, assassiné des chavistes et attaqué des communes citoyennes telles qu’une commune artistique qui dispensait gratuitement des cours de danse et de musique aux enfants du quartier. Des Afro-Vénézuéliens ont été brûlés vifs. Des manifestants ont sorti des chauffeurs de bus de leur véhicule et y ont mis le feu. Lorsque des photos et des vidéos des violences de l’opposition ont été publiées sur les réseaux sociaux, Abby Martin et son collègue, Mike Prysner, sont devenus la cible d’une campagne médiatique mensongère sur ces mêmes réseaux sociaux. L’opposition a fait tout ce qu’elle pouvait pour les empêcher de rapporter la vérité en recourant à des centaines de menaces de mort et de lynchage.

En 2017, Venezuela Analysis a rapporté que l’opposition violente comprenait une attaque de la maternité mettant en danger la vie de plus de 50 nouveau-nés. Un autre rapport a décrit l’opposition utilisant des tireurs d’élite pour abattre des fonctionnaires du gouvernement et des civils. Les journaux de l’opposition ont exhorté à l’utilisation d’objets contondants pour « neutraliser » les manifestants pro-gouvernement, entraînant de graves blessures et la mort.

Steve Ellner a également rapporté que la violence venait de l’opposition. Il a signalé des attaques contre des épiceries, des banques, des bus et des bâtiments gouvernementaux. D’autres commentateurs ont décrit des incidents de violence spécifiques de l’opposition, y compris le meurtre de personnes. Maduro a ordonné l’arrestation d’un général à la retraite qui twittait comment utiliser le fil de fer pour décapiter des motocyclistes, ce qui s’est produit, et comment attaquer les véhicules blindés au cocktail Molotov.

Des documents montrent que la violence était la stratégie de l’opposition. Elle a cherché à « créer des situations de crise dans les rues qui faciliteront l’intervention étasunienne, ainsi que des forces de l’OTAN avec le soutien du gouvernement colombien. Chaque fois que c’est possible, la violence doit provoquer des morts ou des blessés ».

Les récits de la violence du gouvernement sont truffés de mensonges. La réponse du gouvernement a été l’appel de Maduro à une conférence de paix, qu’il décrivait comme « une conférence nationale de paix avec tous les secteurs politiques du pays […] pour que nous, les Vénézuéliens, puissions essayer de neutraliser les groupes violents ».

4e vérité : l’Assemblée nationale a agi en violation de la loi et est coupable d’outrage à la Cour

L’Assemblée nationale n’est pas le seul organe démocratique au Venezuela. En effet, depuis que l’opposition a remporté une majorité, elle a agi en violant la loi et en protégeant la violence de l’opposition par le biais d’une loi d’amnistie embarrassante.

Le 6 décembre 2015, l’opposition a gagné une majorité parlementaire à l’Assemblée. Il y a eu des accusations d’achat de votes dans l’État d’Amazonas qui ont fait l’objet d’une enquête du Conseil électoral national, une autre branche du gouvernement. La Cour suprême a interdit à quatre députés de l’Amazonas d’entrer en fonction, deux de l’opposition, un allié de l’opposition et un du parti au pouvoir. L’Assemblée nationale a permis à trois candidats d’entrer en fonction. L’Assemblée a été reconnue coupable d’outrage à la Cour depuis juillet 2016 et ses décisions ont été annulées.

Avant la décision de la Cour, l’Assemblée a adopté une étonnante loi d’amnistie, qui accordait l’amnistie pour les crimes commis par l’opposition depuis 1999 (l’élection de Chavez). La loi est un aveu de culpabilité et fournit un catalogue bien organisé de crimes, incluant les félonies, les crimes commis lors d’assemblées publiques, des actes terroristes impliquant des explosifs et des armes à feu et l’affaiblissement de l’économie. Ils admettent au fond exactement ce que Chavez/Maduro ont affirmé — des crimes pour renverser le gouvernement depuis 17 ans. La Cour suprême du Venezuela a jugé la loi d’amnistie anticonstitutionnelle. C’est à tort que l’administration Trump qualifie l’Assemblée de seule institution démocratique du Venezuela.

En janvier dernier, une filiale de la compagnie pétrolière publique a demandé à l’Assemblée d’intervenir, affirmant que le président ne peut promouvoir des réformes dans des entreprises pétrolières publiques-privées sans l’approbation préalable de l’Assemblée nationale. Le 16 janvier, le tribunal a jugé que l’Assemblée était toujours coupable d’outrage à la Cour et qu’elle ne pouvait pas agir. C’est également à ce moment-là que l’Assemblée a élu à sa présidence Juan Guaidó, qui s’autoproclamerait président du Venezuela dans le cadre du coup d’État dirigé par les États-Unis. L’élection de Guaidó à la tête de l’organe législatif était illégale et a été annulée par la Cour.

L’Assemblée existe toujours mais continue à mépriser les magistrats. Elle peut rectifier cette situation en renvoyant les députés accusés de fraude électorale. Elle refuse de le faire car son but est de démettre Maduro de ses fonctions et il faut une super majorité pour le faire.

Medea Benjamin de CODE PINK interrompt Mike Pompeo à la réunion de l’OEA. Press TV.

Chronologie du coup d’État au Venezuela

Dans l’article « Anti-Maduro Coalition Grew from Secret Talks », [La coalition anti-Maduro est née dans des discussions secrètes], Associated Press explique que le coup d’État n’a été « possible qu’à cause du fort soutien de l’administration Trump, elle a dirigé un chœur des gouvernements majoritairement conservateurs d’Amérique latine, qui ont immédiatement reconnu Guaidó ».

Depuis août 2017, Donald Trump dit qu’une intervention militaire contre le Venezuela était une possibilité. AP décrit cela comme un « moment décisif » dans la planification du coup d’État. Elle rapporte que Trump fait pression sur les alliés et les pays latino-américains pour envahir le Venezuela. En septembre, le New York Times a rapporté que l’administration Trump a rencontré les fomenteurs du coup d’État depuis la mi-2017.

Le Wall Street Journal rapporte que Trump a longtemps considéré le Venezuela comme l’une de ses trois principales priorités, avec l’Iran et la Corée du Nord. Trump a demandé une séance d’information sur le Venezuela le lendemain de son entrée en fonction, parlant de l’immense potentiel de ce pays pour devenir une riche nation grâce à ses réserves de pétrole. AP rapporte que Trump a « personnellement provoqué » ce coup en parlant de changement de régime au Venezuela lors de chacune de ses rencontres avec des dirigeants latino-américains.

Après la réélection de Maduro, les plans de l’administration ont commencé à prendre forme, dirigés en partie par des membres importants du Conseil national de sécurité et par des militants anti-Maduro au Congrès, tels que le sénateur Marco Rubio, un interventionniste extrêmiste.

Le 1er novembre, John Bolton s’est concentré sur l’Amérique latine, qualifiant Cuba, le Nicaragua et le Venezuela de « troïka de la tyrannie ». Le 2 janvier, il a rencontré ses homologues brésilien et colombien en vue de collaborer pour « rendre au Venezuela son héritage démocratique ».

Le 10 janvier, Maduro a prêté serment pour son second mandat, Pompeo a discuté avec le chef de l’opposition, Guaidó, promettant son soutien. Le Canada a également joué un rôle important, AP rapporte que la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a parlé à Guaidó le soir précédant l’investiture de Maduro, offrant le soutien du Canada. C’était 13 jours avant que Guaidó annonce qu’il était président du Venezuela.

Le 12 janvier, le département d’État a soutenu la décision de Guaidó d’invoquer son autorité en tant que président de l’Assemblée, disant : « Il est temps d’entamer la transition ordonnée vers un nouveau gouvernement ». Le 15 janvier, l’Assemblée nationale a déclaré Maduro illégitime. L’administration Trump a œuvré pour gagner des alliés alignés sur le soutien à Guaidó. Le 18 janvier, le ministre vénézuélien des Affaires étrangères a décrit un coup d’État nord-américain en cours.

La veille de l’annonce de Guaidó du 23 janvier, le vice-président Mike Pence a diffusé un message vidéo encourageant les Vénézuéliens à renverser leur gouvernement, affirmant : « Nous sommes avec vous. Nous vous soutenons et nous vous soutiendrons. »  Guaidó a également reçu un appel téléphonique de Pence le soir précédent son auto-désignation à la présidence, dans lequel il promettait que les États-Unis le soutiendraient.

Guaidó a déclaré que le gouvernement Maduro était illégitime et qu’il assumait la présidence. Dans une mascarade bien coordonnée, presque instantanément, Trump a reconnu Guaidó comme le dirigeant légitime du pays. Pour démontrer encore davantage la réalisation préconçue, étroitement coordonnée et efficacement menée du coup d’État, les alliés des États-Unis, parmi eux le Canada, le Brésil, l’Argentine, la Colombie, le Chili et le Pérou, ont rapidement reconnu le président qui en est issu.

L’administration Trump prétend que Guaidó représente le gouvernement légal et qu’il a droit à tous les revenus du Venezuela. Le département d’État a notifié à la Réserve fédérale que Guaidó est le représentant qui peut accéder aux actifs vénézuéliens dans les banques nord-américaines.

Presque tout aussi rapidement, Maduro a reçu des déclarations de soutien de la Russie, de la Chine, de la Turquie, du Mexique, de Cuba, de Bolivie et d’autres. La Cour suprême du Venezuela a appelé à une enquête sur l’Assemblée nationale et Guaidó à propos de l’usurpation illégale du pouvoir exécutif. L’armée vénézuélienne a annoncé qu’elle soutenait Maduro et la Russie a mis en garde les États-Unis en cas d’intervention militaire.

Le 25 janvier, l’Organisation des États américains, qui est traditionnellement un instrument des États-Unis, a rejeté une résolution visant à reconnaître Guaidó. Medea Benjamin de CODE PINK a interrompu Pompeo pendant la réunion de l’OEA,  brandissant un panneau sur lequel on pouvait lire : « Un coup d’État n’est pas une transition démocratique ! ». Le ministre vénézuélien des Affaires étrangères Jorge Arreaza a remercié Medea Benjamin, déclarant : « Avec sa protestation, elle a révélé le plan macabre du coup d’État contre le Venezuela, nous vaincrons toujours, merci ! ». Dix-huit pays ont rejeté la résolution proposée.

Lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies le 26 janvier, l’ambassadeur russe auprès de l’ONU Vassily Nebenzia a accusé les États-Unis d’avoir tenté « d’organiser un coup d’État ». Il a exigé de savoir si l’administration Trump « était prête à utiliser la force armée » contre le Venezuela. Les pays européens ont donné huit jours au Venezuela pour tenir des élections, une suggestion que le Venezuela a rejetée. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a qualifié le Venezuela d’« État mafieux illégitime ». Il a accusé la Russie et la Chine d’essayer de « soutenir Maduro ».

La Chine et la Russie ont dit aux États-Unis de ne pas intervenir dans les affaires intérieures du Venezuela. En décembre, la Russie a envoyé deux bombardiers stratégiques Tu-160 à capacité nucléaire au Venezuela ainsi qu’un avion militaire de transport lourd An-124 et un avion long-courrier II-62. Depuis décembre, la Russie avait une brigade au Venezuela et envisageait d’y envoyer une seconde brigade militaire même avant le coup d’État, en raison de la menace permanente d’intervention des États-Unis.

La Chine a prêté plus de 50 milliards de dollars au Venezuela dans le cadre d’accords pétrole contre prêts et est devenue une partenaire dans l’industrie pétrolière vénézuélienne. En décembre, sept mois après la signature d’un accord financier avec la Chine, la production pétrolière du Venezuela a doublé pour atteindre 130 000 barils par jour. La prise de contrôle sur le pétrole vénézuélien serait aussi une attaque contre la Chine. Celle-ci et le Venezuela ont signé 28 accords bilatéraux de coopération stratégique le 14 septembre dans les domaines du pétrole, de l’exploitation minière, de la sécurité, de la technologie, de la finance et de la santé.

Démontrant la nature du président issu du coup d’État, les premiers actes de Guaidó ont été de demander un prêt au Fond monétaire international, qui endetterait le Venezuela à l’égard des banquiers occidentaux et le placerait sous leur contrôle, et de privatiser l’industrie pétrolière vénézuélienne, ce qui priverait le Venezuela des fonds utilisés pour élever le niveau de vie des pauvres et de la classe ouvrière.

La nomination par Mike Pompeo d’Elliott Abrams comme personne chargée de superviser les opérations destinées à « restaurer la démocratie au Venezuela » est un signe inquiétant. C’est scandaleux et démontre que les éléments les plus extrêmes de l’establishment étasunien mènent la charge. Abrams a été condamné dans le scandale Iran-Contra, il a appuyé les escadrons de la mort soutenus par les États-Unis au Guatemala et au Salvador dans les années 1980, joué un rôle important dans le soutien de l’administration Reagan aux Contras meurtriers au Nicaragua et il était la personne qui a approuvé le coup d’État soutenu par les États-Unis au Venezuela en 2002.

L’analyste Vijay Prashad écrit que le coup d’État a violé la Charte des Nations unies et de l’Organisation des États américains et décrit les efforts pour appeler l’armée à se soulever contre le gouvernement et qui ont échoué. Maintenant, l’administration Trump menace le Venezuela d’un embargo pétrolier total et laisse « l’option militaire » ouverte.

La campagne concertée des États-Unis et du Canada pour installer Juan Guaidó comme le nouveau président par intérim « autoproclamé » du Venezuela a connu un premier échec. Malheureusement, les tentatives illégales et antidémocratiques de déstabiliser le pays et de renverser le président démocratiquement élu continueront avec des conséquences désastreuses. Le peuple vénézuélien se lève une fois de plus pour défendre son pays contre une intervention étrangère hostile. Il est essentiel de le soutenir dans cette lutte. De nombreux groupes organisent des rassemblements de solidarité et publient des déclarations de soutien. Vous trouvez les rassemblements et les manifestations ici and ici.

Bien que Sanders se soit trompé sur tous les faits concernant le Venezuela, il est parvenu à la bonne conclusion : « Les États-Unis ont une longue histoire d’interventions abusives dans les pays d’Amérique latine. Nous ne devons pas nous engager de nouveau sur cette voie. » Les Américains ont un rôle important à jouer pour soutenir le Venezuela et contrecarrer le coup d’État.

Kevin Zeese, Margaret Flowers

Article original en anglais :

Venezuela: What Activists Need to Know About the US-led Coup

Cet article a également été publié par Popular Résistance

Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour le Journal Notre Amérique

Le Venezuela subit les attaques d’une guerre hybride classique, et il peut être instructif d’analyser l’approche indirecte et évolutive de changement de régime qui est appliquée au pays, afin d’identifier et de reconnaître des processus similaires le jour où ils seront appliqués ailleurs.

La guerre hybride lancée contre le Venezuela atteint en ce moment son apogée : suite à la provocation planifiée à l’avance et coordonnée par les USA et leurs alliés du « Groupe de Lima » pour reconnaître Juan Guaidó comme « président par intérim » après qu’il se soit auto-investi, le jour-même où la République bolivarienne célébrait l’anniversaire du départ d’un grand homme en 1958. Cette symbolique n’est pas le fruit du hasard, elle vise à délivrer aux Vénézuéliens un message : Maduro sera le prochain dirigeant à se voir renversé. Le symbole signale également à la communauté internationale que « le peuple se lève contre le régime ». Mais rien de ceci n’est sorti de nulle part : il s’agit du point d’apogée de la stratégie de changement de régime soigneusement calibrée au cours des années par les USA. Cette stratégie suit le modèle décrit par l’auteur du présent article dans son livre de 2015, dont le titre était : La stratégie indirecte et évolutive pour pousser aux renversements de régimes.

Voici un résumé simple de toutes les actions entreprises pour semer le chaos dans la République Bolivarienne :

  • Développer une motivation multi-facettes pour justifier le temps et l’énergie

Toute guerre hybride vise un objectif stratégiquement significatif, et dans le cas vénézuélien, les USA voulaient faire progresser leur objectif géopolitique d’un contrôle total des Caraïbes, faire avancer leur agenda de renversement d’un gouvernement socialiste, et s’octroyer les bénéfices économiques d’un contrôle sur les plus grandes réserves mondiales de la ceinture de l’Orénoque.

  • Déstabiliser de l’extérieur le développement macroéconomique

Les USA ont imposé des sanctions et utilisés diverses formes de coercition contre le Venezuela, pour miner son développement macroéconomique. Les effets en ont été doubles : ces mesures perturbatrices ont été synchronisées avec l’effondrement du prix du pétrole, qui ont rendu impossible à l’État de poursuivre sans réformes son modèle socialiste de redistribution des richesses.

  • Exploiter les erreurs de gestion du gouvernement en poste

Il faut s’attendre à voir tout gouvernement échouer à gérer au mieux chacune des situations auxquelles il se trouve confronté, et le Venezuela ne fait pas exception à cette règle. Mais les USA ont utilisé comme arme contre le Venezuela les réponses inadaptées que Maduro a formulées en réponse à la Guerre hybride subie par son pays ; ils ont procédé pour ce faire par la pratique d’une guerre de l’information, et d’autres moyens d’influence psychologique, pour encourager les débordements civils intérieurs.

  • Libérer les cellules de Révolution de couleur préalablement préparées

Après avoir cultivé clandestinement des cellules de Révolution de couleur dans le pays et à l’étranger, les USA n’ont plus eu qu’à siffler le début des hostilités, pour qu’on les retrouve dans les rues en réponse à certains « événements déclencheurs », comme ce que les médias dominants occidentaux n’ont pas manqué de décrire comme des « élections litigieuses ». L’objectif en était de catalyser un cycle auto-alimenté de désordre de guerre hybride, opposant la « population civile » à l’État.

  • Mettre en place des structures de gouvernement parallèle

En même temps que la culture d’un stade avancé de cette Révolution de couleur, les USA ont tiré parti de l’initiative de créer l’Assemblée nationale constituante : ils ont utilisé l’occasion pour établir l’Assemblée nationale comme une structure de gouvernement parallèle, sous influence de Washington et de personnages prônant le changement de régime depuis l’étranger.

  • S’appuyer sur des tiers désignés pour « justifier » d’autres interventions

L’étape qui devrait suivre sera de voir les USA et leurs alliés « justifier » leur intervention accrue dans les affaires intérieures du Venezuela sous le prétexte que Guaidó, leur mandataire désigné (ou peut-être son « successeur » si quelque chose lui arrive) demanderait « une assistance supplémentaire ». Cette assistance sera très probablement clandestine, mais pourrait également prendre des dimensions de guerre conventionnelle dans le scénario du pire.

Comme on peut le constater, les USA ont mené des interventions chirurgicales dans les étapes essentielles de la Guerre hybride contre le Venezuela, chacune de ces interventions visant à envenimer la situation en parallèle avec diverses actions terroristes. Malheureusement, il n’y a pas de « solution idéale », chacune des deux parties « jouant le dur », et c’est pratiquement un jeu du tout ou rien pour chacune d’entre elles. S’il recherchait des « compromis » au nom du « bien commun », Maduro courrait le risque de voir l‘« opposition », encouragée par des puissances étrangères, à « chercher le coup de grâce », exactement comme cela s’était produit en février 2014 avec l’épanchement d’un terrorisme urbain communément appelé « Euromaidan » ; mais il pourrait tout de même parvenir à la conclusion que cette sortie de crise est « inévitable », si la pression sur lui continue d’augmenter, et pourrait en venir à « accepter pacifiquement » de participer à une « transition graduelle du pouvoir ». D’un autre coté, lui-même et les militaires de son pays pourraient aussi combattre jusqu’au bout, s’ils considèrent avoir la majorité de la population derrière eux, exactement comme le président Assad l’a fait dans des circonstances comparables. Cela présagerait néanmoins d’une conclusion similaire : un conflit prolongé, qui pourrait faire plonger le pays dans une crise humanitaire parmi les pires au monde.

Dans tous les cas, personne ne devrait espérer voir la Russie lancer une intervention militaire en soutien à Maduro, comme ce fut le cas pour Assad. La Russie n’a pas les moyens de maintenir des lignes logistiques trans-océaniques nécessaires à un tel tour de force : les USA disposent en effet du contrôle maritime et aérien de toutes les zones de cet espace. L’action la plus importante que la Russie pourrait mener serait de distribuer en urgence divers systèmes d’armement, chose qui n’a de sens que face à une agression armée conventionnelle ; l’impact en serait quasi nul face aux menaces hybrides que posent la Révolution de couleur et le terrorisme urbain. Toute rhétorique mise à part, le seul réel intérêt qu’a la Russie au Venezuela réside dans les remboursements des milliards de dollars de prêts qu’elle a consentis au pays, ainsi que le respect par Caracas des accords énergétiques et militaires déjà signés avec Moscou. La Russie subirait sans aucun doute un contrecoup financier si l’opération de changement de régime étasunienne réussissait, et que les « autorités » instituées à l’issue du coup d’État décidaient l’annulation de ces accords. Pour ces raisons, la Russie pourrait en venir à « rechercher un compromis pragmatique » avec les « rebelles » si ceux-ci étaient sur le point de l’emporter.

Andrew Korybko

Article original en anglais :

Venezuela: Preplanned Provocation by Washington,”The Indirect Adaptive Approach” to Regime Change, le 24 janvier 2019

Cet article a été publié initialement par Eurasia Future.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

 

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

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  • Commentaires fermés sur Venezuela : l’approche indirecte et évolutive pour un changement de régime

Dans le monde anglo-saxon de gauche, le livre Conversations entre Adultes [1] (Adults in the Room) de Yanis Varoufakis a suscité des critiques tout à fait intéressantes de la part d’Adam Tooze dans The New York Review of Books (« A Modern Greek Tragedy »), de J.W. Mason dans Boston Review (« Austerity by Design »), de Pavlos Roufos dans The Brooklyn Rail (« Inside the Disenchanted World of Left Keynesianism »), de Helena Sheehan dans Jacobin (« Closed Rooms and Class War »), notamment. De mon côté j’ai également rédigé une critique de ce livre important sous la forme d’une série qui a été publiée sur le blog de la maison d’édition anglophone Verso. Adam Tooze s’y est référé dans sa synthèse critique des critiques (« Europe’s Political Economy : Reading Reviews of Varoufakis’s Adults in the Room ») et Yanis Varoufakis a répondu sur son blogà une série de critiques dont la mienne. Ces échanges ont mis en avant une série d’arguments qui méritent d’être discutés. Voilà pourquoi j’ai rédigé cet article « Critique de la critique critique du livre Conversations entre Adultes de Yanis Varoufakis ». Il faut également dire que j’ai été fortement encouragé par Sebastian Budgen de la maison d’édition Verso qui a souhaité que je contribue à la discussion en cours. Je l’en remercie.

Comme l’écrit Adam Tooze dans son indispensable synthèse des critiques, le débat autour du livre témoignage de Yanis Varoufakis renvoie à l’économie politique de l’Europe et notamment aux questions : comment sortir des politiques néolibérales qui dominent l’histoire du « vieux continent » depuis des décennies ? Quelle stratégie adopter ?

Je vais me référer à l’argumentation de Mason et de Tooze (sur la base de ses deux textes) et donner mon point de vue. Tooze, tout comme Mason, adopte une approche à la fois positive et critique du livre et de l’action de Yanis Varoufakis. Il écrit : “Aussi bien la recension de Mason que la mienne proposent une critique positive”. Dans son premier texte, Tooze commence par résumer le contexte dans lequel Syriza est arrivé au gouvernement, les espoirs que cela a suscité à gauche et la déception créée par la politique qui a mené à la capitulation de juillet 2015. Tooze considère avec Mason que Conversations entre Adultes (Adults in the Room) est un livre dont la lecture est indispensable pour mieux comprendre comment fonctionne l’Union européenne, la zone euro, les raisons pour lesquelles le gouvernement dirigé par Alexis Tsipras n’a pas réussi à rompre avec l’austérité.

Se référant à la stratégie suivie par Tsipras, il affirme que le gouvernement, pour pouvoir retrouver une réelle liberté de manœuvre et pour assouplir la discipline imposée par la Troïka, devait obtenir une réduction de la dette. Il déclare « C’est sur ce front que Varoufakis a mené la bataille et qu’il l’a perdue  ».

Le combat pour la réduction de la dette impliquait une confrontation avec les créanciers publicsTooze fait remarquer que le combat pour la réduction de la dette impliquait une confrontation avec les créanciers publics qui détenaient, en 2015, 85 % de la dette grecque et pas avec les créanciers privés. Il rappelle que la Troïka à partir du mémorandum de 2010 (MoU) s’était substituée aux grandes banques privées créancières (les grandes banques privées allemandes, françaises, hollandaises et belges) en prêtant au gouvernement grec de quoi rembourser ces banques. Pour la Troïka, il ne s’agissait donc pas de venir en aide à la Grèce mais de venir en aide aux banques du Nord de l’Europe. Je suis d’accord avec cette explication que partage également Varoufakis et qui a été mise en avant par la Commission pour la vérité sur la dette grecque dans les deux premiers chapitres de son rapport de juin 2015. J’ajoute que les crédits octroyés dans le cadre des memoranda ont également servi à recapitaliser les banques privées grecques au profit du grand capital financier grec. Ce sauvetage des grands actionnaires des banques grecques permettait également de préserver les intérêts des grandes banques privées d’Europe du Nord qui étaient exposées à un risque vis-à-vis du secteur bancaire grec car celui-ci leur avait emprunté des capitaux. J’ai écrit une étude précise à ce sujet, intitulée « Grèce : Les banques sont à l’origine de la crise ».

Tooze consacre trois paragraphes à ma critique du livre de Varoufakis. Je les reproduis intégralement ici :

« Éric Toussaint, militant des luttes anti-dette, formule une critique de gauche d’un genre très différent sur le site de Verso [en français sur le site du CADTM, NdET], qui a publié sa série de plusieurs articles disséquant la relation ambigüe entretenue par Varoufakis avec Syriza. Comme cela est clairement exposé dans Conversations entre adultes, Varoufakis était en désaccord avec de nombreuses positions constituant la base de l’orientation du mouvement Syriza, et il a fait tout son possible afin que le parti s’écarte du programme de Thessalonique adopté en septembre 2014. Comme l’écrit Éric Toussaint : ’Varoufakis explique comment progressivement il a convaincu Tsipras, Pappas et Dragasakis de ne pas respecter l’orientation adoptée par Syriza en 2012 puis en 2014. Il explique qu’il a élaboré avec ceux-ci une nouvelle orientation qui n’a pas été discutée dans Syriza et qui était différente de celle présentée par Syriza lors de la campagne électorale de janvier 2015. Cette orientation conduisait au mieux à l’échec, au pire à la capitulation.’

De gauche à droite : Yanis Dragasakis, Alexis Tsipras, Nikos Pappas

Toussaint présente un récit se plaçant dans la perspective de la gauche de Syriza, expliquant comment Varoufakis a non seulement épousé une perspective keynésienne rationaliste, mais aussi comment, en faisant ainsi, il a miné l’énergie militante du gouvernement de gauche en Grèce et a fait basculer l’équilibre des orientations au sein du gouvernement en faveur de celles et ceux qui étaient prêts à travailler avec la Troïka.

Que l’on sympathise ou non avec l’orientation qui y est défendue, les articles de Toussaint permettent à tout un chacun d’approfondir la compréhension de la scène politique grecque dans laquelle Varoufakis et Tsipras ont opéré. » Fin de la citation de l’article de Tooze.

Avec ces trois paragraphes, Tooze résume correctement une partie de la critique que j’ai exprimée dans la série consacrée au livre de Varoufakis. Une précision par rapport à ce passage de Tooze : « Toussaint présente un récit se plaçant dans la perspective de la gauche de Syriza », mon point de vue est celui d’un anti-capitaliste et internationaliste qui a construit des liens de collaboration et de discussion avec des militants tant à la gauche de Syriza qu’avec d’autres organisations et activistes politiques de gauche radicale. Mon point de vue est aussi celui de quelqu’un qui a participé depuis 2010 aux évènements qui sont décrits et analysés par Varoufakis, notamment en cordonnant en 2015 les travaux de la commission pour la vérité sur la dette grecque.

Le comportement et l’orientation politico-économique défendue par Varoufakis ont contribué à conduire au désastreJe voudrais ajouter les éléments suivants. De la démonstration faite par Varoufakis, on peut clairement conclure que son comportement et l’orientation politico-économique qu’il a défendue ont contribué à conduire au désastre. En effet, Yanis Varoufakis revendique clairement un rôle de premier plan dans l’élaboration de la stratégie adoptée avant la victoire électorale de janvier 2015 par une poignée de dirigeants de Syriza dans le dos de ses membres et de ses instances. Ce cercle étroit de dirigeants était dirigé par le trio : Alexis Tsipras, Yanis Dragasakis, Nikkos Pappas. Il est frappant de constater que ce trio dont parle constamment Varoufakis dans son livre est toujours au poste de commande en 2019 : Tsipras est premier ministre et ministre des affaires étrangères, Dragasakis est vice-premier ministre et ministre de l’économie et du développement [2], Pappas est ministre de la politique numérique, des télécommunications et de l’information [3].

Varoufakis ne plaide pas coupable : selon lui, si Tsipras avait réellement appliqué l’orientation qu’il lui a proposée, cela n’aurait pas débouché sur une défaite pour le peuple grec. Mais, contrairement à la conviction de Varoufakis, une lecture attentive de son livre aboutit à la conclusion qu’il a contribué à la défaite.

Le trio Alexis Tsipras – Yanis Dragasakis – Nikkos Pappas a choisi Varoufakis pour jouer un rôle déterminé par eux. Le profil de Varoufakis correspondait au casting établi par Tsipras et Pappas : économiste universitaire, brillant, bon communicateur maniant la provocation et la conciliation avec le sourire, maîtrisant parfaitement l’anglais. De plus, Varoufakis était un électron libre, sans influence dans Syriza dont il ne faisait pas partie. Tsipras considérait qu’il pourrait, en cas de nécessité, le faire démissionner sans provoquer de grands remous dans le parti. Alexis Tsipras a décidé de fonctionner en petit comité dans le dos de son propre parti plutôt que de mettre en pratique une orientation politique décidée de manière collective au sein de Syriza et approuvée démocratiquement par la population grecque. Nommer Yanis Varoufakis ministre des Finances et lui recommander de ne pas devenir membre de Syriza correspondait à une logique de gouvernance technocratique selon laquelle la responsabilité de Varoufakis ne pourrait être engagée que devant Alexis Tsipras et son petit cercle. Il est vrai que, comme le raconte Varoufakis, Tsipras lui a fait une concession en acceptant qu’il soit présenté par Syriza comme candidat d’ouverture aux élections de janvier 2015 mais Varoufakis n’a pas activement assumé son mandat de député tant qu’il a été ministre. Il est évident que l’absence de participation populaire et de mécanismes démocratiques dans l’élaboration de l’orientation politique allait à l’encontre de la nécessité, pour un gouvernement de gauche, de faire appel à la mobilisation populaire afin de mettre en pratique le programme politique radical sur lequel il s’était fait élire. J’ai expliqué dans plusieurs articles et interviews que Tsipras a opéré un tournant droitier après les élections de juin 2012. Il a décidé d’éviter d’affronter les principaux adversaires du peuple grec : le grand capital grec et notamment les grands actionnaires des banques privées ; les dirigeants européens et le FMI. Ce tournant n’a pas fait l’objet d’un débat dans Syriza car Tsipras savait qu’il avait peu de chance de convaincre son propre parti d’assumer un tel changement d’orientation. Varoufakis a validé ce comportement bureaucratique en acceptant ces conditions.

À partir de la trahison du résultat du référendum du 5 juillet 2015 et de l’adoption du 3e mémorandum en juillet-août 2015, Syriza a connu un départ important de militants de base, d’élus, de cadres et s’est transformé en un parti intégré à l’appareil d’État et fonctionnel au maintien de l’ordre capitaliste en place.

Il est important de revenir sur la stratégie adoptée dès les débuts du gouvernement Tsipras quand Varoufakis occupait le poste de ministre des finances et était la principale figure publique de la négociation entre les autorités grecques et les dirigeants européens.

Que cherchaient les dirigeants européens dans la mascarade de négociation avec Varoufakis et Tsipras ?

Selon Tooze, qui sur ce point est d’accord avec Mason, Varoufakis n’a pas compris pendant les premiers mois pourquoi les dirigeants européens refusaient toutes les propositions raisonnables qu’il formulait afin de sauver l’eurozone et de permettre à la Grèce de sortir de la prison de la dette. Tooze et Mason soulignent que malgré tous les refus de dialogue que lui ont opposé les dirigeants européens, en particulier W. Schäuble, le ministre des Finances du gouvernement allemand, et J. Dijsselbloem, le ministre hollandais des finances qui présidait l’Eurogroupe, Varoufakis s’est épuisé à multiplier des propositions modérées et à montrer sa disposition à faire des concessions.

Varoufakis n’a pas compris l’objectif principal des dirigeants européensTooze et Mason ont raison d’affirmer que Varoufakis n’a pas compris au moment des négociations que les dirigeants européens avaient pour objectif principal de pousser beaucoup plus loin les attaques contre une série de conquêtes sociales. Leur objectif était clair et s’inscrivait dans une pratique de lutte de classes. Varoufakis explique dans son livre que les dirigeants européens et le FMI s’entêtaient à exiger de la Grèce des mesures vouées à l’échec parce qu’ils ne voulaient pas reconnaître les erreurs que la Troïka avait commises en 2010-2012. Comme le soulignent Tooze et Mason, c’est la raison principale que Varoufakis met en avant. Voir cette citation de Varoufakis qu’on retrouve dans les articles de Tooze et de Mason : “La seule raison qui amenait l’UE et le FMI à nous asphyxier, c’était qu’ils n’étaient pas capables de reconnaître que les ‘sauvetages’ précédents avaient été une erreur.”

Si Varoufakis et le cercle dirigeant autour de Tsipras avaient, par exemple, pris au sérieux le message que voulait faire passer Schäuble et que son homologue italien avait déjà transmis à Varoufakis, lors de son passage à Rome début février 2015 [4], ils auraient compris que la proposition d’échanges de dettes avancée par Varoufakis n’avait aucune chance de convaincre le gouvernement allemand et tous les gouvernements de la zone euro qui font de l’augmentation de la compétitivité (au profit des grandes entreprises privées exportatrices) leur objectif principal. L’enjeu central pour eux est de baisser, partout en Europe, les salaires, les retraites et les allocations sociales, de précariser les contrats, limiter le droit de grève, réduire les dépenses sociales dans les dépenses de l’État, privatiser, etc.

Schäuble et Varoufakis

Varoufakis reconnaît que Schäuble n’était pas intéressé par ses propositions sur la dette, par contre dès leur première rencontre, le ministre des finances de Merkel a mis l’accent sur : « sa théorie suivant laquelle le modèle social européen « trop généreux » était intenable et bon à jeter aux orties. Comparant le coût du maintien des États-providence avec ce qu’il se passe en Inde ou en Chine, où il n’y a aucune protection sociale, il estimait que l’Europe perdrait en compétitivité et était vouée à stagner si on ne sabrait pas massivement dans les prestations sociales. Sous-entendu, il fallait bien commencer quelque part, et ce quelque part pouvait être la Grèce. » Varoufakis se situe dans un débat entre partisans de théories différentes alors que pour Schäuble il ne s’agissait en rien d’un enjeu théorique, car cela devait se concrétiser par la poursuite et l’approfondissement des contre-réformes imposées dans le cadre du premier et du second mémorandum. Varoufakis montre son ignorance de la réalité allemande où l’offensive néolibérale était passée à une étape supérieure au début des années 2000 grâce au chancelier social-démocrate Schröder [5] avant que la Grèce soit soumise à une thérapie de choc. Mason écrit justement : “Pour des conservateurs allemands du genre de Schäuble, la Grèce n’était en effet qu’un début : la cible véritable était de plus puissants Etats en Europe garantissant encore des droits sociaux – et en définitive leur propre classe ouvrière.” En d’autres mots, Schaüble et d’autres dirigeants conservateurs voulaient la défaite du gouvernement et du peuple grecs afin de pouvoir s’attaquer plus facilement aux conquêtes sociales dans d’autres pays plus importants que la Grèce, y compris pour faire reculer plus encore la classe ouvrière allemande.

La plupart des gouvernements de la zone euro avaient besoin de l’étau de la dette pour imposer la poursuite de l’application de leur modèleSi la proposition modérée de Varoufakis sur la dette avait été acceptée, elle aurait permis au gouvernement grec de desserrer l’étau de la dette. Or, le gouvernement allemand et la plupart des autres gouvernements de la zone euro (sinon tous) avaient besoin de l’étau de la dette pour imposer la poursuite de l’application de leur modèle et se rapprocher des objectifs qu’ils s’étaient fixés. Ils souhaitaient ardemment faire échouer le projet de Syriza afin de démontrer aux peuples des autres pays qu’il est vain de porter au gouvernement des forces qui prétendent rompre avec l’austérité et le modèle néolibéral.

En résumé, les dirigeants européens ne voulaient surtout pas mettre en pratique une solution qui aurait libéré la Grèce de la contrainte du remboursement de la dette, et qui du coup aurait réduit la puissance de coercition de la Troïka sur les autorités du pays. Donc étaient vouées à l’échec toutes les propositions de Varoufakis qui visaient à faire accepter par la négociation l’objectif d’émanciper un tant soit peu la Grèce (ou tout autre pays) du poids du remboursement de la dette et de la contrainte de poursuivre le démantèlement des acquis sociaux. Mason souligne que : “Pendant les mois où il était ministre, l’activité principale de Varoufakis semble avoir été de compiler des documents non officiels (appelés en anglais ‘non papers’) avançant des solutions possibles, dont l’autre partie ne tenait aucun compte.”

Mason cite Varoufakis pour étayer sa critique : “Comme nous partions de l’hypothèse que de bonnes idées sont favorables à un dialogue fructueux et peuvent faire sortir de l’impasse, mon équipe et moi-même avons travaillé très dur pour formuler des propositions basées sur … une analyse économique correcte. Une fois ces propositions approuvées par certaines des personnalités les plus éminentes dans leur domaine . . . je les suggérais aux créanciers de la Grèce. Et là je me trouvais devant un parterre de regards vides . . . Leurs réactions, quand il y en avait, ne tenaient aucun compte de ce que j’avais dit. J’aurais aussi bien pu chanter l’hymne national suédois.”

Ensuite, Mason enfonce le clou : “Bizarrement, malgré la fréquence de la répétition du même scénario, cette expérience ne l’amène pas à mettre en cause l’hypothèse selon laquelle ce qui compte, ce sont de bonnes idées. Même quand Schäuble lui dit sans mettre de gants lors d’une rencontre privée : ‘Je n’ai pas l’intention de négocier avec vous’, Varoufakis s’obstine à obtenir un accord. Jusqu’à ses tout derniers jours en tant que ministre, il met de nouvelles propositions sur la table, toujours approuvées par les plus éminentes personnalités.”

Il faut souligner que Varoufakis dans son livre, d’une part, et dans sa réponse aux différentes critiques, d’autre part, tient des propos contradictoires. Comme le souligne Roufos, Varoufakis écrit : “à partir de janvier 2015 je n’ai cru à aucun moment que la modération manifeste et la logique implacable de mes propositions suffiraient à convaincre nos créanciers.”

Mais alors, s’il était vraiment conscient de cela, on ne peut pas accepter que Varoufakis ait annoncé publiquement de manière constante jusque fin juin 2015 que le gouvernement grec et les créanciers (européens + FMI) étaient sur le point d’arriver à un accord, sans jamais expliquer les pressions exercées par les créanciers sur la Grèce, sans jamais parler de chantage, sans jamais expliciter l’ensemble des propositions que faisait la Grèce à ses interlocuteurs. Son comportement n’est pas du tout acceptable. En résumé s’il était conscient que la modération dont il faisait preuve ne pouvait pas convaincre ses interlocuteurs, il ne fallait pas rester à la table des négociations. Il aurait dû appliquer ce qu’il avait affirmé devant les députés du parlement grec début février : « Si vous n’envisagez pas de pouvoir quitter la table des négociations, il vaut mieux ne pas vous y asseoir. Si vous ne supportez pas l’idée d’arriver à une impasse, autant vous en tenir au rôle du suppliant qui implore le despote de lui accorder quelques privilèges, mais finit par accepter tout ce que le despote lui donne » (p. 233).

Varoufakis ajoute un nouvel argument dans sa réponse aux différentes critiques de son livre : il déclare qu’il a multiplié les propositions raisonnables afin de gagner l’opinion publique internationale à la cause du gouvernement grec. Mais cet argument n’est pas solide, et s’il intervient après coup, c’est sans doute parce que Varoufakis se rend compte que le raisonnement qu’il a défendu dans son livre publié en 2017 ne tient pas la route. En effet, en acceptant de pratiquer la diplomatie secrète, en ne mettant pas sur la place publique (sur l’agora) les enjeux de la négociation, il n’a pas permis à l’opinion publique de comprendre les propositions qu’il défendait alors que celles-ci étaient l’objet d’une campagne de dénigrement systématique. Par ailleurs, ces propositions soit constituaient des vœux pieux (la mutualisation des dettes par exemple), soit étaient carrément inacceptables si on voulait défendre les intérêts du peuple grec car elles consistaient par exemple à approfondir les privatisations ou à faire peser la lutte contre la fraude fiscale largement sur les petits tandis que les gros (notamment ceux qui avaient pratiqué l’évasion fiscale massive vers l’étranger) bénéficieraient d’une amnistie fiscale en payant un impôt de 15 % seulement [6]. Il est important de revenir sur les propositions de Varoufakis à la Troïka afin de voir de quoi il s’agissait exactement [7].

Le sens de ma critique du livre de Varoufakis

La série d’articles que j’ai consacrés au livre de Varoufakis, Conversations entre Adultes, constitue un guide pour des lecteurs et des lectrices de gauche qui ne souhaitent pas se contenter de la narration dominante donnée par les grands médias et les gouvernements de la Troïka ; des lecteurs et des lectrices qui ne se satisfont pas non plus de la version donnée par l’ex-ministre des Finances. En contrepoint du récit de Varoufakis, j’indique des évènements qu’il passe sous silence et j’exprime un avis différent du sien sur ce qu’il aurait fallu faire et sur ce qu’il a fait. Mon récit ne se substitue pas au sien, il se lit en parallèle.

Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en pratique par Varoufakis et le gouvernement Tsipras car, pour la première fois depuis le début du XXIe siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe. Comprendre les failles et tirer les leçons de la manière dont celui-ci a affronté les problèmes qu’il rencontrait sont de la plus haute importance si on veut avoir une chance de ne pas aboutir à un nouveau fiasco.

L’enjeu de la critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités respectives de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus. Ce qui est fondamental, c’est de réaliser une analyse de l’orientation politico-économique qui a été mise en pratique afin de déterminer les causes de l’échec, de voir ce qui aurait pu être tenté à la place et d’en tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans un pays de la périphérie de la zone euro.

Retrouvez les articles de la série Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

1. Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec

2. Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique

3. Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza

4. Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers

5. Dès le début, Varoufakis-Tsipras mettent en pratique une orientation vouée à l’échec

6. Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015

7. La première capitulation de Varoufakis-Tsipras fin février 2015


Les propositions de Varoufakis aux dirigeants européens avant l’accord du 20 février.

Pour compléter et apporter ma contribution au raisonnement tenu par Tooze et Mason dans leurs critiques respectives, il est important de souligner que contrairement à l’image caricaturale présentée par les médias dominants et par les gouvernements des pays créanciers, Varoufakis, comme négociateur principal, a fait des propositions très modérées à la Troïka. Lui-même écrit : « Comme je l’avais fait remarquer aux financiers de la City (…), la gravité de la crise de l’euro se mesurait à ce paradoxe : c’était un gouvernement issu de la gauche radicale qui proposait des solutions libérales classiques pour résoudre cette crise  » [8].

Varoufakis, comme négociateur principal, a fait des propositions très modérées à la TroïkaVaroufakis revient en détail sur ces propositions dans son livre. Tooze, Mason et Roufos ne mettent pas l’accent sur ce point qui est pourtant très important. Je souligne que ces propositions étaient très clairement en retrait par rapport au programme de Thessalonique qui constituait le mandat sur la base duquel Syriza avait été porté au gouvernement par le peuple grec le 25 janvier 2015 [9]. Plusieurs propositions clés de Varoufakis étaient même clairement en contradiction avec le programme.

Syriza n’avait pas demandé à ses électeurs de lui donner un mandat pour sortir de la zone euro, mais le gouvernement de Tsipras avait un mandat très clair pour agir afin d’effacer la majeure partie de la dette publique. Alors qu’il était donc fondamental de donner la priorité à cet objectif, Varoufakis et le noyau dirigeant autour de Tsipras ont décidé de l’abandonner immédiatement après l’arrivée de Syriza au gouvernement.

Manifestation en soutien au gouvernement, Athènes le 5 février 2015 (Photo Louisa Gouliamaki. AFP)

Selon son propre témoignage, Varoufakis, dès ses débuts comme ministre des finances, a assuré à ses interlocuteurs que le gouvernement grec ne demandait pas une réduction du stock de la dette, entrant ainsi en contradiction avec le programme électoral qui disait explicitement : « Nous demandons le recours immédiat au verdict populaire et un mandat de négociation qui vise à l’effacement de la plus grande partie de la dette nominale ».

Il proposait que les créances détenues par la Troïka sous différentes formes soient transformées en créances de plus longue durée permettant au gouvernement de réduire la part du budget consacrée au remboursement annuel. Il a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne demandait pas un effacement de dette [10]. Par exemple, il écrit que dès le premier contact avec Schaüble, le 5 février 2015, il lui a déclaré : « je ne demandais pas de radiation de la dette, et l’échange de dettes que je proposais bénéficierait à l’Allemagne et à la Grèce.  » [11]

Il n’a jamais demandé de moratoire sur le remboursement de la dette, ce qui, de nouveau, est en opposition au programme de Thessalonique qui affirmait qu’il fallait : “Un moratoire – suspension des paiements – afin de préserver la croissance…”. Ce moratoire était essentiel pour la viabilité de l’expérience du premier gouvernement Tsipras, car les sommes à rembourser en 2015 étaient énormes. Varoufakis indique d’ailleurs avoir annoncé au président de l’Eurogroupe lors de leur première rencontre, le 30 janvier à Athènes, que : « les remboursements prévus pour la seule année 2015 représentent 45 % de la totalité des impôts que le gouvernement espère percevoir  ». [12]

Varoufakis explique dans son livre qu’il avait alors passé un accord secret avec Alexis Tsipras et deux autres dirigeants de Syriza, qui s’opposait à l’orientation officielle de Syriza : « la position de Syriza était très claire : le parti exigeait ni plus ni moins qu’un effacement inconditionnel de la dette. La moitié des membres voulaient toujours une décote unilatérale de la majeure partie de la dette, la plupart n’imaginaient même pas l’idée d’un échange de dettes, or seul un pacte verbal fragile me liait au trio dirigeant. » [13]

En adoptant cette position, Varoufakis allait à l’encontre de la volonté des électeurs qui avaient porté leurs suffrages sur Syriza sur la foi des engagements pris devant eux par Tsipras au cours de la campagne électorale et à l’encontre de la majorité des dirigeants et des militants de Syriza.

De plus, Varoufakis a proposé à la Troïka d’aménager une partie du mémorandum en cours en le prolongeant et en adaptant certaines des mesures prévues. Ici encore, le programme électoral disait explicitement le contraire : « Nous nous engageons, face au peuple grec, à remplacer dès les premiers jours du nouveau gouvernement – et indépendamment des résultats attendus de notre négociation – le mémorandum par un Plan national de reconstruction. »

En contradiction avec cet engagement de Syriza, comme il le déclare dans son livre, il a affirmé de manière répétée aux dirigeants européens que 70 % des mesures prévues par le mémorandum étaient acceptables. Il a ajouté que certaines mesures qui devaient encore être appliquées étaient positives mais que 30 % du mémorandum devaient être remplacés par d’autres mesures ayant un effet neutre sur le budget, c’est-à-dire que les mesures nouvelles et notamment celles qui seraient mises en œuvre pour faire face à la crise humanitaire n’augmenteraient pas le déficit prévu par le gouvernement Samaras car elles seraient contrebalancées par des revenus supplémentaires ou par des réductions de dépenses dans certains domaines.

Varoufakis a affirmé que le gouvernement qu’il représentait ne reviendrait pas sur les privatisations qui avaient été réalisées depuis 2010 et qu’en plus, certaines privatisations supplémentaires étaient tout à fait envisageables du moment que le prix de vente soit suffisamment élevé et que les acquéreurs respectent les droits des travailleurs.

Il s’est bien gardé de mettre en avant, face à ses interlocuteurs, la partie du programme de Syriza qui impliquait que l’État grec prenne le contrôle des banques privées grecques alors qu’il en était l’actionnaire principal. Le programme de Thessalonique était pourtant très clair : « Avec Syriza au gouvernement, le secteur public reprend le contrôle du Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF – en anglais HFSF) et exerce tous ses droits sur les banques recapitalisées ». Varoufakis reconnaît lui-même qu’il n’a jamais abordé cette question absolument centrale car il a accepté d’être déchargé du dossier. Il faut savoir que l’État grec, via le Fonds hellénique de stabilité financière, était en 2015 l’actionnaire principal des 4 principales banques du pays qui représentaient plus de 85 % de tout le secteur bancaire grec. Le problème, c’est qu’à cause des politiques menées par les gouvernements précédents ses actions n’avaient aucun poids réel dans les décisions des banques car elles ne donnaient pas droit au vote. Il fallait dès lors que le Parlement, conformément aux engagements de Syriza, transforme les actions dites préférentielles (qui ne donnent pas de droit de vote) détenues par les pouvoirs publics en actions ordinaires donnant le droit au vote. Ensuite de manière parfaitement normale et légale, l’État aurait pu exercer ses responsabilités et apporter une solution à la crise bancaire.

Varoufakis, à plusieurs reprises au début de son mandat, a affirmé que la Troïka n’avait pas de légitimité démocratique et que le gouvernement grec ne collaborerait pas avec elle. Mais en lisant son livre, on se rend compte très vite qu’en pratique, il a accepté le maintien de la Troïka. Celle-ci n’a disparu qu’au niveau du discours officiel. La seule concession que la Troïka a faite a consisté à accepter qu’on fasse semblant qu’elle n’existait plus. En réalité, elle a continué à fonctionner, et ce de manière implacable et palpable. Varoufakis montre qu’elle était présente à tous les moments clés de la négociation et des prises de décision. Il n’a jamais dénoncé son maintien car cela aurait impliqué de reconnaître officiellement que la présentation positive qu’il avait donnée de l’accord du 20 février n’était qu’un leurre. Mais avant d’en arriver à l’accord fatidique du 20 février, il est important d’expliquer la stratégie adoptée dès le début par la BCE pour déstabiliser le gouvernement de Tsipras et de montrer en quoi Varoufakis a réagi d’une manière inadaptée.


La mesure prise par la BCE le 4 février 2015 et la réaction de Varoufakis racontée par lui-même

Le 4 février 2015, quelques heures après avoir rencontré Varoufakis, Mario Draghi annonce que le conseil des gouverneurs de l’institution monétaire de la zone euro a décidé de couper l’accès des banques grecques aux liquidités que la BCE leur octroie. Comme l’écrit Varoufakis : « Il s’agissait d’un acte d’agression explicite et parfaitement calculé. » [14]

Donc, dix jours à peine après les élections du 25 janvier 2015, la BCE a décidé, le 4 février 2015, d’augmenter immédiatement la pression sur le gouvernement Tsipras en prenant des mesures extrêmes. Il ne s’agit pas d’une pression morale ou d’un chantage, mais d’un acte d’agression en bonne et due forme, comme le souligne Varoufakis dans le passage cité (voir encadré La BCE, le financement des banques et les effets de la décision du 4 février 2015).

La BCE, le financement des banques et les effets de la décision du 4 février 2015

La Banque centrale européenne fournit des liquidités aux banques de la zone euro. Pour avoir accès à ces liquidités, les banques (qu’elles soient publiques ou privées) doivent déposer des titres financiers qui constituent une garantie. C’est ce qu’on appelle des collatéraux. Elles peuvent déposer différents types de collatéraux : des titres de dettes publiques, des obligations d’entreprises privées, etc. La Banque centrale européenne peut estimer que les banques d’un pays membre de la zone euro ne présentent pas suffisamment de garanties car elles sont en très mauvaise santé ou parce que les titres qu’elles proposent en garantie ne sont pas d’assez bonne qualité. Dans ce cas, elle leur ferme l’accès au crédit. Cela provoque évidemment un sentiment d’insécurité et les déposants, pour se protéger, retirent de manière plus ou moins rapide leurs dépôts.

Il reste une bouée de sauvetage pour les banques du pays concerné : demander à la banque centrale de leur pays de leur donner accès aux liquidités d’urgence. C’est la seule solution, et elle est coûteuse : la banque centrale du pays n’est autorisée à octroyer des liquidités d’urgence qu’en faisant payer aux banques une prime de risque. De plus, le volume des liquidités d’urgence est limité et il est adapté chaque semaine. Lorsqu’une situation s’est dégradée d’une manière telle qu’un pays doit passer par les liquidités d’urgence pour se financer, la direction de la banque centrale du pays concerné se réunit chaque fin de semaine, le vendredi, et décide du volume de liquidités d’urgence qu’elle octroiera la semaine suivante aux banques sur la base d’une analyse de leur situation. Le volume est fixé en accord avec la Banque centrale européenne, qui a le pouvoir de limiter le volume autorisé.

Les effets négatifs de la décision prise le 4 février 2015 ont été immédiats. Premièrement, les banques grecques ont dû payer nettement plus cher l’accès au crédit de la banque centrale et donc leur santé financière s’est dégradée. Deuxièmement, le financement à court terme de l’État grec a été rendu plus difficile. En effet, avec les liquidités octroyées par la banque centrale, les banques grecques achetaient des titres à court terme (c’est-à-dire des titres à moins d’un an) émis par le Trésor public grec, ce qui permettait de financer le budget de l’État (vu que celui-ci, en vertu des traités européens et des statuts de la BCE, ne peut pas emprunter directement à la banque centrale). Or, puisque la BCE limitait l’accès aux liquidités pour les banques grecques, celles-ci achetaient moins de titres et exigeaient des rendements plus élevés, augmentant pour l’État le coût de ses emprunts.

Ainsi, en réduisant les liquidités des banques grecques et en rendant le coût de financement plus élevé, la BCE rendait plus difficile la tâche du Trésor grec de se financer auprès des banques grecques.

Les banques privées reçoivent des liquidités avec lesquelles elles achètent des titres publics pour faire des profits. Ensuite elles déposent ces titres comme collatéraux à la banque centrale afin d’obtenir des liquidités (du crédit) qu’elles utilisent pour acheter d’autres titres publics (en effet, les banques grecques octroient de moins en moins de crédit au secteur privé – la part des non performing loans ayant augmenté dans leur portefeuille de crédit au point d’atteindre un taux de 45 % en 2015, elles prêtent proportionnellement de plus en plus à l’État car c’est quand même plus sûr que de prêter au secteur privé). Si la banque centrale limite l’accès aux liquidités, les banques achètent moins de titres et elles exigent un meilleur rendement, ce qui augmente pour l’État le coût de ses emprunts.

Or, le financement privé extérieur était coupé ou extrêmement difficile à obtenir, d’une part, et d’autre part, la BCE avait fait savoir qu’elle ne reverserait pas les bénéfices réalisés sur les titres de la dette grecque qu’elle avait promis de reverser à la Grèce (il s’agissait de 2 milliards d’euros qui auraient dû être versés en 2015). Là aussi, il s’agissait d’une décision purement politique. En effet en 2014, la BCE avait reversé une partie des bénéfices au gouvernement Samaras malgré le fait que celui-ci était en retard dans l’application du 2e mémorandum. Avant même que le gouvernement Tsipras ne sorte des urnes, des émissaires de l’Eurogroupe et de la BCE avaient fait savoir que les 2 milliards promis pour 2015 ne seraient pas versés (voir plus loin).

Enfin, puisque la Banque centrale européenne considère que les titres publics perdent de leur qualité car la situation des banques comme de l’État s’aggrave, elle affirme que la situation se détériore, ce qui augmente les retraits de dépôts bancaires et ce qui rend encore plus difficile l’accès de l’État au financement.

Ajoutons une preuve supplémentaire du caractère politique agressif de la décision de la BCE de couper les liquidités normales aux banques grecques. Comme indiqué plus haut, la BCE peut estimer que les banques d’un pays sont tellement en mauvais état qu’il convient de ne plus leur prêter de l’argent sous la forme de liquidités et qu’il faut mettre en place un plan de sauvetage, par exemple en injectant des capitaux (ce qui a été fait via les différents memoranda). Le problème pour la BCE, c’est qu’en juin 2014, toutes les banques grecques avaient réussi le test auquel l’autorité européenne de régulation et la BCE les avaient soumis. Il est clair que le bulletin de santé des banques grecques avait été volontairement surévalué par la BCE afin de venir en aide au gouvernement de Samaras qui venait de perdre les élections européennes face à Syriza. En réalité, la santé des banques était très mauvaise, que ce soit en 2009, en 2014 ou en 2015. Mais il est tout aussi clair que la BCE n’a feint de s’en apercevoir que quelques jours après la mise en place du gouvernement de Tsipras. Il s’agissait de toute évidence d’un choix purement politique.

Le 4 février 2015 au matin, comment répond Varoufakis à l’annonce de la fermeture probable de l’accès aux liquidités normales qu’il présente dans son livre comme un acte d’agression parfaitement prémédité ? Il adopte un ton de grande modération. C’est surréaliste.

Alors que la BCE déclare la guerre à la Grèce et utilise la force pour mettre à genoux son gouvernement, alors que le bilan de l’action de la BCE à l’égard des pays de la périphérie européenne est tout à fait négatif, voici ce que Varoufakis dit avoir déclaré à Mario Draghi : « J’ai répondu que je respectais profondément le combat qu’il livrait pour défendre l’euro, tout en suivant la charte et les règles de sa banque. C’était un exercice d’équilibre délicat, qui avait permis aux politiciens européens de se reprendre et de réagir à la crise avec clairvoyance, en surmontant les contraintes impossibles de la BCE. (…) – Malheureusement, dis-je, les politiciens n’ont pas su profiter du temps que vous leur avez offert, c’est bien ça ? (…) Vous avez accompli un travail impressionnant pour préserver à la fois la cohésion de la zone euro et la place de la Grèce au sein de cette zone, surtout l’été 2012. Si je suis ici aujourd’hui, c’est pour vous demander de continuer dans le même sens pendant quelques mois encore, afin que nous, politiciens, ayons un temps et un espace monétaire suffisants pour signer un accord viable entre la Grèce et l’Eurogroupe. » [15]

Varoufakis ajoute que, dans la soirée du 4 février, après avoir reçu un appel téléphonique de Mario Draghi qui lui confirmait l’arrêt de l’octroi des liquidités normales, il publie un communiqué de presse qui commence de la manière suivante : « La BCE tâche de s’en tenir à ses règles en nous encourageant, nous et nos partenaires, à arriver rapidement à un accord technique et politique, tout en protégeant les liquidités des banques grecques » [16]. Il caractérise lui-même son communiqué de la manière suivante : « maquiller un choc en non-événement. » [17]

Il faut souligner que Varoufakis a conseillé à Tsipras de ne pas démettre de ses fonctions le gouverneur de la banque centrale de Grèce, Yannis Stournaras, qui avait été le ministre des finances du gouvernement conservateur d’Antonis Samaras qui avait précédé Syriza : « Alexis n’arrêtait pas de me dire qu’une de ses priorités serait de lui retirer ce poste. Le pire, c’est que je lui conseillais d’être prudent et diplomate parce qu’il ne pouvait pas débaucher le gouverneur de la Banque centrale sans affronter le Comité exécutif de la BCE. Comme je contenais la fureur d’Alexis contre Stournaras, la direction de Syriza en avait conclu que j’étais très bien disposé vis-à-vis de l’enfant chéri de la troïka à Athènes. » [18]

Dans le cinquième article de ma série portant sur Conversations entre Adultes, j’ai expliqué mon point de vue sur la manière dont Varoufakis et le gouvernement grec auraient dû réagir face aux mesures de déstabilisation et de blocage adoptées dès le début par les dirigeants européens.

Chaque fois que Varoufakis et Tsipras ont donné l’impression de tenir tête face aux créanciers, des manifestations spontanées de solidarité se sont dérouléesIl est clair que chaque fois que Varoufakis et Tsipras ont donné l’impression de tenir tête face aux créanciers, des manifestations spontanées de solidarité se sont déroulées. Varoufakis en témoigne lui-même. Alors qu’il affrontait à Bruxelles l’Eurogroupe le 11 février 2015 : « des milliers de gens étaient réunis place Syntagma pendant que j’étais enfermé avec l’Eurogroupe, dansant et brandissant des banderoles proclamant « en faillite mais libres » ou « fin à l’austérité ». Au même moment, c’était encore plus émouvant, des milliers de manifestants allemands emmenés par le mouvement Blockupy encerclaient le bâtiment de la BCE à Francfort en signe de solidarité » (p. 249) [19]. Cela montre parfaitement quel potentiel de mobilisation il y aurait eu si, dans les jours qui ont suivi, Tsipras et Varoufakis avaient maintenu une ligne de refus des ultimatums, s’ils avaient mis en pratique la suspension du paiement de la dette, s’ils avaient lancé l’audit de la dette avec la participation des citoyens et citoyennes, s’ils avaient mis en place un système de paiements parallèles, s’ils avaient exercé leur droit de vote dans les banques grecques et s’ils avaient décrété un contrôle des mouvements de capitaux, s’ils avaient appliqué toute une série de mesures concrètes pour répondre à la crise humanitaire et améliorer très concrètement les conditions de vie de la majorité de la population grecque, ceux et celles qui avaient le plus durement souffert des politiques mémorandaires. Je reviendrai plus loin sur les mesures qui auraient dû être prises.


Le jugement sur l’accord du 20 février 2015

Tooze explique que Varoufakis pensait avoir signé un bon accord le 20 février 2015. Tooze, comme Mason, considère que cet accord était mauvais. Je suis d’accord avec eux et de mon côté, je n’ai pas hésité à dire que c’était une première capitulation. Par contre Varoufakis, dans son livre et dans de multiples échanges publics postérieurs à 2015, a affirmé que cet accord était bon.

En réponse à Patrick Saurin (du CADTM) et à Alexis Cukier (de Ensemble ! et du réseau EReNSEP), il a notamment déclaré sur son blog (et dans la version française publiée simultanément sur Mediapart) en octobre 2016 « que l’accord de l’Eurogroupe du 20 février était tout à fait cohérent avec la politique de ’désobéissance constructive’ de DiEM25, et qu’il était respectueux du mandat donné par les électeurs grecs. La partie ’constructive’ était notre volonté de négocier de bonne foi. »

Il ajoute qu’il est « correct et juste que nous n’ayons pas nationalisé les banques dès notre arrivée, que nous n’ayons pas limogé M. Stournaras dès notre arrivée, et que nous ayons signé l’accord du 20 février. »

Pourquoi l’accord du 20 février était non seulement mauvais mais constituait une première capitulation

L’accord funeste du 20 février 2015, confirmé le 24 février, prolongeait de quatre mois le deuxième mémorandum rejeté par la population grecque. Par cet accord, Varoufakis au nom du gouvernement d’Alexis Tsipras s’engageait à rembourser tous les créanciers selon le calendrier prévu (pour un total de 7 milliards d’euros entre février et fin juin 2015, dont 5 milliards au FMI) et à soumettre à l’Eurogroupe de nouvelles mesures d’austérité et de privatisations (voir l’encadré avec le contenu de l’accord du 20 février).

L’accord du 20 février avait entraîné une forte réaction négative de Manólis Glézos, flambeau de la Résistance contre le nazisme et député Syriza au Parlement européen depuis février 2015, ainsi que du célèbre compositeur Míkis Theodorákis. Dans un communiqué public, Manólis Glézos s’était excusé auprès du peuple grec d’avoir appelé à voter Syriza en janvier 2015 (« Je demande au Peuple Grec de me pardonner d’avoir contribué à cette illusion », 22 février 2015). Zoe Konstantopoulou, la présidente du parlement grecque, avait également communiqué son opposition à l’accord, elle qui avait pris des positions très claires dès son discours d’investiture en faveur de l’annulation de la dette et de la suspension de paiement (voir le discours prononcé par Zoé Konstantopoulou, lors de son élection en tant que Présidente du Parlement hellénique).

En s’engageant le 20 février à poursuivre le remboursement intégral de la dette selon le calendrier prévu jusqu’au 30 juin 2015, il a accepté une situation d’autant plus insoutenable que les créanciers ne s’étaient engagé à réaliser aucun versement sauf si le gouvernement se conformait totalement au mémorandum, ce qui était impossible. Pire, juste avant la réunion de l’Eurogroupe le 20 février, son président, le travailliste hollandais Jeroen Dijsselbloem, lui avait annoncé que le solde de 11 milliards € du Fonds de recapitalisation des banques (FHSF) sur lequel le gouvernement Tsipras comptait pour réaliser une partie de ses promesses électorales partait vers le Luxembourg au lieu d’être mis à disposition de la Grèce.

La somme de 7 milliards d’euros que le gouvernement s’engageait à rembourser en quatre mois est à comparer avec le coût estimé de l’ensemble des mesures humanitaires promises dans le programme de Thessalonique, qui s’élevait à 2 milliards pour l’ensemble de l’année 2015. En réalité, à cause du paiement de la dette, selon mon estimation personnelle, le gouvernement de Tsipras n’a pas dépensé plus de 200 millions d’euros en matière de réponse à la crise humanitaire entre février et juin 2015, ce qui était tout à fait insuffisant.

L’Accord signé par Varoufakis lors de la réunion de l’Eurogroupe le 20 février [20]

(Extraits)

« Les autorités grecques présenteront une première liste de mesures de réforme, sur la base de l’accord actuel, au plus tard le lundi 23 février. Les institutions [il s’agit de la BCE, du FMI et de la Commission européenne représentée par l’Eurogroupe, note d’Éric Toussaint] fourniront un premier avis visant à déterminer si cette liste est suffisamment complète pour être considérée comme un point de départ valable en vue d’une conclusion réussie de l’évaluation. Cette liste sera encore précisée puis soumise à l’approbation des institutions d’ici la fin avril.  »

(…)

« Les autorités grecques réitèrent leur engagement sans équivoque à honorer, pleinement et à temps, leurs obligations financières auprès de tous leurs créanciers.

Les autorités grecques se sont également engagées à assurer les excédents budgétaires primaires requis ou les produits de financement nécessaires pour garantir la viabilité de la dette, conformément à la déclaration de l’Eurogroupe de novembre 2012. »

(…)

« Les autorités grecques s’engagent à s’abstenir de tout démantèlement des mesures et de changements unilatéraux des politiques et réformes structurelles qui auraient un impact négatif sur les objectifs budgétaires, la reprise économique ou la stabilité financière, tels qu’évalués par les institutions. » [21]

L’accord du 20 février 2015 est le premier document officiel par lequel Varoufakis et Tsipras abandonnent les propositions principales du programme pour lequel Syriza avait été porté au gouvernement. Dans les jours qui ont suivi, Varoufakis et le gouvernement de Tsipras se sont entièrement pliés aux demandes des créanciers, qui se sont chargés de rédiger le document détaillant les mesures d’austérité qui devaient être mises en œuvre afin de satisfaire le remboursement de la dette, laissant à Varoufakis uniquement le soin d’apposer sa signature.

Non seulement Varoufakis a souscrit à l’accord du 20 février qui était inacceptable, mais il est rapidement allé plus loin encore, comme il le reconnaît lui-même. Le lundi 23 février en matinée, Varoufakis consulte le cercle étroit de Tsipras en y ajoutant, pour une fois, Lafazanis, ministre de la restructuration de la production, de l’environnement et de l’énergie et dirigeant de la Plateforme de gauche dans Syriza : « L’opposition la plus virulente venait de la Plateforme de gauche. Les négociations avec nos bailleurs de fonds étaient biaisées, disaient-ils, et la reformulation de ma liste dans le style de la Troïka était proche de la trahison  » (p. 286).

Finalement, après avoir de nouveau consulté par courrier électronique les représentants de la Troïka et avoir obtenu leur feu vert, Varoufakis envoie officiellement, un peu après minuit, la liste qu’il s’était engagé à soumettre à l’Eurogroupe avant la moitié de la nuit [22].

Dès le mardi matin 24 février, les médias ont affirmé que le retard était la preuve que Varoufakis était incompétent. Varoufakis commente : « Une accusation à laquelle je ne pouvais pas répondre sans dire que j’avais secrètement négocié avec les créanciers avant de soumettre officiellement ma liste » (p. 286).

Quelques heures plus tard, la presse grecque révélait le contenu du document envoyé par Varoufakis à l’Eurogroupe et annonçait que ce document avait été écrit par Declan Costello de la Commission européenne, ce qui était largement vrai. Comme le reconnaît Varoufakis : « Mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai pris mon ordinateur portable, ouvert ma liste de réformes, cliqué sur « Dossier », puis sur « Propriétés », et j’ai vu qu’à côté d’« Auteur » apparaissait « Costello Declan (ECFIN) [Affaires économiques et financières] », et juste en dessous, après « Entreprise », deux mots couronnant mon humiliation : « Commission européenne »  » (p. 287). [23]

J’ai pris mon ordinateur portable, ouvert ma liste de réformes, cliqué sur « Dossier », puis sur « Propriétés », et j’ai vu qu’à côté d’« Auteur » apparaissait « Costello Declan (ECFIN) » Source : https://twitter.com/YanniKouts/status/570212150381301760/photo/1

Finalement, le 27 février Varoufakis confirme la capitulation. Il accepte l’exigence exprimée par la Troïka : l’accord du 20 février ne remplace pas le mémorandum en cours. Il appose sa signature au bas d’une lettre qui a été écrite par les dirigeants européens et la leur envoie.

Voici ce qu’écrit Varoufakis à ce propos : « Accepter la lettre des créanciers sans corrections, pour une demande aussi essentielle, signifiait que la prolongation nous serait accordée non pas suivant nos termes, mais suivant ceux de la Troïka. »

Varoufakis reconnaît l’extrême gravité de la décision à prendre. Signer la lettre pro-forma revient à prolonger le mémorandum en cours et à le faire selon les termes dictés et imposés par la Troïka.

Varoufakis admet que la lettre était tellement inacceptable que Tsipras considérait qu’il était impensable de la signer et de la communiquer au Parlement. Varoufakis se propose pour faire le sale boulot : « – Dans ce cas-là, Alexis, je prends sur moi la responsabilité. Je signe ce maudit courrier sans l’aval du Parlement, je l’envoie aux bailleurs de fonds et je passe à autre chose. ». Varoufakis ajoute que le 27 février au petit matin : « J’ai signé le courrier et je l’ai envoyé aux créanciers, passablement écœuré. C’était un fruit des ténèbres, et je reconnais qu’il m’appartient. »

Dans un article que Tooze n’a pas pu lire car il a été publié après qu’il a rédigé ses deux textes, j’explique en détail les choix catastrophiques de Varoufakis au cours de ces journées funestes de fin février : le contenu de l’accord du 20 février, celui pire encore du 27 février entièrement rédigé par les créanciers, le maintien de son collaborateur G. Chouliarakis (dont j’ai expliqué le rôle extrêmement néfaste dans un autre article) à un poste stratégique malgré son double jeu… Il s’agissait véritablement d’une première capitulation.

Varoufakis dissimule dans sa narration l’ampleur réelle de l’opposition à cet accordQui plus est, Varoufakis dissimule dans sa narration l’ampleur réelle de l’opposition à cet accord au sein du groupe parlementaire de Syriza, à l’intérieur du gouvernement et de la direction de Syriza [24]. Quand cela est arrivé, j’étais à Athènes où j’avais eu plusieurs réunions avec différents ministres du gouvernement [25] ainsi qu’avec la présidente du parlement grec, Zoe Konstantopoulou qui rend compte du lancement de la commission d’audit de la dette et de nos discussions à propos du contenu inacceptable de l’accord du 20 février dans un texte publié en juillet 2017. Varoufakis minimise l’opposition qu’a rencontré l’accord du 20 février car cela lui permet de réduire ses responsabilités.


À propos des mesures de dissuasion proposées par Varoufakis

Dans son livre, Varoufakis revient constamment sur des mesures qu’il aurait proposées à Tsipras pour faire face à la mauvaise volonté des dirigeants européens. Puisqu’aucune de ces mesures n’a été mise en pratique et puisqu’elles n’ont jamais été communiquées au public ou même à Syriza pendant qu’il était ministre, on ne peut que se baser sur les affirmations de Varoufakis lui-même pour réfléchir à leur pertinence. Dans un entretien exclusif octroyé au quotidien progressiste anglais The Guardian, Tsipras a quant à lui déclaré en juillet 2017 en réaction au livre de Varoufakis que les mesures qu’il proposait pour faire face aux créanciers étaient « si vagues qu’il ne valait pas la peine d’en parler ».

De son côté, Varoufakis affirme que les mesures dissuasives qu’il cite dans son livre avaient reçu l’approbation d’Alexis Tsipras et d’autres dirigeants membres de son cercle en novembre 2014. Il explique que c’est sur la base de cet accord confirmé en janvier 2015 qu’il a accepté de devenir ministre des finances. Tooze met à juste titre l’accent sur la décote unilatérale des titres grecs détenus par la BCE tandis que Mason met plutôt l’accent sur le système de paiement parallèle.

Pour comprendre de quoi il s’agit, je reprends l’explication de Varoufakis, ensuite je résume la position de Tooze et celle de Mason.

Pour Varoufakis, « le scénario le plus probable  » poursuivi par les dirigeants européens était le suivant : « la prolongation [du mémorandum] était un leurre, en retardant la solution ; ils attendaient que notre popularité s’essouffle, ainsi que nos réserves de liquidité, jusqu’à la date d’expiration, en juin, où notre gouvernement serait à bout de forces et capitulerait » (p. 272).

Varoufakis affirme que, face à ce scénario il a obtenu l’accord de Tsipras et du petit cercle autour de lui (appelé le « cabinet de guerre ») pour « demander cette prolongation tout en signalant trois choses à la Troïka : à toute tentative d’épuisement via un resserrement de liquidités nous répondrons par un refus d’honorer les remboursements dus au FMI ; à toute velléité de nous renfermer dans la camisole d’un plan bancal ou de nous refuser une restructuration nous répondrons par l’arrêt des négociations ; à toute menace de fermeture des banques et de contrôles des capitaux nous répondrons par la décote unilatérale des obligations SMP [c’est-à-dire les titres grecs détenus par la BCE], suivie par la mise en place du système de paiement parallèle et la modification des règles de la Banque centrale de Grèce pour restaurer la souveraineté du Parlement sur ladite banque. »

Le problème c’est que, jamais au grand jamais, cette menace n’a été communiquée à la Troïka. Elle n’a jamais non plus été rendue publique. Varoufakis le reconnaît. Quant à sa mise en pratique, comme on le verra par la suite, Tsipras et la majorité du cabinet s’y sont clairement opposés et Varoufakis a accepté cela jusqu’à la capitulation finale de juillet 2015.

Tout s’est passé en comité très restreint et le reste du gouvernement n’a jamais été informé, ni la direction de Syriza. La population grecque a été totalement maintenue à l’écart.

Varoufakis écrit : « Le pire serait de demander une prolongation, de l’obtenir et de ne pas signaler notre détermination à passer à l’acte si les créanciers s’éloignaient de l’esprit de l’accord intermédiaire. Si nous commettions l’erreur, ils nous traîneraient dans la boue pendant toute la prolongation, jusqu’à ce qu’on soit exsangues et qu’ils puissent nous achever » (p. 272). Or, c’est exactement ce qui s’est passé. Varoufakis, avec l’accord du noyau autour de Tsipras, a demandé la prolongation du mémorandum sans signaler une quelconque détermination à passer à l’action et les créanciers ont traîné dans la boue le gouvernement puis l’ont amené à capituler officiellement.

Pour Varoufakis, les mesures comme la décote des titres grecs ou le système de paiement parallèle constituaient des armes de dissuasionMason explique que, pour Varoufakis, les mesures comme la décote des titres grecs ou le système de paiement parallèle constituaient des armes de dissuasion, c’est-à-dire des armes qui ne doivent pas être utilisées. Varoufakis pensait que la menace de la décote des titres ou de la mise en place d’un nouveau système de paiement allait faire reculer les dirigeants européens. Or cette menace était insuffisante, et il aurait fallu passer aux actes.

Mason souligne ici une incohérence de Varoufakis : « Game theorist that he is, Varoufakis must know that the bargaining power of the weak depends on their exit options. » “Puisqu’il est un théoricien des jeux, Varoufakis doit savoir que le pouvoir de négociation de la partie faible dépend de ses options de sortie”

Alors que Tooze met l’accent sur la décote des titres comme arme face aux créanciers, Mason donne la préférence au système de paiement parallèle. Il écrit : “Si un système de paiement parallèle permettait aux gens de procéder à des achats, aux patrons et aux pouvoirs publics de payer les salaires, aux entreprises de se procurer le nécessaire, alors même si les banques privées étaient fermées, la BCE aurait perdu son pouvoir de nuisance. En neutralisant la menace des créanciers de paralyser la vie économique, la Grèce pourrait revenir à la table de négociations dans une position beaucoup plus favorable. Et au pire des cas, si les créanciers persistaient à ne rien accepter d’autre que leur proposition, ce système de paiement parallèle deviendrait la base d’une nouvelle devise, permettant de quitter l’euro en douceur au lieu de faire face à un bond vertigineux… La plus grande force du pouvoir politique établi en Europe comme partout, c’est la conviction que leur ordre n’est pas modifiable, qu’il n’y a pas d’alternative. C’est ce dogme qui aurait été mis à mal si, malgré les attaques de la BCE, la Grèce avait tenu bon – des entreprises qui sont en activité, des travailleurs qui travaillent et paient leurs factures, des services publics qui fonctionnent correctement.”

Il était fondamental pour le gouvernement de Tsipras de reprendre le contrôle de la banque centraleMason considère également qu’il était fondamental pour le gouvernement de Tsipras de reprendre le contrôle de la banque centrale. Je suis d’accord.

D’autre part, Mason pense que Varoufakis se trompait en refusant d’exercer un contrôle des mouvements de capitaux. Il cite Varoufakis qui affirme que “les contrôles de capitaux seraient préjudiciables aux intérêts communs des États membres de l’UE et rien que pour cette raison, il fallait s’y opposer”. Et Mason déclare avec justesse : “Ici comme ailleurs il se révèle être un Européen convaincu – certes une position honorable, mais pas la meilleure dans le rôle qu’il devait assumer.” Il ajoute que certains pays, dont la Grèce, devraient : “d’abord sortir de l’intégration européenne – réaffirmer leur souveraineté et refuser la libre circulation de l’argent et des marchandises qui définissent le projet européen pour favoriser un modèle où les liens économiques sont gérés au service d’un programme national de développement.” Là aussi je suis d’accord avec Mason.

Tooze insiste sur l’idée d’une mesure qu’il aurait effectivement fallu mettre en œuvre, consistant à appliquer une décote unilatérale aux titres grecs détenus par la BCE pour un montant de près de 30 milliards d’euros.

Ces titres étaient toujours sous juridiction grecque car ils dataient des années 2010-2011. La BCE les avait achetés à environ 70 % de leur valeur et se faisait rembourser à 100 %, de même qu’elle faisait payer des taux d’intérêts tout à fait abusifs [26]. Des titres équivalents détenus notamment par les fonds de pension publics grecs avaient subi un « haircut » de 53 % en mars 2012 tandis que la BCE avait refusé qu’on lui applique cette réduction. Le gouvernement grec avait donc moralement le droit, et le droit tout court, pour appliquer une décote ou répudier cette dette. Cette proposition de Varoufakis était correcte ; le problème est qu’il ne l’a jamais mise en avant publiquement alors qu’il était ministre. Il a accepté qu’elle ne soit pas appliquée.

Varoufakis a accepté recul après recul et n’a jamais rendu public ni ses désaccords, ni ses propositions alternatives jusqu’au lendemain de la seconde capitulation du 13 juillet 2015.Mason fait remarquer à juste titre que : « Même après le vote négatif lors du référendum, la préparation d’un système de paiement parallèle n’est que l’une des quatre priorités de son équipe ; la première est de mettre au point une proposition de plus que les créanciers pourront rejeter. Quand il assure au Premier ministre Alexis Tsipras qu’il est certain à 100 % que Merkel va accepter sa proposition si elle réfléchit rationnellement, on a envie d’aller le secouer et de lui demander « Yanis, as-tu lu ton livre ? » »


D’autres points critiques abordés par Tooze : les tentatives du gouvernement Tsipras d’obtenir le soutien des dirigeants de la Chine, de la Russie et des États-Unis

Tooze a raison de mentionner les tentatives infructueuses faites par le gouvernement de Tsipras pour obtenir la collaboration et le soutien des autorités de la Chine, de la Russie et des États-Unis. Le résumé de Tooze est largement correct : « Dans sa tentative d’échapper à la claustrophobie de l’UE, le gouvernement SYRIZA a cherché des alliances. La vieille gauche du parti regardait la Russie. Varoufakis, conscient des changements dans les rapports de force géopolitiques au XXIe siècle, cherchait un accord avec la Chine. Mais tant Moscou que Pékin ont répondu : il vous faut d’abord trouver un accord avec l’Allemagne. Même message de Washington. Varoufakis penche plutôt vers le Royaume Uni et les États-Unis… Quand SYRIZA est arrivé au pouvoir, Obama a émis de vagues paroles de soutien. Mais quand la position de l’Allemagne a été claire, les États-Unis se sont rétractés. Comme l’a dit un représentant étatsunien à Varoufakis, Washington ne voulait pas se mêler de ce qui ne les regarde pas, la Grèce était dans la ‘sphère d’influence’ de l’Allemagne. »

J’ajoute que Varoufakis explique dans le chapitre 11 de son livre qu’il a parachevé le rachat du Port du Pirée par la société Cosco de Chine et qu’il a proposé aux autorités chinoises de racheter les chemins de fer grecs afin d’avoir accès au reste du marché européen par voie ferrée et d’en faire un chaînon supplémentaire de la Nouvelle route de la soie. Ce dernier projet n’a pas été concrétisé. Varoufakis a espéré en vain que Pékin achète en mars 2015 des bons grecs du Trésor (treasury bills) pour un montant de plusieurs milliards d’euros, que le gouvernement aurait utilisés pour rembourser le FMI. Au grand désespoir de Varoufakis, les dirigeants chinois n’ont pas tenu leur promesse et se sont contentés de deux achats de 100 millions d’euros. Les propositions que Varoufakis a faites aux autorités chinoises sont critiquables : emprunter aux Chinois pour rembourser le FMI ! Abandonner le contrôle de la Grèce sur ses chemins de fer ! Cela n’aurait certainement pas bénéficié au peuple grec et à la reconquête de marges concrètes pour exercer la souveraineté.


Les points faibles ou absents dans les commentaires de Mason et de Tooze

Mason et Tooze oublient dans leur raisonnement qu’il était fondamental de résoudre la crise bancaire (bien au-delà du problème de l’accès aux liquidités). Pourtant, le programme sur lequel Syriza a été porté au gouvernement disait très clairement que l’État allait reprendre totalement le contrôle des banques et créer une banque de développement.

Varoufakis était opposé au programme de SyrizaDe son côté, comme on l’a vu, Varoufakis était opposé au programme de Syriza. Il affirme que lorsqu’il a accepté en novembre 2014 l’offre faite par Tsipras de devenir ministre des finances en cas de victoire électorale, il a proposé le « transfert des actions et de la gestion des banques à l’UE » (sic !). Varoufakis précise qu’il s’agissait de « confier la gestion et la propriété de ces banques à l’UE. C’était une proposition ultra-audacieuse pour un parti qui penchait vers la nationalisation du secteur bancaire ». En proposant à Tsipras de transférer à l’UE les actions détenues par les pouvoirs publics grecs, Varoufakis réalisait un pas supplémentaire et dramatique vers l’abandon complet de souveraineté.

C’est très étonnant que Mason et Tooze ne disent rien à ce propos. Leur silence est peut-être dû au fait que Varoufakis, lorsqu’il est effectivement devenu ministre, a accepté d‘être dessaisi par Tsipras et Dragasakis, son vice premier ministre, de la responsabilité des banques [27]. Mais ce silence n’est pas justifié. En effet, il est impossible de mettre en place une politique alternative à la Troïka et aux memoranda sans prendre des mesures très fortes à l’égard des banques. La décision de Tsipras et Dragasakis de ne pas appliquer le programme pour lequel ils avaient été portés au gouvernement est le signal très clair qu’ils avaient décidé de ne pas gêner les intérêts des grands actionnaires privés des banques grecques, qui étaient pourtant responsables de la situation dramatique du secteur bancaire. Varoufakis le savait et a accepté de ne pas toucher aux banquiers responsables de la crise.

Mason et Tooze ne parlent pas d’une faiblesse majeure de la position de Varoufakis et de Tsipras : le refus d’en appeler à la mobilisation populaire et l’acceptation de la diplomatie secrète. Ce facteur a joué un rôle décisif dans la défaite.

(CC – Flickr – Des Byrne)

Mason et Tooze ne disent pas non plus un seul mot de l’initiative d’audit de la dette grecque qui a été lancée par Zoé Konstantopoulou, la présidente du parlement grec, avec le soutien officiel mais non enthousiaste d’Alexis Tsipras. Cette initiative inédite en Europe a rencontré un énorme écho dans la population grecque, mais Varoufakis n’y a pas contribué du tout. Dans son livre, il n’y consacre pas un mot (et il ne cite qu’une seule fois le nom de Zoé Kostantopoulou) alors qu’il a été présent le jour de son lancement le 4 avril 2015 (voir : « 4 avril 2015 : Journée historique pour la recherche de la vérité sur la dette grecque » ). Il a eu beau affirmer par la suite qu’il avait soutenu la commission qui a réalisé l’audit, la vérité est qu’il ne l’a en rien aidée. Il n’y a pas cru. Il était persuadé qu’il était inutile de remettre en cause la légitimité ou la légalité de la dette réclamée à la Grèce. Déjà en 2011, il avait refusé de soutenir l’initiative citoyenne d’audit de la dette [28]. La vice-ministre des finances Nadia Valavani me l’a rappelé quand je l’ai rencontrée au Ministère des Finances le 13 février 2015.

Varoufakis a fait preuve d’une grave méconnaissance de l’histoire des conflits autour des dettes souveraines, des exemples d’annulation ou de répudiation de dettes, des leçons à tirer en matière de stratégie politique et de l’intérêt de baser des actes souverains unilatéraux sur des arguments de droit afin de renforcer sa position face aux créanciers. La suspension du remboursement de la dette était une mesure à mettre en pratique dès le mois de février 2015 afin d’éviter de vider les caisses publiques au profit du FMI. Le FMI était l’unique bénéficiaire public des remboursements effectués par le gouvernement grec entre février et juin, si bien que le gouvernement grec aurait pu chercher à diviser les créanciers en annonçant dans un premier temps la suspension de paiement de la dette due au FMI uniquement.

Un autre point doit être souligné : Tooze commet une erreur d’appréciation quand il se réfère à ce qui s’est passé début juillet 2015. Il écrit à propos de la décision de Tsipras de capituler le 12 juillet à Bruxelles : « Comme Tsipras l’a correctement jugé, la majorité de la population grecque ne voulait pas risquer une rupture. »

Sur quoi se fonde Tooze pour affirmer que la majorité de la population ne voulait pas risquer la rupture et que Tsipras a eu raison d’en tenir compte ? Une autre interprétation se justifie : la majorité de la population grecque qui a voté en faveur du « Non » le 5 juillet 2015 était disposée à assumer les conséquences du refus d’un nouveau mémorandum, qui équivalait à une rupture quelle qu’en soit la forme précise, et Alexis Tsipras n’avait pas prévu cela. Il faut rappeler que ce référendum s’est déroulé alors qu’en représailles la BCE avait entièrement coupé les liquidités à la Grèce et que les banques étaient fermées. Tant les dirigeants européens que le camp grec du « Oui » n’arrêtaient pas de marteler que le fait de voter « Non » signifiait sortir de l’euro. Donc les gens étaient conscients du risque qu’ils prenaient en votant « Non ». Dans les jours qui ont précédé le 5 juillet, Tsipras s’est convaincu que le « Oui » allait l’emporter (alors qu’il appelait à voter pour le « Non ») et il a considéré que la victoire du « Oui » allait légitimer une capitulation. Varoufakis était lui-même convaincu que le « Oui » l’emporterait mais n’était probablement pas prêt à capituler [29]. Immédiatement après la victoire du « Non », dans les 24 heures qui ont suivi, Tsipras a organisé une réunion avec les trois partis qui avaient appelé à voter « Oui » et avaient perdu le référendum afin de concocter avec eux une nouvelle proposition qui ressemblait fortement à celle que le peuple venait de rejeter. Tsipras a poursuivi dans la logique de la négociation à tout prix, a trahi la volonté populaire en ne respectant pas le résultat du référendum (voir le film L’audit – Enquête sur la dette grecque).

Athènes, lundi 29 juin 2015

Tooze et Mason ne posent pas la question des alliances que Varoufakis aurait pu passer afin de résister à l’orientation funeste appliquée par Tsipras. Si Varoufakis avait voulu réellement se battre pour que le gouvernement grec décide une décote sur les titres grecs détenus par la BCE, instaure un système de paiement parallèle, stoppe à un moment donné les remboursements à l’égard du FMI, il aurait dû chercher des alliances avec les secteurs qui, dans Syriza, dans le gouvernement et au Parlement pouvaient aller dans le même sens. Or, entre janvier et début juillet, il n’a fait aucune démarche pour tenter une convergence entre les forces qui s’opposaient aux reculades de Tsipras. Il a été complice de ces renoncements. Son aversion pour le leader de la Plateforme de gauche Panagiotis Lafazanis, qui occupait un poste clé au gouvernement, est patente. Varoufakis écrit : « Lafazanis à la tête du ministère du Redressement productif. C’était une catastrophe ». Il poursuit : « Avec Lafazanis à la tête d’un ministère aussi important et Euclide [Tsakalotos, qui a fini par remplacer Varoufakis au poste de ministre des finances] – qui approuvait notre pacte – hors du gouvernement, ma stratégie de négociation était carrément mise à mal. » [30]. Varoufakis n’a pas cherché une alliance avec la présidente du Parlement grec par exemple afin de prendre des mesures pour imposer une décote sur les titres grecs détenus par la BCE, or s’il avait voulu que cette mesure soit réellement mise en œuvre, il aurait fallu obligatoirement adopter une loi et passer par le Parlement. Varoufakis est resté dans l’entre-soi du petit cercle autour de Tsipras.


La politique qu’il aurait fallu adopter dès le début du gouvernement Tsipras et en tout cas à partir du 5 février 2015

Je soutiens qu’une orientation tout à fait différente de celle adoptée par Varoufakis et le petit cercle autour de Tsipras aurait dû être mise en pratique dès le départ [31]. Pour appliquer le mandat pour lequel il avait été porté à la tête du gouvernement, Tsipras aurait dû prendre les initiatives et les mesures suivantes :

- rendre publiques les 5 ou les 10 priorités du gouvernement dans la négociation, notamment en matière de dettes, en dénonçant très clairement le caractère illégitime de la dette réclamée par la Troïka ;

- établir les contacts avec les mouvements sociaux, pousser en tant que gouvernement ou à travers Syriza à la création de comités de solidarité dans un maximum de pays, parallèlement à la négociation avec les créanciers, en vue de développer un vaste mouvement de solidarité ;

- mettre en avant la revendication des réparations exigées à l’égard de l’Allemagne en rapport avec l’occupation nazie de la Grèce pendant la Seconde Guerre mondiale ;

- refuser la diplomatie secrète et rendre public le chantage pratiqué par les créanciers au mépris des règles démocratiques ;

- développer des canaux internationaux de communication pour franchir la barrière des médias dominants ;

- utiliser la disposition du règlement européen 472 portant sur l’audit de la dette [32], lancer l’audit avec participation citoyenne et suspendre le paiement de la dette à commencer par celle à l’égard du FMI (qui était le seul créancier pour lequel des échéances de remboursement avaient lieu durant les premiers mois du gouvernement de Tsipras, jusqu’à la fin juin 2015) ; et modifier par voie législative la valeur des titres grecs détenus par la BCE en appliquant de manière unilatérale une décote radicale pouvant aller jusqu’à 90 % ou bien opter pour la répudiation pure et simple ;

- mettre fin au mémorandum conformément à l’engagement pris auprès du peuple grec lors de la campagne électorale qui a mené à la victoire du 25 janvier ;

- établir un contrôle sur les mouvements de capitaux ;

- adopter une loi sur les banques pour assurer le contrôle des pouvoir publics sur celles-ci et les mettre au service d’une politique de développement favorable à la population et au redéploiement économique du pays ;

- mettre en place un système de paiement parallèle/complémentaire ;

- remplacer Stournaras à la tête de la Banque centrale par une personne compétente et de confiance ;

- adopter une loi annulant les dettes privées à l’égard de l’Etat, par exemple celles en dessous de 3 000 euros. Cette mesure aurait d’un seul coup amélioré la situation de 3,3 millions de contribuables (dont 357 000 PME) qui devaient moins de 3 000 euros [33] ;

- réduire de manière radicale la TVA sur les biens et services de première nécessité ;

- revenir sur la réduction des retraites et du salaire minimum légal ;

- mettre en œuvre le plan d’urgence contre la crise humanitaire prévu dans le programme de Thessalonique ;

- se préparer aux nouvelles représailles des autorités européennes et donc à une possible sortie de la zone euro.

Si ces mesures avaient été prises, une victoire aurait certainement été possible.


Conclusion

Les nombreux commentaires suscités par la publication du livre de Yanis Varoufakis, Conversation entre Adultes, sont la manifestation de l’importance des enjeux pour les peuples de l’expérience du gouvernement Tsipras dans lequel Varoufakis a joué un rôle important. Le livre de Varoufakis se lit comme un roman. Il y a du suspense, des rebondissements, des trahisons… L’immense intérêt des mémoires de l’ex-ministre des finances de la Grèce, c’est que l’auteur donne sa version d’évènements qui ont influencé et influencent encore la situation internationale, en particulier en Europe mais aussi au-delà car la déception provoquée par la capitulation du gouvernement Tsipras marque profondément les esprits.

Comme Varoufakis l’écrit lui-même, il a plaidé en permanence pour modifier l’orientation adoptée par Syriza ce qui arrangeait bien Tsipras qui formait un trio avec Pappas et Dragasakis. Ce changement d’orientation allait également à l’encontre de la volonté du peuple qui avait porté cette force politique au gouvernement sur la foi d’engagements forts.

À travers son témoignage, on voit comment, à des étapes très importantes qui s’échelonnent entre 2012 et les élections du 25 janvier 2015, des choix sont faits dans le dos de Syriza au mépris des principes démocratiques élémentaires. A partir de la constitution du gouvernement Syriza-Anel, ce ne sont plus seulement les militants et militantes de Syriza dont la volonté n’a pas été respectée, c’est celle du peuple grec car celui-ci a porté Tsipras à la tête du gouvernement sur la base d’un programme électoral radical. Or dès le début de la négociation avec les dirigeants européens, Varoufakis et Tsipras ont mis en avant des propositions qui s’écartaient de manière évidente des engagements pris devant les citoyens en ce qui concerne la fin du mémorandum, la dette, les banques, la fin des privatisations, le rétablissement du salaire minimum légal et des retraites, et d’autres mesures essentielles.

Varoufakis s’attribue un rôle central et, en effet, il a exercé une influence sur la ligne adoptée par le trio Tsipras-Pappas-Dragasakis. De son côté, le trio Tsipras-Pappas-Dragasakis a utilisé la carte Varoufakis durant un peu plus de cinq mois et s’en est débarrassé en lui retirant le portefeuille de ministre des Finances juste après la victoire du « Non » lors du référendum du 5 juillet, ce qui a provoqué sa démission.

Varoufakis n’a jamais rendu public ses désaccords tant qu’il est resté ministre, il a accepté la diplomatie secrète, il n’a jamais fait appel à la mobilisation du peuple grec et à celle de la solidarité internationale, il n’a pas eu le courage de démissionner avant le 6 juillet alors qu’il explique dans son livre qu’il a rédigé plusieurs lettres de démission au cours de son mandat.

Néanmoins, en sa faveur, et c’est très important, Varoufakis a rejoint le camp des 31 députés de Syriza qui ont voté, au parlement grec, dans la nuit du 15 au 16 juillet 2015, contre la reddition signée par Tsipras à Bruxelles le 13 juillet [34]. Ensuite Varoufakis a participé à l’initiative européenne en faveur d’un Plan B, puis il a créé DIEM 25 et a écrit ce livre indispensable pour comprendre les évènements qui ont secoué l’Europe au premier semestre 2015. Il est évident que je ne souscris pas à l’explication donnée par Varoufakis mais il est certain que son témoignage est irremplaçable et doit être pris au sérieux. Dans son activité politique actuelle, Varoufakis continue à mettre en avant une perspective de réforme consensuelle de l’Union européenne et de la zone euro qui ne tient pas compte des leçons à tirer de l’expérience de 2015.


Remerciements : L’auteur remercie Alexis Cukier, Stathis Kouvelakis, Nathan Legrand, Brigitte Ponet, Claude Quémar et Patrick Saurin pour leur relecture et leurs suggestions. Merci à Christine Pagnoulle pour la traduction en français des citations de Tooze et de Mason.

L’auteur est entièrement responsable des éventuelles erreurs contenues dans ce travail.

Je compte dans un prochain texte réagir à la réponse de Varoufakis aux différents commentaires adressés à son livre.

 

Notes :

[1Yanis Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, 526 pages.

[2Alors qu’avant janvier 2015, parmi les dirigeants de Syriza, aucun n’avait occupé une fonction dans l’appareil d’État, le seul à avoir été ministre à un moment donné, pendant quelques mois en 1989, était… Dragasakis. Il s’agissait d’un gouvernement de coalition entre le parti de droite Nouvelle démocratie et le Parti communiste (KKE) dont Dragasakis faisait partie à l’époque. Dragasakis était clairement opposé à ce qu’on touche aux intérêts des banques privées grecques, il était également opposé à l’audit de la dette et à une suspension de paiement. Il était favorable au maintien dans la zone euro. Dragasakis avait depuis des années des liens avec les banquiers. Lui-même avait été administrateur d’une banque commerciale de taille moyenne. Il a fait en quelque sorte le pont entre Tsípras et les banquiers. Syriza était une formation nouvelle dont les leaders politiques avaient relativement peu d’enracinement dans les sphères étatiques – contrairement, par exemple, au PASOK dont l’histoire est liée à la République et à la gestion des affaires de l’État.

[3Ces fonctions correspondent à la composition du gouvernement grec tel que remanié le 14 janvier 2019 après le départ de plusieurs ministres du parti des Grecs indépendants (ANEL).

[4Lors de son passage à Rome où il a rencontré le ministre des Finances italien, celui-ci lui apprend qu’il a réussi à amadouer le gouvernement allemand et notamment Schaüble en faisant adopter une réforme du code du travail malgré les protestations sociales. « Autrement dit, diminuer les droits des salariés, et permettre aux entreprises d’en débaucher certains avec peu ou pas d’indemnités, et d’en embaucher d’autres avec des salaires plus bas et moins de protections sociales. Le jour où Pier Carlo Padoan avait réussi à faire voter la législation voulue au parlement, qui avait coûté cher au gouvernement Renzi, le ministre allemand était devenu beaucoup plus conciliant avec lui. – Pourquoi est-ce que vous ne tenteriez pas le même genre de tactique ? me dit-il. – Je vais y réfléchir. Je vous remercie pour le tuyau. » Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, chapitre 5, p. 207

[5J’ai analysé l’offensive contre la classe ouvrière en général et allemande en particulier, notamment les « réformes » anti-sociales adoptées grâce au chancelier social-démocrate Schröder dans « La plus grande offensive contre les droits sociaux menée depuis la seconde guerre mondiale à l’échelle européenne », publié le 23 décembre 2012 et dans une version plus récente : « Le modèle allemand et l’offensive contre les droits sociaux », publié le 7 janvier 2015.

[6Varoufakis présente le projet d’amnistie fiscale de la manière suivante : « Je devais également annoncer que dans les quinze jours à venir, le site du ministère des Finances ouvrirait un portail sur lequel tout citoyen pourrait officiellement enregistrer des revenus jamais déclarés jusqu’ici pour les années 2010-2014. Seuls 15 % de ces sommes seraient requis à titre d’arriérés fiscaux, payables par carte de crédit ou sur Internet. En échange, le payeur aurait un reçu électronique qui lui garantirait l’immunité contre toute poursuite pour fraude antérieure » Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 6, p. 182.

[7J’ai passé en revue les propositions que Varoufakis présente dans son livre dans cet article. Dans le passage qui suit, par manque de place, je ne reprends que les propositions principales.

[8Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 205-206.

[9Roufos est radicalement opposé au programme de Thessalonique et à Syriza tout en étant plutôt complaisant avec Varoufakis.

[10La proposition principale de Varoufakis en matière de restructuration de la dette s’inscrit, comme il l’indique lui-même, dans la continuité du texte intitulé : « Modeste Proposition pour résoudre la crise de la zone euro » (https://www.yanisvaroufakis.eu/wp-content/uploads/2011/12/une-modeste-proposition-pour-surmonter-la-crise-de-leuro.pdf ). La réalisation de cette proposition qui consistait à mutualiser les dettes publiques de la zone euro aurait impliqué une décision commune des gouvernements de la zone afin de soulager les finances publiques et d’abandonner les politiques d’austérité.

[11Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, chapitre 7, p. 217 Dans le même passage, Varoufakis explique aussi qu’il a dit à Schaüble : « j’avais une idée : et s’il nommait le secrétaire général de l’administration fiscale de mon ministère ? » (…) « Voilà donc ce que je lui proposais : il choisirait un administrateur fiscal allemand aux références irréprochables et à la réputation intacte qui serait nommé sur-le-champ et responsable devant lui et moi ; si il ou elle avait besoin de renfort de son ministère, je n’y voyais aucun inconvénient. »

[12Y. Varoufakis, op. cit., chapitre 5, p. 175

[13Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 186

[14Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 208.

[15Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 208-209.

[16Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 216.

[17Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 215.

[18Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 10, p. 301.

[19On a vu également le soutien populaire dont a bénéficié le gouvernement de Tsipras quand celui-ci a convoqué fin juin 2015 le référendum du 5 juillet 2015.

[20Le texte original en anglais est consultable sur le site http://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2015/02/150220-eurogroup-statement-greece/. Les extraits cités proviennent de la traduction réalisée à chaud par Ananda Cotentin, voir https://blogs.mediapart.fr/ananda-c/blog/250315/communique-de-leurogroupe-sur-la-grece

[21L’accord du 20 février disait également : « Seule l’approbation, par chacune des institutions, de la conclusion de l’évaluation de l’accord prolongé, permettra tout déblocage de la tranche restant due de l’actuel programme du FESF [Fonds européen de stabilité financière] et le transfert des bénéfices de 2014 dégagés dans le cadre du SMP [Programme pour les marchés de titres]. Les deux sont à nouveau soumis à l’approbation de l’Eurogroupe » Ces deux promesses conditionnelles étaient du vent comme le reconnaît Varoufakis dans son livre puisque Dijsselbloem lui avait déclaré juste avant la réunion qu’il n’y aurait pas de déblocage de « la tranche restant due du programme du FESF [Fonds européen de stabilité financière] » lié au Fonds de recapitalisation des banques (FHSF), tranche dont le montant s’élevait à 11 milliards €. De même, Varoufakis savait que la Grèce n’aurait pas droit à la rétrocession des 2 milliards € « des bénéfices de 2014 dégagés dans le cadre du SMP [Programme pour les marchés de titres] » accumulés par la BCE et les banques de l’eurosystème. Il explique lui-même qu’il avait été prévenu de cela dès la campagne électorale de janvier 2015 par Jörg Asmussen (un conseiller de la direction du SPD, membre de la grande coalition dirigée par Angela Merkel) et par Thomas Wieser (social-démocrate autrichien), qui jouait (et joue encore) un rôle clé dans l’Eurogroupe. Voir Y. Varoufakis, chapitre 5, p. 143. De plus le fait que l’accord du 20 février disait très clairement que le déblocage de cet argent était soumis à l’approbation du FMI, de la BCE et de la Commission européenne représentée par l’Eurogroupe (càd la Troïka camouflée sous le terme « les institutions ») revenait à dire que cet argent ne serait éventuellement versé que si le gouvernement de Tsipras capitulait totalement comme il l’a fait le 13 juillet 2015. Je souligne l’adverbe éventuellement car même après la capitulation de juillet 2015, les deux sommes mentionnées plus haut n’ont pas été versées.

[23Voir également Zero Hedge, “The Reason Why The Eurogroup Rushed To Approve The Greek Reform Package ?”, publié le 24 février 2015.

[24Lors d’une réunion de crise des parlementaires de Syriza le 25 février au soir, environ un tiers de ceux-ci s’est opposé à l’accord du 20 février. Parmi eux : la présidente du parlement grec Zoé Konstantopoulou et tous les ministres et vice-ministres membres de la Plateforme de gauche (P. Lafazanis, N. Chountis, D. Stratoulis, C. Ysichos) ainsi que Nadia Valavani, vice-ministre des finances et Thodoris Dritsas, vice-ministre des affaires maritimes. En plus, lors du comité central qui s’est tenu les 28 février et 1er mars 2015, 41% des membres du Comité central se sont opposés à l’accord du 20 février.

[25Les ministres et vice-ministres avec lesquelles j’ai eu des réunions en février 2015 sont George Katrougalos (qui est resté dans le gouvernement Tsipras 2), Nadia Valavani (qui était vice-ministre des finances et responsable, entre autres, de la mise en œuvre du programme d’allègement des dettes des ménages endettés à l’égard du fisc ; en juillet 2015 elle s’est opposée à la capitulation), Rania Antopoulos (vice-ministre responsable de la mise en œuvre d’un vaste plan de création d’emplois, comme prévu dans le Programme de Thessalonique), Costas Isichos (vice-ministre de la Défense, comme Valavani, il s’est opposé à la capitulation en juillet 2015), Nicolaos Chountis (vice-ministre des relations avec la Commission européenne, qui s’est également opposé à la capitulation et qui ensuite est devenu député européen pour l’Unité populaire qui a quitté Syriza en août 2015). Précisons que dans le gouvernement Tsipras 1, il n’y avait que six ministres, le reste des membres du gouvernement étaient considérés comme des vice-ministres. Je rends compte de ces contacts dans cet article.

[26J’ai écrit plusieurs articles sur le sujet, voir notamment en 2017 https://plus.lesoir.be/121092/article/2017-10-26/la-bce-se-comporte-comme-un-fonds-vautour-legard-de-la-grece (sur le site CADTM en anglais). La Commission pour la vérité sur la dette grecque dont j’ai coordonné les travaux en 2015 y a consacré une partie des chapitres 2 et 3 du rapport de juin 2015.

[27Varoufakis explique dans son livre qu’il s’est rendu compte le 30 janvier que Dragasakis et Tsipras avaient pris la décision de lui retirer toute compétence concernant les banques. Voici comment il relate cet épisode : « Le dernier sujet de notre réunion nocturne (il s’agit d’une réunion de Varoufakis et de son équipe de conseillers) était les banques grecques. Je leur ai demandé des idées pour préparer la confrontation qui aurait lieu le jour où je soumettrais ma proposition pour les « européaniser » en les rattachant à l’UE. Quand soudain Wassily [Kafouros] m’a interrompu.
– Les carottes sont cuites, Yánis, dit-il en me tendant un arrêté arrivé dans la soirée.
Il venait du bureau du vice-Premier ministre et était dûment cacheté par le secrétariat du cabinet. L’arrêté stipulait que la juridiction de tout ce qui concernait les banques avait été déplacée du ministère des Finances au bureau du vice-Premier ministre.
– Ne me dis pas que je ne t’avais pas prévenu, m’a lancé Wassily. Dragasakis prend ses copains banquiers sous son aile pour les protéger des mecs comme toi.
Il avait sans doute raison, hélas, mais je n’avais pas le choix, sinon d’accorder le bénéfice du doute à Dragasakis
. » Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 6, p. 184

[28Varoufakis a justifié son refus de soutenir l’initiative d’audit citoyen de la dette grecque dans ce texte en grec : ΣχόλιαΓιάνης Βαρουφάκης Debtocracy : Γιατί δεν συνυπέγραψα , publié le 11 avril 2011.
Dans cette longue lettre, Y. Varoufakis explique pourquoi il ne soutient pas la création du comité citoyen d’audit (ELE). Il déclare que si la Grèce suspendait le paiement de la dette, elle devrait sortir de la zone euro et se retrouverait du coup à l’âge de la pierre. Varoufakis explique que, par ailleurs, les personnes qui ont pris cette initiative sont bien sympathiques et bien intentionnées et qu’en principe, il est favorable à l’audit mais que dans les circonstances dans lesquelles la Grèce se trouve, celui-ci n’est pas opportun.

[30Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 152-153.

[31J’ai présenté à plusieurs reprises des propositions d’alternative pour la Grèce : Éric Toussaint : « L’appel d’Alexis Tsipras, pour une conférence internationale sur la dette, est légitime » http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-L-appel-d-Alexis, publié le 23 octobre 2014 ; « Pour un véritable audit de la dette grecque » http://www.cadtm.org/Pour-un-veritable-audit-de-la,11150 , publié par le quotidien Le Monde le 22 janvier 2015, trois jours avant les élections grecques ; « Une alternative est possible au plan négocié entre Alexis Tsipras et les créanciers à Bruxelles », http://www.cadtm.org/Une-alternative-est-possible-au publié le 13 juillet 2015 ; « Une alternative pour la Grèce », http://www.cadtm.org/Une-alternative-pour-la-Grece publié le 2 septembre 2015. Voir aussi ma réponse à un journaliste lors d’une conférence de presse tenue le 25 septembre 2015 au Parlement grec par la Commission pour la vérité sur la dette grecque : « Et si le gouvernement grec avait suivi les recommandations de la Commission d’audit ? », http://www.cadtm.org/Et-si-le-gouvernement-grec-avait

[32L’article 7 du règlement adopté en mai 2013 par l’Union européenne prévoit qu’« un État membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité ». Règlement UE 472/2013 du 21 mai 2013 « relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro ».

[34Voir Varoufakis : « Pourquoi j’ai voté contre », http://www.cadtm.org/Pourquoi-j-ai-vote-contre Ce texte publié par Varoufakis quelques jours après le vote du parlement exprime une fois de plus toutes ses contradictions.

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Les élites dirigeantes américaine et canadienne exigent que le gouvernement libéral du Canada s’aligne pleinement sur la position de plus en plus agressive de Washington envers la Chine.

Bien qu’Ottawa soit un partenaire clé dans l’offensive militaire et stratégique de Washington contre Beijing, de fortes pressions s’exercent maintenant sur le gouvernement Trudeau pour qu’il aille encore plus loin. Tout d’abord, en interdisant le géant chinois des télécommunications Huawei du réseau 5G du Canada, puis en excluant toute perspective d’accord de libre-échange avec la Chine.

Les principaux médias américains et canadiens, les conservateurs dans l’opposition et les principaux représentants de l’appareil canadien de renseignement de sécurité, ont saisi l’occasion de l’arrestation à Vancouver, début décembre 2018, de la directrice générale de Huawei Meng Wanzhou, pour lancer une virulente campagne anti-Chine. Meng a été arrêtée par les autorités canadiennes à la demande de l’administration Trump pour avoir prétendument violé le régime de sanctions illégales de Washington contre l’Iran.

En réalité, sa détention est une provocation politique délibérée, survenue le jour même où Trump rencontrait son homologue chinois Xi Jinping pour discuter de leur conflit tarifaire de guerre commerciale. Si un tribunal canadien approuve l’extradition de Meng vers les États-Unis, elle risque jusqu’à 30 ans de prison.

Des médias comme le Globe and Mail et le National Post exploitent l’arrestation de Meng pour attiser l’hostilité contre la Chine. Même si les accusations frauduleuses portées contre elle n’ont rien à voir avec le rôle de Huawei dans les communications 5G, les médias ne cessent de répéter les affirmations de l’establishment du renseignement américain et des faucons anti-Chine canadiens que Huawei est un outil complice du gouvernement chinois, et donc une grave menace pour la sécurité nationale.

Les commentateurs des médias disent maintenant que ce n’est plus qu’une question de temps avant que le Canada ne se joigne à ses partenaires du réseau d’espionnage du Groupe des cinq, les «Five Eyes», dirigé par la National Security Agency (NSA) des États-Unis pour exclure Huawei du développement de son réseau 5G.

L’attaque contre Huawei s’inscrit dans une lutte acharnée pour la suprématie sur les marchés technologiques mondiaux. L’élite dirigeante américaine craint de plus en plus que la Chine ne devienne une force majeure dans le domaine des nouvelles technologies des communications et de l’intelligence artificielle, ce qui lui ouvrirait des débouchés commerciaux de plusieurs milliards de dollars partout dans le monde. Cet affrontement fait partie d’un conflit beaucoup plus grand, l’establishment politique et militaire américain identifiant la Chine comme son principal rival à l’hégémonie mondiale. Washington est déterminé à faire tout ce qui est en son pouvoir, jusqu’au conflit militaire total, pour bloquer la montée en puissance de Beijing.

En tant qu’un des plus proches alliés de l’impérialisme américain, le Canada est intimement impliqué dans la politique de plus en plus agressive de Washington envers la Chine. En 2013, les responsables des armées canadienne et américaine ont conclu un accord secret pour coordonner conjointement leurs opérations dans la région Asie-Pacifique. Depuis, les Forces armées canadiennes sont devenues beaucoup plus actives dans un arc qui s’étend du détroit de Malacca – artère principale pour le pétrole et les autres ressources qui alimentent l’économie chinoise – à la mer du Japon.

Les navires de guerre canadiens ont participé à des exercices dits de «liberté de navigation» en mer de Chine méridionale, où ils ont fréquemment été en contact avec des navires chinois. Le mois dernier, le chef d’état-major de la Défense du Canada, le général Jonathan Vance, a accusé la Chine d’avoir «un comportement inapproprié» après que plusieurs de ses appareils aient volé près d’un avion de surveillance canadien patrouillant dans les eaux internationales au large des côtes de la Corée du Nord.

Le gouvernement Trudeau identifie la Chine comme une «menace mondiale» dans sa politique de défense nationale adoptée en 2017. Cette politique loue également l’impérialisme américain pour le «rôle démesuré» que celui-ci joue dans la stabilisation de l’ordre mondial depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et elle s’engage à augmenter les dépenses militaires du Canada de plus de 70 % d’ici 2026 afin que le pays puisse jouer un rôle de premier plan dans les grands conflits militaires à venir du XXIe siècle.

Par contre, ce qui est différent maintenant, c’est que l’administration Trump a considérablement accru les tensions avec Beijing au cours de la dernière année, et surtout ces derniers mois, notamment avec l’imposition de droits de douane punitifs sur des centaines de milliards de dollars d’importations chinoises, les tentatives des États-Unis pour faire «changer de camp» stratégique la Corée du Nord et faire de Pyongyang un régime aligné aux États-Unis juste à la frontière chinoise, et l’abandon par Trump du rôle des États-Unis au Moyen-Orient pour mieux se concentrer sur une confrontation directe avec la Chine.

Par ailleurs, l’administration Trump a insisté pour que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) renégocié contienne une clause interdisant aux signataires de conclure des accords de libre-échange avec des «économies autres que de marché», une référence claire à la Chine, sans l’approbation préalable de Washington.

Signe supplémentaire de l’escalade des tensions, l’agence Reuters rapportait à la fin de décembre dernier que Trump envisageait de publier un décret exécutif interdisant aux entreprises américaines d’acheter de la technologie avancée des entreprises chinoises, dont Huawei et ZTE, un fabricant de micropuces.

Le ciblage de la Chine par Washington reçoit l’aval des deux grands partis politiques américains. Immédiatement après la détention de Meng, tant les sénateurs démocrates que républicains ont fait des déclarations dans lesquelles ils ont salué son arrestation, tout en soulignant que le Canada devait aller encore plus loin et mettre un frein aux activités de Huawei. On a même menacé de réduire l’échange de renseignements entre les deux pays si Huawei continuait de participer au développement de la technologie 5G au Canada.

Le sénateur démocrate Mark Warner, qui est également vice-président du Comité sénatorial du renseignement, a réitéré cet avertissement dans une interview accordée à l’émission Power and Politics de la CBC en affirmant que «si un pays achetait de l’équipement (5G de Huawei), celui-ci pourrait se retrouver avec des portes dérobées intégrées de sorte que, une fois l’équipement installé, les Chinois pourraient intercepter les messages, les communications et violer la sécurité des réseaux». Une telle «vulnérabilité dans le système canadien, a ajouté Warner, rendrait les États-Unis vulnérables. Et vice-versa, parce que les réseaux de télécommunications canadiens et américains sont totalement imbriqués.»

Bien sûr, le sénateur Warner – qui a également mené la campagne pour la censure d’Internet au nom de la lutte contre l’«ingérence russe» – a omis de mentionner que la NSA, comme l’a démontré Edward Snowden, a travaillé avec les géants technologiques américains pour construire précisément ces mêmes types de portes dérobées afin de pouvoir espionner les gens partout dans le monde.

Le mois dernier, le New York Times, organe associé à l’aile démocrate de l’establishment au pouvoir aux États-Unis, a publié un article dénonçant la société de conseil internationale McKinsey pour avoir fait affaire avec la Chine et la Russie. Fait significatif, le Times a réservé des critiques spéciales à l’endroit du chef de la direction de McKinsey, Dominic Barton, qui est né au Canada et est un conseiller de premier plan du gouvernement Trudeau où il préside son conseil consultatif expert sur la croissance économique.

Dans de telles conditions, de puissantes sections des élites dirigeantes américaine et canadienne veulent voir éliminée toute ambiguïté quant à la volonté d’Ottawa de suivre l’impérialisme américain de près dans la confrontation avec la Chine.

Le chef conservateur Andrew Scheer a non seulement exhorté Trudeau à exclure Huawei du développement d’un réseau 5G au Canada, mais il a aussi exigé qu’Ottawa renonce de façon ouverte à tout projet de négociation d’un accord de libre-échange avec la Chine. «Nous savons que le gouvernement chinois a été impliqué dans des cyberattaques, a déclaré Scheer. Je vois que nos partenaires du monde entier, nos alliés traditionnels, nos partenaires de l’OTAN, font la même évaluation. Nous partageons tant de choses avec eux et nous comptons sur leur technologie, leur expertise et leur interopérabilité pour de nombreux aspects de nos forces armées.»

Le gouvernement libéral a répondu en indiquant qu’une mesure contre Huawei pourrait être imminente. Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, qui collabore quotidiennement avec les hauts gradés de l’appareil américain de renseignement de sécurité, a déclaré dans une entrevue télévisée que la question de Huawei était maintenant à l’étude au gouvernement.

Entre-temps, Ottawa a sollicité des déclarations de soutien de la part de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l’Union européenne pour son traitement de Meng, qui a été dénoncé par Beijing comme une machination politique.

Toutes ces déclarations affirment que la détention de Meng est fondée sur la «primauté du droit» et que la politique et la géopolitique n’ont joué aucun rôle dans la décision d’Ottawa de l’appréhender. Elles condamnent de plus la détention par la Chine de deux ressortissants canadiens, le diplomate Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavor, que Beijing accuse de représenter un danger pour la sécurité nationale de la Chine.

Malgré cela, l’anéantissement de toute perspective de relations commerciales plus étroites avec la Chine est source de consternation pour certains secteurs du monde des affaires qui craignent que la forte dépendance de l’impérialisme canadien à l’égard des exportations vers les États-Unis ne rende le pays très vulnérable. Les événements des deux dernières années l’ont démontré avec force, avec notamment la demande de Trump de renégocier l’ALENA, l’imposition de droits de douane américains sur les importations canadiennes d’acier et d’aluminium et le début d’une guerre commerciale plus générale, en plus des déboires de l’Alliance atlantique entre les États-Unis et l’Europe, dont dépend le Canada non seulement pour la défense de ses intérêts sur la scène mondiale, mais aussi pour amoindrir les pressions exercées sur lui par les États-Unis.

Roger Jordan

Article paru en anglais le 8 janvier 2019

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Les autorités américaines ont annoncé lundi une série de fausses accusations criminelles contre Huawei, la plus grande entreprise de télécommunications au monde et le deuxième fabricant de smartphones, et aussi contre sa directrice financière, qui est actuellement assignée à résidence au Canada.

Malgré l’invocation de la «justice» et de la «primauté du droit» par les autorités américaines, les accusations sont en fait des prétextes pour lancer une nouvelle offensive économique contre la Chine, le pays le plus peuplé du monde et la deuxième économie en importance, visant à donner un avantage aux concurrents américains et européens de Huawei dans le domaine des infrastructures de télécommunications.

Cette décision intervient à peine deux jours avant que les États-Unis et la Chine n’entament un nouveau cycle de négociations commerciales, à peu près à mi-chemin d’un « délai de réflexion » avant que l’administration Trump ne lance un nouveau cycle de négociations tarifaires visant les produits chinois.

Malgré les affirmations des responsables américains selon lesquelles les accusations portées contre Huawei et les négociations commerciales ne sont pas liées, le moment choisi pour l’annonce indique clairement que les États-Unis entameront les négociations en exigeant des concessions maximales non seulement sur le commerce, mais aussi sur des questions militaires et de «sécurité nationale».

Alors que la croissance économique aux États-Unis demeure relativement robuste, la Chine fait face à un ralentissement économique prolongé qui a été intensifié par les sanctions économiques de l’administration Trump.

Le gouvernement Trump et l’appareil d’État américain ont clairement fait savoir que leur attaque contre Huawei, l’une des entreprises les plus importantes de Chine, est à la pointe d’une escalade militaire et économique que la Maison-Blanche a qualifiée de «concurrence stratégique».

Dans un article principal du numéro de dimanche, le New York Times a rapporté: «Au cours de l’année écoulée, les États-Unis se sont lancés dans une campagne mondiale furtive, parfois menaçante, pour empêcher Huawei et d’autres entreprises chinoises de participer à la refonte la plus spectaculaire de la plomberie qui contrôle Internet depuis sa création balbutiante, par morceaux, il y a 35 ans.»

L’article ajoutait: «L’administration soutient que le monde est engagé dans une nouvelle course aux armements – une course qui fait appel à la technologie plutôt qu’aux armes conventionnelles, mais qui représente un danger tout aussi grand pour la sécurité nationale des États-Unis. A une époque où les armes les plus puissantes, à l’exception des armes nucléaires, sont sous cyber contrôle, quel que soit le pays qui arrive à dominer la 5G, aura un avantage économique, militaire et de renseignement pendant une bonne partie de ce siècle.»

Il a conclu: «Lors d’entretiens avec des hauts responsables actuels et anciens du gouvernement américain, des agents de renseignement et des hauts responsables des télécommunications, il est clair que le potentiel de la 5G a créé un calcul à somme nulle à la Maison-Blanche – une conviction qu’il doit y avoir un seul gagnant dans cette course aux armements, et que le perdant doit être

banni. »

L’article a exposé sans équivoque les considérations mercenaires économiques, militaires et géostratégiques à l’origine des accusations inventées de toutes pièces contre Huawei et Meng.

La première série d’accusations tourne autour des accusations américaines selon lesquelles l’entreprise aurait violé les sanctions unilatérales américaines contre l’Iran. Kirstjen Nielsen, secrétaire à la Sécurité intérieure, a accusé «Huawei et sa directrice financière» d’enfreindre la «loi américaine» et de s’engager «dans un plan financier frauduleux qui nuit à la sécurité des États-Unis».

Les États-Unis, a-t-elle dit, «ne toléreraient pas un régime qui soutient le terrorisme», apparemment en référence à la Chine.

En raison de ces faibles accusations, Meng a été effectivement kidnappée le mois dernier au Canada. Les autorités américaines ont officiellement annoncé mardi que le ministère de la Justice avait l’intention de déposer une demande d’extradition contre elle.

Dans une deuxième série d’accusations, les autorités américaines ont annoncé 10 chefs d’accusation contre Huawei pour avoir tenté de voler en 2012 les plans d’un robot appelé «Tappy», au transporteur cellulaire américain T-Mobile.

Commentant ces accusations, le directeur du FBI, Christopher Wray, a déclaré que les actions de Huawei «menacent le marché mondial libre et équitable». Il a déclaré que le fait de donner à Huawei l’accès aux marchés américains des télécommunications «pourrait donner à un gouvernement étranger la capacité de modifier ou de voler malicieusement des informations, de faire de l’espionnage non détecté ou d’exercer une pression ou un contrôle». En fait, ce sont les États-Unis qui utilisent leur influence géopolitique sur la scène mondiale pour obtenir des concessions économiques de la Chine.

L’ensemble de la campagne contre Huawei s’inscrit dans le cadre d’un effort visant à assurer la domination économique des entreprises contrôlées par les États-Unis et leurs alliés européens, notamment Qualcomm, basée aux États-Unis, Nokia en Finlande et Ericsson en Suède.

Selon les médias, la Maison-Blanche est sur le point de publier un décret qui interdirait aux entreprises de télécommunications américaines d’acheter des infrastructures clés à des entreprises chinoises telles que Huawei et ZTE. Actuellement, seules les entités gouvernementales américaines sont interdites d’acheter de tels produits.

Les États-Unis font pression sur leurs alliés, dont la Grande-Bretagne, le Canada, l’Allemagne, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, pour qu’ils restreignent leurs achats d’équipement de télécommunications auprès des fabricants chinois.

Le Financial Times a mis en garde contre «la détérioration dramatique des relations entre la Chine et les États-Unis» depuis l’arrestation de Meng. Le journal a observé: « Les responsables partout dans le gouvernement américain sont devenus beaucoup plus va-t-en-guerre envers la Chine – surtout, des droits de l’homme à la sécurité nationale, en passant par la politique et les affaires.»

Le changement large et bipartite contre l’engagement avec la Chine a été résumé dans les remarques de la semaine dernière par le financier et principal donateur des démocrates George Soros, qui a qualifié le président chinois Xi Jinping d’«opposant le plus dangereux de ceux qui croient en la notion de société ouverte».

Il a critiqué le président américain Trump pour son manque d’agressivité envers la Chine. Soros insista pour dire: «Au lieu de permettre à ZTE et Huawei de s’en tirer à bon compte, il faut sévir contre eux. Si ces entreprises venaient à dominer le marché de la 5G, elles présenteraient un risque inacceptable pour la sécurité du reste du monde. Malheureusement, le président Trump semble suivre une voie différente: faire des concessions à la Chine et déclarer la victoire tout en renouvelant ses attaques contre les alliés américains. Cela risque de saper l’objectif de la politique américaine consistant à mettre un frein aux abus et aux excès de la Chine.»

D’autres commentateurs ont souligné les considérations nationales liées à l’escalade des tensions avec la Chine, puissance dotée de l’arme nucléaire. Dans un article intitulé «Un ennemi commun pourrait guérir le clivage partisan américain», le chroniqueur du Financial Times Janan Ganesh a soutenu: «Pour la première fois depuis au moins les années 1980, les Américains font face à un défi économique, idéologique et militaire qui peut faire paraître hors de propos l’antagonisme intérieur, sinon inadmissible.»

Ganesh a affirmé que comme l’attaque du Japon contre Pearl Harbor et les attentats du 11 septembre, un conflit avec la Chine servirait à unifier le pays et à préserver sa «cohésion interne». En d’autres termes, un affrontement qui pourrait conduire à une guerre nucléaire serait bénéfique pour l’élite dirigeante américaine, du point de vue de la suppression des tensions politiques et de classe internes.

Ganesh s’est émerveillé de la «rapidité avec laquelle l’épreuve de force de M. Trump avec la Chine, si choquante en 2017, a trouvé une acceptation générale, voire un enthousiasme, non seulement à Washington mais aussi dans le milieu des affaires.»

André Damon

Article paru en anglais, WSWS, le 29 janvier 2019

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Voici plus de 11 semaines que les gilets jaunes rythment par leurs initiatives la vie politique et sociale française. Le 26 janvier a été une grande journée de mobilisation à travers toute la France.  Elle a aussi été marquée par une répression sans précédent violente, délibérée et orchestrée. 

Emmanuel Macron, son gouvernement, le Parlement, les partis politiques, les médias, les analystes commentent et se déterminent quotidiennement en fonction de ce mouvement inédit dans sa forme, ses objectifs et sa durée. La plupart d’entre eux ont été totalement pris au dépourvu et ont toujours autant de mal à le caractériser et plus encore à y faire face, fut-ce par la contrainte et les représailles! Dans les couloirs du pouvoir, on est chaque fin de semaine, proche du mode « panique ». 

Les syndicats n’échappent pas à ce constat. Pire, bien que par leur rôle, ils se doivent d’être en phase avec les préoccupations et l’état d’esprit réel des travailleurs, ils n’ont pas vu venir cette vague  populaire qui a pris l’ampleur d’un tsunami social et politique. Celui-ci est sans précédent dans l’histoire française. Plutôt, que d’en tirer les conséquences, le choix des dirigeants syndicaux a été de se réfugier dans un rôle d’observateur, non sans espérer fut ce au prix d’un lâche soulagement de voir les choses en finir au plus vite. 

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, considère toujours « que le mouvement des gilets jaunes n’est en rien capable, de réunir les gens, de les faire débattre entre eux, de hiérarchiser les revendications, de s’engager dans la recherche de solutions. Il n’a rien inventé affirme-t-il, ni est capable de mobiliser en masse. Nous devons éteindre collectivement l’incendie». 

On ne saurait pas être plus clair, chasser le naturel, il revient au galop! En fait, et c’est bien là le problème, quand « tout remonte à la surface », les syndicats ne rêvent-ils pas de continuer à faire comme si de rien n’était! « Il faut que tout change pour que rien ne change ».

Pourtant et dorénavant tout le monde est au pied du mur et dans l’obligation de se déterminer par rapport à l’existence, aux débats et aux initiatives des gilets jaunes. Leur action est à ce point incontournable que non-content d’ébranler les bases d’un pouvoir politique qui se voulait conquérant, arrogant et sûr de lui, elle révèle l’étendue d’une crise sans précédent autant sociale, politique, économique que démocratique. Elle renvoie également à la crise du syndicalisme et pas seulement à la représentation de celui-ci.

Macron, quant à lui, cherche à gagner du temps et à reprendre la main, mais de l’avis général les deux mois de débats, et d’enfumage dont il a pris l’initiative ne régleront rien. En guise d’exorcisme et d’incantations, il ne suffit pas d’affirmer qu’on ne changera pas de politique pour s’en persuader. C’est sans doute pourquoi les Français ne se font aucune sorte d’illusions sur les vertus de son « one-man-show », ce long monologue ou il bavarde sans écouter. Les gilets jaunes avec détermination ont décidé de poursuivre leur action contre vents et marées tout en déjouant les multiples pièges qu’on leur tend. Faisant preuve là, d’une rare intelligence politique ! 

Ils apprennent vite, tout en faisant face à une répression de masse, déchaînée et meurtrière. Celle-ci est sans précédent depuis presque 60 ans. On se souvient du massacre de Charonne ou celui du 17 octobre 1961 qui couta la vie a des centaines de travailleurs algériens ! Pourtant, le 6 décembre à la stupéfaction et la colère de nombreux militants,  les confédérations syndicales y compris la CGT ont été jusqu’à condamner comme coupables les victimes des représailles policières et« toutes formes de violences dans l’expression des revendications »! Fallait-il  donner de cette manière choquante une nouvelle justification au concept de « syndicalisme rassemblé »! Faut-il rappeler qu’en 1968 la CGT s’est honoré en appelant à la grève générale contre la répression à l’égard du mouvement étudiant.  50 ans plus tard Macron n’en demandait pas tant    Depuis, l’initiative de la CGT Paris de saisir la justice contre l’utilisation criminelle de « flash-ball » par les forces de l’ordre, à montrer un rejet net de cette manière de renvoyer tout le monde dos à dos. 

Dans de telles circonstances, il y a urgence pour le Capital et la bourgeoisie, à trouver une issue à cette crise majeure, ils leur faut anticiper, car les problèmes s’enchaînent les uns après les autres! Alain Minc et Jacques Attali parmi d’autres s’inquiètent du creusement des inégalités. 

Comme au sein d’une « Cupola mafieuse sicilienne», les « parrains » de Macron comprennent, que cette situation ne peut perdurer indéfiniment. Déjà, dans un temps très bref, moins de deux ans, elle a fragilisé à l’extrême le pouvoir du jeune banquier de chez Rothschild, dont ils avaient fait le choix .

Faut-il ajouter au tableau, que le mouvement peut faire tâche d’huile et devenir contagieux ! Déjà en Belgique, au Portugal, en Pologne, en Grand Bretagne, en Hongrie, aux Pays-Bas, en Irlande, et même au Liban, en Afrique du Sud, en Irak, on revêt le gilet jaune de la colère populaire. 

Dans ce contexte, les instances supranationales comme celle de l’Union européenne déjà à l’avenir incertain, voit celui-ci s’assombrir un peut plus à fortiori avec la perspective des prochaines élections européennes. Le moteur  franco-allemand se met à tousser au point que l’on se demande s’il ne va pas caler. Le traité d’Aix la Chapelle entre la France et l’Allemagne que viennent de signer dans l’urgence et le secret  Macron et Merkel consacre une capitulation française sur sa souveraineté au bénéfice d’une Europe des « Landers » et d’une armée allemande baptisée « européenne ». Comment ne pas remarquer que deux mois auparavant, par anticipation et sans consultations de leurs affiliés les syndicats français et le DGB allemand avaient décidé de soutenir ce grand  projet d’intégration européenne sous le pavillon d’Outre-Rhin.   

Pour la France qui est encore admise comme 5e puissance mondiale, l’onde de choc internationale créée par le mouvement des gilets jaunes fait vaciller la crédibilité d’un système en question, plus encore que celle d’un président dont la suffisance et la morgue font dorénavant sourire, tant elle apparaît dérisoire. A Paris, Macron, à la remorque de Trump soutient les putschistes de l’extrême droite vénézuélienne, il ne tarit pas d’admiration et d’éloges pour leurs manifestants et ordonne à Maduro de respecter la démocratie et des élections sous 8 jours. « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ! » Imaginons Nicolas Maduro, exigeant de Macron l’organisation d’élections en France sous 8 jours au risque de voir le Venezuela reconnaître Eric Drouet des Gilets jaunes comme le président en charge.

Par conséquent, il est difficile de contester que les enjeux se soient singulièrement aiguisés ! On ne choisit pas la période dans laquelle on vit, il faut être à la hauteur de ce qu’elle exige. Pour le mouvement syndical et particulièrement pour la CGT ce nouvel épisode des « luttes de classes en France » n’est pas sans risques. Le paradoxe, c’est qu’il n’est pas non plus  sans opportunités ! A condition, bien sur d’en avoir la volonté politique et de s’en donner les moyens si toutefois l’on veut  créer le rapport de force nécessaire pour gagner. Dans de telles circonstances la seule stratégie qui vaille est donc de  contribuer à fédérer et faire converger les luttes dans les entreprises avec celle des gilets jaunes.  L’objectif, (encore, faut-il avoir un objectif), doit être de bloquer les entreprises, les centres de productions stratégiques, tout autant que les voies de circulation,  faire pression sur le patronat , le gouvernement et Bruxelles « là ou ça fait mal ! » .  

Nous n’en sommes pas tout à fait là, pourquoi ? 

Il devrait aller de soit que le mouvement populaire agisse et parle d’une seule voix tant les objectifs légitimes de justice sociale, de démocratie et de respect sont  massivement partagés dans et hors les entreprises, c’est d’ailleurs ce que souligne la CGT. Les gilets jaunes quand ils ne sont pas retraités ou chômeurs sont aussi des salariés. Toutefois,  il ne suffit pas de répéter que les revendications sont voisines sinon identiques, quand toute la question est de savoir quelles conséquences pratiques l’on en tire en termes d’actions. Or, il aura fallu deux mois pour que la direction de la CGT finisse par accepter sous la pression d’un grand  nombre de ses organisations : syndicats, fédérations, régions et départements d’appeler nationalement à la grève et aux manifestations le 5 février. Il faut se féliciter que l’Assemblée des Assemblées de Commercy(Meuse) des gilets jaunes réunissant une centaine de délégations est adoptée un Appel qui soutient une grève reconductible à partir du 5 février.

Prenons acte positivement de cette importante décision de la CGT soutenu par des gilets jaunes, tout en ajoutant que la question qui se pose dorénavant est celle de la suite qui sera donnée et de quelle volonté l’on va faire preuve pour que cette journée se poursuive en grève générale reconductible.  Doit-on se satisfaire de grèves par procuration, s’accommoder de l’éparpillement des luttes, de leur pourrissement comme d’une fatalité ? Va-t-on reprendre le controversé chemin des « grèves saute-mouton » dont la faillite est consommée ? «Ne faut-il pas reconsidérer les vertus des grèves reconductibles » ? Philippe Martinez, a déclaré que « la mobilisation aux ronds-points, c’est bien, la mobilisation dans les entreprises, c’est mieux ». Prenons-le au mot : Chiche ! Passons des paroles aux actes ! « La preuve du pudding, c’est qu’on le mange »

En fait-tout cela ne renvoie t’il pas à la capacité des syndicats à anticiper, à apprécier de qui change, bouge à la qualité de leurs liens avec les travailleurs dans leur ensemble et leur diversité, à l’activité depuis le lieu de travail c’est à dire là où se noue la contradiction capital/travail, là où se concrétise l’affrontement de classes.  Ne faut-il pas par exemple, s’interroger sur la capacité des syndicats à prendre en compte le fait que nous sommes passés en quelques années d’une société de pauvres sans emplois à une société avec en plus des pauvres avec emplois, une société capitaliste dont les jeunes sont les premières victimes. A leurs côtés l’on trouve les retraités actifs et présents depuis longtemps dans les manifestations, ils se battent pour le droit de vivre dignement d’autant qu’ils sont de plus sont fréquemment les seuls soutiens matériels et financiers de leurs enfants et petits enfants frappés par la précarité et le chômage de masse. La France compte plus de 11 millions de demandeurs d’emplois et de travailleurs pauvres occasionnels. Dans le même temps, 40 milliardaires pèsent 265 milliards d’euros soit la richesse globale des 40% les plus pauvres. Les 15 ultras riches détiennent 22% de la richesse nationale et bénéficient avec Macron au pouvoir de 300 milliards de cadeaux fiscaux, dont 100 milliard s’évadent chaque année vers les paradis fiscaux.

C’est ce que disent les cahiers de doléances, ils mettent en avant les inégalités criantes sociales et territoriales,  le besoin impératif de rétablir et revaloriser avec des moyens les services publics, en particulier ceux de proximité. La contradiction capital/travail est posée fortement et l’on revendique l’exigence de justice sociale d’augmentation du salaire minimum à 1800 euros, la revalorisation des retraites et pensions, une fiscalité qui fait payer les riches et les entreprises, l’annulation de la CSG, le rétablissement de l’impôt sur la fortune ou encore l’abrogation du CICE ce crédit d’impôt aux entreprises remplacé par un allègement des charges sociales voulu dès le début de son mandat par Macron. En fait-tout cela traduit l’aspiration à une société française de notre temps, une société de progrès et non de régression sociale

Dans ces conditions, le pouvoir d’achat est une priorité vitale pour des millions de gens et leurs familles. Cette exigence légitime doit s’articuler avec une démocratie qui implique l’implication de chacun et chacune à tous les niveaux, la reconnaissance, le recours et l’usage de droits sans privilèges d’aucune sorte. Le peuple veut être entendu et respecté. Cette évidence s’est imposée devant l’unilatéralisme qui caractérise autant la vie dans les entreprises qu’hors les entreprises.  Le moment est venu d’y répondre, par de nouvelles formes de consultations et de prises de décisions comme le revendiquent les gilets jaunes! C’est ainsi pensent-ils que l’on fera reculer dans tous les domaines les injustices croissantes de la société française. 

Car c’est le système capitaliste qui cadenasse les libertés, c’est le néo libéralisme mondialisé, qui impose la pensée unique et la voix de son Maitre, qui pille les richesses du travail, saccage la nature et l’environnement. Tout cela se fait au bénéfice d’une oligarchie corrompue de riches toujours plus riches, ou encore de ceux qui s’en sortent le mieux ! Faut-il continuer à parler de partage des richesses et des ressources, quand dans la réalité il s’agit de la recette du pâté d’alouettes où le travail enrichit le centile le plus riche de la population et que les inégalités explosent ?

La France est passée championne dans la distribution des dividendes aux actionnaires. 46,8 milliards d’euros ont ainsi été distribués en 2018, de loin supérieur à 2017 de plus de 12%. Les groupes automobiles et les entreprises de luxe, dit-on se sont particulièrement montrés généreux. 

N’est-il pas remarquable que le mouvement des gilets jaunes coïncide avec l’inculpation et  l’emprisonnement au Japon pour fraude fiscale de Carlos Ghosn le patron de Renault-Nissan au salaire de 15,6 millions d’euros par an. Cette rémunération « surréaliste », n’est-elle pas précédée par celle de Bernard Charles, de Dassault qui gagne 24,6 millions d’euros annuel devant Gilles Gobin de Rubis du groupe Rubis qui lui empoche 21,1 millions d’euros ? Ce sont ceux-là et près de 150 patrons de multinationales, avec qui voici quelques jours, Macron de manière provocatrice a festoyé au Château de Versailles. Comble de l’ironie jour pour jour avec la décapitation de Louis XVI. Ainsi, l’on semble être passer « d’une royauté à une autre. » !

Dans un tel contexte, apparaissent bien dérisoires les arguties de certains dirigeants syndicaux sur les prétendues tentatives de récupération et l’influence de l’extrême droite raciste sur le mouvement des gilets jaunes, comme le répète à satiété les dirigeants de la CFDT et de la CGT. A ce sujet, les propos affligeants, les rapports, les interviews ne manquent pas et témoignent d’un décalage saisissant comme d’une profonde ignorance de ce que représente un mouvement social! Il est inquiétant de noter que certains dirigeants de la CGT ont cru bon, se saisir de ce contexte pour traquer les idées de ceux qui refusent la mise en conformité,  comme par exemple un regard critique sur l’Europe et l’Euro, le prêt-à-porter de la pensée dominante et de l’air du temps. La pratique de l’amalgame à l’égard de l’historienne Annie Lacroix-Riz accusée de complotisme, et de voisinage avec l’extrême droite a suscité une telle indignation que Philippe Martinez a du lui présenter des excuses et s’engager à retirer de la circulation une note infamante portant le sigle de la CGT. Va-t-on dorénavant faire le tri chez les travailleurs, ou les militants exiger de leur part pour participer aux grèves et manifestations (comme on l’a vu) qu’ils présentent une identification politique ou un laissez passer conforme aux désidératas du dialogue et du partenariat social voulu par un syndicalisme d’accompagnement et de propositions en quête d’«union sacrée ».

N’y a t’il pas pour le mouvement syndical à réfléchir autrement et avec modestie sur lui-même sur ses insuffisances, son fonctionnement, ses retards, sur son approche des problèmes dans leur globalité, leur dimension européenne et internationale par ces temps de mondialisation néo-libérale à marches forcée.  Se débarrasser enfin de cet esprit de suffisance, de condescendance, de donneurs de leçons qui minent la relation qui devrait être celle entre les syndicats, les travailleurs en général, les gilets jaunes en particulier, ceux dont les sacrifices de toutes sortes méritent le respect. Plutôt que porter sur eux des jugements de valeurs ne devrait-on pas faire preuve de plus de retenue?

Car au départ,  il aura fallu une taxe sur les carburants suscitant la colère pour que cette fois ci, la goutte fasse déborder le vase des mécontentements accumulés, des colères légitimes, des rêves refoulés, des frustrations que l’on taisaient depuis si longtemps. « Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine ». 

Si ne pas l’avoir compris ne peut être sans conséquence pour la classe politique, comment ne le serait-elle pas pour les syndicats. Comment s’étonner alors de l’ampleur de cette crise de confiance, car il faut bien reconnaître que ce mouvement des gilets jaunes s’est construit hors de l’intervention et de l’implication syndicale. Par conséquent, on ne saurait pas être surpris à entendre les critiques qui montent d’en bas, qui placent les syndicats et les politiques dans le même sac, et à qui l’on fait payer le prix fort des compromissions. Doit-on faire comme si cela n’existait pas. Déjà en son temps, Benoit Frachon parlait des « porteurs de serviettes, l’air affairé, le plus souvent trônant dans un bureau, parfois hypocritement installé par le patron ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

C’est vrai en France et ailleurs comme à une tout autre échelle. Ainsi la CES (Confédération Européenne des Syndicats) déjà totalement dévaluée démontre dans ces circonstances et une fois encore sa parfaite incapacité à saisir ce qui est essentiel ! Son silence est assourdissant ! C’est dire, son décalage  avec le monde réel, sans doute parce que sa fonction n’est rien d’autre que celle d’être un rouage des institutions bruxelloises.  Son fonctionnement et sa dépendance financière à cet égard semblent sans limites. 

On parle beaucoup de l’ignorance dans laquelle Macron tient ce que l’on appelle les corps intermédiaires comme les syndicats. Ce qui est un fait,  mais l’institutionnalisation du syndicalisme, sa bureaucratisation, sa professionnalisation, ne l’a t’elle pas  rendu invisible et inaudible ? Comment alors être surpris de voir aujourd’hui beaucoup de salariés s’en détourner, questionner sa crédibilité, son utilité, son existence même et finir par voir ailleurs ? Pour se rassurer faudrait-il en l’appliquant au syndicalisme reprendre la formule de Brecht « puisque le peuple vote contre le gouvernement, ne serait-il pas plus simple de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ». 

Comment en est-on arrivé là ? Peut-être faudrait-il se poser la question du pourquoi ? On ne peut évidemment pas se satisfaire de cette situation, elle appelle des réponses autres que la culpabilisation des militants sur lesquels repose l’existence de l’organisation syndicale à fortiori dans les entreprises. Cela ne saurait se réduire à la seule prise en charge des problèmes « de carreaux cassés » dont il faudrait s’inquiéter pour répondre à la crise du syndicalisme ! On a besoin sur ce sujet comme sur d’autres, d’une autre hauteur de vue.  A la lumière d’évènements qui sont un formidable révélateur, il y a urgence pour le mouvement syndical de classe à tirer les leçons et à faire les bilans qui s’imposent. Il faut espérer que le prochain congrès national de la CGT apportera des réponses convaincantes, une stratégie et une direction à la hauteur de cette situation. Faire preuve de lucidité ce n’est pas  s’accabler, c’est voir les faits, la réalité telle qu’elle est pour la transformer.

Evidemment ce mouvement des gilets jaunes est pétri de contradictions, il est  à l’image de notre société avec ses préjugés, ses faiblesses, ses erreurs, et même ses idées réactionnaires. Faut-il faire comme si cela n’existait pas ? Evidemment non ! Mais dans le même temps,  comment concevoir autrement une lutte de masse qui soit conséquente ? 

Un grand nombre de gilets jaunes font l’expérience de l’action pour la première fois, la plupart d’entre eux n’a jamais participé à une grève, à une manifestation. On s’étonne de leur spontanéisme, de leur absence d’organisation ce qui semble être de moins en moins le cas, mais comment ne pas voir qu’entre son début et le point où il est arrivé aujourd’hui, ce mouvement a fait un véritable bond qualitatif en avant. C’est vrai, dans la définition de ses objectifs, dans ses méthodes comme dans son organisation. Non sans erreurs ? Certes et alors ? Le mouvement syndical a aussi la responsabilité de partager et faire partager son expérience de la lutte de classes avec tous ceux et toutes celles qui font le choix d’agir collectivement.

Pour un grand nombre de gilets jaunes, et même si c’est parfois confusément,  ce qui est en question au fond c’est la nature de cette société inégale, brutale, prédatrice et criminelle. Cette société-là, c’est le capitalisme lui-même.  Qui va le dire ? Faut-il le considérer comme un horizon indépassable ou faut il au contraire l’abolir ? Pour le syndicaliste faudrait-il se plaindre d’une telle prise de conscience? On peut comprendre qu’un tel changement des esprits n’est pas sans déranger les tenant d’une adaptation du syndicalisme-partenaire d’un capitalisme à visage humain. Certains, comme la CFDT, préférant négocier le poids des chaines plutôt que d’exiger l’abolition de l’esclavage. Mais, ne doit-on pas voir dans ce mouvement des gilets jaunes une prise de conscience qui s’affirme,  celle  qui conduit à la conscience d’appartenir à une classe et par conséquent des opportunités à saisir ! N’y t’il pas là pour le syndicalisme une responsabilité à assumer pour qu’il en soit ainsi.

Aussi et comme cela est souvent le cas dans les grands mouvements sociaux, il y a urgence pour le mouvement syndical à prendre en compte combien les consciences ont progressé quant aux causes, aux responsabilités et à la nature  du système capitaliste lui-même.

Ce constat renvoie à la « double besogne », cette double fonction qui doit être celle du syndicat: luttant tout à la fois pour les revendications immédiates comme pour le changement de société. Contrairement à ce qu’affirme Philippe Martinez, la CGT n’est pas trop « idéologique ». Cette singularité qui est la sienne, cette identité, elle se doit de la prendre en charge en toutes circonstances. Ne voit-on pas que la CGT paye aujourd’hui 25 années de recentrage, de désengagement du terrain de la bataille des idées, en fait de dépolitisation ? . Ceci, la pénalise grandement aujourd’hui face à un mouvement qui va marquer durablement la période que nous vivons.

Ce débat nécessaire donne raison à ceux des militants de la CGT qui depuis longtemps alertent, se mobilisent et interpellent leur Confédération  sur la perspective « d’une explosion sociale », hors de toute intervention syndicale, tant la désespérance est à son comble. Il est heureux de constater que parfois à contre-courant des positionnements officiels et de l’impuissance de nombreux dirigeants, ils  sont ceux qui ont fait le choix dès le début de se tourner vers le peuple en lutte, mêlant leurs gilets rouges à ceux des gilets jaunes comme on l’a vu dans bien des ville à Bourges, Créteil, Toulouse, Marseille, Lille, Paris, Montbéliard, Nantes, etc.

En fait,  cette insurrection sociale, à laquelle nous assistons, tire sa force dans sa capacité à fédérer le peuple : les ouvriers, les employés, les paysans, les classes moyennes, les petits artisans, les chômeurs, les retraités, les ruraux et les citadins, ceux des banlieues. Fait significatif les femmes sont au premier rang des manifestations, des blocages routiers, des parkings des centres commerciaux. Tout un peuple d’en bas est entré en révolte, la CGT devrait se comporter comme un poisson dans l’eau et considérer qu’en dernière analyse, « il est juste de se rebeller »!

Voici plusieurs années, on parlait de fracture sociale, mais sans en tirer les conséquences. Celle-ci n’a cessé de s’élargir, au point que ce à quoi nous assistons couvait depuis longtemps, en particulier dans la jeunesse. Cette génération sans perspective, tous ces laissé-pour-comptes réduits à monter à l’échafaud de l’exclusion sociale et parmi eux les précaires, ou encore les enfants d’immigrés de plusieurs générations. Ils sont aux avants-postes de cette bataille. Comment ne pas se trouver à leurs côtés ?

L’on sait maintenant qu’à la fracture sociale, il faut associer la fracture politique et démocratique. Elle révèle l’étendue d’une rupture entre le peuple et ses représentants, les institutions nationales et supranationales, les partis politiques, les syndicats, les parlementaires de droite comme de gauche, le gouvernement et singulièrement le chef de l’état sur qui se focalise l’ensemble du rejet exprimé à travers le mot d’ordre « Macron démission ». En une année la confiance dans le président de la République s’est effondrée de 23%. Jamais en France, un homme politique aura fait l’objet d’une telle détestation pour ne pas dire d’une haine. Un récent sondagefait ainsi apparaître que 88% des Français ne font pas confiance aux partis politiques, 73% ne font pas confiance aux médias et 70% aux banques, 55% se déclarent prêt à participer à des manifestations pour défendre leurs idées,. Deux mois après le début de l’action des « Gilets jaunes » 57% continuent à leur apporter leur soutien. Plus de 70% des Français n’attendent rien du grand débat voulu par Macron.

Le mouvement des gilets jaunes est fondamentalement une révolte contre la situation intolérable qui est faite aux classes les plus défavorisée, à l’appauvrissement qui touche dorénavant les classes moyennes ceux qui arrivaient encore à s’en sortir, mais dont les fins de mois se terminent dès le 15 et qui n’ont d’autres alternatives que les privations pour presque tout. « Dans les fins de mois, le plus dur ce sont les 30 derniers jours ! » disait Coluche. Le combat des gilets jaunes est aussi une résistance contre ce recul de civilisation voulu par le Capital en crise.

Les politiques néo libérales des gouvernements successifs de droite comme de gauche, les injonctions de l’Union européenne  ont détricoté de manière systématique le tissu social. Macron dans un volontarisme aveugle a accéléré ce processus y associant l’insulte, la condescendance, l’humiliation et le mépris du peuple souverain.  La nature monarchique et de classe du régime est ainsi apparue dans toute sa brutalité. Il ne faut pas chercher plus loin le rejet de cette société inhumaine.

Il ne fait aucun doute que les « Gilets Jaunes » feront leur entrée au Panthéon des grands mouvements sociaux, annonciateur de ruptures avec le système dominant. Leur empreinte est indiscutable et marque déjà notre époque par la radicalité progressiste de leurs objectifs, par leur détermination, leur esprit d’initiative, les formes d’organisation dont ils ont fait le choix, la continuité qu’ils donnent à leur action. Ils ont réussi à gagner la sympathie et la solidarité d’une très large majorité de Français, mais aussi des peuples d’Europe et d’ailleurs. 

Ils font la démonstration de cette exception française, celle d’un pays où comme disait Marx, « les luttes de classes se mènent jusqu’au bout ». La filiation des « Gilets Jaunes » est  bien celle qui trouve ses racines dans les « Jacqueries », dans la grande Révolution de 1789 à 1793, de la Commune de Paris, des combats de la Libération et plus près de nous de 1968, 1995, et de ces milliers de luttes sociales et politiques souvent anonymes, de grèves, de manifestations innombrables. Macron n’a pas tort de reconnaître l’esprit « réfractaire » frondeur et indocile des Français! Non sans raison les « Gilets Jaunes » le revendiquent ! Après tout, « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». 225 ans plus tard, les gilets jaunes légitiment et rappellent publiquement souvent d’ailleurs cette vision ambitieuse des révolutionnaires de 1793. L’honneur du mouvement ouvrier français et de la CGT en particulier est d’avoir toujours été fidèle à ces principes. C’est aussi à elle de les défendre !

Jean-Pierre Page

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À l’occasion de la nomination d’Elliott Abrams [1] au poste d’envoyé spécial pour le Venezuela, je souhaite revenir sur un entretien de 2005 au ministère des Affaires étrangères des États-Unis où je m’étais rendue, en tant que ministre des Émigrés, à la rencontre de William Burns [2]. 

Présent à cette réunion, Abrams se mit à me parler des actions hostiles de la République arabe syrienne contre les forces d’invasion américaines en Irak, décrivant la somme d’ennuis auxquels elles se trouvaient confrontées à cause de la détermination syrienne à les en expulser ; notamment, en laissant passer ceux qui combattaient ces forces d’occupation par son territoire. Je répondis que ce qu’il disait n’avait rien à voir avec la réalité, que ses sources lui avaient probablement rapporté des informations très éloignées des faits sur le terrain, et que j’étais là pour lui apprendre certaines vérités sur ce qui se passe dans notre région, vu que nous y vivons et que nous sommes les mieux placés pour en rendre compte.   

À l’époque, sa réponse me parut étrange. Il me dit : « Mais qu’importe la vérité de ce qui se passe dans le monde entier ? L’important est le concept et l’image qui touchent l’esprit des gens.  Qu’ils soient proches ou éloignés de la vérité est secondaire et ne change rien à ce qui est ». Je me souviens encore de mon ressenti à cet instant précis où je concentrais mon propre esprit sur la façon de dialoguer avec une personne qui ne se souciait que de l’image qu’elle fabriquait et transmettait à autrui, sans jamais se soucier de la vérité. Je me souviens aussi que ma réunion avec William Burns s’est achevée dans le hall menant à l’ascenseur.

Depuis, je n’ai cessé de comparer les agressions menées par Israël, ses alliés américains et, malheureusement, ses alliés arabes contre nos pays  et nos peuples, aux multiples concepts divulgués en Occident. C’est ainsi que, jour après jour, j’ai en effet acquis la conviction que le monde colonialiste, mené par le sionisme international via son hégémonie financière et médiatique sur l’ensemble des régimes occidentaux, y compris les États-Unis, concentre ses efforts sur la fabrication d’une « image » qu’il propage sans accorder la moindre importance au fait qu’elle soit partiellement ou totalement éloignée de la réalité.

D’où leur guerre criminelle dans toute sa dimension terroriste aux niveaux  militaire, médiatique et économique contre nos pays, prétendument au nom de la liberté, de la démocratie, des droits de l’homme, de la protection des civils et autres images fabriquées selon les concepts d’Abrams et de ses semblables néo-sionistes. 

Une guerre dont le but manifestement essentiel depuis l’invasion de l’Irak, la destruction de la Libye, les manœuvres en cours pour détruire la Syrie et le Yémen, est le changement des régimes  en place, afin de les subordonner au maître sioniste ayant mis les États-Unis et les autres régimes occidentaux au service de ses objectifs consistant à  contrôler ou à piller les richesses naturelles des peuples et à  installer des types de gouvernance garantissant la suprématie d’Israël, même dans les cas où cela nuit à leurs propres intérêts.

Par conséquent, la plupart des guerres et des coups d’État ou équivalents, actuellement en cours dans différents pays, sont fondés sur une règle simple et facile à comprendre : derrière une façade américaine, la seule souveraineté qui compte en ce monde appartient au maître sioniste. Lui seul aurait le droit de modifier les orientations politiques des uns et des autres dans le sens de ses propres intérêts, comme si Dieu lui avait donné la Terre en héritage et le droit d’en disposer comme il l’entend.

À partir de là, nous pouvons clairement comprendre pourquoi les coalisés combattent certains dirigeants et épargnent d’autres, le critère dominant étant l’obéissance : celui qui s’incline peut continuer à diriger le pays tant qu’il leur donnera satisfaction ; celui qui veut la souveraineté pour son pays et son peuple sur ses options et ses richesses nationales, il sera facile de fabriquer des « concepts » et des « images » justifiant une guerre contre lui, contre son pays et son peuple.

L’exemple concret de ce qui précède se trouve dans les multiples agressions du peuple syrien, agressions principalement menées par Israël dissimulé derrière une façade américaine. Un exemple parfaitement comparable aux agissements des États-Unis au Venezuela, dans le but de contrôler les plus grandes réserves de pétrole au monde et les richesses fabuleuses d’un pays qu’ils considèrent comme leur arrière-cour. 

Mais, si la Syrie qualifiée par Donald Trump de pays de «  sable et de mort » [3] – ce qu’elle n’est absolument pas- a nécessité une telle mobilisation pour la diviser et occuper certaines de ses régions, le Venezuela est certainement plus important, non seulement en raison de ses énormes richesses suscitant toutes les convoitises, mais aussi parce que le contrôle éventuel de ses orientations politiques garantirait leur influence sur l’Amérique du Sud d’abord, sur le reste des pays ensuite.   

La Syrie et le Venezuela sont donc deux exemples démontrant que les États-Unis et l’Occident en général, n’ont foi ni en la souveraineté des États, ni en l’ordre mondial issu de la Deuxième Guerre Mondiale, ni en les conventions internationales adoptées depuis. Désormais, ils œuvrent ouvertement, nuit et jour, à priver les États de leur libre choix, en attendant de les priver de leurs ressources naturelles et de les transformer en suivistes soumis au diktat occidental assurant la couverture de l’entité sioniste.

Bouthaïna Chaabane

La fille de la Terre

28/01/2019

Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca

Source : Al-Watan (Syrie)

http://alwatan.sy/archives/184644

Notes :

[1][Venezuela : Elliott Abrams, un faucon américain face à Maduro]

[2][Note de Karim Bouzida sur le sous-secrétaire d’Etat William Burns] 

[3][Donald Trump describes Syria as ‘sand and death’]

 

 

Madame Bouthaïna Chaabane est conseillère en politique et communication du Président Bachar al-Assad

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Au Venezuela, le dépassement de l’ignoble

janvier 29th, 2019 by Vladimir Caller

Le scoop ne vient pas du ‘Drapeau Rouge’. C’est le quotidien de la bourse américaine “The Wall Street Journal” qui ce vendredi 25 en faisait la révélation dans un article présenté en première page titrant :  “Pence promet un soutien américain à la veille de la décision du chef de l’opposition vénézuélienne” [[1]] où il est fait état d’un coup de téléphone du Vice-président des Etats-Unis Mike Pence à Juan Guaido la nuit  précédant l’auto-proclamation  de ce dernier comme Président du Venezuela. Et le quotidien des affaires, peu suspect de chavisme, de préciser : “Le plan secret de l’administration Trump de soutenir l’opposant Guaido avait été soigneusement coordonné et préconçu“.

A noter également qu’on n’avait jamais vu un tel empressement dans l’histoire de la diplomatie internationale pour la reconnaissance d’un nouveau “mandataire”. En effet, la Maison Blanche a tardé 3 minutes pile pour reconnaître son poulain comme nouveau ‘président’. Dans cette course contre la montre, l’Organisation des Etats Américains (OEA; organisme crée par les Etats-Unis du temps de John Foster Dulles) a été un peu plus lente : 4 minutes [[2]]. On peut les excuser de ce retard : ils attendaient peut-être la voix du maître.  En tout cas, on est tenté de croire que l’impatience est forte chez ceux qui ne supportent plus que l’héritage chaviste puisse encore rester vivant. De toute façon, diplomatie ou pas, le même Pence avait appelé auparavant les militaires vénézuéliens à la désobéissance

D’un autre côté, l’agence Bloomberg spécialisée dans la finance internationale rapporte que la Banque d’Angleterre a refusé de rendre au Venezuela les réserves d’or d’une valeur de 1,2 milliards de dollars, sollicitées par le pays propriétaire, et que cette banque détient dans ses caves. Le refus, dixit Bloomberg, fait suite à une demande des Etats-Unis. Mais le plus ignoble n’est pas encore là. La prime revient à la jeune marionnette Guaido qui a applaudi sans réserves l’attitude néocoloniale de la banque anglaise et de ses mentors au Pentagone. Il s’est réjoui de cette abjecte appropriation attendant, lui, de profiter des lingots retenus.

Ainsi, la violente agression contre le pays de Bolivar ne connaît pas de limites. Le porte-parole du Ministère de la défense Eric Pahon a déclaré sur CNN que dans le cadre de la situation vénézuélienne, “le Pentagone élaborait des plans d’actions pour des situations d’urgence et était prêt à soutenir les efforts de l’administration visant à défendre les intérêts nationaux et ceux des citoyens américains

Tous ces ignobles comportements n’émeuvent pas Monsieur Macron connu pour être plus “pentagoniste” que le Pentagone lui-même, comme les événements en Syrie le prouvent. Il s’est associé à Mme Merkel et au “socialiste” espagnol Sanchez pour envoyer un ultimatum à Nicolas Maduro selon lequel si ce dernier ne convoque pas des élections dans les 8 jours, ils reconnaîtront le jeune vassal autoproclamé comme président du Venezuela. Décision qui, venant de Merkel et Macron ne devrait pas nous étonner ni, tout compte fait, du “socialiste” Sanchez  qui comme bon social-démocrate finira toujours par se plier aux ordres.

Heureusement en tout cas que l’honneur n’est pas perdu partout. Ni l’humour. Dans un tweet envoyé à Macron, le président Maduro commine à son tour le Français à “convoquer des élections dans les 8 jours autrement le Venezuela reconnaîtra Eric Drouet (militant Gilets jaunes) comme nouveau président français“. Chiche !!

Vladimir Caller

 

Notes:

[1] https://www.wsj.com/articles/a-call-from-pence-helped-set-an-uncertain-new-course-in-venezuela-11548430259 – Jan. 25, 2019

[2] Cathy Dos Santos (humanité.fr)

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Depuis quelques jours, la tension monte au Venezuela. Le 23 janvier, le Président du parlement s’est auto-proclamé Président du pays. Il a été immédiatement reconnu par les États-Unis, le Brésil et d’autres pays du continent gouvernés par la droite. On craint que ce ne soit le début d’une longue période de confrontation et de déstabilisation.

Cycles de violence

La tentative de renverser le président Maduro n’est pas inattendue. Depuis que Maduro est devenu président après la mort de Chávez en 2013, les États-Unis ont résolument mené une stratégie de changement de régime. Les Etats-Unis essaient de persuader certaines parties de l’armée de se retourner contre Maduro, mais ils échouent. Washington dépend donc principalement de l’opposition interne et des pressions diplomatiques.

Les États-Unis assistent l’opposition politique et tentent de l’unir autant que possible. Selon le manuel des révolutions de couleurs, les ONG, les organisations d’étudiants et les organisations locales sont financées, formées et coachées pour organiser les émeutes de rue aussi efficacement que possible. La violence dans les rues vise à déstabiliser le pays à tel point que le gouvernement soit forcé de démissionner, ou que l’armée intervienne.

Depuis 2013, l’opposition a déjà déclenché deux fois des cycles de violence à grande échelle. En 2014, 43 personnes ont perdu la vie et 800 ont été blessées. En 2017, 131 personnes sont mortes.

Entre-temps, la situation économique s’est fortement détériorée. C’est principalement le résultat d’un modèle économique extrêmement dépendant des prix du pétrole, mais aussi d’une guerre économique pure et simple contre le gouvernement. Il faut aussi dire que le gouvernement n’a pas non plus réussi à surmonter les difficultés financières, sociales et économiques, ainsi que la mauvaise gestion, la bureaucratie et la corruption.

Une nouvelle offensive

En mai 2018, Maduro a remporté les élections présidentielles avec 68% des voix. Cela a quelque peu sonné l’opposition qui a dû s’en remettre. Mais lorsque Nicolas Maduro a prêté serment pour un second mandat de six ans le 10 janvier dernier, elle a saisi sa chance pour une nouvelle offensive. L’Organisation des États américains, sous l’influence des États-Unis, a rapidement déclaré qu’elle ne reconnaîtrait pas Maduro comme président. Et cinq jours plus tard, Trump a annoncé qu’il qu’il envisageait de reconnaître Juan Guaidó comme président.

Guaidó est le Président du Parlement. Il a trente-cinq ans. Il est très proche de Leopoldo López, avec qui il est en contact quotidien, malgré son assignation à résidence. Ensemble, ils ont fondé le parti d’extrême droite Voluntad Popular. Dans le passé, le parti a organisé piquets armés où des gens ont été tués, il a incendié des bâtiments publics et des hôpitaux, attaqué des ministères, etc.

Forte du soutien de Trump, l’opposition est descendue dans la rue le même jour dans le but d’expulser le président Maduro et de former un gouvernement provisoire. L’amnistie a été promise aux soldats qui se soulèveraient. Six jours plus tard, le 21 janvier, des soldats rebelles ont mis en ligne un message vidéo dans lequel ils se sont déclarés loyaux envers le chef de l’opposition.

La tension a encore augmenté. Le 22 janvier, Michael Pence, vice-président des États-Unis, a lancé un appel vidéo aux Vénézuéliens pour qu’ils sortent dans la rue et se débarrassent de Maduro. Un jour plus tard, l’opposition est descendue en masse dans les rues et il y a également eu de grandes contre-manifestations des partisans du gouvernement. Guaidó s’est auto-proclamé président par intérim. Il a été directement reconnu par les gouvernements des États-Unis, du Brésil et du Canada. La Russie, la Chine, la Turquie et le Mexique, un grand et important pays de la région, continuent de reconnaître Maduro. L’Europe a d’abord adopté une approche prudente, mais opte désormais aussi sans ambiguïté pour un changement de régime…

Et maintenant?

Il est peu probable que la reconnaissance de Guaidó par les États-Unis et d’autres pays fasse tomber le président Maduro. Mais cela peut conduire à une déstabilisation accrue du pays. La Maison-Blanche opte pour la stratégie du chaos, comme elle l’a déjà fait dans tant d’autres endroits.

La reconnaissance de Guaidó encouragera et renforcera l’opposition. Si Guaidó n’est pas autorisé à occuper la présidence, cela pourrait conduire à d’autres sanctions économiques occidentales. Les États-Unis envisagent actuellement d’interdire les importations de pétrole. Cela aurait de graves conséquences sur la situation financière du Venezuela et réduirait encore davantage la production pétrolière.

Même une intervention militaire étrangère n’est pas exclue. Avec l’élection récente du belliqueux Bolsonaro, une telle intervention des Etats-Unis pourrait être sous-traitée au Brésil, avec la Colombie, le Pérou et d’autres pays de la région.

Quoi qu’il en soit, l’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain tel que le font les États-Unis aujourd’hui se fait sans honte et à la vue de tous. Cela va à l’encontre des principes les plus élémentaires des Nations Unies.

L’impasse au Venezuela ne peut être résolue que par le dialogue national. Pour sa part, Maduro soutient l’appel au dialogue national lancé par les gouvernements uruguayen et mexicain. Toute interférence étrangère n’aura d’effet que d’augmenter la polarisation et la déstabilisation.

Marc Vandepitte

 

Traduit du néerlandais par André Crespin

Source : Journal Notre Amérique

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Les médias internationaux ont récemment fait les louanges du drone « invisible » russe S-70 Okhotnik, créé collectivement par Suhoi et MiG, avec des caractéristiques similaires au drone expérimental X-47B, testé par Northrop Grumman.

Ce drone a une masse de 20 tonnes, une vitesse maximale de 1 000 km / h, une autonomie de 3 000 km et est propulsé par un moteur réactif. La durée maximale de vol est de 7 heures.

Cependant, le détail le plus important est le concept dans lequel la Russie compte l’utiliser. Cet avion sans pilote S-70 ne sera pas utilisé dans les missions de reconnaissance, pour lesquelles la Russie dispose d’un drone spécialisé (Orion) capable de voler 24 heures sur 24 sans interruption et qui est similaire au MQ-1 / MQ-9 Reaper.

Un autre élément intéressant est que la Russie va passer à la production de su-57 en 2020, ce qui correspondra à la fin des essais en vol de l’Okhotnik. Les deux avions entreront ensemble en production en série.

Les sources du ministère de la défense de la Fédération de Russie ont indiqué que le S-70 ainsi que le su-57 seront utilisés lors de la première vague d’attaques sur la principale direction stratégique de défense des troupes terrestres russes. Environ 20 à 30 drones S-70 et 2 à 4 avions Su-57 vont assurer la suprématie aérienne dans un secteur restreint en créant un couloir sécurisé dans la défense anti-aérienne de l’ennemi. Leur mission consistera à frapper le réseau radar au sol et sur les navires, les batteries de missiles anti-aériens et les pistes des aérodromes ennemis.

L’Okhotnik a deux compartiments carénés dans lesquels il peut transporter 2 tonnes d’armes. Pendant 5 à 10 secondes, lorsque le S-70 ouvre les écoutilles pour lancer les munitions, il devient visible sur le radar. C’est la raison pour laquelle un Su-57 dans la configuration d’interception accompagne le groupe S-70 et couvre une zone de service aérien pendant la mission des drones S-70.

De nombreux équipements et solutions pour le radar « invisibilité » utilisé par l’Okhotnik proviennent du su-57. En fait, le su-57 a servi de banc d’essai pour les armes adaptées au S-70.

Pour l’annihilation des radars et des missiles anti-aériens, le drone Okhotnik a hérité du Su-57 les missiles supersoniques Kh-58UShK qui ont une portée de 260 km. Contre les cibles navales, l’Okhotnik peut lancer 4 missiles X-35UE, sur une distance maximale de 260 km. L’Okhotnik peut également utiliser 4 missiles de croisière mini-X-74M2 qui ont une vitesse de Mach 4 et une portée de 245 km. Le drone est armé de 8 bombes BetAB-150C pour mettre hors service les pistes d’aviation. Il peut être armé de huit bombes « intelligentes » KAB-250 pour les bunkers ou d’autres cibles.

 Valentin Vasilescu

Traduction AvicRéseau International

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La Colombie, une fausse promesse pour ceux qui quittent le Venezuela

janvier 29th, 2019 by Ulises Noyola Rodríguez

Dans sa campagne électorale, le Président colombien Iván Duque s’est engagé à maintenir la frontière avec le Venezuela ouverte pour aider les migrants vivant, a-t-il dit, une « crise humanitaire ». Actuellement, environ un million de Vénézuéliens résident en Colombie, mais près d’un quart d’entre eux sont présents illégalement. En tant que gouvernement néolibéral, le gouvernement n’apportera pas de solution aux problèmes des Vénézuéliens. Au contraire, les flux migratoires ne feront qu’exacerber le chômage et l’insécurité, entre autres problèmes.

Tout d’abord, le flux de migrants augmente dans un contexte critique de l’économie colombienne, de sorte que le gouvernement n’a pas la capacité d’accueillir des migrants vénézuéliens. Il convient de noter que près de la moitié des travailleurs colombiens travaillent dans le secteur informel, ce qui fait que les indicateurs de pauvreté sont dans un état alarmant. Les migrants partent donc pour essayer de changer leur statut économique, mais ils ne feront qu’aggraver la situation économique en Colombie.

Profitant de la crise vénézuélienne, les entreprises colombiennes embauchent des migrants vénézuéliens dans des conditions de travail effroyables. Par conséquent, les employeurs préfèrent embaucher des migrants en réduisant le nombre d’emplois formels pour les travailleurs colombiens. Dans l’administration actuelle, les migrants en situation régulière pourront compter sur les conseils du gouvernement pour améliorer leurs conditions de travail, mais cela ne résoudra pas les problèmes du marché du travail.

En effet, le nombre de Vénézuéliens sans papiers augmente si rapidement qu’il pourrait dépasser celui des migrants en situation régulière dans un court laps de temps. Parce qu’ils ne peuvent pas être employés formellement, les migrants sont obligés de trouver du travail dans le secteur informel en Colombie. Dans ce secteur, les Vénézuéliens sont plongés dans la misère car ils travaillent dans des activités informelles comme le commerce de rue, le travail domestique, la construction, entre autres choses. Par ailleurs, les familles colombiennes ne bénéficient plus des programmes sociaux du Chavisme.

Sans la citoyenneté colombienne, les familles vénézuéliennes n’ont pas accès aux services gratuits du gouvernement colombien comme l’éducation publique. Par exemple, les enfants de sans-papiers ne peuvent pas fréquenter une école publique ou bénéficier de programmes sociaux pour les étudiants colombiens. Dans ces conditions, les migrants vénézuéliens sont condamnés à vivre dans la marginalisation, étant donné qu’il n’y a aucune attente d’amélioration dans leur pays pour qu’ils puissent retourner dans leurs communautés.

Pour faire face à la crise, le gouvernement de Iván Duque reçoit des ressources économiques des États-Unis grâce à des subventions de l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID). Au cours des deux dernières années, le gouvernement a utilisé 46 millions de dollars pour aider les Vénézuéliens à traverser la frontière à la recherche de nourriture, d’eau et d’aide médicale. En outre, des églises, des organisations non gouvernementales et des groupes de bénévoles apportent également leur soutien, mais la réponse reste insuffisante pour répondre aux besoins des Vénézuéliens.

Pour ne citer que quelques cas, les Vénézuéliens ne peuvent obtenir de la nourriture que pour quelques jours dans les cuisines communautaires, de sorte que l’insécurité alimentaire n’est pas éradiquée. Pour passer la nuit, les rues sont occupées par des migrants qui deviennent démunis, car le gouvernement n’a pas installé un nombre suffisant d’abris dans plusieurs villes. En outre, l’assistance médicale ne peut être fournie qu’en cas d’urgence pour la population sans papiers, la laissant dans un état de vulnérabilité.

Vu le manque de financement, le Ministre colombien des Affaires Étrangères Carlos Holmes a demandé l’appui de l’Organisation des États Américains (OEA). En conséquence, les membres de l’organisation créeront une plate-forme financière soutenue par la Banque Mondiale, la Communauté Andine de Développement et l’Union Européenne pour faire face au problème des migrations. En s’alliant avec les États-Unis, le gouvernement ne sera pas en mesure d’offrir une solution durable aux Vénézuéliens. En intensifiant sa position interventionniste, le Président Iván Duque violera le droit international en s’ingérant dans les affaires intérieures du Venezuela.

Comme si cela ne suffisait pas, la xénophobie des Colombiens augmente et la population vénézuélienne est confrontée à diverses difficultés. Cela s’explique en partie par le fait que les Vénézuéliens sans papiers sont accusés d’avoir commis des vols qualifiés dans plusieurs villes telles que Cúcuta, Bogotá et Barranquilla. La population colombienne est de plus en plus opposée à l’accueil des migrants, de sorte que le conservatisme pourrait être renforcé et que les déportations augmenteraient. Dans ce scénario, les affrontements entre Colombiens et Vénézuéliens vont s’intensifier, une situation qui ne permettra pas de trouver une solution au problème de la migration.

En outre, l’insécurité s’est considérablement accrue après la signature des accords de paix avec les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). Lorsque les groupes de guérilla ont abandonné leurs zones d’influence, ils ont laissé les paramilitaires libres d’étendre leurs territoires dominés. Comme le gouvernement n’a pas réussi à protéger les groupes de guérilleros, ces groupes ont été et sont recrutés par les paramilitaires. Les migrants ne sont plus du tout protégés des paramilitaires, qui traversent la frontière par des zones conflictuelles appelées « sentiers » où prédominent le trafic de drogue, le trafic d’êtres humains et la vente illégale d’armes.

D’autre part, les paramilitaires ont réussi à corrompre le système politique pour que la population colombienne n’ait pas le soutien de l’État pour éliminer la violence. Pour ne citer que quelques points, les paramilitaires ont financé des candidatures présidentielles, fourni un soutien économique disproportionné aux membres du Congrès et contrôlé les institutions judiciaires afin que leurs crimes restent impunis. Pour la société colombienne, cela a rendu impossible la tenue d’élections démocratiques qui soient légitimes, transparentes et équitables pour les candidats.

De même, le renforcement des groupes paramilitaires constitue une menace pour le peuple vénézuélien. Dans les villes frontalières, les paramilitaires ont formé des groupes vénézuéliens qui ont déstabilisé les manifestations par des attaques contre la police. En conséquence, les paramilitaires ont causé la mort de manifestants et les Vénézuéliens ont peur de protester pacifiquement dans les marches. En outre, le gouvernement vénézuélien a accusé ces groupes d’avoir perpétré l’attaque contre le Président Nicolás Maduro au milieu de l’année dernière, ce qui a montré clairement l’intention des politiciens vénézuéliens et colombiens de mener un coup d’État.

En conclusion, la crise de l’immigration vénézuélienne ne sera pas résolue du tout avec les mesures mises en œuvre par le gouvernement de Iván Duque. Les migrants subiront les mêmes épreuves que les Colombiens et le conservatisme de la société colombienne sera renforcé. Pour résoudre le problème, les gouvernements sud-américains devraient adopter un programme progressiste afin d’arrêter les flux migratoires et, en même temps, offrir des opportunités aux Vénézuéliens.

Ulises Noyola Rodríguez

Colaborador del Centro de Investigación sobre la Globalización.

Article original en espagnol : Colombia, una falsa promesa para quienes abandonan Venezuela, Alai, le 24 janvier 2019.

Traduit par Pascal, revu par Martha pour Réseau International

Dans le cadre d’une frappe pour la  » démocratie « , les Etats-Unis et leurs lèche-bottes aux quatre coins du monde ont officiellement reconnu Juan Guaido, dont personne n’avait jamais entendu parler avant qu’il n’annonce s’être auto-proclamé comme nouveau président du Venezuela. « Aujourd’hui, a déclaré Mike Pompeo au Conseil de sécurité de l’ONU, il est temps que tous les autres pays choisissent leur camp. Fini les tergiversations, on ne joue plus. Soit vous êtes aux côtés des forces de la liberté, soit vous êtes de mèche avec Maduro et son bazar. »

« Nous appelons tous les membres du Conseil de sécurité à soutenir la transition démocratique du Venezuela et le rôle du Président par intérim Guaido dans cette transition »

(Marine Le Pen (à gauche), Juan Guaido (à droite). Images reproduites avec l’aimable autorisation de Daily Express / Euronews)

Par « transition démocratique », Pomeo veut dire « coup d’État orchestré par les États-Unis ». C’est une vieille histoire dont les origines remontent au début du XIXe siècle, lorsque le président américain James Monroe, dans son discours sur l’état de l’Union de 1823, a décrit ce qui allait devenir la doctrine Monroe. Sous prétexte de soutenir la souveraineté des États latino-américains et de s’opposer au colonialisme européen, Monroe a en effet défini l’Amérique latine comme un domaine appartenant aux États-Unis – ou  » notre arrière-cour « , comme certains politiciens aiment à le dire. Après avoir noté que les Etats-Unis avaient jusqu’à présent refusé de s’intéresser aux « guerres des puissances européennes dans les affaires où elles étaient les seules concernées », Monroe a déclaré :

« Ce n’est que lorsque nos droits sont bafoués ou sérieusement menacés que nous nous sentons blessés ou que nous nous préparons à nous défendre. Avec ce qui se passe dans cet hémisphère, nous sommes, par nécessité, immédiatement plus concernés, et par des causes qui doivent être évidentes pour tous les observateurs éclairés et impartiaux… Nous devons donc, pour maintenir la sincérité dans les relations amicales existant entre les Etats-Unis et ces pouvoirs, déclarer que nous considérerons comme dangereux pour notre paix et notre sécurité toute tentative de leur part d’étendre leur système dans quelque partie que ce soit de cet hémisphère ».

En d’autres termes, les États-Unis se réservaient le droit de se mêler des affaires des pays d’Amérique latine tant qu’ils sentaient que leurs intérêts étaient en jeu. L’essence de la doctrine réside dans son imprécision : elle pourrait être, et est, invoquée pour justifier à peu près n’importe quoi. Par coïncidence, c’est en 1823 que débute la carrière politique de James K. Polk à la Chambre des représentants du Tennessee. À la fin de sa présidence (1849), les États-Unis avaient arraché le Texas et la Californie au Mexique, ce pays terrible et menaçant contre lequel le mur de Trump va nous protéger.

Hawaï est venu ensuite. Puis, comme l’a écrit Gore Vidal en 1986, « d’une manière ou d’une autre il fallait libérer la colonie Cuba de la tyrannie espagnole ». Voici comment :

« Un navire de guerre américain, le Maine, a explosé dans le port de La Havane. Nous en avons tenu l’Espagne responsable ; nous avons donc obtenu ce que John Hay appelait « une magnifique petite guerre ». Nous allions libérer Cuba, chasser l’Espagne des Caraïbes. Quant au Pacifique, avant même le naufrage du Maine, Roosevelt avait ordonné au commodore Dewey et à sa flotte de se rendre aux Philippines espagnoles, au cas où. L’Espagne s’est rapidement effondrée et nous avons hérité de ses colonies du Pacifique et des Caraïbes ».

L’empire est né. Nous aurons ensuite occupé et colonisé les Philippines pendant plus de quarante ans, pour finalement leur accorder leur indépendance en 1946. C’est à ce moment que le vrai plaisir a commencé. Les États-Unis ont émergé de la Seconde Guerre Mondiale en tant que superpuissance économique, militaire et idéologique sans égale. Il fallait que cela continue ainsi. La doctrine de Monroe a été étendue au monde entier. Nous nous réservons maintenant le droit d’intervenir quand et où nos intérêts (c’est-à-dire la domination mondiale) sont perçus comme menacés. Cela comprenait le Moyen-Orient et l’Indochine, mais toujours principalement l’Amérique latine.

En 1954, nous avons renversé le président élu du Guatemala et l’avons remplacé par un dictateur militaire. En 1961, nous avons envahi Cuba, avons échoué et avons ensuite conçu de nombreux complots pour déstabiliser, renverser ou tout simplement assassiner Fidel Castro, qui a vécu miraculeusement jusqu’en 2016. En 1960, nous avons commencé à subvertir l’Équateur ; Trois ans et deux coups d’état plus tard, une junte militaire suffisamment anticommuniste accéda au pouvoir. En 1962, la CIA organisa un coup d’Etat contre le président de gauche de la République dominicaine. Lorsque le régime du coup d’Etat qui en a résulté a été contesté par un soulèvement populaire, les États-Unis ont envahi l’île, pas pour la première fois.

« L’autre (ou le premier) 11 septembre » a eu lieu au Chili en 1973, lorsque le dirigeant socialiste de ce pays a été destitué par un coup d’État parrainé par les États-Unis, « se suicidant » dans le palais présidentiel. Le chef de l’armée, Augusto Pinochet, a saisi le trône et terrorisé la population pendant dix-sept ans. Le Chili n’a pas été le premier rodéo de Nixon : deux ans plus tôt, il avait dirigé un coup d’État militaire en Bolivie, au cours duquel un dictateur de droite remplaçait le président de gauche élu.

Citant explicitement la doctrine Monroe, Ronald Reagan a combattu par procuration contre le gouvernement sandiniste du Nicaragua, apportant un soutien matériel et idéologique à la coalition « Contras », une coalition de groupes terroristes de droite. En 1984, le Congrès a adopté un projet de loi interdisant aux États-Unis d’aider les opposants à quelque titre que ce soit. Reagan prit de l’avance. Son administration a commencé à financer les Contras en secret, menant au scandale Iran-Contra. Reagan n’a pas non plus été découragé par la décision de la Cour internationale de Justice de 1986 selon laquelle les États-Unis avaient « violé leurs obligations en vertu du droit international coutumier de ne pas utiliser la force contre un autre État, de ne pas intervenir dans ses affaires, de ne pas violer sa souveraineté et de ne pas  » interrompre le commerce maritime pacifique « .

Reagan a également formé, financé et armé des forces de sécurité, notamment des escadrons de la mort, à El Salvador en vue de réprimer l’insurrection de gauche.

Il est évident que Russia-gate est un acte massif de projection psychologique.

Retour au Venezuela. Hugo Chavez a été élu président en 1998 sur une plate-forme de réforme démocratique et économique. Ses engagements à éradiquer la corruption, à redistribuer les richesses et à utiliser les ressources naturelles du Venezuela au profit du peuple vénézuélien, par opposition aux multinationales, l’ont rendu extrêmement populaire auprès des classes populaires et méprisé par tous les autres, notamment les scélérats de Washington. Les documents officiels prouvent que le gouvernement américain était au courant, au moins une semaine à l’avance, du complot d’avril 2002 visant à renverser Chavez. On ignore si la CIA a participé ou non à l’opération avortée (bien que ce soit extrêmement probable compte tenu de l’historique cité plus haut). Dans les deux cas, l’administration Bush a tacitement soutenu le coup d’Etat, affirmant que « les actes non démocratiques commis ou encouragés par l’administration Chavez » en étaient responsables.

Dix-sept ans plus tard, le gouvernement américain est un peu plus audacieux, exprimant explicitement son soutien à un coup d’État qui n’a même pas encore eu lieu. Juan Guaido se dit président, ce serait comme si Marine Le Pen se déclarait présidente de la France dans le chaos des manifestations des Gilets Jaunes. Les médias américains, naturellement excités par la perspective d’un coup d’Etat de droite dans un pays d’Amérique latine, soulignent que le taux d’approbation de Nicolas Maduro oscille autour de 25 %. Comme celui d’Emmanuel Macron. Washington soutiendrait-il un coup d’État à Paris ? Ou accuserait-il plutôt les Russes ?

La guerre américaine au Venezuela dure depuis deux décennies. La seule surprise est qu’il a fallu autant de temps pour arriver à une tête. Souvenez-vous, Barack Obama a qualifié le Venezuela de « menace contre la sécurité nationale » avant d’imposer des sanctions unilatérales en 2015, ce qui nous indique que la « sécurité nationale » a été officiellement redéfinie pour signifier « les bénéfices des entreprises » ; aussi que la doctrine de Monroe est bien vivante. La semaine dernière, lorsqu’on lui a demandé comment Trump pouvait dénoncer l’autoritarisme de Maduro tout en admirant ouvertement d’autres « hommes forts », la seule et unique non-réponse de John Bolton a été : « Le fait est que le Venezuela est dans notre hémisphère. Je pense que nous avons une responsabilité particulière à cet égard, et je pense que le président en est fortement convaincu « .

Si fortement, en fait, qu’il aurait rendu Lindsey Graham nerveux. Graham, l’un des plus grands jingos du Business, a déclaré à Axios que « Trump est vraiment un belliciste » au sujet du Venezuela, ajoutant que Trump avait lancé l’idée d’utiliser la force militaire dans une conversation privée. Dérangeant, mais pas nouveau. Trump a répété à plusieurs reprises que « toutes les options sont sur la table » concernant le Venezuela, et le New York Times a rapporté en septembre dernier que les voyous de Trump avaient rencontré des officiers mutins vénézuéliens pour discuter d’un potentiel coup d’état militaire contre Maduro.

Pendant ce temps, à Caracas, le « président » Juan Guaido envisage de faire une demande de prêt auprès du Fonds monétaire international pour l’aider à mettre en place sa nouvelle administration (sans condition). Il prend également des mesures pour prendre le contrôle et privatiser l’industrie pétrolière vénézuélienne, une ligne de conduite très démocratique qui n’est pas du tout motivée par le désir de gagner la faveur de ses nouveaux amis à Washington. En fin de compte, nous voulons simplement la paix, la justice et la démocratie pour le peuple vénézuélien : le fait que son pays possède les plus grandes réserves de pétrole de la planète est une pure coïncidence. Nous le jurons !

Michael Howard

 

Article original en anglais : If Guaido Can Elect Himself President, Why Can’t Le Pen?, Tribune, le 28 janvier 2019

Traduction AvicRéseau International

Lire également :

Coup d’Etat en cours au Venezuela

Par Romain Migus, 25 janvier 2019

 

Sélections d’articles :

XIème mobilisation spectaculaire des Gilets-Jaunes: revendication d’un véritable «référendum d’initiative citoyenne» dans la Constitution, une demande majeure des citoyens

Par Jean-Yves Jézéquel, 27 janvier 2019

L’introduction d’un véritable « référendum d’initiative citoyenne », dans la Constitution, est aujourd’hui une demande majeure des citoyens qui étaient plus de 300.000 dans la rue, lors de cette XIème mobilisation des Gilets-jaunes, le samedi 26 janvier 2019.

 

Propagande contre le Venezuela 

Par Romain Migus, 28 janvier 2019

Le président français, Emmanuel Macron, ordonne á Nicolas Maduro de ne pas réprimer l’opposition MAIS IL OUBLIE les 3.300 arrestations, les 2000 blessés et les 8 morts liés à la répression du mouvement des gilets jaunes.

 

Emmanuel Macron, Pedro Sánchez, Angela Merkel, Theresa May n’ont aucun droit de poser un ultimatum au Venezuela

Par Eric Toussaint, 28 janvier 2019

Samedi 26 janvier 2019, Emmanuel Macron, Pedro Sánchez, Angela Merkel, suivis par Theresa May ont donné 8 jours au gouvernement du Venezuela pour convoquer des élections. Passé ce délai si le gouvernement vénézuélien ne se plie pas à cette injonction, Macron, Sanchez, Merkel et May annoncent qu’ils reconnaîtront Juan Guaidó qui s’est autoproclamé président du Venezuela le 23 janvier 2019.

 

Pourquoi les Français veulent la démocratie?

Par Jean-Yves Jézéquel, 29 janvier 2019

Depuis le début de la mobilisation des Gilets-jaunes, jusqu’à ce jour : le 29 janvier 2019, le Régime dictatorial macronien tyrannisant actuellement la France,  totalise à son actif  plus de 10.000 interpellations ; plus de 5600 gardes-à-vue ; plus de 1000 condamnations ; plus de 2000 blessés ; plus de 100 blessés graves … et 12 morts!  Ce bilan est monstrueux, pourtant les USA n’ont pas demandé d’urgence la réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU pour voter une intervention de la Communauté Internationale…

 

Venezuela, putsch de l’État profond

Par Manlio Dinucci, 29 janvier 2019

L’annonce du président Trump, qui reconnaît Juan Guaidó comme “président légitime” du Venezuela a été préparée dans une cabine de régie souterraine à l’intérieur du Congrès et de la Maison Blanche. C’est ce que décrit en détail le New York Times. Principal opérateur, le sénateur républicain de Floride Marco Rubio, “virtuel secrétaire d’état pour l’Amérique Latine, qui conduit et articule la stratégie de l’Administration dans la région”, en liaison avec le vice-président Mike Pence et le conseiller pour la sécurité nationale John Bolton.

 

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Venezuela, putsch de l’État profond

janvier 29th, 2019 by Manlio Dinucci

L’annonce du président Trump, qui reconnaît Juan Guaidó comme “président légitime” du Venezuela a été préparée dans une cabine de régie souterraine à l’intérieur du Congrès et de la Maison Blanche.

C’est ce que décrit en détail le New York Times (26 janvier). Principal opérateur, le sénateur républicain de Floride Marco Rubio, “virtuel secrétaire d’état pour l’Amérique Latine, qui conduit et articule la stratégie de l’Administration dans la région”, en liaison avec le vice-président Mike Pence et le conseiller pour la sécurité nationale John Bolton.

Le 22 janvier, à la Maison Blanche, les trois ont présenté leur plan au président, qui l’a accepté. Immédiatement après -rapporte le New York Times– “Mr Pence a appelé Mr Guaidó et lui a dit que les États-Unis l’appuieraient s’il réclamait la présidence”.

Le vice-président Pence a ensuite diffusé au Venezuela un message vidéo dans lequel il appelait les manifestants à “faire entendre votre voix demain” et assurait “au nom du président Trump et du peuple américain : estamos con ustedes, nous sommes avec vous tant que ne sera pas restaurée la démocratie”, en définissant Maduro comme “un dictateur qui n’a jamais obtenu la présidence dans des élections libres”.

Le lendemain Trump a officiellement couronné Guaidó “président du Venezuela”, bien que celui-ci n’ait pas participé aux élections présidentielles de mai 2018, lesquelles, boycottées par l’opposition qui savait qu’elle les perdrait, ont décrété la victoire de Maduro, sous la surveillance de nombreux observateurs internationaux.

Ces coulisses révèlent que les décisions politiques sont prises aux États-Unis avant tout dans l’”État profond”, centre souterrain du pouvoir réel détenu par les oligarchies économiques, financières et militaires. Ce sont elles qui ont décidé de renverser l’État vénézuélien. Celui-ci possède, outre de grandes réserves de minerais précieux, les plus grandes réserves pétrolifères du monde, estimées à plus de 300 milliards de barils, six fois supérieures aux étasuniennes.

Pour se soustraire à l’étau des sanctions, qui vont jusqu’à empêcher le Venezuela d’encaisser les dollars provenant da la vente de pétrole aux États-Unis, Caracas a décidé de coter le prix de vente du pétrole non plus en dollars USA mais en yuans chinois. Manoeuvre qui met en danger le pouvoir exorbitant des pétrodollars. D’où la décision des oligarchies étasuniennes d’accélérer les délais pour renverser l’état vénézuélien et s’emparer de sa richesse pétrolifère, nécessaire immédiatement non pas comme source énergétique pour les USA, mais comme instrument stratégique de contrôle du marché énergétique mondial dans une fonction anti-Russie et anti-Chine.

À cet effet, par des sanctions et sabotages, a été aggravée au Venezuela la pénurie de biens de première nécessité afin d’alimenter le mécontentement populaire. On a intensifié simultanément la pénétration d’”organisations non-gouvernementales” USA : par exemple, la National Endowment for Democracy a financé en une année au Venezuela plus de 40 projets sur la “défense des droits de l’homme et de la démocratie”, chacun avec des dizaines ou centaines de milliers de dollars.

Comme le gouvernement continue à avoir l’appui de la majorité, quelque grosse provocation est certainement en préparation pour déclencher à l’intérieur la guerre civile et ouvrir la voie à une intervention de l’extérieur. Avec la complicité de l’Union européenne qui, après avoir bloqué en Belgique des fonds publics vénézuéliens d’une valeur de 1,2 milliards de dollars, lance à Caracas l’ultimatum (avec l’accord du gouvernement italien) pour de nouvelles élections. Sous le contrôle de Federica Mogherini, celle-là même qui l’an dernier a refusé l’invitation de Maduro d’aller surveiller les élections présidentielles.

Manlio Dinucci

 

Article original en italien :

Venezuela, golpe dello Stato profondo

Édition de mardi 29 janvier 2018 deil manifesto
https://ilmanifesto.it/venezuela-golpe-dello-stato-profondo/

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

VIDÉO (PandoraTV) avec sous-titres en français :

Pourquoi les Français veulent la démocratie?

janvier 29th, 2019 by Jean-Yves Jézéquel

Lorsqu’on examine les faits concernant l’actualité française, il est simple de comprendre les raisons qui poussent les Français à vouloir enfin la démocratie! 

Samedi 26 janvier 2019, lors de la XIème mobilisation des Gilets-jaunes, les Français en colère scandaient avec le traditionnel « Macron démission », « France/Venezuela : même combat »!

Depuis le début de la mobilisation des Gilets-jaunes, jusqu’à ce jour : le 29 janvier 2019, le Régime dictatorial macronien tyrannisant actuellement la France, totalise à son actif  plus de 10.000 interpellations ; plus de 5600 gardes-à-vue ; plus de 1000 condamnations ; plus de 2000 blessés ; plus de 100 blessés graves : éborgnés, mutilés, membres brisés et 12 morts! 

Ce bilan est monstrueux, pourtant les USA n’ont pas demandé d’urgence la réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU pour voter une intervention de la Communauté Internationale en faveur du peuple Français martyr de la dictature fasciste macronienne! Personne n’a déclaré que le peuple Français « avait le droit à sa libre autodétermination démocratique »! Pourtant 80% des Français soutiennent le mouvement des Gilets-jaunes. Le même pourcentage veut et réclame le « Référendum d’Initiative Citoyenne » en toutes matières, inscrit dans la Constitution!

Macron a twitté, à l’occasion du coup d’Etat au Venezuela :

«Depuis l’élection illégitime de Nicolas Maduro en mai 2018, l’Europe soutient la restauration de la démocratie. Je salue le courage des centaines de milliers de Vénézuéliens qui marchent pour leur liberté»!

C’est précisément ce que font les Français de leur côté – à la différence que les « centaines de milliers de Vénézuéliens » en question, marchent pour soutenir Maduro et la Révolution Bolivarienne attaqués par les chacals de la perversion ultra libérale et néo colonialiste – tandis que les Français marchent quant à eux pour la démission de Macron et l’instauration d’une démocratie directe participative. Macron, quant à lui, ne félicite pas les Français pour leur courage, puisqu’ils ne marchent pas pour soutenir sa politique: bien au contraire, il les traite de « foule haineuse » et s’interroge en se demandant à quel peuple appartiennent les Gilets-jaunes!

De son côté, Jean-Yves Le Drian, appelait «fermement» Nicolas Maduro à «s’interdire toute forme de répression de l’opposition, tout usage de la violence contre des manifestants pacifiques».

Pourtant, on peut le prendre au mot : c’est ce que fait très exactement cette équipe de pervers au pouvoir, contre le peuple Français qui manifeste pacifiquement! Pourquoi Le Drian n’adresse-t-il pas le même « avertissement » et la même « menace » à ce Régime macronien en place? Certes, il en fait partie lui-même, mais où donc est passée la cohérence de ces gens privés du basic bon sens des gens normalement constitués?

C’est vraiment le monde à l’envers! Que se passe-t-il donc en France depuis le 17 novembre 2018? C’est justement, concernant la macronie, ce qui est précisément reproché à Maduro, mot pour mot par la macronie! Ces gens sont-ils sincères, se rendent-ils compte de l’incohérence de leurs propos? Comment ne voient-ils pas l’extrême odieux de leurs paroles déplacées de « deux poids deux mesures »? Comment se permettent-ils de désigner « la paille qui est dans l’œil du voisin pendant qu’eux-mêmes ont une poutre dans le leur »? Comment cet aveuglement tranquille est-il possible pour ces gens-là, qu’il faut bien qualifier de pervers? 

Macron est contesté par une majorité de Français. Il a été élu au final par 28% des Français inscrits sur les listes électorales et 18 mois plus tard, il est prié de donner sa démission par 80% de Français qui n’en peuvent plus d’être abusés par le mensonge des oligarques ultra libéraux aux ordres de la Haute Finance Internationale qui domine l’UE. La révolte sociale et politique des Gilets-jaunes exige plusieurs choses fondamentales, comme nous l’analysons depuis le 31 décembre 2018, notamment le RIC et son corollaire obligatoire : la destitution de Macron. Que signifie donc la comédie burlesque de ces dirigeants qui ne sont pas capables de rectitude morale pour eux-mêmes? Comment les Français pourraient les prendre au sérieux? Ils sont disqualifiés et discrédités.

La seule réponse adéquate que je trouve à toutes ces questions sur l’incohérence des paroles et du comportement de la macronie, c’est la « perversion », c’est-à-dire la pathologie psychotique qui reste la seule explication plausible d’un tel comportement qui serait incompréhensible sans ce diagnostic.

Mais ce n’est pas tout, dans l’ordre de ce chapitre sur la « perversion » de la macronie au pouvoir. Généralement la pathologie incarnée dans des individus n’a pas le sens de la limite, et cela d’autant plus s’il est question d’une « pathologie psychotique » caractérisée de ce pouvoir « fantoche » qui se permet réellement un comportement en soi, radicalement inacceptable pour nos institution républicaines. Ce que nous venons d’apprendre par un article de Médiapart, sur ce qui s’est passé en coulisse au sujet du « Grand Débat National », révèle à nouveau le dépassement de la limite par le régime macronien en place.

Il faut savoir que la CNDP (Commission Nationale du Débat Public), créée en 1995 par la loi Barnier, assure l’impartialité et la neutralité des débats publics en France. Sans surprise, Emmanuel Macron s’est formellement opposé à ce que le CNDP puisse jouer son rôle légal à l’occasion du « Grand Débat », et c’est la raison pour laquelle la présidente de cette Institution, Chantal Jouanno, a estimé que « les conditions d’un grand débat démocratique n’étaient pas réunies. »

C’est pour cette raison qu’elle donnait sa démission et non pas pour une obscure histoire de salaire qui a été montée en épingle pour étouffer les vraies raisons données par Chantal Jouanno. L’image de Chantal Jouanno a été traînée dans la boue, gratuitement, en agitant ce chiffon rouge d’un salaire indécent, alors que sa rémunération dépend d’un décret qui dépend lui-même de la gestion assurée par la puissance publique. 

La macronie et son régime, manipulent sans scrupules, non seulement la vérité, mais carrément les Institutions de la République. L’Elysée et Matignon ont donc transformé ouvertement le « Grand Débat » en « campagne de communication » au profit exclusif du squatteur de l’Élysée.

Ce qu’il faut savoir en résumé sur cette affaire de démission de Chantal Jouanno, c’est que le régime macronien en place a tenté de faire pression, de manière d’ailleurs parfaitement odieuse et digne de sa perversion chronique, sur la présidente du CNDP en cherchant à la manipuler et à la convaincre de trahir sa mission. Autant l’Elysée que Matignon lui suggéraient de détourner les règles de la Commission pour organiser ce « Grand Débat » selon les critères du jeu pipé par les tyrans au pouvoir. Le constat des manipulations était tellement inacceptable que Chantal Jouanno a déclaré qu’il était impossible d’organiser dans de telles conditions un débat digne de la démocratie. J’invite les lecteurs à lire l’article de Médiapart pour avoir le détail de cette affaire scandaleuse.

https://drive.google.com/file/d/1pDRSS25sl203BPA0JIMNnlOtaAwMJCqb/view?usp=sharing

Après le lynchage arbitraire de sa personne, organisé par la macronie, Chantal Jouanno a décidé de restaurer la vérité en déclarant l’ensemble des faits au journal Médiapart et nous découvrons maintenant, sans surprise, un symptôme de plus à la psycho pathologie de ce régime pervers en place. Nous avons donc aujourd’hui un plan ou plutôt une grille d’enfermement qui centralise 4 thèmes desquels on ne peut pas sortir. Des questions sont posées pour chaque thème, auxquelles le citoyen, jouant le jeu pipé, doit répondre rigoureusement. Rien de cette parodie de débat n’est acceptable. Aucun débat ne peut avoir lieu dans un tel cadre figé et déterminant le sens des réponses selon la manière dont les questions sont posées. On peut dire que ce détournement est une forme de mépris, une arrogance de plus, la manière de nier ouvertement la volonté démocratique de 80% des Français. C’est le peuple qui est ouvertement nié. Rappelons que le peuple est identifiable lorsqu’on sait qu’il est constitué par la population sur laquelle s’exerce le pouvoir. Il est inutile d’ergoter mesquinement sur le concept de « peuple », car nous savons parfaitement que tous les citoyens, même ceux qui détiennent le pouvoir, font partie du peuple. Cependant, il est parfaitement légitime de faire la distinction entre le « peuple » sur lequel s’exerce le pouvoir et les tenants du Pouvoir, car précisément, le Pouvoir est une perversion : il ne devrait pas exister; le Pouvoir n’a aucune espèce de légitimité; il est un détournement de l’exercice de l’autorité qui ne détient aucun pouvoir. Celui qui est chargé d’exercer l’autorité ne détient pas un pouvoir quelconque sur ses concitoyens: il est au service de ses concitoyens qui contrôlent sa façon d’exercer cette autorité qui elle-même n’a pas d’autre sens que celui de veiller aux intérêts du bien commun. 

Ce droit que s’octroie le régime macronien de « casser du Gilet-jaune » en réalisant cette exceptionnelle hécatombe dont nous avons fait le bilan en commençant cet article, est illégal, illégitime, hors-la-loi, dictatorial, pervers, haineux et relevant de la pathologie individuelle de ces gens qui se sont illégitimement emparés d’un pouvoir que personne ne leur a donné.

Cette nouvelle histoire de détournement de ce que la loi avait prévu en instituant le CNDP; ce contournement pervers des institutions républicaines pour arriver à ses fins de manipulations, était une nouvelle manifestation du mépris et de l’arrogance devenus la caractéristique de Macron aux yeux des Français. Lorsqu’on se rend sur le site qui est chargé de récolter vos réponses télécommandées par le carcan opératif mis en place, on est vite dissuadé de continuer tant l’exercice tourne à la comédie pathétique de la bouffonnerie du régime macronien ayant concocté cette parodie de débat!

Non content d’avoir affiché autant de perversions en si peu de temps, la macronie allait enfin organiser les bases de la guerre civile en France, en inaugurant la manifestation des foulards rouges!

Il est nécessaire de comprendre que ces fausses manifestations de soutien au régime macronien maastrichtien manipulées et « guidées par les services de l’appareil d’État pour contrer des protestations populaires », écrit Strategika51, avec l’argent des contribuables, seront certainement suivies de manifestations directement dirigées contre les Gilets-jaunes. Ce qui est entrain de se mettre en place, sans en avoir l’air, c’est un conflit volontairement voulu entre le petit groupe des privilégiés du système macron maastrichtien et les 80% de Français qui veulent la démocratie.

Il est inutile de dire que le discours entendu de la bouche de ces foulards rouges, était consternant; consternant d’ignorance; consternant de raccourcis frisant l’arriération mentale; consternant par la teneur du mensonge et de la vision bornée de ce que sont la démocratie et la République; consternant par la répétition stupide du discours anti Poutine des perroquets du système qui amalgament allègrement manipulation médiatique, guerre psychologique, préjugés naïfs et ignorance crasse! Bref, un portrait à faire vomir de ce qu’il y a de plus minable en France! Pour les « foulards rouges » en question, les « Gilets-jaunes sont tous des fachos d’extrême droite », des gens qui « menacent la démocratie ». Pour ceux qui se sont exprimés aux micros des journalistes, « la répression n’était pas assez sévère »! Bref, on retrouvait là le fond de la pensée typique de la macronie bien synthétisée dans la réflexion de Luc Ferry qui en appelait à encourager la police à tirer à balles réelles sur les Gilets-jaunes. Ce genre de propos est sidérant pour des gens normalement développés avec une conscience éveillée et ouverte sur la priorité de l’humain dans l’organisation  de notre communauté de destin. On se demande d’où provient cette intolérance, et par conséquent cette violence barbare d’un Luc Ferry et de tous ceux qui à son image croupissent dans cet esprit sectaire d’une caste de privilégiés crispée sur ses privilèges et prête aux crimes de masses sans la moindre hésitation, pour conserver leur place de profiteurs d’en haut? 

La réponse là aussi est dans le diagnostic de la pathologie s’expliquant par la manière de réagir face à l’angoisse de pouvoir perdre brutalement, s’il fallait partager, tout ce qui avait assuré la richesse apportant avec elle le confort d’une vie facile, d’un pouvoir d’achat grassement assuré, d’une vie insouciante de nantis. La pathologie des riches privilégiés par les cadeaux de Macron, est liée à la peur d’avoir tout à perdre un jour. Le pauvre n’a rien à perdre, et pour cela il ne craint donc rien, mais le riche a tout à perdre si le pauvre en venait à ne plus vouloir rester pauvre, et pour cela il vit dans la crainte de perdre tragiquement ses privilèges. Il se met donc à crier avec son foulard rouge, comme pour attirer à lui le taureau avant l’estocade finale de la mise à mort, «qu’il faut sauver la démocratie et la République», de la même manière que les étasuniens disent vouloir sauver la démocratie et la liberté des peuples en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, en Ukraine, au Venezuela… 

Les cervelles de manipulateurs sont à l’ouvrage et ils deviennent omniprésents sur tous les médias au service de la cause ultra libérale et maastrichtienne de la dictature Bruxelloise. Mais « rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue » (Victor Hugo) Cette idée est celle de la démocratie qui jusqu’à maintenant n’avait pas encore existée en France. La démocratie implique réellement une «liberté, une égalité, une fraternité», donc une communauté de destin qui unit un peuple tout entier dans un idéal humaniste contraire et incompatible avec les privilèges de classes et de castes.

Jean-Yves Jézéquel 

 

Le 24 janvier 2019, une équipe d’enquête sur le terrain s’est déplacée jusqu’à la station de police de Pujehun pour écouter le témoignage des épreuves vécues par les membres des communautés touchées.

Les organisations de la société civile (OSC) travaillant sur la gouvernance foncière et les droits humains en Sierra Leone et au niveau international sont préoccupées par l’usage excessif de la force par la sécurité de l’Etat depuis ce lundi 21 janvier 2019 dans la chefferie de Malen, district de Pujehun, où deux personnes, Mohamed Ansumana et Mustapha, auraient été tuées par balle. Les affrontements qui ont suivi ont vu des dizaines d’habitants de Malen fuir leurs foyers. Les informations reçues de villageois en fuite indiquent que certaines personnes auraient aussi été tuées dans les bois des environs à la suite des coups de feu. Environ quatre-vingts personnes, dont des femmes et des enfants fuyant leurs villages, ont été aperçues dans le village de Kassey, parmi lesquelles: Hawa, Aminata, Isata, Kona et Katimu. De nombreuses personnes auraient été blessées suite aux actions des forces de l’ordre. Les villages assiégés de la chefferie de Malen sont maintenant sous couvre-feu de 18h à 6h du matin depuis le 21 janvier 2019, ce qui restreint encore leurs libertés fondamentales.

Ces graves incidents surviennent alors que les communautés touchées par le conflit foncier à Malen entrevoyaient enfin une solution possible pour résoudre le conflit, à la suite des promesses électorales faites par le nouveau président Maada Bio et des efforts de dialogue du gouvernement ces derniers mois. En effet, dès l’arrivée de SOCFIN dans la chefferie en 2011 et suite à la cession de plus des deux tiers des terres (18 473 ha) qui seront converties par la société en monoculture d’huile de palme, touchant 52 villages, les communautés ont constamment dénoncé les violations et abus des droits humains : manque de consultation des propriétaires fonciers avant la transaction, manque de transparence, corruption, conditions de travail extrêmement mauvaises dans les plantations de SOCFIN, impact sur leur droit à une alimentation adéquate, destruction de leurs moyens de subsistance et impact environnemental négatif.

Ces derniers mois ont ravivé l’espoir des communautés de trouver une solution, mais aussi les tensions, surtout en lien avec les conditions de travail qui ne s’améliorent pas et qui ne permettent pas aux familles affectéesbn de subvenir à leurs besoins avec dignité. C’est pourquoi les travailleurs se sont mis en grève à plusieurs reprises, en juillet et en octobre 2018. C’est à la suite de la dernière grève déclenchée vendredi dernier, le 18 janvier 2019, que les tensions ont atteint le niveau mentionné.

Les rapports parvenant aux OSC indiquent que deux travailleurs de SOCFIN (noms au dossier) ont été vus accompagnant les forces de l’ordre qui auraient fait des descentes chez de simples habitants des communautés. Une descente de nuit a notamment eu lieu dans le village de Banaleh au cours de laquelle les forces de l’ordre auraient battu et malmené des habitants sans discernement. Une femme (noms au dossier) aurait perdu dix « batas » d’huile de palme. Nombre d’entre eux ont fui vers les villages avoisinants pour y chercher refuge.

Le 21 janvier 2019, à 19 heures, les forces de l’ordre auraient à nouveau fait une descente dans le village de Gbombu où des maisons auraient été attaquées et un nombre indéterminé de personnes auraient été battues et malmenées tandis que d’autres, Sorh Kudor, Abu D9 et un Momoh, étaient arrêtés et conduits à Sahn Malen. La brutalité utilisée par les forces de l’ordre de l’Etat est sans précédant depuis le début du conflit foncier sévissant dans la chefferie, suite à l’arrivée de SOCFIN Agricultural Company (SAC), dont la concessions s’étend du Bas-Malen à Bendu et Nganyahun dans le Haut-Malen. Des témoins oculaires ont identifié le véhicule de sécurité n°19 de SOCFIN qui transportait le personnel de sécurité de l’État pendant les raids.

Quinze personnes, y compris l’Honorable Shiaka Musa Sama, Membre du Parlement et originaire de la zone touchée, ont été arrêtées et se trouvent actuellement au Département des enquêtes criminelles à Freetown. (Photo : GRAIN)Quinze personnes, y compris l’Honorable Shiaka Musa Sama, Membre du Parlement et originaire de la zone touchée, ont été arrêtées et se trouvent actuellement au Département des enquêtes criminelles à Freetown. (Photo : GRAIN)

Le Resident Minister South (le Ministre compétent pour la Province du Sud) qui s’est rendu dimanche à Malen, aurait ordonné aux travailleurs de SOCFIN de suspendre leurs actions de grève et de retourner au travail. Le Ministre a ensuite ordonné que aux leaders de la “secret society” de mettre fin aux pratiques de la société traditionnelle des hommes qui était cours, leur donnant un ultimatum de 24 heures. Le lundi 21 janvier 2019, des agents de la sécurité de l’État ont été déployés dans la chefferie. Les OSC perçoivent avec inquiétude l’action des forces de l’ordre de l’État comme un acte d’autoritarisme et de manque de professionnalisme qui a conduit à l’exacerbation des tensions et aux violations des droits humains qui en découlent, alors que toutes les voix appellent une solution pacifique au conflit.

Quinze personnes ont été arrêtées et se trouvent au Département d’investigation criminelle (Criminal Investigation Department) de Freetown, dont Shiaka Musa Sama, candidat indépendant qui a remporté les élections législatives de 2018 dans la circonscription 104. Selon un message de WhatsApp reçu de sa part, « beaucoup de faux rapports ont été faits contre moi […] L’IG [Inspecteur général] m’a dit cet après-midi [22/1/2019] qu’une réunion de sécurité a eu lieu où le Président a levé mon immunité parlementaire… pour une enquête approfondie sur mes activités… Je resterai fort malgré les graves allégations qui pèsent contre moi. J’ai toujours défendu la médiation et le dialogue, et je n’ai jamais incité mon peuple à utiliser des moyens violents pour résoudre les conflits. Je suis innocent »

Les OSC demandent au gouvernement de mener une enquête indépendante sur ce recours excessif à la force par les forces de sécurité et de libérer M. Sama, à moins qu’il n’existe des preuves irréfutables pour étayer les accusations portées contre lui. Nous demandons en outre au gouvernement d’assurer une protection suffisante aux défenseurs des droits humains qui travaillent sur conflit puisqu’une équipe continue à enquêter sur la situation.

Depuis 2018, la société civile s’adresse au Bureau du Vice-Président avec des recommandations, telles que la facilitation d’une enquête indépendante sur le conflit foncier de Malen dont les conclusions pourraient servir de base à un dialogue au bénéfice de tous. Les OSC continuent d’exhorter le gouvernement à envisager cette approche en vue d’une résolution pacifique du conflit social et foncier, ayant déjà causé de trop nombreuses violations et abus des droits humains au cours des sept dernières années pour les 35 000 personnes touchées.

Alors que nous finalisons ce communiqué, des témoignages confirment que Hannah Deen, défenseure des droits humains et leadeuse des femmes au sein de Malen Affected Land Owners and Users Association (MALOA) a été arrêtée et emmenée au poste de police de Pujehun.

SILNORF, et al.

FIN

Pour plus information:

– Sierra Leone: Joseph Rahall +23276601979
– Sierra Leone: Lansana Sowa +2327739618
– Belgique: Florence Kroff +32 475 845624 – [email protected]

Signataires:

SiLNoRF
Green Scenery
Human Rights Defenders Network
MADAM
Amnesty International
Center for Democracy and Human Rights
FIAN Belgium
Welthungerhilfe
FIAN Switzerland
Oakland Institute
Christian Aid
GRAIN
REACT
World Rainforest Movement
West Africa Human Rights Defenders Network
Pan African Human Rights Defenders
Réseau des Acteurs du Développement Durable
Tròcaire

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Égypte : La France a du sang sur les mains

janvier 28th, 2019 by Nathan Legrand

Le Caire (Egypte), 14 août 2013 – Photo extraite du rapport d’Amnesty International « Egypte : Des armes françaises au coeur de la répression »

La France, une des principales puissances économiques, est aussi l’un des principaux États créanciers de la planète, avec des créances bilatérales (c’est-à-dire sur des États tiers) de plus de 41 746 millions d’euros au 31 décembre 2016, soit 14,5 % de l’encours total des créances du Club de Paris (ce club sans aucun statut juridique regroupe les 21 principaux États créanciers et est hébergé à Bercy). De même, la France joue un rôle non négligeable dans les orientations du FMI et de la Banque mondiale, en raison du poids démesuré accordé aux pays riches dans ces institutions.

Cette position de la France – qui n’est pas sans rapport avec son histoire coloniale – est utilisée à outrance pour faire du fric : soutien aux dictatures, ventes d’armes, blanc-seing donné aux banques commerciales françaises, imposition de réformes libérales favorisant les multinationales, etc. Du fric réalisé en se moquant de la souveraineté des peuples, que l’on appauvrit en leur demandant de payer des dettes illégitimes et odieuses quand elles ne sont pas illégales, et souvent insoutenables puisqu’elles exigent de sacrifier des droits humains fondamentaux afin d’être remboursées. En voici quelques exemples.

En juillet 2013, Abdel Fattah Al-Sissi, alors chef de l’armée égyptienne, avait profité de la poursuite d’un impressionnant mouvement révolutionnaire pour prendre le pouvoir par les armes. Dans les semaines qui avaient suivi, il avait déployé une répression féroce contre les partisans des Frères musulmans ou présumés tels, et contre tous les opposants politiques et en particulier ceux qui revendiquaient la continuation de la révolution, contre les journalistes, les personnes LGBTI, les ONG. Les exécutions extrajudiciaires (qui se sont comptées par centaines lors de la répression des rassemblements contre le coup d’État en juillet et août 2013), les arrestations arbitraires (qui concernent des dizaines de milliers de personnes) et les condamnations à mort par des tribunaux militaires sont autant de caractéristiques de ce régime.

Le dictateur a su convaincre les principaux créanciers que l’autoritarisme d’un pouvoir militaire réaffirmé était garant de stabilité et digne de confiance. L’Égypte a signé en novembre 2016 un prêt de 12 milliards de dollars avec le FMI, avec deux conditions principales : l’adoption d’un taux de change flottant (ce qui a fortement augmenté l’inflation) et la réduction drastique des subventions publiques – bref, faire payer les pauvres.

La France, qui a déplié le tapis rouge pour accueillir Al-Sissi en octobre 2017, détenait plus d’un milliard d’euros de créances sur l’Égypte au 31 décembre 2016

La France, qui a déplié le tapis rouge pour accueillir Al-Sissi en octobre 2017, détenait plus d’un milliard d’euros de créances sur l’Égypte au 31 décembre 2016. Formellement, ces prêts bilatéraux servent généralement à la mise en œuvre de partenariats commerciaux et d’investissements divers – une part importante des financements français est ainsi consacrée au développement du métro du Caire. Ces projets peuvent certes être utiles, mais ont pour principales conséquences de renforcer la dépendance de l’Égypte à des puissances tierces (en l’occurrence, la France) et de légitimer un despote !

Poussons le raisonnement plus loin. En accordant des fonds pour la construction de lignes de métro, la France permet à Al-Sissi d’en libérer d’autres pour acheter ses équipements militaires. En février 2015, ce sont des contrats portant sur 24 avions de chasse Rafale (avec une option portant sur 12 avions supplémentaires, qui était l’un des enjeux de la visite d’Al-Sissi à Paris en octobre 2017 comme de celle d’Emmanuel Macron au Caire en janvier 2019 ), une frégate et des missiles, qui étaient signés pour un montant total de 5,2 milliards d’euros (on pourrait aussi parler de la vente de quatre navires de guerre en 2014, et de celle, en 2016, des deux fameux porte-hélicoptères Mistral initialement destinés à la Russie avant que la guerre en Ukraine ne fasse capoter le deal).

Pour près de moitié, les 5,2 milliards d’euros d’achats d’équipements militaires de février 2015 sont financés par un prêt émis auprès d’un « pool » de banques commerciales, regroupant notamment on retrouve la BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole. Un prêt garanti par … Bpifrance, la banque publique d’investissement du ministère des Finances français.

Outre ces armements lourds, la France est en tête des ventes d’armes destinées à la répression intérieure en Égypte, les exportations ayant systématiquement augmenté à partir de 2011, et de manière très importante suite à la prise du pouvoir par Al-Sissi, en violation des obligations européennes et internationales auxquelles la France devait souscrire. C’est ce qu’ont démontré le rapport Égypte : Une répression made in France publié par la FIDH en juin 2018 et celui publié par Amnesty International en octobre 2018, Égypte : Des armes françaises au cœur de la répression. L’État français porte ainsi une lourde responsabilité dans la répression sanglante qui a permis l’affirmation d’un nouveau pouvoir dictatorial en Égypte.

Les dettes de l’Égypte envers la France sont odieuses – c’est le Parlement européen lui-même qui le dit, dans une résolution du 10 mai 2012 se rapportant aux dettes des régimes renversés en 2011

La France, ses industries d’armement et ses entreprises financières réalisent ainsi d’importants bénéfices sans se soucier d’avoir du sang sur les mains – celui des populations égyptiennes, mais aussi yéménites et libyennes sur lesquelles pleuvent les bombes d’Al-Sissi.

Les dettes de l’Égypte envers la France sont odieuses – c’est le Parlement européen lui-même qui le dit, dans une résolution du 10 mai 2012 se rapportant aux dettes des régimes renversés en 2011, qui reste d’actualité puisqu’elle n’a pas été appliquée et puisque les politiques à l’œuvre sous Moubarak ne sont que renforcées sous Al-Sissi. Ces dettes doivent être annulées, les contrats de vente d’armes doivent être rompus et des sanctions doivent être prises contre celles et ceux qui ont permis la vente d’armes au régime criminel d’Al-Sissi.

Nathan Legrand

 

En lien avec l’actualité, voir également l’article de Joaldo Dominguez et d’Eric Toussaint du 28 janvier 2019 : Emmanuel Macron, Pedro Sánchez, Angela Merkel, Theresa May n’ont aucun droit de poser un ultimatum au Venezuela

Samedi 26 janvier 2019, Emmanuel Macron, Pedro Sánchez, Angela Merkel, suivis par Theresa May ont donné 8 jours au gouvernement du Venezuela pour convoquer des élections. Passé ce délai si le gouvernement vénézuélien ne se plie pas à cette injonction, Macron, Sanchez, Merkel et May annoncent qu’ils reconnaîtront Juan Guaidó qui s’est autoproclamé président du Venezuela le 23 janvier 2019.

Le lendemain de cet ultimatum, le président français a entamé une visite officielle de trois jours en Égypte afin d’apporter une fois de plus son soutien au maréchal Abdel Fattah al-Sissi qui est à la tête d’un régime dictatorial semblable à, voire pire que, celui de Hosni Moubarak qui a été renversé par le peuple en février 2011. Le maréchal al-Sissi a pris le pouvoir en 2013 par un coup d’État, détournant et étouffant les aspirations de celles et ceux qui s’étaient soulevés en masse pour renverser Mohamed Morsi, et il est choyé par le président français.

Sissi est responsable d’une répression massive et brutale. Dans les prisons égyptiennes croupissent des dizaines de milliers de prisonniers politiques, la peine capitale a été prononcée par des tribunaux militaires contre des centaines d’opposants, les organisations de défense des droits humains dénoncent la persécution massive et les centaines d’exécutions extrajudiciaires de militants syndicaux et d’autres activistes ainsi que des journalistes indépendants du régime. Le régime de Sissi organise littéralement la terreur en Egypte et Macron lui rend visite, le soutient et lui vend des armes. Les gouvernements britannique, espagnol et allemand vendent aussi des armes à Sissi et le soutiennent.

Quant au régime espagnol, rappelons que José María Aznar, chef du gouvernement espagnol de 1996 à 2004, avait soutenu le coup d’État contre Hugo Chávez en avril 2002. Pedro Sánchez humilie le peuple espagnol en suivant l’exemple d’Aznar en menaçant le président élu Nicolás Maduro de reconnaître le président autoproclamé Guaidó directement soutenu par Washington et les pires gouvernements latino-américains.

Aucun de ces quatre gouvernements européens ne dénonce l’assassinat systématique des leaders sociaux et les violations de l’accord de paix en Colombie.

La gauche a bien des raisons d’exprimer de très fortes critiques à l’égard du gouvernement de Nicolás Maduro. Parmi les critiques qu’il faut exprimer : la poursuite du paiement de la dette externe au lieu de déclarer un moratoire et d’utiliser les ressources financières ainsi épargnées pour faire mieux face à la crise humanitaire qui accable le peuple vénézuélien. Le CADTM dès 2016 avait exhorté le gouvernement vénézuélien à procéder à un audit de la dette avec la participation des citoyens et citoyennes (http://www.cadtm.org/Le-CADTM-AYNA-exhorte-le). D’autres critiques de gauche de la politique du gouvernement Maduro sont également justifiées : l’absence de combat contre la fuite des capitaux organisée avec la complicité des plus hautes autorités de l’administration et du gouvernement, la poursuite du modèle extractiviste exportateur favorisant l’épuisement des ressources naturelles du pays, la répression contre des délégués syndicaux et d’autres activistes, le développement de politiques clientélistes et un fonctionnement de l’assemblée constituante qui ne répond pas aux espoirs que son élection avait suscités.

Mais en tant que militants de gauche respectueux du droit des peuples à l’autodétermination, on ne peut en aucun cas accepter un ultimatum du type de celui émis par Macron, Sánchez, Merkel et May et on doit s’opposer avec la plus grande vigueur possible à la politique de Washington et du groupe de Lima qu’il dirige. Il faut dénoncer le coup du président autoproclamé Guaidó.

Éric Toussaint

 

En lien avec l’actualité, voir également l’article de Nathan Legrand du 28 janvier 2019 : Égypte : La France a du sang sur les mains

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Vendredi, un barrage minier, géré par Vale a cédé à Brumadinho, commune de 39.000 habitants située à 60 km au sud-ouest de Belo Horizonte, capitale de Minas Gerais. Un crime qui rappelle celui de Mariana en novembre 2015.

Alors que les mots « incident », « accident », « catastrophe » ou « tragédies » sont utilisés par les titre de presse. Nombreuses sont les voix qui dénoncent le CRIME qui a tué au moins neuf personnes (confirmé) et « des chances minimes » de retrouver les quelque 300 personnes disparues.

Retrouvez ici le communiqué du Mouvement des personnes Atteintes par les Barrages.

Une fois de plus, l’histoire se répète comme une tragédie. D’une part, Vale S.A., la plus grande société minière du monde, et d’autre part, le peuple brésilien, qui cherche à récupérer des corps enterrés dans la boue des sociétés criminelles.

photo disponible sur la page web du MAB

Ce 25 janvier sera marqué par la rupture de trois digues de résidus miniers de la mine Córrego do Feijão, qui fait partie du complexe Paraopeba. Le barrage, sous la responsabilité, de Vale est situé dans la ville de Brumadinho, dans la région métropolitaine de Belo Horizonte, Minas Gerais. On estime que 14 millions de mètres cubes de résidus ont été déversés dans la rivière Paraopeba, l’un des principaux affluents du fleuve São Francisco. Les autorités signalent environ 150 personnes disparues.

Les preuves d’un crime socio-environnemental de plus, d’une ampleur incalculable, nous assaillent à nouveau. Le gouvernement n’a pas écouté [1] les communautés et a agi en faveur du pouvoir corporatif pour assouplir les permis d’agrandissement du complexe du barrage en décembre 2018.

Nous, au MAB, comprenons qu’il s’agit d’un crime continu commis par Vale contre le peuple brésilien. Trois ans après le crime de Samarco, avec l’éclatement du barrage de Fundão à Mariana, Minas Gerais, aucune maison n’a été construite, nous ne connaissons pas le nombre de personnes atteintes, nous n’avons aucune étude sur les impacts sur la santé, les femmes ne sont pas reconnues comme affectées, parmi de nombreuses autres violations environnementales et des droits des personnes concernées. Jusqu’à présent, le pouvoir judiciaire n’a tenu aucun des dirigeants des entreprises impliquées pour responsable de ce crime et n’a pas veillé à ce que les familles soient pleinement indemnisées. Au contraire, il a agi de manière sélective et punitive, en criminalisant la manifestation des familles, des mouvements populaires et des organisations de la société civile.

Il est important de souligner que la société Vale S.A. a déjà été une entreprise publique brésilienne, mais qu’elle a été privatisée dans les années 90. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est une entreprise super-puissante qui agit dans l’intérêt de ses actionnaires, mais qui n’a aucun engagement envers la vie humaine et l’environnement.

Une fois de plus, ces grandes entreprises et la collusion des gouvernements démontrent leurs priorités en matière de profit au détriment de la qualité de vie de la population. Il n’y a pas de développement régional, il y a destruction de vies et contamination des rivières et de la nature.

Le MAB appelle le peuple brésilien, avec l’esprit de solidarité et de justice sociale qui nous anime, à soutenir les familles touchées par la rupture du barrage de Brumadinho. Nous sommes déjà dans la région et nous mobilisons de nombreuses personnes atteintes par les barrages de tout le Brésil dans cette tâche de solidarité et de soutien aux victimes, ainsi que tant d’autres affectées par le bassin du Rio Doce et la côte de l’état de Espirito Santo qui se sont déjà portées volontaires par solidarité.

Nous continuons à nous battre pour la justice à Mariana, à Brumadinho, dans le bassin du Rio Doce, sur la côte de l’Espírito Santo et pour la défense du fleuve São Francisco. [2]

Nous exigeons encore une fois que justice soit faite pour ce crime [3], que la mort des personnes, des animaux, des rivières et de l’environnement ne reste pas impunie une fois de plus.

Mouvement des personnes atteintes par les barrages (MAB)

 

Article original en portugais : Movimento dos Atingidos por Barragens denuncia novo crime da Vale, MAB, le 26 janvier 2019

Traduction : AutresBrésil

VIDÉO (AFP) :

 

Autres Brésils invite à lire sur BastaMag, Tragédie écologique et boues toxiques au Brésil : pourquoi les autorités ont tardé à réagir

De l’eau pour la vie, pas pour la mort !

Voir en ligne : Movimento dos Atingidos por Barragens

Note Autres Brésils :

[1 Le journal A Sirene fait un travail de journalisme local avec les personnes affectées. En 2016 l’un des reportages évoquait les réticences des victimes à dialoguer avec l’entreprise responsable. Voici quelques-unes des impressions recueillies au sujet de la rencontre entre les habitants et les grands médias : « Je ne supporte plus les journalistes », « Ils nous poussent à exposer des choses inutiles », « Ce qui est gênant, c’est d’être des vedettes du malheur », « Ils ont beaucoup de pouvoir : parfois, ça nous nuit, d’autres fois, ça nous aide ».

[3Ce Samedi, nous apprenons que la communauté Pataxó a été évacuée. Sur l’utilisation du mot crime et les conséquences insoupçonnnée, nous vous invitons à lire l’interview de Geovani Krenak.

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Pour comprendre le Brésil de Bolsonaro.

janvier 28th, 2019 by Mylène Gaulard

Le 28 octobre dernier le désastre annoncé a eu lieu : pour cette huitième élection depuis la fin de la dictature (1985), l’ex-capitaine Jair Bolsonaro gagnait les élections présidentielles et, par là même, l’exécutif du plus grand pays latino-américain et de la 7e puissance économique mondiale (avec 209 millions d’habitants). Il raflait ainsi plus de 55% des suffrages (58 millions des voix valides), soit presque 10 millions de plus qu’au premier tour, suite à une campagne axée sur un discours ouvertement fascisant, marqué par les provocations racistes, misogynes et homophobes.

Son « fonds de commerce » a été son hostilité envers le Parti des travailleurs (PT), centre-gauche au pouvoir de 2002 à 2016, tout en qualifiant de « terroristes » les militants des mouvements populaires, notamment les sans-terre, les sans-toits et les syndicalistes. Partisan de la libéralisation des armes, de la militarisation des favelas, admirateur de Trump et de Pinochet, il s’est construit une image de candidat antisystème et anticorruption, alors qu’il est parlementaire depuis 3 décennies… Sa campagne financée, sans aucun contrôle, par de grands groupes capitalistes, a aussi été celle des « fake-news » et d’un usage massif des réseaux sociaux contre son adversaire du PT, Fernando Haddad.

Les noms des membres du gouvernement qui a pris ses fonctions le premier janvier 2019 confirment une combinaison de néolibéralisme et d’autoritarisme répressif. Ce tournant est assurément le produit d’une grave crise démocratique et d’un usage politique de l’appareil judiciaire par un secteur de la caste politique, qui a signifié un « coup d’Etat parlementaire » contre Dilma Roussef (destituée en 2016), puis l’emprisonnement de Lula Da Silva pour corruption, sans preuves concrètes à ce jour, alors qu’il restait ultra-favori des sondages. Mais les racines du mal sont aussi bien plus profondes : elles ont à voir avec un modèle économique extractiviste et brutalement inégalitaire, avec un pays traversé par la violence et les héritages de la dictature, et aussi avec le désenchantement croissant face au bilan de 13 ans de gouvernements sociaux-libéraux du PT.

Pour en parler, nous avons posé quelques questions à l’économiste marxiste Mylène Gaulard, enseignante-chercheure à l’Université Grenoble-Alpes et qui travaille depuis plusieurs années sur les modèles de développement de la Chine et du Brésil [1].

Frank Gaudichaud : Dans un premier temps peux-tu revenir sur la situation économique et sociale du Brésil à la veille de l’élection de Bolsonaro, la profonde crise que traverse le pays et le modèle d’accumulation dépendant de ce géant de l’Amérique Latine. En quoi, de plus, cette situation économique et sociale -terriblement inégalitaire- explique-t-elle, selon toi, le développement du bolsonarisme ?

Mylène Gaulard : L’élection de Bolsonaro est la conséquence directe de la crise économique qu’affronte le Brésil depuis quelques années. Subissant un ralentissement depuis 2012, l’économie brésilienne s’est même confrontée à une récession en 2015 et 2016, avec une baisse du PIB de près de 7% sur ces deux années, la plus grave crise connue par ce pays depuis la décennie 1980. Les conditions de vie de la majorité des Brésiliens continuent actuellement de se dégrader, avec un taux de chômage qui est passé de 6,5% à 13% de la population active entre 2011 et 2018. Le travail informel, non déclaré auprès des autorités et donc non couvert par la sécurité sociale, s’est remis à augmenter pour concerner plus de la moitié de la population, et les programmes d’austérité mis en place depuis 2015, déjà sous la deuxième présidence de Dilma Rousseff, aggravent encore davantage la situation. Depuis 2016, il est même inscrit dans la constitution que les dépenses publiques seront gelées pour les vingt prochaines années, ce qui risque d’impacter les catégories les plus pauvres de la population.

Il ne faut effectivement pas oublier que si le Brésil reste l’un des pays les plus inégalitaires au monde, les inégalités de revenus n’avaient pas cessé de baisser depuis la fin de la décennie 1990, aussi bien grâce aux politiques sociales développées par Lula comme la Bourse famille ou le quadruplement du salaire minimum sur toute la décennie 2000, que grâce à la maîtrise de l’inflation qui pénalisait jusqu’au milieu de la décennie 1990 les couches les plus modestes de la population. Mais c’est surtout la reprimarisation de l’économie brésilienne qui a permis de recruter de plus en plus de travailleurs non qualifiés et de diminuer les inégalités régionales. La chute des cours des matières premières observée depuis 2012 a finalement brisé cette douce illusion d’une émergence qui profiterait aussi aux plus pauvres. Ces derniers se retrouvent les premiers concernés par la crise. Face à cette situation, une partie des Brésiliens ont manifesté, par le biais du vote Bolsonaro, leur hostilité aux politiques qui les ont conduits jusque-là. La révélation d’une multitude d’affaires de corruption depuis dix ans tend à accroître encore davantage ce rejet d’une élite politique qui n’a pas été capable de percevoir les dangers de leur politique économique ayant mené notamment à la désindustrialisation du pays.

L’ascension de cette extrême-droite fascisante s’appuie sur les secteurs les plus réactionnaires de la société brésilienne (les fameux « 3 B »), et notamment les Eglises évangéliques. Peux-tu revenir sur cette articulation entre extrême-droite et ces Eglises et leur rôle dans l’encadrement d’une partie des classes populaires.

Il y a trois ans, le PT a effectivement utilisé ce sobriquet des « BBB » (Bœuf, Bible, Balle) pour désigner un groupe conservateur en plein essor au sein de la Chambre des députés. Les évangéliques, réunissant environ 13% des élus, les partisans de la liberté du port d’arme et les représentants de l’agrobusiness et des grands propriétaires terriens n’ont effectivement jamais eu autant de poids auprès de cette chambre. Ce sont eux notamment qui se trouvent derrière la procédure de destitution de Dilma Rousseff durant l’été 2016. Le vote en faveur de la réduction de la majorité pénale de 18 à 16 ans en 2015 ou bien la réforme du code du travail en 2017, en faveur d’une plus grande flexibilité, n’auraient également jamais pu passer sans la présence de ce groupe qui constitue bien, de façon totalement informelle, plus de la moitié de la chambre basse.

Sur le problème plus précis des évangéliques, avec notamment parmi les grands représentants du « front évangélique » Eduardo Cunha, le député ayant lancé la procédure de destitution de Rousseff avant d’être lui-même atteint par une affaire de corruption, il est évident que toute cette communauté fut d’un appui certain pour Bolsonaro qui espérait réunir 80% des votes de celle-ci. Presque le tiers de la population brésilienne est aujourd’hui protestante (contre moins de 5% en 1950), et les églises évangéliques, qui savent particulièrement bien utiliser les moyens de communication comme la radio et la télévision pour recruter toujours plus de fidèles, sont en plein essor, recrutant aussi bien chez les classes populaires que dans les classes dominantes [2]. La possibilité de trouver un refuge auprès d’une église spécifique qui fournit des aides, des conseils et un sentiment de communauté s’adapte assez bien avec la modernité néolibérale. Et ce d’autant plus au sein des églises néo-pentecôtistes qui ont adopté la « théologie de la prospérité », légitimant la possession de richesses et promouvant une certaine consommation ostentatoire, ce qui plaît particulièrement aux catégories les plus aisées de la population.

Avec la crise économique, le besoin, spirituel mais aussi matériel, d’appartenir à une communauté dans des villes confrontées à un degré de violence inimaginable en Europe explique aussi que ces églises aient pu autant séduire également du côté des classes populaires. Une partie de ces dernières se caractérise ainsi de plus en plus par son conservatisme et une crispation sur certaines valeurs morales, comme l’opposition à l’homosexualité, à l’avortement ou à la pratique de rites africains chez une minorité de la population, qui la distinguent d’un « évangélisme progressiste » tel que celui prôné par Marina Silva. Le vote Bolsonaro peut donc être autant analysé comme un vote de rejet des élites traditionnelles, considérées comme toutes corrompues, que comme un vote d’adhésion à ces valeurs conservatrices qui donnent l’impression à un prolétariat urbain, idéologiquement perdu, de retrouver une forme d’ancrage dans le capitalisme actuel.

En quoi, le bilan du PT au pouvoir (2003-2016), son adaptation au système institutionnel, ses options stratégiques, ses alliances avec une partie des classes dominantes ou encore son refus de mobiliser massivement contre la détention de Lula ont-elles contribué à l’ouverture du champ politique à Bolsonaro ? En même temps, on voit que Lula est resté extrêmement populaire et que le parti résiste dans plusieurs États, notamment dans le Nord-Est…

Alors que Lula était présenté comme le candidat d’une gauche « radicale », et ce au point de faire chuter la première année de sa présidence, en 2003, les flux entrants d’investissements directs étrangers, les intérêts des classes dirigeantes n’ont pas du tout été bouleversés durant les treize ans où le PT a dirigé le pays. Bien au contraire. Les taux d’intérêt ont été maintenus à des niveaux extraordinaires, faisant du Brésil l’un des pays les plus attractifs pour les spéculateurs. Par ailleurs, alors qu’il s’était appuyé sur le Mouvement des sans-terres dans sa course à la présidence, Lula, de même que Dilma Rousseff après lui, n’a pas hésité à nommer des représentants de l’agrobusiness et des grands propriétaires fonciers aux ministères de l’agriculture et du développement agraire/agriculture familiale (ce dernier vit même ses compétences transférées au ministère du développement social en 2016…).

Si les intérêts des catégories les plus privilégiées de la population ont été préservés, ceux des plus pauvres furent donc particulièrement piétinés. En raison du poids des impôts indirects et d’une charge fiscale qui connaît une augmentation constante depuis la décennie 1980, les 10% les plus pauvres paient toujours davantage d’impôts, en pourcentage de leurs revenus, que les 10% les plus riches. Confrontée à un déficit public de 10,2% du PIB en 2015, Dilma Rousseff a aussi directement mis en application le programme d’austérité pourtant proposé par son principal adversaire aux élections présidentielles de l’année précédente, avec des baisses drastiques du côté des dépenses sociales.

Ce qu’on retient généralement du bilan du PT, c’est surtout cette baisse des inégalités que j’évoquais précédemment. Celle-ci s’explique pourtant davantage par la reprimarisation de l’économie brésilienne, dans un contexte de hausse artificielle des cours à l’échelle mondiale, que par les programmes sociaux comme la Bourse famille dont l’impact fut davantage médiatique que social ou économique (seul 0,4% du PIB est consacré à ce programme destiné à fournir un revenu minimum aux 25% les plus pauvres) [3]. Il est vrai que Lula et le PT ont obtenu l’appui de régions comme le Nordeste qui ont vu durant la décennie 2000 leur taux de pauvreté baisser, avec une diminution constante des inégalités régionales durant toute la décennie, mais cette évolution était purement conjoncturelle, causée par les besoins croissants des entreprises de l’époque en main d’œuvre non qualifiée et en matières premières. Les classes populaires urbaines sont aujourd’hui beaucoup moins enthousiastes sur le bilan du PT.

On connait désormais les figures centrales qui composent le gouvernement et notamment à la tête d’un super ministère de l’économie, l’ultra-libéral Paulo Guedes. Comment analyses-tu les déclarations de ce « Chicago Boy » et son programme de « choc néolibéral » ? Peut-on dire que Bolsonaro est le candidat du capital financier et industriel ou un « candidat par défaut » face à l’effondrement de la droite traditionnelle ?

Paulo Guedes est effectivement un économiste brésilien ayant passé sa thèse de doctorat à l’Université de Chicago, bien connue depuis des décennies pour fournir un grand nombre de théoriciens et politiques hyper-libéraux, d’ailleurs surnommés les « Chicago Boys » au Chili lors du rapprochement de ces économistes avec le régime de Pinochet durant la décennie 1970. En tant que futur ministre de l’économie, son programme est assez clair : il s’agit de diminuer les dépenses sociales, de faire passer le Brésil à un système de retraite par capitalisation et de relancer un programme de privatisations pour les dernières grandes entreprises publiques. Cette dernière question le met d’ailleurs en porte-à-faux avec Bolsonaro qui regrettait, en 1999, que la dictature militaire n’ait pas fusillé le Président de l’époque, Cardoso, qu’il condamnait alors pour les privatisations de la décennie 1990. Durant toute sa campagne, Bolsonaro n’a effectivement eu de cesse de promettre que les grandes compagnies comme Petrobras et Electrobras ne seraient pas privatisées, ce qui le place en totale opposition avec son futur ministre.

Il est donc vrai que le programme économique de Bolsonaro est sans doute celui sur lequel tous les doutes sont permis. Depuis trente ans, l’ancien capitaine prône un retour au développementalisme adopté par les militaires durant le « Miracle économique » brésilien (1967-1973). Il critique la désindustrialisation et les intérêts des grands groupes financiers qui ont largement profité depuis la décennie 1990 des taux d’intérêts brésiliens, parmi les plus élevés au monde. On ne peut donc pas dire qu’il soit le candidat naturel du capital financier, bien que le rebond observé à la Bourse de Sao Paulo le lendemain de son élection, révèle un optimisme assez fort du côté de la finance. Il le deviendra peut-être sous l’influence de Guedes, mais cela le poussera à renier ses promesses de campagne, ce qui pourrait lui faire perdre l’appui d’une grande partie de la population, notamment des évangéliques qui au-delà de leurs valeurs conservatrices sur le plan moral, sont plutôt en faveur d’une intervention plus forte de l’État en matière socio-économique. Il répète régulièrement ne rien comprendre à l’économie : est-ce le signe qu’il s’apprête déjà à suivre cette voie hyper libérale, à écouter les avis de ses plus proches conseillers ?

En fait, force est de constater qu’à côté de la nomination de Paulo Guedes à un super ministère de l’économie chargé du commerce extérieur, de l’industrie et des finances publiques, une représentante de l’agrobusiness, Tereza Cristina, arrivera également dans quelques mois au ministère de l’agriculture. Alors que Bolsonaro critiquait jusqu’ici la désindustrialisation du Brésil, ce choix révèle clairement une certaine marche arrière vis-à-vis d’un projet développementaliste en faveur de la réindustrialisation. Son conservatisme sur la question des mœurs, qu’il s’agisse de ses propos contre les Noirs, les homosexuels ou ceux sur les femmes, pourrait donc bien s’accompagner d’un ultralibéralisme dans le domaine économique. Ce n’est pourtant pas sur un tel programme qu’il a séduit une partie de la population.

Tu travailles également sur la Chine depuis longtemps et l’Empire du milieu constitue le premier partenaire commercial du Brésil. Bolsonaro est-il susceptible de suivre le chemin en partie protectionniste et d’hostilité envers la Chine impulsé par Trump au États-Unis ; ce dernier s’étant d’ailleurs montré enthousiaste par l’élection du candidat d’extrême-droite brésilien.

Bolsonaro tient depuis des années des propos très agressifs vis-à-vis de la Chine. Il accuse les précédents gouvernements d’avoir mené à une situation dans laquelle les Brésiliens seraient devenus « les locataires des Chinois ». Sa grande formule est que « la Chine n’est pas en train d’acheter au Brésil, elle achète le Brésil ». La grande puissance asiatique est effectivement devenue en 2009 le premier partenaire commercial du pays en achetant notamment une grande partie de son soja et de son minerai de fer. Les investissements chinois dans les mines, l’agriculture, les télécommunications et le secteur automobile se sont aussi multipliés pour faire de la Chine le pays investissant le plus au Brésil, loin devant les États-Unis et le Canada. Ce n’est qu’avec la crise économique que le Brésil a restauré (en 2016) un léger excédent commercial avec ce pays qui a largement contribué à creuser son déficit depuis dix ans. Durant l’été dernier, Bolsonaro a pourtant commencé à adoucir ses propos en insistant sur le fait qu’il était important de conserver un « partenaire commercial aussi exceptionnel ». Effectivement, 26% des exportations brésiliennes étaient destinées à la Chine au premier trimestre 2018…

Mais on peut comprendre l’hostilité de nombreux Brésiliens, et pas seulement de Bolsonaro, lorsqu’on constate que le pays s’est installé dans une division du travail avec son premier partenaire commercial qui lui est largement défavorable, expliquant en partie la reprimarisation de l’économie et sa « désindustrialisation précoce ». Plus de 80% des exportations brésiliennes vers la Chine sont en effet composées de matières premières, produits agricoles et miniers, dont les prix ont fortement chuté depuis 2012, alors que 95% des exportations chinoises vers le Brésil sont constituées de produits manufacturés. La conséquence de ces échanges est donc bien plus déplorable que ce qui peut être dénoncé aux États-Unis par Trump lorsque ce dernier s’attaque au commerce transpacifique.

Le Brésil est composé de grands mouvements populaires et a une tradition de luttes syndicales importantes ; de plus, le PSOL [4] – à son échelle (encore modeste)- a réussi à consolider son assise politique et électorale dernièrement : comment vois-tu la réorganisation des résistances sociales et politiques dans les mois à venir face à une menace autoritaire, et même fasciste ?

Les mouvements sociaux se sont particulièrement radicalisés depuis la décennie 2000, sûrement en raison du sentiment de nombreuses couches de la population d’avoir été trahies par le PT au pouvoir. La grève des camionneurs, protestant contre la hausse des prix du carburant, a littéralement paralysé le pays pendant quinze jours l’été dernier, avec le soutien de la majorité des Brésiliens. Un peu semblable au mouvement des Gilets jaunes en France, cette grève fut accusée d’être infiltrée par l’extrême-droite uniquement parce qu’elle n’était pas contrôlée par les partis et organisations traditionnelles. L’utilisation des nouvelles technologies, des réseaux sociaux et messageries instantanées comme Whatsapp, a permis de lancer un mouvement d’une ampleur considérable, cela se renouvellera sûrement. Depuis 2013, le rôle des réseaux sociaux est une constante dans les grands mouvements. A voir, maintenant, si cette nouvelle forme de mobilisation et de contestation, plus spontanée que les anciens mouvements sociaux placés sous l’autorité des syndicats et partis politiques, sera plus à même de défendre les intérêts des Brésiliens…

Le parti issu en partie de l’aile gauche du PT (en 2004), le PSOL, est de son côté effectivement en train de réunir ses forces pour faire front face aux prochaines attaques contre les travailleurs, mais la perte de confiance de la population vis-à-vis des partis politiques me laisse plutôt sceptique sur sa capacité à rassembler sur le court terme. Il est vrai que la CUT et plusieurs autres centrales syndicales ont réussi à mobiliser dans une grève générale 40 millions de Brésiliens le 28 avril 2017, un record depuis au moins 20 ans, mais compte tenu de l’ampleur des réformes observées l’année dernière sur le marché du travail, le résultat était moins important que prévu. Le 30 juin 2017, le même appel à la grève générale fut un échec… Mais rien n’empêche que, loin du pouvoir, toutes ces organisations finissent par regagner une certaine légitimité pour s’opposer frontalement au nouveau gouvernement dans les prochains mois, voire années.

 

Notes :

[1On lui doit notamment : Karl Marx à Pékin. Les racines de la crise en Chine capitaliste, Paris, Demopolis, 2014 et Économie du Brésil, Paris, éditions Bréal, 2011, nouvelle publication en 2019.

[2A ce sujet, cf. Lamia Oualalou, Jésus t’aime ! La déferlante évangélique, Paris, Cerf, 2018.

[3Sur cette question, je renvoie à mon petit ouvrage Économie du Brésil qui sort dans une deuxième édition actualisée en janvier 2019 (Paris, éditions Bréal).

[4Parti socialisme et liberté (en portugais : Partido Socialismo e Liberdade).

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Andy Biggs, membre républicain du Congrès, vient de faire valoir la Résolution 73 du Congrès, qui vise à retirer au Pakistan le statut d’ « allié majeur hors OTAN » du Pakistan, ce qui mettrait fin à la coopération militaire privilégiée du pays avec les USA, qui a déjà été mise à l’épreuve au cours de l’année passée, avec la décision de Trump de suspendre diverses aides au pays, et l’a dénoncée comme n’œuvrant pas suffisamment à combattre le terrorisme. Biggs veut que toute reconnaissance renouvelée du Pakistan à son statut d’« allié majeur hors OTAN » soit conditionnée par l’apport de preuves par Trump au Congrès que le pays combat le dénommé « réseau Haqqani » qui obsède les USA depuis des années. Ce procédé suggère que cette tentative pourrait être reliée avec le traitement de bouc émissaire que subit de nouveau le Pakistan, accusé du dernier revers en date du processus de paix embryonnaire USA-Taliban.

Un camion de l’OTAN traversant la frontière pakistanais

En outre, cette démarche est en soi hautement symbolique : elle intervient plus de deux ans après que les USA ait désigné l’Inde, grand rival de la Chine, comme leur tout premier « partenaire majeur de Défense », après avoir entamé un partenariat militaro-stratégique avec New Delhi visant tacitement à « contenir » la Chine. Il est très probable que les USA caressent l’idée de remplacer le Pakistan par l’Inde, cette dernière devenant par là-même leur nouvel « allié majeur hors OTAN ». Cela pousserait le Pakistan dans les bras des rivaux étasuniens que constituent la Russie et l’Inde, chose qui pourrait porter à de sérieuses conséquences en Afghanistan si Islamabad refuse de continuer à servir d’intermédiaire dans les pourparlers entre Washington et les Talibans, par exemple. Mais somme toute, la proposition de retirer au Pakistan son statut d’« allié majeur hors OTAN » est prédictible : les USA n’ont jamais traité le Pakistan comme un « allié ».

Qu’importe l’ardeur que le Pakistan aura mis à assister les USA dans leur guerre contre la terreur, ni les dizaines de milliers de morts pakistanais dans la lutte menée par l’armée de ce pays sur son propre sol, dans une version intérieure du même conflit, les USA n’ont eu de cesse que de traiter le Pakistan comme un « partenaire mineur » et de le critiquer en l’appelant à « en faire davantage ». Ces deux dernières années, le Pakistan a finalement décidé de répondre « ça suffit », et s’est mis à poursuivre ses propres objectifs de politique étrangère, visant à établir un « équilibrage »entre les grandes puissances mondiales, au lieu de s’en tenir à son ancienne dépendance stratégique envers l’une seule d’entre elles comme les USA : la situation régionale et mondiale s’en trouve révolutionnée, de par l’importance géostratégique du méga-projet du CPEC [le Couloir économique Chine-Pakistan, qui fait partie des infrastructures des Nouvelles routes de la soie chinoises, NdT].

Pour désireux que certains puissent l’être dans les administrations permanentes des renseignements, de l’armée et de la diplomatie (encore appelées « État profond »étasuniennes de « punir » le Pakistan de ses choix en lui retirant symboliquement son statut d’« allié majeur hors OTAN », d’autres comprennent également que de nombreux pakistanais seraient heureux de voir le simulacre d’« alliance » entre leur pays et les USA prendre fin, et ont bien conscience que leur pays pourrait rendre la suite des opérations très compliquée en Afghanistan pour les USA. Pour cette raison, il n’est pas certain que l’on voit cette Résolution 73 adoptée. Quoi qu’il en soit, un signal très fort a été émis en direction d’Islamabad : certains éléments à Washington cultivent des intentions très hostiles envers le Pakistan, sans considération aucune pour les sacrifices consentis par le pays au nom de leur guerre contre la terreur.

Andrew Korybko

 

Article original en anglais : Oriental Review, le 19 janvier 2019

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

 

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Si Israël bombarde l’Irak…

janvier 28th, 2019 by Gilles Munier

En visite à Bagdad, le secrétaire d’Etat étasunien Michael Pompeo a demandé à Adel Abdel Mahdi, nouveau Premier ministre, de dissoudre les Hachd al-Chaabi (Forces de mobilisation populaire, intégrées dans l’armée) et l’a prévenu que les Etats-Unis n’interviendront pas si les Israéliens bombardent leurs bases. Il l’a également averti que si l’Ambassade des Etats-Unis à Bagdad était attaquée, les forces US attaqueraient le siège des Hachd à Bagdad. On imagine la suite…

Escalade US en Irak

Les désaccords entre Donald Trump et le général James Mattis – secrétaire à la Défense démissionnaire  – ne portaient pas seulement sur le retrait des troupes US de Syrie et d’Afghanistan, mais aussi sur le projet du président américain d’agresser l’Iran, promesse tenue au magnat ultra-sioniste Sheldon Adelson, un des principaux contributeurs de sa campagne présidentielle et prêt à le soutenir en 2020, si….

En juin dernier, en bombardant une base du Hezbollah irakien près d’Abou Kamal (frontière irako-syrienne), les Israéliens ont voulu tester la réaction des Hachd al-Chaabi. Bilan de l’opération, non revendiquée : 22 morts. Le Hezbollah a réagi intelligemment à la provocation en s’en prenant à un camp de l’Etat islamique. Mais en cas de raids israéliens en territoire irakien, il en irait cette fois tout autrement. Ils provoqueraient inévitablement une réplique des Hachd sur les troupes étatsuniennes.

L’annonce faite par Pompeo à Bagdad  s’apparente à une déclaration de guerre anti-chiite. On ne peut que s’étonner de la tiédeur de la réaction d’Adel Abdel Mahdi. Selon Al Manar, lui a simplement répondu que « cela pourrait avoir des conséquences graves dans la région ». C’est le moins qu’on puisse dire…

Des bases dites secrètes

Mais comment Abdel Mahdi a-t-il pu également déclarer en décembre dernier – et sans rire – qu’il n’y a pas de « vraies » bases américaines en Irak ? S’il ne s’oppose pas plus ardemment aux empiètements US sur la souveraineté de l’Irak, il va bientôt passer pour un agent américain.

La réactivation d’anciennes bases US en Irak, ou la construction de nouvelles, est un secret de polichinelle. L’agence de presse turque Anadolu en a signalé deux récemment dans la région d’Al Anbar, et Presstv deux autres : sur l’aéroport militaire Qayyarah à 40 km au  sud de Mossoul, et près de l’ex barrage Saddam, au nord de la ville.

Si la plupart des bases n’est pas répertoriée, c’est uniquement pour ne pas envenimer les débats au Parlement irakien et dans les médias bagdadis sur le maintien de troupes étrangères dans le pays, ou pour ne pas exacerber les tensions diplomatiques internationales. En tout cas, les Hachd al-Chaabi savent très bien où elles sont situées. Elles ne reculeront pas devant la menace.

Nul doute que les semaines à venir sont attendues avec appréhension par les Irakiens. Ils craignent, avec raison, que la confrontation Etats-Unis/Iran annoncée sur leur sol – avec la participation d’Israël… et qui sait de la France – tourne à la guerre civile.

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L’opération de changement de régime orchestrée par les États-Unis a continué d’intensifier les tensions au Venezuela vendredi, poussant le pays au bord de la guerre civile ou d’une invasion directe des États-Unis.

Le président vénézuélien Nicolás Maduro et Juan Guaidó, dirigeant du parti de droite Voluntad Popular et président de l’Assemblée nationale du pays, qui s’est proclamé «président par intérim» du pays avec l’appui immédiat de Washington, ont pris la parole simultanément à différents endroits en Caracas.

Lors d’une conférence de presse tenue au palais présidentiel de Miraflores, Maduro a déclaré que son gouvernement était confronté à «un coup d’État en préparation promu et financé par les États-Unis d’Amérique du Nord»Il a affirmé que Guaidó était une marionnette de Washington, incapable de prendre des décisions sans ordre du Département d’État.

Il a révélé qu’à la veille de l’auto-proclamation du politicien de droite en tant que «président», Guaidó avait rencontré deux représentants du gouvernement, dont Diosdado Cabello, ancien officier de l’armée et chef du parti au pouvoir PSUV, qui est largement considéré comme un rival à Maduro au sein du camp chavista, pour discuter de l’initiation d’un dialogue.

Guaidó avait nié l’existence d’une telle réunion, mais le gouvernement a publié vendredi une vidéo le montrant, ainsi que Cabello, en train d’entrer dans le lieu de la réunion.

Maduro a réitéré l’appel à un dialogue, à la fois avec les États-Unis et avec Guaidó, tout en insistant sur le fait que son annonce d’une rupture des relations diplomatiques avec Washington n’empêcherait pas le Venezuela de vendre du pétrole aux États-Unis, ce qui représente 75 pour cent de la trésorerie du Venezuela de ses exportations de pétrole brut.

Des responsables américains discuteraient de sanctions dans le secteur pétrolier, ce qui aurait pour effet de «faire hurler l’économie», terme utilisé par le gouvernement Nixon lors des opérations de déstabilisation économique contre le Chili précédant le coup d’État fasciste-militaire de 1973.

Pour sa part, Guaidó a pris la parole lors d’un rassemblement dans l’est de Caracas, écartant tout dialogue avec le gouvernement actuel, promettant que des manifestations antigouvernementales seraient initiées la semaine prochaine et appelant l’armée à le soutenir et renverser Maduro.

C’est le but principal de la droite vénézuélienne et de ses partisans américains, mais jusqu’à présent, le haut commandement militaire, qui est un pilier des gouvernements de Maduro et de son prédécesseur, feu Hugo Chávez, et à la tête d’un grand nombre de ministères ainsi que le contrôle des agences d’État les plus lucratives, n’a montré aucun signe de désertion du gouvernement.

Washington, quant à lui, a intensifié son offensive contre le gouvernement Maduro. Le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, a annoncé que les États-Unis détourneraient tous les actifs détenus par le gouvernement vénézuélien aux États-Unis au profit du soi-disant «gouvernement intérimaire» de Guaidó. Cela inclut les dépôts bancaires ainsi que les propriétés détenues par Citgo, la filiale américaine du secteur du raffinage de la société pétrolière vénézuélienne PDVSA.

La société d’analyse financière S & P Global Platts a indiqué que des sources proches de l’opposition de droite au Venezuela avaient déclaré que Guaidó s’apprêtait à nommer un nouveau conseil d’administration pour Citgo et à envoyer ses représentants prendre le contrôle du siège de la société à Houston. Goldman Sachs a annoncé que le détournement serait mené parallèlement à la promulgation d’une nouvelle loi nationale sur les hydrocarbures, qui ouvrirait les réserves de pétrole du Venezuela à une exploitation étrangère plus directe et plus complète.

Que ce soit l’un des premiers actes du «président par intérim» soutenu par les États-Unis n’est pas un hasard. Le rétablissement de la domination des conglomérats énergétiques américains sur les réserves de pétrole du Venezuela, les plus importantes au monde, est un objectif stratégique poursuivi par Washington sous les administrations républicaine et démocrate au cours des deux dernières décennies.

Entre temps, la Banque d’Angleterre, agissant conformément aux exigences de Washington, a bloqué une tentative du gouvernement vénézuélien de retirer 1,2 milliard de dollars de réserves d’or de ses coffres.

L’autre objectif principal du coup d’État orchestré par les États-Unis est de repousser l’influence de la Chine et de la Russie en Amérique latine, qui ont tous deux établi des liens économiques, politiques et militaires étroits avec Caracas. L’opération de changement de régime correspond donc au changement de stratégie annoncé par les États-Unis en faveur de conflit de «grandes puissances» et comporte le risque d’un affrontement sur le continent américain entre les plus grandes puissances nucléaires du monde.

Alors que les divers gouvernements capitalistes et les grands groupes médiatiques soutenant et adulant Guaidó prétendent tous que sa victoire sur Maduro ouvrira la voie à une renaissance de la «démocratie vénézuélienne», la réalité est que l’opposition de droite qu’il représente n’a jamais joui d’un soutien populaire au Venezuela et n’a aucun engagement en faveur des droits démocratiques des masses de travailleurs. Au contraire, son ascension au pouvoir serait presque certainement accompagnée d’un bain de sang répressif et de la mise en place de formes de gouvernement dictatoriales nécessaires pour imposer les diktats de Washington et du capital financier international.

Dans un signe sans équivoque des véritables intentions de Washington au Venezuela, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a nommé vendredi Elliot Abrams (article en anglais) au rang d’envoyé spécial du gouvernement pour le Venezuela. Abrams, un ancien membre de droite des administrations Reagan et Bush, incarne le caractère criminel, sournois et voyou de la politique de l’impérialisme américain dans le monde et, surtout, en Amérique latine.

Il était surtout connu pour avoir défendu les dictatures soutenues par les États-Unis d’Amérique centrale dans les années 1980 et couvert leurs massacres sanglants, tortures et assassinats. Au cours de la même période, il a joué un rôle central dans la création d’un réseau secret et illégal de financement du «Contra» terroriste, organisé par la CIA pour attaquer le Nicaragua. Il a été reconnu coupable d’avoir menti au Congrès au sujet de l’opération illégale, mais gracié par le président George HW Bush.

Washington a préparé le terrain pour un règlement de compte sanglant au Venezuela en défiant l’ordre du gouvernement vénézuélien de retirer tout son personnel diplomatique du pays dans un délai de 72 heures, délai qui expire dimanche. Alors que le Département d’État a ordonné l’évacuation de tout le personnel «non essentiel» du pays, il a laissé sur place une équipe restreint de diplomates en guise d’appât pour justifier une éventuelle intervention militaire.

Vendredi, Bolton a déclaré que l’administration Trump avait élaboré des plans pour défendre l’ambassade mais n’avait donné aucun détail. Trump et ses collaborateurs ont déclaré à plusieurs reprises que «toutes les options sont sur la table» en termes d’intervention militaire au Venezuela. Le Washington Post a rapporté vendredi que le Pentagone refusait de commenter toute opération concernant le Venezuela ou la position de tout navire de la marine dans les environs du pays, renvoyant toutes les questions au Conseil de sécurité nationale, qui a également refusé tout commentaire.

Le coup d’État en cours au Venezuela n’est en aucun cas la première tentative de ce type menée par Washington. En 2002, la CIA et le Pentagone ont soutenu un coup d’Etat militaire avorté organisé par des secteurs de l’armée et des milieux financiers au pouvoir, conjointement avec la fédération syndicale reliée à l’AFL-CIO, qui a démis de ses fonctions le président Hugo Chávez pendant 48 heures pour installer Pedro Carmona, président de la Fédération vénézuélienne des chambres de commerce, en tant que «président par intérim».

À l’époque, il n’y avait aucune allégation crédible selon laquelle la présidence de Chávez était «illégitime» – il avait été réélu deux ans plus tôt avec une majorité de 60 pour cent. Pourtant, le coup d’État et l’arrestation du président élu du Venezuela furent présentés à Washington comme un triomphe pour la «démocratie».

Le New York Times a salué ce coup d’État «démocratique» de façon véritablement orwellienne, affirmant qu’avec le renversement du président élu par l’armée, «la démocratie vénézuélienne n’est plus menacée par un prétendu dictateur». Après que des masses soient descendues dans les rues pour s’opposer au coup d’État, Carmona et ses hommes de main militaires furent obligés de se retirer, permettant la remise en place de Chavez au palais présidentiel.

Le Times s’est de nouveau prononcé en faveur du coup d’État vénézuélien en cours avec un éditorial intitulé «Entre M. Maduro et l’enclume». Reflétant le virage à droite du jadis système politique « libéral » auquel le journal sert d’organe, le mot «démocratie» n’apparaît nul part pas dans l’article.

Il s’occupe plutôt de questions plus pratiques liées à l’exécution réussie d’une opération de changement de régime. Sa principale préoccupation est de savoir «comment extraire M. Maduro sans un bain de sang», tout en reconnaissant que la reconnaissance d’un président rival soutenu par les États-Unis soulève des «perspectives terrifiantes de carnage, en particulier si l’armée se maintenait aux côtés de M. Maduro» ce qu’elle a fait jusqu’à présent.

Néanmoins, le comité de rédaction du Times se solidarise avec l’intervention impérialiste en écrivant: «L’administration Trump a raison de soutenir M. Guaidó», tout en conseillant, compte tenu du long et sanglant bilan des coups d’État de la CIA et des dictatures soutenues par les États-Unis dans la région, Washington « doit être considéré comme participant à une large coalition de nations démocratiques sud-américaines et autres… »

En d’autres termes, une autre «coalition de volontaires» pour masquer le fait que, dans le cas du Venezuela – comme il y a 16 ans en Irak – la «démocratie» s’appelle «PETROLE».

Le Washington Post a publié un éditorial similaire soutenant l’onction de la marionnette Guaidó du département d’État à la présidence. Il a décrit le politicien de droite âgé de 35 ans comme «un jeune et dynamique leader», alors que le Times l’a salué comme un «jeune nouveau dirigeant».

Le Washington Post présente des scénarios d’intervention militaire directe des États-Unis. «À moins que la vie des Américains ne soit en danger et qu’il n’y ait aucun autre recours, une intervention militaire serait une folie.»

Bien entendu, la défiance de l’administration Trump à l’encontre de l’ordre du gouvernement vénézuélien de fermer l’ambassade américaine à Caracas jette les bases d’un pareil prétexte que «la vie des Américains est mise en danger».

Il convient de rappeler que les deux dernières invasions américaines dans les Amériques – Panama en décembre 1989 et Grenade en octobre 1983 – ont eu lieu sous le prétexte de protéger la vie des Américains.

Il ajoute: «Une opération multilatérale visant à acheminer des fournitures humanitaires au Venezuela ou à ses frontières, en coopération avec l’Assemblée nationale, est une possibilité» pour installer Guaidó au pouvoir. Le Post en conclut que le principal espoir de changement de régime est que «l’armée défie ses commandants et soutienne» Guaidó, c’est-à-dire effectuer un coup d’État.

Ces points de vue rejoignent en grande partie ceux de la direction du Parti démocrate qui, après avoir mené une campagne acharnée contre le gouvernement Trump pour «ingérence» russe présumée, a immédiatement soutenu la Maison Blanche dans son ingérence réelle et meurtrière dans les affaires du Venezuela.

Bill Van Auken

 

Article paru en anglais, WSWS, le 26 janvier 2019

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Propagande contre le Venezuela 

janvier 28th, 2019 by Romain Migus

Le président français, Emmanuel Macron, ordonne á Nicolas Maduro de ne pas réprimer l’opposition MAIS IL OUBLIE les 3.300 arrestations, les 2000 blessés et les 8 morts liés à la répression du mouvement des gilets jaunes.

Le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, donne huit jours à Nicolas Maduro pour organiser des élections MAIS IL OUBLIE qu’il n’est à son poste que grâce à une motion de censure, et non par des élections libres.

Le président des Etats-Unis, Donald Trump, accuse Nicolas Maduro de ne pas être légitime car le président vénézuélien n’a été élu qu’avec 30,45% des inscrits, MAIS IL OUBLIE que seulement 27,20% des électeurs étatsuniens l’ont choisi.

Le président colombien, Ivan Duque crie à la “narco-dictature vénézuélienne” MAIS IL OUBLIE que 65% de la cocaïne dans le monde est fabriqué en Colombie, sous le regard complaisant des autorités du pays.

Le président brésilien, Jair Bolsonaro, est préoccupé par les droits de l’Homme au Venezuela MAIS IL OUBLIE qu’il a déclaré que les mouvements sociaux qui s’opposeraient à sa politique seraient considérés comme organisations terroristes.

Le président argentin, Mauricio Macri, accuse Nicolas Maduro d’être un corrompu MAIS IL OUBLIE que seul son nom apparait dans les Panama Papers, pas celui du président vénézuélien.

Le Portugal déplore la crise vénézuélienne qui, selon l’ONU, a poussé 7,2% des vénézuéliens sur les chemins de l’émigration MAIS IL OUBLIE que 21% des portugais ont du abandonné leur pays et vivent à l’étranger, selon les mêmes sources.

Le président péruvien, Martin Vizcarra, crie à la dictature au Venezuela MAIS IL OUBLIE qu’il a été nommé à la tête de son pays sans le moindre vote populaire, juste en remplacement du précédent président, destitué pour corruption.

Au Royaume Uni, les dirigeants dénoncent les atteintes à la liberté d’expression au Venezuela MAIS ILS OUBLIENT qu’ils maintiennent, sans aucun motif valable, le journaliste Julian Assange en réclusion.

La Belgique s’alarme de la situation de l’économie vénézuélienne MAIS ELLE OUBLIE qu’à Bruxelles, l’entreprise Euroclear retient 1,25 milliards de dollars appartenant à l’Etat vénézuélien.

Ces inversions accusatoires, propres à cette “école du monde à l’envers” décrite par Eduardo Galeano,  font parti du modus operandi de la propagande contre le Venezuela. Elles visent à préparer l’opinion publique internationale à la légitimité d’une action violente contre le Peuple vénézuélien.

Les bombes médiatiques sont déjà en train de pleuvoir.

Romain Migus

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L’introduction d’un véritable « référendum d’initiative citoyenne », dans la Constitution, est aujourd’hui une demande majeure des citoyens qui étaient plus de 300.000 dans la rue, lors de cette XIème mobilisation des Gilets-jaunes, le samedi 26 janvier 2019. Malgré les nombreuses propositions d’amendements qui avaient été faites par des députés en 2018, l’exécutif s’était montré particulièrement hostile au principe même du RIC. Aujourd’hui, Edouard Philippe proclame son « allergie pour le RIC ».

En réalité, la revendication sur le RIC ne va pas sans la « démission de Macron ». On peut même dire que la démission de Macron est un préalable à cette proposition, étant entendu que Macron ne peut en aucun cas scier la branche sur laquelle il est assis : c’est-à-dire la 5ème République du président détenant les pouvoirs d’une « monarchie absolue de droit divin ».

Cette XIème mobilisation était spectaculaire partout en France, car elle démontrait la détermination inflexible du peuple qui scandait le slogan « Macron démission ». Il faudra que Macron démissionne pour que les revendications sur la réforme de la Constitution se poursuivent jusqu’à leur terme, dont l’essentiel est l’introduction dans le texte du « Référendum d’Initiative Citoyenne » en toutes matières. 

A la suite du « Grand Débat » citoyen qui doit se terminer le 15 mars prochain, il faudra que cette demande essentielle remonte au « sommet ». Nous savons déjà qu’elle sera niée, critiquée, condamnée, rejetée par la macronie au pouvoir. Voilà pourquoi, la suite des événements sera très vraisemblablement la grève générale et le blocage économique radical du pays obligeant Macron à démissionner. Dès que ce préalable sera obtenu, alors il sera possible d’envisager cette réforme exigée par le peuple.

Le projet de loi constitutionnelle du Gouvernement ne comportait, en 2018, aucune proposition pour amorcer l’exercice d’une démocratie directe participative. Même l’article 14, transformant le CESE en chambre de la participation citoyenne, limitait cette participation aux pétitions et aux consultations. Ce projet déniait toujours aux citoyens le droit de décision pourtant inscrit à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. » 

L’article 3 de la Constitution précise : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Or, aujourd’hui le déclanchement des référendum(s) est soit, (selon l’article 11) à l’initiative du Président de la République ou des parlementaires, soit (à l’article 89), exclusivement à l’initiative du Président dans le cadre d’une révision constitutionnelle.

Le vote blanc et le RIC doivent être introduits dans la Constitution. 

Un sondage d’Elabe, datant du mois de février 2018, donnait 73% des français comme favorables à « l’Instauration du référendum d’initiative populaire, sur proposition de 500. 000 électeurs ». Cette demande était portée par de nombreux collectifs comme « Article 3 », « Clic-Ric », « RLS »… Il faut également souligner que  le RIC était déjà inscrit dans les programmes présidentiels de Asselineau, Dupont-Aignan, Hamon, Le Pen et Mélenchon et donc qu’il était implicitement accepté par 52,9 % des votants du premier tour des élections présidentielles de 2017.

Sur les 2399 amendements qui avaient été déposés pour la lecture en séance publique du projet de loi constitutionnelle en 2018, 64 amendements abordaient le sujet du référendum.

L’obligation du référendum se trouve déjà prévue à plusieurs endroits de la Constitution: 

1 – dans le préambule pour les modifications de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793, 

2 – dans le Préambule de 1946 et de la Charte de 2004 (2406) 

3 – aux articles 53 et 72 (97,1185, 82) pour les modifications des collectivités locales ou d’outre-mer, 

4 – aux articles 53 et 88 pour les traités et accord commerciaux y compris pour l’élargissement ou la délégation de compétences à l’UE (1160, 184), 

5 – à l’article 89, pour les révisions constitutionnelles (1223), 

6 –  à l’article 11 (189), notamment 7 amendements souhaitaient inclure les lois sociétales.

Onze amendements souhaitaient modifier les seuils de déclenchement du referendum d’initiative partagé de l’article 11 qui nécessite aujourd’hui d’être initié par 185 parlementaires puis soutenu par 4 millions 700.000 électeurs!

15 amendements donnaient réellement de nouveaux pouvoirs aux citoyens :

La moitié était proposée par la France Insoumise. Un amendement prévoyait le référendum d’initiative citoyenne (RIC) à plusieurs endroit de la Constitution: dans le préambule pour convoquer une assemblée constituante (1246); à l’article 11 pour des référendums législatifs et abrogatoires (189, 1131); aux articles 6, 24 et 72 pour des référendums révocatoires (1126, 1201, 1177); à l’article 72 pour des référendums locaux (1182). Mais, personne n’avait encore proposé de RIC constitutionnel qui est l’instrument de base le plus important de la souveraineté du peuple comme c’est le cas pour la Confédération Helvétique, par exemple. Jusqu’à présent, personne n’avait proposé d’inscrire le RIC à l’article 3 de la Constitution qui pourtant précise les principes de la souveraineté.

Quels ont été les arguments invoqués par l’exécutif pour rejeter tous ces amendements?

Les débats s’étant arrêtés le 18 juillet 2018 à l’article 24 de notre Constitution, seuls 37 de ces 64 amendements ont été examinés en séance publique. Ils ont tous été systématiquement rejetés par l’exécutif. Pour comprendre sa position on peut se référer à la parole de Sieyès dans son discours du 7 septembre 1789 qui résume très bien le point de vue:

« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »

On peut ainsi comprendre très clairement que le sujet majeur actuel, pour le peuple Français, c’est de passer à la démocratie véritable : une démocratie directe participative, incluant en soi l’abolition de la 5ème République et de tous les pouvoirs donnés au Président de la République. La France ne peut plus être une monarchie républicaine, elle doit devenir une démocratie; les Français veulent être directement responsables de la vie politique du pays et de la communauté de destin qui les réunit. Le régime parlementaire représentatif ne représentant absolument plus les désirs, la volonté, la conscience et la souveraineté du peuple, le temps est venu de reprendre en mains cette souveraineté. 

Les « représentants » étaient légitimes à l’époque où le peuple était majoritairement analphabète. Aujourd’hui, le peuple est constitué de personnes qui sont bien mieux informées et bien plus compétentes que la plupart de ses représentants. Le régime parlementaire représentatif est aujourd’hui caduc et ses défenseurs sont manifestement de mauvaise foi, car tout le monde sait pertinemment que l’Assemblée Nationale n’est, en aucun cas, représentative du peuple français!

Cette réforme implique également que le pouvoir supra national donné arbitrairement à l’Union Européenne, contre la volonté du peuple exprimée le 29 mai 2005 par le référendum, soit aboli. La Constitution Européenne doit, elle aussi à son tour, être réformée, selon l’objectif qui avait été donné à l’origine et qui concernait une Europe des Nations.

Le pacte d’Aix-la-Chapelle entre Merkel et Macron, écrit et signé en catimini, sans l’avis du peuple, va à l’encontre de cet objectif souhaitable. Macron et Merkel sont entrain de concocter un système de verrouillage qui rendra encore plus compliqué ce réaménagement de l’Union Européenne. Il est clair que dans ces conditions, la lutte sera beaucoup plus violente, puisque les prédateurs du système ultra libéral veulent l’abolition des Etats Nations, alors que les peuples révoltés veulent qu’on reconnaisse leur souveraineté. Il y a là deux logiques diamétralement opposées et dont l’incompatibilité s’accentue chaque jour un peu plus, grâce aux manigances et aux trahisons des oligarques placés illégitimement au pouvoir. Rappelons que la présence de Macron à l’Elysée n’est pas légitime, compte tenu du nombre de voix qui l’a placé à ce poste usurpé par la manipulation électorale avec l’aide des médias aux mains des milliardaires et de la banque.

Quant aux amendements sur le tirage au sort, mis à part l’amendement 358 de l’UDI créant un Conseil Supérieur de la Justice avec des citoyens tirés au sort pour assister le Conseil Supérieur de la Magistrature, aucune proposition n’avait encore été faite en ce sens. 

Le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) est une procédure législative dont l’initiative appartient exclusivement aux citoyens et qui leur permet — si les conditions prévues par la loi sont remplies — d’imposer un référendum pour prendre une décision concernant la Constitution, les traités, les lois, les règlements…

C’est cette procédure qui fait du peuple le législateur en dernier ressort. Dans le régime politique «  représentatif », avec son règlement électoral très injuste, les citoyens sont réduits au silence pendant toute la durée du mandat des élus. A partir du moment où ils ont voté, tout leur échappe ensuite et ils ne décident plus de rien pendant des années!

Voilà pourquoi le RIC a de nombreux effets bénéfiques :

Il est la Garantie du respect des promesses.

Il donne aux citoyens la maîtrise de leur destin, parce qu’il pourrait imposer des référendum(s) en toutes matières y compris concernant les traités. 

Il favorise la concertation, parce que le Pouvoir aurait toujours peur de voir ses décisions soumises à référendum.

Il favorise la stabilité juridique :

À chaque alternance, les lois sont remaniées et cela donne une complexification du droit qui devient inintelligible, même pour les professionnels du droit. Si une loi adoptée par un camp, n’est pas soumise à un RIC abrogatif, en cas d’alternance elle ne sera pas remise en cause puisque le peuple l’aura « avalisée ».

Il évite le gaspillage d’argent public puisqu’il peut se prononcer préventivement sur tout projet inconsidéré ou inutile.

Il est une arme anticorruption :

La grande distribution ou des Régions, par exemple, ne voudront plus «  acheter » des permis de construire de création ou d’extension, (les centres commerciaux qui tuent le petit commerce de proximité ou les aéroports inutiles qui vont apporter plus de nuisances pour les riverains qu’un « ruissellement » économique) s’ils peuvent être remis en cause par RIC. 

Il fait des citoyens des réformateurs :

Les réformes profondes et justes dont la France a besoin, ne peuvent pas être mises en place par les professionnels de la politique car ceux-ci sont en campagne électorale permanente, préoccupés par leur réélection. De nombreuses associations, collectifs dans tous les domaines, ont des propositions qui attendent depuis des années. Un de ces collectifs citoyens « Article 3 » propose les aménagements suivants dans la nouvelle Constitution :

Article 1

L’article 3 de la Constitution devrait être ainsi modifié : le point final du premier alinéa serait remplacé par «d’initiative citoyenne, en toutes matières y compris constitutionnelle et de ratification des traités; cet article ne peut être modifié que par voie référendaire.»

Article 2

Les articles 11, 24, 39, 60 et 89 seraient modifiés pour prendre en compte la nouvelle rédaction de l’article 3.

L’article 11 serait supprimé.

Le premier alinéa de l’article 24 serait ainsi modifié : «La loi est votée par le Parlement ou par référendum d’initiative citoyenne. Le Parlement contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques.»

Le premier alinéa de l’article 39 serait ainsi modifié : «L’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre, aux membres du Parlement et aux citoyens.»

L’article 60 serait ainsi modifié : «Le Conseil Constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum prévues aux articles 3 et 89 et au titre XV. Il en proclame les résultats.»

L’article 89 serait remplacé par :

«L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre, aux membres du Parlement et aux citoyens.»

«Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.

Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au referendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale.

L’initiative citoyenne de révision de la Constitution est définitive si elle a obtenu lors de la consultation la majorité des trois cinquième des suffrages exprimés.

Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.

La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision.»

Article 3

Les articles de la Constitution, dans leur rédaction résultant de la présente loi constitutionnelle, entrent en vigueur dans les conditions fixées par la loi organique nécessaire à leur application.

Article 4

Si les articles de la Constitution ne sont pas entrés en vigueur dans les modalités fixées par l’article 3 dans les six mois suivant la promulgation de cette loi constitutionnelle ou la dernière dissolution de l’Assemblée nationale, l’Assemblée nationale est dissoute; les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.

Arguments :

Le domaine constitutionnel ne doit pas être exclu du champ d’application du referendum d’initiative citoyenne. Comme le précise l’article 28 de la Constitution de 1793 :

«Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution, une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures».

De même, les traités, qui impliquent souvent des transferts de souveraineté, doivent impérativement faire l’objet d’un referendum d’initiative citoyenne.

Il est prévu que l’article 3 ne puisse être modifié que par voie référendaire afin d’éviter qu’un vote du Congrès ne puisse retirer le référendum d’initiative citoyenne de la Constitution.

Des élections anticipées sont prévues si la loi organique n’est pas promulguée 6 mois après l’adoption du nouvel article 3. En effet, il est prudent de le préciser puisqu’on a vu que l’article 11 de la Constitution voté en juillet 2008, n’était toujours pas en vigueur en septembre 2013, la loi organique annoncée n’ayant toujours pas été adoptée plus de 5 ans après! La procédure instaurée par le nouvel article 11 introduit un référendum exclusivement d’initiative parlementaire, même s’il est souvent qualifié mensongèrement de « référendum d’initiative populaire » ou « d’initiative partagée »; de plus, son organisation n’est pas automatique et dépend du bon vouloir du Gouvernement et de sa majorité.

Les modalités d’application ne sont pas précisées afin de ne pas affaiblir le soutien massif de nos concitoyens au principe du référendum d’initiative citoyenne (82 à 88 % des Français y sont favorables). Il appartiendra aux parlementaires d’en préciser les modalités dans une loi organique, le peuple pouvant revenir sur ces modalités s’il les jugeait inadéquates.

Conclusion

Le travail constituant présent relève de la maturité politique du peuple Français et de la conscience collective qui est parvenue, au terme d’un long parcours de gestation accompli dans le silence depuis 40 ans, à se réveiller pour de bon. Sans doute que certains contenus de la dernière campagne électorale présidentielle, notamment ceux de la France Insoumise, ont fortement contribué à cette préparation et gestation collective, car nous voyons aujourd’hui l’ensemble du peuple français, (80%) sans distinction de droite ou de gauche, du centre ou des extrêmes, s’approprier quasi tous les thèmes qui avaient été débattus et explicités dans « l’avenir en commun de la France Insoumise ». « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu », disait la France Insoumise citant Victor Hugo. Elle n’avait pas pu prévoir à l’avance comment cette puissance politique allait se manifester. Malgré toutes les ruses des prédateurs ultra-libéraux, il était impossible de museler aussi aisément la volonté du peuple qui a su contourner les barrières qu’on lui avait odieusement imposées, en faisant entendre la voix de sa revendication unanime, par les urnes de la rue, celle des ronds-points, et celle du « Grand Débat » que les Français comptent bien mener à son terme. 

Jean-Yves Jézéquel

Lire la première partie :

Gilets-Jaunes – Le travail constituant, le 16 janvier 2019

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Mohsen Abdelmoumen : Comment expliquez-vous le recul de la gauche et la montée de l’extrême-droite en Amérique Latine, comme on l’a vu au Brésil avec l’élection du fasciste et tortionnaire Jaïr Bolsonaro et celle de Mauricio Macri en Argentine ?

Prof. Atilio Borón : Il existe de nombreuses raisons, que je ne peux que résumer ici. Premièrement, l’intensité de la contre-offensive américaine visant à vaincre les gouvernements progressistes a été impressionnante. Macri était un cadeau inattendu, plus dû aux erreurs du kirchnerisme qu’à autre chose. Mais la victoire était très importante pour les États-Unis. Bolsonaro est le produit de la démobilisation du PT établie par Lula depuis les débuts, de la corruption complète du système judiciaire qui a mis en prison Lula et a permis à Bolsonaro de ne pas être présent dans les débats présidentiels, le soutien constant des médias hégémoniques et, bien sûr, les graves erreurs des gouvernements Lula/Dilma qui croyaient que la politique sociale et l’extraction de millions de personnes de l’extrême pauvreté seraient suffisantes pour changer la conscience populaire et faire de ces personnes les partisans de politiques progressistes. Comme en Argentine, il s’agissait d’une politique de redistribution des revenus sans éducation de masse ni socialisation. En plus de cela, le problème de la violence des gangs dans les favelas était crucial au Brésil, et il n’a pas été bien combattu par les gouvernements PT, ce qui donnait l’impression que la seule politique dont ils disposaient pour faire face à ce grave problème était un programme d’éducation civique à long terme qui, bien sûr, n’a pas réussi à arrêter le progrès fulgurants de la criminalité dans les bidonvilles et les favelas. Une propagande subtile et des métadonnées, plus Cambridge Analytica et l’habileté de Steve Bannon ont fait le reste. Le Brésil a prouvé, comme plus tôt en Amérique, que les « fake news » sont généralement considérées comme des informations fiables. Ainsi, les mensonges et la diffamation de la campagne Bolsonaro ont été extrêmement efficaces.

Dans votre livre très pertinent “Twenty-First Century Socialism : Is There Life After Neo-Liberalism ?”, vous démontrez que l’Amérique Latine n’a aucune perspective avec le capitalisme, et vous démentez les thèses néolibérales qui affirment que le capitalisme est le remède à tous les maux. Ne pensez-vous pas que le système capitaliste a tout simplement échoué, que ce soit dans le centre capitaliste comme on le voit avec le mouvement des Gilets Jaunes en France mais aussi à la périphérie ? Ne pensez-vous pas que le système capitaliste n’offre aucune perspective nulle part ?

Le capitalisme a été un immense échec. De nombreuses réalisations technologiques et des hausses très modestes du niveau de vie des majorités sociales se sont combinées à une concentration irrésistible de la richesse et des revenus, aussi bien au centre qu’à la périphérie. Le livre de Thomas Piketty et des milliers d’articles et de livres l’ont prouvé, et la tendance ne peut être inversée. Aujourd’hui, le 1% le plus riche de la population mondiale s’est emparé de plus de richesses que les 99% restants. Cette situation n’a pas de précédent dans l’histoire universelle ! Et c’est politiquement, socialement et économiquement insoutenable. En outre, les récents développements capitalistes ont nui à Mère Nature comme jamais auparavant. Ainsi, la « deuxième contradiction » du capitalisme, telle que posée par Jim O’Connor, est devenue fatale de nos jours. Suffisamment en regardant les catastrophes environnementales du changement climatique pour comprendre l’ampleur de ce problème et l’incapacité totale des sociétés capitalistes de s’en débarrasser.

D’après vous, le capitalisme ne porte-t-il pas en son sein sa propre ruine ?

Oui, c’était la thèse principale de Marx dans ses écrits, mais elle a également été établie, bien que métaphysiquement, par les réflexions pénétrantes de Hegel sur la dialectique des marchés et de la société civile dans le capitalisme. Mais, comme Lénine l’a enseigné, le système capitaliste ne s’effondrera pas à moins que des forces sociales et politiques ne le renversent. Berstein avait tort à cet égard et Marx et presque tous ses partisans avaient raison de souligner le besoin d’une force révolutionnaire, qu’il s’agisse d’un parti, d’un mouvement ou de toute autre organisation populaire. De lui-même, le capitalisme perdurera malgré ses contradictions et, dans ce processus, la barbarie deviendra son signe distinctif.

À votre avis, le mouvement des Gilets Jaunes qui a vu le jour en France et qui se propage en Europe n’est-il pas un mouvement révolutionnaire et fondamentalement anticapitaliste ?

C’est une révolte populaire, anti-néolibérale mais pas entièrement anticapitaliste. De plus, il s’agit d’une collection extrêmement hétérogène d’acteurs sociaux et je ne suis pas sûr qu’au bout du compte, ils seraient tous prêts à prendre d’assaut la citadelle ou le pouvoir capitaliste. Je ne serais pas surpris si une partie importante d’eux finissait par mettre fin à leur activisme en rejoignant les forces de la droite. Le « poujadisme » a été une expérience très importante dans la France post-seconde guerre mondiale.

Ne pensez-vous pas qu’il y a une nécessité de refondation de la gauche en Amérique Latine et dans le monde ? La classe laborieuse n’a-t-elle pas un besoin impératif d’un encadrement révolutionnaire qui obéit aux exigences du moment ?

Oui, c’est absolument nécessaire. Mais nous sommes confrontés à un problème critique : la division des conditions objectives de la révolution, déjà suffisamment mûres, et le retard dans la constitution d’une conscience révolutionnaire, le retard dans la maturation des conditions subjectives. Malgré le passé, la perspective révolutionnaire est complètement invisible pour les masses, en Amérique Latine comme dans le reste du monde. La formidable efficacité des appareils idéologiques de l’État capitaliste a complètement effacé la révolution du paysage. Par conséquent, l’énorme importance de la bataille idéologique est de convaincre les masses que la révolution est non seulement possible mais nécessaire. Deuxièmement, une fois le premier acquis, nous devrions trouver la forme politique appropriée pour canaliser l’impulsion révolutionnaire renouvelée des masses. Les partis léninistes ou gramsciens traditionnels sont-ils la réponse adéquate à un nouveau prolétariat mondial, immense et très hétérogène, fragmenté en milliers de petits morceaux, comme un miroir brisé ? J’en doute. Le dicton de Mariategui selon lequel « la révolution ne peut être ni une « copie conforme » (calco, »trace »), ni une réplique mais une création héroïque des masses » est plus valable que jamais.

L’ancien conseiller de Trump Steve Bannon est en train de fédérer toute l’extrême-droite en Europe. Sachant qu’en Amérique Latine, les USA ont soutenu des fascistes comme Bolsonaro et Macri, ne pensez-vous pas qu’il y ait un plan piloté par l’administration US d’unir toute l’extrême-droite à travers le monde ?

Oui en effet. Et cela a été explicitement déclaré par Bannon et de nombreuses autres personnes. C’est une aspiration de longue date du gouvernement américain depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et le changement rapide du climat politique (dans une direction réactionnaire, commençant en Europe en raison des réfugiés et de la présence croissante de la population musulmane) a fourni à Trump une opportunité en or. Cependant, le résultat est loin d’être ce qu’ils attendent et de nombreux facteurs interviennent dans l’évolution de la situation politique. Les résultats peuvent être très décevants pour le gouvernement américain.

D‘après vous, dans certains pays susceptibles de connaître des interventions impérialistes qui visent les richesses de leur sous-sol et par intérêt géopolitique, comme par exemple l’Algérie, n’y a-t-il pas une nécessité d’avoir des dirigeants légitimes et intègres et des institutions fortes pour éviter le chaos ? Ibn Khaldoun a prophétisé que les tyrans ramèneront les envahisseurs ; les véritables alliés de l’impérialisme ne sont-ils pas des dirigeants corrompus et illégitimes ?

Pour contrer le chaos créé par l’impérialisme, un leadership honnête et des institutions fortes doivent s’accompagner d’une mobilisation populaire intense et bien organisée. Il existe de nombreuses histoires en Amérique latine dans lesquelles des gouvernements honnêtes ont été évincés par des coups d’État promus par le gouvernement américain et ses alliés oligarchiques sur le terrain. Prenons le cas de Salvador Allende au Chili en 1973 ou d’Arturo U. Illía en Argentine en 1966, deux exemples éloquents de ce que je dis. Par contre, les sabotages, la corruption et le despotisme ont été les marques de tout régime établi après une intervention impérialiste en Amérique latine ou dans les Caraïbes. Des cas tels qu’Alfred Stroessner au Paraguay, François Duvallier en Haïti, Rafael L. Trujillo en République dominicaine ou Anastasio Somoza au Nicaragua, sans parler des dictatures les plus récentes en Argentine, au Brésil et au Chili prouvent de manière concluante que les États-Unis et les intérêts locaux bourgeois ne croient pas du tout aux procédures démocratiques. La rhétorique de la droite est absolument fallacieuse. Si, pour faire prévaloir leurs intérêts, ils doivent tuer, incarcérer ou torturer, ils feront tout cela. Prenons le cas de Sukarno en Indonésie et l’assassinat de masse d’un demi-million de personnes afin de nettoyer le pays des « communistes » ; ou les milliers de « desaparecidos » (ndlr : disparus) en Argentine, ou les magnicides perpétrés contre des personnalités exceptionnelles de gauche en Amérique latine comme Joao Goulart, Pablo Neruda, Orlando Letelier (à Dupont Circle, Washington DC !!!), Omar Torrijos de Panamá et Jaime Roldós de l’Équateur, parmi les personnalités les plus connues. L’impérialisme et les gouvernements honnêtes ne vont pas bien ensemble. La lutte pour l’autodétermination nationale, pour une démocratie dynamique et pour une gouvernance honnête est vouée à l’échec sans une forte résistance contre l’impérialisme, véritable factotum des régimes les plus atroces jamais connus dans notre région.

Les acquis de la révolution sandiniste au Nicaragua survivront-ils aux assauts permanents de l’impérialisme US ?

Je pense que oui, mais au prix d’un durcissement du régime politique. Une citadelle assiégée n’offre jamais un terrain propice à la tolérance, au pluralisme, à des libertés débridées. Mais les plans de l’empire sont exactement de faire régresser le sandinisme dans une involution non démocratique menant à une « crise humanitaire » qui pourrait servir de prélude à une « solution libyenne » : invasion, chaos social et économique, troubles et lynchage d’Ortega et de son entourage immédiat.

N’y a-t-il pas un risque d’intervention américaine au Venezuela ?

Il y a des plans. Le Commandement du Sud l’a dit il y a quelques années. Le problème auquel ils sont confrontés est que les forces militaires bolivariennes sont fortes, bien équipées et prêtes à se battre. L’armée brésilienne hésite à participer à une invasion et ses homologues colombiens craignent que la distraction de leurs forces au Venezuela ne crée les conditions d’une croissance rapide de la guérilla dans leur pays. Donc, je n’exclurais pas la possibilité d’une intervention militaire chirurgicale des États-Unis au Venezuela, mais jusqu’à présent, tout n’a été que pourparlers et aucune action. Par ailleurs, de manière non militaire, l’intervention américaine au Venezuela est persistante depuis la montée de Chavez en 1999. Les sanctions économiques, les sabotages, les tentatives de coup d’État, les pressions diplomatiques, le blocus commercial, etc. ont été courants et persistants au cours de toute l’expérience bolivarienne.

Comment analysez-vous la transition politique à Cuba ? Comment expliquez-vous l’acharnement permanent de l’administration US contre Cuba depuis la mise en place de l’embargo en 1962 ?

C’est une longue histoire. Déjà en 1783, John Adams demanda l’incorporation de Cuba sous la juridiction des États-Unis. Cuba a une énorme valeur géopolitique en tant que porte d’entrée principale des Caraïbes, qui est considérée par l’armée et les stratèges américains comme une sorte de « mare nostrum », et ils n’acceptent pas le fait que Cuba agisse en tant que nation souveraine, avec autodétermination et ne veuille pas recevoir humblement les ordres de la Maison-Blanche. Le blocus a échoué parce que le régime révolutionnaire n’est pas tombé, mais les souffrances infligées au peuple cubain sont énormes et criminelles, de même que les obstacles que le blocus a causés au développement économique de Cuba. Pourtant, la Révolution reste en mesure de proposer de meilleures politiques sociales en matière de santé, d’éducation et de sécurité sociale que la plupart des pays du monde, et pour Washington, c’est un « mauvais exemple » intolérable qui devrait être éradiqué à tout prix. Jusqu’à présent, ils n’ont pas été en mesure de le faire et je ne pense pas qu’ils le feront dans un proche avenir.

On voit par exemple le martyr du peuple palestinien par l’entité criminelle d’Israël, ou le massacre du peuple du Yémen par l’Arabie saoudite, alliée des Etats-Unis. N’y a-t-il pas une nécessité d’avoir un front mondial anti-impérialiste que ce soit en Amérique, en Afrique, en Europe ou en Asie, où les peuples partagent le même combat : résister à l’impérialisme qui dévaste les pays et au capitalisme qui exploite et saigne les peuples ?

Absolument. Chávez voulait créer ce front anti-impérialiste, mais sa demande n’a pas été bien accueillie car beaucoup interprètent mal sa proposition comme étant une renaissance ou la Troisième Internationale sous Staline. C’était stupide, mais malheureusement, de nombreuses organisations populaires ont suivi cette ligne. Samir Amin, François Houtart et moi-même avons proposé la création d’un tel front international au Conseil international du Forum social mondial de Porto Alegre et nous avons été battus, en grande partie à cause de l’opposition de puissantes ONG qui ont totalement rejeté cette idée. Non seulement cela : ces ONG ont également joué un rôle déterminant dans la diffusion d’un fort sentiment « antipolitique » qui méprisait les partis politiques, les dirigeants politiques et les agendas politiques. Au point qu’il était très difficile d’inviter Lula et Chávez aux réunions successives du Forum. Aujourd’hui, cela a changé, bien que je ne sois pas sûr de la profondeur et de la cohérence de ce développement prometteur.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

 

Qui est le Professeur Atilio Borón ?

Le Professeur Atilio Borón est un sociologue, politologue, professeur et écrivain argentin. Il a obtenu son doctorat en sciences politiques à l’Université Harvard. Il enseigne les sciences politiques à l’Université de Buenos Aires et est chercheur au CONICET (Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas). Le Professeur Borón est directeur du programme latino-américain d’éducation à distance à Buenos Aires et collaborateur du projet New Politics de TNI (Transnational Institute). Il est également ancien secrétaire général du CLACSO (Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales), organisme de coordination universitaire pour l’Amérique latine.

En 2009, il a reçu le prix international José Marti de l’UNESCO pour sa contribution à l’intégration des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes.

Il a écrit plusieurs ouvrages, dont : Empire and Imperialism : A Critical Reading of Michael Hardt and Antonio Negri  (2005) ; Twenty-First Century Socialism : Is There Life After Neo-Liberalism ? (2014) ; State, Capitalism, and Democracy in Latin America (1995) ; Filosofia politica contemporanea (2010) ; El eterno retorno del populismo en América Latina y el Caribe (2012) ; America Latina en la geopolítica del imperialismo (2013) ; Imperio & Imperialismo (2002), Filosofia política marxista ; etc.

Son site officiel

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Le Gouvernement du Venezuela a obtenu la soutien de sa souveraineté au Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU), samedi : sur les 35 pays qui le composent, 19 se sont déclarés pour la non ingérence dans les affaires intérieures du Venezuela et en faveur d’un processus de dialogue entre les Vénézuéliens.

 La réunion extraordinaire de ce Conseil a été convoquée à la demande du secrétaire d’Etat des Etats-Unis (USA) Mike Pompeo pour essayer d’obtenir un consensus international qui justifierait le coup d’Etat en cours au Venezuela et la reconnaissance de l’imposition d’un « Gouvernement fantoche. »

Cependant, les Etats-Unis, ses alliés, ce qu’on appelle le Groupe de Lima et une partie de l’Union Européenne (UE) n’ont pas réussi à atteindre leur objectif au sein du Conseil de Sécurité où la majorité des pays de différents continents a exigé le respect de al souveraineté du Venezuela.

Ainsi, de grandes puissances ayant le droit de veto, la Russie et la Chine, ont rejeté fermement la position étasunienne avec le soutien de pays d’Afrique, d’Amérique Latine et des Caraïbes et ont obtenu une position majoritaire contre l’ingérence étrangère au Venezuela.

Le monde a opté pour la démocratie

L’ambassadeur de Russie à l’ONU, Vasili Nebenzia, a affirmé que « la véritable menace pour la paix, c’est les Etats-Unis et leur désir de coup d’Etat. »

La Bolivie a dénoncé le fait que la véritable intérêt de la session convoquée par Mike Pompeo contra Venezuela se trouve dans les ressources naturelles du pays et dans les différends idéologiques et politiques avec le Gouvernement Bolivarien : « Quel pays est meilleur après une intervention des Etats-Unis ? » a demandé à ses collègues le représentant bolivien Sacha Llorenti.

 Le représentant de la Chine, le diplomate Ma Zhaoxu a déclaré :

« Nous soutenons les efforts du Gouvernement vénézuélien pour défendre la souveraineté et la stabilité du pays et nous nous opposons à l’ingérence dans les affaires vénézuéliennes… La situation au Venezuela est une affaire intérieure et n’est pas une menace pour la paix internationale. »

Pour sa part, l’ambassadrice permanente de Cuba, Anayansi Rodríguez, a assuré que les agressions contre le Gouvernement vénézuélien sont une tentative désespérée pour appliquer « une politique erronée de changement de régime » qui a souvent échoué « à cause de l’inébranlable résistance du peuple vénézuélien et de sa volonté de défendre sa souveraineté nationale. »

 Autres déclarations :

Guinée Equatoriale : « La situation au Venezuela est une affaire intérieure et n’est pas une menace pour la paix et la sécurité internationales. »

Afrique du Sud : « Nous devons promouvoir des voies qui créent un environnement propice au dialogue et à la coopération, une voie qui facilite la résolution des difficultés du peuple vénézuélien. »

Dominique : « Pour répondre pacifiquement à la situation au Venezuela, il faut le dialogue entre les parties. La Dominique offre ses bons offices pour faciliter ce processus. »

Nicaragua : « Nous exigeons le respect de la constitutionnalité du Président Nicolás Maduro au Venezuela. »

 Mexique : « C’est le peuple du Venezuela qui doit choisir son propre tournant sans aucune ingérence. »

 Barbades : « Les chefs des Caraïbes continueront à s’impliquer dans la situation au Venezuela. Nous appelons à un dialogue pacifique et nous rejetons toute ingérence dans les affaires intérieures de ce pays. »

 Uruguay : « La pire solution pour le Venezuela, c’est de renforcer son isolement international. »

 Salvador : « La résolution pacifique des conflits, le plein respect de la non intervention et de la souveraineté le non usage de la force ou de la menace de l’usage de la force sont le meilleur chemin pour surmonter les difficultés. »

Source en espagnol :

https://www.telesurtv.net/news/venezuela-apoyo-democracia-consejo-seguridad-onu-20190126-0016.html

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

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Coup de gueule d’un ministre vénézuélien

janvier 27th, 2019 by Jorge Arreaza

Le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Jorge Arreaza.

Emmanuel Macron a-t-il son mot à dire sur la crise au Venezuela alors que les “gilets jaunes” manifestent depuis des mois pour sa démission ?

C’est la question que se pose ce ministre vénézuélien.

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Pic pétrolier?(…) Coup d’Etat en cours au Venezuela

janvier 26th, 2019 by Mondialisation.ca

Sélection d’articles :

Qu’est-il arrivé au pic pétrolier? Découverte majeure d’un nouveau gisement de pétrole.

Par F. William Engdahl, 23 janvier 2019

Le Peak Oil a été et est toujours une invention de certains milieux financiers avec « Big Oil » pour justifier, entre autres, des prix très élevés pour leur pétrole. La théorie du pic pétrolier qu’ils défendaient pour justifier les prix élevés, remonte aux années 1950 et un géologue pétrolier excentrique de Shell Oil à Houston, nommé King Hubbard.

 

Laurent Gbagbo acquitté par l’inique Cour pénale internationale

Par Jean-Hilaire Yapi, Bernard Desgagné, et Robin Philpot, 24 janvier 2019

La Cour pénale internationale vient d’acquitter l’ancien président ivoirien et l’ancien ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé de toutes les accusations portées contre eux. MAIS ILS NE SONT TOUJOURS PAS EN LIBERTÉ!

 

Venezuela: Trump joue avec le feu

Par Atilio A. Boron, 24 janvier 2019

L’empereur a publié son úkase et oint comme président Juan Guaidó, un moins-que- rien de la politique vénézuélienne, inconnu de la grande majorité de la population, mais construit, « prêt à porter » par les médias américains et les spécialistes du marketing dans les deux dernières semaines.

 

Khashoggi a-t-il vraiment été tué?

Par F. William Engdahl, 24 janvier 2019

Je n’ai pas été convaincu par les affirmations de la Turquie, du Washington Post et d’autres au sujet de l’horrible meurtre, en octobre 2018, de Jamal Khashoggi, un agent du renseignement. Il y a trop d’anomalies, comme en témoignent diverses déclarations du président turc, M. Erdogan, et comme en témoignent les nombreux médias occidentaux de grande diffusion. Des recherches récentes suggèrent que Khashoggi n’a peut-être jamais été dans ce consulat saoudien…

 

Davos ou le scandale d’un monde qui a perdu son âme

Par Chems Eddine Chitour, 24 janvier 2019

Rituellement se tient en Suisse le Forum de Davos et ceci depuis plus de quatre décennies. Les grandes décisions entre décideurs se prennent sous l’œil médusé des sans dents qui ne se sentent pas concernés directement par la kermesse ou zerda mais plus par les retombées négatives sur leur quotidien fait de sueur et de larme sans perspective de sortie du tunnel comme le montre la colère des Gilets Jaunes…

 

Coup d’Etat en cours au Venezuela

Par Romain Migus, 25 janvier 2019

Imaginez que les plus hautes autorités chinoises appellent les Gilets jaunes à prendre les rues de Paris et des grandes villes françaises. Imaginez que la Russie décide de ne plus reconnaître le président Macron et déclare que le nouveau président français légitime est Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. Imaginez que l’Iran finance et arme des groupes paramilitaires pour mettre le pays à feu et à sang. Comment appelleriez vous cela ?

 

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En géopolitique, les événements sont rarement ce qu’ils semblent être à première vue. C’est spécialement vrai lorsque l’on regarde de plus près la « guerre » commerciale lancée au printemps dernier qui semblerait autrement bizarre, qui est supposée devoir redresser l’énorme déficit commercial de la balance des paiements annuels les États-Unis, le plus extrême étant face à la Chine. Or le vrai élément moteur derrière cette guerre des tarifs douaniers autrement inexplicable de Washington spécialement livrée contre la Chine, se dévoile lorsqu’on l’étudie à travers le prisme d’un nouveau rapport de l’Administration Trump, concernant la base industrielle du secteur de la Défense aux États-Unis.

Début octobre, un groupe de travail inter-Agence ad hoc [inter-agency Task Force], mené par le Département de la Défense [DoD], a rendu public la part non classifiée d’une étude menée sur un an portant sur la base industrielle domestique requise, afin de fournir les composants vitaux et les matières premières nécessaires à l’appareil militaire des États-Unis. Intitulé « Rapport évaluant et renforçant la base industrielle et manufacturière de Défense et la résilience de la chaîne d’approvisionnement des États-Unis [Report Assessing and Strengthening the Manufacturing and Defense Industrial Base and Supply Chain Resiliency of the United States] », le GTA (Groupe de Travail Ad hoc) inter-Agences avait été commissionné un an plus tôt, par un ordre exécutif peu remarqué n°13806 du Président des Etats-Unis.[i]Ce rapport constitue la première analyse détaillée depuis des années, concernant l’adéquation ou les manques diagnostiqués dans la chaîne d’approvisionnement industriel qui fournit les composants à l’appareil militaire des États-Unis.

300 carences recensées dans base industrielle militaire américaine.

La version déclassifiée de ce rapport est déjà assez choquante en elle-même. Elle cite une longue liste de 300 « lacunes/carences [gaps] » ou vulnérabilités dans la base industrielle militaire américaine.

Ce que celles-ci révèlent en détail, c’est une économie nationale qui n’est plus capable de soutenir les essentiels les plus basiques d’une Défense nationale, une conséquence directe des économies liées à la mondialisation et au recours à la sous-traitance étrangère. Il décrit en détail des pénuries dramatiques de travailleurs qualifiés dans des domaines tels que les machines-outils, la soudure/chaudronnerie, l’ingénierie.

Des machineries vitales comme les machines-outils contrôlées numériquement doivent être importées, la plupart du temps d’Allemagne, un pays qui n’a pas les meilleures relations avec Washington ces derniers temps. Beaucoup de petits fournisseurs spécialisés en composants clés sont des fournisseurs uniques, dont beaucoup sont en permanence menacés d’insolvabilité par les incertitudes du budget américain durant ces dernières années. Et l’industrie de Défense américaine est dépendante de la Chine pour virtuellement tous ses métaux issus des terres rares. Depuis les années 1980, le secteur minier domestique américain concernant ces métaux rares, s’est virtuellement effondré pour des raisons économiques tandis que les fournisseurs se tournaient vers la Chine pour trouver des sources d’approvisionnement moins chères. Aujourd’hui, 81 % des métaux issus des terres rares dont les équipements militaires ont besoin, les supraconducteurs, les ordiphones et autres applications de haute technologie, proviennent de Chine…

Les nombreuses vulnérabilités stratégiques de la Défense étatsunienne.

Le rapport du Pentagone concernant la base industrielle de défense est une tentative de voir plus loin que la douzaine et quelques cocontractants militaires géants les plus connus, comme Boeing ou Raytheon, jusqu’aux dizaines de milliers de entreprises plus petites qui fournissent les composants critiques, afin de déterminer l’état des vulnérabilités américaines en cas de guerre.

Et c’est là que le rapport remarque : « dans des cas multiples, les uniques producteurs domestiques restants de matériaux critiques pour le DoD, sont à deux doigts de fermer leurs usines américaines pour importer à de meilleurs coûts des matériaux provenant des mêmes pays producteurs étrangers qui sont justement en train de les évincer hors de la production domestique. […] Ceci met en évidence un tel potentiel alarmant de goulots d’étranglements composés de ‘sources uniques [d’approvisionnement]’, et la fiabilité de ses sources uniques pose question dans des domaines tels que les arbres d’hélices des navires de l’US Navy, les tourelles de canon pour les chars, les carburants pour fusées et les détecteurs infrarouges extra-atmosphériques pour la défense antibalistique. »

Ce rapport constitue le regard le plus approfondi et le plus critique au sujet de la base industrielle militaire étatsunienne entrepris le début des années 1950 et la Guerre froide. Parmi les exemples, il cite le fait qu’il n’existe aujourd’hui qu’une seule source domestique de perchlorate d’ammonium, composé chimique largement utilisé dans les systèmes de propulsion du Pentagone. Un autre fait alarmant : les États-Unis n’ont plus qu’une seule entreprise produisant domestiquement les cartes de circuits imprimés essentielles dans chaque pièce d’équipement électronique. Il remarque : « depuis 2000, les États-Unis ont connu un déclin de 70 % de leur part dans la production mondiale. Aujourd’hui, l’Asie produit 90 % des cartes de circuits imprimés dans le monde, et la moitié de cette production est chinoise. Le résultat, c’est qu’un seul des 20 plus grands manufacturiers mondiaux de ces cartes est basé aux États-Unis ».[ii]

Un autre composant pas tant visible que vital, c’est la manufacture du carbone imprégné ASZM-TEDA1. L’entreprise Calgon Carbon basée à Pittsburg en est aujourd’hui l’unique fournisseur duquel dépendent les États-Unis. Cet ASZM-TEDA1 est utilisé dans 72 systèmes de filtration chimiques, biologiques et nucléaires du DoD, parmi d’autres équipements de protection contre les gaz toxiques et les attaques chimiques.

Une autre vulnérabilité alarmante (ou pas si alarmante, tout dépend du point de vue) se trouve dans l’approvisionnement fiable en interrupteurs vitaux de contrôle du voltage. En 2017, la fonderie de puces et semi-conducteurs utilisés comme composants de ces interrupteurs de contrôle du voltage, utilisés dans tous les systèmes de missiles du Pentagone, a fermé. Le Département à la Défense n’a pas été informé à temps afin de mettre en place une source de substitution, mettant les systèmes de missiles américains en danger. Et le rapport ajoute que tous les canons des véhicules blindés de l’armée américaine proviennent du seul et vénérable Arsenal Watervliet, bâti en 1813.[iii]

Cibler la Chine pour sauver la base industrielle de défense américaine

Ce rapport américain portable majeur sur la dépendance des compagnies d’armement américaine en composants vitaux externalisés vers devinons qui ? La République Populaire de Chine, le pays que la dernière Revue de Politique de Défense [Defense Policy Review] du Pentagone cite, aux côtés de la Russie, en tant que plus grande menace stratégique pour l’Amérique…[iv]

Et en plus de cette dépendance quasi-complète vis-à-vis des fournisseurs chinois concernant les métaux rares, le problème est le même pour les contrats d’achat d’armes du DoD auprès de plus grandes entreprises américaines comme Lockheed-Martin, qui à leur tour externalisent leur chaîne d’approvisionnement auprès de sources plus efficientes, souvent en provenance de Chine. Le rapport déclare en effet que « la domination de la Chine sur le marché des éléments issus des terres rares, illustre les interactions potentiellement dangereuses entre l’agression économique chinoise, guidée par ses politiques industrielles stratégiques propres, et les vulnérabilités et autres carences dans les capacités manufacturières et la base industrielle de Défense des États-Unis ».[v]

La revue déclare encore que l’industrie de Défense des États-Unis compte sur des producteurs chinois à hauteur de 100 % de ses besoins en minéraux issus des terres rares. Un rapport du GAO [Government Accountability Office, organisme contrôlant la régularité du budget fédéral] rendu en 2016 avait déjà qualifié ceci de « problème fondamental de sécurité nationale ».[vi] Dans une autre section, le rapport ajoute : « sans recours contre les pratiques commerciales illégales et déloyales, les États-Unis vont faire face à un risque grandissant de dépendance du DoD à l’égard de sources étrangères en matériaux vitaux ». C’est là encore une référence explicite à la Chine…

Il n’est donc pas un hasard que la guerre commerciale de Trump ait pu mettre l’accent sur les « pratiques commerciales déloyales » de la Chine. Il n’est pas plus un hasard que l’officiel de l’Administration Trump responsable de cette stratégie de guerre commerciale, le « faucon » anti-Chine Peter Navarro, ait été chargé par le Président de mener les travaux de ce rapport sur la base industrielle de Défense du Pentagone. Le même Navarro, Assistant auprès du Président pour le Commerce et la politique manufacturière[vii], a par ailleurs publié un éditorial libre [OpEd] dans le New York Times sur ce rapport. Dans cet éditorial, il connecte les différentes composantes de l’agenda des tarifs douaniers de Trump, qui apparaîtraient confus autrement, dans des domaines tels que l’aluminium et l’acier, à cette crise de la base industrielle militaire américaine. Il cite par ailleurs certaines étapes de cet agenda, comme « des droits de douane sur l’acier et l’aluminium afin d’appuyer les industries de base ; une solide défense contre les vols éhontés de la Chine et autre transferts forcés de propriétés intellectuelles et d’autres technologies américaines ; un accroissement significatif du budget militaire ; l’expansion des règles d’achat préférentiellement américain [‘Buy American’] dans les marchés publics gouvernementaux »…[viii]

Navarro cite explicitement pour exemple les plaques d’aluminium coulé et corroyé (composants essentiels pour les véhicules de combat terrestre, les navires de l’U.S. Navy et l’aéronautique militaire), qui risquent de connaître « des goulots d’étranglement de production potentiels en cas de recrudescence des demandes du DoD ». Les tarifs douaniers à l’importation sur l’aluminium visent donc à forcer la renaissance d’une production domestique d’aluminium aux États-Unis. En 1980, les États-Unis étaient le plus grand producteur primaire d’aluminium au monde en produisant 30 % des besoins mondiaux, un héritage de l’ère des deux guerres mondiales et de l’émergence des grands avionneurs comme Boeing et consorts. En 2016, l’industrie domestique américaine de l’aluminium menée par Alcoa ne représentait plus que 3,5 % de la production mondiale, tombant au 10e rang des pays producteurs derrière l’Arabie Saoudite. La Chine est le premier producteur mondial avec 55% de parts de marché, suivie par la Russie puis le Canada, qui sont tous trois visés par les droits de douane et les sanctions de Washington sur l’aluminium.

Navarro remarque encore ce qui est peut-être la déficience majeure dans l’anticipation américaine en cas de potentiel futur guerre avec la Russie et la Chine, comme le suggèrent les lignes directrices prospectives du Pentagone : « l’une des plus grosses vulnérabilités identifiées par le rapport se manifeste par une pénurie de travailleurs qualifiés pour les emplois critiques. L’Amérique ne génère simplement plus assez de travailleurs dans le domaine des sciences, technologies, ingénieries et mathématiques afin de pourvoir les emplois dans des secteurs tels que les contrôles électroniques, l’ingénierie nucléaire et spatiale. Nous ne formons plus assez non plus de machinistes, de soudeurs et d’autres métiers qualifiés pour construire et maintenir nos véhicules de combat, navires et aéronefs en condition opérationnelle ».

Dans les récentes années, les étudiants étrangers et internationaux ont dominé les inscriptions dans les premier cycles et cycles supérieurs des universités américaines. Une étude récente a en effet montré que 81 % des étudiants diplômés à plein temps dans les programmes universitaires d’ingénierie électrique et pétrolière au sein des universités américaines sont des étudiants internationaux, et 79 % en sciences informatiques. Le rapport déclare encore que dans bien des universités américaines, « tant les programmes d’études majeurs (2eCycle) que de spécialisations (3e cycle) ne pourrait pas être maintenu sans les étudiants internationaux ».[ix] Et beaucoup de ceux-là vienne d’Asie, plus spécialement de Chine…

 Les premières mesures de l’Administration Trump pour combler les carences.

Les plans de l’Administration américaine visent à combler les 300 carences avec certaines mesures immédiates incluant la résorption des carences clés dans les chaînes d’approvisionnement et l’utilisation des fonds d’autorisation de la Défense [Defense Authorization funds] afin d’étendre les capacités manufacturières domestiques clés, comme les batteries étanches au lithium ou les piles à combustible de pointe pour les futurs véhicules sous-marins sans pilote de la Navy. Il s’agit également de revigorer le Programme des stocks de défense [Defense Stockpile Program] hérités de 1939, pour les matériaux critiques et stratégiques dont les sources de production à l’étranger sont limitées.

La principale conclusion du rapport est que « la Chine représente un risque significatif et grandissant pour la fourniture de matériaux considérés comme stratégiques et critiques pour la sécurité nationale des États-Unis ». Ceci explique également pourquoi l’accent a été mis par l’Administration Trump durant sa guerre commerciale en cours, qui est en fait dirigée contre la Chine, et se concentre sur l’idée de faire pression sur la Chine afin qu’elle abandonne son agenda « Made in China 2025 », consistant à établir la domination de la Chine dans les technologies avancées pour les prochaines décennies.

À un niveau plus profond, dans la mesure où ils concernent la base industrielle de Défense américaine, ce rapport est un exposé majeur concernant la situation réelle de la base industrielle domestique américaine après plus de quatre décennies de libre commerce, de sous-traitance manufacturière à l’étranger et de mondialisation…

La bonne nouvelle, c’est que la troisième guerre mondiale n’est pas vraisemblable de sitôt malgré tous les raclements de sabre audibles. C’est donc un bon moment pour s’attaquer aux débats américains vers un problème de loin plus important : comment corriger la mondialisation économique qui a détruit pratiquement toute la base industrielle américaine, et comment faire revivre l’économie civile, bien que les faucons de guerre néoconservateurs n’aient manifesté aucun intérêt en ce sens durant ces dernières années…

 

Article original en anglais :

Trump ‘Trade War’ Hides Military Industrial Agenda, 13 novembre 2018 

Traduction par Jean-Maxime Corneille, Réseau International

 

William F. Engdahl est consultant en risques stratégiques et conférencier, titulaire d’un diplôme en Sciences Politiques de l’Université de Princeton. Il est l’auteur de plusieurs livres mondialement connus sur le pétrole, la géopolitique et les OGM. Son dernier livre traduit en français : “Le charme discret du djihad”, est disponible aux éditions Demi-Lune et synthétise l’Histoire de l’instrumentalisation du djihadisme par l’Etat profond américain.

Notes

[i] « Assessing and Strengthening the Manufacturing and Defense Industrial Base and Supply Chain Resiliency of the United States », Rapport au Président Donald J. Trump, par le groupe de travail inter-Agences (Interagency Task Force), sur fondement de l’Ordre Exécutif (Executive Order) 13806, Septembre 2018, non classifié : https://media.defense.gov/2018/Oct/05/2002048904/-1/-1/1/ASSESSING-AND-STRENGTHENING-THE-MANUFACTURING-AND%20DEFENSE-INDUSTRIAL-BASE-AND-SUPPLY-CHAIN-RESILIENCY.PDF

[ii]« Trump’s Industrial Base Report Blames China, Sequestration »,
Breaking Defense, 4-10-18.

  https://breakingdefense.com/2018/10/trumps-industrial-base-report-blames-china-congress/

[iii] ibid.

[iv] NdT : voir aussi les travaux de la Commission bipartisane du Congrès [National Defense Strategy Commission] commissionnée par le Sec. Def. Jim Mattis :

  • « U.S. Military’s Global Edge Has Diminished, Strategy Review Finds» (NYT, 14-11618)

https://www.nytimes.com/2018/11/14/us/politics/defense-strategy-china-russia-.html

Rapport de ladite commission : « Providing for the Common Defense – The Assessments and Recommendations of the National Defense Strategy Commission », 13-11-18

https://news.usni.org/2018/11/14/document-the-assessment-and-recommendations-of-the-national-defense-strategy-commission

[v] Ibid.

[vi] NdT : « Rare Earth Materials: Developing a Comprehensive Approach Could Help DOD Better Manage National Security Risks in the Supply Chain » (GAO-16-161: publié le 11-2-16).

https://www.gao.gov/products/GAO-16-161

« Rebuild the US minerals supply chain before it’s too late » (Defense News, 9-7-18)

https://www.defensenews.com/industry/2018/07/09/rebuild-the-us-minerals-supply-chain-before-its-too-late/

« DoD, White House Likely To Fight Chinese Monopoly on Rare Earth Minerals » (Breaking Defense, 18-5-18)

https://breakingdefense.com/2018/05/dod-white-house-likely-to-fight-chinese-monopoly-on-rare-earth-minerals/

« China’s secret trade war option: A rare earth embargo » (The Hill, 2-4-18)
https://thehill.com/blogs/congress-blog/politics/381282-chinas-secret-trade-war-option-a-rare-earth-embargo

[vii] NdT : Assistant to the President for Trade and Manufacturing Policy

[viii] « America’s Military-Industrial Base Is at Risk. And here’s what the White House is going to do about it » (New York Times, 4-10-18), par Peter Navarro, Assistant auprès du Président pour le Commerce et la politique manufacturière. https://www.nytimes.com/2018/10/04/opinion/america-military-industrial-base.html

[ix] « Foreign Students and Graduate STEM Enrollment » (Inside Higher Ed, 11-10-17).

https://www.insidehighered.com/quicktakes/2017/10/11/foreign-students-and-graduate-stem-enrollment

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VENEZUELA : «Un coup contre le droit international»

janvier 26th, 2019 by Alfred de Zayas

Dernier expert des Nations Unies à s’être rendu au Venezuela, l’Etasunien Alfred de Zayas dénonce la tentative de renversement de Nicolas Maduro et plaide pour une médiation onusienne.

La tentative de coup de force du président du parlement vénézuélien et de ses alliés continentaux a ravivé les tensions dans le pays latino-américain. Pour nombre d’observateurs, la non-reconnaissance du président, Nicolas Maduro, tant par l’opposition que par la plupart des Etats de la région ferme de facto la porte à un dialogue national de sortie de crise. Une polarisation sans fin qui pourrait entraîner le pays vers la guerre civile, craint le juriste étasunien Alfred de Zayas, dernier expert des Nations Unies à avoir visité le Venezuela, en 2017.

Si le professeur de droit à la longue carrière onusienne n’est pas tendre avec la manœuvre de l’autoproclamé président Juan Guaido, il est encore plus sévère avec son propre pays. Interview.

Comment avez-vous réagi à l’autoproclamation de Juan Guaido et à sa reconnaissance par de nombreux pays,dont les Etats-Unis?

«Un coup contre le droit international» 2

Alfred de Zayas: Nous assistons à une rébellion contre le droit international et contre le principe démocratique. Il est incroyable que les Etats-Unis s’arrogent le droit de dire aux Vénézuéliens qui doit être leur président! Il n’y a rien de moins démocratique qu’un coup d’Etat [en français]! Ou de boycotter des élections. Pourquoi l’opposition l’a-t-elle fait? Parce qu’elle se savait trop divisée pour les gagner.

L’opposition avait pourtant remporté les législatives en 2015 mais le parlement a été suspendu. N’y a-t-il pas un vrai conflit de légitimité entre le parlement, dont Juan Guaido est le président, et le chef de l’Etat, Nicolas Maduro?

Dans tous les Etats de droit, il y a une séparation des pouvoirs. Le parlement est «suspendu» car il a outrepassé ses compétences et désobéi au Tribunal suprême. Le législatif avait accepté que prêtent serment trois députés [sur 167] dont l’élection avait été invalidée par la justice pour fraude. Si la majorité qui tient le parlement avait voulu – ou voulait enfin – revenir sur ces assermentations, la suspension n’aurait pas lieu d’être. Mais dès le départ, l’objectif avoué était de faire tomber le président. Les parlementaires s’étaient explicitement donnés six mois pour y parvenir. Et comme, selon la Constitution, cette prérogative ne leur appartient pas, ils ont misé sur l’agitation de rue et la dénonciation de la prétendue «dictature».

La stratégie était concertée avec les Etats-Unis. Cela a été patent lorsque – après deux ans de pourparlers avec le gouvernement – le leader de l’opposition, Julio Borges à l’époque, a soudainement refusé de signer l’accord de conciliation obtenu sous l’égide de l’ex-premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero. Les sanctions étasuniennes – interdites par le droit international – vont dans le même sens: susciter la confrontation.

L’ingérence des Etats-Unis dans les affaires du Venezuela me fait penser à la campagne de 2002-2003 contre l’Irak. Pendant des mois des fake news sur des armes de destruction massive avaient préparé l’opinion à un changement de régime en Irak. Ce fut une «révolution» contre le droit international, avec l’appui des quarante-trois Etats de la coalition! Les Américains se voient comme des missionnaires de la démocratie. Chaque fois, ils sont très étonnés de ne pas être reçus comme des héros…

Le Venezuela est-il une démocratie?

Depuis qu’Hugo Chávez a été élu, il y a eu 25 scrutins nationaux démocratiques, ouverts et fiables. Le système électoral vénézuélien est bien supérieur à celui de la plupart des pays! Jimmy Carter, dont la fondation a observé plusieurs scrutins, l’a reconnu, estimant infime le risque de fraude.

La réélection de Maduro est pourtant très contestée.

A tort! Le système est demeuré celui que M. Carter qualifiait de «meilleur du monde». Mais l’opposition l’a boycotté.

«Un coup d’Etat c’est prendre le risque d’une guerre civile!» Alfred de Zayas

L’opposition pointe l’absence d’observateurs internationaux.

C’est un mensonge. Il y a eu des observateurs, j’ai moi-même été invité mais j’ai décliné, je ne travaille pas pour le compte de gouvernements, uniquement sur mandat de l’ONU. D’autres, comme les observateurs du CEELA [Consejo de Expertos Electorales de América Latina, composé d’ex-magistrats de tribunaux électoraux], y sont allés. Par ailleurs, il faut rappeler que ce sont les Européens qui ont décliné l’invitation à venir observer. Il faut une sacrée dose de mauvaise fois pour ensuite regretter cette absence d’observation étrangère! Même chose avec l’argument de l’abstention. Malgré l’appel au boycott d’une partie de l’opposition, avec 67,84% des voix et 46,1% de participation, Maduro a obtenu davantage que le président français1 qui aujourd’hui parle d’une «élection illégitime».

Et la répression des opposants dénoncée par des ONG?

Les leaders de l’opposition arrêtés sont surtout ceux qui ont appelé ou ont été mêlés à la violence. Je connais cette situation. J’ai moi-même intercédé auprès du gouvernement, afin qu’il libère certains prisonniers. Ce qui fut fait au-delà de mes espérances. Cela dit, mon mandat ne couvrait pas les détentions arbitraires, mais «l’ordre international démocratique et équitable».

La liberté d’expression est largement respectée au Venezuela. Il suffit de lire les journaux! El Nacional et El Universal sont très critiques envers le gouvernement. De plus, le pays compte 336 chaînes TV et radio, dont 198 privées et 44 communautaires. S’il est clair que le gouvernement, qui compte plus d’idéologues que de technocrates, a fait d’énormes erreurs, je peux vous assurer que les médias ont beaucoup de latitude pour exagérer quotidiennement son incompétence!

Comment sort-on de cette crise?

Il faut dialoguer. Il n’y a pas d’autre issue. Il y a, au Venezuela, 6 à 7 millions de personnes fidèles au «chavisme». Vous pouvez renverser le gouvernement mais pas les faire disparaître. Elles ne rentreront pas chez elles sans se battre. Un coup d’Etat c’est prendre le risque d’une guerre civile!

L’ONU peut-elle encore jouer un rôle de médiation?

Le comportement de Zeid Ra’ad Al-Hussein [ex-haut-commissaire aux droits humains] a été problématique. Il a écrit des rapports sans aucun mandat. Des travaux réalisés avec un manque de professionnalisme. Il a ainsi «omis» de faire référence aux violences commises par des manifestants, qui avaient pourtant été documentées.

Désormais, Michelle Bachelet a reçu mission formelle du Conseil des droits humains de travailler sur le Venezuela. Et le secrétaire général, Antonio Guterres, a appelé au dialogue pour éviter la catastrophe. J’ai moi-même demandé à Mme Bachelet d’appuyer cet élan de médiation.

ENTRE LES DEUX FRONTS, L’ONU APPELLE AU DIALOGUE

Vingt-quatre heures après l’autoproclamation de Juan Guaido «président par intérim» du Venezuela et sa reconnaissance par les Etats-Unis, le chef de l’Etat, Nicolas Maduro, a reçu jeudi un appui sans ambiguïté de ses alliés internationaux ainsi que de l’armée et de la Cour suprême. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a de son côté défendu le dialogue pour sortir de la crise.

Le ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino, a dénoncé lors d’une conférence de presse, où il est apparu entouré de tout le haut commandement militaire, un «coup d’Etat» de la part du jeune président du parlement. «Loyaux toujours, traîtres jamais», ont lancé certains généraux devant les caméras. Lundi, une brève tentative de soulèvement d’un groupe de militaires avait été rapidement réprimée.

Nicolas Maduro a également pu compter sur ses alliés russe et chinois, qui ont dénoncé les «ingérences extérieures» qui mènent le Venezuela «vers l’arbitraire et le bain de sang». Vladimir Poutine a exprimé son «soutien» à M. Maduro dans un entretien téléphonique. Cuba, le Mexique, la Bolivie et l’Uruguay ont eux aussi réitéré leur appui au président élu en mai 2018.

Au sein de l’UE, Londres et Paris ont en revanche marqué leur soutien au coup de force tenté par Juan Guaido, tandis que Madrid demeurait plus vague, appelant seulement à des «élections libres».

Selon un décompte de l’AFP, une cinquantaine de pays – principalement américains – considèrent comme «illégitime» le deuxième mandat de Nicolas Maduro, investi le 10 janvier, estimant que les élections de mai dernier, boycottées par une partie de l’opposition et à l’issue desquelles il a été réélu, n’ont pas été transparentes.

L’aggravation de la crise politique intervient alors que le pays traverse d’importantes difficultés économiques dues principalement à l’hyperinflation, à la chute des revenus pétroliers et aux sanctions économiques, notamment étasuniennes. Mardi et mercredi des émeutes ont fait entre 13 et 16 victimes, selon des organisations de défense des droits humains. BPZ/ATS

 

Note :

1.Au 1er tour, Emmanuel Macron avait obtenu 24% des suffrages avec une participation de 77%

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Coup d’Etat en cours au Venezuela

janvier 25th, 2019 by Romain Migus

Posons d’emblée une question à nos lecteurs.

Imaginez que les plus hautes autorités chinoises appellent les Gilets jaunes à prendre les rues de Paris et des grandes villes françaises.

Imaginez que la Russie décide de ne plus reconnaître le président Macron et déclare que le nouveau président français légitime est Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon.

Imaginez que l’Iran finance et arme des groupes paramilitaires pour mettre le pays à feu et à sang.

Comment appelleriez vous cela ? Peu importe l’opinion que vous ayez de M. Macron, seriez-vous prêts à accepter pareille ingérence étrangère dans les affaires de notre République ?

Situation incongrue ? Et pourtant c’est exactement ce qui est en train de se dérouler au Venezuela.

On ne pourra pas dire que le scénario n’avait pas été annoncé. Dès le 8 janvier, deux jours avant la prestation de serment de Nicolas Maduro, l’Assemblée nationale du Venezuela avait voté illégalement une Loi sur la transition dans le but de s’emparer du pouvoir exécutif. Les USA et leurs alliés du groupe de Lima s’étaient alors empressés de soutenir cette initiative putschiste.

Rappelons avant d’aller plus loin que l’Assemblée nationale est en situation dite d’outrage judiciaire depuis près de deux ans. Après l’élection des députés en décembre 2015, une plainte avait été déposée par les candidats du PSUV dans l’Etat d’Amazonie pour achat de voix de la part de leurs opposants élus. La justice avait sanctionné par la suite cette fraude et le tribunal du pouvoir électoral a exigé que l’élection à ces trois postes de députés soit refaite. La présidence de l’Assemblée nationale ayant refusé de se plier aux pouvoirs judiciaire et électoral, l’Assemblée nationale a été déclarée en «outrage judiciaire». Les décisions et votes qui émanent du pouvoir législatif sont donc nuls et non avenus tant que la présidence de l’Assemblée nationale n’autorise pas le retour aux urnes. Précisons que l’opposition détient une majorité absolue de 122 députés sur 167 sièges. Cette assemblée législative en insubordination est donc devenue un pouvoir législatif parallèle. C’est pourtant depuis cette instance que s’est préparée la tentative de coup d’Etat institutionnel à laquelle nous assistons actuellement.

Le 22 janvier 2018, alors que se préparaient plusieurs manifestations à Caracas, le vice-président américain, Mike Pence, a appelé les Vénézuéliens à se soulever contre le gouvernement légitime.Ceci montre bien que les organisations politiques d’opposition sont tellement délégitimées que Washington doit désormais se passer d’intermédiaire pour appeler directement les citoyens vénézuéliens et l’armée à renverser Nicolas Maduro, et in fine à défendre ses intérêts.

Le jour suivant, comme il fallait s’y attendre, dès que Juan Guaido s’est arrogé illégalement le pouvoir exécutif, la Maison Blanche «reconnaissait officiellement le président de l’Assemblée nationale comme président intérimaire du Venezuela». Une poignée de pays latino-américains, inféodés à Washington, suivront l’ordre de Trump de reconnaître son gauleiter vénézuélien.

La constitution de pouvoirs parallèles n’est pas une nouveauté. Dès 2017, l’opposition a créé une Cour Suprême parallèle (basée au Panama) et un poste de procureur général de la Nation (basé en Colombie). Désormais, avec l’usurpation du pouvoir exécutif par une Assemblée nationale en outrage judiciaire, nous sommes face à la construction de pouvoirs publics illégitimes, reconnus par les Etats-Unis, le Canada et leurs vassaux latino-américains.

Ces instances ne pouvant évidemment pas coexister avec les pouvoirs légitimes, on va sans aucun doute assister à une recrudescence des violences dans le pays bolivarien. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il faut interpréter le refus de Washington d’obtempérer à l’ordre d’expulsion de ses diplomates de Caracas, annoncé immédiatement par le président Maduro.

Ce scénario fait écho à la situation qui a précédé les guerres de Libye et de Syrie. La constitution de gouvernements parallèles, que ce soit le Conseil national de transition libyen ou le Conseil de salut national syrien, avait été une prémisse nécessaire aux bombardements ou aux déferlement de mercenaires contre ces pays. Dans la nuit du 23 au 24 janvier, des bandes de délinquants armées ont fait régner la terreur dans certains quartiers de Caracas en tirant sur tout ce qui bougeait et en s’affrontant à la police.

Il faut rappeler ici que l’Assemblée nationale qui est aujourd’hui l’instrument principal de la tentative de coup d’Etat institutionnel, a approuvé toutes les sanctions économiques décidées depuis Washington contre son propre peuple. Pire encore, le 8 janvier 2019, elle a préparé le saccage du pays en autorisant la création d’un fond de récupération des actifs de la République bolivarienne du Venezuela. Masquant ses desseins derrière la lutte anti-corruption, l’Assemblée nationale autorise les pays étrangers à congeler les actifs de leur propre nation. Là encore, cela nous renvoie à la stratégie déployée en Libye et au gel des actifs de ce pays.

Washington et ses alliés peuvent compter sur des bandes de mercenaires, recrutés pour semer la violence dans le pays. Outre les paramilitaires colombiens, très actifs sur la frontière colombo-vénézuélienne, le président Maduro avait dénoncé, le 28 novembre 2018, la présence de 734 mercenaires sur les bases militaires d’Eglin en Floride et de Tolemaida en Colombie. Leur but, selon lui, étant d’agresser le Venezuela ou de préparer une attaque sous faux drapeau dans l’objectif de justifier une intervention militaire contre la nation bolivarienne.

A court terme, l’issue de l’épreuve de force à laquelle nous assistons, ne peut être que, malheureusement, violente. Ni le pouvoir légitime de Nicolas Maduro ni les instances factices créées par ses opposants ne reculeront ni n’entameront de dialogue dans l’immédiat. Si dans n’importe quel pays, Juan Guaido et les députés félons se retrouveraient derrière les barreaux, le Venezuela doit composer avec les menaces proférées par les Etats-Unis.

Le président Trump a en effet déclaré que l’option militaire contre le Venezuela restait d’actualité («toutes les options sont sur la table»). Quand au département d’Etat, il a d’ores et déjà annoncé qu’il préparait l’envoi «d’une aide humanitaire» pour répondre à la demande de Juan Guaido. Le gouvernement de Nicolas Maduro, qui se bat pour que le blocus financier contre son pays soit levé, n’acceptera jamais que, sous le prétexte «d’aide humanitaire» les USA débarquent. Cette provocation s’inscrit dans le cadre d’une stratégie planifiée d’intervention énoncée dès le 28 octobre 2015 par l’ancien Commandant du SouthCom, John Kelly.

Face à cette escalade de la tension, il ne manque plus qu’un détonateur pour justifier une aventure guerrière. Rappelons-nous les mensonges médiatiques qui ont précipité l’Irak, la Serbie, la Libye ou la Syrie dans l’abîme destructeur de la guerre : la destruction de couveuses au Koweït, le massacre de Raçak, les bombardements de manifestations à Benghazi ou la torture d’adolescents à Deraa ont tous été le prélude nécessaire pour légitimer des massacres au nom de la «défense de l’Humanité».

L’opinion publique internationale pourrait être encore une fois victime, dans les prochaines semaines, d’une opération d’intoxication médiatique dans le but de justifier une opération militaire contre le Venezuela.

Bien que le scénario vénézuélien ressemble à s’y méprendre à ceux déployés au Machrek, il subsiste des différences de taille. D’une part, l’armée vénézuélienne continue de soutenir la Constitution de son pays, la souveraineté de sa nation et la République. Si vingt militaires ont été arrêtés le 21 janvier, pour avoir tenté de s’approprier un dépôt d’armes, les dizaines de milliers de soldats et les centaines de milliers de réservistes n’ont pas manifesté de velléités putschistes. Le ministre de la Défense, Vladimir Padrino Lopez, a rappelé que les Forces armées nationales bolivariennes défendaient la Constitution tout en étant garantes de la souveraineté nationale.

D’autre part, la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Turquie, l’Iran, l’Afrique du Sud et une immense majorité de pays dans le monde reconnaissent la légitimité du président Maduro. Pékin a apporté son soutien au gouvernement vénézuélien dans «ses efforts pour maintenir sa souveraineté». Le Kremlin a, pour sa part, assuré Caracas de son soutien pour «faire respecter la souveraineté du Venezuela».

Il est vrai que l’opposition vénézuélienne a tout fait pour radicaliser les alliés de la Révolution bolivarienne. En clamant haut et fort que les lignes de crédits autorisées par la Chine et la Russie ou les accords économiques signés par le président Maduro ne seraient pas reconnus par «leur gouvernement», les opposants ont de facto internationalisé le conflit vénézuélien. Pékin, Moscou ou encore Ankara sont désormais indirectement visés par les desseins anti-démocratiques de l’opposition vénézuélienne. Une intensification du conflit actuel ou une aventure militaire aurait des répercussions bien au-delà des frontières du Venezuela.

Cette guerre froide pourrait bien se réchauffer sous le soleil caribéen. Il appartient désormais à tous les défenseurs de la paix de se mobiliser contre une intervention et pour une solution politique à cette nouvelle offensive contre la Révolution bolivarienne. Ne laissons pas les promoteurs de la guerre se vautrer dans un sang qui n’est pas le leur.

Romain Migus

Article initialement paru sur le site de RT France

VIDÉO (Entrevue) :

Pour sortir de l’impasse au Venezuela

janvier 24th, 2019 by Temir Porras Ponceleón

Phare dans la nuit néolibérale des années 2000, le Venezuela traverse une crise aiguë. Plus de deux millions de personnes auraient quitté le pays, sur une population totale de trente et un millions. D’abord internes, les convulsions ont pris une dimension internationale à la suite de sanctions américaines. Celles-ci compliquent l’identification de solutions aux difficultés du pays.

L’auteur, Temir Porras Ponceleón est un ancien conseiller auprès du président Hugo Chávez pour les questions de politique étrangère (2002-2004), ancien directeur du cabinet de M. Nicolás Maduro (2007-2013) et ancien vice-ministre des affaires étrangères (entre autres responsabilités au sein des gouvernements vénézuéliens entre 2002 et 2013).


La période pendant laquelle Hugo Chávez a présidé aux destinées du Venezuela (1999-2013) a été marquée par des réussites incontestables, notamment en ce qui concerne la réduction de la pauvreté. Le chavisme pouvait également se prévaloir de résultats plus qu’honorables dans des domaines où il était moins attendu, comme la croissance économique : le produit intérieur brut (PIB) a par exemple été multiplié par cinq entre 1999 et 2014 (1). Cela explique sans doute ses nombreux succès électoraux et la longévité de son hégémonie politique. Un tel contexte a permis de refonder des institutions sclérosées à travers un processus constituant ouvert et participatif, tout en recourant de manière systématique au vote populaire — au point de faire dire à l’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva qu’au Venezuela « il y a des élections tout le temps, et quand il n’y en a pas, Chávez les invente ». Sur le plan régional, la révolution bolivarienne a contribué à rendre possible la « vague rouge » qui a balayé la région pendant la première décennie du siècle (2), portant des forces progressistes au pouvoir par la voie électorale, souvent pour la première fois dans l’histoire de pays qui semblaient déterminés à en finir avec leur statut d’« arrière-cour » des États-Unis.

La mort de Chávez (à 58 ans, en mars 2013) et la transition politique qui a amené au pouvoir son successeur désigné, M. Nicolás Maduro, lors de l’élection présidentielle anticipée du 14 avril 2013, ont toutefois inauguré une nouvelle période. Et brouillé les repères.

Essoreuse à billets verts

Depuis 2014, le Venezuela traverse la crise économique la plus grave de son histoire, qui a non seulement provoqué une situation de détresse sociale, mais également contribué à approfondir la polarisation politique qui caractérise le pays depuis deux décennies. Un point de rupture a été atteint entre le gouvernement et l’opposition, mettant à mal le fonctionnement des institutions de 1999.

Le caractère exceptionnel de cette crise tient à la fois à sa durée et à sa sévérité. En 2018, le Venezuela devrait enregistrer sa cinquième année d’affilée de récession économique, avec une contraction du PIB qui pourrait atteindre 18 %, après une chute d’entre 11 et 14 % en 2017. L’État vénézuélien ne publiant plus de données macroéconomiques depuis 2015, certains suggèrent que les institutions internationales, tels le Fonds monétaire international (FMI) ou les grandes institutions financières privées, noircissent le tableau en raison de préjugés idéologiques. Des chiffres gouvernementaux confirment néanmoins la chute du PIB de 16,5 % en 2016 (3). Entre 2014 et 2017, la contraction cumulée de l’économie s’établirait donc à au moins 30 % (4), un effondrement comparable à celui des États-Unis après la crise de 1929 qui a engendré la Grande Dépression.

Les causes initiales du ralentissement économique constaté depuis 2014 ne font guère de doute. En juin de cette année-là, les prix internationaux du pétrole, qui représente 95 % de la valeur des exportations vénézuéliennes, ont atteint un pic avant de s’effondrer, passant de 100 à 50 dollars en six mois, puis à 30 dollars en janvier 2016. Mais, contrairement à ce que suggère la sagesse populaire, les mêmes causes ne produisent pas mécaniquement les mêmes effets : tout dépend de la stratégie mise en œuvre pour y répondre. Dans un contexte de choc exogène d’une rare violence, celle choisie par les autorités vénézuéliennes laisse perplexe. Et ce d’autant plus que l’économie donnait des signes de fragilité bien avant l’effondrement des cours du brut.

En dépit d’un niveau d’inflation structurellement élevé (5) (à deux chiffres en temps « normal »), le gouvernement du président Maduro a décidé de maintenir une politique de contrôle des changes qui imposait une parité fixe de la monnaie nationale, le bolivar, face au dollar américain. Il n’en fallait pas plus pour aiguiser l’appétit de certains, qui comprirent rapidement que le mécanisme leur permettait d’acheter un actif sûr (la monnaie américaine) à un prix très inférieur à sa valeur réelle. En favorisant ainsi la fuite des capitaux, la politique de change du gouvernement a transformé le pays en une immense essoreuse à billets verts (6).

Jusqu’en 2014, les recettes pétrolières sont restées abondantes. Mais la valeur des importations (souvent surfacturées) ne cessait d’augmenter, puisqu’elle alimentait la stratégie d’accumulation commune aux bourgeoisies des pays pétroliers : la « capture de rente », qui consiste à 1° transformer les réserves pétrolières en dollars ; 2° utiliser ces dollars pour doper la monnaie nationale, et donc le pouvoir d’achat de la population ; 3° accroître les ventes du secteur importateur, piloté par l’élite. Et puis le cours du pétrole a commencé à basculer…

L’État a décidé de financer son déficit budgétaire (la différence entre le montant de ses dépenses et celui de ses recettes) en ayant recours à la fameuse « planche à billets » et de réduire ses importations en restreignant la vente de dollars sur le marché officiel. Cette double décision a marqué le début des pénuries (7) et libéré les tendances inflationnistes, bientôt hors de contrôle : une masse monétaire (le nombre de billets en circulation) croissante étant disponible pour une quantité décroissante de biens et de services, la flambée des prix était inévitable.

Le cours du billet vert, recherché tant par les importateurs que comme valeur refuge, a alors explosé sur le marché noir. Bientôt, la valeur du dollar « parallèle » a fait référence dans la rue pour la fixation du prix des biens et des services. La hausse des prix érodant rapidement les salaires et les budgets publics, l’État a tenté de soutenir le pouvoir d’achat en mettant toujours plus de billets en circulation. Entre 2014 et 2017, la masse monétaire a bondi de 8 500 %. Tous les ingrédients étaient alors réunis pour que l’économie entre en hyperinflation. Sans surprise, l’indice des prix à la consommation (une mesure commune de l’inflation) est passé de 300 % en 2016 à 2 000 % en 2017. Pour 2018, les estimations varient de 4 000 % à 1 300 000 %. Dans ce dernier cas de figure, un bien acheté 1 000 bolivars au 1er janvier 2018 en coûterait 13 000 000 le 31 décembre.

Complication supplémentaire : 2016 et 2017 ont été marquées par d’importantes échéances de remboursement de dette. En dépit de revenus pétroliers en chute libre, et poursuivant en cela la doctrine de Chávez, le gouvernement de M. Maduro a respecté scrupuleusement ses engagements. Du moins jusqu’en décembre 2017. Lors d’une allocution télévisée, le président a alors annoncé qu’entre 2014 et 2017 le pays avait remboursé la somme colossale de 71,7 milliards de dollars de dette.

Une fois encore, la stratégie du pouvoir pour répondre aux difficultés soulève de nombreuses questions. Car rembourser les créances a impliqué de « monétiser » des actifs de la nation, autrement dit de les apporter en garantie, voire de les vendre, pour lever les sommes dont l’État avait besoin. Au cours de cette période, le Venezuela a tantôt utilisé l’or monétaire des réserves internationales, tantôt eu recours à ses droits de tirage spéciaux (DTS) au FMI (8). Quand il n’a pas directement contracté des prêts auprès des compagnies pétrolières de pays alliés, comme le russe Rosneft, en apportant en garantie 49,9 % des actions de l’un de ses actifs les plus précieux, la compagnie de raffinage Citgo, dont le siège et les opérations se trouvent aux États-Unis.

En septembre 2016, la compagnie pétrolière nationale Petróleos de Venezuela SA (PDVSA) a proposé à ses créanciers un échange d’obligations qui, pour allonger de (seulement) trois ans la maturité d’une série de titres (de 2017 à 2020), offrait en garantie les 50,1 % restants du capital de Citgo, mettant ainsi en danger le contrôle de cette société par PDVSA en cas de défaut de paiement. Cette opération de refinancement partiel, la seule sous la présidence de M. Maduro, n’a pour l’essentiel attiré que des fonds spéculatifs, alléchés par l’hypothèse d’un défaut qui leur permettrait de mettre la main sur le raffineur américain.

Une question demeure : pourquoi l’État s’est-il senti dans l’obligation de payer, en temps et en heure, jusqu’au dernier centime de sa dette, alors qu’à partir de 2014 ses revenus fondaient ? Pourquoi, sans qu’il fût même nécessaire de faire défaut, n’a-t-il pas cherché à procéder à une renégociation globale avec ses créanciers ? L’accès aux marchés de capitaux devenait plus restreint et coûteux à mesure que la situation se dégradait, mais une négociation était encore possible, en associant par exemple la Chine, partenaire financier-clé du Venezuela qui a continué à le pourvoir en argent frais (hélas, en quantité insuffisante) jusqu’à aujourd’hui.

Dénonciation des manœuvres de « l’empire »

Étrangement, c’est seulement après que l’administration américaine a imposé des sanctions financières contre le gouvernement vénézuélien et PDVSA, en août 2017, que M. Maduro a annoncé sa volonté de renégocier les termes de la dette, essentiellement détenue par de grands fonds de pension américains. Or les sanctions de Washington visaient précisément à interdire aux entités américaines de participer au financement de Caracas. En d’autres termes, le Venezuela a attendu que l’option ait disparu pour l’envisager. En décembre 2017, il inaugurait un défaut sélectif en ne payant pas, ou avec beaucoup de retard, certains des intérêts de sa dette.

Cette situation n’aurait finalement qu’une importance secondaire si la production pétrolière ne s’était pas effondrée, passant de presque trois millions de barils par jour en 2014 à moins d’un million et demi en 2018. Comme dans le cas de l’inflation, la chute de la production pétrolière a placé le pays au cœur d’une spirale infernale : la production chute du fait d’un manque cruel des capitaux nécessaires aux investissements, mais cet effondrement réduit les recettes du pays, grevant les perspectives de production pétrolière…

Le dos au mur, le gouvernement Maduro dénonce une « guerre économique » fomentée par le capital privé, national et international — dont nul ne doute qu’il ne nourrit ni tendresse ni admiration pour Caracas. Désigner un coupable peut donner un sens politique aux difficultés, mais cela aide-t-il à les résoudre ?

Affairé à dénoncer les manœuvres de « l’empire » et des « contre-révolutionnaires » au cours de son premier mandat, M. Maduro a refusé d’adopter une stratégie proprement macroéconomique pour répondre aux défis auxquels le pays faisait face. Au début de l’année 2016, alors que l’approfondissement de la crise venait de donner à la droite, en décembre 2015, une majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale, le jeune professeur de sociologie Luis Salas, dont un des postulats les plus célèbres affirme que « l’inflation n’est pas une réalité », a été nommé chef de l’équipe économique gouvernementale.

Considérant de la sorte que l’inflation découlait d’un effort visant à créer des pénuries en retirant les produits du marché et/ou en en gonflant les prix — autrement dit, d’un projet de sabotage économique —, le gouvernement a concentré tous ses efforts sur le contrôle des prix. Une loi relative aux « prix justes » a même limité à 30 % les marges autorisées à chacun des intervenants des chaînes de production et de distribution. Une telle démarche ignore que l’inflation relève de mécanismes macro-sociaux qu’il est extrêmement difficile, sinon impossible, d’endiguer en contraignant les individus — du moins, tant que les fondamentaux macroéconomiques qui produisent la hausse des prix n’ont pas été corrigés. À quoi bon réguler celui d’un bien très prisé, un médicament importé, par exemple, si l’accroissement exponentiel de la masse monétaire implique qu’il trouvera nécessairement preneur sur le marché noir à un prix bien supérieur ?

Lorsque le processus inflationniste se déclenche, la peur générée met en mouvement une mécanique endiablée par laquelle chacun, voulant se protéger contre une hausse anticipée des prix, ajuste le sien et, ce faisant, contribue in fine à boursoufler les étiquettes. Logique dévastatrice : les prix ne sont plus fixés par rapport au coût de production, mais par rapport à ce qu’on estime qu’il faudra débourser pour le produire de nouveau à l’avenir, ou alors aux marges nécessaires à la préservation de son pouvoir d’achat dans un contexte général d’hyperinflation. Les grands commerçants et industriels vénézuéliens participent sans doute à l’amplification de la vague spéculative en voulant préserver leurs marges au détriment des consommateurs. C’est néanmoins faire fausse route que de leur attribuer la capacité de générer seuls cette situation, qui ne serait matériellement pas possible sans une expansion irrationnelle de la masse monétaire.

Le président Maduro s’était montré sceptique quant à l’opportunité d’opérer un changement de cap économique. Dans une allocution publique devant des producteurs agricoles, il a dénoncé « ces économistes qui veulent nous donner des leçons mais qui n’ont jamais planté une tomate de leur vie », avant de préciser que la révolution bolivarienne « ne suit pas les dogmes ni les recettes de ces macroéconomistes qui prétendent tout savoir » (12 septembre 2017).

Haro sur un symbole

Il est salutaire que des responsables politiques expriment leur indépendance d’esprit vis-à-vis d’un certain économicisme qui exige bien souvent un monopole technocratique sur la conduite de la politique. Pour autant, décider des orientations macroéconomiques d’un pays dans le mépris de toute considération technique représente parfois la route la plus directe vers la catastrophe.

Combattre l’obsession de l’équilibre budgétaire ? Une juste cause, mais qui ne passe pas par des déficits de plus de 20 % du PIB pendant quatre années de suite, surtout si c’est pour qu’ils n’aient aucun impact — au contraire, même — sur la relance de l’activité, le pouvoir d’achat ou la répartition entre capital et travail des fruits escomptés de cette politique. Augmenter les salaires pour protéger la classe ouvrière de l’impact négatif de l’inflation sur le pouvoir d’achat ? Une démarche louable, mais uniquement si l’on a mis à terre l’hydre inflationniste qui dévore tout accroissement nominal des salaires. Certes, l’audace dont fait preuve le gouvernement bolivarien pour s’affranchir du formalisme dans la désignation des hauts fonctionnaires provoquerait l’envie de bien des militants de gauche sous d’autres latitudes ; mais elle s’apparente à une certaine désinvolture lorsqu’elle conduit à changer deux fois le président de la banque centrale en moins de deux ans, avec pour seule continuité l’inexpérience de chaque nouveau responsable.

Il a fallu attendre la réélection de M. Maduro, le 20 mai 2018, pour qu’un plan de réformes économiques soit annoncé, et trois mois supplémentaires pour que son contenu soit dévoilé, le 17 août dernier. Opérant un virage à cent quatre-vingts degrés, le président a reconnu qu’il existait des racines macroéconomiques au phénomène de l’inflation, avant d’annoncer que l’État s’imposerait désormais une discipline de fer, se fixant pour cap d’atteindre un déficit budgétaire zéro. Autre retournement radical : la monnaie nationale a été dévaluée, et son cours initial en dollars a été fixé au taux du marché noir, autrefois qualifié de « dollar criminel ». La valeur du nouveau « bolivar souverain », qui remplace l’ancienne monnaie en l’amputant de cinq zéros, évoluera quant à elle à parité fixe avec une cryptomonnaie appelée « petro », dont le cours est censé suivre celui du baril (lire « Une monnaie à la valeur incertaine »).

Gage de sa nouvelle orientation d’ouverture économique, le gouvernement a abrogé la loi relative aux « opérations de change illicites ». Par la même occasion, la libre convertibilité du « bolivar souverain » a été annoncée, bien qu’elle soit en réalité inapplicable en raison du niveau anémique des réserves internationales de change. Les particuliers et les entreprises peuvent désormais s’échanger des devises de gré à gré, mais ils doivent respecter le taux fixé par la banque centrale, ce qui a de facto fait réapparaître un marché noir où le dollar s’échange à des taux supérieurs.

Le salaire minimum réel, qui avait fondu de 300 à presque 1 dollar par mois en quatre ans, a été dopé de 3 000 %, pour atteindre environ 30 dollars mensuels. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé qu’il serait désormais indexé sur le cours du petro, dans l’espoir de préserver son pouvoir d’achat. Mais, sans que les modalités pratiques de cette indexation soient explicitées, il avait déjà perdu 50 % de sa valeur seulement deux mois après avoir été augmenté. Anticipant un fort impact sur les prix, le gouvernement s’est engagé à prendre en charge le coût de l’augmentation des salaires dans le secteur privé pendant trois mois. Étrange disposition : elle n’a fait que décaler l’impact de son coût sur les prix à la consommation et, partant, sur l’inflation. Afin d’aider les salariés à joindre les deux bouts entre la date des annonces et le premier jour de paye, un bonus équivalant à 10 dollars a été accordé à tous les porteurs de la « carte de la patrie », une pièce d’identité liée à une base de données contrôlée par la présidence, désormais requise pour bénéficier des programmes sociaux-phares du gouvernement, tels les paniers alimentaires à bas prix.

Côté recettes, le gouvernement a augmenté la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de quatre points et pris diverses dispositions techniques pour mieux recouvrer l’impôt sur les sociétés. Mais, sans un retour de la croissance, ces aménagements peineront à suffire. Il va sans dire, par ailleurs, que ce programme fortement expansif est en totale contradiction avec l’objectif affiché de « déficit zéro ». De fait, à la mi-septembre 2018, moins d’un mois après les annonces de M. Maduro, la base monétaire s’accroissait encore au rythme de 28 %… par semaine.

Au-delà du débat sur la cohérence et l’efficacité des mesures annoncées, la question demeure de savoir si un programme économique, quel qu’il soit, est à lui seul de nature à remettre le Venezuela sur pied. En effet, comment un pays qui a perdu plus de la moitié de sa production pétrolière et plus d’un tiers de son PIB en cinq ans peut-il renverser la tendance, alors que des sanctions américaines lui interdisent l’accès au financement international ? Chercher à rassurer des investisseurs en proclamant son adhésion au dogme de l’équilibre budgétaire a-t-il un sens alors que la suspension du Parlement laisse planer des doutes sur la légalité même du budget ou des concessions et contrats accordés par l’exécutif ?

Entre son élection, en avril 2013, et l’effondrement des prix du baril, en 2014-2015, M. Maduro était maître de son destin : la principale difficulté à laquelle il faisait face était celle de l’inadéquation de sa politique économique. Après sa défaite aux élections législatives de décembre 2015 et la suspension d’un Parlement déterminé à le renverser, la crise institutionnelle a ouvert la voie à une radicalisation des actions de l’opposition, d’abord sur le front intérieur avec la violence insurrectionnelle, puis sur le plan international avec la stratégie d’isolement diplomatique et d’étranglement financier. En août 2017, après six mois de violences et l’installation d’une Assemblée nationale constituante acquise à M. Maduro, les sanctions de Washington — accompagnées de manœuvres pour favoriser un putsch à Caracas (9) — ont encore compliqué le casse-tête.

Car la descente aux enfers vénézuélienne s’est produite alors que le continent américain connaissait une profonde mutation politique. Entre 2015 et 2017, les principaux bastions du progressisme sud-américain, à commencer par l’Argentine et le Brésil, sont tombés aux mains de coalitions de droite. Non seulement ces gouvernements conservateurs, animés d’un esprit revanchard, ont manipulé la justice pour envoyer derrière les barreaux leurs adversaires de gauche, mais ils ont aussi coordonné leurs actions au niveau régional afin de venir à bout d’un symbole : la « révolution bolivarienne » initiée par Chávez.

Un temps reléguée au second plan sous le poids de la « vague rouge » qui a balayé le continent au début du XXIe siècle, l’Organisation des États américains (OEA), bras exécutif du projet « panaméricain » de Washington, a retrouvé son rôle traditionnel sous l’impulsion d’un homme inattendu. M. Luis Almagro, qui venait de quitter ses fonctions de ministre des affaires étrangères d’un gouvernement progressiste en Uruguay (10), en est devenu le secrétaire général en mai 2015, grâce au soutien d’une gauche latino-américaine encore majoritaire à l’époque. Assez rapidement, il s’est senti investi d’un rôle de défenseur de la démocratie continentale, mais il n’a semblé débusquer de menaces que chez ses anciens amis politiques. S’affranchissant de la prudence diplomatique qui aurait notamment pu rendre possible une médiation, il a pris fait et cause pour l’opposition vénézuélienne, allant jusqu’à encourager la violence insurrectionnelle au cours de l’année 2017.

Le spectre d’une intervention militaire

Sur le délicat dossier cubain, autour duquel un bloc régional avait émergé face aux États-Unis en 2009 pour mettre fin à l’ostracisme que subissait l’île depuis la guerre froide, M. Almagro s’est également empressé d’épouser la ligne des droites américaine et européenne. Faute d’une majorité des deux tiers, nécessaire au déclenchement d’une procédure de suspension du Venezuela de l’OEA, le diplomate uruguayen a parrainé la création d’une coalition de gouvernements conservateurs qui, sous le nom de groupe de Lima, a tenté de projeter l’image d’un consensus régional autour des positions les plus dures vis-à-vis de M. Maduro. Certains membres du groupe ont même demandé la comparution du président vénézuélien devant la Cour pénale internationale (CPI). L’entrée en fonctions de M. Donald Trump a éclairé la volte-face spectaculaire de M. Almagro : son accord avec le locataire de la Maison Blanche s’avère si profond qu’il a été le seul responsable latino-américain à soutenir l’idée d’une intervention militaire, évoquée par le président républicain.

Loin de rapprocher les acteurs vénézuéliens d’un règlement politique, cette fuite en avant régionale les en a éloignés. Un nombre important de dirigeants d’opposition vivent désormais dans un exil volontaire ou subi ; ils ne disposent donc plus que de stratégies internationales, dont les ressorts semblent pour l’heure se limiter aux sanctions supplémentaires ou à une intervention militaire. Les premières sont la meilleure garantie d’un statu quo politique doublé de pénuries aggravées ; la seconde précipiterait la catastrophe.

S’il est nécessaire que le pilotage économique du Venezuela retrouve le chemin de la rationalité, la crise perdurera en l’absence d’un règlement des contentieux politiques. Aucun plan avancé par l’équipe au pouvoir — aussi pertinent soit-il — ne permettra la levée des sanctions ou le rétablissement des garanties juridiques. Le dialogue en vue d’un accord de coexistence politique entre le gouvernement et l’opposition offre le moyen le plus simple (et le plus pragmatique) d’empêcher le pays de sombrer dans l’abîme. Plutôt que d’attiser les divisions, la « communauté internationale » devrait orienter tous ses efforts dans cette direction.

Temir Porras Ponceleón

Source : le Monde Diplomatique, novembre 2018
Notes

(1Passant de 98 milliards à 482 milliards de dollars.

(2Lire William I. Robinson, « Les voies du socialisme latino-américain », Le Monde diplomatique, novembre 2011.

(3Ce chiffre a été rendu public indirectement via le formulaire « 18-K » que le gouvernement vénézuélien a soumis en décembre 2017 à l’autorité des marchés financiers des États-Unis (SEC), en tant qu’émetteur de dette sur le marché américain.

(4Anabella Abadi, « 4 años de recesión económica en cifras », Prodavinci, 28 décembre 2017.

(5L’inflation structurelle au Venezuela s’explique par sa propension à recycler sa croissance économique en importations plutôt qu’en développement de son appareil productif (c’est-à-dire de sa capacité à produire ce qu’il consomme).

(6Ce mécanisme, ainsi que le contexte général qui a conduit à la crise, est explicité dans Renaud Lambert, « Venezuela, les raisons du chaos », Le Monde diplomatique,décembre 2016.

(7Lire Anne Vigna, « Faire ses courses à Caracas », Le Monde diplomatique,novembre 2013.

(8« Le DTS est un actif de réserve international, créé en 1969 par le FMI pour compléter les réserves de change officielles de ses pays membres » (site du FMI).

(9Nicholas Casey et Ernesto Londoño, « US met Venezuela plotters », The New York Times, 10 septembre 2018.

(10Celui du président José « Pepe » Mujica (2010-2015) et de la coalition Frente Amplio.

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Khashoggi a-t-il vraiment été tué?

janvier 24th, 2019 by F. William Engdahl

Je n’ai pas été convaincu par les affirmations de la Turquie, du Washington Post et d’autres au sujet de l’horrible meurtre, en octobre 2018, de Jamal Khashoggi, un agent du renseignement. Il y a trop d’anomalies, comme en témoignent diverses déclarations du président turc, M. Erdogan, et comme en témoignent les nombreux médias occidentaux de grande diffusion. Des recherches récentes suggèrent que Khashoggi n’a peut-être jamais été dans ce consulat saoudien à Istanbul ce jour-là, et qu’en fait, il est peut-être encore bien vivant et caché. Si c’est le cas, cela suggère une histoire beaucoup plus vaste derrière l’affaire. Considérons ce qui suit.

La meilleure façon de l’illustrer est de revenir sur les événements entourant l’arrestation surprise et la détention de nombreuses personnalités saoudiennes de haut rang fin 2017, par le prince Mohammed bin Salman ou MBS comme on l’appelle. Le 4 novembre 2017, MBS a annoncé à la télévision publique que de nombreux Saoudiens, dont l’un des plus riches, le prince Alwaleed bin Talal, avaient été arrêtés pour corruption et détenus à l’hôtel Riyadh Ritz Carlton. Le prince Alwaleed est clairement la personne cruciale.

Le gendre du président Trump aurait effectué une visite non publique à Riyad pour des entretiens privés avec MBS quelques jours seulement avant les arrestations massives. Un article paru dans le journal UK Mail en 2018 affirmait que Jared Kushner, représentant le Président, avait informé MBS d’un complot rival de la famille royale saoudienne pour éliminer le Prince Héritier. Le prince Alwaleed serait au centre du complot.

Après trois mois d’emprisonnement, Alwaleed a été libéré le 27 janvier 2018, à la suite d’un règlement financier. En mars 2018, il a été retiré de la liste des milliardaires de Forbes World’s Billionaires. Avant son arrestation, Alwaleed était le plus gros actionnaire de Citibank, l’un des principaux propriétaires de Twitter, un ancien partenaire de Bill Gates dans les programmes de vaccination de la Fondation Gates, et généreux donateur de certains démocrates tels que Hillary Clinton et la Fondation Clinton. Selon les médias, le frère de Huma Abedin, Hassan Abedin, collaborateur de la campagne Hillary et membre des Frères musulmans, a travaillé avec Bin Talal sur un projet intitulé « Propager l’Islam en Occident ». Bin Talal et d’autres sources saoudiennes ont donné jusqu’à 25 millions de dollars à la Fondation Clinton au moment où elle préparait sa candidature à la présidence. Le prince était aussi un ennemi ouvert de Donald Trump.

Qui était vraiment Khashoggi ?

Jamal Khashoggi n’était pas un journaliste ordinaire. Il a effectivement travaillé pour le prince Alwaleed bin Talal. Dans une interview dans le Gulf Times en novembre dernier, Alwaleed a déclaré : « Jamal n’était pas seulement mon ami. Il travaillait avec moi. En fait, son dernier emploi en Arabie Saoudite était avec moi … » Jamal était, ou est toujours, le neveu d’un agent lié à la CIA, le défunt Adnan Khashoggi, un trafiquant d’armes récemment décédé, impliqué dans la banque CIA-Saoudienne BCCI et l’Iran-Contra. Le neveu Jamal a également travaillé pour le Prince Bandar, ambassadeur d’Arabie Saoudite à Washington, un homme si proche de la famille Bush que George W. l’avait surnommé « Bandar Bush ». En bref, Khashoggi faisait partie des cercles saoudiens proches du groupe Bush-Clinton. Lorsque le roi Abdullah décida de sauter, dans la liste de succession, le père d’Alwaleed, Talal bin Abdulaziz Al Saud, surnommé «le prince rouge» pour ses idées réformistes, cela avait abouti à l’arrivée sur le trône de Salman, le père de MBS. Dès lors, Alwaleed était en dehors des calculs du pouvoir du roi Salman et du Prince héritier MBS.

Le gouvernement saoudien ainsi que la Brookings Institution confirment que Khashoggi était membre des Frères musulmans. La Fraternité a été interdite en Arabie Saoudite en 2011 à la suite du Printemps arabe de Obama-Hillary Clinton, lorsque le monarque saoudien, le roi Abdullah, et son entourage ont compris que la maison royale elle-même constituait une cible potentielle pour un changement de régime par les Frères Musulmans, comme en Égypte et en Tunisie. .

L’administration Obama, comme je l’explique en détail dans Manifest Destiny, a planifié, en collaboration avec la CIA, une série de changements radicaux de régime dans le monde islamique pour installer des régimes de Frères Musulmans avec l’aide « amicale » de la CIA et de l’administration Obama. Des membres clés de l’administration Obama, dont l’assistante spéciale de la secrétaire d’État Hillary Clinton, Huma Abedin, avaient des liens étroits avec la partie saoudienne des Frères musulmans où vit la mère de Abedin. Sa mère, Saleha Abedin, universitaire en Arabie Saoudite, où Huma a grandi selon un reportage sur Al Jazeera et d’autres médias arabes, est un membre important de l’organisation des femmes des Frères musulmans, et le frère de Huma serait également lié à cette organisation. Notamment, feu John McCain, dont les liens avec les principaux membres de l’Etat Islamique et d’al-Qaïda sont de notoriété publique, a tenté de discréditer sa collègue républicaine Michele Bachmann pour avoir souligné les liens qui unissent Abedin aux Frères musulmans. C’est à cette faction qu’était lié Khashoggi en Arabie Saoudite.

En tant que président, le premier voyage à l’étranger de M. Trump a consisté à rencontrer MBS et le roi saoudien, un voyage vivement critiqué par la députée démocrate Nancy Pelosi. Quand la présidence Trump a décidé de reconstruire les relations effilochées qui s’étaient développées entre Obama et la monarchie saoudienne sous le roi Abdallah puis le roi Salman, père du prince héritier MBS, la faction pro-Obama autour du prince Bin Talal Alwaleed a perdu les faveurs, pour ne pas dire plus, surtout après la chute de Hillary Clinton. En juin 2017, l’ancien employé d’Alwaleed, Jamal Khashoggi, s’est exilé aux États-Unis, où il avait fait ses études, après l’interdiction par le gouvernement de son compte Twitter en Arabie Saoudite.

Khashoggi est-il vivant ?

Après l’arrestation par MBS de Alwaleed et de nombreuses autres personnes, l’avenir des flux financiers entre Alwaleed et non seulement Hillary Clinton, mais aussi la Fondation Clinton et les autres démocrates qu’il avait « soutenus » par des millions de dollars saoudiens, était alors menacé. Bien que cela soit difficile à confirmer, un journaliste turc de la BBC à Istanbul aurait déclaré à un journal en langue arabe, après le meurtre et le démembrement de Khashoggi, que Jamal Khashoggi était bel et bien vivant et en bonne santé, caché quelque part.

C’est un fait que l’ancien chef de la CIA et aujourd’hui secrétaire d’État Mike Pompeo, ainsi que le secrétaire d’État à la Défense de l’époque James Mattis, ont fait un exposé au Sénat américain dans lequel ils ont dit aux sénateurs qu’il n’y avait aucune preuve que MBS était derrière ce crime présumé. Ils ont ajouté qu’ils ne pouvaient même pas confirmer qu’un crime avait été commis ! Seule Gina Haspel, chef de la CIA, ancienne chef de la station de Londres de la CIA, a contesté leurs affirmations. Erdogan affirme que le corps a été découpé puis dissous dans de l’acide pour être éliminé sans laisser de traces, ce qui renvoie au récit de l’élimination par la Navy Seal du corps de Oussama ben Laden, que l’administration Obama prétend avoir jeté en mer « selon la tradition islamique ». Dans les deux cas, il n’y avait pas de corps pour le confirmer légalement.

En effet, les allégations distribuées dans les médias du monde entier concernant l’affaire Khashoggi ont été étroitement contrôlées par le président turc Erdogan, qui a promis à plusieurs reprises de révéler, tout en ne le faisant pas, ce qu’il dit être des enregistrements secrets des services secrets turcs sur le meurtre présumé. Erdogan serait très proche des Frères musulmans, sinon un membre caché, ce qui explique en partie son soutien étroit au Qatar après les sanctions économiques imposées par MBS et le roi saoudien au Qatar pour son soutien au terrorisme, en fait, le soutien qatari aux Frères musulmans.

Il s’agit ici d’alliances politiques changeantes avec d’énormes conséquences potentielles pour la politique américaine et pour le monde, étant donné l’importance des ressources financières saoudiennes. Il est également bizarre que Khashoggi aurait accepté de se rendre dans un consulat saoudien en Turquie et pour soi-disant obtenir des papiers de divorce. De plus, sa fiancée, Hatice Cengiz, semble tout aussi mystérieuse, certains se demandant si elle n’est pas en fait un agent des services de renseignements turcs utilisé pour discréditer l’Arabie Saoudite.

Les affirmations de Erdogan sur l’assassinat de Jamal par une équipe saoudienne ont été étayées par un mystérieux Khaled Saffuri, qui a déclaré au journaliste de Yahoo News, Michael Isikoff, que Khashoggi était devenu un ennemi à abattre pour MBS, à la suite de ses articles dans les médias critiquant l’arrestation du Prince bin Talal et des autres. Les recherches révèlent que Saffuri, la source des médias sur le meurtre présumé de Khashoggi, a également eu des liens étroits avec l’organisation des Frères musulmans, l’American Muslim Council, et avec le Qatar, qui accueille les Frères en exil depuis des années. Le soutien du Qatar aux Frères musulmans a été un facteur de rupture entre MBS et le Qatar il y a deux ans.

Saffuri est également le protégé de Abdurahman Alamoudi, un partisan influent des Frères musulmans qui, avant 2004, avait rencontré G.W. Bush et Hillary Clinton. Alamoudi est actuellement incarcéré dans une prison fédérale américaine depuis 2004 pour son rôle de porte-flingue dans un complot d’assassinat contre le prince héritier Abdallah, fomenté par la Libye et Al-Qaeda. En bref, les principales sources sur l’assassinat de Khashoggi sont peu nombreuses et difficilement impartiales.

A ce stade, il est difficile d’aller au-delà de la spéculation. Il est clair que Jamal Khashoggi n’a plus été vu en public depuis début octobre. Mais tant que le gouvernement turc ou quelqu’un d’autre ne présentera pas de preuves médico-légales sérieuses, une procédure qui montre que l’ancien employé de Alwaleed, Jamal Khashoggi, a été assassiné par une équipe d’assassins saoudiens, sans même parler du fait que l’opération aurait été commanditée par le prince Bin Salman, la situation justifie une étude plus poussée. Il est curieux que les mêmes médias libéraux comme le Washington Post de Jeff Bezos qui s’en prennent à MBS pour le meurtre présumé de leur journaliste, Khashoggi, ne critiquent pas les exécutions saoudiennes antérieures, voire ultérieures.

Khashoggi est-il vraiment mort au consulat d’Istanbul ou y avait-il autre chose? Mettre en scène une fausse exécution de Khashoggi pour discréditer et même éventuellement renverser MBS aurait peut-être semblé à Alwaleed et à ses amis de la CIA à Washington un moyen habile de restaurer leur pouvoir et leur influence financière. Si c’est le cas, cela semble avoir échoué.

F. William Engdahl

Article original en anglais :

Jamal Khashoggi

Did Khashoggi Really Die?

Cet article a été publié initialement par New Eastern Outlook

Traduction AvicRéseau International

Venezuela: Trump joue avec le feu

janvier 24th, 2019 by Atilio A. Boron

L’empereur a publié son úkase et oint comme président Juan Guaidó, un moins-que- rien de la politique vénézuélienne, inconnu de la grande majorité de la population, mais construit, « prêt à porter » par les médias américains et les spécialistes du marketing dans les deux dernières semaines.

Après l’éclat de Trump, les gouvernements qui tentent de transformer leur pays en républiques bananières – l’Argentine, le Brésil, la Colombie, le Paraguay, le Honduras et même le Canada – se sont précipités pour être les premiers à lécher les bottes du magnat new-yorkais. Tout ce grotesque juridique, qui nous ferait bien rire si ce n’est qu’il peut finir en tragédie, a la bénédiction de Luis Almagro (« Combien vous me donnez pour renverser Maduro ? ») et, jusqu’à présent, le silence tonitruant du Secrétaire Général des Nations Unies, le Portugais António Guterres qui, en bon social démocrate, souffre du même tic caractéristique de ses collègues, tic qui le fait regarder ailleurs chaque fois qu’il ya le feu quelque part dans le monde. A travers son porte-parole, il demande des « négociations politiques inclusives et fiables » oubliant ainsi que ces négociations là ont été menées avec succès par José L. Rodríguez Zapatero dans les discussions qui ont eu lieu à Saint-Domingue et qu’au moment d’estampiller de sa signature les accords laborieusement obtenus, les représentants de « l’opposition démocratique » vénézuélienne se sont levés de table en laissant l’espagnol avec sa plume à la main : un appel d’Álvaro Uribe, garçon de courses habituel de la Maison-Blanche, venait de leur transmettre l’ordre de Trump d’interrompre le processus.
 
La tentative de coup d’état, exaltée par les tueurs à gages médiatiques, va rencontrer de nombreuses difficultés. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire moderne du Venezuela que la Maison-Blanche reconnaît un président fantoche, comme Pedro Carmona, le 11 avril 2002, qui a à peine tenu 47 heures au pouvoir et qui s’est retrouvé en prison, Serait-ce différent cette fois-ci ? Difficile à prévoir. Guaidó peut se réfugier dans une ambassade amie à Caracas et à partir de là, publier des déclarations qui tendront la situation et forceront une confrontation avec les États-Unis. Par exemple, face à l’ordre du président Maduro que le personnel de l’ambassade des États-Unis quitte le pays dans les 72 heures qui viennent, les roquets impériaux peuvent leur dire de rester au Venezuela. Une autre alternative est qu’il soit installé dans une ville frontalière avec la Colombie et de là, avec la bénédiction de Trump, les minables nauséabonds de l’OEA et des néocolonies latino-américaines proclameraient une nouvelle république, protégée par les « paramilitaires » colombiens et le narco-gouvernement de Duque, Uribe et compagnie et exigeraient sa reconnaissance internationale devant l’OEA et l’ONU.

L’un ou l’autre de ces deux scénarios confirme pour la énième fois que s’il y a quelque chose que ni les impérialistes ni la droite vénézuélienne ne veulent, c’est le dialogue et le respect des règles du jeu démocratique. Il est clair qu’ils recherchent la confrontation, que ce soit en appliquant le modèle libyen ou ukrainien, différents mais similaires en termes de milliers de morts et de centaines de milliers de réfugiés dans ces deux pays. Mais au-delà des fakenews, les choses ne seront pas si faciles pour les assaillants du pouvoir présidentiel. La base chaviste est solide, et on peut dire la même chose des forces armées bolivariennes. Une « solution » militaire nécessiterait un envoi impopulaire de troupes américaines au Venezuela, au moment où la Chambre des représentants renforce sa proposition de soumettre Trump à la destitution. Et si les 26 000 hommes envoyés au Panama en décembre 1989 pour capturer Noriega et contrôler cette ville durent se battre non sans mal pendant deux semaines pour atteindre leur objectif, face à un peuple sans défense et des forces armées non équipées, l’option militaire impliquerait, dans le cas du Venezuela, un risque énorme de rééditer un fiasco comme Playa Girón ou, à plus grande échelle, la guerre du Vietnam. Avec en prime la déstabilisation de la situation militaire en Colombie et une recrudescence des guérillas.

L’attitude belliciste de Washington contre le Venezuela est une réponse à la défaite militaire subie par les États-Unis en Syrie après six ans d’efforts massifs et inutiles pour renverser Basher al-Assad. D’autre part, ce n’est pas un fait mineur que des pays comme la Russie, la Chine, la Turquie, l’Iran, le Mexique, Cuba et la Bolivie ont refusé d’offrir leur reconnaissance diplomatique au putschiste et cela compte au niveau de la politique mondiale. Par conséquent, nous n’exclurons pas que Guaidó subisse le même sort que Carmona en 2002.

Atilio A. Boron

 

Article original en espagnol : Trump juega con fuego, Pagina 12, le 23 janvier 2019.

Version française : Le Grand Soir

 

La tentative de coup d’Etat de mercredi au Venezuela est appuyée par les Etats-Unis et leurs président Donald Trump. Une fois de plus, Washington prétend soutenir la démocratie et les aspirations du peuple. Les Vénézuéliens en auraient plus qu’assez du désastre dans lequel Maduro les aurait plongés. Mais les Etats-Unis n’en sont pas à leur premier coup d’essai. En 2002 déjà, la tentative de putsch contre Chavez portait le sceau de l’impérialisme US, comme Michel Collon l’analysait dans cet extrait du livre Les 7 péchés d’Hugo Chavez. C’est une constante. Washington considère l’Amérique latine comme son jardin privé et a toujours cherché à se débarrasser des dirigeants qui lui désobéissaient. Quitte à appuyer les pires dictatures. Vous avez dit démocratie ?  


L’affrontement est devenu inévitable. Et il se prépare depuis Washington. Le 25 février 2002, Charles Shapiro est désigné comme nouvel ambassadeur des États-Unis à Caracas. Ce n’est pas n’importe qui. Ca fait vingt-quatre ans qu’il s’occupe de l’Amérique latine. Il était conseiller militaire à l’ambassade US de Santiago du Chili lors du coup d’Etat fasciste contre Allende en 1973. Il a été en poste cinq ans au Salvador au plus fort de la répression militaire dans ce pays.

Au même moment, plusieurs hauts gradés de l’armée vénézuélienne appellent publiquement à se débarrasser de Chavez. Ils sont soutenus par la hiérarchie de l’Eglise catholique, toujours très proche des Etats-Unis et de la haute bourgeoisie locale. Les évêques refusent le dialogue proposé par le gouvernement. En février également, Carlos Ortega, leader du syndicat droitier CTV, rencontre à Washington les dirigeants du syndicat AFL-CIO. Comme il a été démontré par des historiens (1), ce syndicat a souvent servi d’intermédiaire pour transmettre des fonds de la CIA à des organisations d’opposants dans certains pays sensibles. Au Chili, par exemple, l’AFL-CIO a aidé l’administration Nixon et les multinationales US à renverser le gouvernement d’Unité Populaire : transferts de fonds vers les mouvements contre-révolutionaires : plus de huit millions de dollars selon le New York Times du 24 septembre 1974, création de groupes paramilitaires pour terroriser les militants de gauche, assistance à la grève des propriétaires de camions qui paralysa l’économie pour créer le chaos, formations en leadership c’est-à-dire à l’agitation anti-Allende… Henry Kissinger a reconnu que les programmes d’éducation en question avaient été un élément important de la politique US contre le Chili. (2) Bref, au niveau de ces dirigeants, on devrait plutôt parler d’AFL-CIA.

Mais l’élément-clé du complot anti-Chavez est incontestablement Otto Reich… Un fameux passé ! Il a joué un rôle décisif dans la déstabilisation du gouvernement de gauche au Nicaragua dans les années 80. Il est en étroite relation avec Orlando Bosch, un des plus grands terroristes du continent latino-américain, impliqué dans l’attentat contre un avion de ligne cubain en 1976, dans l’assassinat du général chilien Letellier en 1978 et de nombreux autres actes terroristes. C’est à un tel homme que George Bush a confié le poste de vice-ministre US des Affaires étrangères pour l’Amérique latine entre 2002 et 2004. Et, en ce début de l’année 2002, Otto Reich se réunit fréquemment avec les chefs de l’opposition vénézuélienne. Particulièrement avec Pedro Carmona, président de Fedecamaras, la fédération des patrons.

La CIA accusée par ses propres documents

Depuis plusieurs années, la CIA ‘arrose’ toutes sortes d’organisations au Venezuela : les partis politiques de droite, mais aussi un ensemble d’associations présentées comme émanant de la société civile et qui en réalité servent de paravent pour renverser le gouvernement et préparer ‘à la chilienne’ : Consorcio Justicia, Accion Campesina, Assamblea de Educacion, Centro al Servicio de la Accion Popular, Instituto Prensa y Sociedad, Associacion Civil Justicia Alternativa, Fundacion Justicia de Paz… Pour se dissimuler, ces financements de la CIA transitent par diverses fondations-écrans. Dont la principale s’appelle NED : National Endowment for Democracy, un organisme étroitement contrôlé par la présidence et le Congrès des Etats-Unis. Durant les premiers mois de 2002, les montants versés augmentent énormément. Comment le sait-on ? Dans son livre Code Chavez – CIA contre Venezuela, l’avocate new yorkaise Eva Golinger a publié de nombreux documents provenant des administrations US elles-mêmes et prouvant l’implication de la CIA dans le coup d’Etat de 2002 (de même que dans les tentatives suivantes pour renverser Chavez). Les noms des agents, les institutions qui servent de paravents et même les montants versés, tout figure dans ce « mode d’emploi du parfait coup d’Etat ».12 Les documents que Golinger a réussi à obtenir démontrent noir sur blanc que la CIA est au courant de tous les préparatifs du coup d’Etat. Dans un rapport envoyé le 5 mars à Washington, il est écrit : « L’armée aussi est divisée en ce qui concerne lee soutien à Chavez… Il sera difficile d’organiser un coup d’Etat. »

Le 1er avril, puis le 6 avril, des rapports assez largement diffusés parmi les hauts fonctionnaires US sont très précis : « Des factions militaires dissidentes, comportant quelques officiers de haut rang mécontents intensifient leurs efforts pour organiser un coup d’Etat contre le président Chavez, probablement au début de ce mois. Les plans détaillés mentionnent l’arrestation de Chavez  et d’autres hauts responsables. » Bien sûr, les Etats-Unis nieront – comme d’habitude – être impliqués dans le coup d’Etat. Mais leurs propres documents prouvent qu’ils étaient au courant des tous les préparatifs, et n’ont en rien averti le gouvernement légal vénézuélien. Bien plus : ils ont augmenté leurs financements aux organisations putschistes. Le 7 avril, le président Chavez destitue six dirigeants de PDVSA pour mauvaise gestion, malversations financières et application d’une politique contraire à celle de l’Etat. Il en a tout-à-fait le droit puisque la société publique du pétrole est placée sous l’autorité de l’Etat. Le 9 avril, le syndicat CTV et le patronat appellent – ensemble ! – à une grève générale. Le 10, ils la proclament d’une durée indéfinie, c’est-à-dire en fait jusqu’au renversement de Chavez. Les télés privées diffusent l’appel à la rébellion d’un des plus haut responsables militaires, le général Nestor Gonzalez Gonzalez.

Michel Collon

 

Notes:

1.Anthony Carew, The origins of CIA financing of AFL programs, CovertAction Quaterly, été 1999.

2.Lettre ouverte à John Sweeny, président de l’AFL-CIO, www.globalwomenstrike.net

 

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Trump a un objectif: en finir avec le chavisme

janvier 24th, 2019 by Alex Anfruns

Huit mois après les élections présidentielles de mai 2018 qui ont désigné Nicolas Maduro comme vainqueur avec plus de 6 millions de voix (67,8 % et 46 % de participation), les tentatives de délégitimation de son gouvernement se sont multipliées en ce mois de janvier. Bien que démocratiquement élu, le président de la République bolivarienne du Venezuela se voit contesté par une partie de l’opposition… qui avait refusé de participer aux élections !

Janvier, le mois de toutes les résolutions

N’en déplaise à certains, le 10 janvier dernier, le président du Venezuela, Nicolas Maduro, a pris officiellement ses fonctions. Immédiatement, l’OEA (l’Organisation des États Américains) l’a déclaré “illégitime” dans une déclaration que les médias ont propagée sans relâche. Il n’est pas anodin de remarquer que l’OEA, basée à Washington, est présidée par un Luis Almagro désavoué par son propre parti en Uruguay ainsi que par l’ensemble des forces progressistes du continent. Fait remarquable, le nouveau gouvernement d’Andrés Manuel Lopez Obrador rejette l’ingérence et envoie un représentant du Mexique à l’investiture, tout en expliquant que le respect de la souveraineté est un principe sacré régi par la Constitution mexicaine.

Le lendemain, avant de faire de même avec le gouvernement du Nicaragua (élu avec 72% des voix et 68% de participation), l’OEA s’est réunie pour déclarer que le vote de plus de 6 millions de Vénézuéliens aux élections de 2018 n’aurait aucune valeur, contredisant des observateurs aussi improbables que l’ancien président Jimmy Carter, dont la fondation a participé aux nombreux processus électoraux du Venezuela et qualifié son système de “meilleur au monde”.

Le 15 janvier, le président de l’Assemblée nationale du Venezuela, Juan Guaidó, inaugure sa première séance en se faisant remarquer comme la principale figure de l’opposition et en proposant, dans le premier point de la séance, de déclarer que le président Nicolas Maduro soit considéré comme un “usurpateur”. Le deuxième point ? Encourager les militaires à un coup d’État. Très ordinaire tout cela.

Après le soulèvement manqué d’un groupe de soldats le lundi 21 janvier, qui coïncidait avec le récent appel à délégitimer le gouvernement du Venezuela par le président de l’opposition à l’Assemblée nationale et aux menaces récurrentes des États-Unis, des marches de l’opposition et des chavistes ont eu lieu le mercredi 23 janvier à Caracas. Les jours précédents, des violences ciblées ont éclaté, comme les dégradations du centre culturel Robert Serra, nommé ainsi en hommage au meurtre d’un jeune député chaviste. Sur les réseaux sociaux, les usagers partageaient la photo d’un buste de Chavez pendu à un fil, un autre symbole d’un discours de haine qui n’épargne pas non plus les journalistes. En effet, Madeleine Garcia, reporter à TeleSUR qui s’est fait connaître pour ses nombreuses couvertures de crises politiques sur le terrain, est désignée comme cible pour sa supposée complicité avec “la dictature”. La veille de la marche, 4 morts ont été recensés dans des heurts et des saccages.

Et maintenant ? Il n’est pas exclu que l’opposition profite d’un nouveau cycle de confrontations et de violence pour tenter un nouveau coup d’État avec le soutien des médias internationaux par le biais de fausses informations, comme ce fut le cas en avril 2002. Dans cette éventualité, les États-Unis sont sans doute prêts à “aider la population du Venezuela à restaurer la démocratie”.

La tradition putschiste de l’opposition

Depuis la mort de Hugo Chavez le 5 mars 2013, l’opposition a recouru à toutes les méthodes possibles pour éviter la continuité du chavisme. Déjà lors de la première élection de Nicolas Maduro face à Enrique Capriles, celui-ci avait appelé ses électeurs à sortir dans la rue après que les résultats proclamant l’avantage de Maduro sur lui furent rendus publics. Le résultat se traduisit par 7 morts. Cette réaction ne serait pas admise dans la plupart des pays, et l’opposition qui agirait ainsi se rendrait coupable d’un manque d’éthique face au processus électoral et la séparation des pouvoirs. Mais quoi qu’elle fasse, et cela indépendamment de la gravité et des conséquences qui en découlent, l’opposition au Venezuela semble compter sur les faveurs de l’opinion publique internationale.

Seulement quelques mois après, fin 2013, Leopoldo Lopez, dirigeant d’un parti classé à l’extrême droite de l’échiquier politique, lance ouvertement un appel à l’insurrection, “La Salida” (La sortie). Suivant un schéma similaire à celui des révolutions de couleur en Europe de l’est, Lopez inaugure un cycle de manifestations présentées comme pacifiques, par un déferlement médiatique de “fausses informations” qui cache leur véritable caractère violent. Bilan : 43 morts et plus de 800 blessés. Quelques mois après l’échec de cette tentative de coup d’État, le président Barack Obama interviendra, début 2015, pour activer un décret qui considère le Venezuela comme une “menace exceptionnelle à la sécurité nationale des États-Unis”. Cette déclaration s’installe dans la traditionnelle ingérence US dans ce que ses élites considèrent depuis 1823 comme son “arrière-cour”, comme cela fut établi sans ambages par la doctrine Monroe.

Lors des élections législatives en décembre 2015, l’opposition du Venezuela remporte la majorité des voix à l’Assemblée Nationale pour la première fois depuis l’élection d’Hugo Chavez. Bien qu’elle ait avancé le risque d’une fraude électorale les semaines précédant le vote, l’opposition ne conteste pas le résultat des élections lorsqu’elles la désignent vainqueur. Néanmoins, suite à quelques dénonciations d’irrégularités, la Cour Suprême de Justice invalide l’élection de trois députés de l’opposition qui auraient bénéficié d’un système reposant sur des achats de voix. Malgré le fait que selon la Constitution, l’Assemblée Nationale est soumise aux décisions de justice de la Cour Suprême, son président à l’époque, Julio Borges, inaugure la séance en faisant assermenter les députés en question. Ne se contentant pas de sa prise de fonctions, l’opposition déclare qu’elle n’appliquera pas les décisions prises par le pouvoir exécutif, considérant que le gouvernement de Maduro est illégitime et que ses jours sont comptés. Or, encore une fois, le rôle que la Constitution octroie à l’Assemblée Nationale est d’assurer le fonctionnement normal des politiques publiques en approuvant les orientations générales de l’exécutif. Depuis, le gouvernement accuse l’opposition de s’être installée dans une situation de “désobéissance”.

Sans prendre une seconde de répit, 2016 fut l’année où la situation économique s’aggrava de manière décisive dans le pays, principalement à cause d’un modèle économique basé sur la dépendance au prix international du pétrole destiné à l’exportation. Les tentatives de stabilisation au sein de l’OPEP tarderont à permettre d’obtenir quelques résultats. En parallèle, des mécanismes de “guerre économique”, à l’image de celle menée contre le Chili d’Allende ou le Nicaragua sandiniste, ont été constatés, mais ils sont minimisés voire considérés comme un argument fallacieux par les détracteurs du chavisme.

Toujours est-il que les sanctions financières se sont multipliées, et que l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis fin 2016 ne fait pas exception à la règle. L’administration Trump reprendra l’habitude de ses prédécesseurs dans la politique régionale à travers notamment le rôle de plus en plus actif de l’Organisation des États Américains (OEA), mais aussi en essayant d’impliquer les nouveaux gouvernements de droite dans la région pour se concerter dans une attaque collective contre le Venezuela, comme le prouvent les trois tournées en Amérique Latine de Mike Pence et celle plus récente de Mike Pompeo.

Au printemps 2017, l’opposition est revenue à la charge en répétant le schéma de 2014, et en comptant cette fois-ci sur le mécontentement populaire que devait éveiller la dégradation sur le plan économique. Le bilan est encore plus lourd que lors de la dernière crise, avec 131 morts cette fois.

Mais cette stratégie se révèle être un nouvel échec. D’une part, grâce à l’initiative gouvernementale des CLAP (Comités Locaux d’Approvisionnement Populaire ) pour faire face aux difficultés de la population. D’autre part, les mesures sociales se sont poursuivies, comme l’atteste la livraison dedeux millions et demi de nouveaux logements, dans le cadre de la “Gran Mision Vivienda” (Grande mission logement) initiée en 2011. Surtout, Maduro a eu l’audace d’arrêter ce nouveau cycle de violence en sollicitant la participation citoyenne via l’appel à un référendum en faveur d’uneAssemblée Constituante. Celle-ci a réussi à mobiliser la population en faveur de la paix et du retour à la normalité démocratique.

Divisée, l’opposition a alors dû alors se replier sur elle-même et a été prise de court par ce coup de maître. Malgré les rivalités internes et l’indécision quant à la nécessité de voir ses intérêts représentés, l’opposition s’est encore réfugiée dans une position de déni face à l’annonce des nouvelles élections présidentielles de 2018. Constatant le soutien populaire dont bénéficiait encore le chavisme, Trump a alors déclaré que les États-Unis avaient une “option militaire” pour le Venezuela. L’année dernière, des fonctionnaires US ont admis que “le gouvernement de Trump a tenu des réunions secrètes avec des militaires vénézuéliens rebelles pour discuter de ses plans pour renverser le président Nicolás Maduro”.

La stratégie du chaos pour les Caraïbes

Après la fuite à l’étranger de quelques personnalités de l’opposition visées par un mandat d’arrêt, comme Julio Borges et Antonio Ledezma, le Venezuela est en permanence confronté à une campagne médiatique visant à installer l’idée dans l’opinion publique internationale que ce pays est une dictature.

Le nouveau président de l’Assemblée Nationale du Venezuela, Juan Guaido, n’improvise donc pas lorsque le 15 janvier, il inaugure le premier ordre du jour de l’Assemblée Nationale, avec l’objectif d’un « accord sur la déclaration d’usurpation de la Présidence de la République et l’application de la Constitution afin de la restaurer » en premier point, et d’un « décret pour octroyer l’amnistie et des garanties constitutionnelles aux militaires et aux civils qui contribueront à défendre la Constitution » en deuxième point.

Le mardi 23, dans un message d’ingérence flagrante, le vice-président US, Mike Pence, a encouragé une partie du peuple vénézuélien à sortir dans la rue afin de “restaurer la démocratie et la liberté”. Autrement dit, à détruire le Venezuela, à l’image d’autres pays du Sud. Après tant d’interventions, la démocratie parfaite que les États-Unis souhaitent voir émerger serait-elle similaire à celle de l’Ukraine, du Honduras, de la Libye ou de l’Afghanistan ? À ce stade, ce n’est pas un secret que le multilatéralisme de l’ONU n’est pas du goût des États-Unis. L’illusion que certains ont eu dans la gestion du président Obama a éclaté en mille morceaux. Sa promesse de fermer Guantanamo a été de la poudre aux yeux.

Dans de nombreux pays européens, le Venezuela a servi d’épouvantail pour faire peur aux électeurs, en faisant croire à celles et ceux tentés par un candidat progressiste que l’expérience bolivarienne n’avait bénéficié en rien à son peuple. En agissant ainsi de manière caricaturale, la droite internationale et ses relais médiatiques ont volontairement caché les faits incontestables en matière de réduction des inégalités sociales qui ont caractérisé la politique du gouvernement vénézuélien, comme le droit au logement ou à l’éducation. Se focalisant sur la réalité des problèmes économiques et ses aspects sensationnalistes, au lieu de chercher à expliquer les raisons complexes de cette situation, les médias ont fabriqué l’image d’un Venezuela plongé dans le chaos à des fins politiques.

L’opposition politique du Venezuela, aujourd’hui représentée par Juan Guaido n’accueille pas seulement à bras ouverts tout soutien extérieur, à savoir cette tradition qu’est devenue l’ingérence, mais elle en dépend pour survivre ! Que l’UE, le gouvernement français et d’autres prennent parti aussi clairement contre le droit international et la souveraineté dont dépendent la paix ainsi que le respect intégral des droits humains, voilà qui devrait nous inquiéter au plus haut point.

Lorsque certains médias reprennent pour leur propre compte l’auto-proclamation d’un opposant au Venezuela qui nie la séparation des pouvoirs et la Constitution, et justifie son appel à l’insurrection pour un soutien extérieur, cela ne s’appelle pas de l’information, mais de la propagande de guerre.

L’humanité connaît des heures graves. Le droit à une information juste et objective est l’affaire de chacun. Après tant de guerres et de coups d’État rendus possibles par nos gouvernements et dont le bilan n’est jamais établi, l’expression de solidarité entre des peuples indignés, insoumis, gilets rouges/jaunes, résistants de chez nous et les peuples de l’Amérique menacés est la moindre des possibilités qui nous restent.

Alex Anfruns

 

 

Source : Journal Notre Amérique

(Entrevue avec Jean-Hilaire Yapi, président du Congrès ivoirien du Canada, et Bernard Desgagné, auteur de nombreux articles sur la Côte d’Ivoire)

La Cour pénale internationale vient d’acquitter l’ancien président ivoirien et l’ancien ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé de toutes les accusations portées contre eux. MAIS ILS NE SONT TOUJOURS PAS EN LIBERTÉ!

Jean-Hilaire Yapi résume l’histoire récente de la Côte d’Ivoire depuis l’élection de Laurent Gbagbo à la présidence ivoirienne en 2000 jusqu’à l’acquittement le 15 janvier dernier, en passant par la rébellion armée de 2002 dirigée par les partisans de l’actuel dirigeant ivoirien Alassane Ouattara (l’homme de Washington et de Paris), les élections de 2010, le renversement du président Gbagbo, son arrestation en 2011 (avec l’aide de troupes francaises), son transfert illégale à la Haye et son incarcération pendant 8 ans. Il traite aussi du procès et de l’absence totale de preuves contre les deux accusés ivoiriens.

Bernard Desgagné explique comment la stratégie des puissances impérialistes consistant à utiliser les instances de « justice » pénale internationale pour faire avancer leurs intérêts (surtout aux dépens de l’Afrique) connaît des ratés, dont le cas de Laurent Gbagbo est l’exemple le plus éclatant. Il suggère que la tendance maintenant sous Trump est d’utiliser plutôt la force brute et la menace de déployer cette force.

Les deux invités parlent également de la vacuité des grands médias et suivre à l’unisson un script préparé qui n’a rien à voir avec les faits et la vérité sur le terrain.

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Cet article de Jules Dufour publié par Mondialisation.ca le premier juin 2017 dénonce la demande d’une intervention militaire canadienne au Venezuela par un ex-diplomate canadien  Aujourd’hui le Canada applaudit maintenant Trump au sujet du Venezuela.  Ce pays a été divisé et déchiré par le chaos créé par les services de renseignement étasuniens.  Le Canada s’est ainsi joint aux États-Unis dans la reconnaissance d’un président illégitime, Juan Guaidó (qui s’est autoproclamé) en refusant de reconnaître les résultats des dernières élections au Venezuela en faveur de Maduro en mai 2018.


Un article publié dans le Journal Le Devoir, édition du 1er juin, réclame une intervention militaire au Venezuela afin de renverser le gouvernement du Président Nicolas Maduro. L’auteur, un ancien diplomate,(1) expose la situation qui prévaut dans le pays en se basant sur des statistiques non documentées, ne fait aucune référence aux acquis de la révolution bolivarienne qui a permis à des millions de Vénézuéliens de sortir de l’état de pauvreté dans lequel ils ont été plongés au cours du dernier siècle et développe un discours nettement favorable à l’OEA, le bras privilégié pour les interventions des États-Unis dans cette région du monde. Un impérialisme qui a pris tous les moyens pour détruire l’État du Venezuela avec des sanctions, le financement des activités de l’opposition, l’incitation à la violence, des accusations non fondées, la désinformation, les menaces et la propagande déstabilisatrice et destructrice de la gouvernance de ce pays.

Cet article inséré dans la section « Idées » est tout simplement une offense au peuple vénézuélien qui n’a pas besoin d’un tel plaidoyer, car il saura, lui-même, trouver une voie vers la réconciliation et la paix à l’instar du long chemin parcouru par son voisin dans cet effort pour conclure un Accord de paix avec les FARC-EP.

Le contenu de cet article ramène à notre mémoire les péripéties des années 1960 et 1970 avec la répression de dictatures sanglantes et avec le renversement du Président Salvador Allende, un des nombreux crimes de guerre perpétrés par l’impérialisme en Amérique latine. Il démontre que la gouvernance des États doit être entre les mains des tenants de l’ultra-libéralisme et ce au détriment des peuples qui doivent être asservis au bénéfice du capitalisme totalitaire. Un appel pour une intervention militaire est tout simplement odieux quand on en connaît les effets destructeurs. C’est plutôt le moment de concentrer toutes les énergies vers une solution négociée comme l’a suggéré récemment le président du pays.

L’Amérique latine a connu les affres de nombreuses guerres qui ont causé la mort de centaines de milliers de personnes et qui ont affligé plusieurs pays au cours des dernières décennies. Tout doit être déployé pour réclamer le recours à des moyens pacifiques et générateurs d’ententes et de paix.

Jules Dufour

 

Note

1.L’auteur de l’article, Gérard Latulipe, est ancien haut-commissaire du Canada et ancien délégué général du Québec

Références

DUFOUR, Jules. 2008. La libération des otages colombiens, Hugo Chavez et l’Amérique latine. Mondialisation.ca. Le 21 janvier 2008. En ligne : http://www.mondialisation.ca/la-lib-ration-des-otages-colombiens-hugo-chavez-et-l-am-rique-latine/7860

DUFOUR, Jules. 2008. Le retour de la Quatrième Flotte et l’avenir de l’Amérique latine. Mondialisation.ca. Le 4 juillet 2008. En ligne : http://www.mondialisation.ca/le-retour-de-la-quatri-me-flotte-et-l-avenir-de-l-am-rique-latine/9503

DUFOUR, Jules. 2009. Le coup d’État au Honduras : un autre épisode des guerres impériales en Amérique latine. Mondialisation.ca. Le 27 juillet 2009. En ligne : http://www.mondialisation.ca/le-coup-d-tat-au-honduras-un-autre-pisode-des-guerres-imp-riales-en-am-rique-latine/14547

DUFOUR, Jules. 2009. Hugo Chavez et l’opinion publique mondiale : Manipulation et stratagèmes des grandes puissances. Mondialisation.ca. Le 7 septembre 2009. En ligne : http://www.mondialisation.ca/hugo-chavez-et-l-opinion-publique-mondiale-manipulation-et-stratag-mes-des-grandes-puissances/15095

DUFOUR, Jules. 2016. Colombie – Accord de Paix historique : Un long processus inachevé…Mondialisation.ca. Le 7 octobre 2016. En ligne : http://www.mondialisation.ca/colombie-accordde-paix-historique-un-long-processus-inacheve/5549691

HENQUEN, Reynaldo. 2017. Le Brésil invite l’armée étasunienne à des exercices militaires en Amazonie. Radio Havane Cuba / Bolivar Infos. Le 27 mai 2017. Mondialisation.ca. Le 29 mai 2017. En ligne : http://www.mondialisation.ca/le-bresil-invite-larmee-etasunienne-a-des-exercices-militaires-en-amazonie/5592485

LATULIPPE, Gérard. 2017. Plaidoyer pour une intervention militaire au Venezuela. Journal Le Devoir, le 1er juin 2017, p. A 2. En ligne : http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/500124/plaidoyer-pour-une-intervention-militaire-au-venezuela

MORIN, Claude. 2017. Venezuela. Lilian Tintori au Canada au service de la désinformation. Mondialisation.ca. Le 17 mai 2017. En ligne : http://www.mondialisation.ca/venezuela-lilian-tintori-au-canada-au-service-de-la-desinformation/5590588

NAVARRO, Luis- Hernández. 2017. Le président qui parlait aux vaches» ou comment les médias transforment un président élu en «dictateur ». La Jornada 18 mai 2017. Mondialisation.ca. Le 26 mai 2017. En ligne : http://www.mondialisation.ca/le-president-qui-parlait-aux-vaches-ou-comment-les-medias-transforment-un-president-elu-en-dictateur/5592036

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Lors de la visite que d’effectuer en Irak, Jean-Yves Le Drian – ministre français des AE – la  France a « prêté » 1 milliard d’euros à l’Irak pour participer à la reconstruction du pays estimée à 71,9 milliards d’euros.

Pour les centaines de milliers d’Irakiens victimes des bombardements de l’aviation française et des obus des canons CAESAR  (6 tirs par minute sur des cibles distantes de 40 km du front), c’est une aumône.

Ceux qui suivent l’évolution de la situation en Irak ne se font pas d’illusions. Comme pour les 480 millions d’euros « prêtés » à Haïdar Al-Abadi par Le Drian en 2017, les Irakiens savent qu’ils n’en verront jamais la couleur, ou si peu. Ce n’est pas pour rien que l’Irak est classé parmi les 10 pays les plus corrompus du monde.

Cette fois, le pactole a été augmenté et alloué à Adel Abdel Mahdi, 76 ans, nouveau Premier ministre chiite considéré, à tort, comme pro-français. Ce politicien de 76 ans, sans grand pouvoir, est un véritable caméléon: il a été successivement baasiste, baasiste anti-Saddam, communiste moscoutaire, communiste pro-chinois, et enfin pro-iranien… Élu le 24 octobre dernier – suite aux élections législatives… de mai 2018 – il n’est toujours pas parvenu à former un gouvernement digne de ce nom.

Les entreprises françaises en lice sur le marché irakien espèrent que le milliard d’euros offert par Le Drian servira, au moins, à graisser la patte aux bons décideurs au sein de la maffia qui accapare les richesses du pays. Mais, rien n’est moins sûr.

Dans « Fear : Trump in the White House », le journaliste Bob Woodward rapporte les propos tenus par Donald Trump à ses collaborateurs, en mars 2017, après avoir reçu le Premier ministre irakien Haïdar al-Abadi. Il décrit les responsables irakiens comme «le groupe de voleurs le plus accompli [qu’il ait] jamais rencontré ».

Les « Gilets jaunes » qui manifestent à Bassora en savent quelque chose. En 2018, les ventes de pétrole ont rapporté près de 60 milliards de dollars à l’Irak sans que leurs conditions de vie s’améliorent d’un iota.

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Thelma Cabrera, face visible des communautés en résistance, organisées au sein du Comité de développement paysan (CODECA), a déclaré lors de son intervention à l’Assemblée : “Nous ne sommes pas là pour gagner des élections, mais pour créer un État plurinational.”

Le 29 décembre 2018, dans la municipalité de Saint-Domingue, Suchitepéquez, à 164 km au sud-est de la ville de Guatemala, près d’un millier de femmes et d’hommes défenseurs des droits des peuples indiens et paysans en résistance, originaires de différents départements du pays, ont célébré la première assemblée nationale de leur Mouvement pour la Libération des Peuples (MLP). Ainsi, les communautés en résistance ont pu réunir les conditions légales nécessaires pour créer leur propre organisation politique et commencer à participer aux processus électoraux à venir.

Comment et où est né le MLP?

“Notre instrument politique n’est pas né maintenant. Nous en avons discuté et sommes en train de le construire depuis plus de 26 ans”, a déclaré Thelma Cabrera, la plus visible des défenseurs du mouvement indo-paysan, le Comité de Développement Paysan (CODECA en espagnol), lors de cette assemblée.

En effet, le rêve de libération des peuples guatémaltèques était déjà présent chez les dix sept indiens qui ont créé le CODECA en 1992 sur la côte sud du Guatemala. Dès lors, toujours depuis et vers la périphérie, ce mouvement n’a jamais cessé d’organiser et de former des communautés en résistance, au-delà des manuels et des méthodes administratives préconisés par la coopération et les ONG post-“accords de paix”.

Les effets désastreux des processus de privatisation des services, en particulier de l’électricité, ont été le ferment qui a permis à ce mouvement autochtone de s’élargir au sein de la société pour devenir, dans la seconde moitié de la présente décennie, le principal mouvement social et le plus batailleur du pays, et de la région mésoaméricaine.

La stigmatisation, la persécution, la criminalisation et les assassinats sélectifs de ses membres (neuf en 2018) ont forcé les communautés en résistance rassemblées au CODECA à faire des sauts sans précédent dans l’histoire du Guatemala, à la fois dans leurs programmes de luttes et dans leur force sociale croissante.

Au cours des 197 années de la vie républicaine du Guatemala, on ne trouve la moindre trace de l’existence d’un autre mouvement social, encore moins d’un mouvement indien, formé par les communautés en résistance sur l’ensemble du territoire national. Il n’y a pas de trace de l’existence d’acteurs collectifs ruraux mobilisés en tant que porteurs de propositions de changements structurels avec une vision plurinationale. L’émergence d’un mouvement social comme celui-ci, composé de communautés en résistance qui créent leur propre organisation politique pour contester le pouvoir de l’oligarchie et proposer la création d’un État plurinational par le biais d’un processus constitutif populaire, est un fait nouveau.

Le MLP, un fait sans précédent dans l’histoire des peuples indiens d’Abya Yala

Le MLP, en raison de sa genèse,de son identité sociale (même sans avoir participé à aucun processus électoral), est déjà un événement historique sans précédent au Guatemala et dans l’Amérique latine colonisée.

C’étaient, et ce sont toujours, les personnes appauvries et dépossédées, organisées en communautés de résistance, qui l’ont conçu posément, se réunissant en assemblées et faisant remonter leurs revendications . C’étaient et ce sont toujours les communautés qui l’ont organisé, financé et concrétisé, en voyageant même à pied, en dormant et en discutant sous les arbres, en partageant des tamales et des tortillas.

Sans propriétaires, sans “avant-gardes révolutionnaires”, est né cet instrument politique des dépossédés du Guatemala, avec l’empreinte et l’esprit des gens de toutes les couleurs.

Le MLP, de par ses origines et ses méthodes d’organisation, peut être comparé à des organisations politiques promues par les mouvements indiens dans des pays tels que la Bolivie ou l’Équateur. Mais, à vrai dire, le MLP a des spécificités qui le distinguent, même par rapport à ces mouvements.

En Bolivie, l’actuel Movimiento al Socialismo (MAS-IPSP), qui a amené et maintenu au pouvoir le gouvernement indien d’Evo Morales pendant plus de treize années consécutives, a été légalement créé par la gauche phalangiste bolivienne (sans participation indienne paysanne).

En raison de l’urgence du calendrier électoral en 1997, les paysans du tropique de Cochabamba, en Bolivie, ont repris le mouvement et l’ont adapté. Depuis lors, le MAS a été “réapproprié” en tant qu’instrument politique des mouvements indiens, des paysans et des secteurs exclus de la Bolivie.

En Équateur, le mouvement Pachakutik, créé en 1995 par les dirigeants de la CONAIE, n’est pas né des communautés indigènes et des peuples indiens, mais des dirigeants instruits par le courant indigéniste. Sans réalisations majeures, il a essayé de rayonner du centre vers les périphéries indiennes. Cela peut expliquer le déclin précoce de ce mouvement politique indien prometteur dans ce pays.

 

Thelma Cabrera, dirigeante du MLP. Photo : Federación Guatemalteca de Escuelas Radiofónicas

“Nous ne sommes pas là pour gagner des élections, mais pour créer un État plurinational”

La défenseure des droits de la communauté, Thelma Cabrera, face visible des communautés en résistance rassemblées dans le Comité de développement paysan (CODECA), a déclaré lors de son intervention à l’Assemblée: “Nous ne sommes pas là pour gagner des élections, mais pour créer un État plurinational”

Cette phrase pourrait être la clé pour comprendre, dans une certaine mesure, la volonté de ces communautés en résistance d’effectuer un saut depuis la résistance sociale vers l’action politique.
Le MLP, contrairement au reste des partis politiques traditionnels, envisage parmi ses objectifs la création de l’État Plurinational, et non pas l’administration de l’État créole actuel. Il propose la concertation vers une nouvelle Constitution Politique Plurinationale, par le biais d’un processus constituant, au lieu de soutenir la constitution politique créole actuelle. Il propose de réviser les contrats de privatisation de biens et services publics en vue de la nationalisation, au lieu de chercher à payer pour des bénéfices publics quasi inexistants résultant des privatisations.

Pour aboutir à ces changements, parmi d’autres, il ne suffit pas de remporter des élections ou de disposer d’une force électorale majoritaire. Cela nécessite avant tout une force sociale de plus en plus hégémonique, idéologiquement solide et politiquement compacte. Espérons que le MLP adhère à cela, indépendamment de sa victoire ou de sa défaite lors du rituel électoral.

Ollantay Itzamna

 

Traduit par J.A., relu par B.B. pour le Journal Notre Amérique

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Après deux votes au Parlement britannique, ces  mardi 15 et mercredi 16 janvier, le gouvernement de Theresa May a été fort fragilisé. Mais pas au point de l’obliger à démissionner par une motion de défiance. Si l’accord concocté sous la pression de l’UE a subi un rejet retentissant, l’issue de ce feuilleton par une absence d’accord semble diviser les partisans conservateurs du Brexit. À propos de cette crise, il est temps de faire un bilan qui prenne en compte les intérêts de classe pour le peuple britannique. Un regard plus large sur les perspectives de cette rupture s’impose.

Tout a commencé par un référendum démocratique, initiative lancée par le gouvernement de David Cameron fin février 2016. À peine quatre mois plus tard, le 24 juin 2016, environ la moitié de la population britannique s’est rendue aux urnes. Le résultat en faveur de la sortie britannique de l’UE par une faible majorité, 51,89 % contre 48,11 %, a divisé la société. Mais plusieurs questions fondamentales n’ont pas été posées : Dans quelles conditions ce scrutin s’est-il réellement mis en place ? Quels sont les intérêts économiques ainsi que les acteurs décisifs en faveur du « Leave » et du « Remain »?

Deux ans et demi après ce vote historique, les interminables négociations entre les représentants de l’UE et le gouvernement britannique ont eu l’effet sur les gens d’un rouleau compresseur qui réduit tout débat politique à une seule question monothématique : une fois que le destin du Royaume-Uni en dehors de l’UE aura été tranché, quel sera l’accord qui permettra au gouvernement de rendre effectif son engagement de respecter le résultat du référendum ?

Sortie de l’UE sans accord : qui mène la danse ?

Au fur et à mesure que les négociations s’entamaient, les ministres partisans du Brexit au sein du gouvernement conservateur ont démissionné les uns après les autres à cause de la tournure que prenait cet accord. Déjà, Theresa May l’avait soumis au Parlement fin novembre, mais le vote avait été reporté au 15 janvier. Quel était son contenu ? Le fruit d’une réunion à Downing Street entre les principaux dirigeants des multinationales européennes et le premier ministre britannique. Cette rencontre s’était conclue par une ample satisfaction exprimée par les capitaines d’industrie. En effet, Theresa May répondait à leur souhait d’aboutir à un accord de sortie de l’UE que l’on pourrait qualifier de « maintien du statu quo ».

La chambre de commerce britannique a déclaré qu’une absence d’accord ou un « Brexit dur » serait préoccupant. En effet, près de 48 % de ses exportations se dirigent vers l’UE. Le secteur pharmaceutique et celui de l’énergie, qui ont des intérêts et des investissements placés dans des pays européens dont la France, étaient favorables à l’accord de May. Quant à l’important secteur financier, il avait annoncé début 2018 que la sortie du marché unique européen ne serait pas si mauvaise en ce qui concerne les délocalisations d’emploi, réduisant de moitié les prévisions initiales (5.000 au lieu de 10.000). En novembre dernier, ce secteur spéculait sur un accord spécifique incluant une « règle d’équivalence » lui permettant un « accès continu aux marchés européens ». Mais le négociateur en chef de l’UE lui rétorquait que cette « équivalence [pouvait] être octroyée et retirée de manière autonome dans certains services financiers », assurant sa volonté de mener « le dialogue sur la régulation avec le Royaume-Uni en total respect de l’autonomie des deux parties, de même qu’avec n’importe quel pays tiers ». C’est-à-dire que les banques et les compagnies d’assurances britanniques, qui souhaitaient atteindre un accord taillé sur mesure, n’avaient pas obtenu gain de cause.

L’une des raisons de l’échec cuisant de l’accord présenté par Theresa May au parlement pourrait donc se trouver dans le vote des conservateurs représentant les intérêts du centre financier de Londres, qui le considèrent comme largement insatisfaisant. L’accès aux marchés européens octroyé à ce dernier étant seulement comparable à celui des entreprises étasuniennes ou japonaises, contrairement à son souhait. Les partisans conservateurs du Brexit ont essentiellement cherché à éviter de payer les frais de contribution au budget européen. Ils sont contre la Politique Agricole Commune (PAC) et le système des politiques d’aide aux l’États (Fonds de Développement Régional). Au moment où la France et l’Allemagne se sont engagées dans un plan de transition énergétique qui parie sur le développement des énergies renouvelables tout en cherchant à diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz, le Royaume-Uni mise sur l’exploitation du gaz de schiste et veut renouveler son parc nucléaire. (1)

Dans ce panorama déjà compliqué, le président US, Donald Trump, a menacé plusieurs fois Theresa May, l’exhortant à ne pas signer son accord avec l’UE. En effet, les États-Unis veulent un accord de libre-échange avec le Royaume-Uni, ce que le statut de pays membre ou un accord de maintien du statu quo en ce qui concerne l’accès au marché européen ne lui permettaient pas.

La souveraineté, de qui et pour quoi faire ?

Ces dernières années, l’illusion que l’issue souverainiste représenterait par elle-même des bénéfices pour les peuples, s’est généralisée dans plusieurs pays membres de l’Union Européenne. Mais la difficile situation politique au Royaume-Uni semble indiquer le contraire. Pour des millions de Britanniques ayant subi les politiques dites « d’austérité », cette séquence politicienne n’aura rien changé dans leur vie, si ce n’est l’effet de reporter toujours plus loin la réduction d’inégalités sociales que requiert la politique du pays. C’est ainsi que la question du Brexit au Royaume-Uni a soumis la population à l’engrenage du nationalisme, en déployant un mécanisme redoutable qui créé ce clivage artificiel. Mais le peuple britannique n’est pas dupe, et l’arrivée de Jeremy Corbyn à la tête du Labour représente la possibilité d’une tournure à 180 degrés en faveur de davantage de services publics et du lancement d’un ambitieux plan de relance industriel.

Ce dont le Royaume-Uni a besoin, ce n’est pas un accord entre élites, mais une révolution sociale qui mène des transformations urgentes pour le peuple dans le respect de sa diversité. Or, l’accord proposé par May incluait la remise en question du droit à la libre circulation des personnes et le retour au contrôle des frontières. Certes, ce droit est aujourd’hui est remis en question au sein de l’espace Schengen, et l’UE du tandem Macron-Merkel, qui a eu toute les peines du monde à faire signer un accord sur la migration l’été dernier, n’est pas en mesure de donner des leçons de respect des droits humains. En réalité, la loi française sur l’asile et l’immigration et le manque d’intérêt pour le travail des bateaux humanitaires en Méditerranée prouve qu’il n’y a pas de différences fondamentales sur le fond entre l’orientation des gouvernements belge, hongrois et italien et celle de l’UE. C’est « l’externalisation : les contrôles ne sont désormais plus seulement effectués à l’entrée sur le sol européen, mais dans les pays tiers. On fait reposer une part importante de la responsabilité de la gestion des questions migratoires (asile, accueil, contrôle) sur ces pays tiers (leurs autorités) ou même sur des acteurs privés comme les compagnies aériennes ». (2) Même si l’UE est responsable de politiques meurtrières à l’égard des réfugiés, objectivement, la question du retour aux frontières, notamment avec le risque de rouvrir un conflit en l’Irlande du Nord, est un aspect réactionnaire du Brexit.

Le prétexte du bouc émissaire est la manière dont nos chers dirigeants tentent de contrecarrer la contestation de leur politique libérale, et éviter ainsi d’assumer leur responsabilité. Rappelons que dans les années 2000, l’UE s’est étendue aux économies de 12 pays d’Europe orientale (Slovénie, Lituanie, Malte, République tchèque, Pologne, Hongrie, Slovaquie, Estonie, Lettonie, Roumanie, Bulgarie et Croatie), créant ainsi de grandes disparités entre les économies au sein de l’UE. Cela a favorisé une migration interne très importante, ainsi que des délocalisations industrielles et une pression sur les salaires. Tandis que l’allemande Volkswagen délocalise toujours plus ses unités de production en Hongrie, le gouvernement d’Orbán approuve des mesures de semi-esclavage à des travailleurs dont le salaire minimum stagne à 418 €. Et tandis que le Royaume-Uni accueille 830 000 travailleurs polonais, la Pologne fait de même avec environ un million de réfugiés ukrainiens !

Avouons que ce fonctionnement n’est pas très rationnel, mais en fin de compte quelques-uns en profitent. Certains secteurs au Royaume-Uni se sont très bien accommodés de cette main d’œuvre corvéable. De plus, six des dix plus grandes entreprises britanniques ont été sous le feu des projecteurs en ce qui concerne la question de l’évasion fiscale. Alors, qui des deux ne paie pas toujours systématiquement d’impôts et est donc un fardeau pour la société : les patrons ou les travailleurs ? Ces derniers ont plus de choses en commun avec les travailleurs sans papiers qu’avec leurs chefs. Quant aux travailleurs européens au Royaume-Uni, y compris ceux de l’Europe de l’Est, en termes de paiement d’impôts ils contribuent au pays avec une différence de plus de 64 % par rapport à ce dont ils bénéficient. C’est-à-dire 20 milliards d’euros de contribution nette, comme expliqué dans une étude. (3)

Alors, les patrons en faveur du Brexit seraient-ils devenus fous au point de ne vouloir recruter que des employés disposant de la nationalité britannique ? Pas du tout ! Ils envisagent un plan consistant à faire appel à des travailleurs étrangers en leur accordant des permis de travail pour un an. C’est-à-dire, ce plan présenterait l’avantage pour les patrons de continuer à payer des bas salaires tout en empêchant les salariés d’accéder à leurs droits. Pas de droit au chômage ni aux formations, pas d’apprentissage de la langue non plus ! Autrement dit, ce plan de recrutement de cols bleus visant à assurer leur retour dans leur pays d’origine équivaut à de l’esclavage pur et simple : il n’y a pas d’égalité ni « d’intégration » possible dans ces conditions.

Demain, un Royaume-Uni en dehors de l’UE peut bien voir la lumière du jour. Les justices fiscale et migratoire, elles, peuvent toujours attendre. La société du Royaume-Uni retrouverait-elle sa splendeur grâce à celles et ceux qui l’ont plongée dans la situation actuelle, à travers leurs politiques successives ?

L’ingérence, c’est l’exact contraire de la souveraineté

Blâmer uniquement les étrangers et l’UE pour les problèmes du Royaume-Uni serait donc inexact. En effet, bien que l’UE ait imposé cette politique « d’austérité », c’est le gouvernement britannique qui était responsable de la mise en œuvre avec zèle des réductions budgétaires dans les services publics. Avec ces mesures, le peuple britannique est devenu de plus en plus misérable. Pendant ce temps, quelques-uns ont continué à en bénéficier. Il y a aujourd’hui plus de millionnaires au Royaume-Uni que dans toute son histoire. Un de ces millionnaires, Aaron Banks, et sa collaboratrice Elisabeth Bilney, font actuellement l’objet d’une enquête judiciaire pour un financement irrégulier de 8 millions de livres sterling au titre de la campagne « Leave UE » (« Quitter l’UE ») via l’entreprise Strategic Communications Laboratories (SCL), en lien avec l’étasunienne Cambridge Analytica (CA).

Parmi les partisans du « Brexit dur », qui rivalisent dans le parti conservateur avec Theresa May, il y a des acteurs qui ne correspondent pas au profil type de l’électeur pro-Brexit selon les caricatures que les grands médias ont faites. Notamment ceux qui proviennent du secteur financier de la City, comme le député ultraconservateur Jacob Rees-Mogg, cet aristocrate qui vit dans un château à l’image de la famille Le Pen, qui est adepte de Thatcher et des coupes budgétaires, climato-sceptique, opposé à l’aide aux pays en développement, au mariage homosexuel et à l’avortement… Un Trump anglais ?

Rees-Mogg, dont la fortune a été estimée à environ 100 millions de livres sterling, fait partie du Groupe de Recherche Européen (ERG), organisation qui regroupe les conservateurs partisans du « Brexit dur ». Il a affirmé que le Royaume-Uni s’en sortirait « très bien » tout en restant sous les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) : « Je pense que nous nous dirigeons vers l’OMC et que nous n’avons rien à craindre d’elle ».  L’ancien trésorier du Parti Conservateur Michael Farmer, connu comme « M. Cuivre » pour son influence sur le marché des métaux, s’est exprimé dans le même sens, en rajoutant que « en quittant l’UE, la Grande-Bretagne briserait ce qui constitue actuellement une relation commerciale plutôt confortable. En ce moment, le monde a besoin d’encourager la concurrence. Nous sommes en train de devenir sédentaires dans nos blocs économiques, si vous voulez. Je pense que la Grande-Bretagne pourrait être un agent pour cela ». (4)

La question est : comment les électeurs de ménages modestes arrivent-ils à s’identifier au faux discours antisystème venant de millionnaires et à accepter celui-ci ?

Gare à la mécanique enrayée du référendum

Grâce à un lanceur d’alerte, l’affaire Cambridge Analytica a remis sur le tapis la question de la manipulation lors des processus électoraux via les réseaux sociaux, mettant en parallèle le résultat du Brexit avec l’élection de Donald Trump aux US. Lors d’une enquête destinée à un rapport parlementaire sur les « fausses nouvelles », la directrice du département des affaires chez CA, Brittany Kaiser a déclaré : « L’élite a passé trop d’années à utiliser la technologie pour prendre de court la bonne volonté et la sincérité des gens. Je ne peux plus rester impassible pendant que les privilégiés abusent de leur pouvoir, de façon intentionnelle ou pas (…) Notre travail pour l’UKIP/Leave.EU n’a jamais été rapporté à la Commission électorale par le parti, la campagne ou notre entreprise ». En cause, l’utilisation des données personnelles de millions d’utilisateurs Facebook sans leur consentement afin d’influencer leur vote. Mais l’ampleur des révélations sur une telle ingérence avérée a eu assez peu d’effet. Entretemps les Britanniques sont soumis à une campagne de propagande antirusse 24h sur 24h, qui détourne leur attention sur un supposé ennemi extérieur.

Ce n’est pas la première fois que le résultat d’un référendum pose de telles contradictions au sein de l’UE. Après référendum, le projet de constitution européenne de 2005 a été rejeté par les Français et les Néerlandais. Mais ensuite, la Commission européenne a approuvé le traité de Lisbonne qui recueille grosso modo le contenu de ce même projet. Dix ans plus tard, le peuple grec a présenté un autre défi après le rejet du plan de la Troïka lors d’un autre référendum. Une fois encore, c’est l’UE qui a remporté la partie. La phrase lapidaire de Merkel : « La démocratie doit être conforme au marché » (« Marktkonforme Demokratie » dans l’original) résume la vision dominante de l’UE dans sa forme actuelle. Quant au dirigeant de l’UKIP Nigel Farage, il a déclaré : « Ce que nous devons faire, c’est suivre l’exemple que nous ont donné Ronald Reagan et Margaret Thatcher il y a trente ans ».

Ce qui est au cœur de la crise politique du Brexit, c’est la crise du modèle économique capitaliste. Le niveau de croissance des économies européennes ne s’est pas redressé depuis la récession de 2008, alors que 14 millions de Britanniques vivent déjà dans la pauvreté. La situation a fini par créer un mécontentement légitime contre les politiques d’austérité, et c’est ainsi que 17,4 millions de Britanniques ont voté en faveur de la sortie de l’Union européenne le 24 juin 2016. Seule une prise de conscience plus aiguë des intérêts de classe chez les citoyens du Royaume-Uni est en mesure de dépasser l’illusion d’une souveraineté nationale. La véritable souveraineté sera populaire, c’est-à-dire le fruit d’une action collective résolue en faveur d’une profonde transformation économique et sociale. Mais celui qui détient les termes du débat démocratique tient les rênes et fixe ses limites. C’est pourquoi le droit des citoyens à l’information, ici comme ailleurs, est capital.

Et maintenant ?

Le 21 janvier, Theresa May présentera un plan alternatif à celui rejeté une semaine avant. Le vote pour une sortie de l’UE sous de nouvelles conditions est prévu le 29 janvier. Le gouvernement français a annoncé un budget de 50 millions d’euros pour faire face aux conséquences d’un non-accord. Le temps presse pour le gouvernement britannique avant d’atteindre la date du 29 mars, date où le Brexit devrait prendre effet, et le plus probable est que le nouveau plan donnera lieu à la poursuite de négociations avec l’UE. May aurait-elle été prise à son propre piège, lorsqu’elle avait déclaré qu’un « non-accord est meilleur qu’un mauvais accord » ? La convocation à un second référendum n’est pas une solution envisageable, mais la perspective d’élections anticipées pourrait résoudre cette équation.

Alex Anfruns

 

Notes :

1.Voir l’article https://reporterre.net/Gaz-de-schiste-et-nucleaire-regnent-sur-la-politique-energetique-anglaise

2.Frédéric Lévêque ; L’accord migratoire UE-Turquie : un succès comptable cynique. 21 mars 2017, CNCD. Disponible en ligne :  https://www.cncd.be/L-accord-migratoire-UE-Turquie-un

3.Par comparaison, en France l’immigration représente « un coût de 68 milliards d’euros et des recettes de 72 milliards, donc un apport net de presque 4 milliards », comme le montre cette publication de l’association ATD Quart Monde.

4.Pro-Brexit financier blames ‘wobbling’ world growth for UK’s economic woes, Financial Times, 16 janvier 2019

Trump a fait déployer 80 militaires au Gabon la semaine dernière, pour préparer une réponse aux « manifestations violentes »qui se sont déroulées dans le pays voisin, la République démocratique du Congo ; il pourrait s’agir d’une ruse couvrant la complicité étasunienne dans la tentative de coup d’État au Gabon qui vient de se produire en début de semaine, et qui a constitué une prise de pouvoir bien travaillée de l’AFRICOM dans la zone stratégique du Golfe de Guinée. Les USA ont à y gagner l’établissement d’une base d’opérations d’où ils pourront étendre leur « sphère d’influence » sur la région, que l’opération de changement de régime parvienne à ses fins ou non.

Le lendemain-même du jour où était confirmé l’assassinat du responsable de l’attentat contre le Cole Bomber au Yémen, Trump était déjà à l’œuvre pour remporter une seconde victoire en politique étrangère dans un autre pays du « Grand Sud », cette fois-ci dans l’État centre-africain du Gabon. La nouvelle est tombée récemment : des membres des forces armées du pays ont tenté un coup d’État contre le président Ali Bongo, qui recevait ces derniers mois des soins au Maroc après avoir subi une attaque en octobre [2018]. Le gouvernement gabonais déclare que la plupart des conspirateurs ont été arrêtés et que la « situation reste sous contrôle ». Même s’il semble donc bien que l’État a réussi à contrer le putsch, les USA restent en position de tirer des bénéficies géopolitiques de la situation, en manipulant le dénouement en faveur de leur AFRICOM.

Rappel de quelques fondamentaux sur le Gabon

Bongo a réussi à se faire réélire avec une courte avance de moins de 6000 voix, chose que l’opposition a pris comme prétexte pour incendier le parlement, ce qui a fait basculer le pays, qui jusqu’alors constituait un havre de paix historique, dans un chaos de guerre hybride. L’auteur du présent article avait décrit la crise alors en développement dans l’article « Le déploiement de la guerre hybride au Gabon », où les fondamentaux en politique intérieure et étrangère du Gabon étaient notamment abordés. Le Gabon est dirigé par la famille Bongo depuis la prise de pouvoir par le père du président en exercice en 1967, soit 7 années après son accès à l’indépendance. Avant cela, le pays était considéré comme l’une des « possessions » françaises néo-coloniales les plus précieuses du continent, car il est connu comme très riche en matières premières. C’est pour cette dernière raison que le pays a été membre de l’OPEP sur la période 1975-1995, puis y est revenu en 2016, soit – de manière intéressante – un an après avoir grossi les rangs de la « coalition anti-terroriste » des Saoud.

On peut se trouver surpris de voir une nation majoritairement chrétienne de la côte Atlantique sub-saharienne d’Afrique rejoindre cette organisation militaire basée au Moyen-Orient ; l’une des raisons pourrait en être l’appartenance de Bongo à la minorité musulmane du Gabon, et au fait qu’il a pu succomber au chant des sirènes de la « diplomatie personnelle » saoudienne, qui voulaient séduire son pays. Une autre explication possible serait que le pays avait entamé un « ré-équilibrage » de sa politique étrangère à ce moment : le pays avait connu la transition de constituer une « possession » néo-coloniale française au statut d’État plus souverain avec son partenariat avec la Chine dans la période suivant la fin de la Guerre froide, et comprenait donc bien l’importance de disposer d’un troisième partenaire stratégique pour maintenir un « équilibre » entre les deux pays extra-continentaux les plus importants pour lui, alors que démarraient les premières phases de la Nouvelle guerre froide.

Outre ses ressources en énergie et dans les domaines de la pêche et de l’exploitation forestière, le Gabon constitue également une pièce maîtresse pour des raisons géostratégiques. Comme décrit par l’auteur dans son précédent article, qui visait à expliquer pourquoi la France maintenait 1000 hommes dans ce petit pays :

Paris peut garder ces militaires prêts à un déploiement éclair sur les points chauds en Afrique centrale, comme en République centre-africaine et dans la République démocratique du Congo. Le Gabon, de par sa position géographique clé, permet également à la France de disposer d’un positionnement à mi-chemin entre les deux puissances africaines montantes que sont le Nigeria et l’Angola, et Paris est prête à en exploiter tous le potentiel si la situation l’y invite.

Voilà qui était bien vu, puisque c’est précisément sous le motif « officiel » de répondre à des « manifestations violentes » qui pourraient éclater dans la République Démocratique du Congo voisine (qui se trouve constituer également être le premier producteur mondial de cobalt) à l’issue des dernières élections, que Trump a déployé 80 militaires dans ce même pays en fin de semaine dernière.

Les raisons du déploiement étasunien

Avec le recul, l’annonce de Trump du déploiement de soldats dans un pays d’Afrique centrale, soi-disant en réponse à des « manifestations violentes » en RDC pourrait s’apparenter à une ruse pour couvrir le rôle qu’ont joué les USA pour essayer d’empêcher les mêmes manifestations au Gabon, par suite de ce qui ressemble fortement à une tentative toute récente de coup d’État au Gabon assisté par l’AFRICOM. La situation n’est pas totalement éclaircie pour l’instant, mais il semble bien que le gouvernement a réussi à arrêter la plupart des conspirateurs, et a repris le contrôle de la situation. Reste que les dissensions internes connues par le Gabon depuis deux ans et demi – c’est à dire depuis les dernières élections – auraient pu constituer le terreau pour l’éclosion de rumeurs quant à la santé de Bongo. Ces rumeurs auraient pu amener l’armée à agir préventivement, au vu du soutien manifesté par les organisateurs des agitations envers les partisans de l’opposition tués pendant ces émeutes.

Les soldats étasuniens ont été envoyés au Gabon sous le prétexte à peine plausible d’une préparation à l’évacuation des ressortissants des USA en RDC, au cas où ce pays verrait éclater des violences par suite des annonces imminentes des résultats d’élections. Le positionnement de ces soldats pouvait tout aussi bien être considéré par les conspirateurs gabonais comme signe d’un soutien tacite des USA, et par les loyalistes à Bongo comme une dissuasion à toute réaction de leur part – ce qui semble n’avoir pas fonctionné. Les USA ne voulaient pas s’impliquer trop directement, pour optimiser leur positionnement vis à vis du pays quelle que soit l’issue du coup d’État. Il reste que cet événement est d’une importance de premier plan pour l’AFRICOM : les USA ont à présent une raison de s’intégrer d’avantage au Gabon, pays disposant d’un positionnement stratégique privilégié dans le Golfe de Guinée. Le pays est également entouré de plusieurs États faibles mais tout aussi importants stratégiquement, présidés par des dirigeants au long court vieillissants, et qui ont tous connu des troubles civils récemment, à des degrés divers.

Pour exprimer les choses différemment, on peut considérer le déploiement de soldats étasuniens comme un « appât », positionné pour encourager les conspirateurs à lancer leur tentative. Quel que soit le résultat de cette tentative, les USA pouvaient tirer parti de la situation en utilisant le Gabon comme point d’entrée de l’AFRICOM sur le continent, chose qu’ils désiraient depuis longtemps. Si le coup d’État avait réussi, les USA auraient pu s’allier au gouvernement « paria », qui se serait naturellement vu boudé par l’Union africaine et la plupart des acteurs internationaux ; ils l’auraient aidé à stabiliser la situation intérieure et à restaurer dès que possible un sentiment de « normalité ». Si le coup échouait, et en dépit de la réussite apparente des forces gouvernementales à maîtriser ce coup d’État, ce grave incident démontrait à l’État que des tensions politiques intérieures étaient bien en train d’infuser jusqu’aux couches de son appareil d’« État profond », et le besoin d’un nouveau partenariat en sécurité devenait patent aux yeux des autorités en place, pour prévenir toute nouvelle occurrence de ce type d’incident.

Les USA étaient donc positionnés pour tirer les marrons du feu de la situation et faire progresser leur agenda régional, quelle que soit l’issue du coup d’État.

Pourquoi le Gabon

AU CŒUR DE TOUTE ACTION

Comme expliqué dans l’article du même auteur cité ci-avant, le pays dispose d’une proximité très importante avec les grandes puissances montantes en Afrique que constituent le Nigeria et l’Angola, ainsi que la République démocratique du Congo – qui dispose de trésors en gisements. Le Gabon est en outre à très faible distance de la République centre africaine (RCA), dont l’importance a été croissante au cours des 12 derniers mois – depuis l’intervention sur base de « mercenaires » organisée par la Russie et approuvée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies – et qui constitue le composant clé de la stratégie d’« équilibrage » de la Russie sur le continent africain. La France ayant perdu pour de bon la RCA en tant que possession néo-coloniale, et semblant en bonne passe de perdre également le Gabon suite au putsch, on peut penser que la « Ruée vers l’Afrique » dont l’auteur avait préditqu’elle allait s’intensifier cette année amène à des changements géopolitiques profonds dans la région de l’Afrique centrale : l’ancienne domination française se voit supplantée par la Russie, les USA et la Chine.

ENTOURÉ DE DIRIGEANTS VIEILLISSANTS

C’est une chose importante : les dirigeants des pays avoisinants, que sont le Cameroun, la République du Congo, ainsi que la Guinée équatoriale, sont tous d’âge avancé, et ont tous subi récemment des tentatives de changement de régime, sous des formes diverses. Le premier de ces pays est dirigé par Paul Biya (en poste depuis 36 années consécutives), et subit officieusement un état de guerre civile entre le gouvernement central et la région anglophone qui jouxte la frontière avec le Nigeria. La République du Congo est dirigée par Denis Nguesso (en poste pour la première fois il y a 34 ans – il a dirigé le pays pendant 13 années, puis 21 années, avec 5 années d’intérim entre-temps), qui n’a réussi à restaurer la paix avec le département rétif du Pool au sud du pays que récemment. Le dirigeant de Guinée équatoriale est quant à lui Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (au pouvoir depuis 39 années), qui a réussi l’an dernier à faire échouer un coup d’État monté par des mercenaires.

PLAQUE TOURNANTE POUR GUERRE HYBRIDE

Si l’on raisonne en fonction de la dynamique des Guerres hybrides régionales, le Gabon représente pour les USA l’endroit idéal pour encourager et guider des mouvements de changement de régime partout en Afrique centrale, afin de se façonner une « sphère d’influence » dans l’Est du Golfe de Guinée. Si les USA réussissent à transformer le Gabon en base d’opérations de l’AFRICOM sur le continent, ils pourront s’en servir pour exercer des influences vers les pays d’Afrique de l’Ouest, du Centre et du Sud, comme le Nigeria, la RDC et l’Angola. Dans cette hypothèse, on verra probablement les autorités nouvellement imposées justifier les changements en arguant d’un « équilibrage », alors que l’on verra le pays se tourner totalement vers les USA, et se détourner en même temps de la France, de la Chine et de l’Arabie Saoudite. Il n’est même pas nécessaire qu’AFRICOM soit formellement invitée dans le pays pour voir tout ceci arriver : il suffit que les USA gardent leur proverbial   « pied dans la porte », et le reste suivra « naturellement ».

Conclusions

Le putsch au Gabon a pris nombre d’observateurs par surprise, mais rétrospectivement, « c’était écrit » depuis un moment, et deux importants signaux avaient été émis avant son occurrence, qui auraient pu mettre la puce à l’oreille. Le discours de nouvelle année de Bongo à son peuple, enregistré depuis le Maroc, où il est toujours en soins suite à son attaque d’octobre [2018], montrait qu’il restait diminué physiquement, surtout après la controverse autour de sa réélection de justesse en 2016 – cela fait presque un demi-siècle que sa dynastie familiale administre le pays. Le déploiement de 80 soldats étasuniens en fin de semaine dernière, sous prétexte de répondre à des violences après les élections dans la RDC voisine, constituait clairement une ruse : le Gabon n’a même pas de frontière commune avec la RDC ; la simple présence de ces soldats ressemblait donc fortement à un encouragement pour les conspirateurs et à un avertissement préventif face aux réactions de l’État.

Bien que les dernières informations en date semblent indiquer que le gouvernement aurait récupéré le contrôle de la situation, ce putsch reste une victoire de la politique étrangère étasunienne : les USA sont à présent en bonne position pour en manipuler les retombées et faire valoir leurs propres intérêts. Un « gouvernement révolutionnaire » serait resté en marge sur le plan international, et donc totalement dépendant des USA, mais l’affaiblissement que subit l’État à l’issue de ce putsch favorise également le positionnement des USA comme partenaires en sécurité, et leur donne un grand rôle à jouer dans la stratégie d’« équilibrage » du pays. Dans les deux scénarios de sortie de crise, la relation USA-Gabon se trouvait renforcée, et s’apparentait plus à une réorientation qu’à une évolution de l’« exercice d’équilibrage » du Gabon : l’implantation de soldats étasuniens sur le sol gabonais aura inévitablement des conséquences régionales.

Certes, que ce pays de deux millions d’habitants, relativement prospère et riche en ressources naturelles, tombe « dans l’escarcelle » d’une des grandes puissances, dans le cadre de la « Ruée vers l’Afrique », épisode de la Nouvelle guerre froide, constitue un événement en soi. Mais l’importance du Gabon réside également dans son positionnement géopolitique entre les grandes puissances régionales montantes que constituent le Nigeria et l’Angola, sa proximité avec la République démocratique du Congo et la République centre africaine (dont la Chine et la Russie, rivaux des USA, constituent les protectrices principales, respectivement) ; son emplacement au barycentre de trois pays affaiblis dirigés par des hommes d’âge avancé, qui ont tous subi des tentatives de changement de régime ces derniers temps. Il est trop tôt pour dire si le putsch gabonais aura changé la donne régionale ou non, mais il saute aux yeux, au vu des raisons élaborées plus haut, que les stratèges étasuniens comptent là-dessus : si leur opération réussit même partiellement, nous assisterons au retour de l’Afrique au cœur du positionnement international étasunien.

Andrew Korybko

 

 

Article original en anglais :

AFRICOM Complicity in Gabon Coup Attempt? Trump Orders Deployment of 80 Military Personnel to Gabon, le 7 janvier 2019.

Cet article a été initialement publié par Eurasia Future.

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone

 

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

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Au début de l’administration Bush-Cheney, d’innombrables articles et même des déclarations officielles de l’Agence internationale de l’énergie et de divers gouvernements proclamaient le début de ce que l’on appelait le pic pétrolier. C’était l’époque où l’ancien PDG de Halliburton, le vice-président Dick Cheney, a été nommé à la tête de la « White House Energy Task Force ». Dans la période précédant la guerre de mars 2003 contre l’Irak, le pic pétrolier ou le déclin absolu des réserves mondiales de pétrole semblaient une explication plausible, sinon une justification, de l’invasion de l’Irak par G.W. Bush. Moi même, j’ai aussi été pendant un certain temps persuadé que cela pouvait expliquer la guerre du pétrole. Pourtant, aujourd’hui, nous entendons peu parler du pic pétrolier. Comprendre pourquoi est intéressant.

Le Peak Oil a été et est toujours une invention de certains milieux financiers avec « Big Oil » pour justifier, entre autres, des prix très élevés pour leur pétrole. La théorie du pic pétrolier qu’ils défendaient pour justifier les prix élevés, remonte aux années 1950 et un géologue pétrolier excentrique de Shell Oil à Houston, nommé King Hubbard.

Courbes en cloche et autres

Alors qu’il travaillait pour Shell Oil au Texas, Marion King Hubbert, ou King, comme il préférait qu’on l’appelle, a été invité à présenter un article à l’assemblée annuelle de l’American Petroleum Institute en 1956, un événement qui allait devenir un des exemples les plus marquants de fabrication scientifique [de l’information, NdT] de l’ère moderne.

Hubbert a fait reposé toutes ses conclusions de 1956, y compris que les États-Unis atteindraient leur apogée pétrolière en 1970, sur l’hypothèse non prouvée que le pétrole était un combustible fossile, un composé biologique produit à partir de détritus de dinosaures morts, d’algues ou d’autres formes de vie provenant de quelque 500 millions d’années auparavant. Hubbert a accepté la théorie des fossiles sans poser de questions, et n’a fait aucune tentative évidente pour valider scientifiquement une partie aussi essentielle et fondamentale de son argument. Il s’est contenté d’affirmer les « origines fossiles du pétrole » en tant que vérité évangélique et a commencé à construire une nouvelle idéologie autour de celle-ci, une idéologie néomalthusienne d’austérité face à la pénurie de pétrole qui se profilait. Il prétendait que les champs de pétrole obéissaient à la courbe en cloche gaussienne, elle-même une heuristique arbitraire.

Pour les grandes compagnies pétrolières britanniques et américaines et les grandes banques qui les soutiennent, le mythe de la rareté était nécessaire pour qu’elles puissent contrôler la disponibilité et le prix du pétrole, qui est le moteur de l’économie mondiale. Le mythe de la pénurie devait être un élément clé de la puissance géopolitique anglo-américaine pendant plus d’un siècle.

King Hubbert a admis dans une franche interview en 1989, peu avant sa mort, que la méthode qu’il utilisait pour calculer les réserves totales de pétrole récupérables des États-Unis était tout sauf scientifique. C’est un peu comme si on mouillait son doigt et qu’on le tenait en l’air pour voir la force du vent.

Hubbert l’a dit à son interlocuteur :

« Ce qu’il me fallait, c’était connaître ou avoir une estimation du montant final qui pourrait être produit… Je connais le montant final et je sais, je ne peux adapter cette courbe que dans une plage très étroite d’incertitude. C’est donc ce qui a été fait. Ces courbes ont été dessinées. J’ai simplement, par couper et coller, je veux dire, vous dessinez la courbe, calculez les carrés, et si c’était un peu trop vous la coupiez ou si c’était trop peu, vous la releviez un peu. Mais il n’y avait pas de mathématiques là dedans, à l’exception de l’aire intégrale sous la courbe, son intégrale pour avoir la production cumulée jusqu’à un moment donné… Donc avec les meilleures estimations que je pouvais obtenir sur la quantité finale de pétrole aux États-Unis, mon propre chiffre à l’époque était d’environ 150 milliards de barils. »

Si la description que fait Hubbert de sa méthodologie n’a pas l’air d’une procédure scientifique rigoureuse, c’est parce que ce n’était pas le cas.

Hubbert, en effet, a transformé une affirmation non prouvée et inexacte – que le pétrole dérive de restes biologiques fossilisés – en un motif pour affirmer sa rareté inhérente et son déclin inévitable : « Cette connaissance nous fournit une base géologique puissante contre les spéculations effrénées sur l’apparition du pétrole et du gaz. L’approvisionnement initial est fini, le taux de renouvellement est négligeable et l’occurrence est limitée aux régions de la terre où les roches du socle sont recouvertes de dépôts sédimentaires épais. » Une fois cette sagesse acceptée dans le monde de la géologie, un monde dont les manuels ont été écrits principalement en Amérique où les grandes sociétés pétrolières dominaient, il s’agissait de contrôler politiquement ou, si nécessaire, militairement ces régions riches en pétrole.

À peine une infime fraction de la terre avait été touchée par les forages pétroliers lorsqu’il a fait ses prévisions terribles de réserves « finies » et « limitées » en 1956.

Michael T. Halbouty, géologue pétrolier et ingénieur pétrolier respecté du Texas, a écrit dans le Wall Street Journal en 1980 :

« Il y a environ 600 bassins pétroliers potentiels dans le monde. De ce nombre, 160 sont commercialement productifs, 240 sont partiellement ou modérément explorés et les 200 autres sont globalement inexplorés… 73 % ont été forés aux États-Unis. Pourtant, les bassins potentiels de ce pays[…] ne représentent que 10,7% du total mondial […] La majorité des bassins du monde n’ont pas été suffisamment explorés ou forés. »

Hubbert a ensuite prédit que, d’après ses estimations des réserves pétrolières américaines totales de 150 à 200 milliards de barils, la production de pétrole des États-Unis atteindrait un pic à la fin des années 1970 et que le déclin de la courbe en cloche du pétrole commencerait à s’accélérer. C’était un tableau alarmant, c’est le moins qu’on puisse dire. C’était aussi faux.

Découverte majeure d’un nouveau gisement de pétrole

Je n’aborderai pas ici les démonstrations scientifiques russes qui remontent aux années 1950 et qui ont démontré empiriquement que le pétrole est constamment créé dans les profondeurs du manteau terrestre par des températures et des pressions extrêmement élevées, et qu’il est tout sauf en voie d’épuisement. J’aborde ce sujet en détail dans mon livre Myths, Lies and Oil Wars. Je voudrais citer ici un bulletin récent de l’US Geological Survey.

Le 28 novembre, le ministère américain de l’Intérieur a annoncé une nouvelle confirmation dramatique de la découverte en Arizona d’énormes quantités de pétrole et de gaz dans une région à l’ouest du Texas. Le Département de l’Intérieur des États-Unis, par l’intermédiaire de son US Geological Survey, a annoncé que la formation de schistes de Wolfcamp et la formation sus-jacente de Bone Spring dans le bassin du Delaware au Texas et dans la province du bassin permien du Nouveau-Mexique contiennent « une moyenne estimée à 46,3 milliards de barils de pétrole, 281 000 milliards de pieds cubes de gaz naturel, et 20 milliards de barils de gaz naturel liquide, selon une étude du USGS (Geological Survey) ». Cette estimation porte sur le pétrole non conventionnel continu et se compose de ressources non découvertes et techniquement récupérables. Jim Reilly, directeur de l’USGS, a qualifié la région de « plus importante évaluation continue du pétrole et du gaz jamais publiée ». En bref, il s’agit d’une nouvelle majeure pour l’approvisionnement énergétique américain.

Le rapport indique également que les sociétés pétrolières et gazières produisent actuellement du pétrole ici en utilisant à la fois la technologie traditionnelle des puits verticaux et le forage horizontal et la fracturation hydraulique pour extraire le pétrole et le gaz de schistes. L’USGS a ajouté que l’évaluation des formations de schistes argileux de Wolfcamp et de Bone Spring dans le bassin du Delaware est plus de deux fois supérieure à celle du bassin Midland.

Même avant cette découverte majeure de pétrole et de gaz de schistes dans la région du Texas et de l’Arizona autour du bassin Permien, les États-Unis, y compris les réserves estimées de schistes bitumineux, étaient considérées comme la plus grande réserve de pétrole du monde. Selon une étude réalisée en juillet 2018 par Rystad Energy, une société de conseil norvégienne, les États-Unis détiennent 264 milliards de barils de pétrole, dont plus de la moitié se trouve dans les schistes. Ce total dépasse les 256 milliards de barils trouvés en Russie et les 212 milliards de barils en Arabie Saoudite.

Si les nouvelles estimations de l’USGS sont incluses, les réserves totales de pétrole américaines dépasseraient largement les 310 milliards de barils. La prédiction de King Hubbert sur le pic pétrolier américain en 1970 s’avère être un non-sens. Ce qui s’est passé en 1970, c’est que Big Oil a manipulé un virage vers le pétrole ultra bon marché du Moyen-Orient et s’est éloigné du forage pétrolier domestique aux États-Unis. Pour eux, l’argument du pic pétrolier était une feuille de route politiquement utile qui a eu d’énormes conséquences géopolitiques pour les politiques américaines au Moyen-Orient après 1970. Les nouvelles découvertes au Texas et en Arizona garantissent que l’épuisement plus rapide des gisements de schiste bitumineux par rapport aux gisements classiques n’entraînera pas un épuisement précoce de la production pétrolière américaine.

Tout cela a d’importantes implications géopolitiques puisque les États-Unis sont aujourd’hui devenus ces dernières années le premier producteur mondial de pétrole, devant la Russie et l’Arabie saoudite. Cela pourrait aussi expliquer pourquoi le président américain s’est récemment senti en mesure d’ordonner le retrait des troupes américaines de Syrie. Un vaste changement géopolitique est en cours depuis quelques années.

F. William Engdahl

 

Article original en anglais :

Whatever Happened to Peak Oil? Major New Shale Oil and Gas Discovery, le 31 décembre 2018

Traduit par Hervé pour le Saker Francophone

 

 

F. William Engdahl est consultant et conférencier en risques stratégiques, diplômé en politique de l’Université de Princeton et auteur de best-sellers sur le pétrole et la géopolitique, exclusivement pour le magazine en ligne “New Eastern Outlook“.  Il est également un collaborateur du Centre de Recherche sur la Mondialisation.

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Des forces paramilitaires mais aussi des enfants : depuis 2015, le Soudan permet à la coalition menée par l’Arabie saoudite de prolonger l’effort de guerre au Yémen

Alors qu’à Khartoum, un climat insurrectionnel s’est installé depuis quelques semaines, avec une population survoltée demandant le départ d’Omar el-Béchir, des milliers de Soudanais guerroient au Yémen.

– Depuis 2015, l’armée soudanaise et des milices de « volontaires » participent à la guerre que mène le plus riche des pays arabes, l’Arabie saoudite, contre le plus pauvre.

Le Soudan a ainsi envoyé des milliers de paramilitaires, membres des Forces de soutien rapide (RSF), un corps qui recrutait à l’origine dans les tribus arabes du Darfour, passé en 2016 de la tutelle du renseignement à celle de l’armée soudanaise.

Ce nom sophistiqué cache en réalité le nom originel d’une milice entrée dans l’histoire pour ses atrocités commises : Janjawid. Leur rôle opérationnel n’est pas clair. Selon un expert qui souhaite garder l’anonymat, ils garderaient les bases émiraties au Yémen ou celles des Saoudiens dans les régions frontalières de Jizan et Najran, cibles de harcèlement continu des milices houthies. Ils serviraient occasionnellement comme avant-poste lors des grandes offensives menées pour occuper le terrain, en somme comme chair à canon.

Dans son édition du 29 décembre, le New York Times relate les détails de l’embrigadement de milliers d’enfants soldats dans les rangs des milices et des troupes envoyées par Khartoum pacifier le Yémen.

Ils sont environ 14 000 miliciens payés 10 000 dollars en guise de prime d’enrôlement. Parmi eux, un grand nombre d’enfants âgés de 14 à 17 ans, originaires des tribus du Darfour

Ils sont environ 14 000 miliciens payés 10 000 dollars en guise de prime d’enrôlement. Parmi eux, un grand nombre d’enfants âgés de 14 à 17 ans, originaires des tribus du Darfour, affirme le quotidien américain.

Les familles appauvries par des années de guerre et surtout la volonté de Béchir de liquider le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) très implanté au Darfour et dans le Korodofan.

– Des membres soudanais des Forces de soutien rapide, force paramilitaire soutenue par le gouvernement soudanais pour combattre les rebelles, se préparent à recevoir le président Omar el-Béchir, dans la province du Darfour-Sud, le 23 septembre 2017 (AFP)

Presque tous les combattants soudanais semblent d’ailleurs provenir de la région du Darfour, ravagée par la guerre et plongée dans une misère absolue. Une région où quelque 300 000 personnes ont été tuées et 1,2 million, déplacées au cours d’une douzaine d’années de conflit causés par la diminution des terres arables et d’autres ressources rares.

Cette région est aussi très impliquée dans la guerre civile en Libye et dans les conflits larvés du Sahel central (orpaillage au Tchad et au Niger, trafics en tous genres, immigration clandestine…).

Des ordres à distance

Certaines familles étaient tellement impatientes d’obtenir de l’argent qu’elles soudoyaient des officiers de la milice pour qu’ils laissent leurs fils aller se battre. Beaucoup ont entre 14 et 17 ans. Lors des entretiens, cinq combattants rentrés du Yémen et un autre sur le point de partir ont déclaré que les enfants représentaient au moins 20 % de leurs unités. Deux autres ont affirmé au journaliste du New York Times que les enfants représentaient plus de 40 % du contingent de la milice.

Sur le terrain, les Soudanais, peu formés, apprennent la dure réalité du combat face à un ennemi de très haut niveau et avec une démission totale des riches alliés saoudiens ou émiratis.

« Ils ne se sont jamais battus à nos côtés. Sans nous, les Houthis prendraient

toute l’Arabie saoudite, y compris La Mecque »

– Mohamed Suleiman al-Fadil, 28 ans

 « Pour rester éloignés des lignes de combat, leurs surveillants saoudiens ou émiriens commandaient les combattants soudanais presque exclusivement à distance, leur ordonnant d’attaquer ou de se retirer au moyen de casques radio et de systèmes GPS fournis aux officiers soudanais en charge de chaque unité », révèle un combattant.

« Les Saoudiens nous ont dit quoi faire avec les téléphones et les appareils radio », raconte ainsi Mohamed Suleiman al-Fadil, un membre de la tribu des Bani Hussein, âgé de 28 ans, rentré du Yémen à la fin de l’année dernière. « Ils ne se sont jamais battus à nos côtés. Sans nous, les Houthis prendraient toute l’Arabie saoudite, y compris La Mecque », affirme-t-il.

Il est en tout cas incontestable que les forces soudanaises ont permis à la coalition de prolonger l’effort de guerre. Elles ont, par leur présence, isolé les Saoudiens et Émiratis des pertes qui auraient pu faire de très gros dommages au sein de l’opinion publique et mettre à l’épreuve la patience des familles à la maison.

– Un membre des forces progouvernementales yéménites se tient à l’entrée est de la ville portuaire de Hodeida le 29 décembre 2018. Les Houthis ont commencé à se retirer du port en vertu d’un accord conclu en Suède (AFP)

« Les Saoudiens nous téléphonaient puis se retiraient », raconte aussi Ahmed, 25 ans, membre de la tribu des Awlad Zeid, qui s’est battu lors de la féroce bataille pour la prise du port de Hodeida cette année. « Ils traitent les Soudanais comme leur bois de chauffage », décrit-il.

De leur côté, les responsables de la coalition nient toute utilisation d’enfants soldats. Un porte-parole de la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite a déclaré dans un communiqué que les membres de cette coalition se battaient pour rétablir le gouvernement yéménite, reconnu internationalement, et que les forces de la coalition avaient respecté toutes les lois internationales relatives aux droits humains et humanitaires, y compris « la non-implication d’enfants dans les combats ».

« Les allégations selon lesquelles il y a des enfants dans les rangs des forces soudanaises sont fictives et sans fondement », a déclaré le porte-parole, Turki al-Malki, dans un communiqué.

Pour 418 euros par mois

Envoyés par vols militaires de l’armée de l’air soudanaise à partir de Khartoum ou Nyala, direction un centre de formation de l’infanterie saoudienne, des vétérans se souviennent de leur enrôlement : « On a été jusqu’à 8 000 Soudanais rassemblés » se souvient un ancien combattant.

Sur place les Saoudiens leur remettent des uniformes et des armes américaines. Deux à trois semaines d’instruction de base ont suivi pour apprendre à manier les armes, mais surtout pas de tactique ou de stratégie.

Selon un ancien milicien qui s’est confié au New York Times, ils sont divisés en unités de 500 à 750 combattants avant d’être envoyés au Yémen.

– Des femmes et des enfants soudanais se tiennent à côté d’un âne dans la ville déchirée par la guerre de Golo, au centre du Darfour, le 19 juin 2017 (AFP)

Hager, interrogé à Khartoum par le quotidien, s’est rendu au Yémen à 14 ans. Il en est revenu en novembre 2017 et raconte la violence des combats. Son unité a perdu vingt hommes lors de leur transport terrestre vers un camp près d’Aden, où ils en ont perdu 22 de plus lors d’une première bataille et 35 lors d’une seconde bataille – 180 après six mois.

Hager raconte combien il était terrifié. Les officiers soudanais le laissaient appeler ses parents de temps en temps. Il finira par faire le bonheur de sa famille car en rentrant, il contribuera à la construction de la maison familiale et acheta dix vaches.

Comme lui, la plupart des Soudanais qui sont parti au Yémen se sont battu pour l’argent. Ils ont été payés en riyals saoudiens

Comme lui, la plupart des Soudanais qui sont parti au Yémen se sont battu pour l’argent. Ils ont été payés en riyals saoudiens, l’équivalent d’environ 480 dollars (418 euros) par mois pour un novice de 14 ans jusqu’à 530 dollars (462 euros) par mois pour un officier Janjawid expérimenté. Ils ont reçu entre 185 et 285 dollars (entre 161 et 248 euros) de prime de combat pour les jours de feu. Pour certain ce fut pendant toute la durée de leur service.

Leurs émoluments étaient versés à la Faisal Islamic Bank of Sudan, en partie détenue par des Saoudiens. À la fin d’une rotation de six mois, chaque combattant a également reçu une prime d’incorporation d’au moins 700 000 livres soudanaises, soit environ 10 000 dollars.

Certains officiers soudanais avaient explicitement dit aux soldats : « Ne vous battez pas plus que ce que vaut l’argent, ne vous battez pas plus que ce que vous êtes payé », témoigne Ahmed, membre de la tribu des Awlad Zeid, une tribu influente dans le sud libyen et au Darfour.

Tous les combattants se sont plaints de roquettes et de mines houthies et ont fait état de victimes allant de 135 dans l’unité de Mohamed Suleiman al-Fadil à environ 200 dans celle d’Ahmed. À leur retour, ils ont acheté du bétail, une camionnette de fabrication coréenne ou une petite épicerie.

Babikir Elsiddig Elamin, porte-parole du ministère soudanais des Affaires étrangères a refusé de faire des commentaires sur le nombre de soldats déployés au Yémen ou leurs émoluments. Il a déclaré que le Soudan se battait « dans l’intérêt de la paix et de la stabilité régionales ».

Le ministre soudanais de la Défense a menacé en mai 2018 de se retirer du conflit, annonçant que Khartoum « réévaluait » sa participation à la lumière de la « stabilité et des intérêts du Soudan ». Des diplomates ont qualifié la déclaration de « demande voilée » pour que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis fournissent davantage d’aide financière. Ils ne l’ont pas fait et l’économie soudanaise a basculé.

Akram Kharief

 

Akram Kharief est journaliste indépendant, spécialisé en défense et sécurité. Il anime le site d’informations menadefense.net sur la défense au Moyen-Orient et en Afrique du Nord depuis 2011.

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Le dirigeant du Parti travailliste Jeremy Corbyn a soutenu un amendement qui demande que le Parlement puisse se prononcer sur la tenue d’un deuxième référendum. Ce référendum tranchera sur le maintien de l’appartenance à l’Union européenne (UE). Ce geste n’engage pas Corbyn à appuyer un référendum si un référendum devait avoir lieu. Cela est censé représenter le «vote du peuple» exigé par Tony Blair et sa fraction de l’aile droite de son parti. Le Parti travailliste le proposera comme une autre solution de rechange si le Parlement ne soutenait pas son plan de rechange pour le Brexit. Ce plan vise un accès en franchise de droits au marché unique européen par une union douanière, ou un autre accord qui remporte une majorité parlementaire.

Cependant, Corbyn a cédé une fois de plus à la droite de son parti. Cela risque d’aliéner les députés qui sont sceptiques quant à l’effet d’un deuxième référendum sur l’appui aux travaillistes. D’autant plus que cela survient après des sondages qui suggèrent que jusqu’à un tiers des électeurs travaillistes potentiels sont contre un deuxième vote.

Il ne parle plus d’exiger des élections générales, depuis la défaite d’un vote de défiance à l’égard du gouvernement du Premier ministre, Theresa May, la semaine dernière. Les députés de May qui soutiennent un Brexit sans accord et ceux du Parti unioniste démocrate (Democratic Unionist Party – DUP), ont soutenu son gouvernement après avoir voté contre son projet de Brexit.

Le plan de rechange de Corbyn pour le Brexit va maintenant faire l’objet d’une attaque féroce de la part des partisans de « Rester », qui l’affirment irréalisable au regard des règles de l’UE.

Les amendements des travaillistes sont arrivés après la présentation par May de son «plan B» pour le départ de la Grande-Bretagne de l’UE qui s’est avéré être plus ou moins une reformulation de son «plan A». Après le rejet de son accord de retrait et l’échec de son vote de censure ont obligé May de revenir à la Chambre des communes. Elle a dû faire une déclaration et répondre aux questions de plus de 100 députés pendant plus de deux heures. Les négociations avec les partis d’opposition ont continué lundi matin.

Ces pourparlers n’ont donné qu’une indication que l’extension de l’article 50 [du Traité de Lisbonne (actuellement deux ans depuis le 29 mars 2017)] et le report de Brexit pourraient être possibles. May avait affirmé que son accord négocié était la seule alternative à un Brexit sans accord – laissant l’UE sans accord commercial – et s’opposerait aux demandes d’un second référendum et obtiendrait une majorité pour ce faire.

Plutôt que de «retourner devant peuple britannique pour un second référendum… Notre devoir est de mettre en œuvre la décision du premier», a averti May. Agir autrement « pourrait nuire à la cohésion sociale en sapant la confiance dans notre démocratie », alors qu’elle ne « croyait pas qu’il existe une majorité pour un second référendum », même au Parlement.

May s’est surtout concentré sur l’apaisement des inquiétudes de sa faction favorable à un Brexit du et du DUP, dont elle dépend pour une majorité de 10 députés. Mais elle veillerait à ce que le «filet de sécurité » proposé, convenu avec l’UE sur le commerce avec la République d’Irlande. La. solution doit empêcher à la fois « une frontière dure entre l’Irlande du Nord et l’Irlande» et «une frontière à travers la mer d’Irlande» entre l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni. De surcroît elle doit le faire «d’une manière qui puisse bénéficier du meilleur soutien possible dans le Parlement».

Les futures relations commerciales avec l’UE seraient également «plus précises», notamment en permettant aux parlementaires d’aider à définir «notre mandat de négociation». Enfin, en guise de concession pour amadouer les partisans de Blair pour justifier leurs discussions avec son gouvernement, elle accepterait un amendement proposé par le député John Mann. L’amendement déclare «que le Parlement devrait pouvoir examiner toute modification apportée par l’UE» à la législation sur l’emploi et l’environnement.

L’accord renégocié par May ne serait toutefois pas soumis à un vote le 29 janvier. Les négociations seraient en cours et elle se contenterait de déposer une déclaration ministérielle écrite et de «déposer une motion en termes neutres sur cette déclaration».

Dans son rôle de rédacteur en chef du Evening Standard, l’ancien chancelier conservateur en chef, George Osborne, a déclaré que May «ne prendra jamais les mesures nécessaires pour obtenir un appui multipartite important en faveur d’un accord Brexit. Car cela romprait davantage les conservateurs… ce qui signifie qu’elle serait en faveur de Brexit sans accord plutôt qu’aucun Brexit».

Cela a souligné que l’acceptation par Corbyn d’un deuxième référendum est essentielle pour renverser le Brexit. L’élite dirigeante britannique le considère comme vital parce qu’elle dépend de l’UE pour 40 pour cent de ses échanges commerciaux et pour attirer les investissements spéculatifs dans la City de Londres.

Plus tôt dans le débat, Corbyn semblait prêt à décevoir les hommes d’affaires que lui et le chancelier fantôme John McDonnell ont passé des mois à courtiser.

Répondant à la question de May, Corbyn a qualifié ses pourparlers multipartites – auxquels assistaient les partisans de Blair: Chris Leslie, Luciana Berger et Chuka Umunna – de «simulacre», lui a demandé de confirmer qu’elle exclut un «Brexit sans accord» si le Parlement adopte un amendement, et de «considérer» le cas pour un second référendum.

Des hommes d’affaires de premier plan ont été cités exprimant leur consternation face à l’impasse et au danger de voir le Royaume-Uni se laisse tomber hors de l’UE. Par conséquent ils feraient face à des tarifs commerciaux, des contrôles aux frontières et des échanges aux conditions de l’Organisation mondiale du commerce. Carolyn Fairbairn, directrice générale de la Confédération de l’industrie britannique, s’est plainte : «Le Parlement reste dans l’impasse alors que la pente jusqu’au bord d’une falaise s’intensifie. Le gouvernement devrait accepter qu’aucun Brexit sans accord en mars 2019 ne soit de mise.»

Dans le Financial Times, Robert Shrimsley a écrit à propos du «jour du jugement» de Corbyn et du «fait qu’il a été prise en défaut… Peut-être les conservateurs ont-ils la responsabilité du Brexit, mais si la Grande-Bretagne se laisser tomber hors de l’UE sans un accord, le dirigeant travailliste qui n’a pas réussi à le stopper sera aussi largement mis en cause.»

L’Allemand Der Speigel a écrit que : «ceux qui espèrent que Brexit peut encore être évité» veulent «attendre que toutes les tentatives de May pour parvenir à un compromis soient dans l’impasse avant de pousser pour un deuxième référendum à la dernière minute. Pour que cette stratégie fonctionne, ils ont toutefois besoin de l’appui du Parti travailliste, mais le chef du parti, Jeremy Corbyn, a opté jusqu’à présent pour un rôle beaucoup plus destructeur » – fondé sur sa conviction «qu’il a une chance de la remplacer comme Premier ministre».

Au sein du parti, le secrétaire fantôme du Brexit, Keir Starmer, a déclaré dimanche à l’émission «Andrew Marr Show» de la BBC que c’était «inévitable» que la date de sortie soit reportée, mais que les travaillistes devaient rapidement passer de l’échec de la demande d’élections générales à un soutien «à un vote public – c’est pour cela que nous avons fait passer notre politique de conférence vers un vote public…» pour remédier à cette situation.

Le député travailliste David Lammy a déclaré à Sky News que Corbyn était en train de «modifier les objectifs» en préparant un deuxième référendum. «C’est maintenant le temps de faire preuve d’autorité». En faisant référence aux plans en cours de ses alliés, les partisans de Blair dirigés par Umunna, il explique: «un petit groupe dans notre parti est tellement frustré et a tellement de griefs qu’on craint qu’il aille former un autre parti.»

Comme pour la formation du Parti social-démocrate, «le danger est, tout comme en 1983, qu’un nouveau parti construit autour d’une relation avec l’Europe maintienne le Parti travailliste hors du pouvoir pendant une génération.»

Ces bifurcations de dernière minute et ces menaces de scission ont rempli leur fonction. À 67 jours du Brexit prévu pour le 29 mars, une fois de plus, Corbyn a laissé tomber et s’unit à son aile droite.

Corbyn a également donné son appui tacite aux amendements proposés hier soir avec le but d’empêcher un Brexit sans accord à court terme. Parmi eux celui d’Yvette Cooper donnerait du temps pour un projet de loi qui fournirait au Parlement le pouvoir d’appuyer une prolongation de l’article 50. Cela donnerait à May jusqu’au 26 février pour faire adopter son entente par le Parlement, avant de donner aux députés le pouvoir de décider combien de temps il faut pour retarder le Brexit. Autre partisan de Blair, Hilary Benn a également déposé un amendement, demandant une série de votes indicatifs «sur la voie à suivre».

Chris Marsden

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 22 janvier 2019

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Le Liban, Israël et le vol du gaz à l’ombre du 4ème Sommet arabe à Beyrouth

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Dimanche 20 janvier 2019 s’est tenu le 4ème « Sommet des pays arabes pour le développement économique et social » à Beyrouth, un sommet censé réunir les chefs d’États mais auquel n’ont participé que le président de la Mauritanie et l’Émir du Qatar.(…) Une journée qui a donné à voir une « scène surréaliste » exprimant, d’après M. Ghaleb Kandil dans son article du lendemain, les contradictions et les ambiguïtés de trois évènements simultanés…

 

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Dimanche 20 janvier 2019 s’est tenu le 4ème « Sommet des pays arabes pour le développement économique et social » à Beyrouth, un sommet censé réunir les chefs d’États mais auquel n’ont participé que le président de la Mauritanie et l’Émir du Qatar.

Une journée qui a donné à voir une « scène surréaliste » exprimant, d’après M. Ghaleb Kandil dans son article du lendemain [1], les contradictions et les ambiguïtés de trois évènements simultanés : 

  • Un sommet arabe où Washington s’est arrangé pour que l’Émir du Qatar fasse acte de présence après avoir travaillé via David Hale, le sous-secrétaire d’État américain aux Affaires politiques, à réduire la présence des autres émirats et royaumes pétroliers à de simples délégations.
  • Une manifestation populaire répondant à l’appel « Tous à la rue » lancé par le parti communiste libanais, l’Organisation populaire nassérienne, des partis de gauche et des groupes du mouvement civil. [Parmi les revendications : une politique fiscale différente qui redistribue la richesse, la promotion de l’éducation officielle, la généralisation de l’assurance maladie, l’approbation de la carte de santé, l’assurance vieillesse, la création d’emplois, les exigences de la sécurité et la lutte contre le système de corruption]. 
  • Une attaque de l’aviation israélienne sur le territoire syrien à partir du ciel libanais [attaque dans la journée, répétée sur trois fronts dans la nuit du 20 au 21 janvier, [2]] 

Une « scène surréaliste » parce que, toujours d’après M. Ghaleb Kandil, ni les pays arabes participant au Sommet, ni les manifestants, n’ont réagi à cette énième violation de l’espace aérien libanais, alors que l’expérience démontre que la lutte sociale est intimement liée à la lutte nationale et que la douloureuse vérité du Liban est qu’il se trouve soumis à la tutelle américano-saoudienne, interdit de posséder les moyens de sa défense aérienne ; interdit d’accepter les offres de la Russie, de l’Iran ou de la Chine qui lui permettraient d’empêcher l’aviation sioniste de batifoler dans son ciel ; interdit d’appliquer les accords de défense commune avec la Syrie ou de les modifier afin que la couverture syrienne puisse inclure son espace aérien et son territoire. 

***

Des violations permanentes que le président Michel Aoun n’a pas manqué de dénoncer dans son discours d’ouverture du Sommet [3]. Quoi de plus explicite que cet extrait ? : 

« Mes frères,

Je parle en connaissance de cause car le Liban a payé les conséquences de ces guerres et celles du terrorisme le prix fort, subissant depuis des années le fardeau le plus lourd au niveau régional et international de l’exode de nos frères syriens, tout comme celui, depuis soixante dix ans, des frères palestiniens. Leur nombre équivaut aujourd’hui à celui de la moitié du peuple libanais alors que notre territoire est restreint, nos infrastructures inadéquates, nos ressources limitées et notre marché du travail surchargé.

Par ailleurs, l’occupation israélienne, qui persiste depuis soixante-dix ans dans l’agression et l’occupation des territoires palestiniens et arabes, affichant un total mépris pour les résolutions internationales, a atteint aujourd’hui son paroxysme en judaïsant Jérusalem, la déclarant capitale d’Israël et en adoptant la loi du « nationalisme juif en Israël », ne tenant compte d’aucune résolution internationale, ce qui signifierait l’usurpation de l’identité palestinienne, le renversement de la résolution 194 et le reniement du droit au retour. J’ajoute à cela que les menaces israéliennes et les violations permanentes de la résolution 1701 par terre, par mer et air de la souveraineté libanaise constituent une pression constante sur le Liban. »

***

Sans entrer dans les détails des tenants et aboutissants de ce Sommet, la presse locale note qu’en dépit de tous ses efforts, le ministre libanais des Affaires étrangères, Gibran Bassil, n’a pas réussi à obtenir un consensus arabe en faveur du soutien au retour des déplacés syriens dans leur pays indépendamment d’une solution politique préalable, condition clairement affirmée par le Secrétaire de la Ligue arabe, l’Égyptien Ahmad Aboul Gheit, et tous les agresseurs…

Néanmoins, dans un texte adopté parallèlement à la déclaration finale intitulée la « Déclaration de Beyrouth » [4], il a réussi à faire adopter un compromis par lequel les pays arabes appellent la communauté internationale à « redoubler d’efforts » pour favoriser leur « retour sécurisé », évitant ainsi que la notion du « retour volontaire » ne continue à être exploitée par tous ceux qui cherchent à ce qu’ils restent dans leur pays d’« accueil temporaire » pour des raisons financières ou politiques.

Concernant les réfugiés palestiniens, l’Agence nationale de l’information du Liban [5] a publié l’extrait suivant : 

« Selon le texte lu par le ministre Bassil, les parties participant au sommet se sont accordées, en prenant en compte les circonstances et les changements socio-économiques qui ont influé sur le monde arabe (…), sur la nécessité de conjuguer les efforts des parties et organisations donatrices internationales pour réduire les souffrances des déplacés et réfugiés, et pour assurer le financement de projets développementaux dans les pays hôtes afin de réduire l’impact socio-économique de l’afflux des déplacés. 

Ils ont de même mis l’accent sur la nécessité de soutenir le peuple palestinien face aux agressions israéliennes qui augmentent, « ayant foi en la responsabilité arabe et islamique envers al-Qods et son identité arabe, musulmane et chrétienne ».

« Toutes les parties concernées doivent s’unir pour financer les projets du plan stratégique pour la croissance de Jérusalem-est », a-t-il ajouté, avant de confirmer l’attachement au droit de retour des Palestiniens et au respect des résolutions internationales relatives à al-Qods et au refus de reconnaître cette ville comme capitale de l’occupation israélienne ».

***

Finalement et en dépit de toutes les critiques, à la question « Considérez-vous que le Sommet a été une réussite ? » posée par la chaîne populaire OTV : 55% de OUI et 45% de NON par Twitter, avec 69% de OUI et 31% de NON par FaceBook [6]. 

Satisfaction, dans la mesure où le Liban, toujours divisé en deux blocs apparemment inconciliables sur le Parti du Hezbollah libanais, la Syrie, l’Iran, etc., en plus d’être toujours en panne de gouvernement, a quand même réussi, malgré l’ampleur des pressions extérieures et intérieures, à amorcer un dialogue au sein du chaos d’un « printemps arabe empoisonné », expression étonnement utilisée par le ministre délégué de l’Arabie saoudite qui semble avoir changé son fusil d’épaule, et que le communiqué final a ouvert des perspectives prometteuses de coopération économique à plusieurs niveaux [7]. 

Pour certains, ces perspectives sont prometteuses à condition qu’elles ne soient pas liées à des décisions politiques du Liban subordonnées à la volonté des pays donateurs, dont les fonds souverains sont confiés aux banques américaines et occidentales ou, qu’à l’image des Sommets arabes précédents, elles ne restent que de l’encre sur papier. 

***

Pour d’autres, ce Sommet fut politique par excellence. Ainsi dans un article publié par le quotidien Al-Binaa [8], Mme Rosanna Rammal, journaliste de la presse écrite et audiovisuelle, considère qu’il convient de lire ce Sommet à la lumière de deux sortes de messages politiques :

  • D’une part, les messages adressés par les pays arabes dont les chefs d’États se sont abstenus d’assister au Sommet, signifiant par là qu’ils ne soutiennent pas leur homologue libanais ou, en tout cas, qu’ils jugent inacceptable la scène politique libanaise actuelle ; les dernières élections législatives ayant accordé une majorité au Hezbollah et à ses alliés. 
  • D’autre part, les messages adressés par la présence de l’Émir du Qatar, lequel est considéré comme un « bon ami » de l’Iran, malgré son désaccord avec la participation des combattants du Hezbollah aux combats en Syrie. 

Une contradiction liée à des calculs régionaux ayant poussé le Qatar à une alliance avec la Turquie, au moment de l’ascension des Frères Musulmans dans la région, et au fait que l’Iran l’a aidé à surmonter le boycott étouffant des Pays du Golfe et de l’Égypte, pour lesquels cette double alliance est le péché capital. C’est donc par pragmatisme politique que le Qatar s’est rangé dans un axe turco-iranien. 

Il n’en demeure pas moins qua la question centrale est de savoir s’il a agi indépendamment de sa solide alliance avec les États-Unis, alors qu’il héberge la plus importante des bases américaines dans la région du Golfe. Naturellement, tout porte à croire que tel n’est pas le cas. Ce qui signifie que Washington est celui qui répartit les rôles entre ses alliés saoudiens et qataris quant à leur relation avec le Liban et fait en sorte qu’il reste à l’écart de la Syrie tant qu’il le faudra. 

***

Pression américaine sur le Sommet, mais aussi sur la formation du gouvernement selon l’analyse de Mme Scarlet Haddad des « petites phrases » de David Hale, le 18 janvier dernier [9] :

«  On se souvient en effet du communiqué lu par David Hale à l’issue de sa rencontre avec le Premier ministre désigné Saad Hariri, lorsqu’il a conseillé aux autorités de prendre au plus vite des mesures économiques nécessaires, même si cela doit se faire dans le cadre du gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes […] Cette phrase a été perçue comme un encouragement direct américain à renflouer le gouvernement démissionnaire. De plus, la phrase suivante lue par David Hale explique la première, lorsqu’il a affirmé que la formation du gouvernement concerne les Libanais, et eux seuls. 

Par contre, a déclaré M. Hale, la nature et la composition du gouvernement intéressent tous les pays qui vont traiter avec lui. 

À travers ces deux phrases, l’émissaire américain a révélé en quelque sorte le maillon secret qui bloque la formation du gouvernement […] et il semble évident qu’une partie des entraves à la formation du gouvernement vient de l’étranger, notamment du refus des Américains et de leurs alliés de permettre au Hezbollah d’obtenir des portefeuilles importants et d’augmenter son influence sur l’exécutif. 

On revient ainsi à l’équation de départ, entre une partie qui souhaite un gouvernement dans lequel les rapports de force politiques sont sensiblement similaires à ceux qui régissent l’actuel cabinet, et une autre qui souhaite la formation d’un gouvernement qui reflète les résultats des élections législatives. »

***

M. Nasser Kandil est allé plus loin dans l’analyse des petites phrases de David Hale. Dans un article du 17 janvier intitulé « Le Liban, Israël et le vol du gaz à l’ombre du Sommet » [10], il est revenu sur cette visite pour dire en substance : 

David hale est arrivé à Beyrouth pour distiller ses propos agressifs contre le Hezbollah, en pleine violation des résolutions onusiennes par l’armée d’occupation israélienne qui continue à dresser son mur de béton en des endroits relevant de la souveraineté du Liban officiel ; violation que le Liban avait menacé de contrer militairement, il y a un an environ. 

Suite à cette menace, Hale était venu annoncer l’arrêt des travaux israéliens et le lancement d’une médiation devant aboutir à la délimitation des frontières terrestres et maritimes du Liban, de telle sorte que le mur n’empiète plus sur le territoire libanais et, par conséquent, sur ses richesses maritimes pétro-gazières. 

Cette fois-ci, David Hale est revenu dire qu’il était rassuré sur la situation des frontières ; autrement dit, rassuré par le silence du Liban qui s’est contenté d’une plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU, tout en remplaçant la décision d’une réponse vigoureuse à toute nouvelle violation, prise par le Haut Conseil de défense en Mars dernier, par une « surveillance de très près » des frontières. Plus grave encore, David Hale a modifié le contenu de sa médiation précédente, pour ne plus s’intéresser qu’aux frontières terrestres. 

Étant donné que c’est Israël qui avait sollicité la délimitation des frontières maritimes, la question devient : qu’est-ce qui a changé depuis sa visite précédente ? La réponse se trouve dans la « Conférence sur le gaz de l’Est de la Méditerranée » [l’EastMed Gas Forum] qui s’est tenue le 14 janvier dernier au Caire [11]. 

Conférence à laquelle l’Égypte a invité l’Autorité palestinienne, Chypre, la Grèce et Israël. En plus de la normalisation des relations demandée par les États-Unis, son but serait d’éviter à Israël la perte de blocs importants de pétrole et surtout de gaz, que le Liban refusera de lui céder. 

Du même coup, les sociétés internationales et les investisseurs particuliers qui exigeaient la délimitation officielle des frontières maritimes, pour investir dans les champs pétro-gaziers sous occupation israélienne, s’en passeront ; la reconnaissance des champs qu’Israël prétend lui revenir de droit devenant l’affaire des États membres du Forum, dont l’Égypte et l’Autorité palestinienne. 

Et de conclure : le Liban devrait réfléchir longuement sur les raisons qui ont poussé le président Al-Sissi et le président Abbas à décliner son invitation au Sommet de Beyroutn.

***

Des manœuvres contre lesquelles le Général Amin Hoteit, n’a cessé de mettre en garde depuis des années. À la tête de la commission chargée de contrôler, en 2000, la ligne de retrait de l’armée israélienne devenue la fameuse « ligne bleue » qui ne devrait, en aucun cas, être confondue avec la frontière internationale du Liban, il est sans doute l’un des meilleurs spécialistes des techniques de « grignotage » du territoire libanais par Israël [12][13]. 

Le 13 janvier dernier, alors que la construction du mur israélien avait été suspendue, il invitait encore à la prudence et, en réponse aux allégations de David Hale faisant mine d’oublier les frontières libanaises reconnues par les résolutions internationales dont la résolution 1701(2006) appelant à une cessation des hostilités entre Israël et le Hezbollah, il diffusait sur Al-Manar TV [14] la carte ci-dessous : 

La zone rouge correspond à la partie que la construction du mur de séparation d’Israël tente de grignoter dans la région d’Addaissah en allant vers kfar kila ; le tout constituant, selon les calculs du Général Hoteit, une ligne pénétrant le territoire libanais sur une profondeur de 140 mètres et une longueur de 1878 mètres, d’où la perte d’une surface de 155 702 mètres carrés. Si le Liban laissait faire, ce grignotage se répercuterait sur la ligne maritime et permettrait à Israël d’affirmer sa souveraineté sur les blocs gaziers appartenant légalement au Liban.

***

Le 21 janvier l’Agence nationale de l’information au Liban annonçait qu’Israël avait repris la construction du mur en plusieurs points contestés par le Liban [15]. 

À suivre… 

Mouna Alno-Nakhal

Synthèse et traduction libre des textes arabes 

22/ 01/2019 

Notes : 

[1][ Est-il admissible de négliger l’agression ? ]

[2][Défense russe: la DCA syrienne a détruit plus de 30 missiles de croisière israéliens]

[3][Discours du président Aoun à l’occasion du Sommet arabe pour le développement économique et social]

[4][Sommet de Beyrouth : la presse relève les divergences libano-arabes sur les réfugiés] 

[5][Vidéo OTV / Le sommet économique de Beyroth : l’avant et l’après]

[6][Sommet économique arabe: cap sur la zone de libre-échange et l’économie numérique]

[7][Déclaration de Beyrouth: confirmation de la nécessité de conjuguer les efforts pour réduire les souffrances des déplacés et réfugiés, sommet de 2023 en Mauritanie] 

[8][Un sommet « politique » par excellence…]

[9][Les petites phrases de David Hale et la formation du gouvernement] 

[10][Le Liban, Israël et le vol du gaz à l’ombre du Sommet]

[11][Le ministre israélien de l’Energie en Egypte pour prendre part à l’EastMed Gas Forum]

[12][Liban : La ligne bleue maritime au service de l’ambition israélienne !]

[13][Liban : La ligne bleue maritime…]

[14][Video Al-Manar/Entretien avec le Général Amin Hoteit] 

[15][Israël poursuit la construction de son mur sur les frontières]

***

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Cet article de Jules Dufour (1941-2017) a été publié initialement le 30 janvier 2017. Cet article est une richesse en termes historique, social et géopolitique. Ce papier nous permet, entre autres, de comprendre la détermination du président Trump de poursuivre la construction du mur mise en place par ces prédécesseurs et les enjeux du Mur USA-Mexique. L’auteur compare ce Mur à d’autres fortifications construites dans d’autres pays. Cet article analyse la Mondialisation des frontières fortifiées.


Au cours de sa première semaine à Washington le Président Trump a amorcé les travaux de sa gouvernance en plaçant ses pions à l’intérieur des États-Unis tout en prônant les valeurs propres à l’impérialisme, le retour de la puissance et de la domination des États-Unis sur l’ensemble de la Planète. Il a d’abord mis un terme à la participation des USA au Traité de libre-échange Trans-Pacifique pour laisser place à des accords bilatéraux. Il a ensuite qualifié l’OTAN comme étant une organisation dépassée et désormais peu pertinente. En recevant la visite de la Première Ministre de la Grande Bretagne il a voulu prendre le leadership en Europe en prônant les valeurs de l’isolationnisme et de l’épuration ethnique et il a ainsi donné aux mouvements d’extrême droite, nationaliste et populiste un élan inespéré. Dans l’ensemble, les règles de la diplomatie seront désormais bouleversées. La voie du Chef de la Maison Blanche sera entendue sous toutes les latitudes et dans tous les domaines de l’activité politique et économique mondiale. Les Accords conclus depuis des décennies seront, par lui, remis en question et remplacés par sa propre mouture, c’est-à-dire celle d’un État plus fort et dominateur. Devant les règles désormais promues d’un impérialisme global la résistance des peuples se fera de plus en plus vive et ce avec la croissance des tensions générées dans cet environnement renouvelé.

Le décret présidentiel qui a eu un effet choc est celui de la poursuite de la construction du « Mur du Sud » sur la frontière USA-Mexique, un mur qui, en 2017, s’étend sur une distance de plus de 1200 km à partir de San Diego-Tijuana. Son parachèvement se ferait alors sur deux milles kilomètres et ce jusqu’à Matamoros. Il s’agit d’une promesse devenue un slogan fait durant la campagne présidentielle, une promesse de construire un mur frontalier entre son pays et le Mexique financé par Mexico, en espérant obtenir de « très bons résultats » avec ce pays sur les questions d’immigration et de sécurité. De plus, le nouveau président pourrait parallèlement remettre en cause le programme « DACA », mis en place par Barack Obama en 2012 et qui a permis à plus de 750.000 clandestins arrivés jeunes sur le territoire d’obtenir des permis de séjour et de travail.

Nous avons présenté ce projet en 2006 et nous croyons important d’ajouter les éléments d’une synthèse générale sur la question des murs dans le monde, synthèse faisant suite à une analyse détaillée non publiée concernant la réalité des murs frontaliers de tous les continents…

Carte des barrières construites depuis les années 90.

Source : https://dabrownstein.com/2016/03/01/the-surplus-materiality-of-the-us-mexico-border-walls/

I. Le mur du Sud – USA-Mexique

Le mur frontalier entre les USA et le Mexique, dans sa facture actuelle, a été construit en grande partie sous les Administrations G.W. Bush et Obama. Il a été qualifié comme étant le mur de la « honte » ou de la « verguenza » (figure 1).

 constrution

« Construction de la barrière entre les Etats-Unis et le Mexique par des soldats américains à San Luis, Arizona, un des rares endroits possédant deux couches de barrières. »  Crédits photo : US Department of Defense, public domain.

source : MURS — Aux Etats-Unis, Trump a juste su tendre l’oreille vers le sud, Cross Worlds, 2017.

Figure 1.  Le Mur du Sud


 Source : Arte, Le dessous des cartes, http://ddc.arte.tv/cartes/39

Le 4 octobre 2006 le président George W. Bush promulgue une loi pour la construction d’un mur sur la frontière qui sépare les États-Unis du Mexique et ce sur une longueur de 1200 kilomètres, soit près de 40% des 3200 kilomètres qui délimitent les deux pays. Cette entreprise n’est pas vraiment une nouvelle surprenante. C’est un souhait exprimé depuis des années par un grand nombre d’organisations qui luttent contre l’immigration clandestine provenant des pays latino-américains et, en particulier, du Mexique. Les Américains auront leur propre mur, le «mur américain», le mur du Sud qui est déjà considéré par les Mexicains comme étant le «mur de la honte» et qui s’avère, en fait, l’expression d’un processus de militarisation de la frontière entre les deux pays

La construction d’un nouveau mur ou plutôt la poursuite de son édification (un tronçon de 100 kilomètres est déjà en place dans la région de San Diego) illustre l’isolement grandissant des Américains du reste du monde, isolement non seulement idéologique mais qui sera aussi physique. Avec un système de surveillance efficace à la frontière canadienne les Américains se sentiront désormais dans une forteresse comme le recherchaient les populations du Moyen-Âge avec la construction de forts et d’enceintes fortifiées.

II. Mur du Sud en 2017 (figure 2)

Le mur, en 2017, est complété sur une longueur de 1050 kilomètres  (ctvnews.ca)

Figure 2. Le Mur de séparation matérialisant la frontière entre le Mexique et les États-Unis

 
AFP ARCHIVES

 source : http://www.sudouest.fr/2017/01/12/le-mexique-assure-qu-il-ne-paiera-pas-le-mur-de-donald-trump-3098414-4803.php

Figure 3. Le Mur et la patrouille de surveillance

 

Source : http://www.ctvnews.ca/world/trump-s-plan-to-build-a-wall-along-u-s-mexico-border-faces-great-hurdles-1.2807854

III. Les murs dans le monde. Synthèse et références générales 

Fortification et militarisation des frontières interétatiques, un processus d’emprisonnement des espaces nationaux – Vers un contrôle étroit de l’humanité toute entière.

Dans cette synthèse nous formulons quelques constats tirés de cette analyse de la réalité mondiale des murs (carte 1 et figure 1). Nous présentons un tableau synoptique concernant la situation de chaque continent : nombre total de murs, leur longueur, les murs en construction et les projets annoncés. Nous proposons à la fin une liste de références générales sur le sujet.

Les principaux constats (figure 4 et tableau 1)

•  Quelques murs s’étendent sur de vastes ensembles tels que le  « Mur de Sable », le Mur du Sud, le Mur de Fer, les murs de l’Arabie Saoudite sur ses frontières avec l’Irak et le Yémen, le Mur de la Méditerranée dont la traversée est souvent fatale pour les réfugiés en provenance du continent africain, le Mur européen entre l’Ukraine et la Russie et le Mur de l’Inde entourant le Bangladesh.

• Deux principales appellations reflètent le sentiment des victimes causées par ces installations, soit le « Mur de la Honte » et le « Mur de la Discorde ».

•  La répartition spatiale des murs avec des zones de forte concentration. Les pays balkaniques et les frontières de l’Afrique du Sud afin de contrer l’immigration clandestine et de contrôler l’entrée des demandeurs d’asile sur le continent européen en provenance du Moyen-Orient, de l’Asie centrale et de l’Afrique.

• On observe sur le terrain une coupure nette qui s’impose de plus en plus entre les pays du Nord de l’Occident et ceux de l’hémisphère Sud subjuguées par les puissances impérialistes destructrices de l’humanité et de son environnement.

• Une militarisation grandissante. Cette coupure ou ligne de séparation est placée sous le contrôle des armées nationales ou autres forces de sécurité armées ou gardes-frontières.

• Un processus de mondialisation des rapports entre les États nationaux stoppé par les murs construits sur les frontières interétatiques.

• Les guerres ont une portée mondiale en provoquant des mouvements migratoires massifs qui déstabilisent fortement le tissu national et, notamment, celui de l’UE, l’un des bastions du capitalisme occidental

Figure 4. Répartition spatiale des murs

source de la carte : https://www.espazium.ch/toujours-plus-de-murs-dans-un-monde-sans-frontieres

Tableau 1. La géographie mondiale des murs.  

Note : Les totaux sont tirés du repérage effectué dans cette analyse.  En excluant la Grande Muraille de Chine.

Frontières et militarisation

La géographie mondiale des murs révèle un processus croissant de militarisation des frontières interétatiques. Une guerre active se développe entre deux États qui décident de s’enfermer à l’intérieur de murs, de murailles ou de barrières de séparation qui semblent désormais pour eux un fait inéluctable. La division politique de l’espace en différents États nationaux semble s’exprimer de plus en plus de façon tangible par le phénomène de l’emmurement au droit des frontières.

L’immuabilité des frontières

Le découpage géopolitique mondial sera de plus en plus difficile à modifier et, notamment, celui qui a été marqué par l’histoire et la colonisation, le tracé des frontières actuelles devenant entre de nombreux pays totalement immuable étant bétonné et grillagé à l’instar des murs qui entourent les établissements pénitentiaires.

La réalité des murs est comme celle des remparts des cités fortifiées du Moyen Âge en ce qui a trait aux stratégies ou dispositifs de défense devant les assauts ou invasion des « ennemis » (terroristes, djihadistes ou migrants clandestins). Les murs sont construits aujourd’hui non seulement pour assurer la sécurité de ceux qui les édifient mais aussi pour séparer les tenants de diverses croyances ou allégeances religieuses ou pour contrer les mouvements migratoires de masse comme on peut l’observer entre les deux Amériques et entre le continent africain et l’Union européenne.

Une militarisation observée à l’intérieur des États eux-mêmes engendrée par la peur et le terrorisme d’État. Les réfugiés continueront d’affluer en très grand nombre dans le Nord.

L’expression d’un contrôle de la circulation des personnes accompagnée par une plus grande militarisation intérieure avec la présence de toutes les forces de sécurité y compris l’armée nationale. Ce processus de militarisation se développe avec la culture de la peur du terrorisme engendré lui-même par les grandes puissances et les États nationaux placés sous leur contrôle. Des millions voire des dizaines de millions emprunteront désormais les chemins qui conduisent vers le Nord. Des mesures artificielles voire des cataplasmes seront appliquées. Celles-ci ne pourront empêcher ces mouvements migratoires tant que l’Occident continuera son saccage et pillage des ressources des continents latino-américain, africain et asiatique.

L’afflux des réfugiés en direction de l’UE a provoqué une réaction vive de la part des tenants de l’intégrité et du contrôle de l’immigration. Le regard bienveillant de l’Allemagne devant le flux de déplacés de la première heure s’est peu à peu transformé par un processus d’une plus grande restriction vis-à-vis de l’immigration massive. C’est à ce moment-là qu’elle a opté pour le recours à des compensations financières pour la Grèce et la Turquie, ces deux pays se transformant en des terres d’accueil par exellence pour les réfugiés en provenance du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.

Source de la carte : Les principaux murs de séparation dans le monde, Le Figaro, 18 juin 2015.

L’augmentation substantielle de déplacés en 2015 révèle le degré croissant de vulnérabilité des habitants du Sud dont les conditions de vie ne cessent de se détériorer étant fortement affectés par de nombreux conflits armés conduits par l’US-OTAN directement ou par procuration. Les pays pauvres doivent composer avec une gouvernance définie et contrôlée par les grandes puissances, lesquelles continuent de piller les ressources stratégiques dont ils disposent. Cette gouvernance est alors orientée vers le maintien d’un ordre établi qui porte un préjudice considérable pour la majorité.

Ce que nous observons est sans contredit l’émergence de barrières physiques séparant le Nord et le Sud et, au premier chef, celle entre le Mexique et les États-Unis et de plus celle qui se dessine nettement d’une part entre l’Europe et l’Afrique et, d’autre part, entre l’Europe et le Moyen-Orient. 

La création d’espaces transfrontaliers pour la paix neutralisée

La recherche d’un contrôle absolu des frontières voire même de leur fort de degré de militarisation risque de s’accentuer en dépit des efforts consentis pour l’établissement des espaces protégés transfrontaliers pour la paix et la coopération. La militarisation planétaire grandissante accompagnée par la guerre contre la terreur perpétrée par les puissances impérialistes crée une atmosphère peu propice au rapprochement entre les peuples. Heureusement, les moyens de télécommunication permettent encore aux forces vives de la société civile de tisser des liens permanents de solidarité et de coopération dans tous les domaines de l’activité humaine.

Nous avons constaté que le Mur de fer condamne les Palestiniens à vivre comme des prisonniers étant assujettis à un contrôle serré de leurs mouvements par les Israéliens, un contrôle marqué par une occupation accablante de leur espace de vie désormais déstructuré à tout jamais. Les murs de Belfast et de Bagdad séparent des protagonistes prônant des croyances religieuses divergentes. Ces deux réalités laissent présager la construction d’autres murs dans les mégalopoles pour séparer les quartiers riches des quartiers pauvres, réalité dont nous avons un avant-goût avec les ghettos pour les mieux nantis avec entrée contrôlée et surveillance.

On assiste maintenant à une véritable prolifération des barrières de sécurité, une espèce de paranoïa qui risque d’avoir un effet fort négatif sur la gouvernance mondiale et sur les politiques en matière des droits humains et des libertés fondamentales. Le droit à la liberté de circulation sera affecté à l’instar de celui de manifester, tout ceci allant à l’encontre de l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de celui des Chartes et du libellé en cette matière à l’intérieur des constitutions nationales. Le droit fondamental de la citoyenneté va s’étioler peu à peu et l’humanité sera à toutes fins pratiques prise en otage et condamnée à obéir aux impératifs des puissances impérialistes. Bien plus, le sort qui lui est réservé est la mise en opération de barrières virtuelles mise en place entre toutes les entités nationales, les frontières politiques de la surface terrestre se transformant peu à peu en un casse-tête électronique dont les contours seront placés sous très haute surveillance grâce à des techniques de télédétection avancées, le tout appuyé par un contrôle militaire de plus en plus développé sur le terrain. La frontière entre les États-Unis et le Canada sera l’une des premières à être pourvue d’un tel système de contrôle virtuel (Jules Dufour, Murs « virtuels » et militarisation en Amérique du Nord, 19 février 2008).

Des murs méconnus

Des murs d’une grande signification sont méconnus du public : Le mur entre l’Inde et le Bangladesh entourant le pays tout entier, le territoire d’Israël et les murs du Sud sont aujourd’hui peu connus. Ces murs n’ont pas été suffisamment couverts par la presse internationale. Le mur construit par l’Inde sur sa frontière avec le Bangladesh s’apparente au surréalisme. Comment concevoir et exécuter un projet aussi absurde que d’encercler d’une barrière tout un pays dont la longueur de la frontière est la cinquième au monde, des milliers de kilomètres qui demandent une surveillance serrée?

Des espaces ou parcs transfrontaliers pour la paix

Par contre, dans l’univers où l’on favorise le développement de la coopération entre les États s’est développé le concept de l’implantation d’un réseau mondial d’espaces transfrontaliers pour la paix ou Parcs pour la Paix, conçu et promu par l’Union mondiale de la Conservation de la Nature (UICN) depuis les années 1990 (http://www.mondialisation.ca/parcs-pour-la-paix-en-am-rique-latine/7460).  Les aires protégées transfrontalières pour la paix formaient, en 2007, un réseau mondial réparti sur tous les continents, le continent Antarctique s’avérant l’aire protégée dédiée à la coopération et à la paix entre les nations la plus étendue de la Planète. On les retrouve principalement en Europe, en Afrique subsaharienne, en Asie centrale, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine. Plusieurs incluent des zones marines. Le réseau comprenait, en 2007, 227 composantes (Lopoukhine, N., 2007). (Jules Dufour, Parcs pour la Paix en Amérique latine, 11 décembre 2007)

De grands murs de portée mondiale

Deux grands murs, ceux-là davantage mentaux, sont construits depuis des décennies dans les esprits : Un mur entre l’Occident et le reste du monde et un autre, bien ancré dans l’intelligence globale, soit celui qui sépare le monde dit industrialisé et riche de celui des pays dits en développement. Deux murs qui hantent le devenir de l’humanité et expliquent les malheurs qui l’affectent.

Le mur entre les États-Unis et le Mexique, voire entre l’Amérique du Nord et l’Amérique latine et le mur de la Méditerranée qui sépare le continent africain du continent européen sont sans contredit l’illustration la plus flagrante de la séparation entre le Nord et le Sud. Ces barrières scellent le type de relations établies entre ces grandes entités de portée continentale.

Nous terminons avec le témoignage du Père Luis Kinzierski de Tijuana, Mexique, un défenseur de la cause des migrants :

«Le mur a tué 4.000 personnes en 11 ans « … » L’histoire a montré que les murs n’ont jamais donné de résultats. Dans dix ou quinze ans, les Américains vont avoir honte de ce qu’ils ont fait,  » témoigne le Père Luis Kinzierski, de la Colonia postal de Tijuana (“Libération”, 4 de marzo de 2006) ».

Conclusion

Selon les propos mêmes d’Alfonso Miranda Guardiola, secretaire général de la « Conferencia del Episcopado Mexicano (CEM) » et de Guillermo Ortiz Mondragón, président de la Dimensión Episcopal de Movilidad Humana de cet organisme éclésiastique, le mur est qualifié comme étant une « inhumana interferencia » (Relación EU-México: amaneció mal y terminó peor el día, La Jornada, 26 janvier 2017).

L’annonce de la décision unilatérale ferme de l’Administration Trump de sceller la frontière aux réfugiés clandestins en provenant d’Amérique latine et celle d’exiger de la part du Mexique qu’il assume les coûts de la construction s’avèrent un geste provocateur qui va fortement fragiliser les relations entre les deux pays. Quel sera le type de résistance adopté par le Mexique? Quelles seront les autres voies qu’emprunteront les réfugiés pour atteindre l’Amérique du Nord? Les murs de multiplient dans le monde, mais les plus nombreux visent à séparer le Nord et le Sud matérialisant ainsi la rupture nette observée sur le terrain et ce entre pays riches et pays en développement.

 Jules Dufour

 

Références

AGUILAR, Julian. 2017. Reports: Trump to announce plans for border wall on Wednesday. Le 24 janvier 2017. En ligne :

https://www.texastribune.org/2017/01/24/reports-trump-announce-plans-border-wall-wednesday/

CARTILLIER, Jérôme. 2017. Donald Trump pose la fondation du mur. Journal Le Soleil, le 26 janvier 2017, p. 16.

CARTILLIER, Jérôme et et Sylvain Estibal. 2017. Trump envisage une taxe sur les produits mexicains pour payer le mur. AFP et LA PRESSECA. Le 26 janvier 2017. En ligne :

http://www.lapresse.ca/international/etats-unis/201701/26/01-5063419-trump-envisage-une-taxe-sur-les-produits-mexicains-pour-payer-le-mur.php

DUFOUR, Jules. 2006. La recherche de la sécurité par les fortifications, la surveillance des frontières et les murs: une illusion. Le 23 octobre 2006. En ligne : 

http://www.mondialisation.ca/la-recherche-de-la-s-curit-par-les-fortifications-la-surveillance-des-fronti-res-et-les-murs-une-illusion/3579

DUFOUR, Jules. 2006. La búsqueda de la seguridad por medio de las fortificaciones, la vigilancia de fronteras y los muros; Una ilusión. Global Research, December 15, 2006. Mondialisation.ca 15 December 2006. En ligne : http://www.globalresearch.ca/la-b-squeda-de-la-seguridad-por-medio-de-las-fortificaciones-la-vigilancia-de-fronteras-y-los-muros-una-ilusi-n/4157

DUFOUR, Jules. 2015. Les murs du nouvel ordre mondial. Géopolitique des murs: Mondialisation de la fortification et la militarisation des frontières. Mondialisation.ca. Le 25 juin 2015. En ligne: http://www.mondialisation.ca/geopolitique-des-murs-mondialisation-de-la-fortification-et-la-militarisation-des-frontieres/5457994

DUFOUR, Jules. 2015. Nouveau « mur du nouvel ordre mondial » : Une mégaclôture surgit entre la Tunisie et la Libye. Géopolitique des frontières interétatiques. Mondialisation.ca. Le 3 août 2015. En ligne : http://www.mondialisation.ca/nouveau-mur-du-nouvel-ordre-mondial-une-megacloture-surgit-entre-la-tunisie-et-la-libye/5466553

DUFOUR, Jules. 2015. Nouveau « mur » du nouvel ordre mondial »: Une mégacloture surgit entre la Tunisie et la Libye. Documentaires. Le 4 août 2015. En ligne : http://w41k.com/100497

DUFOUR, Jules. 2015. La nouvelle Europe forteresse: la construction de murs anti-réfugiés s’accélère. Le flux des réfugiés et les nouvelles barrières de sécurité de l’UE. Mondialisation.ca. Le 18 novembre 2015. En ligne : http://www.mondialisation.ca/la-nouvelle-europe-forteresse-la-construction-de-murs-anti-refugies-saccelere/5489832

DUFOUR, Jules. 2016. L’Union européenne dans la tourmente. L’espace Schengen en voie d’éclatement. Explosion de la crise des réfugiés en Europe. Mondialisation.ca. Le 7 février 2016, En ligne : http://www.mondialisation.ca/lunion-europeenne-dans-la-tourmente-lespace-schengen-en-voie-declatement/5506360

LA JORNADA. 2017. Trump gravará compras a México para pagar el muro. El 26 de enero. En ligne : http://www.jornada.unam.mx/ultimas/2017/01/26/para-el-muro-trump-gravara-compras-a-mexic

LE COURRIER CAUCHOIS. 2017. Donald Trump, premiers décrets et des promesses de baisses d’impôts. Le 23 janvier 2017. En ligne :

http://www.lecourriercauchois.fr/actualite-115123-donald-trump-premiers-decrets-et-des-promesses-baisses-impots.html

NATIONAL GEOGRAPHIC. The Dividing Link. Mexico & Central America. Albers Conic Equal Area Projection.

NET AFRIQUE.NET. 2017. USA: Trump signe un décret pour la construction d’un mur à la frontière mexicaine. Le 26 janvier 2017. En ligne :

http://netafrique.net/usa-trump-signe-un-decret-pour-la-construction-dun-mur-a-la-frontiere-mexicaine/

TELESUR. 2014. Muro fronterizo de Estados Unidos-México, de vida o muerte. En ligne : http://www.telesurtv.net/opinion/Muro-fronterizo-de-Estados-Unidos-Mexico-de-vida-o-muerte-20141110-0072.html

THE WHITE HOUSE. 2017. Executive Orders. En ligne : https://www.whitehouse.gov/briefing-room/presidential-actions/executive-orders

THE WHITE HOUSE. 2017. Executive Order: Border Security and Immigration Enforcement Improvements. Le 25 janvier 2017. En ligne : https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2017/01/25/executive-order-border-security-and-immigration-enforcement-improvements

THE WHITE HOUSE. 2017. Trump Announces Executive Order for ‘Immediate Construction of a Border Wall. 25 Janvier 2017 ligne : http://www.nbcnews.com/video/trump-announces-executive-order-for-immediate-construction-of-a-border-wall-862569539672

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1244 – La clé pour la paix en Europe

janvier 22nd, 2019 by Forum de Belgrade pour un monde égalitaire

La Coopérative littéraire serbe, la plus ancienne maison d’édition de la Serbie, vient d’annoncer la publication du livre «1244 – A Key to Peace in Europe» [la clé pour la paix en Europe], rédigé par Živadin Jovanović, ancien ministre des Affaires étrangères de la Yougoslavie (1998–2000). M. Dragan Lakićević, rédacteur en chef de la Coopérative littéraire serbe, Milo Lompar, l’ambassadeur Dragomir Vućićević et l’auteur ont présenté le livre aux auditeurs et aux médias.

Le livre est un recueil d’articles, d’interviews et de discours publics de l’auteur publiés entre 1997 et septembre 2018 qui concernent la province serbe autonome Kosovo et Métochie. Il comprend 890 pages et 5 chapitres: la période du terrorisme, la période de l’agression, la période des illusions, la période du réveil et les documents. Comptent parmi les experts l’universitaire Vlado Strugar, le Pr Milo Lompar, le Pr Ćedomir Štrbac ainsi que les rédacteurs M. l’ambassadeur Dragomir Vućićević (retraité) et l’écrivain Dragan Lakićević. Les maisons d’édition qui ont participé à ce projet sont le Forum de Belgrade pour un monde égalitaire et la Coopérative littéraire serbe.
Selon le Pr Milo Lompar ce livre reflète bien la continuité des avis de l’auteur au sujet de la souveraineté et des intérêts nationaux de la Serbie et du peuple serbe. On retrouve également ces avis dans la carrière diplomatique de l’auteur au fil des décennies et dans ses fonctions publiques. L’engagement continu de l’auteur pour le respect inconditionnel du droit international et de la résolution N° 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies concernant la résolution du problème de la province serbe Kosovo et Métochie reflète parfaitement sa compréhension de l’importance actuelle du Kosovo et Métochie d’une part pour la Serbie et le peuple serbe, mais également pour la paix et la stabilité dans les Balkans et en Europe. Selon M. Lompar, avec plus de 1300 monuments médiévaux serbes, cette province est le centre du Patriarcat de l’Eglise orthodoxe serbe et donc étroitement liée avec l’identité étatique, nationale, culturelle et religieuse. Il conclut que le livre de M. Živadin Jovanović confirme les racines de la souveraineté et de la tradition de la nation serbe rétablie au XIXe siècle et le droit à l’égalité et l’autogestion de tous les citoyens et de toutes les communautés nationales vivant dans cette région, indépendamment de leur nationalité ou de leur religion. Il souligne en particulier la haute valeur documentaire de cet ouvrage.

En ce qui concerne les positions primordiales de l’auteur, M. l’Ambassadeur Dragomir Vućićević a affirmé que la Serbie devait plus réfléchir à soi-même et à ses intérêts à long terme, qu’aux attentes actuelles des groupes d’intérêts internationaux, car ces derniers sont guidés exclusivement par leurs propres intérêts géopolitiques. La Serbie doit se tenir aux principes fondamentaux du droit international et aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, sans prendre en considération si tel ou tel acteur les respecte ou non. Elle devrait développer des relations équilibrées avec tous les acteurs internationaux, notamment avec les amis fiables de longue date n’ayant pas participé à l’agression de l’OTAN et qui par conséquent ne reconnaissent pas la sécession illégale et unilatérale du Kosovo. Vućićević a mis en exergue la thèse de l’auteur selon laquelle la Serbie a uniquement besoin de l’Union européenne lorsque cette dernière a besoin de la Serbie.

En outre, l’adhésion à l’Union européenne est un but légitime, sous condition qu’elle n’exige aucune entrave à la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Serbie. Une solution juste et durable pour Kosovo et Métochie n’est possible que sur la base du respect de la Charte des Nations Unies, de l’acte final de la CSCE (1975), de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies et des principes de bases de la Constitution de la Serbie. Vućićević avertit que toutes tentatives d’imposer à la Serbie des solutions permettant des entraves aux principes fondamentaux du droit international, à la sécurité et la coopération en Europe et aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ouvriraient la voie à l’instabilité et à la création de conflits sur les Balkans et en Europe.

L’auteur lui-même a rappelé que la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de l’ONU fut le résultat de négociations extrêmement difficiles menées pendant deux mois à l’aide d’une médiation russe, alors que l’agression de l’OTAN était encore en cours. A son avis, il est peu probable que le format étroit et fermé des négociations de Bruxelles puisse conduire à une solution équilibrée, équitable et durable du problème du Kosovo et Métochie. Alors que l’Occident n’était pas capable de terminer la guerre de l’OTAN en 1999 sans le rôle clé de la Russie (Viktor Tchernomyrdin), comment serait-il capable aujourd’hui, 20 ans après cette guerre, de résoudre la question du statut du Kosovo et Métochie, question principale issue de cette guerre, tant que la Russie en est exclue! La Russie de Poutine aurait-elle moins de poids, serait-elle moins qualifiée pour trouver des solutions pacifiques aux problèmes internationaux, dont celui du Kosovo et Métochie?! Ou alors, tourné autrement, l’Occident serait-il aujourd’hui un acteur européen et mondial plus important qu’en 1999? Et Jovanović d’ajouter que la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité de l’ONU englobe les positions et les intérêts de tous les acteurs importants dans les relations européennes et mondiales, y compris ceux de la Russie et de la Chine. Considérant que cela était déjà le cas en 1999 – au moment de l’apogée de la prédominance de l’ordre mondial unipolaire –, il s’en suit qu’aujourd’hui, dans le cadre des relations mondiales multipolaires, cela est tout aussi nécessaire. La tentative de résoudre le problème dans un format limité à l’Union européenne révèle l’intention d’exclure la Russie et la Chine et d’exercer un chantage pour réaliser les intérêts géopolitiques de l’Occident, donc de l’UE et de l’OTAN. Au lieu de créer une solution équilibrée et durable, l’acceptation de telles tentatives contrecarrerait les tendances globales et provoquerait une déstabilisation supplémentaire dans les Balkans et en Europe.

M. Jovanović a également rappelé le 80e anniversaire de l’Accord de Munich concernant la région des Sudètes qui doit «protéger» les droits de la minorité nationale allemande et «sauver» la paix en Europe. Il déclare: «Nous savons tous qui a participé à cet «accord», qui en a été sciemment exclu et quel fut le résultat de cet «accord exhaustif et contraignant» du 30 septembre 1938.     •

(Traduction Horizons et débats)

* * *
Après la fin de la guerre contre la Yougoslavie en 1999, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte la résolution n° 1244 (1999) du 10 juin 1999, connue par le grand public comme la Résolution sur le Kosovo. Depuis lors, 20 ans se sont écoulés. En octobre 1998, le Bundestag allemand prend, à grande majorité, la décision fatidique de participer à la guerre. Le rapport sténographique correspondant à la 248e séance du Bundestag allemand du 16 octobre 1998 est accessible au public (Plenarprotokoll 13/248).
Des spécialistes en droit international et des organisations d’avocats allemands déposent alors une plainte pénale contre les va-t’en-guerre de l’époque. Le procureur général Nehm reboute les plaintes en arguant que le terme de «guerre d’agression» ne peut pas être interprété uniquement comme une intervention militaire. Par la suite, le gouvernement fédéral utilise le terme artificielle d’«intervention humanitaire» pour justifier cette guerre, cependant toujours sans la décision du Conseil de sécurité de l’ONU.

Quoi que l’on en dise – tout cela reste contraire au droit international. On a l’impression que ces événements n’ont toujours pas été suffisamment analysés, que ce soit sur le plan politique, juridique ou moral. Comment expliquer autrement que les va-t’en-guerre allemands s’en soient sortis si facilement, sans provoquer un tollé, sans aucune forte critique internationale destructrice? Du moins, on n’en a jamais entendu parler.

L’actuel gouvernement Merkel avoue ouvertement que ses poulain de l’époque – l’UÇK – obtient un soutien dans les domaines du conseil et du financement pour créer une armée régulière. A quoi bon? A peine que les morts de 1999 sont ensevelis, on voit déjà surgir devant nos yeux la prochaine atrocité: le mise en place d’une armée officielle au Kosovo ne signifie rien d’autre que: «on continue comme avant.»

L’ancien ministre des Affaires étrangères de la Yougoslavie, Živadin Jovanović (1998–2000) vient de publier un volumineux livre, avec le soutien du «Forum de Belgrade pour un monde égalitaire» qui traite de la politique pour la paix en Europe et analyse en particulier la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies, avec toutes ses ramifications et conséquences. On dispose déjà d’un résumé en anglais. La traduction complète de ce livre rédigé en serbe suivra est prévue.

Barbara Hug

 

 

Cette Résolution, acceptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 19 juin 1999, clôt les 78 jours de la guerre d’agression de l’OTAN contre la Serbie (République fédérale de Yougoslavie), fixant la garantie de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Serbie ainsi qu’une autonomie significative pour la province Kosovo et Métochie au sein de la Serbie. Néanmoins, en 2008, la direction de la province proclama la sécession unilatérale du Kosovo de la Serbie. Cet acte fut rapidement reconnu par les membres de l’OTAN et de l’UE, à l’exception de l’Espagne, de la Roumanie, de la Slovaquie, de la Grèce et de Chypre.

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L’offre du président français de mener avec les citoyens de son pays du 15 janvier au 15 mars 2019 un «grand débat national», est plutôt un marché de dupes. Il semble qu’Emmanuel Macron ait l’intention d’utiliser des techniques de contrôle et de pilotage modernes pour maîtriser les citoyens. Le processus invite à quelques réflexions fondamentales.

Il est d’habitude plutôt discutable de vouloir établir trop de parallèles entre les différentes époques historiques. Mais il peut s’avérer intéressant de jeter un regard sur la manière de gérer les préoccupations des sujets – aujourd’hui citoyennes et citoyens – par les puissants de diverses époques.

Louis XVI …

Dans les années 1780, lorsque Louis XVI et ses conseillers ne savaient plus comment continuer à diriger l’Etat français fortement vacillant et comment assainir le marasme financier, ils eurent une idée. Ils convoquèrent en 1789 les états généraux du royaume qui ne s’étaient plus rassemblés depuis près de deux siècles pour demander leur aide. Cela devait donner l’impression que les trois états de la société, la noblesse, le clergé et le tiers état, pouvaient participer à la solution de la crise étatique – même si les représentants du tiers état (les paysans et la bourgeoisie), auquel appartenait plus que 95% de la population française, devait avoir seulement un tiers des voix dans l’assemblée.

A cela s’ajouta l’idée de donner à tous les sujets la possibilité de formuler leurs doléances et de les déposer par écrit – une idée intéressante compte rendu du fait que la majeure partie des Français, notamment ceux du tiers état ne savait ni lire ni écrire. Cependant, le roi et ses conseillers s’étaient trompés. Les lettres de doléances témoignèrent sans fard de la situation des habitants du pays et du tort criant – car le mécontentement et l’indignation avaient entre-temps saisi des représentants de tous les états, et un très grand nombre d’entre eux prirent la parole. Les états généraux furent rapidement à nouveau dissouts, ce qui aboutit au premier acte révolutionnaire, le serment du Jeu de Paume, de ne pas se séparer avant d’avoir rédigé une Constitution pour le pays et créé une Assemblée nationale.

… et Emmanuel Macron

Tout cela s’est passé il y environ 230 ans. Aujourd’hui, il n’y plus de rois en France, la France se déclare République avec des droits citoyens et des droits de l’homme, elle veut être un pays dans lequel tous les citoyens et citoyennes ont les mêmes droits – et parmi eux on trouve aussi le président du pays.
Pourtant celui-ci se retrouve, depuis plusieurs semaines, confronté dans le pays entier au mouvement de protestation des Gilets jaunes. Après l’abandon de certaines taxes Emmanuel Macron a lancé un «grand débat national» concernant les exigences de la population.

Maintenant on apprend que ce «grand débat national» ne sera guère un débat honnête, mais plutôt une farce, un spectacle. Walter Ulbricht, un communiste allemand et plus tard secrétaire général du comité central de la SED [parti unique socialiste d’Allemagne] dans la République démocratique allemande (RDA), aurait dit en 1945 concernant sa stratégie pour la zone occupée par les forces soviétiques: «Cela doit donner l’impression d’être démocratique, mais nous devons tout garder en main.» Il semble qu’Emmanuel Macron ne veuille pas agir autrement – mais le peuple n’est pas dupe.

Des mécanismes modernes de contrôle et de pilotage …

On connaît ce type de politique «Top-down» – dans laquelle celui pour qui on décide doit avoir le sentiment qu’il a décidé lui-même – appelée «Change Management» pour définir des mécanismes de contrôle et de pilotage dans les entreprises ou les autorités publiques, à l’aide d’«ateliers du futur» et autres réunions semblables: M. Macron veut tenter d’entreprendre ce projet avec toute la France. Détail éloquent: selon la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 9 janvier, on appelle à l’Elysée cette stratégie de Macron envers les Gilets jaunes «opération Reconquista».

… ou un réel début de démocratie directe?

Il n’est pas impossible que ce projet tourne court et le fait que l’opposition à Macron désigne sa stratégie comme «exercice alibi» illustre la méfiance fondamentale envers le président. Ainsi, la demande d’une réelle autodétermination «par le peuple et pour le peuple» se renforce. La Suisse vaut comme modèle. On exige un droit au référendum et à l’initiative populaire. On désire même pouvoir destituer des députés élus, des membres du gouvernement et le président lui-même. Mais là Macron et son gouvernement n’entrent pas en matière. Ils parlent d’«agitateurs» et veulent prendre des mesures énergiques.

Pour éviter la violence

Malgré toutes ses tentatives de rester au pouvoir, Louis XVI n’eut pas de succès. Mais l’histoire de la Révolution est reliée à une trace terrible de sang. Par contre, au cours du XIXe siècle, la voie de la Suisse vers davantage de démocratie directe fut en grande partie sans violence. Mais cela ne fut pas offert aux Suisses sur un plateau, on dut la conquérir avec de gros efforts politiques – et ce fut un long chemin.

La situation de la France ne se retrouve-t-elle pas partout dans l’UE?

La présidence et la politique françaises n’ont des parallèles pas seulement dans l’histoire du pays. Ils y a également des parallèles avec ce qui se passe dans de nombreux Etats européens. Michel Houllebecq, écrivain français, provocateur et radical, vient de publier son dernier roman intitulé «Sérotonine» – simultanément en français et en allemand. Le vie profondément irritée de son protagoniste ne sera pas discuté ici; mais l’arrière-fond, devant lequel se passe l’action du roman a beaucoup à faire avec la réalité: des paysans et des ouvriers français appauvris suite à la globalisation et à la politique de l’UE. On peut appliquer ce même modèle à d’autres pays européens.

Remplacer l’exercice du pouvoir en changeant de gouvernement ou de parti politique semble actuellement encore «fonctionner», à l’instar d’Emmanuel Macron et son «mouvement» présentés comme les sauveurs de la misère.
Mais combien de temps encore, cela fonctionnera-t-il? La situation en France constitue un présage. Non seulement au regard des protestations de ces deux derniers mois, mais aussi au regard des réactions de la classe politique face à ces protestations. Où dans l’UE les préoccupations des citoyennes et citoyens et leurs droits souverains sont-ils réellement pris au sérieux?

Mais cela ne durera pas infiniment. Prendre au sérieux le citoyen en tant que membre du peuple souverain ne peut s’illustrer que par des instruments de démocratie directe. Il n’y a que peu de chances d’aboutir sur cette voie, si l’on en reste à espérer un changement venant de la part de la classe politique. Il est incontournable de s’engager soi-même, en tant que citoyenne ou citoyen, en faveur de la démocratie directe.

Karl Müller

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La déclaration officielle du Tribunal suprême de justice (TSJ), en ce 21 janvier 2019, confirme la nullité de toutes les décisions de l’Assemblé nationale législative (ANL), prises depuis le jour où elle s’est déclarée en disgrâce avec les décisions du TSJ, seule autorité constitutionnelle suprême, mandatée pour interpréter la Constitution.

« L’Assemblée nationale (AN) n’a pas de conseil d’administration valide et tous ses actes sont nuls du fait de l’usurpation de l’autorité », a déclaré lundi la Cour suprême de justice (TSJ) du Venezuela, à la lumière des récentes actions du conseil d’administration de l’Assemblée nationale contre la constitution du pays.

C’est ce qu’a déclaré le deuxième vice-président de la Chambre constitutionnelle du TSJ, Juan José Mendoza, qui a déclaré que l’AN ignorait le pouvoir judiciaire en méconnaissant ses décisions; il ne reconnait pas le pouvoir électoral pour lequel Nicolas Maduro a été élu, proclamé et assermenté à la tête du Venezuela; il ne reconnait pas le pouvoir exécutif; et il ne reconnait pas le pouvoir souverain, c’est-à-dire le peuple du Venezuela qui a choisi son président au suffrage ». (Traduction Google de l’espagnol au français d’une partie de cette intervention. https://www.telesurtv.net/news/venezuela-tsj-anula-asamblea-directiva-asamblea-nacional–20190121-0018.htm

On se rappellera que lors des élections législatives de 2015, l’opposition avait gagné la majorité nécessaire pour diriger les travaux de ladite ANL.  Comme c’est le cas dans toutes les élections, le Conseil national électoral (CNÉ), répondant aux plaintes, a fait le nécessaire pour s’assurer que l’élection ne comportait aucune irrégularité. Cette vérification a permis d’identifier trois députés de l’opposition dont l’élection a été déclarée frauduleuse. Les preuves ont été présentées et reconnues par les autorités compétentes, y compris le TSJ qui a ordonné au Président de la nouvelle ANL de ne pas assermenter ces trois députés et de procéder, en accord avec le CNÉ, à l’élection de trois nouveaux députés pour les régions visées.

À l’encontre de toute attente, le Président de ladite ANL n’a pas tenu compte des informations de fraudes, transmises par le CNÉ, tout comme des décisions du  TSJ. Une décision qui allait bien au-delà des pouvoirs constitutionnels de l’ANL. Dans un régime de droit, c’est la Constitution et, dans le cas du Venezuela, élaborée et votée  par référendum par le peuple, qui détermine les pouvoirs des diverses instances, relatives au pouvoir législatif, au pouvoir exécutif et au pouvoir judiciaire. Cette même constitution prévoyait également la création d’un pouvoir constituant du peuple dont le pouvoir est celui-là même du peuple. En juillet 2017, le peuple a été appelé aux urnes pour élire les membres de cette Assemblée nationale constituante (ANC). Cette (ANC) compte près de 545 personnes, élues au suffrage universel et représentant le prisme social de l’ensemble de la population. Elle est, de tous les pouvoirs, la plus importante à laquelle les autres pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) se doivent de rendre des comptes.

Depuis le rejet par l’ANL de la reconnaissance du pouvoir du TSJ et de celui du CNÉ, celle-ci s’est transformée en victime et en Cheval de Troie pour servir les intérêts de Washington, plus que jamais, intéressé à reprendre le contrôle de l’État vénézuélien sans oublier ses énormes richesses. Les milieux médiatiques, meanstream, se chargent de transformer les délinquants en héros et les héros en dictateurs, usurpateurs des droits de l’ANL. La désinformation se déploie à plein régime pour noircir, autant que faire se peut, le gouvernement de Nicolas Maduro, élu en mai dernier avec 68% du vote des électeurs et électrices. À l’époque, l’opposition et l’épiscopat du Venezuela (allié de l’opposition) faisaient campagne pour que les gens n’aillent pas voter. Le gouvernement canadien, qui se proclame des plus démocratiques et respectueux du droit international, avait alors interdit au gouvernement du Venezuela de placer des urnes de votation dans les ambassades et consulats du Venezuela pour que les citoyens vénézuéliens, vivant au Canada, puissent aller y voter. Tout cela évidemment faisant partie d’une campagne internationale de désinformation pour présenter la candidature de Nicolas Maduro comme illégitime. L’élection a eu lieu et Maduro a gagné la Présidence du Venezuela  pour le mandat allant de 2019 à 2025. Son assermentation officielle s’est réalisée le 10 janvier dernier avec la présence et l’appui de plus de 100 pays. La communauté internationale dans sa grande majorité reconnait la légitimité de l’élection de Nicolas Maduro comme président du Venezuela.

La solution la plus rapide et la plus efficace demeure la convocation anticipée de l’élection d’une nouvelle assemblée nationale législative qui s’inscrirait dans le cadre de  la Constitution et des pouvoirs qui lui sont reconnus. Dans ce dernier cas, ce serait le peuple qui déciderait du sort réservé aux délinquants et de ceux jugés dignes d’occuper cette responsabilité de législateur. Une manière de combler le vide juridique d’une ANL qui s’est elle-même déclarée au-dessus de la loi en ne reconnaissant pas la légitimité des autres pouvoirs constitutionnels.

La déclaration du Tribunal suprême de justice ouvre toute grande la porte pour que l’Assemblée nationale constituante ait les motifs suffisants pour réclamer des élections anticipées et procéder la mise en place d’une nouvelle ANL, élue par le peuple et qui saura reconnaître les droits et pouvoirs des autres instances gouvernementales.

Pour le moment, les députés, toujours en exercice, s’attribuent des pouvoirs qui n’appartiennent qu’au peuple et à la constitution de légitimer.

La déclaration toute récente du TSJ ouvre toute grande les portes pour que l’Assemblée nationale constituante décrète, conformément aux pouvoirs dont elle dispose, des élections anticipées pour une nouvelle Assemblée nationale, respectueuse de tous les pouvoirs constitutionnels. Il appartiendra au peuple de décider de ses choix de candidat et au CNÉ de voir à ce que le tout se passe dans le respect des droits démocratiques.

Oscar Fortin

 

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Depuis mi-décembre, avec l’appui des Etats-Unis, le Kosovo, territoire faisant juridiquement partie de la Serbie selon la Constitution, en violation de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU de 1999, tente de mettre en place une armée propre. Il est vrai que la Serbie reste un soutien réel de la Russie dans la région et que le clan atlantiste n’a de cesse depuis la guerre de Yougoslavie de vouloir l’en faire sortir. Quitte à remettre en cause le fragile équilibre difficilement acquis.

Le 14 décembre 2018, l’assemblée de la République du Kosovo, entité faisant juridiquement partie de la Serbie, a adopté à l’unanimité, puisque les députés de la minorité serbe n’ont pas participé au vote,  la loi sur la force de sécurité du Kosovo, qui prévoit la création d’une armée propre, dont les effectifs doivent passer de 2 500 membres à 5 000 plus 3 000 réservistes.

Cette nouvelle a provoqué la colère bien légitime du Président serbe, car il s’agit ni plus ni moins que d’une tentative de forcer la création d’un Etat kosovar autonome, ce qui pour l’instant n’a pu aboutir :

« Après deux décennies de dur labeur, nous achevons enfin le processus de construction d’un État », a réagi sur Facebook le président Hashim Thaçi, ancien commandant de la guérilla indépendantiste de l’Armée de libération du Kosovo (UCK).

L’OTAN reste circonspect, l’UE s’interroge – même le Parlement européen a proposé une résolution visant à condamner cette loi. Lors de la réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU le 17 décembre à la demande de la Serbie et de la Russie, ce même Hashim Thaçi a évidemment déclaré que la création d’une armée propre ne contrevenait ni à la Constitution, ni à la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU de 1999. Le Président serbe a lui attiré l’attention de la communauté internationale sur les dangers de cette démarche :

« J’ai peur non seulement pour l’avenir de mon pays, mais également pour celui de toute la région », a mis en garde le Président serbe, pour qui les « provocations » de Pristina font faire aux Balkans occidentaux un bond « de six à sept ans » en arrière.  Invoquant les nombreuses concessions faites par les Serbes dans le cadre de l’Accord conclu en 2013, le Chef d’État a assuré que la seule obligation dont Pristina était tenue de s’acquitter pour sa part consistait à former une communauté serbe.  « 2070 jours se sont écoulés et rien n’a été fait », a-t-il déploré.

« Si la Serbie n’obtient rien en retour, sur quoi portera le dialogue à venir, la couleur des billes avec lesquelles les enfants vont jouer dans les cours de récréation? », a ironisé le dirigeant.  « De quel document prétendent-ils faire découler leur droit souverain à former leur propre armée? Où cela est-il écrit? », s’est aussi interrogé M. Vučić, en faisant référence aux Kosovars.  « Je peux vous donner la réponse: nulle part! », a-t-il lancé, pas même dans la Constitution du Kosovo, que la Serbie ne reconnaît pas de toute façon, a-t-il précisé.

Selon cette résolution (le texte est disponible ici), il est prévu que la communauté internationale mette en place une force internationale encadrée par l’OTAN qui doit veiller, notamment, à démilitariser l’armée de libération du Kosovo (à laquelle appartenait ce fameux Hashim Thaçi), ainsi que tous les groupes armés albanais. Or, le Kosovo et les Etats-Unis, font une lecture biaisée de la démilitarisation, qui ne concernerait, soi-disant, que formellement l’ALK et que la déclaration d’indépendance du Kosovo (qui n’a pas été reconnue) lui donne automatiquement le droit d’avoir une armée propre :

M.RODNEY M. HUNTER (États-Unis) a réaffirmé l’appui de Washington à la transition progressive et transparente vers une force « professionnelle et multiethnique qui serve et reflète toutes les communautés du Kosovo ».  Selon lui, la législation adoptée par le Parlement du Kosovo la semaine dernière est pleinement conforme à la résolution 1244 du Conseil de sécurité.  « Le Kosovo a le droit souverain d’établir et de maintenir une force armée », a assuré le représentant.  En effet, pour sa délégation, la résolution 1244 (1999) autorise l’établissement d’une force de sécurité internationale au Kosovo et lui confie le soin de « démilitariser » l’Armée de libération du Kosovo (ALK) et d’autres groupes armés albanais du Kosovo.  Selon lui, ces dispositions ne s’appliquent pas à la Force de sécurité du Kosovo, qui n’est ni « l’ALK » ni un « groupe armé albanais du Kosovo ».

Or, en lisant le texte de la résolution 1244, rien ne permet de faire de telles conclusions et c’est bien le seul document international qui ait force juridique pour réguler le conflit. Le Plan Ahtisaari n’ayant pas été adopté au niveau du Conseil de sécurité, le droit pour le Kosovo de disposer d’une armée n’a pas non plus été accordé.

L’adoption de cette loi, avec le soutien des Etats-Unis, est bien une revanche des Albanais. Les risques de relancer le conflit existent et ne sont pas purement théoriques, comme l’a souligné le Président russe V. Poutine, qualifiant cette démarche de provocation. Au Conseil de sécurité, la Russie a rappelé l’instabilité intérieure du Kosovo qui peut pousser au conflit :

La Fédération de Russie ne l’a pas entendu de cette oreille, affirmant que le Kosovo était la pire région d’Europe pour la criminalité organisée, et le sanctuaire de combattants terroristes étrangers de retour de Syrie et d’Iraq.  Pour la délégation, il faut « immédiatement annuler » la décision de créer une armée du Kosovo.  L’appel lancé par la Serbie en cas d’entrée de forces albanaises sur son territoire doit être pris au sérieux, a-t-elle prévenu, en affirmant que « Belgrade se défendra ».

Il faut également comprendre qu’une vague de manifestations, avec drapeaux européens à la main, est lancée depuis plusieurs mois contre le Président serbe accusé de tous les maux par l’opposition. Nous ne sommes pas loin de l’image du tyran.

Cela permettrait-il de justifier une réaction armée des Albanais du Kosovo ?

Karine Bechet-Golovko

 

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La plus longue fermeture partielle du gouvernement fédéral de l’histoire américaine entre dans son deuxième mois sans aucun signe d’un accord imminent entre le président Républicain Donald Trump et les Démocrates du Congrès sur le financement d’un mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

Les démocrates ont rejeté une proposition de Trump au cours du week-end de prolonger la protection temporaire de certains immigrés sans papiers en échange d’un financement pour renforcer la sécurité à la frontière, y compris un mur. Trump a menacé de déclarer l’état d’urgence national et de déployer les militaires pour construire le mur s’il ne parvient pas à un accord avec les démocrates, qui contrôlent une majorité à la Chambre des représentants.

Des signes croissants de détresse financière paraissent parmi les 500 000 employés fédéraux forcés de travailler sans rémunération et les 300 000 qui se trouvent en congés sans solde. En l’absence d’une résolution d’ici jeudi, 800 000 employés fédéraux et environ 500 000 employés sous contrats de droit privé ne recevront pas leur deuxième chèque de paie complet.

Partout au pays, des services de garde-manger gratuits ont lancé des appels spéciaux pour obtenir des dons destinés spécifiquement aux employés fédéraux et ont organisé des événements spéciaux pour livrer des provisions alimentaires. Un restaurant mis sur pied par la l’association World Central Kitchen pour servir des repas gratuits aux employés fédéraux à Washington DC, a servi près de 10 000 repas au cours de ses deux premiers jours d’activité la semaine dernière. Les employés fédéraux d’Atlanta ont fait la queue dans leur voiture vendredi pour recevoir 18 000 kilos de poulet et de légumes congelés de la banque alimentaire de la commune d’Atlanta (Atlanta Community Food Bank). Ailleurs dans le pays, la Banque alimentaire d’Hawaii prévoit de distribuer cette semaine 300 sacs alimentaires à l’Administration sécuritaire de transport (TSA) et à d’autres travailleurs fédéraux dans l’État des îles du Pacifique.

Depuis le début de la fermeture, des employés fédéraux ont lancé plus de 1500 campagnes de type GoFundMe afin de recevoir des dons pour couvrir le coût du loyer, de la nourriture et des frais médicaux. 78 pour cent des Américains doivent dépenser tout leur salaire chaque mois pour pouvoir vivre. Donc, un nombre croissant d’employés fédéraux non payés se tournent vers les prêteurs sur gages et les prêteurs à taux d’intérêt extrêmement élevé afin d’obtenir des liquidités pour couvrir leurs factures. De telles mesures palliatives ne suffiront pas pour beaucoup d’entre eux pour éviter d’être expulsés de chez eux si la fermeture se poursuit encore longtemps.

Maintenant, des signes croissants d’opposition se manifestent, en particulier parmi les agents de sécurité des aéroports de la TSA qui sont forcés de travailler sans solde, déjà parmi les employés fédéraux les moins bien payés, avec un salaire initial moyen de seulement 32 000 dollars par an. Le pourcentage de travailleurs de la TSA prenant des absences imprévues a atteint 8 pour cent le samedi, contre seulement 3 pour cent l’année dernière. Dans un communiqué publié par la TSA, de nombreux travailleurs signalent que des restrictions financières les ont empêchés de se rendre au travail.

Le nombre croissant d’absences a entraîné la fermeture samedi d’un des trois points de contrôle à l’aéroport de BWI Marshall à Baltimore. Cette décision fait suite à la fermeture des points de contrôle la semaine dernière aux aéroports de : Miami, Houston, Dulles-Washington D.C., et Hartsfield-Jackson à Atlanta, l’aéroport le plus fréquenté du monde.

Le va-et-vient incessant entre Trump et les démocrates a révélé les niveaux grotesques de cynisme et d’hypocrisie des deux côtés.

Samedi, les démocrates ont immédiatement rejeté la proposition de Trump d’accorder un sursis de trois ans à 700 000 enfants immigrés, emmenés par leurs parents aux États-Unis sans les documents requis, qui étaient couverts par le programme DACA, et à 300 000 immigrants protégés contre la déportation par un Statut temporaire protégé (TPS), en échange de 5,7 milliards de dollars en financement pour le mur frontière.

L’offre n’était pas en fait un « compromis », puisque Trump lui-même est responsable de l’annulation du DACA et du TPS que sa proposition n’annulerait que temporairement. Il l’avait fait par décret afin d’obtenir un financement du Congrès pour un mur permanent dès le départ.

Trump s’est servi de ses remarques dans la salle de réception diplomatique de la Maison-Blanche pour lancer un nouvel appel fasciste à sa base de droite, qualifiant les immigrants de « criminels, de trafiquants de drogue, de gangs et de trafiquants ». Il a également attaqué les démocrates comme « la gauche radicale » en s’exclamant qu’ils « ne peuvent jamais contrôler notre frontière. Je ne laisserai jamais cela arriver ».

Contredisant sa propre prétention ridicule selon laquelle les démocrates seraient des radicaux de gauche qui réclament l’ouverture des frontières, Trump a noté qu’ils avaient déjà présenté bon nombre de ses propositions pour la sécurité des frontières et que « toutes ont été soutenues par les démocrates dans le passé, y compris une barrière physique, un mur ou une clôture ».

Aucune divergence de principe ou sérieuse ne sépare les démocrates et les républicains au sujet de la politique d’immigration, et encore moins entre les démocrates et les républicains. Le New York Times a rapporté vendredi que les démocrates de la Chambre des représentants ajouteront 1 milliard de dollars supplémentaires pour la prétendue « sécurité frontalière » dans l’ensemble des projets de loi qui rouvriraient le gouvernement fédéral, sauf pour le Département de la sécurité intérieure (DHS). Ces nouveaux fonds serviraient à financer de nouvelles infrastructures aux points d’entrée et un plus grand nombre de juges de l’immigration pour accélérer les expulsions.

Un financement distinct de 1,3 milliard de dollars pour le DHS, proposé par les démocrates à la Chambre, permettrait d’augmenter le nombre de gardes et de technologies à la frontière.

« Les gens veulent s’assurer que les démocrates défendent la sécurité à la frontière et qu’ils ne permettent pas au président de déterminer la façon dont nous en parlons », a déclaré au Times le représentant démocrate Ro Khanna de Californie. « On ne peut pas céder à sa vision d’un mur, à cause de tout ce qu’il représente, mais on veut aussi montrer qu’on est pour quelque chose ».

Les sénateurs Kirsten Gillibrand, de New York, et Mark Warner, de Virginie, ont répété le mantra du Parti démocrate selon lequel ils appuient pleinement le renforcement de la sécurité frontalière – un euphémisme qui indique plus : de police des frontières, de matériel militaire, de prisons, de souffrance et de mort aux frontières et dans les camps de détention.

Gillibrand, qui a annoncé sa candidature à la présidence pour 2020 la semaine dernière, a déclaré à l’émission « Cette Semaine » (This Week) d’ABC que « l’idée d’un mur de Trump est inefficace et ne va pas nous rendre plus sûrs. Je soutiendrai la sécurité à la frontière. J’appuierai les investissements afin de rendre notre pays plus fort et plus sûr. Tous les démocrates se soucient de la sécurité nationale et de la sécurité des frontières ». À l’émission « Rencontrer la presse » (Meet the Press) de NBC, Warner a déclaré que la proposition de Trump pendant le week-end était « un point de départ ».

Gillibrand et Warner, lorsqu’on leur a demandé à bout portant s’ils accepteraient de financer un mur, ont évité de donner une réponse et ont discuté de la question. Warner a souligné que les démocrates vont négocier, mais seulement après que Trump aura mis fin à la fermeture.

Gillibrand dans « Cette Semaine » s’est vanté que les démocrates avaient accepté l’année dernière de donner à Trump tout l’argent qu’il voulait pour « commencer à faire les choses [qu’il voulait] faire » à la frontière en échange du statut légal des bénéficiaires du DACA.

Un troisième démocrate de premier plan, Bennie Thompson, le président de la commission de la sécurité intérieure de la Chambre des représentants, a été moins évasif. Il a déclaré sans ambages que les Démocrates avaient soutenu à maintes reprises par le passé une « barrière physique » le long de la frontière américano-mexicaine, et qu’ils le feraient à nouveau à l’avenir. « Je n’exclurais pas la possibilité d’un mur dans certaines circonstances », a-t-il dit à l’émission « Cette Semaine » sur ABC.

Les deux camps dans la guerre politique à Washington sont réactionnaires et antidémocratiques. Les Démocrates et les Républicains font appel à différentes factions au sein de l’armée pour obtenir leur soutien. Les factions anti-Trump, dirigées politiquement par les Démocrates, utilisent les méthodes antidémocratiques d’une révolution de palais et cherchent à attiser l’hystérie maccarthyste contre Moscou et les « fausses nouvelles » pour justifier la censure et préparer le terrain pour la guerre contre la Russie.

Les deux côtés utilisent les travailleurs comme pion dans cette lutte. Trump et les Démocrates menacent les moyens d’existence de millions de personnes par la fermeture de l’usine et l’agression de Trump contre les immigrants. Au même temps, on craint de plus en plus une éruption de travailleurs fédéraux. S’ils font grève, ils se joindraient aux enseignants en grève à Los Angeles, aux travailleurs des maquiladoras en grève à Matamoros, au Mexique, et aux travailleurs de l’automobile qui s’organisent pour faire cesser la fermeture des usines GM aux États-Unis et au Canada.

Malgré l’impact évident que pourrait avoir l’action des travailleurs de la TSA et des contrôleurs aériens sur la fermeture des voyages aériens, les syndicats fédéraux et l’AFL-CIO ont gardé le silence absolu. Les syndicats cherchent à empêcher la classe ouvrière de dépasser les limites fixées par le Parti démocratique et l’élite au pouvoir dans son ensemble.

Niles Niemuth

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 21 janvier 2019

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Sentant le piège orchestré par le «grand débat national» de Macron débutant cette semaine, les «gilets jaunes» se sont mobilisés en nombre pour l’acte X de samedi. Le ministère de l’Intérieur a établitcomme samedi dernier à 84 000 le nombre de participants à la journée de mobilisation, minimisant de manière considérable l’ampleur de la mobilisation.

Celle-ci n’a pas faibli. Bien au contraire, on enregistre 4.000 manifestants sur Bordeaux, 2.500 sur Marseille comme à Grenoble ou encore 3.000 à Caen. A Toulouse il y a eu 10.000 personnes, un record pour le mouvement en province, avec comme banderole en tête de cortège « Tes hauts et débats, on n’en veut pas, Macron dégage ».

Les provocations de la police ont entraîné des heurts dans plusieurs villes. Sur Marseille, plus d’un millier de «gilets jaunes» manifestaient lorsqu’ils ont été bloqués par un barrage des forces de l’ordre qui ont tiré des gaz lacrymogènes. Il y a eu 10 interpellations.

Sur les quais de Lyon, le cortège, qui défilait dans le calme, était canalisé par la police, qui repoussait à coups de grenades lacrymogènes et assourdissantes des groupes de «gilets jaunes» qui tentaient de rejoindre les rues commerçantes. Il y a eu 7 interpellations. Sur Paris la police a procédé à 30 interpellations.

A Paris, les «gilets jaunes» se sont donnés rendez-vous aux Invalides vers 11h00 avec comme slogan «Le million à Paris!». Malgré des cortèges plus longs que la semaine dernière, la préfecture de Paris annonce un léger recul, avec 7.000 manifestants, contre 8.000 samedi dernier.

Alors que les syndicats qui ont rejeté le mouvement des «gilets jaunes» essaient à présent de le récupérer, la CGT s’est fait recaler par les «gilets jaunes.» Selon Le Monde, «à l’angle du boulevard Raspail, un grand gaillard bloque l’accès au cortège à un petit groupe de manifestants estampillés CGT. ‘Rangez vos drapeaux si vous voulez venir avec nous’, leur intime-t-il. ‘La CGT vous avez rien fait depuis quarante ans et en plus vous avez appelé à voter Macron’, lance un autre.»

Le WSWS a pu constater que la colère et la détermination des gilets jaunes sur Paris étaient intactes. Ils scandaient «Paris soulève toi», «Macron dictateur», «Macron en prison, Castaner en enfer» ou encore «Débat national est poudre dans les yeux». Les reporters du WSWS ont pu parler à Frédéric, contremaître et Christelle.

Frédéric explique qu’il est venu pensant «à mes filles, mes amis tout le monde ou à tous ceux qui sont dans la merde. Il y en a qui se lèvent tous les matins très tôt pour aller faire des boulots ou même parfois pour gagner que dalle et n’arrivent pas à boucler les fins de mois, le 10 ou ke15 ils sont à zéro. Ce n’est pas normal. ça suffit.»

Christelle dit au WSWS:

«Je parle avec beaucoup de personnes, c’est beaucoup les gens de 50-60 ans … C’est des personnes qui ont travaillé les trois quarts de leur vie qui n’ont pas grand-chose, sont obligés de travailler alors qu’ils sont à la retraite ou perdent leur emploi et n’en trouvent pas derrière. Donc moi personnellement je pense à mon père qui a travaillé toute sa vie et derrière il se retrouve au chômage, ce n’est pas normal.»

Christelle a fait part de son hostilité envers Macron et son «débat national»:

«Moi je l’ai regardé vite fait parce que moi personnellement maintenant je suis au chômage grâce à Macron parce que mon entreprise a dû fermer. Du coup j’ai eu la chance de pouvoir le regarder en fait. Finalement, il nous explique comment pouvoir se passer des choses. Il nous explique nous donne pas des solutions il nous donne des solutions pour s’en passer en fait. Mais on ne peut pas se passer de notre voiture on ne peut pas se passer de manger on ne peut pas se passer d’avoir un toit.»

Frédéric et Christelle Frédéric

Sur l’absence des syndicats dans le mouvement des «gilets jaunes», Frédéric dit que «Des syndicats j’ai ma dose d’expérience. Moi personnellement en étant contremaître on est un peu tapé par les syndicats. C’est pour ça que je suis gilet jaune, je ne fais pas partie d’aucun syndicat, je n’ai aucune affiche syndicaliste et tout et j’ai toujours dit depuis le début, depuis le 17 novembre que si il y avait un syndicat qui se mettait là-dedans je ne serais plus gilet jaune.».

Sur les dénonciations dans les médias de la présence de l’extrême droite ou d’autres forces responsables de violences, Christelle note de c’est pour que «les gens aient peur du mouvement et ne se reconnaissent pas dans le mouvement. C’est comme pour les violences, il y en a qui sont habillés comme vous et moi, ils ont des casques. Eh bien, c’est des flics qui viennent dans les rangs de gilets jaunes. Et si vous les observez en restant à côté d’eux le long de la manifestation, vous verrez que c’est eux les premiers à jeter des cailloux pour entraîner les autres. Comme ça, ça fait passer les gilets jaunes pour des violents. Mais les trois quarts du temps, j’ai vu de mes propres yeux c’est eux qui sont dans les gilets jaunes et qui balancent sur leurs collègues, et une fois que la guerre est finie, ils repassent de l’autre côté vers leur collègue et là ils ne se font pas allumer.»

Sur la nécessité d’unifier les luttes avec les travailleurs à l’international, Frédéric dit que les médias isolent les «gilets jaunes» en France: «C’est sur Facebook qu’on s’aperçoit que l’on parle beaucoup des gilets jaunes et que les gilets jaunes sont maintenant un peu partout. Mais ça, la presse française nous ne montre pas du tout au contraire et minimise le truc.»

Le WSWS a rencontré Hugo, étudiant en histoire venu manifester «contre la politique globale d’Emmanuel Macron pas seulement sur un point mais c’est toute sa politique libérale déconnectée des réalités des gens.» Hugo a souhaité la mise en place du «référendum d’initiative citoyenne … car on a aussi une crise de la représentativité, quand on voit que l’Assemblée nationale on a 300 députés République en marche. … Il faut le retour de l’ISF.»

Sur le «débat national» voulu par Macron, Hugo dit que c’est une mascarade: «Alors le grand débat, je pense que c’est une défaite, oui. Il reste sur ses positions et je pense que c’est pour ça que le mouvement doit continuer et être sur le long terme. Je pense que c’est un peu une supercherie dans le sens où il s’adresse à des intermédiaires via les maires et pas demandé directement au peuple avec qui il ne va pas se confronter et au pouvoir décisionnel du peuple par un référendum. Il sait qu’il sautera donc c’est une mascarade.»

Le WSWS a pu parler à un doctorant en psychologie social voulant rester anonyme, venu «dénoncer les politiques libérales qui ont commencé il y a plusieurs dizaines d’années en France. Les politiques d’austérité et la diminution des services publics ont abouti à la concentration des richesses vers une petite partie de la population et Macron en fait partie.»

Interrogé sur le rôle des organisations syndicales et politiques, il a dit: «Les partis politiques, les syndicats en France ont énormément déçus et ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux sociaux qui existent aujourd’hui. Je pense que les gens n’en veulent pas et ils veulent se débarrasser de ça.»

Sur la nécessité de faire converger les travailleurs en lutte en Europe, il a fait part de son enthousiasme: «Je pense que ce sera super si voire une grève européenne même ce serait vraiment extraordinaire parce que le nerf de la guerre c’est l’argent et c’est l’économie c’est là qu’il faut taper, ce serait une excellente solution.»

Anthony Torres

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Kertch : défi ukrainien, sur le grand échiquier

janvier 22nd, 2019 by Jean Géronimo

Fin 1991, l’implosion de l’URSS a jeté les bases d’une stratégie anti-russe, sous l’action d’une puissance américaine avide d’affaiblir la Russie pour en contrôler les ressources et la neutraliser en tant que puissance globale. Dans le cadre de la transition post-communiste, la stratégie de containment (endiguement) de la Guerre froide s’est radicalisée en stratégie de roll back (reflux) de la puissance russe. Pour Zbigniew Brzezinski, il s’agit d’éroder l’influence historique de la Russie dans sa périphérie post-soviétique. Selon lui, la vision russe de son « étranger proche » donne un rôle clé à l’Ukraine et traduit une logique géopolitique « impériale ». Sa doctrine, décrite dans son livre de 1997, Le Grand échiquier, reste jusqu’à la présidence Trump la matrice de la diplomatie américaine focalisée contre l’émergence d’un rival sur le continent eurasien, nuisible à sa domination mondiale. Elle permet de décrypter l’incident de Kertch.

Le cœur de la doctrine Brzezinski est le contrôle des « pivots géopolitiques », les républiques stratégiques de l’ex-URSS. Elle vise l’instauration dans l’espace post-soviétique d’un « pluralisme géopolitique » favorisant l’émancipation des ex-républiques de la tutelle moscovite et bloquant le retour impérial d’une Russie nostalgique de son passé, encline à recouvrer son espace politique. Pour Brzezinski, cette configuration géostratégique fait de l’Ukraine une priorité de la diplomatie américaine justifiant toutes les « manipulations ». En vue de verrouiller toute velléité russe, le contrôle de l’Ukraine est devenu une obsession stratégique, justifiant la « révolution » de 2004 (« orange ») et celle de 2013 (« maïdan »), sanctionnée par le putsch du 22 février 2014. De nombreuses crises adroitement construites et détournées, impliquant Moscou, se sont succédées – dont la dernière est celle de Kertch.

Ce contrôle du pivot ukrainien exprime la réussite du soft power américain, surfant sur la « démocratie » comme idéologie révolutionnaire portée par des ONG dollarisées et centrée sur le regime change – en surfant sur les courants radicaux, dont néonazis en Ukraine. Comme avant-garde éclairée et formatée par Washington, les groupes paramilitaires extrémistes ont joué un rôle décisif dans le putsch nationaliste anti-russe, marqué par le massacre d’Odessa du 2 mai 2014 – sous l’œil de l’Occident.

Depuis l’élection de Vladimir Poutine, en mars 2000, cette évolution géopolitique s’appuie sur la perception d’une Russie structurellement hostile, redevenue la « menace principale » dans la doctrine stratégique américaine. Perçu comme l’héritier de l’homo-soviéticus, Poutine conduit une politique de puissance impliquant la construction d’un Etat fort, via une diplomatie axée sur la défense des intérêts nationaux et restaurant l’image d’une puissance russe, contrepoids à l’hégémonie américaine. En atteste, sa gestion de la crise ukrainienne.

En justifiant le renforcement de l’axe UE-OTAN, la construction d’un ennemi majeur – russe – devient le moteur de la stratégie ukrainienne, marquée par l’incident naval russo-ukrainien dans le détroit de Kertch. Au matin du 25 novembre 2018, 3 navires militaires ukrainiens ont violé la frontière maritime russe, effectuant des manœuvres dangereuses et refusant d’obéir aux ordres des garde-côtes. L’incident s’est produit au niveau du détroit de Kertch, séparant la mer d’Azov de la mer Noire. Les garde-côtes russes ont utilisé leurs armes pour stopper ces navires. Moscou a ouvert une enquête pour violation de ses frontières, alors que le Président ukrainien Piotr Porochenko a instauré une loi martiale partielle pour une durée de 30 jours à partir du 28 novembre. Une décision surprenante, disproportionnée par rapport aux faits et, surtout, politiquement non neutre.

Dans le prolongement de la ligne anti-russe de Washington justifiée par « l’annexion » de la Crimée, Porochenko a exigé après l’incident de Kertch de nouvelles sanctions face à « l’agression russe ». Ainsi, la Russie deviendrait un « coupable raisonnable » face à une Ukraine bénéficiant d’une présomption d’innocence. Diabolisée par l’hystérie médiatique, la ligne « expansionniste » de Moscou offre une justification idéale à la hausse des budgets de défense otaniens face à la « menace russe », commercialement très rentable pour l’armement américain destiné aux états anti-russes de l’est-européen (Etats baltes, Pologne, Roumanie). Une redoutable cohérence géostratégique.

Objectivement, cet incident ne peut servir les intérêts de Moscou, déjà acculée par une politique de sanctions irrationnelle imposée par le tuteur américain et reconduite automatiquement par les états vassaux. En revanche, il sert les intérêts américano-ukrainiens, condamnés à un mariage forcé depuis le putsch :

– d’une part, en accélérant le rapprochement de Kiev avec la structure politique et sécuritaire euro-atlantique, cet incident renforce le leadership américain. Une Ukraine intégrée à l’Otan serait le pire cauchemar politique de la Russie post-soviétique, en servant de support à l’extension européenne du bouclier anti-missiles américain – qui neutraliserait une partie de son potentiel nucléaire stratégique.

– d’autre part, en réveillant le nationalisme anti-russe sur lequel a surfé le candidat Porochenko lors des élections de mai 2014, cet incident pourrait le sauver d’une défaite certaine aux présidentielles de mars 2019. Au moment de l’incident, la popularité de Porochenko touchait son plus bas historique, avec 10% d’intentions de vote. En outre, la loi martiale lui permet de verrouiller l’opposition et le débat électoral « démocratique ». Sous verrou américain, la boucle semble – stratégiquement – bouclée.

Véritable défi programmé, la provocation de Kertch est une pièce décisive de la stratégie américaine post-guerre froide du reflux de la puissance russe sur l’échiquier eurasien (*).

Jean Jeronimo

Papier publié initialement le 11 janvier 2019, par le journal l’Humanité

 

(*) L’incident a été, en permanence, surveillé par un avion-espion américain.

Parmi les armes russes les plus efficaces qui aient été testées en Syrie, il en existe une qui date de l’époque soviétique. L’occupation des centres urbains syriens par les islamistes s’est faite grâce à des dizaines, voire des centaines de points d’appui.

Chaque point d’appui ’était l’équivalent d’une compagnie d’infanterie disposée dans plusieurs bâtiments situés aux intersections principales. Les bâtiments étaient reliés à des tunnels souterrains où il y avait suffisamment de fournitures et de munitions pour un an.

Il y avait de nombreux tireurs d’élite, des missiles antichars guidés, des canons sans rebond et le périmètre était entouré de champs de mines et d’engins explosifs improvisés.

Quand elles sont entrées dans ces centres urbains, les troupes de l’armée syrienne ont été bloquées. La seule solution était de les neutraliser un à un. Les bombardements aériens sur les points d’appui n’étaient pas efficaces, ne détruisant que les étages supérieurs.

De ce fait, la neutralisation des points d’appui était extrêmement difficile, entraînant la mort de nombreux soldats et détruisant des centaines de blindés de l’armée syrienne.

Avec l’implication de la Russie en Syrie, la neutralisation des points de soutien rebelles est devenue plus facile, grâce à la livraison d’un moyen de combat approprié, l’UR-77 meteorit (Zmey Gorynych). Les victoires éclair remportées par l’armée syrienne reposent sur l’utilisation intensive des systèmes russes UR-77.

L’UR-77 Meteorit est un véhicule blindé monté sur le châssis de l’obusier automoteur 2S1 Gvozdika de l’époque soviétique. A la place de la tourelle, les Russes ont monté une unité de lancement avec 1 tonne de charge explosive avec une disposition linéaire (LDCS : Linear Demolition Charge System). La charge est catapultée par des roquettes jusqu’à 100 mètres devant le véhicule. La détonation de l’explosif se fait avec un retardateur.

À l’origine, l’UR-77 était conçu pour créer des brèches dans les champs de mines, pour permettre à l’infanterie et aux blindés d’avancer. Mais l’UR-77 s’est révélé très efficace dans la lutte contre les mercenaires en Syrie.

En 1991, lors de la première guerre du Golfe, les Britanniques ont utilisé le système Giant Viper contre les fortifications irakiennes à la frontière entre le Koweït et l’Arabie Saoudite. L’infanterie de marine américaine a également utilisé de tels systèmes, le M58, en 2005 lors de combats contre les rebelles irakiens à Falloujah.

Valentin Vasilescu

Traduction AvicRéseau International

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Colombie – Assassinat systématique des leaders

janvier 21st, 2019 by Himelda Ascanio

En 2019, la persécution des organisations sociales et politiques, qui critiquent et protestent contre le régime, s’est intensifiée. Dans les attaques perpétrées aux quatre coins de la Colombie, de nombreux dirigeants sociaux continuent d’être tués ou grièvement blessés, à tel point que le régime a atteint le terrible objectif de tuer un dirigeant chaque jour.

Le schéma qui se répète, est identique, parce que :

1- Ils tuent les dirigeants des organisations qui protestent et s’opposent au régime.

2- Les auteurs des assassinats sont pour la plupart des tueurs à gages (sicarios) appartenant à des mafias et à des groupes criminels.

3- Qui commandite les crimes ? Ce sont les services de renseignements policiers et militaires, qui décident, qui éliminer chaque jour.

4- Le motif des crimes est la dépossession de terres, pour débarrasser un territoire des opposants aux projets miniers et pétroliers, hydroélectriques et agro-industriels ; ainsi que pour imposer la destruction forcée des cultures de coca par des fumigations de glyphosate.

Etre leader n'est pas un délit. Pas une mort de plus !

Etre leader n’est pas un délit. Pas une mort de plus !

En conclusion, ce plan systématique d’extermination des leaders populaires contient 4 éléments de base qui se répètent : le même type de victime, un seul agresseur, le même type d’agent ou d’auteur et un motif similaire pour le crime. C’est pourquoi nous sommes confrontés à un nouveau génocide politique perpétré par ce régime.

Il faut se souvenir que :

A) Jusqu’à la décennie des années 80 du siècle dernier, la décapitation des organisations populaires s’est faite ouvertement avec les Forces Armées.

B) Dans les années 1990, les escouades narco-paramilitaires, appelées Autodéfenses Unies de Colombie (AUC), ont été massifiées pour accomplir cette tâche.

C) Au cours de la première décennie de ce siècle, le massacre de dirigeants et d’humbles gens du peuple a été perpétré par le régime au moyen d’opérations secrètes, avec des exécutions extrajudiciaires appelées « faux positifs ».

D) Le Génocide actuel se fait au « goutte à goutte », un par un, mais sans arrêt chaque jour.

Cette dernière est la quatrième modalité d’extermination qui cherche à tuer dans le berceau toutes les expressions d’opposition organisée, pour ne pas les laisser se transformer en une puissante force politique alternative, qui déloge du pouvoir la vieille élite dominante de la Colombie.

Le plan d’extermination des leaders populaires s’intensifie

1) Luis Ángel Peña, tué à la machette le 1er janvier. Il a été procureur du Conseil Communal de Los Naranjos à La Macarena, Meta.

2) Gilberto Valencia, assassiné le 1er janvier à Suárez, Cauca. Il a participé à des processus sociaux et a encouragé le respect de l’Accord de Paix par la musique.

3) Wilmer Antonio Miranda, 34 ans, assassiné le 4 janvier. Il était cultivateur de coca et le leader de la substitution des cultures dans la municipalité de Cajibío, où une convention collective a été signée avec le gouvernement pour remplacer la coca. Il a été membre de l’Association des Travailleurs Paysans de Cajibío, de l’Association Nationale des Zones de Réserve Paysanne (Anzorc), de la COCCAM (Coordonnatrice nationale des producteurs de coca, de pavot et de marijuana) et de la Marche Patriotique.

4) José Rafael Solano, 58 ans, assassiné le 4 janvier. Il a été Président du Conseil d’Action Communale de la Vereda Puerto Jobo, à Saragosse, Antioquia, à 15 minutes du centre-ville de la municipalité d’El Bagre. La veille de sa mort, il avait accompagné la récupération d’un cadavre dans une ferme de Saragosse.

5) Wilson Perez, 34 ans, assassiné le 5 janvier. Il a été un membre actif du Conseil d’Action Communal de Los Cedros à Astilleros, municipalité de Hacarí. Il a passé quatre ans au Comité Sportif, deux autres au Comité des Travaux et il y a presque trois ans il a rejoint le Mouvement pour la Constituante Populaire (MCP) et intégré l’Association Paysanne de Catatumbo.

6) Maritza Isabel Quiroz, 59 ans, assassinée le 5 janvier par deux tueurs à gages qui sont venus chez elle, sur la route de San Isidro, dans le village de Bonda à Santa Marta, Magdalena. Elle était arrivée il y a 14 ans déplacée du village de Bajo Camagual, dans la municipalité de Ciénaga, lorsque son mari a été tué par des narco-paramilitaires. Elle faisait partie de l’Autorité Nationale Afro-colombienne (ANAFRO), où elle a été reconnue pour son leadership auprès des femmes afro, victimes du conflit. Elle a été déléguée de sa communauté dans la construction du Plan d’Action pour la Transformation Régionale (PATR) du PDET de la Sierra Nevada et Perijá.

art-1-17) Miguel Antonio Gutiérrez, 40 ans, assassiné à son domicile le 7 janvier. Il a été président du Comité d’Action Communale du quartier de La Victoria, à Cartagena del Chairá. Il a été assassiné le 7 janvier.

8) Faiber Manquillo, 30 ans, était porté disparu depuis le 26 décembre dernier. Le corps sans vie de ce leader de Mercaderes, Cauca, a été retrouvé le 4 janvier dans une zone rurale du département de Nariño, à deux heures de son lieu de résidence.

9) Dima Parada, 40 ans, a été grièvement blessé lors d’un délit de fuite le 4 janvier. Il est l’un des dirigeants de Hacarí, dans le Nord de Santander, président d’ASOJUNTAS. A Catatumbo, il est reconnu comme leader du Comité d’Intégration Sociale de Catatumbo (CISCA), du Coordinateur National Agraire et du Congrès des Peuples.

10) Alfamir Castillo Bermúdez, dans la nuit du 11 janvier, a été attaquée par deux tueurs à gages à moto alors qu’elle se déplaçait dans un camion blindé entre Palmira et Pradera, dans le Valle del Cauca. Elle est la mère de Darbey Mosquera Castillo, l’une des victimes d’exécutions extrajudiciaires ou de faux positifs, perpétrées par le 57ème Bataillon de Contre Guerrilla de l’armée d’État. Mme Castillo est bénéficiaire de mesures de précaution accordées par la CIDH depuis le 17 octobre 2012.

11) Leonardo Nastacuas Rodríguez, 36 ans, assassiné le 12 janvier, chef autochtone du Resguardo de Cuascuabi du peuple Awá, dans la municipalité de Ricaurte, à Nariño. Des tueurs à gage sont arrivés chez lui et lui ont tiré dessus plusieurs fois. Deux membres du même groupe ethnique ont été assassinés cette année.

Ne vous laissez pas aveugler par les « rideaux de fumée »

La réponse de l’État, pour dissimuler son omission, sa paternité ou sa complicité dans cette persécution politique, est de mettre des « écrans de fumée », déformant la réalité, minimisant la gravité des faits et accusant les autres d’être les principaux auteurs de ce massacre de leaders.

Dans des déclarations irresponsables, le chef de l’Unité Nationale de Protection (UNP) assure que les victimes assassinées « n’avaient signalé aucune menace ». Alors qu’il s’agit d’une obligation constitutionnelle de l’État de préserver la sécurité et l’intégrité des Colombiens et donc la paix.

Pour les familles des victimes, ces explications n’ont aucune crédibilité et, au contraire, elles accusent le gouvernement de vouloir cacher ce qu’elles considèrent comme une extermination systématique, comparable au génocide perpétré contre l’Union Patriotique.

En ce sens, vu la gravité de l’affaire, il est nécessaire et urgent que la société colombienne continue de rejeter toute forme d’agression et de persécution du mouvement social, que les mobilisations et le développement de ses propres mesures de protection se poursuivent, afin que la vie de ces communautés et de leurs dirigeants ne soit plus en danger ; de même, ces plaintes doivent être portées devant la communauté internationale, afin que des enquêtes puissent être menées et des mesures efficaces mises en place pour arrêter ce génocide.

Himelda Ascanio

 

Article original en espagnol : El asesinato sistemático de líderes, sí lo hace el régimen, Rebelión, le 19 janvier 2019

Traduit par Pascal, revu par Martha pour Réseau International

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Le gouvernement libéral du Canada et les médias institutionnels ont intensifié leurs dénonciations de la Chine avant le Forum économique mondial à Davos, en Suisse. La campagne, lancée avec l’arrestation le 1er décembre par les autorités canadiennes de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, la plus grande entreprise technologique de Chine, vise à aligner pleinement l’élite dirigeante canadienne sur ligne de confrontation agressive de l’impérialisme américain envers Pékin, tant sur le plan économique que militaire.

Jeudi, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a déclaré que la délégation canadienne à Davos soulèverait la question de deux Canadiens sous garde à vue chinoise avec d’autres participants et leur demanderait de s’exprimer publiquement contre Pékin. Elle fait référence à l’ancien diplomate Michael Kovrig et à l’homme d’affaires Michael Spavor, qui ont été détenus en Chine dans les jours qui ont suivi l’arrestation de Meng et accusés de mettre en danger la sécurité nationale.

Un troisième Canadien, Robert Schellenberg, qui a récemment été condamné à 15 ans de prison pour une infraction liée à la drogue, a vu sa peine être rapidement transformée en peine de mort, lundi dernier, dans ce que le gouvernement canadien qualifie de représailles supplémentaires pour l’arrestation de Meng. Le premier ministre Justin Trudeau et Freeland ont tous deux publié des déclarations appelant à la clémence pour Schellenberg, le premier ministre dénonçant l’application de la peine de mort comme «arbitraire».

Freeland s’est vanté que le Canada a déjà obtenu des déclarations publiques dénonçant la Chine, notamment des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Union européenne, de la France et de l’Allemagne. Pour sa part, la Chine a attaqué le Canada pour avoir internationalisé la question des trois Canadiens détenus et a exigé qu’Ottawa respecte la souveraineté des tribunaux chinois.

L’arrestation de Meng, survenue le jour même où le président américain Donald Trump rencontrait le président chinois Xi Jinping en marge du sommet du G-20 pour négocier une solution au conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, était sans précédent dans son effronterie. Même l’ancien vice-premier ministre libéral John Manley a reconnu qu’il aurait peut-être été plus sage d’avertir discrètement Meng de ne pas traverser le Canada en avion afin d’échapper à l’extradition américaine. L’administration Trump, qui a instigué l’arrestation de Meng, demande son extradition pour de fausses accusations de fraude bancaire liées aux sanctions illégales de Washington contre l’Iran. Si elle est déportée et condamnée, Meng risque 30 ans de prison.

Le gouvernement canadien estime qu’il peut agir de façon aussi provocatrice parce que sa diabolisation de la Chine s’inscrit dans une offensive plus large contre Pékin menée par l’impérialisme américain. Jeudi, un reportage a révélé que les États-Unis envisagent d’inculper Huawei de vol de secrets commerciaux, ce qui marquerait une escalade majeure du conflit entre Washington et Pékin. Les autorités allemandes ont également indiqué que Berlin envisage d’interdire Huawei de son réseau 5G.

Ces mesures s’inscrivent dans le contexte de l’intensification de la volonté de Trump à isoler économiquement la Chine. Des droits de douane sur des importations chinoises d’une valeur de 200 milliards de dollars ont été imposés par Trump, ainsi qu’une interdiction pour les agences gouvernementales américaines de faire des affaires avec Huawei pour des raisons de sécurité nationale. Cela s’est accompagné de commentaires de partisans de la stratégie agressive de Trump appelant l’économie américaine à se «découpler» du commerce avec la Chine, une politique qui rappelle le protectionnisme des années 1930 qui a joué un rôle majeur dans la préparation de la Deuxième Guerre mondiale.

L’élite dirigeante américaine, soutenue par son allié canadien, est déterminée à empêcher la montée de la Chine comme rival économique, une montée qui remet en question l’hégémonie mondiale des États-Unis. Ce faisant, Washington ne s’appuie pas seulement sur des moyens économiques, mais il est plus que prêt à recourir à une guerre totale. En octobre dernier, le vice-président Mike Pence a prononcé un discours belliqueux dans lequel il s’est prononcé contre l’expansion chinoise et a juré que les États-Unis se préparaient à un conflit militaire direct avec la Chine – un conflit qui serait combattu avec des armes nucléaires.

Ayant été le partenaire militaire stratégique le plus proche de l’impérialisme américain pendant plus de sept décennies, l’impérialisme canadien joue un rôle clé dans ce programme agressif. Elle est intimement impliquée dans les opérations militaires américaines en Asie-Pacifique depuis le «pivot» de l’administration Obama en Asie. Cela comprend un accord secret avec l’armée américaine sur la gestion conjointe des ressources et le déploiement de navires et de personnel canadiens dans la mer de Chine méridionale et la péninsule coréenne, qui sont très instables. En 2017, le gouvernement libéral a également identifié la Chine comme une «menace mondiale» dans sa nouvelle politique de défense.

Cependant, des fractions des establishments américains et canadiens, dirigées par les chefs du renseignement militaire et les médias institutionnels, demeurent insatisfaites de du Canada, qui ne serait pas allé assez loin dans sa lutte contre Pékin. Soulignant le caractère bipartite de la campagne anti-Chine aux États-Unis, le sénateur Mark Warner, vice-président du Comité sénatorial du renseignement, et le sénateur républicain Marco Rubio ont tous deux affirmé que si le Canada ne bannissait pas Huawei de son réseau 5G, comme l’ont fait les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, cela entrainerait une dégradation du partage du renseignement entre Washington et Ottawa.

Ward Elcock, ancien directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, le principal organisme d’espionnage du pays, a déclaré jeudi au Globe and Mail que de telles menaces des États-Unis doivent être prises au sérieux. Dans le même article du Globe, on pouvait lire que le directeur adjoint du renseignement au SCRS, Michael Peirce, avait lancé en octobre dernier un avertissement aux universités de recherche du Canada au sujet de la possibilité de faire affaire avec Huawei.

Pour certains, même l’interdiction de Huawei, qui coûterait des centaines de millions de dollars aux fournisseurs de services de télécommunications canadiens pour remplacer les équipements fabriqués par Huawei, n’irait pas assez loin. Dans le Toronto Star, le chroniqueur d’affaires David Olive a exhorté le gouvernement Trudeau à rompre les liens diplomatiques avec Pékin au sujet de leur détention de Kovrig et Spavor. «La Chine a besoin de savoir avec force que son traitement brutal continu de Canadiens leur coûtera cher», a écrit Olive. «C’est le moment de rompre les relations diplomatiques avec la Chine. Il convient également qu’Ottawa révoque son approbation du mégaprojet de 40 milliards de dollars de LNG Canada en Colombie-Britannique, à moins que la société d’État PetroChina ne renonce à sa participation dans le consortium.»

Dans le National Post néoconservateur, Kelly McParland a attaqué la Chine pour son attitude «grossière, menaçante et irascible».

La presse bourgeoise a exacerbé encore plus le conflit entre le Canada et la Chine depuis l’arrestation de Meng. Le National Post et le Globe ont tous deux explicitement salué sa détention comme une occasion de faire évoluer l’opinion publique sur la politique du Canada envers la Chine. Bien que d’importantes sections de l’élite dirigeante fassent pression depuis un certain temps pour un accord de libre-échange avec Pékin pour ouvrir de nouveaux marchés aux exportations canadiennes d’énergie et de matières premières, les derniers mois ont démontré que l’écrasante majorité de l’establishment soutient sans réserve la campagne provocatrice anti-Chine de Washington.

Incapable d’appeler la classe ouvrière internationale à s’opposer à l’assaut impérialiste contre la Chine, le régime de Pékin, qui représente les intérêts d’une riche oligarchie capitaliste, a réagi en promouvant le nationalisme réactionnaire. Lors d’une conférence de presse jeudi, l’ambassadeur de Chine au Canada, Lu Shaye, a promis que Pékin riposterait contre le Canada s’il interdisait Huawei. «J’espère que les fonctionnaires canadiens et les autorités et organismes compétents prendront une sage décision sur cette question», a déclaré Lu. «Mais si le gouvernement canadien interdit à Huawei de participer aux réseaux 5G, je pense qu’il y aura des répercussions.»

En réponse à l’appel du gouvernement Trudeau à la libération des Canadiens arrêtés, Lu a dénoncé le Canada pour «suprématie blanche» et «égoïsme occidental». Pékin a également émis un avertissement à l’intention des voyageurs chinois en visite au Canada.

Roger Jordan

Article paru en anglais, WSWS, le 19 janvier 2019

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S’exprimant jeudi au Pentagone, le président Donald Trump a annoncé la plus grande expansion des forces de défense antimissile américaines depuis l’échec du programme « Star Wars » (Guerre des étoiles) de Ronald Reagan.

Cette annonce est la dernière étape d’une course mondiale aux armements nucléaires où les États-Unis, la Russie et la Chine augmentent rapidement leurs arsenaux nucléaires, alors même que l’administration Trump s’apprête à lever toutes les restrictions sur le développement, le déploiement et l’utilisation des armes nucléaires.

Trump a accéléré un programme de modernisation nucléaire de mille milliards de dollars mis en place sous Obama, tout en accélérant le développement de nouveaux bombardiers stratégiques américains, de sous-marins nucléaires et d’armes nucléaires « à faible puissance » qui sont plus susceptibles d’être utilisées au combat.

En même temps, la Maison-Blanche a annoncé l’intention des États-Unis de se retirer du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) de 1987 alors qu’ils se préparent à cerner la Russie et la Chine de missiles nucléaires et classiques à courte et moyenne portée.

Le Système de défense Utskyting av à mi-parcours au sol, 26 janvier 2013 (photo: MDA)

Alors que la stratégie américaine de défense antimissile prétendait auparavant être une défense contre les actions des petits États comme la Corée du Nord et l’Iran, l’examen de cette année de la défense antimissile cible plus directement la Russie et la Chine. Comme l’a écrit le groupe de réflexion du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) : « Pour la première fois, le document met la Russie et la Chine dans la même phrase que les défenses antimissiles, rendant explicite ce qui a été implicite jusqu’ici. »

S’exprimant jeudi au Pentagone, M. Trump a déclaré que « les adversaires, les concurrents et les régimes voyous étrangers améliorent constamment leurs arsenaux de missiles… Leurs arsenaux sont de plus en plus importants et puissants. »

Les remarques de M. Trump font écho aux thèmes du rapport du Pentagone qu’il présentait. « La supériorité militaire n’est pas un droit de naissance », affirme le rapport. « Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur et l’urgence des changements nécessaires pour renouveler notre supériorité en matière de défense conventionnelle et antimissile. »

Le rapport poursuit en menaçant : « À nos concurrents : Nous voyons ce que vous faites et nous agissons. »

Le Congrès a approuvé 10,3 milliards de dollars pour l’agence américaine de défense antimissile au cours du présent exercice, un chiffre qui devrait monter en flèche si les plans de Trump sont mis en œuvre.

Lors de sa comparution au Pentagone, Trump n’a pas tenté de cacher le fait qu’il utilisait la perspective de milliards de dollars de financement militaire supplémentaire pour solliciter un soutien politique. Répondant aux applaudissements alors qu’il montait sur le podium, Trump a déclaré à l’auditoire de militaires : « Vous ne faites cela que parce que je vous ai donné le budget le plus important de notre histoire. Et je l’ai fait deux fois. Et ça m’embête de le dire au reste du monde, mais je vais le faire trois fois. C’est la seule raison pour laquelle vous m’avez accueilli si gentiment. »

Malgré l’amère guerre entre factions à Washington, il existe un accord bipartite écrasant sur l’expansion vaste et perpétuelle de l’armée. En juin dernier, le Sénat a approuvé, par 85 voix contre 10, une augmentation de 82 milliards de dollars du budget du Pentagone, portant les dépenses annuelles à 716 milliards. Les niveaux colossaux des dépenses militaires ne sont presque jamais discutés dans les médias et l’argent est alloué sans question.

Le détournement de fonds vers les crédits militaires et les poches des industriels de la défense est encore plus éhonté dans le domaine de la défense antimissile que dans d’autres types de dépenses militaires, car l’efficacité de la défense antimissile est, selon les experts, largement illusoire.

La défense antimissile est « l’escroquerie la plus ancienne de l’histoire du département de la défense », a écrit Joseph Cirincione, président du Ploughshares Fund, et « le nouveau rapport annuel sur la défense antimissile poursuit cette fière tradition. »

Depuis que le président Reagan a annoncé pour la première fois son projet « Star Wars », les États-Unis ont dépensé quelque 300 milliards de dollars en systèmes de défense antimissiles. Cirincione a observé qu’« une décennie après le début de la Guerre des étoiles, après avoir dépensé des dizaines de milliards de dollars en lasers à rayons X, armes à énergie dirigée, armes à faisceau de particules, intercepteurs kinétiques basés dans l’espace et « brillant pebbles » [galets brillants – un concept finalement abandonné de milliers de petits missiles autonomes en orbite au-dessus de la Russie qui intercepteraient les missiles nucléaires dès leur lancement], le Pentagone a été forcé de conclure qu’aucun de ces concepts fantaisistes ne fonctionnerait. Nous nous sommes retrouvés avec un concept d’intercepteurs terrestres limités, capables d’intercepter une ou deux ogives primitives de longue portée. »

Mais l’efficacité extrêmement limitée des systèmes de défense antimissile américains n’a pas empêché Trump de faire de grandes déclarations sur les capacités américaines. « Notre objectif est simple : faire en sorte que nous puissions détecter et détruire tout missile lancé contre les États-Unis n’importe où, n’importe quand et à n’importe quel endroit », a-t-il dit.

« Nous détruirons tout type d’attaque de missile contre toute cible américaine, que ce soit avant ou après le lancement », a-t-il ajouté.

En réalité, les défenses antimissiles américaines actuelles ne sont pas capables de détruire de manière fiable les ICBM (missiles balistiques intercontinentaux) modernes possédés par la Russie ou la Chine, encore moins la nouvelle génération de véhicules de rentrée hypersoniques que les deux pays sont en train de déployer.

Les déclarations de Trump reflètent les deux caractéristiques les plus essentielles de la politique militaire américaine depuis la chute de l’Union soviétique : un orgueil sans bornes, souvent illusoire, et un manque total de retenue. Compte tenu de la série de chèques en blanc que le Congrès continue de signer, il est probable que l’annonce de Trump sera le début d’un nouveau grand projet de type « Star Wars » complètement inutile mais fournissant des centaines de milliards de dollars de plus pour des propositions fantaisistes.

Cependant, l’efficacité douteuse de ces initiatives n’en diminue pas moins leurs implications mortelles. L’ensemble du programme s’inscrit dans le cadre de l’accélération des préparatifs en vue d’une guerre nucléaire, dans laquelle l’impérialisme américain se prépare à utiliser des armes nucléaires de manière offensive.

Malgré tout l’argent que le nouveau système de défense antimissiles de Trump consommera, le principal mécanisme pour s’assurer qu’aucun missile n’atteindra les États-Unis en cas de guerre est la menace de détruire le territoire entier d’un adversaire potentiel avec des armes nucléaires. « Les États-Unis continueront de compter sur la dissuasion nucléaire pour les attaques nucléaires stratégiques des grandes puissances », déclare le CSIS.

L’objectif central de la Nuclear Posture Review (Revue de la position nucléaire) de l’administration Trump, publiée l’année dernière, était de décomplexer l’utilisation des armes nucléaires en élargissant l’éventail des scénarios possibles où le président pourrait réagir par une frappe nucléaire.

Comme de nombreuses études l’ont clairement montré, un échange nucléaire entre les États-Unis et la Russie ou entre les États-Unis et la Chine, au-delà d’un bilan initial de centaines de millions de morts, entraînerait un phénomène climatologique appelé un hiver nucléaire, entraînant une baisse durable des températures mondiales qui rendrait l’agriculture impossible et détruirait toute l’espèce humaine.

Andre Damon

Article paru en anglais, WSWS, le 19 janvier 2019

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