Les femmes et filles autochtones au Canada et aux États-Unis auront-elles un jour la justice et reconnaissance qu’elles méritent ? Wikimedia, CC BY-SA

En tant qu’Amérindienne récemment arrivée au Canada, j’ai été attristée de constater que le racisme systémique et insidieux dont sont victimes les femmes et les filles autochtones aux États-Unis se manifeste également de l’autre côté de la frontière. Ma nouvelle résidence provinciale, la Colombie-Britannique, compte la plus forte proportion de femmes et de filles autochtones du Canada assassinées et disparues.

J’ai encore besoin de temps pour évaluer et assimiler le rapport final sur l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées publié la semaine passée, et intitulée Réclamer notre pouvoir et notre place. Le rapport compte plus de 1 200 pages et comprend plus de 230 recommandations.

Je me réjouis qu’au Canada un tel effort ait été accompli et qu’après un travail de longue haleine, un tel comité et son rapport aient vu le jour, et aient été salués publiquement, courageusement.

Le premier ministre Justin Trudeau – et le Canada – ont reconnu le terme de génocide pour qualifier le phénomène de meurtres et disparitions en série de femmes et filles autochtones. Gatineau, Québec. Andrew Meade/AFP

Cela n’a certainement pas été le cas aux États-Unis qui ont brillé par un manque d’indignation morale.

Le rapport a en effet conclu non sans fracas et après un long cheminement que les meurtres et disparitions de femmes amérindiennes (y compris Métis et Inuit) constituaient un génocide.

Le terme a suscité une forte controverse au Canada.

Peut-être que cela secouera l’opinion et la sortira de leur complaisance.

Aux États-Unis, une femme amérindienne sur trois est violée au cours de sa vie

Les meurtres et les disparitions de femmes et de filles autochtones se produisent à un rythme effarant des deux côtés de ce que les Premières Nations ont appelé la Medicine Line, frontière entre les États-Unis et le Canada.

Aux États-Unis, les niveaux de violence envers les femmes amérindiennes et autochtones de l’Alaska sont beaucoup plus élevés que dans la population générale.

Dans de nombreuses réserves et comtés, les taux d’homicides parmi ces femmes sont plus de 10 fois supérieurs à la moyenne nationale.

Selon un rapport de février 2017 du National Congress of American Indians, une femme amérindienne ou autochtone d’Alaska sur trois est violée au cours de sa vie ; 86 % des auteurs sont habituellement des non-Indiens.

Les auteurs d’infractions sont rarement arrêtés, poursuivis ou arrêtés. Et cette information ou épidémie est rarement rapportée dans les médias.

 

 

Le film Wind River (2017) dépeint la détresse juridique, sociale et identitaire des femmes autochtones en Amérique du Nord.

Vide juridique

Les causes profondes, bien qu’elles soient largement semblables à celles que l’on trouve au Canada, sont également enchâssées dans le droit américain. Les États-Unis se sont dotés de lois datant des années 1880, permettant l’éclatement progressif des territoires, leur occupation, leur appropriation par des colons non-Indiens ainsi que la libre circulation de ces derniers dans les réserves.

Certains vides juridiques, par exemple celui interdisant des tribunaux autochtones de juger des non-Autochtones. Par ailleurs la police autochtone ne peut détenir au-delà d’un an des non-Autochtones et n’a pas juridiction sur ces individus. Ces phénomènes ont permis à des hommes de commettre des agressions sexuelles et des viols dans les réserves sans être réellement inquiétés. Certains ont requalifié de « chasse ouverte »» sur les femmes autochtones. Le sujet a été notamment traité par l’universitaire Amy Casselman.

Répartition de la population amérindienne par district (county) aux États-Unis, 2016. Wikimedia, CC BY-ND

L’impunité relative de ces crimes s’est traduit par des séries de meurtres ou de disparitions fréquentes, non élucidés.

Une autre raison expliquant l’ampleur de ces crimes est l’insuffisance des ressources policières au sein des réserves. Ma tribu, par exemple, connue sous le collectif des Nations Mandan, Hidatsa et Arikara, les Trois Tribus associées, est propriétaire d’une réserve d’un million d’acres (490 000 hectares), ce qui équivaut à un petit État. Les forces de police tribales sont partagées d’un extrême à l’autre, avec seulement deux douzaines d’agents de police pour couvrir cette vaste zone. Cette situation est similaire à celles qui existent dans d’autres réserves américaines.

Abandon d’un projet de loi pour protéger les victimes

Contrairement au Canada, il n’y a pas eu d’enquête nationale aux États-Unis. Très peu a été fait pour s’attaquer à ces réalités choquantes et tristes au niveau fédéral. L’an dernier, le « Savanna’s Act » proposait que le ministère de la Justice mette à jour les bases de données fédérales relatives aux cas d’Amérindiens disparus et assassinés afin d’y inclure les renseignements sur l’inscription ou l’affiliation tribale des victimes.

La loi visait également à créer des protocoles et des formations pour les forces de l’ordre et autres, ainsi que des consultations avec les tribus.

Pour diverses raisons, le projet de loi n’a pas été adopté par les deux chambres et a été bloqué.

Une femme autochtone canadienne embrasse le rapport final de l’Enquête nationale sur les disparitions et meurtres de femmes et filles autochtones lors d’une cérémonie publique au Musée de l’Histoire à Gatineau, Québec le 3 juin. Le rapport a conclu au génocide. Andrew Meade/AFP

Exiger une action nationale

Mais il y a de l’espoir. Les législateurs des États américains, en particulier ceux devant gérer des réserves, se sont manifestés. Le représentant de l’état du Buffalo a déjà présenté deux projets de loi sur les peuples autochtones disparus et assassinés.

Le Minnesota, le Montana, le Nevada, le Dakota du Sud et l’État de Washington ont également adopté des lois pour s’attaquer aux violences qui ravagent la vie des femmes et filles autochtones.

Le projet de loi introduit les concepts les plus fondamentaux de la collecte de données exactes et à jour, du partage de ces données avec le FBI et d’autres bases de données, ainsi que le projet d’une formation ciblée sur les cas de disparitions et de meurtres mentionnés dans l’ Enquête nationale canadienne à l’intention des services de police et d’autres intervenants.

Bien que ces développements soient louables, ces États ne représentent que six des 34 États qui détiennent ensemble 573 nations tribales reconnues par le gouvernement fédéral. Quant au Congrès américain et aux autres dirigeants fédéraux, ils devraient prendre exemple sur le Canada afin d’apporter une réponse nationale à ce que je considère comme une épidémie.

La commissaire en chef de l’enquête, Marion Buller, Musée d’Histoire de Gatineau, Québec le 3 juin 2019. Andrew Meade/AFP

Une éducation continue au Canada

Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées propose que les éducateurs et les établissements d’enseignement supérieur informent le grand public de cette crise et présentent les causes profondes de la violence qu’elles subissent.

Cette éducation doit inclure les vérités historiques et actuelles sur le génocide contre les peuples autochtones par le biais des lois, des politiques et des pratiques coloniales des États.

Il devrait inclure, sans s’y limiter, l’enseignement de l’histoire, du droit et des pratiques autochtones du point de vue des Autochtones.

Un guide à l’intention intitulé Leurs voix nous guideront devrait également être largement diffusé afin d’enseigner aux plus vulnérables, adolescents et enfants, les fondements du respect de soi et des autres et les sensibiliser aux violences dont ils peuvent faire l’objet.

En tant qu’Américaine d’ascendance indienne qui a vécu des deux côtés de la Medicine Line, j’espère vivement que les deux pays s’engageront bientôt pleinement dans l’apprentissage de ce fléau horrible et pourtant évitable de la violence envers mes sœurs, et qu’ils prendront les mesures décisives nécessaires pour l’éliminer.

Margaret Moss

Margaret MossProfesseur agrégé et directeur de la House of Learning des Premières nations, Université de la Colombie-Britannique

 

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Le Pentagone a annoncé mercredi que l’administration Trump détiendra 1400 enfants immigrants sur le site d’un camp d’internement de Japonais datant de la Seconde Guerre mondiale, à la base militaire de Fort Sill à Lawton, en Oklahoma.

La décision, annoncée mardi alors que Trump dénonçait les immigrants et le socialisme lors d’un rassemblement en Iowa, est une manœuvre politique calculée.

«L’immigration est vraiment l’enjeu déterminant de 2020», a déclaré Trump à Des Moines peu après l’annonce du Pentagone. «En matière d’immigration, les démocrates ne représentent plus les citoyens américains… Le Parti démocrate est devenu le parti socialiste».

Fort Sill, en Oklahoma

La décision de rouvrir le camp d’internement de Fort Sill est un autre jalon dans l’effondrement des formes démocratiques de gouvernement. De surcroît, le gouvernement fait revivre les pires crimes de l’histoire américaine en tant que politique officielle de l’État. C’est un signal aux partisans d’extrême droite de Trump que le gouvernement est prêt à adopter des formes de gouvernement plus ouvertement dictatoriales.

«C’est un coup bas pour nous que de répéter l’histoire de la sorte», a déclaré David Inoue, directeur général de La ligue des citoyens américains d’origine japonaise au World Socialist Web Site.

«Ceux qui ont été incarcérés parce qu’ils étaient Japonais retournent souvent dans les camps lors de pèlerinages pour exiger que de tels endroits soient reconnus pour les torts flagrants qui y ont été commis. Maintenant, d’autres injustices vont se produire à ces mêmes endroits. Le traumatisme infligé à ces enfants immigrés durera des générations».

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Fort Sill a accueilli quelque 700 Américains d’origine japonaise, dont des citoyens américains et des immigrants de première génération, connus sous le nom d’Issei. Pendant l’internement des Japonais, Fort Sill était connu pour ses violentes tempêtes de vent et ses températures incroyablement chaudes. Les températures maximales moyennes en juillet sont de 36 degrés Celsius.

Entre 1942 et 1946, le gouvernement américain a emprisonné 120.000 personnes dans des camps d’internement à travers le pays sans procès. L’internement a été initié par le décret 9066 du président démocrate Franklin D. Roosevelt le 12 février 1942.

Enfants internés, 1943

L’internement en masse avait été «légalisé» par la loi de 1940 sur l’enregistrement des étrangers, également connue sous le nom de loi Smith. Quelques mois avant le début de l’internement massif des Américains d’origine japonaise, la loi a été utilisée pour la première fois pour poursuivre 29 membres du Parti socialiste des travailleurs (SWP) lors du procès de Minneapolis pour sédition en 1941. Le procès s’est terminé moins de huit semaines avant le décret exécutif 9066, lorsque 18 trotskystes ont été condamnés à la prison fédérale pour s’être opposés à l’intervention américaine dans la Seconde Guerre mondiale.

Fort Sill a été le site d’un des nombreux meurtres perpétrés par les gardiens de prison de l’armée américaine pendant l’internement. L’Encyclopédie de l’internement des Américains d’origine japonaise explique:

«Le 12 mai 1942, Kanesaburo Oshima, un barbier de l’île d’Hawaii, escalada la clôture extérieure en barbelés en plein jour en criant: “Je veux rentrer chez moi!” Un garde a aboyé un avertissement, tandis qu’un autre a abattu Oshima devant ses amis qui avaient imploré qu’on leur permette de l’aider à descendre de la clôture et à retourner au camp. Oshima était déprimé, ont révélé ses amis. Il avait dû quitter sa femme et ses 12 enfants qui avaient peu de moyens de subsistance».

Aux funérailles d’Oshima étaient présents «tous les Américains d’origine japonaise de Fort Sill. Il y avait aussi des gardes de l’armée avec des mitrailleuses pointées sur les personnes en deuil parce qu’ils craignaient un soulèvement».

Dans le livre: «Life Behind Barbed Wire» (La vie derrière les barbelés), un interné se souvient: «Cette nuit-là, un interné du continent souffrant de troubles mentaux a succombé à un choc à la suite de la mort de M. Oshima. Le camp devint encore plus mélancolique».

Camp d’internement de Manzanar en Californie

L’armée qualifie le nouveau camp d’«abri temporaire d’urgence», un écho dystopique de la décision de la «US Army War Relocation Authority» (l’Authorité de l’armée américaine pour la relocalisation en temps de guerre) d’appeler les camps d’internement des Américains d’origine japonaise des «centres de relocalisation».

Contrairement aux internés de la Seconde Guerre mondiale, les nouveaux internés seront isolés de leurs parents et se verront refuser les droits de visite de base. Ils ne recevront pas non plus d’éducation ou de loisirs pendant leur détention. Les internés japonais organisaient leurs propres ligues de baseball pour réduire l’isolement et l’ennui de leur détention illégale. Cette fois-ci, l’administration Trump a refusé de permettre aux enfants immigrés de jouer au soccer sur le terrain externe des camps d’internement actuels.

Cette décision souligne qu’aucun droit démocratique, aussi fondamental soit-il, ne peut être défendu par le Parti démocrate. En 1993, le président de l’époque, Bill Clinton, a fait une déclaration dans laquelle il proposait: «une apologie sincère auprès de vous pour les actes qui ont injustement privé les Américains d’origine japonaise et leur famille de libertés fondamentales pendant la Seconde Guerre mondiale… Rétrospectivement, nous comprenons que les actions de la nation étaient profondément enracinées dans les préjugés raciaux, l’hystérie du temps de guerre et le manque de direction politique».

Vingt-cinq ans plus tard, ces déclarations se sont révélées dénuées de sens. Le Parti démocrate a répondu en silence à l’annonce du Pentagone. Les démocrates se trouvent poussés par leur propre hystérie proguerre, dirigée principalement contre la Russie. L’enfermement d’enfants d’immigrés en vertu d’une déclaration présidentielle d’«urgence nationale» de Trump est le produit logique d’un État permanent de sécurité nationale établi dans la «guerre contre le terrorisme» bipartite.

C’est le président démocrate Barack Obama qui a temporairement détenu des enfants immigrants à Fort Sill en 2014 et qui a déporté plus d’immigrants que tous les présidents précédents réunis. À la publication de cet article, les «socialistes» démocrates Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders n’avaient rien dit sur l’internement d’enfants immigrés à Fort Sill.

Eric London

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Camp d’internement de Fort Sill

Les visages de mes enfants endormis, je ne leur dirai pas au revoir et je ne les oublierai pas… Prisonnier des ténèbres et de la rage. En cette nuit de pluie sans fin.

-Muin Ozaki, interné à Fort Sill

 

 

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 13 juin 2019

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Un horrible massacre a eu lieu dans la nuit de dimanche à lundi, tôt le matin, dans la ville de Sobane Kou, au centre du Mali. Au moins 95 habitants de la ville ont été massacrés, dont des femmes et des enfants, mais beaucoup d’autres sont toujours portés disparus. Il s’agit du plus récent d’une série de massacres sectaires de plus en plus nombreux. Ils sont produits par les politiques prédatrices de l’impérialisme dans toute la région, surtout de la part de la France et de l’Allemagne, et l’occupation néocoloniale du Mali et du Sahel.

Personne n’a revendiqué le massacre du dimanche soir, qui visait un village habité par la communauté ethnique Dogon. On soupçonne toutefois qu’il s’agissait d’une mesure de représailles pour un massacre tout aussi brutal le 23 mars. Là, des combattants Dogon lourdement armés liés aux forces gouvernementales ont attaqué le village majoritairement musulman Peul d’Ogossagou, près de la frontière avec le Burkina Faso. Ils ont tué environ 160 personnes, dont des hommes, des femmes et des enfants, et en ont blessé plus de 50.

Le dénombrement officiel de 95 civils à Sobane Kou ne repose que sur les corps déjà retrouvés, la plupart ayant été gravement brûlés. Il est probable que le bilan s’alourdisse. La population officielle du village est de 300 habitants, mais un journaliste d’Al Jazeera a déclaré que lorsqu’un appel nominal a eu lieu lundi, «il n’y avait que quelques dizaines de personnes qui se sont présentées».

Un survivant de l’attaque de Sobane Kou, qui s’est présenté comme «Armadou Togo», a déclaré à l’AFP qu’«une cinquantaine d’hommes lourdement armés sont arrivés en moto et en camionnette. Ils ont d’abord encerclé le village, puis attaqué – tous ceux qui tentaient de s’échapper ont été tués… Certaines personnes ont été égorgées ou éviscérées, des entrepôts de céréales et du bétail ont été incendiés. Personne n’a été épargné: femmes, enfants, personnes âgées».

Un porte-parole de Dan Na Ambassagou, la milice Dogon soupçonnée d’avoir attaqué Ogossagou, a déclaré: «Nous sommes consternés… Après que les autorités auront inspecté le site, nous procéderons aux enterrements».

Un conflit croissant entre les communautés ethniques Peul et Dogon est en cours. Il y a six mois, un massacre dans le village peul de Koulongon a tué 39 personnes.

Le gouvernement malien de Bamako, méprisé par la population étant donné son rôle de marionnette corrompue des puissances impérialistes occidentales qui occupent le pays, a réagi au massacre de Sobane Kou en s’engageant à empêcher toute nouvelle effusion de sang. Le président Ibrahim Boubacar Keita a mis fin à une visite officielle en Suisse en déclarant à la radiotélévision publique locale que «le pays ne peut être construit avec un cycle de vengeance et de vendetta».

Mais la réalité est que l’effusion de sang est le résultat catastrophique des politiques agressives et militaristes des puissances impérialistes, surtout les États-Unis, l’Allemagne et la France, et leur gouvernement client à Bamako.

Les origines du conflit doivent être recherchées le plus immédiatement dans la guerre de l’OTAN en Libye en 2011, qui, avec le soutien des forces islamistes fondamentalistes de droite, a détruit le gouvernement du colonel Mouammar Kadhafi. Le résultat de cette guerre a été la destruction complète de la société libyenne. Le pays est maintenant dirigé par des milices rivales liées aux puissances impérialistes, qui maintiennent le pays dans un état de guerre civile depuis l’intervention de l’OTAN, soit depuis près d’une décennie.

Après la destruction du régime de Kadhafi, des milliers de combattants ont quitté la Libye et ont traversé le Sahara pour se rendre dans la région du Sahel, dont le Mali. Diverses milices rivales ont déclaré un État indépendant ou islamique dans le nord du Mali.

Paris a réagi en 2013 en lançant une nouvelle guerre pour occuper son ancienne colonie, l’un des pays les plus pauvres du monde, pour sauver le régime de Bamako et détruire les milices du nord du Mali. Depuis six ans, Paris s’enfonce dans un bourbier au Mali. Le président Emmanuel Macron a poursuivi la guerre, baptisée Opération Barkhane, initiée par le président du Parti socialiste (PS) François Hollande. Cette intervention impliquait une force d’occupation de 4500 soldats de la France et de soldats de cinq anciennes colonies françaises au Sahel: Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie et Niger.

Alors qu’il remilitarise rapidement sa politique étrangère, Berlin a approuvé des opérations militaires en soutien aux Français seulement deux mois après l’invasion française initiale. Le mois dernier, le parlement allemand a voté à une écrasante majorité pour prolonger l’occupation militaire du pays avec 1100 soldats jusqu’en 2020, pour un coût annuel de 400 millions d’euros.

Ces opérations n’ont rien à voir avec la protection de la population locale contre les milices islamistes, armées et financées par les services de renseignement américains et européens en Libye. Elles visent à soutenir le gouvernement fantoche de Bamako, à supprimer la résistance de la population rurale appauvrie et des travailleurs au gouvernement et à maintenir leur contrôle sur cette région riche en ressources.

L’intervention impérialiste au Mali a conduit directement à l’accroissement des tensions ethniques entre la communauté majoritairement musulmane Peule et les Dogons. Il y a de nombreux soupçons quant à l’implication de l’État dans les conflits ethniques qui éclatent actuellement. Le gouvernement malien a utilisé les milices Dogon dans la guerre menée par les Français contre les milices islamistes, qui ont recruté de manière disproportionnée parmi les Fulanis.

Selon certaines informations, une douzaine de membres de la sécurité en uniforme ont participé au massacre du 23 mars à Ogossagou. Dans le même temps, le gouvernement a annoncé qu’il dissoudrait la milice après ce massacre, mais cela ne s’est jamais fait. Il n’y a pas non plus d’informations qui font état de poursuites pénales liées à ces meurtres.

Cependant une opposition profonde et croissante de la population malienne se développe aux puissances impérialistes et au régime de Bamako. Après le massacre du 23 mars, des protestations et des grèves de dizaines de milliers de travailleurs et de résidents appauvris des campagnes ont éclaté. Elles ciblaient le gouvernement central et les forces d’occupation, que la population considérait comme responsables de ces attaques. Après une manifestation de dizaines de milliers de personnes le 5 avril dans la capitale, le gouvernement du premier ministre Soumeylou Boubèye Boubèye Maïga a dû démissionner.

Radio France Internationale-Afrique a fait état d’une vague d’opposition sur les médias sociaux à la guerre franco-allemande et à la mission militaire de l’ONU dans ce pays. «Quelle honte pour la mission de l’ONU au Mali», écrivait un utilisateur sur Twitter, tandis qu’un autre écrivait: «La percée au Mali sera le départ de la force de l’ONU et de la force Barkhane».

Will Morrow

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 12 juin 2019

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Lors d’une réunion privée avec les dirigeants iraniens, le chef suprême de la Révolution iranienne Sayyed Ali Khamenei a recommandé de suivre un plan en quatre étapes en réponse aux sanctions et aux menaces des USA.

La première étape proposée par Sayyed Ali Khamenei est que l’Iran exploite davantage ses ressources et réduise ses importations au minimum dans les prochaines années. Les importations de l’Iran varient de 40 à 65 milliards de dollars par an (en 2010, les importations iraniennes ont atteint 65,4 milliards de dollars; en 2017, elles s’élevaient à 51,6 milliards de dollars). Ces importations concernent principalement de la machinerie, des ordinateurs et de l’équipement téléphonique, des produits pharmaceutiques et des instruments médicaux, de la machinerie électrique, du blé, des céréales, du maïs, du riz et du soja, des véhicules de transport, du fer et de l’acier laminé à plat, et des produits chimiques organiques. Les Émirats arabes unis et la Chine sont les principaux partenaires commerciaux de l’Iran, qui comptent aussi la Corée du Sud, la Turquie et l’Allemagne. Les exportations de l’UE à l’Iran se chiffrent autour de 10 milliards de dollars par an.

La deuxième recommandation est que l’Iran se comporte comme s’il ne pouvait compter sur des amis loyaux qu’il connaît depuis longtemps. Le chef suprême de la Révolution a indiqué que les relations entre les pays devraient reposer sur l’intérêt mutuel plutôt que sur des considérations stratégiques. L’Iran devrait compter sur ses propres capacités à défendre son existence et sa pérennité, sans pour autant s’isoler. Certains pays pourraient être solidaires de l’Iran en raison d’avantages et d’intérêts communs, mais ces alliances devraient être envisagées comme étant liées aux circonstances et à la situation plutôt qu’être tenues pour acquises.

La troisième recommandation serait d’alléger la pression intérieure sur tous les partis politiques, ce qui comprend les réformateurs (Mehdi karroubi, Mir Hossein Mousavi, Zahra Rahnavard ). Les dirigeants iraniens accordent une importance capitale à l’unité nationale en cette période de crise qui pourrait durer encore cinq ans si Donald Trump est réélu. En outre, l’Iran a adopté une position commune en réponse aux sanctions des USA, des modérés comme le président Hassan Rouhani et son ministre des Affaires étrangères Jawad Zarif ayant adopté des positions fermes similaires à celles du Corps des gardiens de la Révolution iranienne.

La quatrième recommandation du grand ayatollah Ali Khamenei est qu’à l’avenir, l’Iran soit moins tributaire des revenus tirés de l’exportation du pétrole. Les livraisons de pétrole brut de l’Iran s’élèvent à 21-27 milliards de dollars, soit 4,3 % de la part du marché mondial. Le chef suprême iranien a proposé d’accroître le nombre de produits nationaux que l’Iran pourrait exporter, principalement, mais pas exclusivement, vers les pays voisins. Cette mesure vise à atténuer l’effet des sanctions des USA sur les exportations énergétiques iraniennes en place, non seulement depuis l’arrivée de l’administration Trump, mais sous toutes les administrations qui l’ont précédée suivant l’avènement de la « Révolution islamique » (1979).

Les dirigeants iraniens croient que les USA cherchent moins à affaiblir l’Iran que se servir des capacités militaires croissantes de Téhéran comme argument de vente pour obtenir plus de contrats de vente d’armes de leurs alliés du Moyen-Orient qui se voient comme les ennemis de l’Iran.

Ils croient également que les USA n’aimeraient pas tellement que l’Iran fasse de la Chine et de la Russie ses deux principaux partenaires stratégiques sur le plan commercial et militaire. Les USA préféreraient un accord global leur permettant d’avoir leur part du marché iranien et d’échanges bilatéraux.

Il ne fait aucun doute (c’est d’ailleurs l’avis des dirigeants iraniens) que Téhéran pourrait finir par accepter l’invitation des USA à s’asseoir à la table de négociations pour discuter de la présence de l’Iran en Syrie et de son influence dans d’autres pays du Moyen-Orient (Afghanistan, Irak, Liban et Yémen). Mais rien ne pourra se faire tant que Trump n’aura pas levé ses sanctions et reconnu l’accord sur le nucléaire.

Cependant, l’Iran sait très bien que Trump ne peut revenir sur sa décision pour des raisons électorales. Le président des USA a grimpé sur un arbre et ne sait pas comment redescendre. L’Iran peut aider Trump s’il est prêt à fermer les yeux sur les deux millions de barils de pétrole vendus quotidiennement par l’Iran, comme il le fait déjà pour la vente de plus de 30 millions de pieds cubes de gaz iranien à l’Irak. Les dirigeants iraniens suivent le précepte de Deng Xiaoping : « Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, tant qu’il attrape des souris ». Si Trump est plus intransigeant, l’Iran ne l’aidera pas à remporter un second mandat en 2020, bien au contraire. Il va plutôt contribuer à son échec.

En dépit de la volonté de l’Iran à négocier et à réduire le niveau actuel de tension, certaines lignes demeurent infranchissables : sa volonté à continuer de développer les capacités de ses missiles et son obligation de soutenir ses partenaires au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et en Afghanistan.

Le 7 juillet qui vient, l’avertissement de 60 jours prendra fin et l’Iran se prépare déjà à se retirer graduellement de l’accord sur le nucléaire. L’Europe semble jusqu’à maintenant peu disposée à s’interposer contre l’hégémonie et les sanctions des USA. Il serait étonnant que les dirigeants du vieux continent choisissent de se mettre à dos les USA pour 10 milliards de dollars d’échanges commerciaux avec l’Iran. Mais la question en cause n’est pas uniquement financière : ce serait la première fois que les pays européens qui, contrairement aux USA, professent leur adhésion aux normes du droit et de la justice, discréditeraient un accord qu’ils ont eux-mêmes négocié et révoqueraient des ententes internationales signées par leurs propres dirigeants. Ils n’ont pas encore mis en œuvre INSTEX, le mécanisme monétaire européen qui faciliterait les échanges commerciaux entre l’Europe et l’Iran en réponse aux sanctions des USA. L’Iran a d’ailleurs exprimé son mécontentement à l’égard de ce manque de volonté de l’Europe.

Yukiya Amano, qui est à la tête de l’Agence internationale de l’énergie atomique, a déclaré que l’Iran a accru ses niveaux d’enrichissement de l’uranium, ce qu’a confirmé ce dernier. Les sanctions des USA amènent l’Iran à multiplier les centrifugeuses (en l’absence de droits d’exportation) qu’il perfectionne (de IR1 à IR6), en menaçant même de créer des « chaînes d’IR8 ». Les USA affirment ne pas être concernés par l’accord sur le nucléaire après l’avoir abandonné au grand déplaisir des pays signataires, créant ainsi une source de tension militaire au Moyen-Orient, ce qui n’a pas empêché l’ambassadrice des USA à Vienne Jackie Wolcott d’accuser l’Iran de « violer l’accord, ce qui nous préoccupe tous grandement. »

Tout indique que l’été sera chaud au Moyen-Orient, bien qu’une guerre soit peu probable. Le bras de fer entre les USA et l’Iran sera en tête de liste des deux pays, qui ont ni l’un ni l’autre l’intention de jeter du lest pour apaiser les tensions. Le 7 juillet approche et d’autres surprises sont à prévoir. L’initiative est du côté de l’Iran et Trump et ses néocons n’ont d’autre choix que d’attendre la prochaine étape.

Elijah J. Magnier

Traduction de l’anglais : Daniel G.

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Entretien avec Khadija Ryadi, qui fut la première femme à occuper la présidence de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), autour de la situation des mouvements sociaux au Maroc.

Khadija Ryadi fut la première femme à occuper la présidence de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), fonction qu’elle occupa de 2007 à 2013. Créée en 1979, cette association fête ses 40 ans cette année, c’est une des deux plus anciennes ONG des droits humains dans le royaume. Khadija Ryadi a remporté le prix des Nations unies pour les droits de l’homme en 2013.

Pouvez-vous nous présenter l’Association marocaine des droits humains (AMDH) ?

L’AMDH travaille sur différents aspects économiques, sociaux, culturels, environnementaux ou encore civils et politiques, ainsi que les droits des femmes, des migrants, des enfants ou des handicapés. L’AMDH, qui compte environ 12 000 membres, dispose de trois sections en Europe et est implantée dans tout le Maroc avec 92 sections locales. L’AMDH est membre de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, le réseau Euro-méditerranéen des droits de l’homme (Euromed Droits), l’Organisation arabe des droits humain (Arab organization for human rights) et la Coordination maghrébine des organisations des droits humains dont je suis actuellement coordinatrice au nom de l’AMDH. L’AMDH se caractérise par son unique référentiel universel des droits de l’homme.

De passage à Bruxelles, vous êtes intervenue sur la question des prisonniers politiques. De quoi s’agit-il au juste ?

En effet, au Maroc, il y a actuellement des centaines de prisonniers politiques. Il s’agit généralement de personnes qui réclament des droits élémentaires et fondamentaux, l’enseignement et la santé publiques, l’eau potable, la fin de la corruption, etc. Ces droits élémentaires devraient pourtant être garantis par l’État, vu l’engagement officiel du Maroc dans le domaine des droits humains.

Au Rif, au nord du Maroc, à Al Hoceima en particulier, un mouvement a été déclenché par la mort d’un poissonnier, Mohcine Fikri. Ce dernier a voulu récupérer sa marchandise confisquée par les autorités et jetée dans une benne à ordure, mais celle-ci l’a broyé et il est mort écrasé, c’était le 28 octobre 2016. Des milliers de personnes sont immédiatement sortis dans les rues jusqu’en mai 2017 quand, la répression a rendu impossible la poursuite du mouvement. La brutalité, le nombre démesuré d’arrestations, la torture et les procès politiques ont freiné cette ardeur populaire. Des centaines de personnes ont été arrêtés et une cinquantaine d’entre elles, dont les leaders connus de ce mouvement, ont été transféré à 700 kilomètres de leur lieu de résidence pour être jugé à Casablanca, ce qui a augmenté les souffrances des familles qui devaient faire des déplacements démesurés chaque semaine pour assister au procès et visiter leurs parents dans les prisons. Les peines atteignent jusqu’à 20 années d’emprisonnement ferme. Au-delà du Rif, d’autres villes au Maroc ont connu des protestations populaires et ont été confrontées à la répression, aux arrestations et à des procès politiques.

Combien de personnes dans le cadre du Hirak seraient encore en prison aujourd’hui ?

L’AMDH a recensé plus de mille personnes qui sont passées par la prison à cause des protestations sociales au cours du mouvement du Hirak qu’a connu le Maroc en 2017-2018. On attend le nouveau rapport de l’AMDH [1] pour voir la situation mise à jour, car plusieurs personnes sont sorties, d’autres, une centaine environ, ont été gracié l’année dernière, puis une centaine cette année. Mais, selon ma propre estimation, il y aurait entre 300 et 400 personnes encore en prison. Les arrestations et les jugements iniques continuent.

Sur quels motifs ces personnes sont incarcérées en général ?

Les vraies raisons, tout le monde les connaît. C’est une façon de sanctionner les personnes qui ont eut le courage de protester contre une situation sociale alarmante et détériorée, mais les accusations qu’on leur présente au tribunal n’ont rien à voir avec la réalité. On les accuse de violence, on les suspecte d’adhésion aux causes séparatistes, de recevoir de l’argent douteux de l’étranger, de brutaliser des agents de police ou de participer à la destruction de biens publics. Au Maroc, les tribunaux sont des instruments de l’État. Les juges prononcent des peines sans aucune preuves. Tous les observateurs présents l’ont confirmé, et toutes les ONG marocaines des droits humains sans exception, même les plus modérées et conciliantes, ainsi que des personnalités loin d’être de l’opposition, considèrent ces prisonniers innocents, revendiquent leurs libérations et qualifient les procès d’inéquitables.

Et au-delà de ce mouvement, sait-on combien de personnes sont incarcérées au Maroc pour raisons politiques ?

Une dizaine de militants de l’Union nationale des étudiants au Maroc sont encore en prison. Des militants du 20 février et au moins 35 Sahraouis indépendantistes sont toujours incarcérés. Des journalistes et blogueurs sont aussi victimes de procès inéquitables et jetés en prison à cause de leurs articles ou enquêtes, des citoyens et citoyennes sont incarcérés pour avoir défendu leurs terres contre les multinationales ou des personnalités au pouvoir soutenus par les autorités. Un grand nombre d’islamistes ont également été jugé dans le cadre de la lutte contre le terrorisme sans avoir la moindre preuve de leur implication dans des actes ou des réseaux terroristes. Nous revendiquons toujours leur libérations car il s’agit de personnes qui sont arrêtés pour leurs convictions religieuses ou idéologiques.

Dans votre intervention, vous parliez de « dictature » à propos du Maroc. Or, il semblerait qu’en Europe on utilisait ce terme plus fréquemment du temps d’Hassan II qu’aujourd’hui. Que pouvez-vous dire par rapport aux États occidentaux qui vantent souvent une façade démocratique au Maroc ?

Le Maroc a soigné son image. Depuis l’arrivée du roi actuel Mohammed VI, l’Instance équité et réconciliation chargée de faire la lumière sur les violations graves de droits humains survenues entre 1956 et 1999 a indemnisé les anciennes victimes de torture ou de disparitions forcées qui en ont fait la demande, a élucidé quelques cas d’anciens disparus politiques, mais n’a pas fait avancer le Maroc vers une démocratie réelle. En 2011, sous la pression du mouvement du 20 février qui a organisé des manifestations dans tout le pays, une nouvelle constitution a été mise en place, contenant un certain nombre de garantis de l’État pour respecter les libertés. Cependant, sans réelle indépendance de la justice, cette constitution demeure non démocratique. Ainsi, les limites à la liberté d’expression persistent, et les tabous tels que la monarchie, la religion islamique ou la question du conflit au Sahara sont toujours là. Le niveau de tolérance a même diminué, il y a maintenant des personnes en prison à cause d’un commentaire sur Facebook. Parmi les centaines d’incarcérés du Hirak, énormément ne sont même pas sorti dans la rue pour manifester, on les interpelle parce qu’ils ont juste exprimé leur colère.

Il y a quelques jours, Abdollah Chabni a été condamné à trois ans de prison ferme pour avoir dit sur Facebook que la marche de soutien aux prisonniers du Hirak organisée le 21 avril passé, devrait se convertir en une désobéissance civile. Comment peut-on qualifier un État qui met des gens en prison pour un commentaire autrement qu’une dictature ? Ce n’est pas parce qu’il n’y a plus de disparitions forcées comme avant, et des lieux tristement connus par de telles pratiques comme Tazmamart [2], qu’on ne va pas parler de dictature. Il n’y a plus de presse indépendante, plus de journalistes d’investigation capables de critiquer car la dissidence est systématiquement réprimée.

On pense à ce jeune algérien, Hadj Gharmoul, incarcéré simplement parce qu’une photo le montrant avec une pancarte portant le slogan « non au cinquième mandat » d’Abdelaziz Bouteflika a circulé sur Facebook…

Effectivement, c’est la même chose au Maroc où il suffit de sortir dans la rue dénoncer le pouvoir pour être interpellé. La majorité des prisonniers politiques actuellement en détention n’ont même pas dénoncé le chef d’État, ils ont juste critiqué la situation de pauvreté et le déni des droits fondamentaux des populations de leurs régions. Des personnes à Zagora, au sud du Maroc, ont été arrêtés et condamnés à de la prison ferme pour le simple fait de protester parce qu’il n’y a plus d’eau potable dans la ville.

Est-ce que l’information sur le soulèvement actuel en Algérie passe la frontière (la frontière terrestre est fermée entre le Maroc et l’Algérie) et est entendu par la population marocaine ?

Oui, l’information arrive et les militants et les organisations suivent bien ce qu’il se passe en Algérie et au Soudan. Les relations entre l’Algérie et le Maroc sont tendues, avec entre autres, le conflit du Sahara et la télévision marocaine officielle montre les manifestations en cours en Algérie pour critiquer le pouvoir algérien qualifié d’autoritaire, voir dictatorial. Mais on ne verra jamais de manifestations marocaines à la télévision, ni les procès que subissent les activistes sauf quand il s’agit de communiqués officiels qui sont généralement qualifiés par le mouvement des droits humains de communiqués diffamatoires, violant la présomption innocence.

Y a-t-il eu des manifestations de solidarité avec cette insurrection en Algérie ? Est ce que celle-ci peut influencer la mobilisation au Maroc ?

Certainement. En tant que coordinatrice maghrébines nous avons publié des communiqués de solidarité, d’autant que le vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits humains membre de notre coordination, Saïd Salhi, a été interpellé pendant toute une journée au début de la protestation en Algérie. Ces insurrections vont certainement encourager d’autres mouvements au Maroc, mais il faut dire que ce sont surtout des facteurs internes qui font bouger les gens.

L’insurrection populaire va se produire au Maroc car toutes les raisons qui ont fait descendre la population dans la rue en 2011 sont toujours présentes, et se sont même accentués avec la pauvreté et la détérioration des services publics. L’absence d’initiative capable de rassembler et fédérer toutes ces luttes retarde cette explosion.

Des médecins ont manifesté il y a quelques jours pour interpeller sur le manque de moyens, il n’y a plus rien dans les hôpitaux, c’est la faillite totale du système de santé publique. Pareil pour les enseignants qui ont fait grève pendant des semaines, la lutte la plus médiatisée et la plus mobilisatrice ces derniers mois, à cause de la faillite du système public.

Les populations en détresse n’attendront pas infiniment, surtout que ce ne sont plus les partis et les syndicats qui mobilisent, les masses populaires sortent spontanément dans les rues lorsqu’elles n’en peuvent plus.

Le mouvement du Hirak est-il retombé ?

Dans le nord oui, car il suffit de sortir dans la rue pour risquer des années de prison. De plus, beaucoup de jeunes sont partis vers l’Espagne. Actuellement, les luttes sont sectorielles donc dispersées.

Après la répression de Al Hoceima, la rébellion a commencé, dans le nord-est du pays à Jerada, où des mines de charbon sont fermées officiellement depuis 1998-2000, mais où la population vit encore de ce minerais et descend dans les mines de façon non conventionnelle, sans aucune sécurité. Beaucoup y perdent leurs vies. En réaction à la mort des deux frères, Houcine et Jedouane, dans une mine le 22 décembre 2017, les gens sont sortis dans les rues et cela a créé un autre Hirak. D’autres personnes ont été arrêtées et un jeune heurté par une voiture de police, a perdu ses jambes. Il est actuellement handicapé et complètement délaissé par les autorités qui n’ont d’ailleurs fait aucune enquête pour élucider les circonstances et les responsabilités de ce crime. Mais la répression n’empêche pas que d’autres Hirak éclatent ailleurs.

À Imiter, une petite ville près Ouarzazate, se trouve la plus grosse mine d’argent d’Afrique [3]. Son exploitation cause beaucoup de problèmes écologiques, les terres sont infectées et les impacts sont énormes sur la santé des habitants qui n’ont plus les moyens de vivre de l’agriculture comme avant. Réactivé en 2011, le mouvement social d’Imiter, même faible numériquement, est très ancien. De nouvelles personnes ont été arrêtées et ont passé jusqu’à cinq années en prison. Comme pour d’autres centres ouvriers, les responsables de la mine n’embauchent pas localement mais recrutent des travailleurs d’autres villes pour éviter toute solidarité des familles avec les mineurs.

Avec autant d’activisme ne craignez-vous pas pour votre sécurité ?

Oui, on vit toujours sous la menace. On mène des campagnes de mensonges et d’insultes contre moi dans la presse créée et financée par le pouvoir. On est dans un pays non-démocratique et on risque tous d’être réprimé, mais à quoi sert de rester libre si on doit se taire et ne pas dénoncer les injustices ?

Comment voyez-vous l’avenir proche au Maroc ?

Je suis certaine qu’un autre Hirak va surgir au Maroc. Tout ce qu’on espère c’est qu’il soit aussi pacifique et organisé qu’en 2011, qu’il réalise plus que le mouvement du 20 février qui a pourtant fait avancer les mentalités des marocains, puisque depuis 2011, les gens ne se taisent plus, ils n’ont plus peur et parlent des vrais problèmes politiques. On attend des organisations politiques et syndicales qu’elles dépassent leurs différences, leurs querelles pour des motifs souvent trop futiles, et agissent enfin à la hauteur de leurs responsabilités.

Qu’en est-il, aujourd’hui, de la solidarité internationale pour le respect des droits humains en soutien avec les mouvements populaires réprimés au Maroc ?

L’Europe aussi a changé. Durant les années de plomb (1956-1999), les droits humains avaient une place dans les politiques des États. Il y avait une gauche assez forte, le mouvement de solidarité des organisations des droits humains en France et en Europe, les Comités de lutte contre la répression au Maroc… Tout cela a changé. Les gouvernements européens sont plus axés sur les priorités financières, sécuritaires avec les questions du terrorisme, de la migration… Le discours d’extrême droite s’étend. La gauche est devenue très faible, la solidarité avec les luttes marocaines est moins présente et les gouvernements européens sont de plus en plus complices avec le pouvoir au Maroc. Ils ferment les yeux sur tout ce qu’il s’y passe pour que cela ne perturbe pas leurs intérêts économiques et financiers.

 

Entretien publié sur le blog Un monde sans dette du journal Politis.

 

Notes :

[1Dans son rapport annuel, l’AMDH publie, dans le chapitre dédié à la détention politique, la liste nominative des personnes dont il a les preuves des emprisonnements pour raison politique.

[2Tazmamart était une prison secrète pour prisonniers politiques. Symbole d’oppression sous le règne du roi Hassan II, le bagne a finalement été fermé en 1991 sous la pression de groupes internationaux de défense des droits humains.

[3Les mines du Maroc appartiennent à la société Managem qui fait partie d’une Holding royale.

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Pour bien comprendre  le caractère exceptionnel de cette rencontre, il faut savoir que ce prêtre jésuite se démarque par son engagement ferme au service du peuple vénézuélien.  Il est curé d’une paroisse au cœur de Caracas, capitale du pays. Il vit humblement au milieu de son peuple, partageant avec tout chacun l’esprit des Évangiles et ce combat de tout un peuple pour un monde plus juste, plus solidaire, plus humain en tout et partout.  Son soutien à cette révolution initiée, en 1998, par le président Hugo Chavez  et son accompagnement à tous les niveaux, en fait un être indésirable pour l’épiscopat vénézuélien qui s’affirme avec force et vigueur à cette révolution. Dans un article antérieur, j’avais présenté ce personnage exceptionnel.

S’il survit toujours comme curé et pasteur, c’est dû en grande partie à une amitié ancienne qui le liait à Jorge Bergoglio, devenu le pape François.  C’est grâce à cette amitié s’il a pu rencontrer, au début de la semaine, le pape pour lui dire, en bon pasteur, la vérité du Venezuela et de son peuple. Les médias de langue française n’ont pas fait écho à cette rencontre que l’on peut qualifier d’exceptionnelle. On se souviendra des difficultés rencontrées par Mgr Oscar Romero pour rencontrer le pape de l’époque, Jean-Paul II, et lui dire la vérité du Salvador et des Salvadoriens.

Il s’agit d’une rencontre officielle, du pape François, avec un curé de paroisse dont la pensée et l’agir sont tout à l’opposé de ce que disent et font les évêques  vénézuéliens. Voyons ce qu’il dit au pape François.

« Nous avons rencontré brièvement le secrétaire d’État et le pape pour témoigner que les informations sur le Venezuela étaient souvent fausses et que la population souffrait des sanctions imposées par les États-Unis et des privations résultant des infamies qui circulent de l’extérieur du pays et non par les difficultés découlant d’une dictature: dans notre pays, par contre, il existe une démocratie participative forte. « 

Il a également ajouté être engagé dans une mission dans laquelle il représente le peuple vénézuélien, le modeste et non un secteur politique: « Mon devoir en tant que religieux est de dire ce que ce peuple ne peut dire, car la presse occidentale, qui est liée au pouvoir impérialiste, déforme et falsifie la vérité « , indique une note publiée sur le site du ministère du Pouvoir populaire pour les affaires étrangères.

« Je joue le rôle de porte-parole du peuple vénézuélien et, par conséquent, du gouvernement légitimement élu. C’est mon devoir de le faire en tant que membre de l’Église catholique et de l’option pour les pauvres « , a-t-il expliqué.

Sur les forces qui agissent dans et hors de la crise vénézuélienne, le père Numa a souligné que « la dictature est celle de l’empire qui nous attaque par tous les moyens, car nous ne renonçons pas à notre indépendance, pour laquelle nous ne nous rendrons pas ».

Le père Numa Molina était en Italie, également pour assister à l’invitation du professeur Luciano Vasapollo de l’Université La Sapienza à Rome, qui est le délégué du recteur pour les relations de l’Université avec les pays d’Amérique latine et des Caraïbes.

Il a été reçu par le recteur Eugenio Gaudio et a participé à des activités d’enseignement et de recherche typiques de la maison d’études.

Il a saisi cette occasion pour exprimer sa gratitude au professeur Vasapollo « qui, grâce à de grands et nobles efforts scientifiques, humains, moraux et politiques et culturels ainsi que d’autres enseignants transmet la vérité. « Ce sont des études scientifiques gratuites sur les souffrances du Sud et de mon pays, imposées par la logique du profit.  »

Molina a également remercié le recteur Eugenio Gaudio pour son accueil, ainsi que le président de la Croix-Rouge, Francesco Rocca, de l’UNICEF et de l’Académie pontificale des sciences sociales, avec lesquels les représentants ont tenu plusieurs réunions.

« Le fait que le professeur Vasapollo, en tant que délégué du recteur, m’a invité au nom de la plus grande et de la plus importante université d’Europe donne la priorité à la valeur d’une culture basée sur le respect de la vie et de la dignité des personnes ».

Tout ceci pour dire que ce prêtre jésuite, solidaire de son peuple et profondément engagé dans sa mission de pasteur pour qui l’Esprit des Évangiles ouvre toutes grandes les portes à la fraternité humaine, à la solidarité, à la vérité, à la justice, à l’amour sans discrimination..

Cette visite au pape et l’accueil que ce dernier lui a réservé marquent un tournant important dans la gestion des pouvoirs de l’Église. La voix des épiscopats n’est plus fiable. Nous l’avons vu avec l’épiscopat chilien sur la question des abus sexuels et nous le voyons présentement sur la question du Venezuela où l’épiscopat est totalement aux ordres de l’empire. Voir ici mon article sur ce sujet.

Oscar Fortin

Le 14 juin 2019

 

 

 

Référence :  http://vtv.gob.ve/numa-molina-papa-francisco-bloqueo-economico/

Ttraduction sfaite à l’aide de Google traduction

 

Les «gentils», les «méchants» et la guerre

juin 13th, 2019 by Karl Müller

L’Union européenne est en effet profondément divisée. Du moins si l’on se base sur les jugements des médias et des politiciens de grands publics germanophones. Car ceux-ci divisent les forces politiques de Union européenne en «gentilles» et «méchantes». Les «gentils» veulent donner encore davantage de pouvoir politique aux institutions de l’UE éloignées de la démocratie, les «méchants» sont ceux qui ne le veulent pas.

Selon cette analyse, les «gentils» ont remporté les élections au Parlement européen en Allemagne. Ce sont avant tout les Verts. En termes de pourcentage, ils se trouvent toujours derrière la CDU/CSU, mais celle-ci a beaucoup perdu. 20,5 % des électeurs ont voté pour les Verts. En fait, cela ne représente pas autant de votes. Mais les premières réactions, le soir des élections, ont été comme si tous les «gentils» partis devaient maintenant adopter le programme des Verts, dont notamment la protection du climat (du moins la conception affichée par les Verts), le plus rapidement possible pour retrouver davantage d’électeurs (c’est-à-dire atteindre 20 % des voix?). Par ailleurs, plus les électeurs sont jeunes, plus ils votent vert: chez les 18–24 ans, ce chiffre est déjà de 34 %1, c’est-à-dire relativement le plus élevé. … Et ils luttent tous pour la «jeunesse».

Mais pourquoi tant de jeunes ont-ils voté pour les Verts? Cela doit être examiné de plus près. Pester contre la jeunesse ou se moquer d’elle n’améliore rien. Certes, les productions médiatiques des derniers mois (le battage médiatique effréné concernant les «Fridays for Future» etc.) et la vidéo Youtube de Rezo (mis en avant par les médias) peu avant la date des élections y ont leur part.

Mais n’oublions pas ceci: seuls 17 % des Allemands interrogés pensent que les Verts ont les meilleures réponses aux questions de l’avenir. Cependant, il y a un leader, nommé deux fois plus souvent que tous les partis politique: 37 % des personnes interrogées s’y sont joints. Ne l’oublions pas: bien que le taux de participation aux élections ait augmenté de manière significative, près de 40 % des électeurs n’y ont pas participé.

Pour en revenir au thème de la «protection du climat»: les Verts ne sont-ils pas l’avant-garde politique d’un programme décidé depuis longtemps par les parties intéressées pour lesquelles la question «écologique» constitue un support d’exercice de pressions culpabilisantes?2 N’avons-nous pas vécu la même chose avec le slogan «Plus jamais Auschwitz» de Joschka Fischer utilisé pour lancer la guerre contre la Yougoslavie, en violation flagrante du droit international? Fischer et les Verts allemands ont fourni la couverture moralisatrice pour le meurtre de plusieurs milliers de personnes et la destruction d’un pays. Et depuis 1999, l’une après l’autre, les guerres USA/OTAN se sont succédées contre les «méchants» dans le monde – avec des millions de victimes – et depuis 1999, toujours et encore, avec la participation de l’Allemagne.

A propos des Verts: seuls 8 % des Allemands interrogés font confiance aux Verts pour représenter leurs intérêts au sein de l’UE.

Les «méchants» de l’UE actuelle ont remporté les élections en Hongrie, en Pologne, en Italie, en France (et en Grande-Bretagne) avec la majorité relative (ou même absolue) des voix. 52,3 % en Hongrie, 45,6 % en Pologne, 34,3 % en Italie, 23,3 % en France (et 31,7 % au Royaume-Uni). Même en Allemagne, il y a des Länder, où les «méchants» ont obtenu le plus de voix selon le mode de la majorité relative: en Saxe avec 25,3 % et dans le Brandebourg avec 19,9 % …

Si les choses n’étaient pas si graves, ces événements s’inscriraient bien dans une satire. Mais il ne faut pas sous-estimer les conséquences de cette division manichéenne entre le bon et le méchant. C’est l’esprit belliciste qu’on a fait sortir de la bouteille: la guerre à l’intérieur du pays et la guerre contre les ennemis supposés («méchants») dans d’autres pays. Cet esprit de guerre est également dirigé contre la Russie (et contre les forces politiques de l’UE s’efforçant d’établir des relations «normales» avec la Russie), mais le résultat sera également le durcissement des fronts dans toute l’Europe. Cui bono?

Le cadre des relations internationales est et reste le droit international contraignant. Quiconque ne veut plus accepter que divers peuples et Etats puissent vouloir choisir des voies différentes et puissent aussi approuver des politiques très diverses, et quiconque ne veut plus accepter que les forces politiques ont avantages à respecter les résultats électoraux et à traiter tous les électeurs et tous les élus sur un pied d’égalité, n’a toujours pas tiré les enseignements de l’histoire.

L’impérialisme globaliste croit toujours et encore pouvoir se répandre dans le monde et l’oppresser à sa guise. L’UE doit être son vassal. Tel est le défi auquel l’Europe et ses citoyens sont confrontés aujourd’hui.     •

Karl Müller

Notes

1 .Tous les chiffres sont tirés des résultats du sondage infratest-dimap du 26 mai, publié sur www.tagesschau.de du 27 mai 2019
2 .A qui les Verts font-ils allégeance? – Cf. livre de Jutta Ditfurth: Krieg, Atom, Armut. Was sie reden, was sie tun: Die Grünen, Berlin 2011; notamment le chapitre «In Stahlgewittern», pp. 135s.)

La culture politique en Allemagne subit de graves pressions

km. La liberté d’expression, c’est-à-dire le droit d’exprimer publiquement son opinion par la parole, l’écrit et l’image, est une composante essentielle d’une culture politique libre et démocratique. Elle est également garantie par la Loi fondamentale allemande. L’esprit de guerre détruit cependant ce droit fondamental et humain.
L’Institut de démoscopie d’Allensbach, un institut de sondage allemand renommé, a clairement indiqué dans son rapport mensuel de mai 2019 (publié dans la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 23 mai) qu’en Allemagne ce droit fondamental est vidé de son sens. Comment peut-on sinon comprendre que les deux tiers des personnes interrogées sont convaincus qu’il faut, à l’heure actuelle, «être très prudent concernant les sujets et les contenus sur lesquels on s’exprime»? Car il existe de nombreuses lois non écrites, définissant les opinions acceptables et permises.

Le «patriotisme» et l’«amour du pays» ne sont qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. 41 % des personnes interrogées déclarent qu’avouer son patriotisme est un domaine tabou de nos jours. Il y a 20 ans, seulement 16 % des répondants étaient de cet avis. Aujourd’hui, de nombreuses personnes interrogées craignent d’être considérées «d’extrême droite» si elles avouent leur patriotisme. Un tiers des personnes interrogées estime qu’«un politicien doit veiller à ne pas exprimer sa fierté nationale s’il ne veut pas s’exposer à des attaques violentes». Autre exemple: 71 % des personnes interrogées déclarent qu’à l’heure actuelle, il faut être très prudent en s’exprimant sur la question des réfugiés. Le rapport mensuel d’Allensbach ajoute – presque 4 ans après l’été 2015: «Il reste l’impression que les élites ne prennent pas suffisamment au sérieux les préoccupations de la population et les placent même sous suspicion.»

Dans leurs cercles d’amis, la plupart des répondants n’ont aucune difficulté à exprimer ouvertement leurs opinions. La situation est bien différente en public, c’est-à-dire dans les lieux d’importance pour la liberté d’expression. Seuls 18 % des personnes interrogées y voient une liberté comparable comme entre amis. La principale raison est la crainte d’un litige pouvant devenir violent.

Le rapport mensuel d’Allensbach souligne l’impression de nombreuses personnes «que le contrôle social augmente en public et que toutes expressions d’opinion et comportements individuels sont de plus en plus observés». Puis, il est dit que «les espaces de liberté dans la sphère publique se réduisent» et qu’il existe une «rigueur avec laquelle certaines réglementations linguistiques sont requises».

A la fin de l’article, on peut lire: «Actuellement, on parle souvent de respect dans le débat politique […]. Pour de nombreux citoyens, il y a un manque de respect manifeste concernant la prise en considération sérieuse de leurs préoccupations et leurs points de vue. Ils s’attendent à ce que les développements essentiels fassent l’objet de discussions ouvertes et qu’ils soient épargnés de toute tentative d’endoctrinement.»

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Ce mois de juin, les conseillers à la sécurité nationale de la Russie, des États-Unis et d’Israël, respectivement Nikolay Patrushev, John Bolton et Meir Ben-Shabbat, devraient se rencontrer à Jérusalem pour parler de l’Iran et de la Syrie et de ce qu’Israël considère comme une “menace pour sa sécurité” au Levant.

Des sources bien informées estiment que la réunion n’apportera rien de nouveau, à cause, surtout, des continuelles violations de la souveraineté syrienne par Israël et de ses bombardements de cibles iraniennes à l’intérieur des terres syriennes. Israël ne peut s’attendre à aucun soutien de la part de la Russie à cet égard. Le Kremlin a les mains liées, et il ne prendra pas de position qui puisse déplaire au président syrien, Bachar al-Assad, et à ses alliés.

Toutefois, cette réunion est importante parce qu’elle n’a pas de précédent et qu’elle satisfait à la demande que Netanyahou, le premier ministre israélien, a faite au président Vladimir Poutine en février dernier lors de sa visite au Kremlin. Elle satisfait aussi à la demande que Netanyahou a faite au président des États-Unis, Donald Trump, lors de sa visite à la Maison-Blanche en mars dernier.

Voilà ce qu’affirment des sources bien introduites auprès des décisionnaires : “Netanyahou court voir ses alliés pour pleurer sur leurs épaules quand il est l’agresseur, comme c’est le cas chaque fois qu’il y a un problème au Levant, et en particulier lorsque l’armée israélienne dépasse les limites et franchit les lignes rouges. L’année dernière, la Russie a convenu avec l’Iran de créer une sorte de périmètre de sécurité le long du front Quneitra-plateau du Golan que l’armée russe contrôlerait. Cela aurait allégé les tensions à la frontière, et permis au Président Assad et à ses alliés de se concentrer sur d’autres fronts. L’Iran a accepté la proposition de la Russie après que le Président Assad l’a lui-même approuvée”.

“Il est important de souligner que la Russie ne fait pas partie de l’”Axe de la Résistance” et qu’elle n’embrasse pas ses objectifs. Elle entretient d’excellentes relations avec Israël, l’Iran et le Hezbollah, et considère la Syrie comme un allié stratégique. Moscou s’efforce de maintenir un équilibre dans ses relations avec les pays du Moyen-Orient. Néanmoins, la Russie s’est précipitée à la défense de l’intégrité de la Syrie, de son gouvernement et de son armée. Elle a agi comme une seconde armée de l’air syrienne en bombardant tous les ennemis de la Syrie pour aider le gouvernement syrien à reprendre le contrôle de son territoire. Bien sûr,la situation dans le nord-est sous occupation étatsunienne et dans le nord-ouest contrôlé par des groupes du genre d’Al-Qaida et des militants pro-turcs est plus compliquée et plus difficile. Le destin de ces deux territoires est lié et il faudra de sérieux efforts politiques et diplomatiques de coordination avant de pouvoir libérer le Nord par les armes”, a déclaré le décisionnaire.

En ce qui concerne le déploiement iranien en Syrie, la source a dit : “Israël a profité de la seule présence des Russes à la frontière du Golan pour bombarder les positions iraniennes au cœur de la Syrie et sur la côte. Ces positions sont précieuses et liées à l’armement stratégique de l’armée syrienne (objectifs industriels de production de missiles et entrepôts militaires stratégiques). Ainsi, Israël a fait le choix de changer la Règle d’engagement (ROE), et de déclencher le retour des alliés syriens, c’est-à-dire le Hezbollah et le Corps des Gardiens de la révolution iraniens (Pasdaran), à la frontière avec le plateau du Golan annexé et occupé par Israël. La Russie n’a pas pu les empêcher de revenir parce que c’est Israël qui a détruit ce que la Russie avait essayé de construire à cette frontière”.

A la question de savoir pourquoi la Syrie et ses alliés n’ont pas réagi aux violations agressives de la souveraineté syrienne par Israël ni à ses bombardements de centaines d’objectifs en Syrie, la source a répondu: “L’amiral iranien Ali Shamkhani, responsable de la sécurité nationale, a déclaré que son pays et le président Assad répondraient en bombardant des objectifs (en Israël) si l’armée de l’air israélienne bombardait la Syrie. Mais c’est vrai qu’il ne s’est rien passé. Le regretté secrétaire général du Hezbollah Sayyed Abbas al-Hezbollah Moussawi (assassiné par Israël en 1992) disait qu’il est important de se concentrer sur les principaux objectifs et d’éviter de perdre son temps et son énergie, quoique fasse Israël. Aujourd’hui le Hezbollah et les Pasdaran sont revenus aux frontières et la Russie ne peut pas leur demander de se retirer à nouveau. Le destin du front des fermes de Chebaa (une région libanaise occupés par Israël) et du front du plateau du Golan est lié, et la Syrie et ses alliés sont très actifs sur ces deux fronts”.

Aujourd’hui, en Syrie, il y a des priorités qui l’emportent sur une bataille avec Israël. Se battre avec Israël n’est pas une option pour le Président syrien, même si plusieurs objectifs de grande valeur ont été détruits en Syrie. Israël en est conscient et cela le perturbe et l’irrite, même s’il sait que la Syrie et ses alliés n’ont pas l’intention d’ouvrir un large front militaire à ce stade critique de la guerre au Moyen-Orient. Israël ne peut sans doute pas s’attendre non plus à ce que le Hezbollah et l’Iran gardent encore très longtemps le silence.

Un observateur superficiel a peut-être l’impression qu’Israël se rit des dirigeants syriens et de leurs alliés en s’offrant des incursions gratuites et imparables en Syrie, dans une totale impunité. Néanmoins, c’est le président Assad qui estime qu’il n’est pas impératif que la Syrie et ses alliés bombardent Israël. Idlib est prioritaire, de même que la reconstruction de la Syrie et de tout ce qui est nécessaire aux habitants (énergie, scolarisation, sociétés et villes). La guerre avec Israël peut attendre et ne mènerait nulle part, estime le président Assad.

La Russie n’est pas en mesure d’offrir à Israël ce dont il a besoin, simplement parce que Netanyahou n’est pas fiable. Netanyahou a eu sa chance et il a décidé de la jeter par la fenêtre en bombardant des objectifs iraniens dans le pays. Cela pourrait bien réduire la rencontre russo-américano-israélienne à une simple occasion de prendre une belle photo. Le premier ministre israélien pourra s’attribuer le mérite d’avoir organisé une réunion sans précédent, et cette propagande lui profitera un temps. Mais il repartira les mains vides.

Elijah J. Magnier

 

 

Traduction de l’anglais: Dominique Muselet

L’époque unipolaire est révolue

juin 13th, 2019 by Pepe Escobar

Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine, consolidé la semaine dernière en Russie, a plongé les élites américaines dans un mode de Suprême Paranoïa, qui prend en otage le monde entier.

Quelque chose d’extraordinaire a commencé avec une courte marche à Saint-Pétersbourg vendredi dernier.

Après une promenade, ils ont pris un bateau sur la Neva, visité le légendaire croiseur Aurora, et sont passés voir les chefs-d’œuvre de la Renaissance à l’Ermitage. Cool, calme, détendu, tout en cartographiant les tenants et aboutissants d’un monde nouveau, émergent et multipolaire.

Le Président chinois Xi Jinping était l’invité d’honneur du Président russe Vladimir Poutine. C’était le huitième voyage de Xi en Russie depuis 2013, date à laquelle il avait annoncé la Nouvelle Route de la Soie, ou Initiative Ceinture et Route (BRI).

D’abord, ils se sont rencontrés à Moscou, en signant de multiples accords. Le plus important est une bombe : un engagement à développer le commerce bilatéral et les paiements transfrontaliers en utilisant le rouble et le yuan, en contournant le dollar américain.

Puis Xi s’est rendu au Forum Économique International de Saint-Pétersbourg (SPIEF), le premier rassemblement d’affaires de Russie, absolument essentiel pour quiconque veut comprendre les mécanismes hyper complexes inhérents à la construction de l’intégration eurasiatique. J’ai abordé ici quelques-unes des principales discussions et tables rondes du SPIEF.

A Moscou, Poutine et Xi ont signé deux déclarations communes – dont les concepts clés sont le « partenariat global », « l’interaction stratégique » et la « stabilité stratégique mondiale ».

Dans son discours à Saint-Pétersbourg, Xi a présenté le « partenariat stratégique global ». Il a souligné que la Chine et la Russie s’engageaient toutes deux en faveur d’un développement durable vert et à faible émission de carbone. Il a fait le lien entre l’expansion de la BRI et le programme de développement durable de l’ONU et a salué l’interconnexion des projets de la BRI avec l’Union Économique Eurasiatique (EAEU). Il a souligné que tout cela était conforme à l’idée de Poutine d’un grand partenariat eurasiatique. Il a fait l’éloge de « l’effet synergétique » de la BRI lié à la coopération Sud-Sud.

Et surtout, Xi a souligné que la Chine « ne cherchera pas à se développer au détriment de l’environnement » ; la Chine « mettra en œuvre l’accord de Paris sur le climat » ; et la Chine « est prête à partager la technologie 5G avec tous les partenaires » sur la voie d’un changement crucial dans le modèle de croissance économique.

Xi et Poutine en croisière dans un monde multipolaire : le Musée Aurora Cruiser

Et la guerre froide 2.0 ?

Il était évident que cela se préparait lentement au cours des cinq ou six dernières années. Maintenant, l’affaire est au grand jour. Le partenariat stratégique global entre la Russie et la Chine est florissant, non pas dans le cadre d’un traité allié, mais comme une feuille de route cohérente vers l’intégration de l’Eurasie et la consolidation du monde multipolaire.

L’unipolarisme – via sa matrice de diabolisation – avait d’abord accéléré le pivot de la Russie vers l’Asie. Aujourd’hui, la guerre commerciale menée par les États-Unis a facilité la consolidation de la Russie en tant que premier partenaire stratégique de la Chine.

Le ministère russe des Affaires Étrangères ferait mieux de se préparer à écarter les déclarations quasi quotidiennes du chef d’État-Major des armées des États-Unis, le général Joseph Dunford, par exemple, lorsqu’il affirme que Moscou a l’intention d’utiliser des armes nucléaires non stratégiques dans le territoire européen. Cela fait partie d’un processus ininterrompu – aujourd’hui en grande vitesse – de fabrication de l’hystérie en effrayant les alliés de l’OTAN avec la « menace » russe.

Moscou ferait mieux de se préparer à esquiver et à contrer les vagues de rapports tels que le plus récent de la société RAND, qui décrit – quoi d’autre ? – Une Guerre Froide 2.0 contre la Russie.

En 2014, la Russie n’a pas réagi aux sanctions imposées par Washington. Il aurait suffi de brandir la menace d’un défaut de paiement sur 700 milliards de dollars de dette extérieure. Cela aurait tué les sanctions.

Maintenant, il y a un vaste débat au sein des cercles du renseignement russe sur ce qu’il faut faire au cas où Moscou serait confrontée à la perspective d’être coupée du système de compensation financière CHIPS-SWIFT.

Une carte d’Eurasie de 1936

Avec peu d’illusions sur ce qui pourrait se passer au G20 d’Osaka plus tard ce mois-ci, en termes de percée dans les relations américano-russes, le PDG de Rosneft, Igor Sechin, est prêt à envoyer un message plus « réaliste » – si cela devait se produire.

Son message à l’UE, dans ce cas-ci, serait de rompre les liens, et d’établir des relations avec la Chine pour de bon. De cette façon, le pétrole russe serait complètement redirigé de l’UE vers la Chine, rendant l’UE complètement dépendante du détroit d’Ormuz.

De son côté, Pékin semble avoir finalement compris que l’offensive actuelle de l’administration Trump n’est pas une simple guerre commerciale, mais une attaque à part entière contre son miracle économique, avec un effort concerté pour couper la Chine des larges pans de l’économie mondiale.

La guerre contre Huawei – le symbole de la suprématie 5G de la Chine – a été identifiée comme une attaque visant à couper la tête du dragon. L’attaque contre Huawei signifie une attaque non seulement contre la technologie, le méga centre de Shenzhen, mais aussi contre tout le delta de la Rivière des Perles : un écosystème de 3 billions de yuans, qui fournit les vices et les écrous de la chaîne logistique chinoise pour la fabrication high-tech.

Entrez dans le Cercle d’Or

Ni l’ascension technologique de la Chine, ni le savoir-faire hypersonique inégalé de la Russie n’ont causé le malaise structurel de l’Amérique. S’il y a des réponses, elles devraient venir des élites exceptionnalistes.

Le problème pour les États-Unis est l’émergence d’un concurrent redoutable en Eurasie – et pire encore, d’un partenariat stratégique. Il a jeté ces élites dans le mode de la suprême paranoïa, qui prend en otage le monde entier.

En revanche, le concept du Cercle d’Or des Grandes Puissances Multipolaires a été lancé, par lequel la Turquie, l’Irak, l’Iran, le Pakistan, la Russie et la Chine pourraient fournir une « ceinture de stabilité » le long de la région de l’Asie du Sud.

J’ai discuté des variantes de cette idée avec des analystes russes, iraniens, pakistanais et turcs – mais cela semble être un vœu pieux. Certes, toutes ces nations accueilleraient favorablement la création du Cercle d’Or, mais personne ne sait dans quelle direction l’Inde de Modi se pencherait – enivrée par le rêve du statut de grande puissance et cœur du mélange « Indo-Pacifique » de l’Amérique.

Il serait peut-être plus réaliste de supposer que si Washington n’entre pas en guerre avec l’Iran – parce que les jeux du Pentagone ont établi que ce serait un cauchemar – toutes les options sont sur la table, de la mer de Chine du Sud à l’Indo-Pacifique plus vaste.

L’État Profond n’hésitera pas à faire des ravages concentriques à la périphérie de la Russie et de la Chine pour ensuite tenter de déstabiliser le centre du pays de l’intérieur. Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine a provoqué une blessure douloureuse : cela fait mal – si mal – d’être un outsider de l’Eurasie.

Pepe Escobar

Article original en anglais : PEPE ESCOBAR: The Unipolar Moment is Over, The Consortium News, le 10 juin 2019.

traduit par Réseau International

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Sommes-nous confrontés à un désastre alimentaire mondial?

juin 13th, 2019 by F. William Engdahl

Non, cet article n’est pas du tout une preuve que j’apporte aux scénarios apocalyptiques d’Alexandria Ocasio-Cortez ou de cette jeune spécialiste suédoise du climat, Greta. Il s’agit, cependant, d’un regard sur les catastrophes météorologiques inhabituelles qui ont lieu dans plusieurs régions importantes de production mondiale, des États-Unis à l’Australie, aux Philippines et ailleurs. Car elles pourraient considérablement affecter la disponibilité des aliments, les prix dans l’année qui vient, et avoir des répercussions politiques majeures selon l’évolution des productions.

Le Midwest américain inondé

Le dernier rapport du Service national de statistiques (NASS) du Ministère de l’agriculture des États-Unis (USDA) qui date du 20 mai confirme que les cultures de maïs et de soja sont en retard par rapport aux niveaux de croissance courants à cette période. On y signale que seulement 49% de l’ensemble des surfaces prévues pour le maïs ont été ensemencées, contre 78% il y a un an. Sur ces surfaces, seulement 19% des pousses sont déjà sorties, contre 47% en mai 2018. Pour ce qui concerne le soja, à peine 19% des surfaces ont été ensemencées, à comparer aux 53% de l’année précédente. Dans les six États rizicoles américains, la superficie ensemencée a chuté à 73 %, à comparer à 92 % il y a un an. Bien sûr, si les conditions météorologiques s’amélioraient considérablement, les volumes finaux de récolte s’amélioreraient également. Mais il est trop tôt pour faire des prévisions.

Les États-Unis sont, de loin, le plus grand producteur mondial de soja, avec 34% de la production et 42% des exportations mais ça, c’était avant la guerre commerciale avec la Chine. Les États-Unis sont également le plus grand producteur mondial de maïs et produisent presque le double du n°2, la Chine. Une défaillance importante dans la récolte de ces deux cultures risque donc d’avoir une incidence considérable sur les prix alimentaires mondiaux, sans compter le fait malheureux que presque tout le soja et le maïs américain sont des OGM. On les utilise donc principalement dans l’alimentation animale.

Un facteur important de la perturbation des conditions de production dans le Midwest est le fait que les douze derniers mois ont connu les niveaux de précipitations les plus élevés depuis que le gouvernement américain a commencé à tenir des statistiques en 1895, selon les Centres d’information environnementale (NCEI) de la NOAA. Des chutes de neige record suivies de pluies anormalement abondantes en sont les causes.

Il convient de souligner qu’un fort El Niño s’était manifesté dans le Pacifique en 2015-2016 et qu’un nouveau El Niño a été confirmé l’hiver dernier, un peu plus tôt que la normale. La manière précise dont le climat actuel a été affecté n’est pas encore clairement établie. Rappelons qu’El Niño est le réchauffement périodique de l’est équatorial et le centre de l’Océan pacifique.

Relié à l’activité solaire, et non aux facteurs anthropiques, il peut modifier les phénomènes météorologiques mondiaux sur des périodes de plusieurs mois et provoquer des conditions météorologiques plus chaudes, plus froides, plus humides ou plus sèches dans certaines parties du globe. Ces modification se produisent par cycles pluriannuels, de deux à sept ans en général. Or il faut noter qu’El Niño devrait atteindre son pic ce mois de mai, bien que relativement faible. En avril, la NOAA a estimé que les conditions actuelles dues à El Niño se poursuivraient probablement dans l’hémisphère nord au printemps 2019 (environ 80 % de probabilité) et en été (environ 60 % de probabilité).

Sévères sécheresses en Australie et aux Philippines

Au moment où la ceinture agricole du Midwest des États-Unis est détrempée, d’autres régions du globe souffrent de la sécheresse, notamment l’Australie, important producteur de céréales. Pour la première fois depuis 2007, l’Australie est obligée d’importer du blé, principalement du Canada. En effet, la sécheresse a entraîné une réduction de 20 % des récoltes l’an dernier, et le gouvernement a donc délivré un permis d’importation en gros pour faire face à la situation. Les estimations actuelles des récoltes de blé ne dépassent pas 16 millions de tonnes, soit la moitié de ce qu’elles étaient il y a deux saisons. Or, ces dernières années, l’Australie s’était classée au cinquième rang des pays exportateurs de blé.

Aggravant la pénurie de céréales, les Philippines connaissent depuis février 2018 une sécheresse majeure, qui dévaste la récolte actuelle de riz. Bien que ce pays ne soit pas l’un des principaux producteurs de riz au monde (l’Inde, la Thaïlande, le Vietnam et le Pakistan représentent environ 70% des exportations totales), cette sécheresse a des répercussions politiques importantes sur ce pays en difficulté.

La Corée du Nord est également frappée par une grave sécheresse. Jusqu’à présent, les précipitations ont été les plus faibles depuis 1982. Les médias d’État rapportent qu’une « grave sécheresse persiste dans toutes les régions » du pays. Les précipitations moyennes depuis janvier ne représentent que 42,3 % des 127 mm de moyenne. Cela se produit au moment où le pays connaît d’importantes pénuries alimentaires. Bien que les données soient probablement instrumentalisées politiquement, les sanctions internationales n’arrangent pas la situation.

Bien que ces défaillances importantes ne justifient toujours pas un état d’urgence mondiale, ils ont lieu au moment précis où la République populaire de Chine est au plus fort d’une grave épidémie de peste porcine africaine qui concerne l’ensemble de la population porcine. L’USDA estime qu’il faudra abattre jusqu’à 200 millions de porcs cette année pour contenir la contagion. Or la Chine est de loin le plus grand éleveur mondial de porcs avec quelque 700 millions de bêtes. Et comme si cela ne suffisait pas, le pays est frappé par une invasion de noctuelle américaine qui pourrait dévaster les cultures comme le maïs ou le soja.

Toutes ces données ne tiennent pas compte des différentes zones de conflit dans le monde, du Yémen à la Syrie, en passant par le Congo, où la production agricole a été dévastée comme conséquence de la guerre.

La Russie, nouvelle puissance céréalière ?

Ces conditions de récolte difficiles et les importantes pénuries qui risquent d’en découler pourraient être un avantage majeur pour la Russie. En effet, depuis l’imposition des sanctions des États-Unis et de l’UE en 2014, ce pays a émergé au cours des trois dernières années comme le plus grand exportateur mondial de blé et dépasse maintenant de loin le Canada et les États-Unis. Au cours de l’année de récolte 2019-2020, on estime que la Russie exportera un volume record de 49,4 millions de tonnes de blé, soit environ 10% de plus qu’il y a un an. L’an dernier, la Russie a représenté 21 % des exportations mondiales totales de blé, à comparer aux 14 % environ pour les États-Unis et à peu près la même chose pour le Canada.

Les sanctions occidentales contre la Russie ont eu l’effet intéressant de forcer le gouvernement à prendre des mesures pour rendre le pays autosuffisant au plan alimentaire. Il a interdit les plantations ou les importations d’OGM en 2016, et bénéficie de certains des sols de terre noire les plus productifs de la planète. Au moins à court terme, la Russie est bien placée pour combler les diverses pénuries céréalières sur les marchés mondiaux

Bien qu’il soit peu probable que la Russie vende du grain aux États-Unis, ce serait une ironie majeure de l’histoire si cela devait se produire. En effet, pendant les récoltes soviétiques du début des années 1970, le secrétaire d’État Henry Kissinger avait orchestré, avec la complicité de Cargill et du cartel des céréales, la vente de produits agricoles à l’URSS à des prix extrêmement élevés. C’est ce qu’on a appelé le Grand vol des céréales, qui fit grimper le prix des céréales à la Bourse de Chicago à leur plus haut niveau depuis 125 ans. Avec le choc pétrolier de 1973-1974 et une hausse de 400% des prix de l’OPEP, dans lequel la diplomatie sournoise du même Kissinger joua un rôle central, la combinaison de l’alimentation et du pétrole furent responsables de la grande inflation des années 1970. Et non, comme on nous l’a affirmé, les exigences salariales des travailleurs américains et européens.

F. William Engdahl

 

 

Article original en anglais :

Do We Face a Global Food Disaster?

Traduit par Stünzi pour le Saker francophone

 

 

F. William Engdahl est consultant et conférencier en risques stratégiques, diplômé en politique de l’Université de Princeton et auteur de best-sellers sur le pétrole et la géopolitique, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

 

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Le 7 juin, le gouvernement allemand de grande coalition (CDU/CSU et SPD) a adopté une soi-disant « Loi du retour ordonné », présentée au Parlement par le ministre de l’intérieur Horst Seehofer (CSU). Les Verts et le Parti de gauche ont voté contre la loi, arguant qu’il n’y avait pas eu assez de temps pour un véritable débat parlementaire. La majorité des députés de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), d’extrême droite, et du Parti libéral-démocrate (FDP) se sont abstenus.

La loi foule aux pieds les droits démocratiques fondamentaux, comme l’a souligné le WSWS dans son analyse du projet de loi initial. Les immigrants peuvent être expulsés pour des infractions mineures et être punis s’ils n’aident pas volontairement à clarifier leur identité, c’est à dire ne contribuent pas à leur propre expulsion. Les demandeurs d’asile tenus de quitter le pays peuvent plus facilement être envoyés en «détention securitaire» et placés dans des prisons ordinaires, bien que n’ayant commis aucune infraction.

Au cours des discussions sur le projet de loi, une autre restriction a été ajoutée: à l’avenir, les agents de police pourront perquisitionner le domicile d’un réfugié dont la demande d’asile a été refusée «dans le but d’arrêter l’étranger en vue de le déporter».

La nouvelle loi visant les réfugiés et les migrants fait partie intégrante d’une attaque systématique contre les droits démocratiques de toute la classe ouvrière. Il ne se passe pratiquement pas un jour sans que soit adopté de nouveaux projets visant à renforcer les pouvoirs de la police et des services de renseignement.

La classe dirigeante réagit à la désaffection et à l’opposition grandissante en construisant un État policier. La propagande incessante dirigée contre les réfugiés et les attaques contre les immigrés sont utilisées pour orienter la politique officielle plus à droite. C’est un phénomène international. Donald Trump aux États-Unis, Matteo Salvini en Italie et Sebastian Kurz en Autriche utilisent les mêmes méthodes.

Ce n’est pas un hasard si la «Loi du retour ordonné» a été adoptée peu de temps après les élections européennes, où tous les partis gouvernementaux ont été sévèrement battus. Avec un peu moins de 45 pour cent des suffrages, ils ont perdu leur majorité. Le SPD a réalisé son plus mauvais score national à ce jour avec 15,8 pour cent des voix et se trouve dans une crise profonde.

Le SPD a réagi avec un nouveau bond à droite. Le jour même où le Bundestag adoptait sa nouvelle loi sur la déportation, l’ancien dirigeant du SPD, Sigmar Gabriel, recommandait à son parti d’adopter pleinement la politique sur les réfugiés de l’AfD.

Dans le journal économique Handelsblatt, Gabriel fait l’éloge des sociaux-démocrates danois en tant que modèle à émuler. Ceux-ci avaient montré « que les socialistes pouvaient remporter des élections s’ils défendaient une politique claire », écrit-il. « La candidate tête de liste Mette Frederiksen n’avait pas peur de se rapprocher des populistes de droite danois dans son changement radical de politique d’immigration et de migrants ». Par là, elle avait reconquis les électeurs qui se sentaient dépassés par la politique d’immigration du pays.

Gabriel a accusé le SPD de protester « contre les initiatives relativement inoffensives du gouvernement allemand en faveur d’une expulsion plus rapide », alors que « les sociaux-démocrates danois s’étaient mis d’accord sur une politique de l’immigration et de l’asile – et c’est le moins qu’on puisse dire – ‘solide’ ».

Il s’agissait de « récupérer le contrôle: le contrôle de son propre territoire ainsi que le contrôle d’un capitalisme financier dérangé », a conclu Gabriel. « Maîtriser la situation sociale, la création de règles et le renforcement de l’État, c’est le véritable thème derrière la victoire électorale des sociaux-démocrates danois. »

Le vice-président du Bundestag, Thomas Oppermann (également SPD), a présenté le même argument. Dans Der Tagesspiegel, Oppermann a exigé une politique sur les réfugiés et l’immigration «liée à des règles strictes qui soient ensuite appliquées». «Nous établissons des règles claires et insistons pour qu’elles soient appliquées. Avec une grande sévérité, le cas échéant », a-t-il déclaré.

Que les sociaux-démocrates danois aient adopté le programme xénophobe du Parti populaire d’extrême droite lors des élections législatives du 5 juin est vrai. Qu’ils aient gagné des voix est faux. À un peu moins de 26 pour cent, leur total était à peu près le même que lors des quatre élections précédentes.

Les bénéficiaires de l’effondrement du Parti populaire, qui a chuté de 21 à 8,7 pour cent, sont, outre un certain nombre de partis d’extrême droite plus petits, les Verts et les libéraux de gauche, qui ont critiqué la politique d’immigration droitière du gouvernement de droite. Maintenant, les deux partis sont des candidats probables à une nouvelle coalition dirigée par les sociaux-démocrates.

Mais Gabriel est tout à fait disposé à mentir comme un arracheur de dents lorsqu’il s’agit de justifier une politique dirigée contre les réfugiés, les immigrants et la classe ouvrière dans son ensemble. L’État fort et les règles strictes que lui-même, Oppermann et d’autres sociaux-démocrates réclament, visent avant tout les travailleurs et les jeunes qui ne sont plus prêts à accepter les coupes sociales, les licenciements, le militarisme, le renforcement des forces de l’État et la destruction de l’environnement. Dans des conditions où le SPD n’est plus en mesure d’obtenir des majorités lors des élections, il s’appuie de plus en plus sur un État autoritaire.

Il bénéficie là du soutien de médias qui, par le passé, étaient prêts à défendre un peu les droits démocratiques. Un commentaire dans la Süddeutsche Zeitung après l’adoption de la nouvelle loi sur l’asile est ici typique.

Stefan Braun y fait l’éloge de la loi comme «événement historique» offrant «le potentiel de pacifier de façon permanente des conflits dangereux». Ce journaliste de SZ basé à Berlin note avec satisfaction qu’outre le «durcissement des expulsions», le Bundestag avait approuvé une autre loi «visant à faciliter l’immigration. » Alors que réfugiés et demandeurs d’asile étaient repoussés, la réglementation relative à l’entrée de travailleurs qualifiés dont l’industrie allemande a un besoin urgent sera simplifiée.

Bien sûr, admet Braun, il y a «des critiques qui mettent en garde contre une trahison de la loi sur l’asile lorsqu’il s’agit de réfugiés». Mais les sanctions contre les réfugiés qui dissimulent leur identité n’étaient «pas seulement problématiques, mais aussi malheureusement le produit des expériences de nombreux policiers et autorités de l’intérieur». La possibilité de perquisitionner un appartement dans les cas extrêmes, tout en représentant «une extension majeure des pouvoirs» était «aussi une réaction au fait qu’il existe des cas à Berlin et ailleurs où les autorités ont été dupées». Ceux qui « ne veulent pas que la confiance dans l’autorité de l’État soit sapée » sont confrontés à un dilemme qui peut être résolu par les nouvelles lois, affirme Braun.

C’est là le type même du social-démocrate et petit-bourgeois allemand. Le démantèlement des droits démocratiques fondamentaux et le renforcement de la police sont «problématiques», mais lorsque la police et les autorités de l’État le disent, alors «l’autorité de l’État» est prioritaire. Ce n’est rien de plus que la justification d’un État policier.

Peter Shwarz

 

Article paru en anglais, WSWS, le 12 juin 2019

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France-Macron : An III

juin 13th, 2019 by René Naba

Macron An I a été marqué par une grogne sociale paralysant le pays pendant trois mois (grève des cheminots et des transports routiers).

Macron AN II par la déconfiture diplomatique du Jupiter de France avec la rebuffade de son grand ami américain Donald Trump, moins d’un mois après son accueil triomphal au Congrès, sur fond de nominations de complaisance dans le corps diplomatique et dans le système judiciaire, à l’arrière plan du feuilleton politico judiciaire Alexandre Benalla, culminant avec les démissions retentissantes des deux ministres d’Etat de son gouvernement, l’écologiste Nicolas Hulot et le transfuge socialiste, Gérard Collomb; se prolongeant avec la démission de quatre conseillers du Président, Sylvain Fort (communication et discours), Ismaël Emilien, son conseiller spécial et sa tête chercheuse, ainsi que Barbara Frugier, conseillère communication internationale et Ahlem Gharbi, conseillère technique Afrique du Nord et Moyen-Orient, dans la foulée du rebondissement de l’affaire Benhalla, dans sa séquence passeport diplomatique et oligarque russe.

Pour aller plus loin sur ce sujet

https://www.madaniya.info/2018/09/03/france-diplomatie-macron-an-ll-un-fiasco-diplomatique-total-1-2/

https://www.madaniya.info/2018/09/07/france-diplomatie-la-france-patrie-des-droits-de-l-homme-un-etat-voyou-2-2/

Paroxystique, Macron An III a signé la faillite de la technostructure française sur fond de cassure sociale, propulsant les Gilets Jaunes au centre la vie publique nationale, déclenchant une révolte sociale de grande ampleur, impulsée par les sans grades, recrus de taxes, de verticalité et de théâtralité: Les «Gilets Jaunes», lointains successeurs des gueux «Pieds Nus» de l’époque médiévale.

Pour aller plus loin sur ce sujet, cf: Histoire des révoltes populaires des sans-culottes aux gilets jaunes

https://www.les-crises.fr/lhistoire-des-revoltes-populaires-des-sans-culottes-aux-gilets-jaunes/

https://www.les-crises.fr/les-oublies-de-la-republique-par-jean-michel-naulot/

Cf à ce propos: Marcel Gauchet: Emmanuel Macron a échoué sur tout

https://www.les-crises.fr/marcel-gauchet-historien-macron-a-echoue-sur-tout-par-joelle-meskens/

Sous la pression de la Rue, le pouvoir macronien a cédé, ou plutôt a feint de céder, ordonnant un moratoire de six mois pour le gel des prix des carburants, du gaz et de l’électricité. Ne pipant mot sur le rétablissement de l’Impôt sur la Fortune (ISF). Un privilège du «président des ultra riches» à ses amis du grand capital.

Sur la fiscalité des membres du gouvernement, cf ce lien

https://www.liberation.fr/checknews/2018/12/06/peut-on-connaitre-le-nombre-de-ministres-et-parlementaires-concernes-par-l-isf_1696132

Pour mémoire, selon un rapport de l’ONG Oxfam publié lundi 14 mai 2018 et intitulé “CAC 40: des profits sans partage”, les groupes du CAC 40 ont redistribué à leurs actionnaires les deux tiers de leurs bénéfices entre 2009 – année de la crise financière mondiale – et 2016, soit deux fois plus que dans les années 2000. Soit près de 54 milliards d’euros en 2017. Cela a conduit ces entreprises à ne laisser “que 27,3% au réinvestissement et 5,3% aux salariés”, ajoute OXFAM qui dénonce des choix économiques qui nourrissent une “véritable spirale des inégalités”.

Autrement dit, les entreprises du CAC 40 ont enregistré des bénéfices cumulés en hausse de 93 pour cent en 2017 par rapport à 2010 et les dividendes versés à leurs actionnaires ont grimpé de 44 pour cent; alors qu’en contrechamps, les effectifs des grands groupes ont fondu de 20 pour cent et les impôts qu’ils acquittent en France sont inférieurs de 6,5 pour cent au montant versé en 2010.

54 milliards d’euros en 2017 en superposition à 100 milliards d’euros d’évasion fiscale, en dépit de la suppression de l’ISF, avec en parallèle, un endettement publique en 2018 de l’ordre de 2299,8 milliards d’euros, frôlant le seuil symbolique des 100% et au sein de l’Union Européenne une France placée sous la coupe de l’Allemagne, le grand vaincu de la 2me guerre mondiale, avec en prime, le gel des retraites, la suppression de 5 euros au titre de l’APL etc… De quoi expliquer amplement cette explosion de colère sans pareille depuis la révolte étudiante de Mai 1968.

En contrechamps, la France est le pays qui compte le plus de firmes multinationales non financières dans le top 100 mondial, lorsque l’on classe ces dernières par la taille de l’actif implanté à l’étranger: 12 contre 20 pour les États-Unis, 14 pour le Royaume-Uni, devant l’Allemagne et le Japon. Un fait qui fait de la France, une puissance économique décisive…….offshore

Mieux, le pays siège du COP 21, le sommet sur les changements climatiques tenu à Paris en 2015 est, paradoxalement, un des pays les plus en pointe en matière d’investissements dans les énergies fossiles, à forte production de gaz à effet de serre (charbon, pétrole).

Deux rapports publiés en novembre 2018 par Oxfam et «Amis de la terre» dévoilent le comportement des banques françaises en ce domaine. Six d’entre elles, BNP ParisBas, Société Générale, Banque Populaire-Caisse d’Epargne, Crédit Mutuel CFC, et Banque Postale continuent à investir massivement dans les énergies les plus génératrices de gaz à effet de serre.

En 2016-2017, le total des financement consentis s’établit comme suit: 42,9 milliards d’euros pour les énergies fossiles, soit 71 pour cent des investissements, 11,8 milliards pour les énergies renouvelables, soit 20 pour cent, enfin 5,77 milliards pour les autres formes d’énergie.

Mais cet exercice de prestidigitation auquel s’est livré le premier ministre Edouard Philippe au lendemain d’un week end de violence sur les Champs Elysées, Haut lieu de l’industrie du luxe parisien, début décembre 2018, a paru répondre à son souci de calmer le jeu dans la perspective des fêtes de fin d’année et des élections européennes. Un tour de passe-passe vain.

Sentant l’«entourloupe électoraliste», Emmanuel Macron a corrigé le lendemain son premier ministre jupéiste, en annulant purement simplement la hausse des carburants pour 2019.

Trois motions de censure en deux ans, même pas à mi mandat: La magie a cessé d’opérer. L’état de grâce s’est ainsi transformé en défiance, la défiance en détestation chez une grande partie de la population. Une spirale infernale projetant un président en «fin de moi» difficile, en superposition à des fins de mois difficiles pour une grande majorité des Français.

Le malentendu qui a servi de tremplin à Emmanuel Macron pour se propulser à la tête de l’Etat, dans une sorte de hold up d’une rare audace contre son propre mentor François Hollande, s’est révélé dans toute son ampleur à l’occasion de la première grande consultation générale de son mandat: Les élections européennes.

Loin d’être un triomphe romain, elles se sont apparentées à un Golgotha: le chemin de croix de la vanité du plus jeune président de la République Française.

Malchance ou Malediction? Le télescopage du discours d’Emmanuel Macron sur ses conclusions du grand débat national avec l’incendie de Notre Dame de Paris, le 15 avril 2019, a fait capoter tout le plan de communication présidentiel, le privant de son «effet blast», l’effet de souffle qui aurait dû le propulser au firmament de la popularité. Un télescopage qui a retenti dans l’ordre subliminal comme annonciateur de l’effondrement des temps anciens, dont la mesure la plus symbolique aura été la suppression de l’ENA, le temple de la technostructure française.

Battu par le «Rassemblement National», malgré le débauchage des personnages médiatiques (Bernard Guetta, Pascal Canfin) et le ralliement de personnalités de la droite (Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Jean Veil), les élections européennes ont offert à Marine Le Pen une belle revanche sur sa pitoyable prestation du débat présidentiel de l’entre deux tours, en 2017.

Président a minima, en quête de justesse sociale pour juguler une crise de confiance sur fond de crise sociale et de crise de croissance….Sous Macron, «La République en Marche», son slogan de campagne, s’est révélée «en marche arrière».

Vainqueur a minima du fait de l’extrême fragmentation de la gauche, du débauchage des personnages médiatiques (Bernard Guetta, Pascal Canfin) et du ralliement de personnalités de la droite (Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Jean Veil), Emmanuel Macron est un Président a minima, en quête de justesse sociale pour juguler une crise de confiance sur fond de crise sociale et de crise de croissance….Sous Macron, «La République en Marche», son slogan de campagne, s’est révélée «en marche arrière».

Note de la Rédaction

www.madaniya.info a souhaité soumettre à l’attention de ses lecteurs un texte d’un site www.meltingbook.com/ sans doute parmi les plus aigus dans l’analyse des mouvements sociaux en France et des phénomènes de mode, hors de tout formalisme, loin de tout dognatisme. En témoignage d’estime pour la qualité de ce travail prospectif et à titre de solidarité confraternelle. Fin de la note.

Ci joint le décryptage de ce mouvement total, social global par Nadia Henni Moulaî.

De quoi les Gilets Jaunes sont ils le nom ?

Avec l’aimable autorisation de Nadia Henni-Moulaï, Fondatrice du web magazine Melting Book http://www.meltingbook.com/

Nadia Henni Moulai est notamment l’auteure des ouvrages suivants:

Petit précis de l’islamophobie ordinaire;

1954-1962: la guerre d’Algérie: portraits croisés»

ainsi que d’un «Portrait des Musulmans de France : une communauté plurielle»

https://www.dailymotion.com/video/x4i6aeu

Melting Book est en outre éditeur de l’ouvrage «L’Etat d’urgence permanent» par Hassina Mechai et Sihem Zine

http://www.meltingbook.com/book-letat-durgence-permanent/

et d’une remarquable étude «Les revenants du Djihad»

http://www.meltingbook.com/revenants-des-terrains-du-jihad/

«Le rapprochement des Gilets Jaunes avec les sans-culottes est pertinent en ce qu’il replace la question du mépris des élites à l’égard de toutes ces Frances, qu’elles soient périphériques (au sens défini par Christophe Giully), rurales ou issues des quartiers. Nadia Henni Moulaï.

Que dit la crise des Gilets Jaunes ?

Rarement un mouvement spontané n’avait autant bousculé le sommet de l’Etat. Parti de la hausse du carburant , les Gilets jaunes permettent de dézoomer sur une société française, dépassée par la question socio-économique.

Cinq points clés soulevés par les Gilets jaunes.

Le carburant, la goutte de trop

A lire la liste des revendications des Gilets Jaunes, la question dépasse la simple hausse des carburants. Car, c’est du sentiment d’injustice fiscale qu’a démarré le mouvement. Censée financer la transition écologique, la taxation supplémentaire sur le diesel, dont les pouvoirs publics ont fortement incité les Français à l’achat de ce type de véhicules, a connu une augmentation de 4 centimes d’euros pour l’essence et 7 centimes d’euros pour le diesel en 2018

Un cap que l’exécutif compte bien tenir. Jusqu’en 2022, les carburants étant censés augmenter en continu. Avec un objectif, rendre l’essence moins couteuse car jugée moins polluante que le diesel.

Parmi les causes de cette augmentation, la contribution climat énergie (CEE), sorte de taxe carbone incluse dans les taxes sur les carburants et le fioul.

Or, les Gilets jaunes, forcément impactés par la baisse continue du pouvoir d’achat (pas loin de 500 euros de baisse en moyenne) refusent cette nouvelle taxe qu’ils jugent injuste. Surtout, ils pointent l’absence de TICPE et de TVA sur le kérosène ou le soufre. D’ailleurs, selon la Fédération France Nature, un cargo émettrait autant de soufre que 50 millions de voitures. Comment justifier, alors, l’équité de la fiscalité écologique? Le rapporteur de la commission des finances du Sénat, le confessait, le 7 novembre dernier, la hausse de la fiscalité écologique nourrit «un objectif de rendement».

La fin de l’Etat-providence ?

La question de l’injustice de l’impôt est au cœur des revendications. Avec un taux de prélèvements obligatoires, la France est un pays où la recette fiscale représente près de 50% du PIB. Le cadre de l’impôt, basé sur la solidarité, est donc le fond du problème.

Or, et c’est important de complexifier le sujet, la France est en tête de la redistribution. En matière de dépenses de protection sociale, par exemple, elle culmine à la première place européenne. Une place qui illustre bien sa conception de l’Etat-providence.

Les Gilets jaunes remettent-ils alors, à travers la refonte de la fiscalité, le modèle redistributif et donc l’Etat-providence? Rien n’est moins sûr. La dégradation des services publics, illustrée par la situation dans les hôpitaux soumis à des questions de rentabilité, symbolise bien cet État-providence qui ne tiendrait plus ses promesses. Payer des impôts oui, encore faut-il en profiter pourrait-on lire en filigranes dans les revendications.

La dimension symbolique en creux

Le 29 novembre, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, se voulant rassurant, expliquait que «ce n’est pas un phénomène de masse», à propos des GJ. Une conclusion hâtive et qui élude surtout la dimension symbolique du mouvement. Malgré la faible mobilisation numérique, les Gilets jaunes sont parvenus à mobilier à l’échelle nationale, réseaux sociaux aidant, à un instant T. Fait inédit, les régions, là où le déclassement se fait plus palpable, se sont avérées à l’avant-garde de la protestation.

Si les principales figures des GJ sont politisées, le mouvement n’est officiellement affilié à aucun parti, ni syndicat. Parti du «peuple», il s’apparente davantage comme le souligne Gérard Noiriel à des «sans-culottes et des communards que des poujadistes ou des jacqueries».

Regardés au début de la Révolution française avec mépris par les dominants, les sans-culottes initient le soulèvement populaire qui sonnera la fin de l’Ancien régime. Pourquoi, le rapprochement des Gilets jaunes avec les sans-culottes est pertinent? Parce qu’il replace la question du mépris des élites à l’égard de toutes ces Frances, qu’elles soient périphériques (au sens défini par Christophe Giully), rurales ou issues des quartiers populaires.

Et surtout, elle interroge la fragmentation de la société française où les colères sont, finalement, le point commun qui pourrait devenir point de ralliement pour ces Français, regardés de haut par la classe dominante. Symboliquement, les GJ réveillent le vieux souvenir de la Nuit du 4 août, avec la volonté très nette d’en finir avec une France des privilégiés vs des déclassés.

La désunion, planche de salut de Macron

C’est justement, l’un des enjeux que révèle la crise des Gilets jaunes.

Figure de la Révolution française, Mirabeau écrivait: «La France est un agrégat de peuples désunis». Et c’est précisément, la désunion des Français qui prémunit le chef de l’Etat d’une insurrection, c’est-à-dire du renversement du pouvoir. En France, les colères sont nombreuses mais elles sont fragmentaires. Chacun fulmine dans son coin et à partir de ses propres causes.

Ainsi, l’on parle beaucoup de la France périphérique comme incarnation des GJ mais la liste des revendications publiée par le mouvement en atteste.

Les quartiers populaires, la ruralité et même les métropoles peuvent se retrouver dans les demandes en question. Le comble serait, et c’est le principe de la convergence des luttes, l’union de ces colères.

Pour l’heure, si certains représentants des quartiers populaires appellent à rejoindre les Gilets jaunes, la convergence semble encore minoritaire. D’autant que les agressions racistes du 17 novembre 2018 ont donné une empreinte «extrême-droite» au mouvement.

Le séparatisme social, ciment inconscient de la révolte

Cette désunion trouve son point d’orgue dans le séparatisme social qui s’est fortement accentué ces 30 dernières années. Une note éclairante de la fondation Jean Jaurès publiée en février dernier montre bien comment les élites ont fait sécession par rapport au reste de la société française.

Véritable moteur dans une société, elles ne jouent plus ce rôle, celui d’assumer la solidarité nationale et d’œuvrer en faveur d’un destin national. Le sentiment d’une élite repliée sur elle-même, occupée à la préservation de ses privilèges prédomine. Et c’est précisément, la figure d’Emmanuel Macron, teintée d’arrogance juvénile, qui incarne le mieux cet entre-soi. Elu président de la République à 39 ans, son discours fondé sur la volonté d’en finir avec les privilèges républicains, incarnés pour lui par les fameux «corps intermédiaires» s’est retourné contre lui.

Affaire Benalla, augmentation des salaires ministériels, moquette de l’Elysée a 300.000 euros. Autant d’affaires, qui même déconstruites, laissent dans l’esprit des gens, le sentiment d’une élite baignant dans l’opulence, là où des millions de Français peinent à boucler les fins de mois.

A cela s’ajoute, la dichotomie Paris/Province. Si le 17 novembre 2018 a fait recette dans les provinces, c’est à Paris que le mouvement a pris un tour extrêmement violent le 24 novembre puis le 1er décembre. Le hasard n’existe pas. Dans un Etat très centralisé où le centre décisionnel est à Paris, détruire les Champs Elysées, n’est pas anodin.

Et après? Si le gouvernement appelle au dialogue, Emmanuel Macron a joué la montre, sûr d’un mouvement sans consistance. Une erreur tant la radicalisation crescendo du mouvement est visible. Là, où il aurait dû ouvrir la voie à une négociation d’égal à égal, l’exécutif a campé sur ses positions.

Le problème? Plus les négociations tardent, plus les revendications augmentent, réduisant la marge de manœuvre du gouvernement. En d’autres termes, Macron va certainement renoncer à sa posture ferme et céder à des exigences jusqu’ici inenvisageables. D’autant, qu’une nouvelle mesure, le prélèvement à la source est entrée en vigueur le 1er janvier 2019.

Il est fort à parier que, dans un contexte d’érosion de pouvoir d’achat, l’impact psychologique pourrait pousser certains GJ à «aller chercher» Macron.

René Naba

Pour aller plus loin sur ce même thème, sur le même site

Cf: Le simulacre Macron

http://www.meltingbook.com/le-simulacre-macron

Faut il changer la Loi sur la laïcité (1905) par Chloé Mathieu, Docteur en Droit Public

http://www.meltingbook.com/laicites-faut-il-changer-la-loi-de-1905/

A quoi joue la Police par Jean Riad Kechaou

http://www.meltingbook.com/a-quoi-joue-police-jean-riad-kechaou/

Football France-Europe: Ce que le Football doit aux quartiers populaires par Abdel Krim Branine

https://www.meltingbook.com/football-france-leurope-doivent-aux-quartiers-populaires/

Pas de printemps pour les Gilets Jaunes par
Cyril Garcia, historien, spécialiste du Maghreb et du Proche-Orient. Une analyse sur les Gilets jaunes à partir du Printemps arabe.

http://www.meltingbook.com/pas-de-printemps-pour-les-gilets-jaunes/

Iman Cravallo: étudiante en finance et mannequin: En France, la mode exige des clichés

http://www.meltingbook.com/en-france-la-mode-exige-des-cliches/

Elodie Soulies: Le ministère de l’éducation à la conquête du rêve américain

http://www.meltingbook.com/le-ministere-de-leducation-a-la-conquete-du-reve-americain/

Algérie: L’ultime épeuve d’Abdel Aziz Bouteflika par Cyriel Garcia

http://www.meltingbook.com/abdelaziz-bouteflika-v-lultime-epreuve/

« Vous croyez que les Américains et les Anglais ont débarqué en Normandie pour nous faire plaisir ? Ce qu’ils voulaient, c’était glisser vers le nord le long de la mer  et, de là, donner l’assaut à l’Allemagne. Paris et la France ne les intéressaient pas. Leur stratégie, c’était d’atteindre la Ruhr, qui était l’arsenal, et de ne pas perdre un jour en chemin ». Charles de Gaulle

Cette phrase de  de Gaulle résume à elle seule les non dits de ce que fut le débarquement de Normandie . Il nous renseigne aussi sur la falsification de l’histoire et la condition  des pays européens de plus en plus  sujets qu’acteurs de leurs destins  Le 75 e anniversaire du débarquement anglo-américain a été commémoré en l’absence du pays qui eut une part décisive  l’URSS mais en présence de l’adversaire en l’occurrence l’Allemagne Comme lu sur le journal Le Monde :

« Emmanuel Macron et Donald Trump rendent hommage à ceux qui ont aidé à libérer le pays en présence de quelque 500 vétérans, souvent centenaires.  Quelque 500 vétérans, souvent centenaires, participent aux célébrations Emmanuel Macron a remercié en anglais les vétérans pour avoir libéré la France avant d’appeler Donald Trump, à ne « jamais cesser de faire vivre l’alliance des peuples libres »« L’Amérique n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle se montre fidèle aux valeurs universelles que défendaient ses pères fondateurs, lorsqu’il y a près de deux siècles et demi la France vint soutenir son indépendance », a-t-il ajouté. « Vous êtes la fierté de notre pays », a affirmé en écho Donald Trump à l’adresse des vétérans.   (…) Le 13 novembre, à peine rentré de Paris, où il avait célébré la paix avec d’autres dirigeants du monde, Donald Trump s’était vivement attaqué à son homologue français. Les Français « commençaient à apprendre l’allemand à Paris avant que les Etats-Unis n’arrivent », avait affirmé le président américain, en référence à l’occupation par l’Allemagne nazie à partir de 1940 jusqu’à la libération par les alliés. » (1) 

Sur les 155 000 hommes du jour J, la moitié sont britanniques, et quelque 14 000 soldats canadiens sont débarqués sur les plages normandes.  Trois cent cinquante-neuf Canadiens sont morts ce jour-là, alors que 715 autres ont été blessés ou capturés . Sur cinq plages, trois ne sont pas américaines, Gold, Juno et Sword. Si le commandant en chef, Eisenhower, est américain, le chef des troupes à terre, Bernard Montgomery, est anglais. La Royal Navy et la Royal Air Force prirent une part décisive à l’assaut. Enfin, l’opération Fortitude, qui a trompé les Allemands de manière magistrale, a été conçue et réalisée par l’Intelligence Service et l’état-major britannique. C’est seulement par la suite que l’armée américaine prit l’ascendant sur les troupes britanniques,  

L’apport  décisif mais ignoré  de l’URSS à la victoire sur le nazisme

Il est curieux de constater qu’au sortir de la guerre, la majorité de l’opinion européenne notamment française, reconnaissait sans aucune restriction que le grand vainqueur qui a terrasse le IIIe Reich était l’URSS.  et d’ailleurs le débarquement n’ pas mis fin à la guerre qui a continué encore plus dure le poids étant supporté par l’URSS.  Au fil des ans, le rôle de l’URSS a été de plus en plus minoré par une falsification éhontée de l’histoire, jusqu’à arriver en 2019  à ignorer dans la commémoration  l’URSS et ceci pour des motifs qui n’ont rien  à voir avec les faits passés, mais plutot avec la politique d’alignement  des vassaux devant l’Empire  américain qui dicte la norme.

Le site Causeur s’interroge sur l’oubli de la Russie :

« De la même façon, 27 millions de morts russes de la « Grande Guerre Patriotique » se sont sacrifiés après 1941 pour lutter contre l’Allemagne nazie. 27 millions de morts qui n’ont été représentés par personne dans ces cérémonies du Débarquement, Emmanuel Macron ayant jugé bon de ne pas inviter Vladimir Poutine. Sans le sacrifice soviétique qui a permis de fixer les troupes sur le front de l’Est, pourtant, le Débarquement allié n’aurait pas pu aboutir. Ne pas honorer cette mémoire relève à la fois de la contre-vérité historique, de l’insulte, d’une manipulation opportuniste de cour d’école qui n’est pas à la hauteur de la dignité requise pour célébrer un tel événement, et, surtout, de la manipulation.  Il est curieux de devoir soi-même tordre l’Histoire de manière propagandiste pour asseoir cette dénonciation…   Paul Ricoeur, énonçait pourtant lui-même : « Je reste troublé par l’inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs, pour ne rien dire des commémorations et des abus de mémoire – et d’oubli. L’idée d’un temps politique de la juste mémoire est à cet égard un de mes thèmes civiques avoués. » (2)

Pourquoi la Russie est elle tenue à l’écart ? Est-ce que le rôle de l’URSS était marginal ? Rien de tout cela ! Cecie Vast, docteure en histoire, écrit :

« La réussite du débarquement allié ne doit pas masquer son bilan humain et matériel particulièrement lourd, ni la période de souffrances qui a suivi jusqu’à la capitulation de l’Allemagne nazie, le 8 mai 1945, souligne, dans une tribune au « Monde », l’historienne Cécile Vast.  « Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne ? » : à cette question posée en mai 1945 en France, par l’institut de sondage IFOP, 57 % des personnes sollicitées mentionnent l’URSS. Reconduit dans les mêmes termes en juin 2004, le sondage montre un changement profond dans la perception des événements de la fin de la guerre en Europe, avec désormais 58 % pour les Etats-Unis. Ce basculement interroge sur la place du débarquement anglo-américain de juin 1944 dans les mémoires, et sur la signification de sa centralité qui, dans l’immédiat après-guerre, n’allait pas de soi. En 1945, l’aura de l’Union soviétique et le poids politique considérable du parti communiste l’expliquent en grande partie (…)» (3)

« Le président Vladimir Poutine n’a tout simplement pas été convié sur les plages de Normandie !  Malgré le poids monstrueux supporté par l’Union soviétique au cours de la guerre, malgré les trois grandes offensives menées (Bagration – Lvov/Sandomierz – Iasi/Kishinev) par l’Armée rouge entre le 22 juin et le 20 août 1944 sur un front qui va alors de Leningrad à la mer Noire, Emmanuel Macron n’a donc pas jugé opportun ni d’inviter son homologue russe, ni même de mentionner le rôle déterminant de l’Armée rouge. Cela est d’autant plus inacceptable que la chancelière Merkel était quant à elle bien présente. Rappelons également que l’Union soviétique a payé le plus lourd tribut à la victoire finale contre le nazisme avec la perte de 27 à 30 millions de ses citoyens, sur l’ensemble de la guerre 4 soldats allemands sur 5 furent tués par l’Armée rouge. Cette insulte à l’histoire ne peut être justifiée par les tensions diplomatiques actuelles. L’histoire ne peut pas être l’otage des querelles du présent entre les alliés d’hier » (4). 

Dans un entretien  télévisé à RT le  6/6/2019 Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine dénonce une histoire à l’envers. Elle donne son analyse du débarquement du 6 Juin 1944, et de l’importance de l’effort militaire des Etats-Unis dans la résolution du conflit de la Seconde Guerre mondiale. Pour elle, un mythe du sauveur américain s’est développé le long du XXe siècle surtout depuis 20 ans graduellement l’apport déterminant de l’URSS a été effacée , à la faveur de la domination économique des Etats-Unis sur le monde, occultant largement la victoire militaire de l’Union soviétique en Europe. (5) 

La porte-parole de la diplomatie russe met les pieds considère que le Débarquement en Normandie n’a pas eu d’influence décisive sur l’issue de la Seconde guerre mondiale  Tout en reconnaissant l’importance des Alliés, la Russie invite à ne pas minorer le rôle de l’Union soviétique dans la victoire contre les nazis. Sans elle, affirme  la porte-parole de la diplomatie russe, la victoire n’aurait pas eu lieu. 

« L’apport des Alliés dans la victoire sur le Troisième Reich est clair. Mais il ne faut pas l’exagérer et minorer par là même la signification des efforts titanesques de l’Union soviétique, sans laquelle cette victoire n’existerait tout simplement pas », a déclaré aux journalistes la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova.  « le Débarquement en Normandie n’a pas eu d’influence décisive sur l’issue de la Seconde guerre mondiale […] déjà déterminée par la victoire de l’Armée rouge, avant tout à Stalingrad, Koursk »  Le souvenir de la Grande Guerre Patriotique,  reste la source d’une immense fierté dans le pays et constitue un pilier essentiel du patriotisme prôné par le Kremlin ». (6)  

Les pertes subies

Il eut au total  près de 70 millions de morts 3,5% de la population totale L’union soviétique a payé le plus lourd tribut avec 27 millions de morts  (16,42 %) suivi de l’Allemagne 8 millions  (12,42 %)  La France avec 567000 morts (1,3%)  eu 200.000 militaires dont une grande partie venait des colonies Le Royaume unis eut 450.000 morts soit 0.94 % et enfin les Etats Unis avec 418.000 morts soit 0,32% . La perte des alliés  occidentaux  1, 6 millions de morts est au total  18 fois moins importantes que les pertes soviétiques (7). 

Malgré cela la Russie actuelle est chaque fois « oubliée » comme cette fois ci et la fois d’avant. La Russie pendant ce temps là mise sur l’avenir. Le même jour un immense traité était signé avec la Chine pour les technologies du futur etle développement de l’immense potentiel russe.  

Le mathématicien Alan Turing casse le code allemand 

Pour Laurent Joffrin :

« L’opération Overlord recèle encore des zones d’ombre, des épisodes mal connus ou volontairement occultés. Voici les derniers secrets du jour le plus long.  (…) Contrairement à ce qu’on pense souvent et malgré l’énormité des moyens déployés – 5.000 navires, 10.000 avions, quelque 155.000 hommes -, l’assaut du 6 juin 1944 fut à deux doigts d’échouer. Laurent Joffrin cite le cas de  Alan Turing qui fut un des hommes clés de l’opération en déchiffrant le code allemand.   Alan Turing était sans doute le mathématicien le plus doué de sa génération.  en imaginant le principe d’une machine universelle, qu’on appellerait bien plus tard un ordinateur. Quand la guerre commença, Turing fut engagé dans une équipe bizarre, composée de mathématiciens, de germanisants, de linguistes, de spécialistes des codes et d’amateurs de mots croisés.  , elle avait pour but de décrypter les communications secrètes de la Wehrmacht. Ces messages radio étaient cryptés par un appareil compliqué appelé Enigma, une sorte de machine à écrire à laquelle on avait ajouté trois rouleaux de métal qui tournaient dès qu’on tapait une lettre. Ces trois rotors garantissaient le secret : grâce à la rotation automatique, les lettres n’étaient jamais codées de la même manière, ce qui rendait les messages indéchiffrables par les crypto-analystes. (…) Les crypto-analystes détectèrent quelques régularités dans le codage des messages et comprirent qu’en mettant en oeuvre le principe de Turing, et donc en construisant grâce à lui l’un des premiers ordinateurs de l’histoire, capable de tester des milliers de combinaisons en quelques minutes, on pouvait déchiffrer en temps réel des messages qu’on aurait normalement mis des semaines à comprendre. Dès 1940, les équipes de Bletchley Park furent en mesure de transmettre chaque jour à Churchill le texte en clair des communications allemandes les plus confidentielles.  Grâce à eux, enfin, les Britanniques purent vérifier la bonne marche de l’opération Fortitude, destinée à tromper Hitler sur le lieu et la date du Débarquement. Turing avait donné à Churchill l’un de ses atouts maîtres » (8).

La face cachée du débarquement en Normandie

L’opération cesse officiellement le 30 juin 1944. La flotte d’invasion était composée de 6939 navires (1213 navires de guerre, 4126 navires de transport et 1600 navires de soutien  200.000 obstacles de plage installés par les Allemands le long du Mur de l’Atlantique, 200.000 véhicules alliés de toutes sortes débarqués en Normandie le 6 juin 1944 à minuit. 11.590 appareils alliés (chasseurs, bombardiers, transport, reconnaissance et planeurs), 10.395 tonnes de bombes alliées larguées sur la Normandie toute la journée du 6 juin 1944. Deux ans plus tôt l’opération Torch vit le débarquement des Alliés principalement en Afrique du Nord (Algérie)(9) 

Si l’on devait résumer l’apport de la France au débarquement , il y eut les commandos et la résistance FFI et FTP  Les commandos du Commando Kieffer, des Français qui ont fait le débarquement, étaient insignifiants en nombre 177 sur un total de plus de 150000 alliés  De plus Lucie Aubrac avoue que la Résistance avait « peu d’armes » mais surtout, qu’elles n’étaient pas regroupées en Normandie pour attaquer  Dwight Eisenhower écrit à leur propos :

« Notre plan reposait sur l’appoint considérable que nous escomptions de la part des mouvements des maquis en France. On savait qu’ils étaient particulièrement nombreux en Bretagne, et dans les montagnes et les collines proches de la côte méditerranéenne. […] Nous désirions particulièrement que, le Jour J, le général De Gaulle s’adressât avec moi par radio à la population française afin qu’elle ne se soulève pas et ne s’expose pas à des sacrifices inutiles qui n’avaient pas encore d’intérêt mais qu’elle se réservât pour le moment où nous lui demanderions son appui. » C’est net : pour débarquer, les Anglo-américains n’avaient nullement besoin de l’aide de la Résistance. Ils n’en voulaient pas. Ils considéraient que ce serait des « sacrifices inutiles ». Les actions de harcèlement n’ont nullement pesé sur le cours des opérations. » (10)

De Gaulle tenu à l’écart du débarquement

« On sait qu’après la débâcle de mai-juin 40, l’armistice acceptée par le maréchal Pétain, réfugié en Angleterre dès le 17 juin 1940, De Gaulle lance sur les ondes de la radio britannique, la BBC, un appel à la Résistance le 18 juin 1940. Pourtant, à force d’opiniâtreté et d’indépendance, le 3 juin 1944, De Gaulle se légitimise graduellement malgré ses alliés Le Comité français de la Libération nationale (Cfln) que présidait le général De Gaulle devint Gouvernement provisoire de la République française (Gprf). Les Alliés anglo-saxons considéraient en effet, que, dans l’attente d’assurances démocratiques sur la représentativité du gouvernement, le rétablissement de la loi et de l’ordre dans la France libérée devrait se faire sous la supervision du général Eisenhower. Parvenu dans la capitale anglaise le 3 juin en fin de journée, il rencontra Churchill puis Eisenhower le 4. Les rencontres se passèrent très mal, De Gaulle refusant toute idée d’administration provisoire de la France par les Alliés. (…) de Gaulle   est tenu à l’écart par les Alliés de la préparation du débarquement. Début juin 1944, il refuse toute idée d’administration provisoire de la France par les Alliés. Il fait son entrée en France le 14 juin. « Depuis plusieurs jours,  j’étais prêt à ce voyage. Mais les Alliés ne s’empressaient pas de me le faciliter » ». (11) 

De Gaulle a été  par la suite admis par les alliés  puis mis en avant pour contrer les maquis communistes qui se seraient organisé à la Libération. De Gaulle à été considéré comme une option anti-communiste,  Il faut se souvenir que le Parti communiste faisait alors 28,6% aux élections, qu’il atteint les 800 000 adhérents .Les anglo-américains ayant  accepté  finalement de Gaulle– le moindre mal- en face de l’influence du  communisme qu’il fallait à tout prix.

Le refus de de Gaulle de toute commémoration 

On l’aura compris  de Gaulle a été tenu  délibérément à l’écart de la libération de son pays. On comprend son ressentiment  il y a 50 ans, le 6 juin 1964, Charles de Gaulle refusait de commémorer « le débarquement des anglo-saxons ».  Le site UPR résume le refus :

« Il n’échappe à personne que cet éloge permanent des États-Unis revêt une dimension politique et géopolitique marquée. Affirmer à longueur d’antenne que les États-Unis ont « libéré la France » en 1944 ne peut avoir pour effet que d’assourdir, et même de faire taire, les critiques contre la politique actuelle de Washington.  (…) C’est pourquoi cette opération à grand spectacle – dont les enjeux implicites en terme de propagande sont énormes – doit être examinée sans complaisance. Lorsque Charles de Gaulle était à l’Élysée, il ne fut jamais question de célébrer en grande pompe cette date du 6 juin. Le Chef de la France Libre avait même obstinément refusé de commémorer le 20e anniversaire du débarquement, le 6 juin 1964,   En fait, l’homme du 18 juin refusa toujours de commémorer cette date, que ce fût son 5e, son 10e, son 15e ou son 20e anniversaire. » (12)

   « Pourquoi Charles de Gaulle refusa-t-il toujours de commémorer le débarquement du 6 juin ?»  Il s’en est longuement expliqué devant Alain Peyrefitte, en 1963 et en 1964, alors que celui-ci était son ministre de l’Information.  Il suffit donc de relire les passages pertinents de l’ouvrage de Peyrefitte C’était de Gaulle (13)

Verbatim des phrases de de Gaulle :

« Eh bien, non ! Ma décision est prise ! La France a été traitée comme un paillasson ! Churchill m’a convoqué d’Alger à Londres, le 4 juin, il m’a fait venir dans un train où il avait établi son quartier général, comme un châtelain sonne son maître d’hôtel. Et il m’a annoncé le débarquement, sans qu’aucune unité française ait été prévue pour y participer. Nous nous sommes affrontés rudement. Il m’a crié de toute la force de ses poumons : « De Gaulle, dites-vous bien que quand j’aurai à choisir entre vous et Roosevelt, je préférerai toujours Roosevelt ! Quand nous aurons à choisir entre les Français et les Américains, nous préférerons toujours les Américains ! Quand nous aurons à choisir entre le continent et le grand large, nous choisirons toujours le grand large ! » « Et vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! » (13)

 « Le débarquement du 6 juin,  ç’a été l’affaire des Anglo-Saxons, d’où la France a été exclue. Ils étaient bien décidés à s’installer en France comme en territoire ennemi ! Comme ils venaient de le faire en Italie et comme ils s’apprêtaient à le faire en Allemagne ! Ils avaient préparé leur AMGOT qui devait gouverner souverainement la France à mesure de l’avance de leurs armées. Ils avaient imprimé leur fausse monnaie, qui aurait eu cours forcé. Ils se seraient conduits en pays conquis. AMGOT = « Allied  military government for occupied territories », gouvernement militaire allié pour les territoires occupés » (13).

 « C’est exactement ce qui se serait passé si je n’avais pas imposé, oui imposé, mes commissaires de la République, mes préfets, mes sous-préfets, mes comités de libération ! Et vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n’est pas là ! » Et puis, ça contribuerait à faire croire que, si nous avons été libérés, nous ne le devons qu’aux Américains. Ça reviendrait à tenir la Résistance pour nulle et non avenue » (13).

 « En revanche, ma place sera au mont Faron le 15 août, puisque les troupes françaises ont été prépondérantes dans le débarquement en Provence,   (…) Et je commémorerai la libération de Paris, puis celle de Strasbourg,   « Les Français sont déjà trop portés à croire qu’ils peuvent dormir tranquille, qu’ils n’ont qu’à s’en remettre à d’autres du soin de défendre leur indépendance ! Il ne faut pas les encourager dans cette confiance naïve, qu’ils paient ensuite par des ruines et par des massacres ! Il faut les encourager à compter sur eux-mêmes ! » (13)

 « Vous croyez que les Américains et les Anglais ont débarqué en Normandie pour nous faire plaisir ?  Les Américains ne se souciaient pas plus de libérer la France que les Russes de libérer la Pologne. » Ce que Roosevelt et les Américains voulaient vraiment faire de la France en 1944 le général américain Eisenhower, bien entendu avec le plein accord du président Roosevelt, a décidé de maintenir l’Amiral Darlan, l’un des dauphins de Pétain, au pouvoir à Alger. En somme, Darlan a retourné sa veste et les Américains l’en récompensent en le maintenant dans ses fonctions à la tête de l’Afrique du nord française ! »  (13) 

On voit donc bien la collusion qu’il y avait entre les autorités américaines et les autorités du régime de Vichy. Le président Roosevelt et les cercles dirigeants américains voulaient disposer, au sortir de la guerre, d’une France aussi domestiquée que celle qu’avait souhaitée Hitler.

C’était finalement un conflit d’impérialisme entre les Américains et les Allemands, rien d’autre.  (…) Cette vision stratégique de ce que devait devenir la France d’après-guerre selon Washington a été confirmée et précisée par Charles de Gaulle, vingt ans après les événements. Toujours à Alain Peyrefitte, dans un autre passage capital de l’ouvrage C’était de Gaulle. Passage que voici  : Charles-de-Gaulle :

« Roosevelt était un type qui voulait dominer l’univers et, bien entendu, décider du sort de la France.   Roosevelt, c’était pareil, il ne traitait qu’avec des gens qui étaient mes ennemis.    Je me rappelle un soir, quand j’ai rencontré Roosevelt pour la première fois, au Maroc. Roosevelt voulait m’obliger à me soumettre à Giraud. J’ai envoyé Roosevelt se faire foutre, poliment mais fermement.  « La politique de Roosevelt, c’était exactement celle qu’ont aujourd’hui les Américains dans le Sud-Est asiatique. Ils ne peuvent pas en imaginer d’autre. Des marionnettes, c’est ça qu’ils veulent en face d’eux. » (14)

« Il est important que les Français, et notamment les jeunes générations, sachent que Roosevelt avait décidé : de placer la France « libérée » sous son occupation militaire américaine, de lui imposer une « fausse monnaie » imprimée aux États-Unis, et de maintenir Pierre Laval au pouvoir, figure hideuse et honnie de la Collaboration et de l’intelligence avec l’ennemi, et tout cela avec la complicité de l’ambassadeur d’Hitler en France. Au lieu de se plier servilement à l’opération de communication voulue par Washington afin de légitimer son hégémonie actuelle sur l’Europe et la France – par Union européenne et Otan interposées –, le président Hollande devrait ainsi garder à l’esprit que son rôle est d’enseigner la vérité historique aux jeunes générations et d’être « le garant de l’indépendance nationale », comme le lui en fait obligation l’article 5 de notre Constitution. » (12) 

Conclusion

Nous avons participé  à la seconde guerre mondiale d’une part avec les dizaines de milliers  de tirailleurs algériens dont beaucoup ne sont pas revenus. Le débarquement eut aussi à  Alger en 1942  (opération Torch) Nous avons ingurgité en tant qu’Algériens  une histoire fausse de la réalité du débarquement. Un jour on écrira  aussi que la libération de la France  notamment le débarquement de Provence  et la remontée  jusqu’à Paris fut l’œuvre des troupes de l’Afrique du Nord principalement des Algériens des pieds noirs mais aussi des Marocains et des pays de l’Afrique Noire. 

On saura, aussi,  que les émigrés algériens malgré des conditions existentielles exécrables, n’ont pas marchandé leur  apport à la victoire sur les nazis. Ainsi  , ils ont sauvé les Juifs lors des purges nazis pendant que beaucoup de  Français  au mieux regardaient ailleurs , au pire, ils les dénonçaient.  Les Algériens s’enrôlèrent dans les FTP et les FFI, ils sauvèrent plusieurs parachutistes alliés  De plus Les Algériens firent preuve d’imagination : ainsi le célèbre mot d’ordre « Ammarache nagh » «  ils sont comme nos enfants »  pour dérouter les nazis , en demandant aux Algériens en kabyle de sauver  des enfants juifs .

Le travail admirable sous la direction du  recteur  Benghebrit recteur de la Mosquée de Paris , et de l’imam  Mesli -qui sera déporté sur dénonciation a fait que 1600 juifs avaient eu des papiers attestant qu’ils étaient musulmans. Même  si le mémorial israélien de Yad Vachem les ignore injustement  lui qui a recensé tout les justes qui ont permit à Israël de lutter contre la barbarie nazie, les faits sont là et aucune falsification ne peut les effacer .Les Algériens qui ont  défendu les juifs en risquant leur vie , ne l’ont pas fait pour une quelconque reconnaissance l’ont fait par humanisme  et certainement pas pour Israël qui à bien des égards, applique vis à vis d’une autre humanité: Les Palestiniens, les mêmes méthodes que celles des nazis mais ceci est une autre histoire . 

Cependant, s’agissant de nos anciens rapports avec la France, il viendra le jour de l’écriture d’un chapitre de l’histoire de  France  non falsifié  : par le prix du sang des Tirailleurs algériens, ,  par le prix de la force de travail : les  tirailleurs bétons pour reconstruire la France…  C’est cela l’œuvre positive de l’Algérie pour la France…

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

 

 

Notes :

1.https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/06/la-france-celebre-le-6-juin-1944-avec-donald-trump_5472133_3210.html

2.https://www.causeur.fr/d-day-emmanuel-macron-supprime-la-france-eternelle-de-la-lettre-dhenri-fertet-161935

3.Cécile Vast Docteure en histoire https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/06/06/le-6-juin-1944-ou-la-joie-mutilee_5472124_3232.html

4.https://www.vududroit.com/2019/06/commemoration-du-jour-j-la-fin-de-lhistoire/

5.http://www.politique-actu.com/osons/debarquement-1944-mythe-sauveur-americain-avis-annie-lacroix-historienne/1770190/

6.https://www.ouest-france.fr/d-day/pour-la-russie-le-debarquement-n-pas-eu-d-influence-decisive-dans-la-victoire-6384124

7.https://fr.wikipedia.org/wiki/Pertes_humaines_pendant_la_Seconde_Guerre_mondiale

8. Laurent Joffrin   https://www.nouvelobs.com/le-dossier-de-l-obs/20140605.OBS9593/70-ans-apres-les-12-mysteres-du-debarquement.html

9.Chems Eddine Chitourhttps://www.legrandsoir.info/la-face-cachee-du-debarquement-en-normandie.html  

10.http://forumfrance-en-guerres.clicforum.fr/t2110-Le-mythe-de-la-Resist…
11.http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/05/23/les-principaux-acteurs-du_n…

12.https://www.upr.fr/actualite/france/charles-de-gaulle-refusait-de-commemorer-le-debarquement-des-anglo-saxons-le-6-juin-1964/

13. Alain Peyrefitte Extrait de l’ouvrage « c’était de Gaulle »  Tome 2, Édition de Fallois Fayard 1997 – pages 84 à 87   

14. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, Tome 2, l’Unité, 1942-1944, chapitre « Tragédie » Page 48 (édition Plon)

 

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Avec la marginalisation du Parti québécois et le remplacement du Parti libéral par la CAQ, nous assistons à un cycle politique caractérisé par l’alternance sans réelle alternative, en conformité avec l’ordre néolibéral. Ce gouvernement nationaliste de droite élu par 25 % de l’électorat, si l’on tient compte des abstentions, a recours à une recette éprouvée pour, à la fois, consolider et légitimer son pouvoir : détermination d’un problème réel ou imaginaire (la laïcité), élaboration d’une rhétorique alarmiste (retour du religieux) et désignation des responsables du problème (les musulmans). Les stratèges de François Legault n’ont rien inventé. Il y a une cinquantaine d’années, le mouvement nationaliste de l’époque s’est servi de la même recette mais avec d’autres ingrédients : la langue française, l’anglicisation et les italophones.

Il a fallu près d’une décennie pour que le psychodrame linguistique, se déroulant aux dépens des Québécois d’origine italienne, se dénoue enfin par l’adoption de la loi 101. Les relations entre ces derniers et les francophones se détériorèrent à tel point, et pendant si longtemps, que la méfiance et le ressentiment eurent raison de Giuseppe Sciortino, candidat péquiste dans Mercier, lors de l’élection précédant le dernier référendum. Il fut obligé, in extremis, de céder la place à un francophone d’ascendance canadienne-française à la suite de manoeuvres douteuses. Récemment, Michel David, chroniqueur au Devoir, écrivait que la présence de Sciortino, avocat éminemment ministrable au sein du futur gouvernement Parizeau, aurait probablement apporté au camp souverainiste les 45 000 voix qui lui manquaient pour remporter le référendum de 1995. Le nationalisme mesquin et revanchard est parfois suicidaire.

Aujourd’hui, ce sont les musulmans, en particulier les musulmanes, qui ont le mauvais rôle. Pourtant, il y a une vingtaine d’années, près des deux tiers des Québécois étaient contre l’interdiction du voile islamique. Selon un sondage récent, ils sont maintenant au moins autant à vouloir l’interdire. Pourquoi ce revirement ? Nul besoin d’être un exégète de Gramsci pour savoir que l’adhésion à un projet politique ou de société (ou perçu comme tel) est précédée par une longue période de propagation des idées et d’imprégnation des esprits auxquelles contribuent, consciemment ou non, de nombreux acteurs sociaux. En France (source d’inspiration pour certains Québécois) comme ici, politiques, chroniqueurs et essayistes se sont employés avec autant de ferveur que de constance à élaborer une rhétorique hostile à l’immigration et à la diversité culturelle — assimilée au multiculturalisme trudeauiste pour mieux la dénoncer — tout en souscrivant au mythe du choc des civilisations : une idéologie servant, entre autres, à dénigrer l’islam. Partout en Occident, l’islam est devenu l’ennemi à abattre. Le Québec ne fait pas exception. Il faut être d’une grande naïveté pour croire que le projet de loi 21 existerait sans la présence des musulmans.

Nationalistes conservateurs

Ce discours n’aurait pas eu autant de succès sans la contribution, depuis le tournant du millénaire, de nationalistes conservateurs, défenseurs d’une nation ethnoculturelle qui, craignant sans raison valable « la tyrannie des minorités » et « le reniement de soi », poursuivent, tout en le niant, la chimère d’un Québec assimilationniste et homogène. Il y a de cela aussi dans l’interdiction du port du foulard musulman. Ces hérauts d’un temps révolu, aux accents groulciens, doivent nous expliquer pourquoi l’assimilation que les francophones d’Amérique ont combattue avec autant de détermination serait souhaitable pour les immigrants.

Mais pourquoi la laïcité est-elle devenue la priorité de ce gouvernement, auquel on a dû rappeler l’importance de l’environnement, alors que deux millions et demi de Québécois ont un revenu inférieur à 25 000 $, que le système scolaire est le plus inégalitaire au Canada en raison de sa double ségrégation sociale et ethnique, et que les Québécois francophones sont sous-scolarisés par rapport aux immigrants (21 % contre 39 % de diplômés universitaires) et aux anglophones ? L’hégémonie néolibérale est telle, en Occident, que les partis de gouvernement, et non pas les formations politiques marginales, ne se distinguent presque plus sur les questions fondamentales et cherchent à tout prix à se différencier sur des questions secondaires ou fallacieuses, comme la laïcité ici ou l’islamisation et d’autres mythes ailleurs. C’est l’alternance sans véritable alternative. Ceux qui doutent de l’emprise, sur ce gouvernement, de cette rationalité mortifère, fondée principalement sur la concurrence généralisée, n’ont qu’à penser à la mise en concurrence de l’industrie du taxi avec Uber, aux immigrants réguliers avec les travailleurs temporaires et aux maternelles quatre ans avec les CPE.

Mais, au-delà de ce qui précède, il y a une réponse très simple à cette question : la laïcité est devenue une priorité parce que s’en prendre aux immigrants est politiquement rentable, comme partout en Occident. Le psychodrame d’il y a cinquante ans nous a peut-être coûté la souveraineté. Quel prix paierons-nous pour celui qui se déroule maintenant aux dépens des musulmans ?

Marco Micone

Écrivain

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L’Algérie vient de signer un mémorandum d’entente avec la République populaire de Chine portant sur la coopération dans le cadre de l’initiative «La ceinture économique de la route de la soie et la route de la soie maritime du XXIe siècle».

Une initiative chinoise qui remet au goût du jour et sous de plus larges ambitions les anciennes routes de la soie. Avec son adhésion à ce projet, l’Algérie ouvre de nouvelles perspectives à ses échanges commerciaux et pourra prétendre à de nouveaux marchés. 1000 milliards de dollars pour près d’un millier de projets sont engagés par la Chine pour rendre réel un projet pharaonique de lancement de nouveaux itinéraires pour la route de la soie. Six ans que le projet existe et fait grincer des dents du côté des puissances occidentales qui y voient une «réelle menace».

Avec des mégaprojets d’infrastructures et de passages commerciaux, les nouvelles routes de la soie comptent la construction de nouveaux ports, des milliers de kilomètres de voies ferrées, des routes, des oléoducs reliant l’Asie, l’Europe, l’Afrique et même des pays de l’Amérique latine. Il ne s’agira pas de la route empruntée par Marco Polo il y a 1000 ans, mais d’une multitude de connexions maritimes et terrestres et six corridors économiques devant faciliter les échanges commerciaux à partir et vers la Chine.

 Le très ambitieux projet chinois prévoit un axe routier et ferroviaire de 10 000 kilomètres de long reliant l’ouest de la Chine à l’Europe, ainsi que des investissements dans des dizaines de ports de par le monde. Le projet gigantesque inclut même de nouvelles routes vers l’Arctique. 72 pays ont rallié le vaste programme d’investissement chinois hors de Chine, dont l’Italie en Europe.

Lancées depuis 2013 par le président Xi Jinping, les nouvelles routes de la soie promettent de créer une nouvelle dynamique économique, notamment sur le plan de la consommation énergétique qui devrait tripler d’ici 2030, ce qui pourrait ouvrir à un pays exportateur d’hydrocarbures, comme l’Algérie, de nouveaux débouchés, surtout que son traditionnel marché qui est l’Europe présente certaines complications du fait de la concurrence. 25 milliards de dollars ont déjà été dépensés par la Chine dans plusieurs projets depuis 2013.

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Le Washington Post a rapporté hier que des responsables du ministère américain de la Justice avaient adressé jeudi dernier aux autorités britanniques une demande officielle d’extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Le document n’a pas été rendu public.

Le gouvernement américain disposait de 60 jours à compter de l’arrestation d’Assange par la police britannique, le 11 avril, pour présenter une demande d’extradition complète au Royaume-Uni. La première audience de fond sur la demande d’extradition américaine doit avoir lieu à Londres, le 14 juin.

L’article du Washington Post confirme que l’Administration Trump accélère sa tentative de poursuivre Assange sur 18 chefs d’accusation, dont dix-sept pour violation de la loi sur l’espionnage, cela malgré l’opposition généralisée des travailleurs, des étudiants, des jeunes et des défenseurs des libertés civiles, aux États-Unis et dans le monde.

Les accusations portées contre Assange à cause de son rôle dans la dénonciation des crimes de guerre et des complots diplomatiques américains sont une attaque frontale du droit à la liberté de la presse garanti par le premier amendement de la Constitution américaine.

Aucune administration américaine n’avait auparavant cherché à poursuivre un journaliste et un éditeur en vertu de la loi sur l’espionnage, une loi draconienne utilisée au cours de l’histoire pour cibler les activistes anti-guerre, les espions présumés et ceux qui lancent l’alerte face aux gouvernements.

En vertu des lois britanniques et américaines en vigueur, les personnes extradées du Royaume-Uni vers les États-Unis ne peuvent être accusées de crimes autres que ceux figurant dans la demande officielle d’extradition ou qui auraient été commis après la présentation de la demande.

Selon le Washington Post, le ministère de la Justice ne porterait pas de charges contre Assange sur la publication par WikiLeaks d’une série de documents de la CIA (Central Intelligence Agency) surnommée «Vault 7», en 2017. «Selon les représentants du gouvernement», cette décision a été prise «par crainte que cela ne porte davantage atteinte à la sécurité nationale».

WikiLeaks a expliqué maintes fois que l’intensification par les États-Unis des poursuites contre Assange était due à la divulgation de «Vault 7». Celle-ci avait incité Mike Pompeo, alors directeur de la CIA, à dénoncer Assange en avril 2017 comme un «démon» et WikiLeaks comme une «agence de renseignement non-étatique hostile».

Les responsables américains ont immédiatement intensifié leur campagne de pression sur les autorités équatoriennes afin qu’elles abrogent l’asile d’Assange et l’expulsent de l’ambassade. Ils ont aussi été à l’origine de l’enquête du FBI ayant abouti aux accusations portées en vertu de la Loi sur l’espionnage.

«Vault 7» a démasqué le développement par la CIA de capacités de piratage offensif et son déploiement de virus informatiques malveillants. Les documents montrent que l’agence avait développé la capacité de pirater les systèmes informatiques et de laisser des «signes révélateurs» pour attribuer les attaques à des adversaires comme la Russie, la Chine et l’Iran.

D’autres documents indiquaient que la CIA avait la capacité de s’immiscer dans les appareils électroménagers comme les téléviseurs intelligents, permettant une potentielle surveillance de masse. Certains montraient que l’agence voulait être capable de pirater les systèmes informatiques des voitures modernes – une capacité utilisable dans un programme d’assassinat.

Malgré les restrictions sur les charges supplémentaires retenues contre Assange, autres que celles contenues dans la demande d’extradition officielle, il y a des indications que des enquêtes sont en cours contre lui.

La courageuse lanceuse d’alerte Chelsea Manning qui a fuité des informations à WikiLeaks en 2010 reste emprisonnée par l’Administration Trump. Un tribunal américain l’a détenue sans inculpation afin de la forcer à témoigner contre Assange en se parjurant devant un grand jury convoqué pour enquêter sur WikiLeaks.

Vendredi dernier, WikiLeaks a averti que les États-Unis essayaient de relancer une tentative faite par le FBI en Islande en 2011 de piéger Assange pour «piratage informatique».

L’organisation a rapporté que l’informateur islandais du FBI Sigurdur Thordarson, condamné pour fraude et détournement de fonds, s’était rendu à Washington à la fin du mois dernier pour y être interrogé. Cela pouvait conduire à des accusations supplémentaires concoctées contre Assange. L’équipe du FBI ayant mené l’enquête sur Assange a également interrogé Thordarson en Islande début mai.

La demande officielle d’extradition coïncide avec les nouvelles de la dégradation de la santé d’Assange. Le 30 mai, WikiLeaks publiait une déclaration confirmant qu’on l’avait transféré à l’unité médicale de la prison de Belmarsh et qu’il y avait de «graves préoccupations» sur son «état de santé».

Le lendemain, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Nils Melzer, qui avait vu Asssange début mai, publiait un communiqué avertissant qu’il «présentait tous les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique».

Melzer a condamné la persécution d’Assange par les gouvernements américain, britannique, suédois et équatorien. Il a averti que les tribunaux britanniques avaient porté atteinte au droit d’Assange à une procédure régulière. De surcroît, le fondateur de WikiLeaks risquait d’être exposé à d’autres tortures et violations des droits de l’homme s’il était extradé aux États-Unis.

Le rapport de l’ONU et la crise de santé d’Assange ont intensifié l’opposition aux tentatives américaines de l’extrader.

Vendredi, le Club des journalistes mexicains a publié un appel à une action commune en défense d’Assange. «Nous devons agir ensemble pour montrer notre capacité d’agir. Si on laisse tomber Assange, on se laisse tomber soi-même. Cela ne doit pas se produire», a déclaré sa secrétaire générale, Celeste Saenz de Miera.

Cette déclaration est venue à la suite d’événements internationaux montrant que les attaques menées contre Assange ont ouvert la voie à une vaste offensive contre la liberté de la presse.

La semaine dernière, la police australienne a perquisitionné le domicile d’un journaliste de News Corp et les bureaux de l’Australian Broadcasting Corporation à Sydney pour des articles dénonçant des crimes de guerre en Afghanistan et des plans de surveillance gouvernementaux. Le gouvernement français lui, s’apprête à poursuivre des journalistes pour avoir dénoncé sa complicité dans la guerre de l’Arabie saoudite contre le Yémen.

S’adressant aujourd’hui à la radio KPFA, le journaliste d’investigation australien John Pilger a déclaré que ces actions justifiaient les avertissements d’Assange selon lesquels les «prétendues démocraties libérales étaient en train de changer» et adoptaient de plus en plus les méthodes des «autocraties». Pilger a appelé à la plus large mobilisation possible pour la défense d’Assange.

Des rassemblements ont lieu cette semaine en Grande-Bretagne et dans d’autres pays. Hier, le Parti de l’égalité socialiste a annoncé une série de manifestations à Sydney, Melbourne et Brisbane pour exiger que le gouvernement australien remplisse ses obligations envers Assange en tant que citoyen et journaliste en obtenant sa sortie de Grande-Bretagne et son retour en Australie, avec une garantie contre son extradition aux États-Unis.

Oscar Grenfell

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 11 juin 2019

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Le président américain Trump a menacé d’imposer immédiatement une nouvelle série de droits de douane sur des marchandises chinoises d’une valeur de plus de 300 milliards de dollars si le président chinois Xi Jinping ne le rencontre pas en marge du sommet du G20 qui se tiendra au Japon à la fin du mois.

La menace a été lancée lors d’une interview donnée hier à la chaîne d’affaires CNBC, après que Trump a appris que Pékin n’avait pas encore confirmé la tenue d’une telle réunion.

Trump a déclaré qu’il n’avait pas entendu dire que la réunion n’aurait pas lieu et qu’il serait surpris que Xi soit absent. Toutefois, en l’absence de Xi, des tarifs de 25 pour cent seraient immédiatement imposées, en plus du tarif de 25 pour cent appliqué aux produits chinois d’une valeur de 250 milliards de dollars.

«Nous sommes censés nous rencontrer. Si nous le faisons, c’est bien et si nous ne le faisons pas, c’est bien. Écoutez, de notre point de vue, le meilleur accord que nous puissions obtenir est de 25 pour cent sur les 600 milliards de dollars [de marchandises chinoises], d’accord?», a-t-il déclaré.

Trump a utilisé son interview pour attaquer les opposants à ses mesures tarifaires au sein de groupes commerciaux américains et pour renouveler son offensive contre la Réserve fédérale sur les taux d’intérêt et la politique monétaire.

L’interview a été précédée par les commentaires de Myron Brilliant, vice-président de la Chambre de commerce des États-Unis, qui s’est opposé aux mesures tarifaires qui créent une «incertitude chez nos partenaires commerciaux».

«L’utilisation de tarifs comme une arme – l’aggravation des menaces sur notre économie, nos agriculteurs, nos fabricants, nos consommateurs – va faire mal à notre pays», a-t-il déclaré.

Brilliant était particulièrement préoccupé par la menace de Trump d’imposer un droit de douane de 25 pour cent sur tous les produits mexicains si le Mexique ne se conformait pas aux exigences des États-Unis d’interrompre le flux d’immigrants et de réfugiés aux États-Unis, ce qui a été annulé à la suite de l’accord annoncé vendredi.

Il a noté que la menace tarifaire contre le Mexique avait été invoquée après la conclusion de l’accord États-Unis/Mexique/Canada (USMCA). Cela signifiait que si la Chine concluait un accord commercial avec les États-Unis, l’administration Trump pourrait toujours revenir plus tard et menacer d’imposer des droits de douane.

Trump a répondu que si la menace tarifaire n’avait pas été brandie, «nous n’aurions pas conclu l’accord avec le Mexique».

Sur des questions plus larges, il a évoqué le thème clé de son programme de «l’Amérique d’abord», affirmant que Brilliant défendait les intérêts des entreprises de la Chambre de commerce américaine qui étaient satisfaites des arrangements actuels, mais pas du pays.

Au cours de l’entretien, Trump a renouvelé son attaque contre la Fed [banque centrale] et donné une indication du type de régime personnalisé qu’il souhaiterait voir instaurer aux États-Unis.

Il a ajouté que la Chine avait dévalué sa monnaie et que, depuis des années, cela lui permettait de disposer d’un «formidable avantage concurrentiel. Et nous n’avons pas cet avantage parce que nous avons une Fed qui ne baisse pas les taux d’intérêt. Nous devrions avoir le droit de faire jeu égal, mais même sans jeu égal, car notre Fed nous perturbe énormément, même sans ce jeu égal, nous gagnons».

Dans une indication claire du type de régime financier qu’il souhaite voir mis en place, Trump a déclaré que les gens de la Fed n’étaient «pas les miens».

«N’oubliez pas que le président de la Fed en Chine est le président Xi. Il est le président de la Chine […] Il peut faire ce qu’il veut. Ils dévaluent, ils relâchent ou vous diriez qu’ils injectent beaucoup d’argent en Chine, et cela annule dans une certaine mesure, pas complètement, cela annule les [effets] des droits de douane», a-t-il déclaré.

Trump s’en est pris à la Fed pour ne pas avoir baissé ses taux et pour son «resserrement quantitatif» consistant à réduire ses avoirs en actifs financiers achetés au lendemain de la crise financière. Il a affirmé que la politique de la Fed est responsable du fait que l’indice Dow de Wall Street n’ait pas atteint un niveau de 10.000 points plus élevé.

Les milieux dirigeants et les médias ont fait part de leurs préoccupations selon lesquelles, dans ses attaques contre la Fed, Trump minait «l’indépendance» de cette dernière.

Mais Trump parle au nom d’une section considérable des cercles financiers américains qui soutient que les politiques de la Fed devraient viser à poursuivre et à intensifier le processus qui a fait de la stimulation du marché boursier un mécanisme central permettant de siphonner la richesse de l’économie américaine et la placer entre les mains de l’oligarchie financière au pouvoir.

Malgré toutes les expressions de réprobations contre Trump pour sa manière de saper «l’indépendance» de la Fed, celle-ci est sur le point de répondre à ses exigences en réduisant les taux d’intérêt, soit lors de sa réunion de la semaine prochaine, soit en juillet tout en prévoyant de nouvelles réductions en septembre.

La guerre économique et tarifaire des États-Unis, en particulier la menace de mesures tarifaires contre le Mexique, a suscité une grande inquiétude des milieux financiers internationaux sur fond de nombreuses mises en garde, notamment du Fonds monétaire international, selon lesquelles elle réduirait la croissance mondiale. Mais pour le moment, Trump mise sur l’usage de la force.

Au cours du week-end, le communiqué final de la réunion des ministres des Finances du G20 au Japon, tenue en prévision du sommet à la fin du mois, excluait une proposition de clause visant à «reconnaître le besoin urgent de résoudre les tensions commerciales» après l’intervention des États-Unis. La déclaration n’a pas fait mention non plus de l’impact sur la croissance mondiale du conflit sino-américain.

Dans un commentaire publié hier dans le Financial Times, le chroniqueur spécialisé dans les affaires étrangères, Gideon Rachman, a comparé les actes internationaux de Trump à ceux d’un don de la mafia, soulignant les actions extraterritoriales du gouvernement contre le Mexique.

La mesure contre le Mexique n’est pas le seul exemple. L’administration Trump a déchiré l’accord nucléaire de 2015 avec l’Iran et imposé de nouvelles sanctions, mesures auxquelles l’Union européenne s’est farouchement opposée en promettant de mettre en place un système de paiement alternatif.

«Mais les hauts responsables européens ont été informés qu’ils pourraient être exclus des États-Unis s’ils violaient les sanctions, et le projet n’a pas encore démarré», a-t-il noté.

En plus de l’Iran, les États-Unis ont étendu leurs actions extraterritoriales à la Chine, avec l’arrestation du directeur financier de Huawei, Meng Wanzhou, et la mise sur liste noire de la société par le département américain du Commerce.

Et ce n’est pas terminé. Comme le dit Rachman: «L’administration Trump pense que le rôle central de l’Amérique dans l’économie mondiale confère au pays une panoplie unique d’instruments coercitifs qu’elle commence à peine à mettre en œuvre».

Nick Beams

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The Intercept Brésil a publié aujourd’hui trois articles explosifs montrant des discussions internes très controversées, politisées et juridiquement douteuses et des actions secrètes menées par le groupe de travail anti-corruption chargé de l’enquête Lava Jato, dirigé par le procureur général Deltan Dallagnol et Sergio Moro, alors juge et maintenant puissant Ministre de la Justice de Jair Bolsonaro internationalement célébré.

Ces histoires sont basées sur de nombreux documents qui n’avaient pas encore été divulgués – incluant des discussions privées, des enregistrements audios, des vidéos, des photos, des procédures judiciaires et d’autres documents – qui nous ont été fournis par une source anonyme. Ils révèlent des actes répréhensibles graves, des comportements contraires à l’éthique et des tromperies systématiques dont le public, tant au Brésil qu’à l’échelle internationale, a le droit d’être informé.

Ces trois articles ont été publiés le 9 juin dans The Intercept Brésil en portugais, et nous les avons synthétisés en deux articles en anglais pour The Intercept. Compte tenu de la taille et de l’influence mondiale du Brésil sous le nouveau gouvernement Bolsonaro, ces histoires sont d’une grande importance pour le public international.

Ce n’est que le début de ce que nous estimons être une enquête journalistique en cours, utilisant ces nombreuses archives, sur l’enquête de corruption dans l’affaire Lava Jato ; les actions de Moro quand il était juge et celles du procureur Dallagnol ; et la conduite des nombreuses personnes qui continuent à exercer un grand pouvoir politique et économique tant au Brésil que dans d’autres pays.

Au-delà de l’importance politique, économique et environnementale inhérente du Brésil sous Bolsonaro, l’importance de ces révélations découle des actions incomparablement conséquentes de la longue enquête Lava Jato. Ce scandale de grande ampleur a impliqué de nombreuses personnalités politiques de premier plan, des oligarques, le prédécesseur de Bolsonaro à la présidence, et même des dirigeants étrangers dans des poursuites pour corruption.

Plus important encore, l’affaire Lava Jato a été la saga qui a conduit à l’emprisonnement de l’ancien Président Luiz Inácio Lula da Silva l’année dernière. La condamnation de Lula par Moro, une fois qu’elle a été rapidement confirmée par une cour d’appel, l’a rendu inéligible à se présenter à la présidence à un moment où tous les sondages ont montré que Lula – qui a été élu deux fois président à une large majorité en 2002 et en 2006 avant que la limite des 2 mandats consécutifs ne l’oblige à quitter la présidence en 2010 alors qu’il atteignait 87% d’opinion favorable – était en tête des sondages lors de la campagne présidentielle 2018. L’exclusion de Lula de l’élection, fondée sur le verdict de culpabilité de Moro, a été un épisode clé qui a ouvert la voie à la victoire électorale de Bolsonaro.

Ce qui est peut-être le plus remarquable, c’est qu’après que Bolsonaro ait gagné la présidence, il a créé un nouveau poste d’autorité sans précédent, appelé par les Brésiliens « super ministre de la justice », pour superviser un organisme doté de pouvoirs consolidés pour l’application de la loi, la surveillance et les enquêtes, auparavant répartis entre plusieurs ministères. Bolsonaro a créé ce poste pour le bénéfice du juge qui a déclaré Lula coupable, Sergio Moro, et c’est le poste que Moro occupe maintenant. En d’autres termes, Moro exerce aujourd’hui d’immenses pouvoirs de police et de surveillance au Brésil – grâce à un président qui n’a été élu qu’après que Moro, alors qu’il était juge, a rendu le principal adversaire de Bolsonaro inéligible à l’élection présidentielle.

Les procureurs de l’enquête Lava Jato et Moro ont été très controversés au Brésil et au niveau international – salués par beaucoup comme des héros de la lutte contre la corruption et accusés par d’autres d’être des idéologues clandestins de droite déguisés en agents apolitiques de la loi. Leurs détracteurs ont insisté sur le fait qu’ils ont abusé et exploité leurs pouvoirs répressifs dans le but politisé d’empêcher Lula de revenir à la présidence et de détruire son Parti Travailliste de gauche, le PT. Moro et les procureurs ont, avec la même véhémence, nié avoir des allégeances ou des objectifs politiques et ont déclaré qu’ils essayaient simplement d’éliminer la corruption au Brésil.

Mais, jusqu’à présent, les procureurs de l’enquête Lava Jato et Moro ont effectué leur travail en grande partie en secret, empêchant le public d’évaluer la validité des accusations portées contre eux et la vérité de leurs démentis. C’est ce qui rend cette nouvelle archive si précieuse sur le plan journalistique : Pour la première fois, le public apprendra ce que ces juges et procureurs disaient et faisaient quand ils pensaient que personne n’écoutait.

Les articles d’aujourd’hui montrent, entre autres, que les procureurs de Lava Jato ont parlé ouvertement de leur désir d’empêcher le PT de remporter les élections et ont pris des mesures pour réaliser ce programme et que Moro, en secret et sans éthique, a collaboré avec le procureur de Lava Jato à la conception du dossier contre Lula malgré de sérieux doutes internes concernant les preuves étayant les accusations, pour ensuite faire valoir son statut d’arbitre neutre.

Le seul rôle de The Intercept dans l’obtention de ces documents a été de les recevoir de notre source, qui nous a contactés il y a plusieurs semaines (bien avant le piratage présumé du téléphone de Moro) et nous a informés qu’ils avaient déjà obtenu l’ensemble des documents et étaient prêts à les fournir aux journalistes.

Informer le public des questions d’intérêt public et dénoncer les actes répréhensibles a été notre principe directeur lors de ce premier rapport sur les archives, et il continuera de l’être à mesure que nous ferons rapport sur le grand nombre de documents qui nous ont été fournis.

La quantité de documents contenus dans ces archives, ainsi que le fait que de nombreux documents comprennent des conversations privées entre fonctionnaires, nous obligent à prendre des décisions journalistiques quant aux documents qui doivent être publiés et rapportés, et à ceux qui ne doivent pas être publiés.

Pour porter ces jugements, nous utilisons la norme utilisée par les journalistes dans les démocraties du monde entier, à savoir que les documents révélant des actes répréhensibles ou des tromperies de la part d’acteurs puissants doivent être signalés, mais que les informations qui sont de nature purement privée et dont la divulgation peut porter atteinte à des intérêts légitimes en matière de vie privée ou autres valeurs sociales ne doivent pas être communiquées.

En effet, dans nos reportages sur ce sujet, nous sommes guidés par la même logique qui a conduit une grande partie de la société brésilienne – y compris de nombreux journalistes, commentateurs et activistes – à applaudir la divulgation par Moro et divers médias en 2016 des appels privés entre Lula et Dilma Rousseff, où les deux dirigeants discutaient de la possibilité pour Lula de devenir ministre au gouvernement de Dilma. La divulgation de ces appels privés a été cruciale pour retourner l’opinion publique contre le PT, contribuant ainsi à jeter les bases de la destitution de Dilma en 2016 et de l’emprisonnement de Lula en 2018. Le principe invoqué pour justifier cette divulgation était le même que celui auquel nous adhérons dans nos reportages sur ces documents : qu’une démocratie est plus saine lorsque des actions importantes entreprises en secret par des personnalités puissantes sont révélées au public.

Mais contrairement à ces divulgations par Moro et divers médias des conversations privées entre Lula et Dilma – qui comprenaient non seulement des questions dont les divulgations étaient dans l’intérêt public, mais aussi des communications privées de Lula qui n’avaient aucune pertinence publique et qui, selon plusieurs, ont été divulguées avec l’intention de mettre personnellement Lula dans l’embarras – The Intercept a décidé de taire toute communication privée, enregistrement audio, vidéo ou autre matériel concernant Moro, Dallagnol ou toute autre partie purement privée et donc non liée aux affaires d’intérêt public.

Deltan Dallagnol et Sergio Moro

Nous avons pris des mesures pour sécuriser les archives et tous les documents qui les composent à l’extérieur du Brésil, afin que de nombreux journalistes y aient accès, de sorte qu’aucune autorité d’aucun pays n’ait la possibilité d’empêcher les reportages basés sur ces documents. Nous avons l’intention de publier des articles basés sur les archives et d’en rendre compte le plus rapidement possible, conformément à nos normes élevées d’exactitude des faits et de responsabilité journalistique.

Conformément à la pratique journalistique dans les pays où la presse opère sous la menace de censure et d’ordonnances de restriction préalable, comme cela a été le cas récemment au Brésil dirigé par les Bolsonaros, nous n’avons pas sollicité les commentaires des puissants responsables juridiques mentionnés dans ces articles avant leur publication parce que nous ne voulions pas les en informer à l’avance et que les documents parlent d’eux-mêmes. Nous les avons contactés dès leur publication et nous mettrons à jour les articles avec leurs commentaires si et quand ils nous les fourniront.

Compte tenu de l’immense pouvoir qu’exercent ces acteurs et du secret sous lequel ils ont – jusqu’à présent – pu opérer, la transparence est cruciale pour que le Brésil et la communauté internationale comprennent clairement ce qu’ils ont réellement fait. Une presse libre existe pour faire la lumière sur ce que les figures les plus puissantes de la société font dans le noir.

Glenn Greenwald, Leandro Demori et Betsy Reed

Article original en anglais : How and Why The Intercept is Reporting on a Vast Trove Of Materials about Brazil’s Operation Car Wash and Justice Minister Sergio Moro

Version française : Réseau International

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Vendredi, alors que se profilait l’acte XXX des «gilets jaunes», la justice a réclamé une peine de 4 mois de prison à l’encontre d’Eric Drouet, l’un des leaders du mouvement des «gilets jaunes». Il était accusé de «groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations» et «port d’arme prohibé de catégorie D» lors d’une manifestation, des chefs d’accusation fabriqués de toute pièce alors que la conduite de Drouet avait été entièrement pacifique.

Fin décembre, la police avait arrêté Eric Drouet qui avait organisé avec quelques amis à partir de sa page Facebook un rassemblement place de la Concorde en hommage aux victimes des violences policières parmi les «gilets jaunes». Le motif de cette arrestation, qui foule aux pieds le droit de manifester, était que ce rassemblement n’avait pas été déclaré auparavant en préfecture. Drouet était aussi accusé d’avoir un morceau de bois en «vue de commettre des dégradations».

Drouet avait déjà été condamné le 29 mars à 2.000 euros d’amendes dont 500 euros avec sursis pour l’«organisation … sans déclaration préalable» de cette manifestation.

Eric Drouet, qui a fait appel de la première décision, comparaissait cette fois «pour un bout de bois», résume son avocat, qui défend le caractère «pacifique» de cette manifestation du 22 décembre. Le parquet a requis une peine de 4 mois de prison avec sursis. Une décision de justice sera rendue le 4 septembre.

Ces accusations à l’encontre de Drouet sont totalement dénuées de fondement et témoignent du fait qu’un État policier s’est développé en France. Il ne s’agissait pas d’une manifestation de masse, qui fait d’ordinaire l’objet d’une déclaration en préfecture, mais d’une réunion en petit comité qui l’État voulait interdire. Avec cette décision de justice, la classe dirigeante lance un signal: toute acte d’opposition politique réelle, même protégée par la loi, sera criminalisée et persécutée par la justice.

L’avocat Me Khéops Lara a prévenu les juges que «Ce que vous allez juger, c’est le mouvement des ‘gilets jaunes’», estimant que les juges doivent «avoir à l’esprit» que son client est jugé «car c’est une figure importante» des «gilets jaunes». «Je ne défends pas un terroriste, je défends quelqu’un qui depuis 32 week-ends consécutifs réclame plus de démocratie et de justice sociale», a rappelé Me Lara, dénonçant «une justice instrumentalisée en vue de réprimer ce mouvement».

L’accusation à l’encontre de Drouet, à savoir qu’il avait «une matraque en bois en vue de commettre des dégradations» a été démontée par les vidéos prises ce jour là. L’État n’a même pas tenté d’affirmer que Drouet avait eu un comportement violent. Mais pris d’hystérie face à la colère de classe qui monte parmi les «gilets jaunes» et plus largement les travailleurs en France, l’État traite Drouet comme s’il était arrivé à Paris à la tête d’une milice privée visant à lancer une insurrection à Paris et s’emparer de l’Elysée.

Même la description de son arrestation faite par Le Monde, journal pourtant favorable à l’organisation d’un procès contre Drouet, démontre que sa conduite a été légale et pacifique: «Un groupe de manifestants attend dans le calme de pouvoir sortir de la rue où les policiers les encerclent de tous les côtés. ‘Les CRS veulent Eric, mais nous, on le garde’, lance une manifestante qui filme la scène. Adossé contre un mur, Eric Drouet discute avec quelques comparses, tout en pianotant sur son téléphone. Alors qu’un membre du groupe invective les policiers, les forces de l’ordre décident de charger les manifestants, et interpellent Eric Drouet en une fraction de seconde, devant une foule estomaquée.»

Aprés son interpellation, Drouet a ensuite été conduit dans une fourgonnette de police à l’abri des regards. Là, les forces de l’ordre ont découvert dans son sac un bout de bois dont il se serait servi en tant que routier pour se protéger d’eventuelles attaques. Mais compte tenu des déclarations de la presse, Drouet n’avait aucune intention de commettre des actes violents. Il n’a opposé aucune violence à la tentative de la police de l’arrêter.

Ce procès à l’encontre de Drouet foule aux pieds les droits démocratiques inscrits dans la constitution, en essayant de faire un exemple de lui afin de terroriser les autres manifestants.

La disproportion flagrante entre le comportement pacifique de Drouet et sa violente persécution par l’État est liée à l’inégalité extraordinaire qui existe en France et en Europe. L’aristocratie financière fait face à la résurgence de la lutte des classes en Europe et à l’internationale. Terrifiée par l’opposition des masses dont elle se sent entourée, elle craint un mouvement puissant de la classe ouvrière internationale qui couve derrière la mobilisation des «gilets jaunes», et les revendications pour l’expropriation de sa vaste richesse mal acquise qui vont se formuler.

La classe dirigeante se sert de l’État policier fascisant qui a été créé sous le gouvernement PS pour persécuter violemment Drouet afin essayer de faire de lui un exemple et d’arrêter par la terreur la vaste colère sociale qui monte parmi les travailleurs.

Le procès de Drouet fait partie d’une répression violente des «gilets jaunes» qui a vu la plus large vague d’arrestations organisée en France depuis l’Occupation nazie s’abattre sur eux. Plus de 7.000 «gilets jaunes» ont été arrêtés, environ 2.000 blessés par la police, et des dizaines de manifestants ont perdu soit des yeux, soit des mains aux LBD et aux grenades de police.

A présent, la police s’empare de commentaires affichés sur Facebook ou les réseaux sociaux afin de déclarer illégale une petite réunion. Ainsi l’État tente de créer des conditions où toute manifestation sociale peut être déclaré illégale sur une décision arbitraire de la police, menant à des accusations légales infondées contre toute personne qui s’opposerait à la politique du gouvernement.

Drouet n’a pas été arrêté pour violence, et il n’avait pas sorti le bout de bois de son sac quand les forces de l’ordre l’ont arrêté. Ainsi la police avait manifestement comme ordre d’arrêter Drouet et ensuite de le fouiller afin de trouver un motif pour qu’il soit condamné.

Ce que le gouvernement reproche à Drouet s’est qu’il soit le porte-parole à des fractions des «gilets jaunes» opposées aux offres de négociations stériles faites par Macron. Cherchant à l’intimider Drouet, qui avait affirmé vouloir entrer dans le palais de l’Elysée pour parler avec Macron, le gouvernement avait perquisitionné son domicile et auditionné sa femme début septembre. Depuis, l’Etat et la justice mènent une campagne de pression et d’intimidation permanente contre lui.

Anthony Torres

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10.000 manifestants dans toute la France selon le ministère de l’Intérieur, et 19.654 selon les «gilets jaunes» qui contestent les chiffres officiels, se sont mobilisés samedia pour l’acte XXX. La mobilisation nationale était en légère hausse par rapport au samedi précédent, marquée pour la première fois par une mobilisation des banlieues d’Ile-de-France.

Des manifestations se sont tenues dans toute la France, à Marseille, Bordeaux, Nancy, La Rochelle, Dijon où encore Paris et sa banlieue rassemblant des centaines de personnes protestant contre les inégalités sociales réclamant la démission de Macron.

1.100 personnes selon la préfecture ont manifesté en Ile-de-France, où était organisée la première manifestation «Les gilets jaunes en banlieue, Acte 1». La manifestation s’est déroulée dans le calme depuis Saint-Denis jusqu’à Drancy, quand une compagnie de CRS qui bloquait la route a été prise à partie par des manifestants. Les forces de l’ordre ont réagi en tirant du gaz lacrymogène. À l’approche de la préfecture de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, de nouvelles échauffourées ont éclaté.

Sur Marseille, les «gilets jaunes» ont rejoint le soutien des femmes de chambre d’Elior, en grève depuis avril contre la détérioration de leur condition de travail, et qui ont été délogées brutalement par la force ce samedi. Les «gilets jaunes» exigent leur libération devant le commissariat Noailles.

A Montpellier, où un appel national à manifester avait été lancé, plus de 2.000 personnes selon la préfecture, 5.000 selon les «gilets jaunes», se sont rassemblées dès midi place de la Comédie. Au départ du cortège, des heurts ont éclaté avec les forces de l’ordre, qui ont usé massivement des gaz lacrymogènes pour repousser les manifestants, ainsi que de lances à eaux, dans des rues très fréquentées. Les heurts ont fait une dizaine de blessés selon la préfecture, parmi les manifestants et parmi les forces de l’ordre. Seize personnes ont été interpellées selon la préfecture; des banques et du mobilier urbain ont été dégradé, rapporte 20 Minutes.

Les reporters du WSWS ont pu discuter avec des «gilets jaunes» à Paris, avec Michelle ayant perdu son emploi il y a cinq ans et depuis hébergée chez des amis. Elle est «gilet jaune» depuis le début de la lutte: «Ça fait des mois que j’ai toujours le même la même pancarte. 4 millions de mal logés. Ils sont morts à Marseille et à Nancy. On meurt à cause du mal logement dans les pays occidentaux qui sont toujours plus riches et des logements dans les grandes villes toujours plus chers. Le mal logement ça concerne énormément de personnes Ça tue à Londres, ça tue à Marseille, ça tue certainement dans d’autres villes aux Etats-Unis, en Inde et partout.»

Michelle s’est déclarée enthousiaste sur la nature du mouvement des «gilets jaunes», car «je n’avais pas l’impression qu’on était récupéré par tel ou parti politique ou tel syndicat. C’est ça qui m’a plu. C’est pour ça que dès le départ j’ai manifesté.»

Michelle ajoute ne pas avoir confiance dans les syndicats «qui défendent leurs propres intérêts. J’ai déjà manifesté contre la loi travail car ça touche tous les travailleurs même les chômeurs.»

Interrogé sur les violences policière, Michelle explique en colère: «D’avoir ciblé systématiquement les visages avec leur flash ball, d’avoir beaucoup tabassé des femmes qu’on voit dans des vidéos, des jeunes femmes et des femmes âgées qui sont matraquées, véritablement attrapées par les policiers, CRS, les policiers de la BAC beaucoup et peut être aussi certains gendarmes. On voit que ces types frustrés se défoulent sur nous littéralement. … Moi je trouve que leur comportement est absolument dégueulasse. Je ne vais pas dire que j’étais pro-policier mais j’étais assez compatissante vis-à-vis de leur travail et particulièrement en banlieue. Aujourd’hui je les déteste, j’ai fini par les détester».

Michelle dit au WSWS qu’ «A Paris on ne peut plus manifester dans certains endroits. C’est terrible. C’est la première fois je crois en 68 y’a pas eu ça même avant. On ne peut plus manifester comme c’est la première fois de la société française. On ne peut plus manifester on n’a plus le droit de manifester. Oui, mais vous vous rendez compte qu’il faut remonter à Vichy? C’est quand même inquiétant, et c’est symptomatique mais inquiétant. Macron, pour moi il est d’extrême droite. Il a un comportement d’extrême droite».

Le WSWS a fait la connaissance de Jean Michel, conducteur de train venu pour protester contre les salaires et retraites de misère: «Le salaire ne sert plus qu’à payer les factures, on s’en sort plus. Je suis là pour les gens qui sont les retraités qui ne touchent que 700 euros. Je suis là pour les infirmières. Je suis là pour exprimer ma colère.»

Sur le rôle des syndicats à la SNCF, Jean Michel explique qu’ «il n’y a plus personne qui croit aux syndicats. C’est toujours les mêmes qui se débrouillent, toujours ceux qui sont en bas de l’échelle qui doivent se démerder. En haut, ils sont protégés. Donc il y a un ras le bol, on en a marre.»

Le WSWS a aussi discuté avec un «gilet jaune» manifestant dans l’acte 1 des banlieues inquiet pour «l’avenir de ses enfants et la réforme des retraites»: «ils continuent à nous entuber avec la retraite à 64 ans en faisant croire qu’on reste à 62. Mais si on part à 62 ans on n’aura pas notre retraite complète. Les petits salaires seront obligés de continuer.»

Ce «gilet jaune» espère que ce rassemblement en banlieue sera suivi d’autres actes: «On espère ça va attirer les gens de banlieue et donc là en effet notre but est de rien casser puisque on est chez nous quelque part. Ça va continuer. Mais pour les médias forcément le mouvement s’essouffle, depuis fin novembre le mouvement s’essouffle. Et voila, il est toujours là. Vous remarquerez qu’ils ne parlent quasiment plus de nous. Depuis les européennes ils ne parlent plus des gilets jaunes, un petit bol samedi comme ça en disant que ça s’essouffle. Même le samedi matin à 9 heures ils sont capables de dire le mouvement s’essouffle.»

Ce manifestant a fait part de sentiments qui pénètrent parmi des couches de plus en plus larges de «gilets jaunes», qui commencent à s’interroger sur comment les travailleurs pourraient prendre le pouvoir dans le cas où Macron était forcé à abandonner son poste.

Il a dit souhaiter lutter jusqu’à la démission du gouvernement et poser la réflexion de changer le système: «Il y a des gens qui sont là aujourd’hui qui ne seront pas là la semaine prochaine. Chacun notre tour en fait, c’est ça qu’il faut qu’ils comprennent. Ça va continuer jusqu’à sa démission. Sa démission ne suffira pas. Parce que là on le fait démissionner, ok, mais qui prend sa place? D’autres capitalistes c’est pas la peine, il faut changer le système.»

Interrogé si Mélenchon représente cette alternative, ce «gilet jaune» répond par la négative: «Mélenchon, malheureusement il n’est pas mieux que les autres. Il aurait gagné, il aurait fait le score qu’a fait les Verts, je pense qu’il sera aussi allié à Macron. Ils veulent tous une place, en fait je pense que c’est ça. C’est pour ça qu’il faut tout mettre à plat et changer tout le système. Je ne sais pas comment, on n’a pas la solution. Vraiment, ce qui est sûr c’est qu’il faut changer tout ce système de capitaliste.»

Anthony Torres

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Les abus contre Assange… le Sommet Chine-Russie

juin 11th, 2019 by Mondialisation.ca

Sélection d’articles :

Les abus contre Assange montrent qu’il n’a jamais été question d’appliquer la loi

Par Jonathan Cook, 07 juin 2019

Il est étonnant de voir combien de fois on entend encore des gens bien informés, raisonnables par ailleurs, dire de Julian Assange : « Mais il a fui les accusations de viol en se cachant à l’ambassade de l’Equateur à Londres. » Cette courte phrase comporte au moins trois erreurs factuelles. En fait, pour la répéter, comme tant de gens le font, il faut au moins avoir vécu sur une île déserte ces dix dernières années ou, ce qui revient à peu près au même, compter sur les grands médias pour obtenir des informations sur Assange, y compris des médias supposément progressistes tels que The Guardian et la BBC.

 

Une géopolitique européenne des gazoducs toujours plus complexe

Par F. William Engdahl, 07 juin 2019

Israël prévoit de construire le plus long gazoduc sous-marin du monde avec Chypre et la Grèce pour acheminer le gaz de la Méditerranée orientale vers l’Italie et les États du Sud de l’Union européenne. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo vient de donner son soutien au projet. Il se heurtera à un gazoduc turco-russe concurrent, TurkStream, à un éventuel gazoduc Qatari-Iran-Syrie, ainsi qu’à une tentative de Washington d’acheminer davantage de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’UE pour réduire sa dépendance envers la Russie.

 

Un programme «Pétrole contre nourriture» pour déstabiliser l’Iran?

Par Gilles Munier, 09 juin 2019

Selon le site Arab News, des discussions seraient en cours pour obliger l’Iran à accepter de signer un accord « Pétrole contre nourriture » permettant d’« alléger » l’effet grandissant des sanctions économiques qui lui sont imposées par les Etats-Unis et leurs alliés. Espérons qu’il s’agit d’une fausse nouvelle, d’une « fake news »…

 

Nord-américains, Européens : Réveillez-vous bon sang !

Par Andre Vltchek, 10 juin 2019

Année après année, mois après mois, je vois deux côtés du monde, deux extrêmes qui se déconnectent de plus en plus. Je vois de grandes villes comme Homs en Syrie, réduites en horrifiantes ruines. Je vois Kaboul et Jalalabad en Afghanistan, fragmentées par d’énormes murs de béton destinés à protéger les armées d’occupation de l’OTAN et leurs pantins locaux.

 

Venezuela – Comprendre la guerre qui vient. Éléments étrangers de l’armée des ombres (paramilitaires, mercenaires et forces spéciales)

Par Romain Migus, 10 juin 2019

Le 14 mars 2018, Erick Prince, le fondateur de l’entreprise militaire privée Blackwater, réunissait une centaine de personnalités dans son ranch de Virginie. L’invité d’honneur, ce jour-là, n’était autre que Oliver North, figure principale avec Elliott Abrams –l’actuel envoyé spécial des USA pour le Venezuela- de la sale guerre contre le Nicaragua dans les années 80. Ce retour de Erick Prince sous le feu des projecteurs, après sa mise à l’écart des administrations états-uniennes (tout comme son collègue Abrams), aurait dû être un signal d’alerte. Mais…

 

Toussaint Louverture, la dignité révoltée. De la trahison de Napoléon Bonaparte à l’Indépendance d’Haïti

Par Salim Lamrani, 11 juin 2019

Face à la ténacité des habitants, accablé par le climat et les maladies, le général Leclerc proposa la fin des hostilités. Pour sauver les vies humaines, Toussaint accepta le pacte à condition qu’il s’agît d’une paix digne et honorable. « L’intérêt public exigeait que je fisse de grands sacrifices », écrivit-il dans ses mémoires (2). L’accord fut conclu sur les bases suivantes : liberté pour tous les citoyens de l’île et conservation de leur grade et fonction pour tous les officiers civils et militaires. De son côté, le leader noir conserverait son état-major et choisirait son lieu de résidence .

 

Russie-Chine: le Sommet qui ne fait pas l’info

Par Manlio Dinucci, 11 juin 2019

Les projecteurs médiatiques se sont focalisés le 5 juin sur le président Trump et les leaders européens de l’OTAN qui, pour l’anniversaire du D-Day, auto-célébraient à Portsmouth “la paix, liberté et démocratie assurées en Europe” en s’engageant à “les défendre en tout moment où elles soient menacées”. La référence à la Russie est claire. Les grands médias par contre ont ignoré ou relégué au second plan, parfois sur un ton sarcastique, la rencontre qui s’est déroulée le même jour à Moscou entre les présidents de la Russie et de la Chine. Vladimir Poutine et Xi Jinping…

 

 

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Cet article est la troisième et dernière partie de « Toussaint Louverture, la dignité révoltée. Brève histoire du précurseur de l’indépendance d’Haïti ». Première partie : Toussaint Louverture, la dignité révoltée. Brève histoire du précurseur de l’indépendance d’Haïti. Deuxième partie : Toussaint Louverture, la dignité révoltée. L’unification de l’île et l’instauration du pouvoir…

La trahison de Napoléon Bonaparte

Face à la ténacité des habitants, accablé par le climat et les maladies, le général Leclerc proposa la fin des hostilités (1). Pour sauver les vies humaines, Toussaint accepta le pacte à condition qu’il s’agît d’une paix digne et honorable. « L’intérêt public exigeait que je fisse de grands sacrifices », écrivit-il dans ses mémoires (2). L’accord fut conclu sur les bases suivantes : liberté pour tous les citoyens de l’île et conservation de leur grade et fonction pour tous les officiers civils et militaires. De son côté, le leader noir conserverait son état-major et choisirait son lieu de résidence (3).

L’accord de paix fut conclu et Toussaint Louverture décida de se retirer à Ennery4. Mais les promesses ne furent pas tenues. Ainsi, les généraux Jean-Jacques Dessalines et Charles Belair, qui devaient conserver leurs commandements respectifs à Saint-Marc et à l’Arcahaye, furent démis de leurs fonctions (5). Conscient de la popularité du leader de Saint-Domingue, le général Leclerc dépêcha une troupe de 500 soldats dans le petit bourg où Toussaint Louverture avait élu demeure, afin de le surveiller (6). Ce dernier était lucide sur la situation et n’était pas dupe du sort qui l’attendait : « Le lendemain, je reçus dans cette habitation la visite du commandant d’Ennery, et je m’aperçus fort bien que ce militaire, loin de me rendre une visite d’honnêteté, n’était venu chez moi que pour reconnaître ma demeure et les avenues, afin d’avoir plus de facilité de s’emparer de moi, lorsqu’on lui en donnerait l’ordre (7) ».

Louverture subit des humiliations quotidiennes de la part de l’armée coloniale, qui se rendait sur ses propriétés pour en détruire ses récoltes. « Alors que le général Leclerc [avait] donné sa parole d’honneur et promis la protection du gouvernement français », sa dignité était bafouée par les représentants du Premier Consul. Toussaint Louverture rappela ce douloureux épisode :

Tous les jours, je n’éprouvais que de nouveaux pillages et de nouvelles vexations. Les soldats qui se portaient chez moi étaient en si grand nombre, que je n’osais pas même les faire arrêter. En vain, je portais mes plaintes au commandant, je n’en recevais aucune satisfaction. Je me déterminai enfin, quoique le général Leclerc ne m’eût pas fait l’honneur de répondre aux deux premières lettres que je lui avais écrites à ce sujet, à lui en écrire une troisième. […] Je ne reçus pas plus de réponse à celle-ci qu’aux précédentes (8).

Bonaparte jugea alors que sa présence dans l’île était trop dangereuse et décida de procéder à son arrestation. Violant l’accord conclu, le général Leclerc, sur ordre de Consul, chargea le général Brunet, commandant militaire de la zone de Ennery, de l’opération. Le 7 juin 1802, ce dernier invita Toussaint Louverture avec toute sa famille dans sa demeure sous le prétexte d’évoquer des différents problèmes rencontrés. Il l’assura de ses meilleures dispositions à son égard et vilipenda même les « malheureux calomniateurs » qui accusaient le leader noir de fomenter la sédition. « Vos sentiments ne tendent qu’à ramener l’ordre et la tranquillité dans le quartier que vous habitez », écrivit Brunet dans la lettre. Le reste de la missive mérite d’être citée dans ses grandes lignes :

Nous avons, mon cher général, des arrangements à prendre ensemble qu’il est impossible de traiter par lettres, mais qu’une conférence d’une heure terminerait ; si je n’étais pas excédé de travail, de tracas minutieux, j’aurais été aujourd’hui le porteur de ma réponse ; mais ne pouvant ces jours-ci sortir, faites-le vous-même ; si vous êtes rétabli de votre indisposition, que ce soit demain ; quand il s’agit de faire le bien, on ne doit jamais le retarder. Vous ne trouverez pas dans mon habitation champêtre tous les agréments que j’eusse désiré réunir pour vous y recevoir ; mais vous y trouverez la franchise d’un galant homme qui ne fait d’autres vœux que pour la prospérité de la colonie et votre bonheur personnel.

« Si madame Toussaint, dont je désire infiniment faire la connaissance, voulait être du voyage, je serai content. Si elle a besoin de chevaux, je lui enverrai les miens. Je vous le répète, général, jamais vous ne trouverez d’ami plus sincère que moi. De la confiance dans le capitaine-général, de l’amitié pour tout ce qui est subordonné et vous jouirez de la tranquillité (9) ».

Accompagné de deux officiers, Toussaint Louverture décida de se rendre chez le général Brunet. A son arrivée, après les salutations d’usage, il fut conduit dans une chambre où l’attendait le représentant bonapartiste. Ce dernier, prétextant une urgence, quitta la pièce. La suite fut contée dans les mémoires du leader haïtien :

« A peine était-il sorti, qu’un aide-de-camp du général Leclerc entra accompagné d’un très grand nombre de grenadiers, qui m’environnèrent, s’emparèrent de moi, me garrotèrent comme un criminel et me conduisirent à bord de la frégate la Créole. Je réclamai la parole du général Brunet et les promesses qu’il m’avait faites, mais inutilement ; je ne le revis plus (10) ».

Après avoir arrêté Toussaint Louverture, le général Brunet, le même qui signerait la capitulation de Paris en 1814, fit subir « les plus grandes vexations à sa famille », procéda à son arrestation et pilla la propriété avant d’y mettre le feu. Le 11 juin 1802, en compagnie de son épouse et de ses deux fils, il fut embarqué à destination de Brest. Mais loin de se résigner, il lança cet avertissement prophétique :

« En me renversant, on n’a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l’arbre de la liberté des noirs ; il repoussera parce que les racines en sont profondes et nombreuses (11) ».

Dans les geôles du Jura

A son arrivée en France en août 1802, Toussaint Louverture resta en rade dans le port de Brest pendant plus de deux mois sans sortir du bateau. « Après un pareil traitement, ne puis-je pas à juste titre demander où sont les effets des promesses qui me furent faites par le général Leclerc sur sa parole d’honneur, ainsi que la protection du gouvernement français ? », s’interrogea-t-il (12). « Sans doute je dois ce traitement à ma couleur ; mais ma couleur… ma couleur m’a-t-elle empêché de servir ma patrie avec zèle et fidélité ? », souligna-t-il (13). Il ajouta le propos suivant :

« Etait-il besoin d’employer cent carabiniers pour arrêter ma femme et mes enfants sur leurs propriétés, sans respect et sans égard pour le sexe, l’âge et le rang ; sans humanité et sans charité ? Fallait-il faire feu sur les habitations, sur ma famille, et faire piller et saccager toutes mes propriétés ? Non. Ma femme, mes enfants, ma famille ne sont chargés d’aucune responsabilité. Ils n’avaient aucun compte à rendre au gouvernement ; on n’avait pas même le droit de les faire arrêter (14).

Toussaint Louverture fut séparé de sa famille et conduit, sans procès, au Fort de Joux dans le Jura. « On m’a envoyé en France nu comme un ver ; on a saisi mes propriétés et mes papiers ; on a répandu les calomnies les plus atroces sur mon compte », écrivit-il avec amertume (15). Confiné dans une cellule, Bonaparte l’obligea à retirer son uniforme de général pour revêtir l’uniforme de reclus, humiliant ainsi le vénérable combattant de 59 ans. Louverture ne résista pas longtemps aux rigueurs de l’hiver et à ses conditions de détention. Le 7 avril 1803, il décéda de maladie dans les geôles du château.

Révolte du peuple louverturiste et indépendance d’Haïti

Le 20 mai 1802, malgré ses engagements, Bonaparte publia le décret rétablissant l’esclavage dans les colonies, devenant ainsi le seul chef d’Etat de l’histoire de France à avoir réduit à la servitude ses propres citoyens. Il procéda également à l’élimination minutieuse des officiers fidèles au Précurseur. Le peuple, loyal à l’héritage rebelle laissé par Louverture, se souleva en armes contre l’arbitraire napoléonien. Les généraux Henri Christophe et Jean-Jacques Dessalines reprirent le maquis et déclenchèrent l’insurrection dans toute l’île. L’armée coloniale, assiégée de toutes parts par les révolutionnaires, étouffée par la fièvre jaune qui avait emporté le général Leclerc le 2 novembre 1802, fut contrainte de se retirer dans ses deux derniers bastions à Port-au-Prince et au Cap (16).

En octobre 1803, Dessalines, général en chef des révolutionnaires, reconquit Port-au- Prince. L’armée coloniale dirigée par le général Rochambeau fut obligée à se retirer au Cap. Assiégé une nouvelle fois, privé de vivres, Rochambeau dut capituler le 19 novembre 1803, suite à la bataille de Vertières, près de Cap-Français. Il rentra en France à la tête des quelque 10 000 survivants restants sur une troupe totale de 45 000 soldats. Un mois et demi plus tard, le 1erjanvier 1804, les révolutionnaires proclamèrent l’indépendance d’Haïti et portèrent le général Dessalines, lieutenant de Toussaint, né esclave, à la tête de la nation nouvelle (17).

Dans ses mémoires, Napoléon Bonaparte reconnut son erreur :

«J’ai à me reprocher une tentative sur cette colonie lors du consulat ; c’était une grande faute que de vouloir la soumettre par la force ; je devais me contenter de la gouverner par l’intermédiaire de Toussaint. […] L’une des plus grandes folies que j’ai faites et que je me reproche a été d’envoyer une armée à Saint-Domingue. J’aurais dû voir qu’il était impossible de réussir dans le projet que j’avais conçu. J’ai commis une faute, et je suis coupable d’imprévoyance, de ne pas avoir reconnu l’indépendance de Saint-Domingue et le gouvernement des hommes de couleur (18) ».

En 1825, la France du roi Louis-Philippe reconnut l’indépendance de la République d’Haïti, non sans l’avoir obligée à payer la somme de 150 millions de francs or pour indemniser les anciens colons qui avaient exploité la terre et le peuple de Saint-Domingue pendant des générations (19). L’abolitionniste Victor Shoelcher dénonça cette extorsion avec éloquence : « Imposer une indemnité à des esclaves vainqueurs de leurs maîtres, c’est faire acquitter à prix d’argent ce qu’ils ont déjà payé de leur sang (20) ». Haïti mit près d’un siècle à payer cette rançon, au détriment de son propre développement.

Aimé Césaire résuma l’héritage du Premier des Noirs dans la lutte des peuples pour leur émancipation :

Quand Toussaint Louverture vint, ce fut pour prendre à la lettre la déclaration des droits de l’homme, ce fut pour montrer qu’il n’y a pas de race paria ; qu’il n’y a pas de pays marginal ; qu’il n’y a pas de peuple d’exception. Ce fut pour incarner et particulariser un principe ; autant dire pour le vivifier. […]. Cela lui assigne sa place, sa vraie place. Le combat de Toussaint Louverture fut ce combat pour la transformation du droit formel en droit réel, le combat pour la reconnaissance de l’homme et c’est pourquoi il s’inscrit et inscrit la révolte des esclaves noirs de Saint-Domingue dans l’histoire de la civilisation universelle (21).

Conclusion

Toussaint Louverture, guide moral du peuple haïtien, s’éleva contre l’oppression coloniale et raciale qui frappait les siens. Partisan de la concorde entre tous les habitants de Saint-Domingue, il prit les armes pour l’émancipation des opprimés. S’il se montra implacable avec ses adversaires au nom de la raison d’Etat, il combattit l’esclavage au nom du principe universel et inaliénable d’égalité entre tous les hommes. Fédérant autour de lui les exploités arrachés à leur terre natale africaine, combattant les armées de trois empires, il revendiqua le droit du peuple noir à s’émanciper de l’exploitation et à jouir d’une meilleure destinée.

En brisant les chaînes du joug colonial par la lutte armée et en fondant une nation, Toussaint Louverture et le peuple noir d’Haïti indiquèrent au reste de l’Amérique latine la voie à suivre pour mettre à un terme à la domination européenne sur les terres du Nouveau-Monde. A aucun autre moment de l’histoire de l’humanité, des esclaves avaient édifié une patrie. « L’homme-nation », comme le qualifia Alphonse de Lamartine, symbolise à ce jour l’aspiration des opprimés à jouir de leurs droits naturels et à vivre dans la dignité.

Salim Lamrani

Première partie :

Toussaint Louverture, la dignité révoltée. Brève histoire du précurseur de l’indépendance d’Haïti.

 

Deuxième partie :

Toussaint Louverture, la dignité révoltée. L’unification de l’île et l’instauration du pouvoir…

Notes

1.Ibid., p. 274-275.

2.Toussaint Louverture, Mémoires du Général Toussaint Louverture, op. cit., p. 71.

3.Antoine Marie Thérèse Métral & Isaac Toussaint Louverture, Histoire de l’expédition des Français à Saint- Domingue, op. cit., p. 281-82.

4.Toussaint Louverture, Mémoires du Général Toussaint Louverture, op. cit., p.73.

5.Ibid., p. 72.

6.Ibid., p. 74.

7.Ibid., p. 74.

8.Ibid., p. 75.

9.Ibid., p.80

10.Ibid., p. 81.

11.Ibid., p. 83.

12.Ibid., p. 84.

13.Ibid., p. 85.

14.Ibid., p. 85.

15.Ibid., p. 86.

16.Napoléon Bonaparte, Loi relative à la traite des Noirs et au régime des colonies, 30 Floréal, An X, 20 mai 1802,in Université de Perpignan. http://mjp.univ-perp.fr/france/1802esclavage.htm (site consulté le 4 mai 2019).

17.Pierre Pluchon, Haïti, république Caraïbe, L’Ecole des Loisirs, 1974, p. 43-44.

18.Comte de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, Paris, Ernest Bourdin Editeur, 1842, Tome Premier, p. 687.

19.Charles X, “Ordonnance du Roi”, 17 avril 1825 in Antoine Marie Thérèse Métral & Isaac Toussaint Louverture,op. cit., p. 341-42.

20.Victor Schoelcher, Colonies étrangères et Haïti. Résultats de l’émancipation anglaise, Paris, Pagnerre Editeurs, 1843, Tome second, p. 167.

21.Aimé Césaire, Cahier à d’un retour à son pays natal, (1947), Paris, Présence africaine, 1983, p. 24.

 

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. 

Son dernier ouvrage s’intitule Fidel Castro, héros des déshérités, Paris, Editions Estrella, 2016. Préface d’Ignacio Ramonet. 

Contact : [email protected] ; [email protected] 

Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

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Russie-Chine: le Sommet qui ne fait pas l’info

juin 11th, 2019 by Manlio Dinucci

Les projecteurs médiatiques se sont focalisés le 5 juin sur le président Trump et les leaders européens de l’OTAN qui, pour l’anniversaire du D-Day, auto-célébraient à Portsmouth “la paix, liberté et démocratie assurées en Europe” en s’engageant à “les défendre en tout moment où elles soient menacées”. La référence à la Russie est claire.

Les grands médias par contre ont ignoré ou relégué au second plan, parfois sur un ton sarcastique, la rencontre qui s’est déroulée le même jour à Moscou entre les présidents de la Russie et de la Chine. Vladimir Poutine et Xi Jinping, à leur presque trentième rencontre en six ans, ont présenté non pas des concepts rhétoriques mais une série de faits. 

Les échanges entre les deux pays, qui ont dépassé l’an dernier les 100 milliards de dollars, se trouvent accrus d’environ 30 nouveaux projets chinois d’investissement en Russie, notamment dans le secteur énergétique, pour un total de 22 milliards.

La Russie est devenue le plus grand exportateur de pétrole en Chine et s’apprête à le devenir aussi pour le gaz naturel : en décembre entrera en fonction le grand gazoduc oriental, auquel s’en ajoutera un autre depuis la Sibérie, plus deux gros sites pour l’exportation de gaz naturel liquéfié.

Le plan USA d’isoler la Russie par les sanctions, opérées aussi par l’Ue, et avec la coupure des exportations énergétiques russes en Europe, va être ainsi rendu vain. 

La coopération russo-chinoise ne se limite pas au secteur énergétique. Ont été lancés des projets conjoints dans le domaine aérospatial et autres secteurs de haute technologie. On est en train de faire monter en puissance les voies de communication ferroviaires, routières, fluviales et maritimes entre les deux pays. En forte augmentation aussi les échanges culturels et les flux touristiques. 

Coopération tous azimuts, dont la vision stratégique émerge de deux décisions annoncées au terme de la rencontre : la signature d’un accord intergouvernemental pour étendre l’utilisation des monnaies nationales, le rouble et le yan, dans les échanges commerciaux et dans les transactions financières, comme alternative au dollar encore dominant  ; l’intensification des efforts pour intégrer la Nouvelle Route de la Soie, promue par la Chine, et l’Union économique eurasiatique, promue par la Russie, avec “la visée de former dans l’avenir un plus grand partenariat eurasiatique”.

Que cette visée ne soit pas simplement économique est confirmé par la “Déclaration conjointe sur le renforcement de la stabilité stratégique mondiale” signée à l’issue de la rencontre. Russie et Chine ont “des positions identiques ou très proches”, de fait contraires à celles des USA/OTAN, par rapport à Syrie, Iran, Vénézuela et Corée du Nord. 

Elles préviennent : le retrait des USA du Traité FNI (dans le but de déployer des missiles nucléaires à portée intermédiaire au bord de la Russie aussi bien que de la Chine) peut accélérer la course aux armements et accroître la possibilité d’un conflit nucléaire. Elles dénoncent la décision USA de ne pas ratifier la mise au ban total des essais nucléaires. 

Elles déclarent “irresponsables” le fait que certains États, bien qu’adhérant au Traité de non-prolifération, pratiquent des “missions nucléaires conjointes” et leur demandent “le retour dans les territoires nationaux de toutes les armes nucléaires déployées hors des frontières”. 

Requête qui concerne directement l’Italie et les autres pays européens où, violant le Traité de non-prolifération, les États-Unis ont basé des armes nucléaires utilisables aussi par les pays hôtes sous commandement étasunien : les bombes nucléaires B-61 qui seront remplacées à partir de 2020 par les encore plus dangereuses B61-12.

De tout cela n’ont pas parlé les grands médias, qui le 5 juin étaient occupés à décrire les splendides toilettes de la First Lady Melania Trump aux cérémonies du D-Day.

Manlio Dinucci

Article original en italien :

Russia-Cina: il vertice che non fa notizia

Édition de mardi 11 juin 2019 de il manifesto

https://ilmanifesto.it/russia-cina-il-vertice-che-non-fa-notizia/ 

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Le 14 mars 2018, Erick Prince, le fondateur de l’entreprise militaire privée Blackwater, réunissait une centaine de personnalités dans son ranch de Virginie. L’invité d’honneur, ce jour-là, n’était autre que Oliver North, figure principale avec Elliott Abrams –l’actuel envoyé spécial des USA pour le Venezuela- de la sale guerre contre le Nicaragua dans les années 80 (1). Ce retour de Erick Prince sous le feu des projecteurs, après sa mise à l’écart des administrations états-uniennes (tout comme son collègue Abrams), aurait dû être un signal d’alerte. Mais ce n’est qu’un an plus tard que l’on apprendra que le fondateur de Blackwater se disposait à recruter 5000 mercenaires pour le compte de Juan Guaido (2). Ce plan macabre n’aurait, pour l’instant, trouvé ni l’écho de la Maison Blanche, pourtant sensible à l’influence de Prince, ni le financement nécessaire de 40 millions de dollars, somme ridicule si l’on tient compte du vol de plusieurs milliards de dollars appartenant à l’Etat vénézuélien par l’administration étatsunienne.

Pourtant, le recrutement de mercenaires a déjà commencé. Le 29 novembre 2018, le président Maduro dénonçait lors d’une allocution télévisée la constitution d’un bataillon de 734 chiens de guerre sur les bases militaires d’Eglin en Floride et de Tolemaida en Colombie. Le 23 mars 2019, le ministre de la Communication, Jorge Rodriguez, annonçait que 48 mercenaires recrutés au Salvador, au Honduras et au Guatemala étaient rentrés sur le territoire vénézuélien, dans le but d’y commettre des attentats contre les hautes autorités du pays, ainsi que des actes de sabotages, et d’opérations sous fausses bannières (3). Selon les services de renseignement du Venezuela, ces mercenaires avaient été recrutés par Roberto Marrero, bras droit de Juan Guaido (4). Que ce soit via Erick Prince ou par d’autres modalités, le recrutement de mercenaires afin de déstabiliser le Venezuela, est une sinistre réalité.

Le jour de l’arrestation de Marrero, les services de sécurité vénézuéliens ont capturé Wilfrido Torres Gómez alias Necocli, le chef de la bande narcoparamilitaire colombienne « Los Rastrojos ». Comme les mercenaires, les paramilitaires colombiens sont un acteur étranger fondamental de la future armée dont pourrait disposer Guaido.

Les paramilitaires sont une excroissance du conflit colombien. D’abord créés par des propriétaires terriens et des militaires, ou dans le sillage des cartels de la drogue, ces groupes chargés des besognes les plus inavouables, se sont rassemblés sous le commandement des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC). De 1997 à 2006, ils firent régner la terreur en déplaçant des populations entières sur le territoire colombien, et se chargeant des exactions que ne voulaient pas assumer les services de l’Etat. Sous le gouvernement d’Alvaro Uribe (2002-2010), les paramilitaires ont acquis une véritable prestance sur la scène politique, en tissant des liens avec des responsables politiques et économiques et allant même jusqu’à financer un tiers des parlementaires de ce pays, comme l’ont montré les documents saisis dans l’ordinateur du chef paramilitaire Jorge 40 (5). Si leur activité principale reste liée au trafic de cocaïne, les paramilitaires agissent comme un Etat parallèle et influent. Dotés d’une autorité acquise au moyen d’une violence extrême et d’une terreur psychologique, ils imposent leurs normes sociales, politiques et économiques sur les territoires qu’ils contrôlent. La « démobilisation » des AUC en 2006 a eu pour conséquence l’implosion en plus petites structures, qui ont gardé le même modus operandi.

Les paramilitaires colombiens arrivent au Venezuela après le coup d’Etat contre Hugo Chávez en 2002. D’abord comme tueurs à gage de certains propriétaires terriens, soucieux d’éliminer les leaders paysans qui revendiquaient l’application de la réforme agraire. Ils commencent alors à investir certains quartiers des grandes villes tout en restant très actifs à la frontière venezolano-colombienne.

Ils deviennent connus des vénézuéliens en mai 2004, après que 124 paramilitaires furent arrêtés dans les alentours de Caracas. Ils avaient été amenés par Roberto Alonso, un politicien d’opposition, dans le but d’assassiner Hugo Chávez et de hauts responsables de la Révolution. Au fil des ans, leur présence s’est confortée le long de la frontière (6), ainsi que dans certains quartiers des grandes villes où ils ont constitué plusieurs cellules dormantes. Sans oublier l’axe de communication stratégique menant des Andes à la côte caribéenne, couloir primordial pour la distribution de la cocaïne. C’est sur cette portion de territoire qu’ont d’ailleurs été arrêtés ou abattus la plupart des dirigeants paramilitaires qui se trouvait au Venezuela. C’est aussi sur cet axe que se trouvent, et ce n’est pas un hasard, les villes où ont eu lieu les affrontements les plus rudes lors des guarimbasde 2014 et 2017.

A la différence du crime organisé « classique », les paramilitaires disposent d’une hiérarchie militaire, d’un appareil de renseignement, d’un armement conséquent, mais surtout agissent en fonction d’une politisation marquée par leur anticommunisme, acquise dès leur genèse dans la lutte contre les guérillas. Ils imposent leur orientation idéologique aux populations qu’ils soumettent. A la différence de la pègre, ils gardent de très bonnes relations avec les élites colombiennes, pour qui ils jouent le rôle d’une armée parallèle. Leur utilisation contre le Venezuela permettrait à la Colombie de ne pas dégarnir les fronts internes que son armée maintient avec la guérilla.

A la frontière avec le Venezuela, les paramilitaires contrôlent le trafic de drogue, ainsi que la contrebande d’essence et d’aliments. Comme nous l’a rappelé Freddy Bernal, préfet de cette région, dans une interview exclusive « La Colombie produit 900 tonnes de cocaïne. Pour produire un kilo, tu as besoin de 36,5 litres d’essence et la Colombie n’en produit pas suffisamment. Les paramilitaires sont chargés d’acheminer par contrebande 36 millions de litres d’essence en provenance du Venezuela et destinés en grande partie à la production de cocaïne » (7), et en retour contrôlent la distribution de drogue dans le pays voisin, par le biais des bandes criminelles vénézuéliennes.

Les affrontements de l’Etat bolivarien avec les paramilitaires sont de plus en plus récurrents. Non seulement pour lutter contre leurs multiples trafics mais surtout pour défendre la souveraineté de l’Etat sur le territoire. Selon Freddy Bernal « les paramilitaires jouent le même rôle que celui qu’a tenu Daesh en Irak, en Libye et en Syrie. Ils visent à fragmenter notre territoire. C’est le Daesh d’Amérique Latine » (8). Ils sont un rouage essentiel dans l’atomisation de l’Etat-Nation vénézuélien, un des objectifs majeurs de la guerre qui s’annonce.

De Roberto Alonso à Roberto Marrero, il existe de nombreux exemples montrant que les paramilitaires colombiens sont en lien avec l’opposition vénézuélienne. Mais ils répondent aussi aux desseins du Pentagone dans ses actions planifiées contre le Venezuela. Comme nous l’a révélé un document du SouthCom, la force militaire des Etats-Unis responsable de l’Amérique Latine, les stratèges militaires étatsuniens préconisent de « recruter des paramilitaires principalement dans les camps de réfugiés de Cúcuta, La Guajira et le nord de la province de Santander, vastes zones peuplées de citoyens colombiens qui avaient émigré au Venezuela et maintenant rentrent au pays, pour fuir un régime qui a augmenté l’instabilité aux frontières, en mettant à profit l’espace vide laissé par les FARC, l’ELN toujours belligérant, et les activités [paramilitaires] dans la région du cartel du Golfe » (9).

Comme on peut le voir, les Etats-Unis et leurs alliés latino-américains disposent déjà d’une armée. Celle-ci est composée d’une poignée de déserteurs et de combattants civils vénézuéliens, de membres du crime organisé, de mercenaires étrangers et de paramilitaires colombiens, le tout structuré par des forces spéciales des Etats-Unis, déjà présentes dans la région (10), et de l’appui tactique des armées des pays limitrophes. D’autres acteurs pourraient même s’inviter dans ce conflit. Ce qui expliquerait la présence de plusieurs centaines de militaires israéliens au Brésil et au Honduras (11).

L’armement de cette force militaire irrégulière est lui aussi en cours. Comme l’a dénoncé le gouvernement russe par la voix de Maria Zakharova, porte-parole du ministère des affaires étrangères de ce pays : « les États-Unis et leurs alliés de l’Otan étudient actuellement la possibilité d’acquérir dans un pays d’Europe de l’Est d’un lot important d’armes et de munitions destinés aux opposants vénézuéliens. Il s’agit de mitrailleuses lourdes, de lance-grenades intégrés et automatiques, de missiles sol-air portables, de différentes munitions pour armes à feu et de pièces d’artillerie. Cette cargaison devrait être transportée au Venezuela via le territoire d’un pays voisin à l’aide d’avions-cargos de l’entreprise d’Etat ukrainienne Antonov  » (12). Pas besoin d’être un expert militaire pour comprendre que ce type d’arsenal est le même que celui utilisé par les belligérants qui combattent la République Arabe Syrienne. Dans ce cas de figure, les Etats-Unis ou les pays voisins n’auraient même pas à assumer un rôle protagonique de premier plan dans la guerre irrégulière contre le Venezuela.

Dans le cas où l’étranglement économique, politique et financier du Venezuela ainsi que les différentes pressions psychologiques et diplomatiques ne parviendraient pas à renverser le président Maduro, alors le scénario que nous décrivons s’appliquera immanquablement. Les différentes composantes du front militaire auront la tâche de morceler le Venezuela, sans forcément répondre à un commandement central, mais avec l’objectif commun de rendre impossible le contrôle du territoire par le pouvoir légitime. Il convient maintenant d’analyser les stratégies pour arriver à de telles fins.

Romain Migus

Partie 1 : 

Venezuela. Comprendre la guerre qui vient: Le rôle des USA et de leurs alliés, 21 mai 2019

 

Partie 2 :

Venezuela – Comprendre la guerre qui vient: Constitution d’une armée parallèle, le 3 juin 2019

 

Partie 3 :

Comprendre la guerre qui vient: les combattants vénézuéliens (Déserteurs, civils et criminels)

 

 

Notes

(1) Noah Kirsch, “Inside Erik Prince’s Return To Power : Trump, Bolton And The Privatization Of War”, Forbes, 04/04/2018, https://www.forbes.com/sites/noahkirsch/2018/04/04/blackwater-erik-pri…

(2) Aram Roston, Matt Spetalnick, “Blackwater founder’s latest sales pitch – mercenaries for Venezuela”, Reuters, 30/04/2019,
https://in.reuters.com/article/venezuela-politics-erikprince/exclusive…

(3) “Gobierno Nacional denunció el ingreso de paramilitares para desestabilizar el país”, Venezolana de Televisión, 23/03/2019, http://vtv.gob.ve/denuncio-ingreso-paramilitares-desestabilizar/

(4) Multimedio VTV, “Identificados grupos paramilitares que ingresaron a Venezuela con fines terroristas”, Youtube, 23/03/2019,
https://www.youtube.com/watch?time_continue=291&v=Zosm99g50pk

(5) Romain Migus, “Interpol, la Farc et Chávez : L’ordinateur de Gauche et l’ordinateur de Droite”, Venezuela en Vivo, 17/05/2008, https://www.romainmigus.info/2013/06/interpol-la-farc-et-chavez-lordinateur.html

(6) Romain Migus, “El Tachira : ¿un estado colombiano ?”, Venezuela en Vivo, 03/12/2008, https://www.romainmigus.info/2013/05/el-tachira-un-estado-colombiano.html

(7) Romain Migus, “Interview exclusive avec Freddy Bernal”, Youtube, 25/05/2019, disponible espagnol sous-titré en français surhttps://www.youtube.com/watch?v=Mq55NuS0ues

(8) Romain Migus, “Interview exclusive avec Freddy Bernal”, Youtube, 25/05/2019, ibid.

(9) Kurt W. Tidd, “Plan to overthrow the Venezuelan Dictatorship –“Masterstroke”, disponible sur https://www.voltairenet.org/article201100.html

(10) “Declaración del Gobierno Revolucionario de Cuba : Urge detener la aventura militar imperialista contra Venezuela”, Granma, 13/02/2019, http://www.granma.cu/cuba/2019-02-13/declaracion-del-gobierno-revoluci…

(11) “Tratado militar : 1000 soldados de Israel a un paso de llegar a Honduras”, El Heraldo, 06/05/2019, https://www.elheraldo.hn/pais/1281719-466/tratado-militar-1000-soldado…

(12) Conférence de presse de Maria Zakharova, porte-parole du Ministère russe des Affaires étrangères, Moscou, 22 février 2019, http://www.mid.ru/fr/web/guest/foreign_policy/news/-/asset_publisher/c…

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C’est dans mon auto, un certain 22 octobre 1976, que j’ai appris que le directeur du département d’économie de l’Université de Montréal – dont j’utilisais dans mes cours le livre L’économique –, avait décidé de faire le grand saut en politique sous la bannière du PQ. Je m’en réjouissais d’autant plus qu’un autre de nos économistes parmi les plus en vue, Pierre Fortin, venait tout juste de se prononcer en faveur de la souveraineté en offrant son appui au PQ. Deux signes avant-coureurs du triomphe d’un peuple, « peut-être pas si petit », trois semaines plus tard.

Détenteur d’un doctorat obtenu à Stanford à la faveur de la fameuse bourse Woodrow Wilson, la carrière universitaire de Rodrigue Tremblay s’est déroulée entièrement sur les flancs du Mont-Royal de 1967 à 2002 d’où il publiera une vingtaine d’ouvrages pour la majorité liée à sa spécialité : le commerce international. Le titre de l’ouvrage annonce on ne peut mieux son contenu. Si un journaliste torontois a vu juste en 1964 par sa suggestion de l’expression Quiet révolution, on admettra que, depuis 40 ans, le Québec se situe aux antipodes de ce qu’il a été durant les années 1960-1970. Une réalité que les moins de 50 ans ne sauraient connaître pour paraphraser Aznavour. « Le Québec est en pleine régression politique » écrit l’auteur qui plaide pour y remédier l’instauration d’une grande coalition politique en donnant comme exemple celle mise de l’avant par le RIN : « Les partis qui ont fait bouger les choses au Québec ont souvent été des partis de coalition (p. 266-267) ». Inutile de préciser que l’ancien député de Gouin n’a pas en tête le parti qui a surpris tout le monde le 1er octobre dernier…

Souvent les ouvrages écrits par des économistes rebutent les lecteurs par les nombreux tableaux remplis de chiffres et par le recours à des formulations parfois sophistiquées. Je m’empresse de les rassurer. En fait, l’auteur sait oublier qu’il est économiste comme il l’a prouvé par son Code pour une éthique globale (Liber, Montréal, 2009) qui se lit sans problème. C’est en ancien homme politique qu’il offre ici cette rétrospective s’étendant sur quatre décennies. Et, pour ce faire, il utilise un style aussi clair qu’efficace, marqué de phrases courtes sans effet de manche littéraire pour mettre de l’avant des informations appuyées sur une documentation rigoureuse. Un sous-titre de la conclusion générale résume bien l’ensemble de l’ouvrage : le « gros mensonge d’omission » de Pierre-Elliot Trudeau (en fait, l’auteur en signale une panoplie), la naïveté de René Lévesque et la faiblesse de Robert Bourassa (p. 277). En abordant la contribution de ces trois politiciens qui lui ont été familiers, Rodrigue Tremblay dénonce plusieurs mythes, dont celui qui voudrait que les Québécois aient dit NON deux fois à la souveraineté. L’auteur montre très bien qu’ils ont été trompés en 1980 et que les Québécois francophones ont répondu OUI en 1995 à 60 %1.

L’érudition de l’auteur lui permet ici et là d’éviter la linéarité dans la chronologie des faits rapportés. Ainsi, au chapitre 4, de façon opportune, il se réfère à l’Acte de Québec de 1774 pour ensuite se rapporter à l’Acte constitutionnel de 1791, ceci alors que le premier chapitre débute avec Jacques Cartier suivi de Samuel de Champlain. C’est dans ce chapitre, puisque l’on n’est pas encore en 1980, qu’il rafraîchit la mémoire des baby-boomers en racontant ce qui fut à la base des vicissitudes de sa carrière politique : son opposition (avec raison) à la nationalisation de l’amiante et surtout l’incapacité de faire accepter son projet d’une banque d’affaires du Québec. S’il a annoncé son entrée en politique un vendredi, ce sera, selon ses termes, avec fracas qu’il démissionnera le vendredi 21 septembre 1979. Et on en arrive à la première décennie avec le référendum de 1980.

Tous les chapitres ont en exergue de fort intéressantes citations de grands personnages ou d’hommes politiques. Oui, De Tocqueville n’est pas oublié, mais ici la vedette c’est Pierre Elliott Trudeau et son discours du 14 mai dont certains extraits aux échos nasillards résonnent encore dans mes oreilles : « Soyez prévenus, vous citoyens des autres provinces : nous n’admettrons pas que vous interpréteriez une victoire du NON comme le signe que tout va bien de nouveau et que nous pouvons revenir au statu quo ».

L’auteur aurait pu ajouter ce dont je me rappelle : « vous voulez du changement, vous aurez du changement ! » Les applaudissements frénétiques suscités par ses propos – et beaucoup d’autres similaires comme le signale l’auteur –, feront que ceux qui étaient favorables au livre beige de Claude Ryan (prônant une radicale décentralisation des pouvoirs dans le cadre d’un fédéralisme renouvelé) et réconfortés par une loi 101 non encore hachurée par la Cour suprême (avec l’aide de Julius Grey), en votant NON, disaient OUI à une certaine forme de souveraineté. Un fait qu’a dénié à quelques reprises dans ses chroniques l’ancienne riniste Lysianne Gagnon avec la foi d’une nouvelle convertie au born again federalism, trop grande admiratrice de Pierre Elliott Trudeau pour reconnaître son hypocrisie.

Moins de deux mois après que les Québécois eurent voté en faveur des changements que le clan du NON leur annonçait Pierre Elliott Trudeau, ce dernier publia une lettre ouverte affichant cette fois ses vraies couleurs ; avis était donné qu’il fallait oublier toute velléité d’un fédéralisme renouvelé. Claude Ryan pouvait aller se rhabiller avec son livre beige. Aux prises avec le « gros mensonge fait aux Québécois » (p. 90), qu’aurait-il fallu faire d’autre sinon déclencher immédiatement des élections au prétexte que les Québécois ont été trompés. Le pire résultat éventuel de cet appel au peuple aurait été la victoire de Claude Ryan et de son livre beige. Or, effectivement, qui parmi nous, aujourd’hui, ne se contenterait pas du projet de l’ancien directeur du Devoir comme alternative à ce que nous connaissons depuis 1982 et de ce qui s’annonce pour les années à venir ? En fait, comme le souligne Rodrigue Trembay, avec le retour au pouvoir de Pierre Elliott Trudeau, ce fut une erreur d’aller au casse-pipe que devenait un référendum perdu d’avance. À la place, des élections auraient eu pour enjeu les trois options constitutionnelles représentées à l’Assemblée nationale. Avec son coup de force constitutionnel de 1982, Pierre Elliott Trudeau n’a fait que profiter d’un René Lévesque fortement affaibli, les mains sans mandat, qu’il n’allait pas manquer de rouler dans la farine. Le temps de la régression tranquille allait battre son plein.

Inspiré par M. Bock-Côté, le long titre du chapitre 4 évoque le cauchemar de 1981-1982 et la mise en branle de la dénationalisation du Québec. Qualifié de « nouveau Durham », Pierre Elliott Trudeau a profité de l’état de faiblesse de René Lévesque pour berner les Québécois. En bon pédagogue qu’il fut comme professeur, Rodrigue Tremblay connaît l’importance des répétitions, mais comme on le sait, un défaut n’est rien d’autre qu’une qualité exagérée. Ainsi, était-ce nécessaire de revenir (p. 127) au tristement célèbre discours du 14 mai 1980 ? La tentation était de toute évidence, trop forte pour ne pas insister sur les mensonges qui conduiront à « la nuit des longs couteaux » du 5 novembre 1981.

Là-dessus, l’auteur rapporte les propos de nul autre que l’ancien responsable des discours de Pierre Elliott Trucdeau, André Brunelle qui, dans un ouvrage également publié chez Fides, avoue être tombé de haut lorsqu’il fut invité à traduire l’entente obtenue dans le dos de la délégation du Québec : « J’eus le sentiment d’avoir été trompé à l’instar de tous les Québécois à qui M. Trudeau avait promis un fédéralisme renouvelé en échange d’un NON majoritaire à la souveraineté-association que leur proposait René Lévesque » (Pierre Elliot Trudeau : l’intellectuel et le politique, 2005, p. 361). Rodrigue Tremblay ne manque pas de le marteler : le référendum de 1980 se trouve entaché de mensonges, de demi-vérités et d’omissions. Pour l’auteur, la façon de faire du maître chanteur d’Ottawa s’apparente en tout point aux façons de procéder d’un pays totalitaire. Oui, les Kim Jong-un et autres princes tels les Mohamed ben Salmane de ce monde pourraient trouver chez Pierre Elliott Trudeau des sources d’inspiration.

Mais, comme il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur, Rodrigue Tremblay mentionne que, face au machiavélisme et à la manipulation du gouvernement Trudeau, les Québécois ont réagi en reportant le PQ au pouvoir le 13 avril 1981. Ce qui me rappelle l’opinion d’un sage octogénaire gaspésien, reproduite dans Le Devoir durant la campagne référendaire : « Le parti qui perdra le référendum sera élu aux élections suivantes ». On se rappellera que le soir du 20 mai, Claude Ryan avait été mauvais gagnant. René Lévesque s’est donc transformé en récipiendaire d’un prix de consolation : la responsabilité de diriger… un « bon gouvernement ».

Le chapitre 5 débute avec en exergue une citation de Jean Lesage datant de 1965 où il associe le « Maître chez nous » à la Révolution tranquille : oui, un fer dans la plaie toujours ouverte des gens de ma génération. Une partie importante du chapitre porte sur le saccage de la loi 101 (amendée pas moins de huit fois) vu ici comme le début de la fin de la Révolution tranquille. Sa version originale ne pouvait composer avec l’idéologie unitaire d’un Canada « One nation » de Pierre Elliott Trudeau. Encore une fois, l’auteur ne peut s’empêcher d’accorder une part du blâme à René Lévesque pour s’être jeté dans la gueule du loup en donnant lieu à un référendum dépourvu de « conditions gagnantes ». Qui aurait cru que ces dernières se présenteraient avant la fin du siècle ? Elles font l’objet des chapitres suivants : du beau risque, le lac Meech et le référendum presque gagné et en partie… volé.

Le 18 mars 1987, Robert Bourassa fait connaître les cinq « conditions minimales » qui conduiraient à l’acceptation de la Loi constitutionnelle de 1982. On connaît la suite : c’est l’échec de l’accord. À l’eau du lac, ce 22 juin 1990, les cinq conditions. L’auteur ne le mentionne pas, mais nombreux se rappelleront que deux jours plus tard, de trois à quatre cent mille manifestants fermeront le défilé de la Saint-Jean sur la rue Sherbrooke en revendiquant la souveraineté. Retour sur la perfidie de Pierre Elliott Trudeau pour qui Meech « aurait rendu le gouvernement fédéral tout à fait impotent » (p. 186). Et, mensonge suprême aux dires de l’auteur, l’accord issu de « la nuit aux longs couteaux » fut décrit par son responsable comme la victoire de la population sur le pouvoir politique.

Et voilà qu’apparaît De Toqueville en exergue du chapitre 7 avec une très pertinente allusion à ce qui arrive à une nation qui, fatiguée de longs débats, accepte qu’on la dupe pourvu qu’on la repose… Cette fois c’est la faiblesse de Robert Bourassa qui est mise en évidence avec ses atermoiements qui ont succédé à sa fausse promesse de tenir un référendum sur la souveraineté dont il ne voulait aucunement. Ce qui me rappelle une déclaration de Pierre Bourgault : « Bourassa s’oppose à l’indépendance parce qu’il sent ne pas avoir les capacités pour diriger un pays indépendant, et il a raison ». Pour faire tomber la poussière soulevée par l’échec de Meech, la commission Bélanger-Campeau fut mise en place. Son rapport recommanda d’ouvrir de nouvelles discussions d’ordre constitutionnel et, advenant un nouvel échec, un nouveau référendum serait tenu sans tarder.

Il y a bien eu un nouveau référendum, mais pas celui qui était souhaité ; celui portant sur l’entente de Charlottetown de 1992. Le NON l’a emporté au Canada comme au Québec, mais, comme on le pense bien, pour des raisons opposées. Robert Bourassa, disposé à accepter n’importe quoi pouvant faire oublier le rapport Bélanger-Campeau, a été fidèle à lui-même. Il n’y a pas lieu de l’idéaliser en le comparant aux Charest et Couillard. Rodrigue Tremblay a raison d’écrire qu’il a raté son rendez-vous avec l’histoire en choisissant de s’écraser et de faire du surplace2. Il passera l’arme à gauche onze mois après le dernier (à ce jour) de nos référendums. Le NON très peu convaincant n’a pas retenu le gouvernement Chrétien d’en profiter pour enfoncer un autre clou dans le cercueil de l’autonomie du Québec » (p. 235) avec le Clarity Act.

Les deux derniers chapitres traitent de questions très contemporaines en touchant à la démographie et à l’immigration. Sur ce dernier point, il ne faut pas s’attendre à ce qu’Ici Radio-Canada, La Presse et, je serais tenté d’inclure, dans une certaine mesure, Le Devoir avec sa nouvelle direction , endossent le point de vue ici affiché. Car Rodrigue Tremblay ne cache pas son souci de préserver notre identité. En conséquence, alors que le gouvernement Legault annonce limiter les nouveaux arrivants à 40 000 par année, l’auteur avance le chiffre de 25 000, soit l’équivalent de l’accroissement annuel de la population du Québec. Ce faisant, on éviterait ainsi les problèmes sociaux d’intégration auxquels font face les Européens. Rodrigue Tremblay qui, tout au long du livre, soulève des questions en y apportant des tentatives de réponses, termine sa fort lucide conclusion générale par une question sans fournir de réponse, puisqu’il en incombe a ses compatriotes de le faire :

Est-ce que les Québécois et les Québécoises d’aujourd’hui, en tant que patriotes de toutes origines, ont la volonté de travailler à la survie, à l’épanouissement et à la prospérité de la seule nation francophone majoritaire en Amérique du Nord ? (p. 287)

J’ai fait allusion à l’efficacité d’écriture de l’auteur. Mais, comme tout auteur n’est pas le seul responsable de la qualité d’un ouvrage, l’éditeur ayant également à jouer son rôle. Ce qui est le cas ici en offrant au lecteur une facture bien aérée garnie de sous-titres évocateurs. Rien à dire donc sur la forme. Quant au fond, puisqu’il est question de régression jusqu’à aujourd’hui, le lecteur s’attend à ce que le tout dernier chapitre fasse le procès des quelque quinze ans de pouvoir du PLQ. Nul doute que Rodrigue Tremblay en a été un fin observateur. Peut-être s’y applique-t-il pour les fins d’un prochain ouvrage. Je l’imagine tout décortiquer en s’inspirant de l’approche adoptée par Lucia Ferretti dans L’Action nationale avec sa chronique sur le démantèlement de la nation et surtout par son bilan du gouvernement Couillard qui s’impose déjà comme une référence incontournable3. Oui, je verrais bien le point de vue de l’économiste en ajout ou en complément de celui de l’historienne.

Si, en vertu des couleurs fortement affichées de l’auteur, on peut concevoir l’hésitation des professeurs de cégeps d’imposer ce volume comme lecture obligatoire à leurs étudiants, ils se doivent, à tout le moins, de le donner en référence. Oui, pour que la jeunesse sache ce qui s’est vraiment passé surtout durant les vingt premières années de cette régression qui, si « la tendance se maintient », ne pourra que se poursuivre. Quant aux aînés, je ne vois guère mieux pour leur rafraîchir la mémoire ou pour compléter leurs informations, et pourquoi pas à pour ne pas perdre espoir, malgré tout.

André Joyal
Professeur associé à l’UQTR

Cet article a été publié initialement par L’Action nationale, mars-avril 2019.

Rodrigue Tremblay
La régression tranquille du Québec : 1980-2018
Montréal, Fides, 2018, 343 pages

editionsfides.com

Notes

1 Même s’il ne peut éviter le scandale des commandites et la commission Gomery, Rodrigue Tremblay n’insiste pas sur l’aspect « volé » du référendum.

2 Non sans mal, la Ville de Montréal est parvenue à donner son nom à une artère qui conduit vers… l’Université McGill.

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La partie espagnole de l’île était devenue française le 22 juillet 1795 avec la signature du traité de Bâle. Mais la République, qui consacrait toutes ses forces à l’avènement de la Révolution et à ses soubresauts émanant de la trahison thermidorienne et de l’assassinat de Robespierre, n’avait pas encore pris possession du territoire. Celui-ci était encore sous le contrôle d’un gouverneur espagnol. Le 26 janvier 1801, Toussaint Louverture décida alors de procéder à l’unification territoriale et, par ses efforts, arriva à instaurer la paix civile dans l’île. Les colons qui s’étaient enfuis suite à la Révolution louverturiste furent incités à rentrer et à apporter leur concours au développement de l’île (1).

L’Assemblée centrale de Saint-Domingue, sous l’autorité de Toussaint Louverture, adopta une constitution le 2 juillet 1801 qui octroyait une importante autonomie à l’île, l’émancipant ainsi de la tutelle de la France sans pour autant rompre définitivement les liens avec la puissance coloniale. Elle se basait sur l’article 91 de la Constitution française de 1799 qui stipulait que « le régime des colonies françaises [était] déterminé par des lois spéciales ». Toussaint Louverture fut alors nommé gouverneur à vie de Saint-Domingue (2).

La partie française de l’île de Saint-Domingue :

La Constitution de 1801 était une œuvre de progrès. L’article 3 mettait fin à l’esclavage : « Il ne peut exister d’esclaves sur ce territoire, la servitude y est à jamais abolie. Tous les hommes y naissent, vivent et meurent libres et Français ». Saint-Domingue devint ainsi le premier territoire du Nouveau-Monde à abolir l’esclavage. L’article 4 proclamait l’élimination des obstacles érigés par le système ségrégationniste sur le marché du travail : « Tout homme, quelle que soit sa couleur, y est admissible à tous les emplois ». Enfin, l’article 5 consacrait l’égalité entre tous les habitants de l’île : « Il n’y existe d’autre distinction que celle des vertus et des talents, et d’autre supériorité que celle que la loi donne dans l’exercice d’une fonction publique. La loi y est la même pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu’elle protège ». L’Assemblée centrale, si elle n’avait pas l’initiative législative, disposait du pouvoir d’adopter ou de rejeter les propositions de loi formulées par le gouverneur. Les décisions des tribunaux étaient souveraines et ne dépendaient pas du pouvoir exécutif, lequel ne pouvait prononcer aucune amnistie. L’Etat de droit y était proclamé avec l’interdiction de toute arrestation non motivée par la loi et non effectuée par un fonctionnaire assermenté (article 64) (3).

Toussaint Louverture, fidèle à la République française, soumit la Constitution à Napoléon Bonaparte, au pouvoir depuis le coup d’Etat du 18 brumaire (9 novembre 1799). Pendant ce temps, il prôna la réconciliation entre toutes les catégories ethniques, appelant à la concorde tous les habitants de l’île afin d’édifier un avenir prospère pour Saint-Domingue. Lorsque le gouverneur apprit que son neveu adoptif, le général de division Moïse, se comportait comme un despote et opprimait la population blanche et métissée, mettant en danger l’équilibre précaire de la nouvelle société, ce dernier fut passé par les armes (4).

Le Spartacus Noir, tel est le surnom conquis par sa lutte pour la liberté, se consacra à la construction de l’île et au développement de son économie, afin de permettre à ses habitants d’accéder à une existence digne. L’accent fut mis sur l’agriculture et l’édification d’infrastructures. Des écoles fleurirent partout sur le territoire afin de permettre l’émancipation des habitants par l’éducation. Toutes ces mesures furent menées de main ferme et il n’y eut guère d’espace pour les protestations et les mécontentements. Les déviations furent sanctionnées avec autorité, parfois de façon cruelle et excessive, notamment dans les campagnes. Napoléon Bonaparte lui-même reconnut la qualité de « l’ordre de travail établi par Toussaint, qui, déjà, était couronné par d’heureux succès (5)».

L’expédition de Bonaparte contre Saint-Domingue (6)

Napoléon Bonaparte, par son coup d’Etat du 18 brumaire, avait anéanti la République et creusé le tombeau des valeurs de la Révolution. La guerre contre la Grande-Bretagne, qui avait repris en 1798 lorsque les monarchies européennes coalisées attaquèrent la France, prit fin avec la signature du Traité d’Amiens en octobre 1801. Entouré d’une caste de possédants nostalgiques de l’époque coloniale, le consul Bonaparte décida d’envoyer son beau-frère, le général Victor- Emmanuel Leclerc, à la tête d’imposantes troupes pour écraser la Révolution de Saint- Domingue. Dans un acte de reniement des idéaux révolutionnaires, cimentés dans la maxime première de la République qui affirmait que « les hommes naiss[ai]ent et demeurent libres et égaux en droit », le Premier Consul décida rétablir l’esclavage pour 500 000 habitants. Thomas Jefferson, Président des Etats-Unis, soutint avec enthousiasme l’initiative : « Rien ne serait plus facile pour nous que de fournir votre armée et votre flotte avec tout le nécessaire, et réduire ainsi Toussaint à la famine6 ». Dans une missive à Talleyrand, son ministre des Relations extérieures, datée du 13 novembre 1801, Bonaparte lui fit part de sa décision « d’anéantir à Saint-Domingue le gouvernement des noirs (7)». Une expédition de 23 000 hommes aguerris par les guerres napoléoniennes quitta alors la France le 14 décembre 1801 pour s’emparer de l’île et éliminer Toussaint Louverture.

Dans le courrier expédié à Toussaint Louverture, Napoléon l’informa de son intention de reprendre le contrôle de l’île, lui rappelant les forces en présence : « Nous envoyons le citoyen Leclerc, notre beau-frère, en qualité de capitaine-général, comme premier magistrat de la colonie. Il est accompagné de forces suffisantes pour faire respecter la souveraineté du peuple français (8) ». La réponse du gouverneur de Saint-Domingue fut courtoise. Le représentant de la France serait reçu avec « le respect de la piété filiale ». Mais il lui rappela que la liberté conquise par la lutte serait défendue avec la même pugnacité : « Je suis soldat, je ne crains pas les hommes; je ne crains que Dieu; s’il faut mourir, je mourrai comme un soldat d’honneur qui n’a rien à se reprocher (9)».

Le 5 février 1802, le général Leclerc débarqua au Cap en conquérant et exigea du commandant de la ville, Henri Christophe, une reddition pure et simple sans quoi « la colère de la République le dévorera comme le feu dévore vos cannes desséchées (10) ». Loin d’intimider l’officier de Toussaint Louverture, celui-ci transmit le message suivant à l’envahisseur : « On nous prend donc pour des esclaves ; allez dire au général Leclerc que les Européens ne marcheront ici que sur un monceau de cendres, et que la terre les brûlera ». Il annonça alors le déclenchement d’une opération de résistance : « Les proclamations que vous apportez respirent le despotisme et la tyrannie. Je vais faire prêter à mes soldats le serment de soutenir la liberté au péril de leur vie (11) ».

A réception de la missive du général Christophe, l’expéditionnaire Leclerc lança un ultimatum à l’officier noir : « Je vous préviens que si aujourd’hui vous ne m’avez pas fait remettre les forts Poclet et Bel-Air et toutes les batteries de la côte, demain à la pointe du jour, quinze mille hommes seront débarqués (12) ». Le commandant haïtien ne se laissa pas impressionner et réitéra sa fidélité « au gouverneur-général Toussaint-Louverture, mon chef immédiat, de qui je tiens les pouvoirs dont je suis revêtu ». Il l’informa qu’il ne recevait d’ordre que de son gouverneur :

Jusqu’à ce que sa réponse me soit parvenue, je ne puis vous permettre de débarquer. Si vous avez la force dont vous me menacez, je vous prêterai toute la résistance qui caractérise un général ; et si le sort des armes vous est favorable, vous n’entrerez dans la ville du Cap que lorsqu’elle sera réduite en cendres, et même sur ces cendres, je vous combattrai encore… (13)

Dès le lendemain, le général Leclerc bombarda la ville, tuant femmes et enfants. Le général Christophe procéda alors à l’évacuation de la cité et, fidèle à sa promesse, la réduisit en cendres. Lorsque Toussaint Louverture apprit que le général bonarpartiste Rochambeau avait fait massacrer les soldats du Fort-Liberté le 4 février, il lui fit parvenir une missive contenant un serment : « Je combattrai jusqu’à la mort pour venger […] ces braves soldats (14)». Le Libérateur lança un appel à la résistance à tous ses hommes, les exhortant à lutter jusqu’aux ultimes conséquences.

Bonaparte décida d’envoyer les deux enfants de Toussaint Louverture, Placide et Isaac, qui étudiaient en France depuis 1796, accompagnés de leur précepteur Coisnon, alors directeur du lycée colonial, transmettre un courrier personnel à leur père. Lorsque Coisnon l’informa des intentions favorables du Premier Consul à son égard, le leader noir exprima sa surprise :

Si les intentions du gouvernement était pacifiques et bonnes à mon égard et à l’égard de ceux qui avaient contribué au bonheur dont jouissait la colonie, le général Leclerc n’avait sûrement pas suivi ni exécuté les ordres qu’il avait reçus, puisqu’il était débarqué dans l’île comme un ennemi […]. D’après la conduite de ce général, je ne pouvais avoir en lui aucune confiance (15).

Le général Leclerc sema « sur son passage le ravage, la mort et la désolation », alors qu’il avait promis dans sa proclamation « apporter la paix et le bonheur (16) ». Les généraux Rochambeau, Kerverseau et Desfourneaux se comportaient comme « les tyrans les plus acharnés de la liberté des noirs et des hommes de couleur ». Rochambeau devint même « le destructeur des hommes de couleur et des noirs (17) ».

Dans un courrier expédié à Bonaparte en février 1802, Toussaint Louverture exprima son indignation. Il assit d’abord son autorité en lui rappelant que la nomination de Leclerc en tant que capitaine-général « n’[était] pas reconnue par la Constitution de Saint-Domingue ». Les forces envoyées « répand[ai]ent partout le carnage et la dévastation ». « De quel droit veut-on exterminer, par le fer et par le feu, un peuple grossier, mais innocent ? », questionna-t-il. S’agissait-il de l’aspiration à l’indépendance ? « Pourquoi non ? Les Etats-Unis d’Amérique ont fait comme nous ; et avec l’assistance du gouvernement français, ils ont réussi à consolider leur liberté ». S’agissait-il de son autorité ? « Le poste élevé que j’occupe n’est pas de mon choix ; des circonstances impérieuses m’y ont placé contre mon gré ». Il rappela ensuite les réalités de l’île :

Je vis cette malheureuse île en proie à la fureur des factieux. Ma réputation, ma couleur, me donnèrent quelque influence sur le peuple qui l’habite ; et je fus, presque d’une voix unanime, appelé à l’autorité. J’ai étouffé la sédition, apaisé la révolte, rétabli la tranquillité ; j’ai fait succéder le bon ordre à l’anarchie ; enfin, j’ai donné au peuple la paix et une constitution. Citoyen Consul, vos prétentions sont-elles fondées sur des titres plus légitimes ? Si le peuple ne jouit pas ici de toute la liberté qu’on trouve sous d’autres gouvernements, il en faut chercher la cause dans sa manière de vivre, dans son ignorance et dans la barbarie inséparable de l’esclavage. Le gouvernement que j’ai établi pouvait seul convenir à des malheureux à peine affranchis du joug oppresseur ; il laisse, en plusieurs endroits, prise au despotisme, nous n’en saurions disconvenir ; mais la constitution de la France, cette partie la plus éclairée de l’Europe, est-elle tout à fait exempte de ces inconvénients ? Si trente millions de Français trouvent, comme je l’entends dire, leur bonheur et leur sécurité dans la Révolution du 18 brumaire, on ne devrait pas m’envier l’amour et la confiance des pauvres noirs, mes compatriotes. La postérité décidera si nous avons été obéis par affection, par apathie ou par crainte (18). Loin de se présenter comme un subordonné, Toussaint Louverture imposa un rapport d’égal à égal au Premier Consul, rejeta ses tentatives de corruption et assuma sa conduite et ses actes en tant que leader de Saint-Domingue :

Vous me demandez si je désire de la considération, des honneurs, des richesses. Oui, sans doute ; mais je ne veux point les tenir de vous. Ma considération dépend du respect de mes compatriotes, mes honneurs de leur attachement, ma fortune de leur fidélité. Me parle-t-on de mon agrandissement personnel dans l’espoir de m’engager à trahir la cause que j’ai embrassée ? Vous devriez apprendre à juger des autres par vous-même. Si le monarque qui sait avoir des droits au trône sur lequel vous êtes assis, vous commandait d’en descendre, que répondriez-vous ?… La puissance que je possède est aussi légitimement acquise que la vôtre ; et la voix unanime du peuple de Saint-Domingue peut seule me forcer à l’abandonner. Elle n’est point cimentée par le sang. Les hommes cruels, dont j’ai arrêté les persécutions ont reconnu ma clémence. Si j’ai éloigné de cette île certains esprits turbulents qui cherchaient à entretenir le feu de la guerre civile, leur crime a d’abord été constaté devant un tribunal compétent, et enfin avoué par eux- mêmes (19).

Après avoir essayé de corrompre en vain les officiers sous les ordres de Toussaint Louverture, face à la résistance du peuple de Saint-Domingue, le général Leclerc décida finalement de lui envoyer un médiateur. Le Patriote exprima sa circonspection :

Le général ne m’a annoncé sa mission qu’en débarquant partout à main armée. Il a pris d’assaut le Fort-Dauphin et a canonné Saint-Marc. Je ne dois pas oublier que je porte une épée. Pour quel motif me déclare-t-on une guerre aussi injuste qu’impolitique ? Est-ce parce que j’ai délivré mon pays du fléau de l’étranger ? Parce que j’ai établi l’ordre et la justice ? Si le général Leclerc désire franchement la paix, qu’il arrête la marche de ses troupes (20).

Puis, soulignant ses « plus grands soupçons sur la pureté des intentions » du général Leclerc, il ajouta : « Comment se fier à un homme qui amenait avec lui une armée nombreuse et des vaisseaux portant et débarquant des troupes sur tous les points de la colonie sans en prévenir le premier chef (21) ».

En effet, Napoléon Bonarparte avait lui-même reconnu Toussaint Louverture comme étant le seul Libérateur de Saint-Domingue :

Nous nous plaisons à reconnaître et à proclamer les services que vous avez rendus au peuple français. Si son pavillon flotte sur Saint-Domingue, c’est à vous et aux braves noirs qu’il le doit. Appelé par vos talents et la force des circonstances au premier commandement, vous avez détruit la guerre civile, mis un frein aux persécutions de quelques hommes forcenés… Les circonstances où vous vous êtes trouvé, environné de tous côtés d’ennemis, sans que la Métropole puisse vous secourir ou vous alimenter, avaient rendu légitimes les articles de votre constitution qui pourraient ne plus l’être; mais aujourd’hui vous serez le premier à rendre hommage à la souveraineté de la nation qui vous compte au nombre de ses plus illustres citoyens, par les services que vous lui avez rendus et par les talents et la force de caractère dont la nature vous a doué (22).

Si dans le courrier officiel l’expression de gratitude pour les services rendus à la République était notable, dans la réalité, Bonaparte, au lieu de traiter Toussaint Louverture avec les égards dus à ses mérites, dépêcha 23 000 de ses meilleurs soldats pour lui passer les fers et reprendre possession de l’île.

Face à l’invasion française, Toussaint Louverture fit sonner le tocsin dans toute l’île et exhorta le peuple noir à résister à l’oppresseur. Il déploya tous ses talents et multiplia les efforts pour contrer les attaques des troupes napoléoniennes. Il mena une guerre de guérilla contre l’oppresseur colonial, appliquant la politique de la terre brûlée. Ses hommes, galvanisés par l’exemple d’abnégation donné par le leader, opposèrent une résistance farouche (23).

Salim Lamrani

Première partie :

Notes

1.Conjonction, Bulletin de l’Institut français d’Haïti, numéro 211, p. 28.

2.Conseil Constitutionnel, Constitution du 22 Frimaire An VIII. https://www.conseil-constitutionnel.fr/les- constitutions-dans-l-histoire/constitution-du-22-frimaire-an-viii (site consulté le 4 mai 2019).

3.République d’Haïti, Consitution du 3 juillet 1801, Université de Perpignan. http://mjp.univ-perp.fr/constit/ ht1801.htm (site consulté le 4 mai 2019).

4.Charles Malo, Histoire d’Haïti (ïle de Saint-Domingue) depuis sa découverte jusqu’en 1824, Paris, Louis Janet & Ponthieu, 1825, p. 461.

5.Napoléon Bonaparte, Mémoires de Napoléon, Paris, Bibliothèque historique et militaire, 1842, Tome sixième, p. 326.

6.Dumas Malone, Jefferson, the President, First Terme 1801-1805, Little, Brown, 1970, p. 252.

7.Napoléon Bonaparte, Correspondance de Napoléon 1er, “Au Citoyen Talleyrand”, 13 novembre 1801, n°5863, Tome septième, Paris, Plon/Dumaine, 1861, p. 320.

8.Napoléon Bonaparte, « Courrier au Général Toussaint Louverture », 18 novembre 1801, Société de l’Histoire des colonies françaises, Lettres du Général Leclerc, Commandant en Chef de l’Armée de Saint-Domingue en 1802, Paris, 1937, p. 307. https://www.persee.fr/doc/sfhom_1961-8166_1937_edc_6_1 (site consulté le 4 mai 2019).

9.Beaubrun Ardouin, Etudes sur l’histoire d’Haïti, Paris, Dezobry & Magdelaine lib. Editeurs, 1853, Tome quatrième, p. 476.

10.Toussaint Louverture, Mémoires du Général Toussaint Louverture, op.cit., p. 40.

11.Ibid.

12.Thomas Madiou, Histoire d’Haïti, Tome II, 1799-1803, Port-au-Prince, Editions Henri Deschamps, 1989, p. 171.

13.Toussaint Louverture, Mémoires du Général Toussaint Louverture, op. cit., p 41.

14.Ibid., p. 46.

15.Ibid., p. 51.

16.Ibid., p. 110, 112.

17.Ibid., p. 113.

18.Débarquement de la flotte française à Saint-Domingue, Paris, Tiger, pas de date, p. 25-29.

19.Ibid.

20.Toussaint Louverture, Mémoires du Général Toussaint Louverture, op. cit., p. 113.

21.Ibid.

22.Napoléon Ier, Correspondance de Napoléon Ier, Paris, Henri Plon & J. Dumaine, 1866, Tome septième, p. 322.

23.Antoine Marie Thérèse Métral & Isaac Toussaint Louverture, Histoire de l’expédition des Français à Saint- Domingue, Paris, Fanjat Ainé Libraire-Editeur & Antoine Augustin Renouard, 1825, p. 243-51.

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son dernier ouvrage s’intitule Fidel Castro, héros des déshérités, Paris, Editions Estrella, 2016. Préface d’Ignacio Ramonet.

Contact : [email protected] ; [email protected] Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

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Pendant que l’impasse des négociations entre Londres et Bruxelles accapare toute l’attention, la bataille fait rage sur le continent pour attirer les dépouilles de la City. Mais tout en encourageant les gouvernements à rivaliser de largesses, le secteur financier, emmené par les géants de Wall Street, poursuit discrètement une stratégie de plus long terme. Son but ? Façonner les futures relations entre Union européenne et Royaume-Uni à son avantage, en s’inspirant des dispositions les plus controversées des accords de libre-échange comme le Tafta. Enquête de l’Observatoire des multinationales et de partenaires européens dans le cadre du réseau ENCO.

Au lendemain du référendum sur le Brexit, le 23 juin 2016, on aurait pu croire que les dirigeants français n’attendaient que ça. Quelques jours plus tard, ils étaient déjà entrés en campagne. L’objectif ? Attirer les banquiers et les traders de la City à Paris. La sortie programmée du Royaume-Uni de l’Union européenne signifie la fin du « passeport financier », autrement dit de l’accès automatique de l’industrie financière britannique au continent. Et donc la nécessité de relocaliser hors de Londres une partie des 320 000 emplois directs que représente le secteur. La City, ce sont 150 milliards de livres sterling de revenus par an (environ 170 milliards d’euros), dont 20% concernent des activités dans l’Union européenne gérées depuis Londres. Une belle proie en perspective.

Dès le 6 juillet, soit moins de deux semaines après le vote des Britanniques, le premier ministre Manuel Valls annonçait une première série de mesures fiscales et réglementaires visant à rendre la place de Paris plus « attractive » pour les banquiers. Elles ne seront pas les dernières. Côté français, c’est la mobilisation générale. Les représentants de Paris Europlace, le lobby de la Bourse, se rendent tous les mois à Londres ou à New York pour faire les yeux doux à l’industrie financière. Des ministres et des présidents de régions contribuent eux aussi à l’opération séduction. Le tout à grand renfort de comm’ et de campagnes publicitaires plus ou moins subtiles, comme celle de l’automne 2016 jouant sur les clichés pour inviter les Londoniens « fatigués du brouillard » (tired of the fog) à « essayer les grenouilles » (try the frogs).

Non seulement Paris, mais aussi Francfort, Dublin, Amsterdam, Luxembourg, Madrid, Milan et quelques autres se sont mis en tête d’attirer eux aussi une partie des dépouilles de la City. L’un des effets immédiats du Brexit aura été non pas de ressouder l’Europe des « 28-1 », mais plutôt de réveiller l’esprit de rivalité économique, avec la Grande-Bretagne et au sein même de l’Union. Leur cible commune à tous, ce sont essentiellement les géants de Wall Street comme Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP Morgan ou Bank of America Merill Lynch, qui avaient auparavant basé l’essentiel de leurs activités européennes à Londres.

Opération séduction

Chaque pays et chaque capitale, chacun selon son style, fait valoir ses avantages pour charmer l’industrie financière ou encourager les grandes entreprises à relocaliser leur siège social. Certains insistent sur le faible niveau de taxation, d’autres sur leur cadre réglementaire, ou d’autres encore sur le climat et la qualité de vie. Banques et multinationales n’ont plus qu’à faire leur « shopping », en faisant miroiter quelques dizaines d’emplois pour obtenir des conditions avantageuses et peser sur les orientations des gouvernements. Ils sont invités partout, partout les bienvenus. Le moindre tweet du patron de Goldman Sachs ou de Google vantant la nourriture française, la liberté britannique ou la stabilité allemande devient un événement…

Lloyd Blankfein

@lloydblankfein

Just left Frankfurt. Great meetings, great weather, really enjoyed it. Good, because I’ll be spending a lot more time there.

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Lloyd Blankfein

@lloydblankfein

Struck by the positive energy here in Paris. Strong govt and biz leaders are committed to economic reform and are well thru the first steps. And the food’s good too!

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Un nouveau rapport publié ce jour par l’Observatoire des multinationales avec Corporate Europe Observatory, LobbyControl et SpinWatch dans le cadre du réseau ENCO montre que l’industrie bancaire ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Les grandes banques européennes et nord-américaines (y compris les françaises BNP Paribas et Société générale) ont profité du Brexit pour soigner leur image et fait plaisir aux leaders politiques en relocalisant quelques postes à Paris. Elles en ont aussi joué pour obtenir toute une série de mesures favorables à leurs intérêts, en France mais aussi au niveau européen, avec par exemple le gel de la taxe sur les transactions financières.

Derrière le Brexit, un Tafta de la finance

Mais dans le même temps, de manière bien plus discrète, elles poursuivent aussi une stratégie de plus long terme, en essayant de façonner les futures relations entre Union européenne et Royaume-Uni à leur avantage. Et notamment d’obtenir ce qu’elles n’ont pu obtenir ni avec le Tafta ni avec le Ceta : la possibilité pour les banques de poursuivre des gouvernements devant des tribunaux d’arbitrage privés en cas de réformes nuisant à leurs intérêts, et un mécanisme de « coopération réglementaire », autrement dit l’élaboration des futures régulations financières au sein de comités opaques largement ouverts aux lobbyistes du secteur privé. Ces deux dispositifs – au centre de la contestation des accords de libre-échange comme le Tafta – n’ont jamais encore été étendus aux services financiers.

Les négociations de l’accord de sortie de la Grande-Bretagne, avec ses rebondissements et ses impasses, ont accaparé toute l’attention ces derniers mois. En ce moment, la City pourrait sembler perdante : elle n’avait, dans sa majorité, pas voulu le Brexit, et elle ne réussira pas à garder son passeport financier européen. Dans les coulisses, cependant, les lobbyistes de la finance se préoccupent déjà de l’étape suivante, à savoir le futur accord commercial qui régira les relations entre les deux rives de la Manche. En jeu : l’avenir à long terme de la régulation financière, en Europe et au-delà. Et le risque d’en revenir à la situation qui prévalait avant 2008, ou pire.

Olivier Petitjean

Notre enquête en deux volets :

- Volet 1 : « Mon amie la finance » : comment le Brexit a jeté la France dans les bras de Wall Street

- Volet 2 : Les dangereux projets du lobby financier pour l’Europe post-Brexit

Cette enquête est le fruit d’une collaboration entre l’Observatoire des multinationales, Corporate Europe Observatory, SpinWatch et LobbyControl dans le cadre du réseau ENCO (European Network of Corporate Observatories.
Lire notre rapport : Brexit, Financial Sector Lobbying and Regulatory Cooperation.
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Depuis le 26 avril 2019, le Honduras connaît un mouvement de grèves et de protestations des enseignants, étudiants et lycéens ainsi que des travailleurs de la Santé. Les fonctionnaires et plus largement les usagers des services publics, demandent l’abrogation des décrets PCM 026-2018 et PCM 027-2018 mettant en place une Commission spéciale pour la Transformation des Ministères de la Santé et de l’Éducation, dans le cadre de l’application de la Loi de Restructuration et Transformation du Système National de l’Éducation et de la Santé. La mobilisation est très importante dans tout le pays car il s’agit de l’avenir de deux secteurs clés de la société mis en cause par le choix ultra libéral du Gouvernement de Juan Orlando Hernández (JOH).

Dix années d’ultra-libéralisme

Depuis les années 1990, le Honduras est soumis à une réorganisation administrative consistant en un désengagement de l’État concernant les services publics. Tout d’abord l’État a procédé à une décentralisation, qui aurait pu permettre une prise en charge du développement social par les Territoires au plus près des besoins des usagers. Mais la situation politique en a décidé autrement. La crise institutionnelle sous la présidence de gauche de Zelaya a abouti à un coup d’état en 2009. Le Président auto-proclamé Juan Orlando Hernández, soutenu par les États-Unis d’Amérique, reconnu par la communauté internationale est un ultra libéral. Des élections frauduleuses lui ont permis d’être réélu en novembre 2017.

Le Honduras s’enfonce dans une crise sociétale profonde. C’est un des pays les plus violents de la région. Toute opposition est réprimée par une police nationale violente. Le phénomène des marass’est développé, en relation avec le narcotrafic. Ces délinquants forment des gangs ultra violents, qui recrutent parmi les jeunes sans formation et sans avenir. Le taux d’homicides atteint des sommets : 93,11 /100.000 en 2011; 63,8/100.000 en 2015. Pris entre extrême pauvreté et extrême violence, sans aucune perspective de changement politique, économique et social, les Honduriens partent de manière isolée depuis une décennie mais le nombre des départs croît de manière considérable à partir de 2014, atteignant son paroxysme fin 20181.

L’État hondurien est un état faible et corrompu. Les investissements dans l’Éducation et la Santé sont parmi les plus bas des pays de l’Amérique centrale. Concernant l’enseignement, l’État consacre à peine mille dollars par an par enfant, quand les pays de l’OCDE en consacrent dix mille. Les dépenses publiques en matière d’éducation ne représentent que 6% du PIB. Aujourd’hui encore on recense 4.500 écoles qui ne comportent qu’une seul classe, avec un seul maître pour les six niveaux que comprend l’enseignement primaire obligatoire. Plus encore, les conditions matérielles sont déplorables : 75% des écoles sont en très mauvais état, voire détruite en partie, n’assurant pas le couvert, sans eau et sans latrines. Cette situation est particulièrement fréquente dans les zones rurales. J’ai visité des écoles dans le Olancho, dans un rayon d’une dizaine de kilomètres de La Union, petite ville de cinq mille habitants. Une école desservait plusieurs hameaux dont elle était à égale distance, en pleine campagne.Une classe unique, une jeune maîtresse. Pour tout mobilier un petit tableau et deux bancs pour les élèves. Les bancs étaient de chaque côté le long du mur pour éviter la pluie qui tombait par le toit crevé. Le champ pour tout sanitaire. Une autre école, dans un village, en meilleur état mais fermée par manque d’enseignant.

Si le second degré semble moins démuni, c’est que les collèges se trouvent en zone urbaine. Mais très peu d’élèves y accèdent, environ 29%, par manque de transport et parce que la gratuité n’y est pas assurée : uniforme, fournitures, cantine.

La situation des hôpitaux publics est tout aussi préoccupante. Non seulement le nombre d’établissements est très insuffisant mais les conditions matérielles y sont des plus précaires. On note même des établissements où l’eau et l’électricité font défaut, même dans les salles d’opération.

Depuis longtemps déjà des cliniques privées proposent leurs services aux patients les plus aisés. Des fondations, américaines la plupart du temps, financent des cliniques dans les zones rurales et péri-urbaines, avec des coûts accessibles à la classe moyenne. Par exemple, dans la ville de La Union, déjà citée, il existe une clinique américaine située en périphérie, proposant des soins courants dans des conditions techniques et d’hygiène normales, pour une clientèle de salariés moyens. Dans la ville même il existe un dispensaire public : deux grandes pièces ayant en tout et pour tout qu’une armoire (vide), un fauteuil, un lavabo, et pas de personnel !

Une réforme éducative inexistante

Une Loi fondamentale a été votée en 2014. L’application de cette Loi suscite des débats dans la communauté éducative :

  • l’obligation de scolarisation en dernière année de maternelle alors que cette obligation scolaire ne peut pas être respectée par manque de moyens : selon l’UNICEF 78.000 enfants d’âge pré-scolaire ne sont pas scolarisés. Dans le même temps,2,5 millions d’enfants d’âge scolaire ne sont pas scolarisés.

  • La gratuité depuis la dernière année de maternelle jusqu’à la fin de l’école élémentaire contenue dans la loi n’a pas de réalité dans les faits, puisque les écoles participant à l’opération gratuité n’ont pas reçu les fonds nécessaires du ministère, lequel a alors suspendu l’opération !

  • La décentralisation de la gestion des personnels au niveau départemental, ne garantit plus le paiement des salaires, ni leur niveau, lorsque l’État « oublie » de transférer les fonds nécessaires.

  • Les bourses, pourtant prévues dans la loi, ont été suspendues sans préavis ni avis.

  • La suppression d’un niveau d’enseignement dans l’école élémentaire. En fait, de cette manière, il y a toujours 9 années, en comptant l’année pré-scolaire.

  • Le baccalauréat est réformé. Disparaissent le Bac Lettres et le Bac Sciences regroupés en Sciences et Humanité, ainsi que les bacs de spécialités professionnelles, en particulier celui préparé par les futurs étudiants des Ecoles Normales d’Instituteurs, lesquelles sont supprimées.

De fait, le secteur éducatif public ne s’est pas donné les moyens d’assurer la scolarisation de tous les enfants d’obligation scolaire entre 5 et 14 ans, ni l’accès au secondaire pour les enfants de 15 à 17 ans. Le décalage est flagrant entre les intentions contenues dans la Loi et la réalité de son application par le Ministère.

 Une réponse libérale

La seule réponse de l’État à ces critiques et aux manifestations qui commencent le 26 avril est la promulgation le 30 avril 2019 de deux décrets : PCM 026-2018 et PCM 027-2018. C’est une procédure d’urgence qui évite le débat au Congrès puisque les décrets émanent directement de la Présidence du Conseil des Ministres. C’est une procédure prévue en cas de guerre, d’épidémie ou….de troubles. Les décrets d’urgence ont une durée d’application de deux ans, prolongeables indéfiniment, pendant lesquels les personnels fonctionnaires peuvent être licenciés et les services transférés au privé.

Les décrets en question prévoient la création d’une Commission Spéciale pour la Transformation du Système National de l’Éducation et une Commission Spéciale pour la Transformation du Système National de la Santé. Les objectifs sont de transformer totalement ces deux secteurs, c’est-à-dire de réorganiser l’administration de la Santé et de l’Éducation, d’élaborer un nouveau modèle de prestation de services, d’établir des mécanismes d’articulation et de collaboration avec la coopération nationale et internationale, selon les termes officiels.

L’État se désengageant il permet aussi à d’autres acteurs de prendre la responsabilité de former la jeunesse hondurienne : les Départements n’en ayant pas les moyens, c’est le secteur privé qui s’engouffre dans la brèche.

Par exemple l’État n’a construit aucune classe supplémentaire pour appliquer la scolarisation obligatoire à 5 ans. Le privé en a profité pour s’implanter dans le secteur pré-scolaire, par l’intermédiaire d’une fondation, la FICOSHA qui agit en partenariat avec d’autres grands groupes nord-américains.

L’école privée entre en compétition avec l’école publique quant à la gratuité. D’abord parce que le Public ne respecte pas cette gratuité et ensuite parce que le Privé implante des écoles à coûts très accessibles dans les quartiers populaires des grandes villes comme Tegucigalpa et San Pedro Sula. La fracture entre privé et public va s’accentuer au niveau de l’école élémentaire mais aussi dans l’enseignement secondaire. Le secteur privé construit des établissements secondaires dans les zones rurales déficitaires et dans les zones urbaines défavorisées, privilégiant l’enseignement manuel et technique et par là même l’inégalité des chances et la reproduction sociale.

Par ailleurs le secteur public ne garantissant plus le statut de fonctionnaire des personnels en embauchant des personnels avec des contrats de droit privé, cela permet ainsi une flexibilité et un moindre coût concernant les salaires et les retraites.

Les parents, comme les patients, se transforment en clients, pouvant évaluer le personnel, par exemple au moyen d’applications sur les smartphones.

La privatisation rampante est devenue un projet de société, commandité par les Organisations Internationales (FMI) et le gouvernement des États-Unis d’Amérique dont est totalement redevable l’actuel Président du Honduras.

 La mobilisation

En 2016 un syndicat voit le jour pour veiller à l’application de la Loi fondamentale Éducative. Ses principaux objectifs sont de défendre l’école publique, laïque et de qualité, participer à la recherche de solutions, coopérer avec l’État pour améliorer et démocratiser l’éducation nationale. Il s’agit du Colegio Profesional Superación Magisterial Hondureño.

En 2017 il tire la sonnette d’alarme lors d’une conférence de presse, dénonçant les manquements de l’État quant à l’application de la Loi éducative, rappelant le manque de classes, d’écoles et d’enseignants et leur absence de formation en particulier en informatique et en anglais pour le secondaire. Il dénonce également le non respect des garanties contenues dans la Loi concernant le statut des enseignants.

En avril 2019 trois experts en Éducation publient un rapport, commandité par l’Internationale de l’Éducation, intitulé « La Educación en Honduras, entre la privatización y la globalización » (L’Éducation au Honduras, entre privatisation et globalisation). Il s’agit d’un rapport de 98 pages qui analyse en profondeur les stratégies du gouvernement hondurien, dictées par les acteurs non gouvernementaux, dans un contexte d’indigence de cet État (à télécharger sur le site https://issuu.com/educationinternational/docs/2019_ei-research_privatisation_hond).

Le 26 avril commencent les premières manifestations d’enseignants, étudiants et personnels de santé. Après la promulgation des décrets, les personnels descendent dans la rue pour demander leur abrogation, puis ils font grève le 20 mai. Á partir du 23 mai commence une grève générale, avec des manifestations dans les rues de la capitale et des grandes villes de province. La répression se met en place.

 Un projet global

Ce qui se passe au Honduras est très représentatif du mouvement libéral globalisé qui affecte tous les continents. En Europe les recommandations de l’OCDE en matière de services publics vont dans le sens d’une ouverture au secteur privé, avec les valeurs de rentabilité propres à ce secteur. Les États sont sommés de faire des réformes structurelles, en particulier dans les secteurs de la santé et de l’Éducation, dont les budgets sont élevés, par l’importance de la masse salariale. Des outils sont mis en place pour favoriser la privatisation qui, de rampante, se généralise: suppression des concours de recrutement de la Fonction publique, fermeture des Grandes Écoles Nationales, contractualisation des personnels…

Finalement le concept de « service public » est remplacé peu à peu par celui de « services au public ».

Christine Gillard

Note :

1 . Christine Gillard « Migration de masse au Honduras », Journal Notre Amérique décembre 2018.

Références :

https:/www.wsws.org/fr/articles/2019/05/06/hond-m06.html

https://www.wsws.org/fr/articles/2019/06/01/hond-j01.html

Photo en vedette : Sixième jour de grève nationale, Tegucigalpa, 4 juin 2019 (Giorgio Trucchi)

Source : Journal Notre Amérique n° 44, juin 2019

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Le Mozambique va-t-il se transformer en « Qatar africain » ? C’est en tout cas ce que souhaite son gouvernement et de nombreuses multinationales occidentales, parmi lesquelles Total, Technip, EDF et les grandes banques françaises. Trois projets d’exploitation de gaz naturel sont actuellement en cours au large des côtes du pays. Un terrible paradoxe alors que le Mozambique vient de subir de plein fouet les conséquences concrètes du réchauffement des températures avec le passage du cylone Idai, qui a laissé derrière lui un millier de morts et deux millions de déplacés.

Au Mozambique, le dérèglement climatique est déjà là. Le cyclone Idai, qui a frappé les côtes de l’Afrique australe en mars 2019, est le fruit de l’augmentation des températures, qui amplifie l’intensité des cyclones. Plus importante catastrophe climatique que la région ait jamais connue, Idai a fait plus de 1000 morts et deux millions de sinistrés. Un mois plus tard, un deuxième cyclone déferle sur le Mozambique, faisant cette fois-ci 45 morts et 250 000 autres victimes. Villages détruits, populations déplacées, infrastructures détruites, propagation d’épidémies… difficile d’exagérer la gravité des conséquences.

Cela n’empêche pas les multinationales et le gouvernement mozambicain de sortir le grand jeu pour transformer le Mozambique en « Qatar de l’Afrique ». Les majors occidentales sont arrivées suite à des découvertes importantes de gaz au large des côtes du pays entre 2005 et 2013 : 5000 milliards de mètres cube, de quoi satisfaire la consommation de la France pendant plus de 120 années. Des gisements rendus encore plus rentables par l’emplacement stratégique du Mozambique pour les marchés asiatiques, premier débouché du gaz liquéfié. Les multinationales gazières estiment que le pays produira 31,48 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié chaque année à partir de 2024.

Les multinationales françaises omniprésentes

Trois projets sont actuellement en cours de développement. Le premier, Coral South FLNG, est situé à 90 kilomètres des côtes. Principalement géré par la major italienne Eni, il s’agit d’une entité de production flottante de gaz naturel liquéfié qui devrait produire plus de 3,4 millions de tonnes de GNL par an. Partenaire d’Eni sur ce projet, TechnipFMC est chargé de l’ingénierie, la fourniture des équipements, la construction, l’installation et la mise en service de cette unité flottante de liquéfaction. Pour ce faire, elle a bénéficié d’une garantie publique de plus de 528 millions d’euros de la part de Bpifrance, l’agence de crédit à l’exportation de l’État français. Toutes les grandes banques françaises – Crédit agricole, BPCE/Natixis, BNP Paribas et Société générale – ont participé au financement, pour plus d’un milliard de dollars au total.

Quant à l’autre grand projet au large de la côte, Mozambique LNG, c’est encore une firme française, Total, qui vient d’en faire l’acquisition. Jusqu’alors propriété d’Anadarko, il a été cédé à la multinationale pétrolière tricolore avec d’autres gisements africains en Algérie, Afrique du Sud et au Ghana. À 8 milliards d’euros, c’est la plus grande acquisition de Total depuis 20 ans. Le projet mozambicain, qui pourrait produire 12,8 millions de tonnes de GNL par an, semble le plus stratégique. EDF a d’ailleurs déjà signé en 2018 un contrat pour acheter ce gaz, qui pourrait donc arriver dans les chaudières françaises.

Aubaine économique ?

Ces gisements de gaz sont présentés comme une aubaine pour ce pays d’Afrique australe affichant des niveaux records d’inégalités et plongé dans une crise économique sans précédent par le scandale de la « dette cachée ». Cette affaire, qui tourne autour de prêts de plusieurs milliards contractés secrètement par le gouvernement mozambicain auprès des banques Crédit Suisse et VTB (russe), n’est d’ailleurs peut-être pas sans lien avec la question du gaz. Officiellement, cet argent devait financer la constitution d’une flotte pour la pêche au thon. Une partie a été utilisée pour acheter des chalutiers aux Chantiers navals de Cherbourg. Le reste s’est évaporé, et aurait été détourné en pots-de-vin [1]. Une chose est certaine : le gouvernement mozambicain a avoué qu’une partie des fonds ont servi à la construction d’équipements militaires, avec en perspective la surveillance du canal du Mozambique et la protection des infrastructures gazières.

Meurtrie par le dérèglement climatique, subissant les conséquences de la corruption des élites, le gros de la population mozambicaine profitera-t-il néanmoins de la manne gazière ? Rien n’est moins sûr. « L’impact sur les communautés locales est très important, » note Ilham Rawoot, militante et coordinatrice de campagne pour Justiça Ambiental (Amis de la Terre Mozambique), qui s’est rendu à Paris pour interpeller les dirigeants de Total et d’autres entreprises françaises présentes dans son pays à l’occasion de leur Assemblée générale annuelle. « Des communautés de pêcheurs – qui n’ont pas d’autre moyen de subsistance – ont été déplacé à 10 kilomètres de la mer. D’autres ont été déplacé à 18 kilomètres et n’ont pas de système de réfrigérateur, donc le poisson tourne avant de pouvoir le vendre sur le marché. » Les exemples de vies dévastées depuis l’arrivée des multinationales abondent. Quant aux agriculteurs, « ils ont été déplacés de force de leurs terres, puis on leur a donné un terrain beaucoup plus petit que ce qu’ils avaient, » raconte Ilham Rawoot.

La création d’emplois est souvent mise en avant par les multinationales pour justifier leur présence. Si quelques postes de cadres pourraient bénéficier à l’élite de la capitale mozambicaine Maputo, les emplois d’exploitation et de maintenance offerts sur les plateformes gazières ne conviendront pas aux communautés locales, majoritairement composées de pêcheurs et d’agriculteurs. Et si celles-ci pensaient au moins pouvoir bénéficier de la nouvelle source d’énergie extraite au large des côtes de leur pays, c’est raté : la grande majorité du gaz sera liquéfié et exporté, alors que 80% de la population n’a pas accès à l’électricité.

Impact climatique désastreux

Les industries extractives sont responsables de la moitié des émissions des gaz à effet de serre et de 80% du déclin de la biodiversité, d’après un rapport de l’ONU de mars 2019. Les projets gaziers au Mozambique ne feront pas exception. « Les trois projets réunis ont le potentiel d’émettre d’énormes quantités de gaz à effet de serre, principalement de méthane, réduisant à néant nos chances de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C, » estiment les Amis de la Terre dans une note.

Pour les multinationales pétrolières, il devient de plus en plus difficile de prétendre que des projets comme l’exploitation massive du gaz mozambicain sont compatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris, auxquels ils déclarent souscrire. Un récent rapport de « Notre affaire à tous » auquel s’est associé l’Observatoire des multinationales (lire Total et le climat : les masques tombent) rappelle que Total n’a dépensé en tout que 0,5 milliard d’euros en 2018 dans le secteur décrit comme « bas carbone ». À comparer aux 8 milliards d’euros déboursés pour l’achat des actifs africains d’Anadarko.

« Compensation » à base d’accaparement des terres ?

Pour « compenser » les émissions de gaz à effet de serre de leurs projets gaziers, les multinationales ont un plan : investir dans des programmes de reforestation. Total a annoncé 100 millions de dollars par an pour ces dits « puits de carbone ». Eni et Shell ont des projets similaires, au Mozambique mais aussi en Afrique du Sud, au Ghana et au Zimbabwe. Ils pourraient acquérir jusqu’à 8,1 millions d’hectares de terres pour y mener leurs projets de compensation. Justiça Ambiental dénonce un plan « qui est non seulement une astuce de ’greenwashing’, mais une tactique dangereuse qui pourrait exacerber les problèmes dus à l’exploitation des énergies fossiles, » notamment les déplacements de communautés.

« Ça pose des problèmes très importants de justice climatique. Ce sont des projets qui demandent énormément de terres, lesquelles sont aujourd’hui majoritairement occupées par des communautés. Ils vont donc créer de nouveaux déplacements de population pour compenser les effets déjà néfastes de leur présence, » commente Cécile Marchand, chargée de campagne chez les Amis de la Terre France.

Avec l’acquisition des actifs d’Anadarko, Total confirme son ancrage sur le continent africain. En plus de sa présence historique dans les anciennes colonies françaises et dans des pays comme le Nigeria et l’Angola, le groupe se lance désormais sur de nouveaux terrains de chasse comme l’Ouganda, l’Afrique du Sud ou le Mozambique. Les multinationales entendent bien continuer à exploiter de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, et l’Afrique et son environnement restent une cible privilégiée pour leurs projets destructeurs, destinés à alimenter les marchés des pays riches. Ses habitants n’ont malheureusement pas fini d’en faire les frais.

Eléonore Hughes

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Année après année, mois après mois, je vois deux côtés du monde, deux extrêmes qui se déconnectent de plus en plus.

Je vois de grandes villes comme Homs en Syrie, réduites en horrifiantes ruines. Je vois Kaboul et Jalalabad en Afghanistan, fragmentées par d’énormes murs de béton destinés à protéger les armées d’occupation de l’OTAN et leurs pantins locaux. Je vois des dévastations environnementales monstrueuses dans des endroits tels que Bornéo en Indonésie, les villes aurifères péruviennes ou les îles presque inhabitables d’Océanie : Tuvalu, Kiribati ou les îles Marshall.

Je vois des bidonvilles, un manque de sanitaires et d’eau potable, où les bottes des empires occidentaux ont écrasé les cultures locales, réduit les gens en esclavage et pillé les ressources naturelles.

Je travaille sur tous les continents. Je n’arrête jamais, même quand l’épuisement essaie de m’écraser contre le mur, même quand je n’ai presque plus de réserves. Je ne peux pas m’arrêter ; je n’ai pas le droit de m’arrêter, parce que je peux enfin voir le schéma ; la façon dont ce monde fonctionne, la façon dont l’Occident a réussi à usurper, endoctriner et asservir la plupart des pays de ce monde. J’associe mes connaissances et je les publie comme un « avertissement au monde ».

J’écris des livres sur ce « schéma ». Mon plus complet, jusqu’à présent, étant « Exposer les mensonges de l’Empire« , qui fait 1000 pages.

Ensuite, je vois l’Occident lui-même.

Je viens « parler », au Canada et aux États-Unis, ainsi qu’en Europe. De temps en temps, je suis aussi invité à m’adresser au public australien.

L’Occident est si outrageusement riche, comparé aux continents ruinés et pillés, qu’il apparaît souvent qu’il n’appartient pas à la planète Terre.

Une promenade paresseuse le dimanche après-midi à la Villa Borghese à Rome, et une promenade d’horreur dans le bidonville de Mathare à Nairobi pourraient facilement exister dans deux réalités distinctes, ou dans deux galaxies différentes.

Même maintenant, après avoir légèrement mal orthographié « Villa Borghese », mon Mac a immédiatement proposé une correction. C’est parce que Villa Borghese existe. Par contre, « Mathare », que j’ai épelé correctement, était souligné en rouge. Mathare « est une erreur ». Parce qu’il n’existe pas. Il n’existe pas, bien qu’environ un million d’hommes, de femmes et d’enfants y vivent. Il n’est pas reconnu par mon MacBook Pro, ni par la grande majorité de mes lecteurs relativement bien éduqués en Occident.

En fait, la quasi-totalité du monde semble être une grosse erreur, une non-entité, si on l’observe depuis New York, Berlin ou Paris.

La Villa Borghese à Rome (à gauche), Mathare : les bidonvilles de Nairobi (à droite)

*

Je viens parler devant le public occidental. Oui, je le fais de temps en temps, mais de moins en moins souvent.

Franchement, faire face aux foules européennes ou nord-américaines est déprimant, voire humiliant.

Voici comment cela se passe : vous êtes invités à « dire la vérité », à présenter ce dont vous êtes témoins dans le monde entier.

Vous vous tenez là, face à des hommes et des femmes qui viennent d’arriver dans leur voiture confortable, après avoir bien dîné dans leur maison bien chauffée ou climatisée. Vous êtes peut-être un écrivain et un cinéaste célèbre, mais vous vous sentez comme un mendiant. Parce que vous êtes venus parler au nom des « mendiants ».

Tout est bien poli et chorégraphié. On s’attend à ce que vous ne montriez rien de « gore ». Que vous ne juriez pas, que vous ne vous saouliez pas sur scène, que vous ne commenciez pas à insulter tout le monde en vue.

Ce à quoi vous faites habituellement face est une foule assez dure, ou du moins « endurcie ».

Récemment, dans le sud de la Californie, lorsqu’un collègue philosophe et ami m’a demandé de m’adresser à un petit groupe de ses collègues, j’ai vu des gens tapoter sur leur téléphone portable pendant que je décrivais la situation sur la ligne de front syrienne, près d’Idlib. J’avais le sentiment que mon récit n’était rien d’autre qu’une « musique de fond, une musique d’ascenseur » pour la plupart d’entre eux. Au moins, lorsque je m’adresse à des millions de personnes dans mes entrevues télévisées, je n’ai pas besoin de voir le public.

Lorsque vous « parlez » en Occident, vous vous adressez en fait aux hommes et aux femmes qui sont responsables, du moins partiellement, des massacres et des génocides commis par leurs pays. Des hommes et des femmes dont le niveau de vie est outrageusement élevé, parce que les Autres se font voler, humilier et souvent violer. Mais leur regard n’est pas humble ; ils vous fixent avec insistance, attendant que vous commettiez une erreur, pour pouvoir conclure : « C’est une fausse nouvelle ». Pour eux, vous n’êtes pas un pont entre ceux qui « existent » et ceux qui « n’existent pas ». Pour eux, vous êtes un amuseur, un showman, ou le plus souvent : une nuisance.

Apprendre à connaître la guerre, la terreur que l’Occident répand, c’est, pour beaucoup de gens dans mon auditoire, encore un autre type de divertissement de luxe, de haut niveau, un peu comme un opéra ou un concert symphonique. Si nécessaire, ils peuvent même payer, bien que la plupart du temps, ils préfèrent ne pas le faire. Après une expérience titillante, c’est le retour à la routine, à une vie protégée et élégante. Pendant que vous, le lendemain, vous prenez souvent l’avion pour retourner à la réalité des Autres, à la ligne de front, à la poussière et à la misère.

Ils, votre public (mais aussi la plupart de vos lecteurs) sont venus montrer à quel point ils sont « ouverts d’esprit ». Ils sont venus « pour apprendre » de vous, « pour s’instruire », tout en gardant leur mode de vie intact. La plupart d’entre eux pensent qu’ils savent tout, même sans votre expérience de première main, ils vous rendent service en vous invitant et en se traînant jusqu’à une université ou un théâtre ou à n’importe quel endroit où ils peuvent se retrouver en face de vous. Ils ne sont pas venus vous soutenir dans votre lutte. Ils ne font partie d’aucune lutte. Ce sont des gens bons, pacifiques et travailleurs, c’est tout.

Vous savez, comme ces Allemands, à la fin des années 1930, des gens vertueux et travailleurs. La plupart d’entre eux aiment leurs animaux de compagnie et recyclent leurs déchets. Et nettoient même derrière eux au Starbucks.

*

Il y a quelques jours, nous avons arrêté le coup d’État au Venezuela. Je dis nous, parce que, bien qu’au fin fond de l’île dévastée de Bornéo, j’avais donné des interviews à Russia Today, Press TV, m’adressant à des millions de personnes. Même ici, je n’ai jamais cessé d’écrire, de tweeter, toujours prêt à tout laisser tomber, juste prendre l’avion pour Caracas, si on avait besoin de moi là-bas.

Défendre le Venezuela, y défendre la Révolution, c’est essentiel. Comme il est essentiel de défendre la Syrie, Cuba, la Russie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran, la Bolivie, l’Afrique du Sud et les autres nations révolutionnaires et courageuses qui refusent de se rendre au diktat occidental.

Alors que la bataille idéologique pour Caracas faisait rage, je me demandais : y a-t-il quelque chose qui pourrait encore faire bouger l’opinion publique occidentale ?

Sont-ils – Européens et Nord-Américains – devenus totalement indifférents à leurs propres crimes ? Ont-ils développé une sorte d’immunité émotionnelle ? Leur état est-il idéologique ou simplement clinique ?

Nous étions là, au milieu d’un coup d’État absolument flagrant ; une tentative de l’Occident de renverser l’un des pays les plus démocratiques de notre planète. Et ils n’ont presque rien fait pour arrêter le terrorisme perpétré par leurs régimes à Washington ou à Madrid ! Au moins en Indonésie en 1965 ou au Chili en 1973, le régime occidental a tenté de se cacher derrière de minces feuilles de figuier. Au moins, tout en détruisant l’Afghanistan socialiste et l’Union Soviétique communiste en créant les moudjahidin, l’Occident a utilisé le Pakistan comme mandataire, essayant de dissimuler, au moins partiellement, son véritable rôle. Au moins, en tuant plus d’un million de personnes en Irak, il y a eu cette mascarade et un tas de mensonges sur les « armes de destruction massive ». Au moins, au moins….

Maintenant, tout est transparent. En Syrie, au Venezuela ; et contre la Corée du Nord, Cuba, l’Iran, la Chine, la Russie.

Comme si la propagande n’était même plus nécessaire, c’est comme si l’opinion publique occidentale était devenue totalement obéissante, ne représentant aucune menace aux plans du régime occidental.

Ou plus précisément, la propagande occidentale, autrefois très élaborée, est devenue extrêmement simple : elle répète maintenant des mensonges et la grande majorité des citoyens occidentaux ne se donnent même pas la peine de se demander ce que leurs gouvernements infligent au monde. La seule chose qui compte, ce sont les « questions intérieures », c’est-à-dire les salaires et les avantages sociaux des Occidentaux.

Il n’y a pas d’émeutes comme pendant la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, les manifestations ne visent qu’à améliorer le bien-être des travailleurs européens. Personne en Occident ne se bat pour mettre fin au pillage à l’étranger ou aux attaques terroristes lancées par l’OTAN contre des pays non occidentaux, ou contre ces innombrables bases militaires de l’OTAN, contre les invasions et les coups d’État orchestrés.

Patrouille des forces américaines près de Manbij, Syrie

*

Je veux connaître les limites de la folie occidentale.

Qu’il y ait folie est indiscutable, mais à quel point est-elle répandue ?

Je comprends, j’ai maintenant accepté le fait monstrueux que les Français, les Yankees, les Canadiens, les Britanniques ou les Allemands se fichent du nombre de millions d’innocents qu’ils tuent au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est, en Afrique ou dans des « endroits comme ça ». J’accepte qu’ils ne sachent presque rien de leur histoire coloniale, et qu’ils ne veuillent rien savoir, tant qu’ils ont du football, beaucoup de viande et 6 semaines de vacances sur des plages exotiques. Je sais que même beaucoup de ceux qui peuvent voir les crimes monstrueux commis par l’Occident, veulent tout mettre sur le dos de Rothschild et de la « conspiration sioniste », mais jamais sur eux-mêmes, jamais sur leur culture qui s’exprime à travers les siècles de pillage.

Mais qu’en est-il de la survie de notre planète et de l’humanité ?

J’imagine les yeux de ceux qui assistent à mes « présentations de combat ». Je leur dis la vérité. Je dis tout ce que j’ai à dire. Je ne me retiens jamais, je ne fais jamais de compromis. Je leur montre des images des guerres qu’ils ont déclenchées. Oui, eux, parce que les citoyens sont responsables de leurs propres gouvernements, et parce qu’il y a clairement ce qu’on appelle la culpabilité collective et la responsabilité collective !

Ces yeux, ces visages…. Je vais vous dire ce que je lis en eux : ils n’agiront jamais. Ils n’essaieront jamais de renverser leur régime. Tant qu’ils vivent leur vie privilégiée. Tant qu’ils pensent que le système dans lequel ils sont les élites, a au moins une chance de survivre dans sa forme actuelle. Ils jouent sur les deux tableaux, certains luttent verbalement, ils sont outrés par l’OTAN, par l’impérialisme occidental et le capitalisme sauvage. En pratique, ils ne font rien de concret pour lutter contre le système.

Quelle est donc la conclusion ? S’ils n’agissent pas, les autres doivent le faire. Et j’en suis convaincu : ils le feront.

Depuis plus de 500 ans, le monde entier est en flammes, pillé et assassiné par un petit groupe de nations occidentales extrêmement agressives. Cela s’est passé pratiquement sans interruption.

Plus personne ne trouve ça drôle. Là où je travaille, dans les endroits qui me tiennent à cœur, personne ne veut de ce genre de monde.

Regardez ces pays qui essaient maintenant de détruire le Venezuela. Regardez attentivement ! Il s’agit des États-Unis, du Canada, de la majorité de l’Europe, et surtout des États sud-américains où les descendants des colonialistes européens forment la majorité !

Voulons-nous encore 500 ans de cela ?

Les Nord-Américains et les Européens doivent se réveiller. Même dans l’Allemagne nazie, il y avait des soldats qui étaient tellement dégoûtés par Hitler qu’ils voulaient le jeter aux chiens. Aujourd’hui, en Occident, il n’y a pas un seul parti politique puissant qui pense que 500 ans de pillage colonialiste occidental sont plus que suffisants ; que la torture dans le monde devrait cesser, et cesser immédiatement.

Si l’impérialisme occidental, qui est le plus important et peut-être la seule menace majeure à laquelle notre planète est actuellement confrontée, n’est pas démantelé de manière décisive et rapide par ses propres citoyens, il devra être combattu et dissuadé par des forces extérieures. C’est-à-dire : par ses victimes anciennes et actuelles.

Andre Vltchek

 

 

Article original en anglais : North American, European Public: Finally Wake Up, Damn It!

Traduit par Réseau International

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La dictature monarchique saoudienne soutenue par les États-Unis a brutalement torturé des prisonniers politiques avant leur exécution imminente et publique par décapitation, selon des organisations de défense des Droits de l’homme.

L’organisation saoudienne de défense des Droits de l’homme Al Qst a déclaré à Al Jazeera que « des prisonniers sont torturés lors d’interrogatoires » dans les prisons de haute sécurité du pays. Selon le fondateur d’Al Qst, Yahya Assiri, les méthodes de torture couramment utilisées contre les prisonniers politiques incluent «l’électrocution, la torture par l’eau et la suspension des victimes au plafond par les mains».

Selon Amnesty International, des militantes des Droits des femmes ont également été victimes de tortures physiques et psychologiques «brutales», notamment d’abus sexuels commis par des hommes masqués. L’organisation de défense des Droits de l’homme a déclaré que « les victimes de ces séances de torture «étaient incapables de marcher ou de se tenir debout convenablement, avaient des tremblements incontrôlés des mains et des marques sur le corps. Une des militantes aurait tenté de se suicider à plusieurs reprises à l’intérieur de la prison. »

Parmi les victimes de ces abus horrifiants, qui devaient être exécutées immédiatement après le Ramadan qui s’est achevé la semaine dernière, figurent trois hommes décrits comme des érudits musulmans «modérés»: le cheikh Salman al-Odah, Awad al-Qarni. et Ali al-Omari, tombés en disgrâce du régime dirigé par le prince héritier Mohammed ben Salmane, souverain de facto de l’Arabie saoudite et allié le plus proche de Washington dans le monde arabe.

Salman al-Odah, Awad al-Qarni et Ali al-Omari

Al-Odah est connu internationalement comme érudit islamique «progressiste»; Al-Qarni est un universitaire, auteur et prédicateur ; al-Omari est un présentateur audiovisuel populaire. Tous trois sont des personnalités publiques bien en vue en Arabie Saoudite. Al-Odah compte 14 millions d’adeptes dans le monde arabe sur Twitter. Al-Qarni en compte environ 2,2 millions et al-Omari un demi-million.

Les trois hommes ont été arrêtés en septembre 2017, al-Odah, après avoir tweeté une prière en faveur de la réconciliation entre l’Arabie saoudite et le Qatar, qui fait l’objet d’un blocus mené par l’Arabie saoudite depuis deux ans, en grande partie à cause de la coopération économique et politique qatarie avec l’Iran.

Le régime monarchique a condamné Al-Qarni à une amende et lui a ordonné de cesser toute activité sur Twitter après avoir publié des déclarations dénonçant la corruption et la tyrannie politique. Al-Omari est dans le viseur du régime après avoir utilisé son émission télévisée pour réclamer davantage de droits pour les femmes saoudiennes.

Des militants des Droits de l’homme, selon Al Jazeera, auraient déclaré que Salmane al-Odah et Awad al-Qarni ont été hospitalisés à la suite de dommages corporels causés par les séances de torture et l’isolement cellulaire. Ali al-Omari, selon leurs informations, souffre de brûlures et de blessures sur tout le corps résultant de tortures par électrocution infligées au cours d’une année d’isolement cellulaire.

Tous trois sont sous le coup d’une condamnation à mort sur la base d’accusations de «terrorisme» fabriquées de toutes pièces par le tribunal pénal spécialisé de Riyad. Deux sources du gouvernement saoudien et un parent ont confirmé à la publication en ligne Middle East Eye (MEE) que le gouvernement envisageait d’exécuter les trois hommes peu de temps après le Ramadan.

L’une de ces sources a également déclaré à MEE que la tuerie ayant eu lieu en avril pendant laquelle 37 hommes avaient été décapités au sabre en une journée, la plupart d’entre eux des chiites accusés de participation aux manifestations massives ayant déferlé sur la province orientale à majorité chiite de l’Arabie saoudite en 2011, constituait un «ballon d’essai».

Selon le reportage, le régime saoudien aurait procédé à des exécutions massives – qui incluaient la crucifixion d’un des cadavres privé de tête – afin de tester la réaction à l’international avant de mettre à mort ses prisonniers politiques les plus en vue. Il aurait été satisfait de ce que le bain de sang avait tout juste provoqué un murmure, et encore moins que cela, de la part de son principal mécène et allié, Washington.

Les décapitations en masse venaient à peine cinq mois après l’assassinat et le démembrement de Jamal Khashoggi, résident américain, journaliste et ancien initié du régime, au consulat d’Arabie Saoudite à Istanboul. L’attention médiatique portée sur ce crime international choquant s’est rapidement dissipée après que l’administration Trump eut clairement fait savoir qu’elle n’avait aucune intention de tenir ben Salman pour responsable d’avoir commandité et supervisé l’assassinat.

L’impunité dont bénéficie la monarchie parasitaire saoudienne dans la perpétration de ses crimes a été renforcée par l’intervention de la Maison Blanche passant outre au Congrès et proclamant l’état d’urgence afin d’accélérer les ventes d’armes au royaume saoudien. Cela permettra à la société Raytheon d’envoyer 120 000 bombes à Riyad et de reconstituer l’arsenal meurtrier ayant servi à massacrer environ 80 000 Yéménites dans une guerre de quatre ans qui a poussé des millions de gens au bord de la famine.

Le contrat d’armes comprend également un soutien logistique aux avions de combat saoudiens F-15 qui bombardent le Yémen, ainsi que des mortiers, des missiles antichars et des fusils. Cela a été justifié par l’administration Trump par la nécessité de contrer «l’agression iranienne». Mais la réalité est que l’Arabie saoudite et les autres monarchies pétrolières sunnites du Conseil de coopération du Golfe dépensent neuf fois plus que l’Iran en équipements militaires.

Parmi ceux qui figurent sur la prochaine liste d’exécutions de masse par décapitation est Murtaja Qureiris, arrêté à l’âge de 13 ans et condamné à mort pour des «crimes» qu’il a commis lorsqu’il avait participé à une manifestation à vélo à l’âge de 10 ans dans la province orientale de l’Arabie saoudite.

Légende: Murtaja Qureiris, arrêté à 13 ans, torturé et risquant la décapitation

Arrêté en 2014, il a été soumis à ce qui semble être une procédure opératoire standard pour les forces de sécurité saoudiennes. Détenu au secret pendant un mois, privé de tout contact avec sa famille et placé à l’isolement, Murtaja Qureiris a été battu et torturé, et informé que seul un aveu signé permettait sa libération.

Parmi les preuves présentées devant le tristement célèbre tribunal pénal spécialisé pour prouver qu’il était un terroriste, on citait sa présence aux funérailles de son propre frère, tué par les forces de sécurité lors des manifestations de 2011 contre le régime.

Au moins trois des personnes exécutées lors de la dernière série de décapitations en avril étaient des mineurs au moment des faits qui leur étaient reprochés, ce qui fait de leur exécution une violation flagrante du Droit international interdisant la peine capitale pour les mineurs. L’un d’eux était Abdulkarim al-Hawaj, âgé de 16 ans, arrêté et accusé d’avoir participé à des manifestations et d’avoir utilisé les réseaux sociaux pour inciter à l’opposition à la monarchie. Il a été reconnu coupable sur la base d’aveux arrachés par des tortures comme les chocs électriques et l’attachement des mains au-dessus de la tête.

Également assassiné en avril, Mujtaba al-Sweikat avait 17 ans quand on l’arrêté à l’aéroport international King Fahd. Il a été empoigné alors qu’il s’apprêtait à monter dans un avion à destination des États-Unis pour commencer une vie d’étudiant à la Western Michigan University. Il a été sévèrement torturé et battu, notamment sur la plante des pieds, jusqu’à ce qu’il fournisse des aveux à ses tortionnaires.

Les chambres de torture et les décapitations publiques du régime saoudien sont l’expression la plus claire du rôle de Washington au Moyen-Orient. Toute la propagande des médias et de l’Etat américains sur la « démocratie », les « droits de l’homme » et la « guerre contre le terrorisme » est fondée sur le meurtre de masse, le terrorisme d’État au grand jour, la torture et l’exécution d’enfants.

Tous ces crimes sont commis dans le but de défendre les intérêts prédateurs de l’impérialisme américain dans ses efforts pour affirmer son hégémonie sur cette région riche en sources d’énergie et cruciale sur le plan géostratégique, et y faire reculer l’influence de l’Iran, de la Russie et de la Chine.

Compter sur le régime saoudien comme pierre angulaire de la défense des intérêts impérialistes américains ne peut aboutir qu’à une débâcle, avec l’intensification de la lutte des classes au Moyen-Orient et aux États-Unis mêmes.

Bill Van Auken

 

 

 

 

Article paru en anglais, WSWS, le 9 juin 2019

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Avec une social-démocratie en crise après 75 ans d’hégémonie bipartisane et la montée du populisme de droite représenté dans des partis et des politiciens que l’on pourrait qualifier de fascisme du XXe siècle (par opposition au prétendu socialisme du XXIe siècle), l’Occident fait face à des défis qui touchent même sa compréhension et sa conception de la démocratie (libérale représentative). Par conséquent, la démocratie ou la polyarchie, comme Robert Dahl a plus justement appelé notre système de gouvernement, est plus dévalorisée que jamais face aux transformations géopolitiques actuelles où le leadership de l’Occident est contesté pour la première fois depuis plus de 500 ans.

En ce moment, les tambours de la guerre et de l’intervention étrangère au Venezuela résonnent depuis un certain temps déjà. La rhétorique officielle a fait du gouvernement actuel un bouc émissaire qui doit être sacrifié afin de protéger les droits de l’homme et la liberté. L’Occident, avec les États-Unis en tête et avec l’appui de l’Union Européenne (à l’exception de l’Italie et de la Grèce) et d’importants pays d’Amérique Latine réunis autour du Groupe de Lima, a fait l’étalage d’une propagande internationale rarement vue auparavant et a consacré comme président légitime, sans aucun contrôle juridique ou électoral Juan Guaidó. Et comme les tentatives de se débarrasser du gouvernement de Nicolás Maduro se sont soldées par un fiasco à maintes reprises, pour chaque échec, l’option militaire est renforcée comme la seule alternative pour que l’Occident réalise son objectif au Venezuela.

En cas de menace de guerre au Venezuela, nous serions confrontés à un scénario sans précédent aux conséquences désastreuses pour la région et aux répercussions mondiales. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la création des Nations Unies, il n’y a pas eu d’intervention armée en Amérique Latine dans un pays aussi grand que le Venezuela. En outre, bien que l’ingérence soit justifiée au motif qu’elle mettrait fin à la tyrannie, la vérité est que le Venezuela appartient à la même orbite que les pays occidentaux, pire encore pendant les décennies de dictatures de la seconde moitié du XXe siècle qui ont dévasté l’Amérique Latine, seuls le Costa Rica et le Venezuela sont restés dans le cadre de ce qui est considéré comme une démocratie libérale. Par conséquent, si l’Occident décide de faire la guerre au Venezuela, il ferait la guerre à l’un des siens, ce qui est très différent de l’invasion ou de la guerre avec des pays comme l’Irak, la Somalie, le Vietnam, la Corée du Nord, la Syrie, la Libye…

Mais que se passe-t-il dans les coulisses et que se décide-t-il réellement pour le destin du Venezuela ?

Certains facteurs que nous expliquerons ci-dessous indiquent que l’Occident (en particulier les États-Unis) a désespérément besoin d’une intervention armée pour mettre de l’ordre dans sa zone d’influence, mais en même temps pour accélérer le démantèlement des institutions et la démocratie libérale représentative telle qu’elle a été comprise jusqu’ici. Pour sortir de la crise définitive de la social-démocratie établie après la Seconde Guerre mondiale, il faut adapter la démocratie aux temps nouveaux, qui est devenue un système non viable et obsolète. Les droits, la participation et le bien-être sont impossibles et les tensions se sont traduites par une droitisation générale progressive de la politique parrainée par des groupes économiques qui se concentrent de plus en plus sur la financiarisation.

Un des nombreux exemples qui exposent la crise de la social-démocratie, nous l’avons vu en mai 2019 dans les résultats des élections au Parlement Européen, où pour la première fois le Parti Populaire Européen et les Socialistes Européens n’avaient même pas ensemble une majorité absolue et où la fragmentation de l’espace politique laissé par l’ancien bipartisme a déjà fait apparaître trois groupes d’extrême droite nationaliste. Ce même processus se reflète plus ou moins rapidement dans les parlements nationaux européens, dont l’extrême droite fait déjà partie du gouvernement, comme le Parti du Progrès en Norvège, la Ligue du Nord en Italie ou le Parti des Finlandais en Finlande. En dehors du contexte européen, on observe également une montée du populisme de droite avec Jair Bolsonaro au Brésil, Ivan Duque en Colombie et – bien sûr – Donald Trump aux États-Unis.

Pour redevenir hégémonique, la nouvelle droite doit, d’une part, mettre un terme définitif à la social-démocratie, mais aussi empêcher la répétition de situations qui pourraient nuire au néolibéralisme, comme ce fut le cas dans la plupart des pays d’Amérique du Sud ces dernières années et comme ce fut le cas au Venezuela de la Révolution Bolivarienne des vingt dernières années. La valeur symbolique du Venezuela est élevée parce que c’est après le triomphe d’Hugo Chávez que d’autres gouvernements post-néolibéraux se sont développés dans toute la région comme une maladie du capitalisme. Se débarrasser une fois pour toutes du Venezuela et de sa Révolution serait un bon coup d’État qui aurait un effet exemplaire pour tout autre aspirant qui tente de tenir tête au libéralisme économique.

Au cours du XXe siècle, les processus révolutionnaires ne sont arrivés au pouvoir que grâce à l’utilisation des armes, nous avons l’exemple de la Révolution Cubaine et Sandiniste, des processus armés contre les dictatures sanglantes de Batista et Somoza. Mais dans la plupart des cas, les dictatures de droite ont triomphé, renversant des gouvernements démocratiques progressistes selon les intérêts des élites, comme ce fut le cas avec Arbenz au Guatemala ou Allende au Chili.

Plus tard, une fois la démocratie considérée comme le mécanisme de domination le plus adéquat et le moins coûteux, ce que Huntington baptisa la troisième vague de démocratisation commencera dans de nombreux pays du monde et en particulier en Amérique Latine, qui s’est consolidé après la chute de l’Union Soviétique dans la dernière décennie du siècle et que le discours de la gauche a appelé la décennie perdue. C’est avec l’entrée dans le nouveau millénaire qu’une série de gouvernements sont arrivés au pouvoir en Amérique Latine, utilisant le même système démocratique libéral pour établir des gouvernements post-néolibéraux, un processus régional dont le Venezuela était le fer de lance et qui a atteint son sommet en 2009, lorsque les gouvernements de gauche étaient clairement hégémoniques.

En conséquence, l’empire a perdu beaucoup de terrain dans sa cour arrière, tant sur le plan politique qu’économique. La réponse a été l’ancienne formule du coup d’Etat mais adaptée aux nouveaux scénarios politiques. Bien que des coups d’État classiques aient continué d’être utilisés comme dans le cas de Manuel Zelaya au Honduras, la légalisation apparaît comme un mécanisme pour persécuter les opposants politiques, et ainsi se sont enchaînés le coup d’État contre Dilma Rousseff, la prison pour Lula et les procédures judiciaires contre Cristina Fernández et Rafael Correa, pour n’en citer que quelques-uns.

La menace progressiste (qualifiée de castro-communiste et de chaviste pour semer la peur dans l’opinion publique) a été éliminée, ou du moins neutralisée, dans la plupart des pays de la région, et le Venezuela est toujours debout, malgré les difficultés et le siège. Ainsi, sous le slogan « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », les attaques contre le gouvernement de Nicolás Maduro sont redoublées. Bien que cette attaque ne soit pas nouvelle, le Venezuela est assiégé par l’Occident depuis le début de la Révolution Bolivarienne, il suffit de se rappeler le coup d’État manqué de 2002.

La nouvelle droite doit mettre fin à la Révolution Bolivarienne, qui est perçue comme le champ de bataille immédiat qui permet d’accélérer les changements structurels recherchés dans le système démocratique occidental. Et si le processus se fait par une guerre c’est mieux, car il est plus facile de justifier la restriction des droits en temps de guerre. Ces changements structurels seraient orientés dans la direction suivante :

La recomposition de l’hégémonie de la nouvelle droite doit démanteler les libertés et les droits pour que le système subsiste, face aux menaces, il doit lâcher du lest, c’est-à-dire être plus compétitif et flexible, et pour cela l’éventuel exercice du pouvoir par les gouvernements de gauche doit être empêché pour une période indéfinie.

La judiciarisation de la politique et la politisation de la justice sont des précédents qui peuvent établir des doctrines irréversibles. L’utilisation égoïste de la corruption et la persécution impunie de certains groupes politiques sapent les piliers de l’état de droit et annulent des acquis qui relevaient du sens commun.

L’Amérique Latine est un territoire contesté et, face au multilatéralisme de ces dernières années, l’impérialisme occidental menacé doit consolider son emprise, et s’il ne peut éliminer le reste de ses concurrents, il doit au moins minimiser drastiquement l’influence des autres dans sa région.

Pour paraphraser Naomi Klein, il faut un nouveau choc pour éliminer ou soumettre ceux qui remettent en cause la démocratie libérale et l’économie de marché, tout en introduisant les transformations nécessaires dans la structure démocratique pour que l’Occident continue à tenir l’hégémonie du marché libre. À cette fin, la destruction de la Révolution Bolivarienne par le sang et le feu est l’occasion parfaite.

Fernando Casado

 

Article original en espagnol : La crisis de la democracia en Occidente en el espejo de la guerra contra Venezuela, Rebelio, le 8 juin 2019.

Traduit par Réseau International

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Selon le site Arab News, des discussions seraient en cours pour obliger l’Iran à accepter de signer un accord « Pétrole contre nourriture » permettant d’« alléger » l’effet grandissant des sanctions économiques qui lui sont imposées par les Etats-Unis et leurs alliés. Espérons qu’il s’agit d’une fausse nouvelle, d’une « fake news »…

Ayant milité pour la levée des sanctions contre l’Irak, été placé en garde à vue en octobre 2005 (incarcération de 72 heures pour interrogatoire), puis jugé huit ans plus tard pour avoir « violé » la résolution de l’ONU dite Pétrole contre nourriture,  je ne peux que mettre en garde les négociateurs iraniens qui s’accommoderaient de ce projet dit « humanitaire » conçu par John Bolton et ses conseillers pro-israéliens.

En Irak, les treize années d’embargo international ont provoqué la mort de plusieurs millions de personnes – parmi lesquelles plus d’1,5 million d’enfants -, ont détérioré les infrastructures du pays, et fait imploser la société. Les deux coordinateurs du programme « Pétrole contre nourriture »l’Irlandais Denis Halliday et l’Allemand Hans von Sponeck – ont démissionné, le considérant à juste titre comme « génocidaire ». Seize ans après le renversement du régime baasiste, l’Irak ne s’est toujours pas relevé des sanctions imposées par l’ONU, bien qu’habillées en 1995 de dispositions soi-disant humanitaires.

Dans le copier-coller du programme « Pétrole contre nourriture » proposé à l’Iran – d’après les « sources sûres » interrogées par Arab News – l’Irak serait « le point de transit des exportations de pétrole et des importations de marchandises ». L’argent des ventes de pétrole iranien, déposé sur un compte ouvert à la Banque centrale irakienne,  permettrait aux Américains « de tout contrôler », notamment d’interdire les aides financières accordées à certaines organisations luttant contre l’impérialisme occidental et le sionisme au Proche-Orient.

En Irak et au-delà, la mise en œuvre de la mouture/Iran de Pétrole contre nourriture favoriserait toutes sortes de trafics et développerait la corruption.

Si le président Hassan Rohani signe l’accord dont parle Arab News, il ouvrira la voie à la déstabilisation progressive de l’Iran.

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Entretien du 6/6/2019 avec Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine. Elle donne son analyse du débarquement du 6 Juin 1944, et de l’importance de l’effort militaire des Etats-Unis dans la résolution du conflit de la Seconde Guerre mondiale. Pour elle, un mythe du sauveur américain s’est développé le long du XXe siècle, à la faveur de la domination économique des Etats-Unis sur le monde, occultant largement la victoire militaire de l’Union soviétique en Europe.

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Aux confins de l’état de Portuguesa, beaucoup de femmes ont appris l’artisanat en suivant les cours de Yaniska Gámez. Nous l’avons rencontrée alors qu’elle préparait ses filles pour leur répétition de danse. « On me demande d’enseigner quelque chose qui soit vraiment utile, alors j’enseigne à faire des chaussures, des sacs à dos, des trousses pour les enfants. Vu la situation actuelle je leur dis « ne vous compliquez pas la vie, apportez une bonne semelle ».

Venezuela, une femme parmi tant d’autres (6): Yaniska Gámez. Durée : 4 min. 45’, ESP sous-titres FR. 

Réalisation : Jorge Henriquez et Victor Daniel Rivera. Mixage: Victor Hugo Rivera.

Production : Betzany Guedez / Venezuelainfos 2019

 

 

 

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0’40: Le Venezuela : un pays riche qui attire les prédateurs

3’30: Genèse de la Révolution Bolivarienne
8’50: Démocratie directe et participative au Venezuela
10’30: Le système des Conseils communaux et des communes 13’30: De nouveaux types de propriété sont inventés
18’15: Les conseils de travailleurs
24’35: Constituante et RIC: une réalité issue des Révolutions
25’45: Extractivisme et écologie
28’20: L’ALBA, contre-modèle de l’Union européenne
32’40: La socialisation des moyens de communication
38’30: Guerre économique et blocus financier des USA
42’15: La réalité de la migration vénézuélienne
44’30: Nicolas Maduro: un président parfaitement élu
49’20: La guerre médiatique contre le Venezuela et les nouvelles formes de guerres impériales
55’50: Le modèle zapatiste et le modèle bolivarien
1’01’19: Que va-t-il se passer au Venezuela dans les temps à venir ? Plus d’infos sur www.romainmigus.info et sur https://www.facebook.com/migusromain/

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La directrice du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, a réitéré les avertissements selon lesquels la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine menace de réduire la croissance mondiale et a demandé à Washington et à Pékin de se calmer.

Dans un rapport publié plus tôt cette semaine, le FMI a estimé que la dernière série de tarifs douaniers pourrait voir une réduction de la croissance de 0,3 % l’an prochain et que, si l’on y ajoute les tarifs douaniers antérieurs, la réduction sera de 0,5 %, soit l’équivalent de 455 milliards de dollars, «plus que la taille de l’économie de l’Afrique du Sud».

«Il s’agit de blessures auto-infligées qui doivent être évitées», a déclaré Mme Lagarde dans une note accompagnant le rapport. «Comment? En supprimant les barrières commerciales récemment mises en place et en évitant d’autres barrières sous quelque forme que ce soit.»

L’avertissement du FMI sur la croissance, qui survient au milieu de signes déjà apparents d’un ralentissement de l’économie mondiale, a été émis en prévision d’un sommet du G20 qui se tiendra au Japon les 28 et 29 juin, après une réunion des ministres des Finances de l’organisation ce week-end. La rencontre entre le président américain Donald Trump et le président chinois Xi Jinping, qui se tiendra en marge du sommet, sera au centre de l’attention.

On avait espéré que les discussions permettraient de faire avancer les négociations commerciales. Mais cette perspective est de moins en moins probable dans des conditions où les États-Unis intensifient leur guerre économique contre la Chine, comme en témoigne l’interdiction faite au géant des communications Huawei d’acquérir des composants américains.

S’adressant hier à des journalistes en France, M. Trump a déclaré qu’après la réunion du G20, il prendrait une décision sur l’opportunité d’imposer des droits de douane sur 325 milliards de dollars supplémentaires de produits chinois. «Je rencontrerai le président Xi et nous verrons ce qui se passera, mais probablement après le G20.»

Depuis l’échec des pourparlers entre les États-Unis et la Chine, l’ensemble du système commercial international a été plongé encore plus dans la tourmente par la décision de Trump d’imposer des droits de douane contre le Mexique, commençant lundi prochain à 5 % et passant à 25 % en octobre, en exigeant qu’il prenne des mesures pour arrêter le flux des immigrants et réfugiés vers les États-Unis.

Des pourparlers entre les responsables mexicains et américains ont eu lieu mercredi et devaient reprendre hier, mais à ce jour, aucune annonce n’a été faite quant à leurs résultats. Si les droits de douane vont de l’avant, ils perturberont complètement le commerce entre les États-Unis et le Mexique, qui est le deuxième exportateur en importance, après la Chine, vers le marché américain.

Quelle que soit l’issue immédiate du conflit, la menace de Trump d’utiliser des tarifs douaniers sur cette question a envoyé une onde de choc dans le système commercial international parce qu’elle indique clairement que les États-Unis sont prêts à utiliser des mesures de guerre économique et commerciale pour poursuivre tous leurs objectifs politiques, et pas seulement ceux du commerce, bien que ceux-ci soient bien graves en soi.

L’échec des négociations commerciales avec la Chine est survenu après que les États-Unis eurent accusé Pékin de revenir sur ses engagements antérieurs. Toutefois, un livre blanc publié par la Chine ce week-end a contesté cette évaluation et décrit en détail les cas où les États-Unis avaient renversé des accords précédents.

Il a constaté qu’au début de février 2018, le gouvernement américain a exprimé le souhait d’une consultation de haut niveau sur les questions commerciales et économiques. Ces discussions se sont poursuivies et ont permis de réaliser des «progrès substantiels» sur un accord visant à accroître les importations chinoises de produits agricoles et énergétiques. Mais le 22 mars de l’année dernière, les États-Unis ont dévoilé leur rapport en vertu de l’article 301 de la loi commerciale de 1974 accusant la Chine de vol de technologie et annonçant un tarif de 25 % sur des biens chinois d’une valeur de 50 milliards de dollars.
La Chine a poursuivi ses discussions et, le 19 mai dernier, les deux parties ont publié une déclaration commune où elles conviennent de s’abstenir d’une guerre commerciale et de poursuivre les discussions. Mais dix jours plus tard, les États-Unis ont annoncé une escalade des tarifs douaniers, avec un tarif de 10 % à imposer sur les exportations chinoises d’une valeur de 200 milliards de dollars à partir de début juillet.

Après la rencontre entre Xi et Trump en marge du sommet du G20 en Argentine en décembre dernier, les négociations se sont poursuivies et, selon le livre blanc, «les pays se sont mis d’accord sur la plupart des questions». Mais le 6 mai, les États-Unis ont accusé les Chinois de faire marche arrière et ont augmenté les droits de douane sur les exportations chinoises de 200 milliards de dollars de 10 % à 25 %.

Le livre blanc disait que l’accusation de retour en arrière de la Chine était «totalement infondée». «Il est de pratique courante pour les deux parties de faire de nouvelles propositions d’ajustements au texte et à la formulation lors des consultations en cours. Au cours des dix dernières rondes de négociations, l’administration américaine n’a cessé de changer ses exigences.» Il a dit que plus qu’on offre au gouvernement américain, plus il en réclame.

Dans un commentaire publié mercredi, le chroniqueur économique du Financial Times, Martin Wolf, qui a déjà qualifié les États-Unis de «superpuissance voyou», a écrit que «sur de nombreux points» soulignés dans le livre blanc «les positions chinoises sont justes».

L’accent mis par les États-Unis sur les déséquilibres commerciaux était «économiquement analphabète», l’opinion selon laquelle le vol de propriété intellectuelle avait causé «d’énormes dommages» à l’économie américaine était «discutable» et la proposition selon laquelle la Chine avait «gravement violé» ses engagements envers l’Organisation mondiale du commerce en 2001 était «énormément exagérée».

Soulignant les implications plus larges du conflit, il a écrit: «La rivalité généralisée avec la Chine est en train de devenir un principe organisateur de la politique économique, étrangère et de sécurité des États-Unis».

Et il a précisé que ce n’était pas seulement un produit de Trump, mais qu’elle avait des racines plus profondes.

«Le président américain a l’instinct d’un nationaliste et d’un protectionniste. D’autres fournissent à la fois le cadre et les détails. L’objectif est la domination américaine. Le moyen est le contrôle de la Chine ou la séparation d’avec la Chine. Quiconque croit qu’un ordre multilatéral fondé sur des règles, sur notre économie mondialisée, ou même sur des relations internationales harmonieuses, soit susceptible de survivre à ce conflit se trompe.»

Le point de vue américain à l’égard de la Chine était celui de la «la force fait la loi», ce qui s’est reflété dans l’insistance des États-Unis à agir en tant que «juge, jury et bourreau» à l’égard de tout accord.

Soulignant l’effondrement du système commercial, il a noté qu’aux États-Unis, «le commerce libéral est de plus en plus considéré comme un « commerce avec l’ennemi »».

Décrivant le conflit américano-chinois comme «l’évolution géopolitique la plus importante de notre époque», Wolf n’a pas explicitement évoqué la menace de guerre, préférant dire qu’elle était «dangereuse» et risquait de se transformer en un «conflit global».

Cependant, d’autres ont été plus directs. À la suite d’un discours belliqueux prononcé par le ministre américain de la défense par intérim, Patrick Shanahan, lors de la conférence du dialogue Shangri-La qui s’est tenue à Singapour le week-end dernier, le ministre de la défense des Philippines, Delfin Lorenzana, a mis en garde contre la guerre.

«Le déliement de nos réseaux d’interdépendance économique s’accompagne d’un risque croissant d’affrontement qui pourrait conduire à la guerre», a-t-il déclaré. «Notre plus grande peur, par conséquent, est la possibilité d’entrer en comme des somnambule dans un autre conflit international comme la première guerre mondiale.»

Nick Beams

 

Article paru en anglais, WSWS, le 7 juin 2019

Cet article a été publié par Global Research le 7 juin 2015.

Pour beaucoup le 4 Juin 2019 a marqué le 30ème anniversaire du massacre de la place Tiananmen à Pékin.

Ceci devrait en fait marquer l’anniversaire d’une des plus spectaculaires opérations de désinformation secrète menée par le Royaume-Uni, une qui est presque à égalité avec celle du mythe des armes de destruction massives irakiennes.

L’histoire originale des troupes chinoises mitraillant des manifestants étudiants chinois innocents et sans défense dans le nuit du 3 au 4 juin 1989 sur la place icônique Tiananmen de Pékin, a depuis été sérieusement discréditée par bien des témoins qui y étaient, parmi eux une équipe de télévision espagnole de TVE, un correspondant de l’agence Reuters et des manifestants eux-mêmes, qui disent que rien d’autre ne s’est produit qu’une unité de l’armée chinoise entrant sur la place pour demander aux quelques centaines de personnes y demeurant toujours de quitter les lieux, tard dans la nuit.

Et pourtant rien de tout cela n’a arrêté le ressassement constant du massacre et la croyance dans les fais rapportés. Tout ce qui a changé est l’endroit, le massacre n’a pas eu lieu sur la place elle-même mais dans les rues adjacentes.

L’histoire originelle a commencé avec un long article en anglais publié six jours plus tard dans le Hong Kong South China Morning Post par un soi-disant manifestant dont on a jamais rien su avec certitude. Des histoires bidons anonymement introduites dans les médias sont une des techniques favorites des autorités britanniques responsables des opérations clandestines de désinformation / propagande. Ceci n’a pas empêché l’histoire d’être reprise et publiée dans le New York Times le 12 Juin, avec des photos de bus transporteurs de troupes en feu suivies par celle de “l’homme au char”, la photo d’un étudiant seul essayant supposément d’arrêter des chars d’entrer sur la place. Le mythe d’un massacre non provoqué a depuis pris racine.

Vrai, personne ne nie qu’un grand nombre de citoyens et d’étudiants ont été tués près de la place Tiananmen par des militaires en apparence hors de contrôle. Mais pourquoi ?

Revenons en arrière sur les photos de ces bus militaires en flamme. La vision populaire est que ces bus furent incendiés par les manifestants en colère APRES que le mitraillage ait commencé. En fait, ils furent incendiés AVANT. La preuve ? Des rapports de cadavres calcinés ayant été suspendus par des cordes sous les passerelles piétonnes (une photo de ces cadavres de militiares prises par un reporter de Reuters n’a jamais été publiée) et des photos de soldats gravement brûlés cherchant refuge dans des maisons avoisinantes. Des soldats dans ce genre de situation ont une tendance à répliquer en ouvrant le feu sur tout ce qui bouge, demandez donc aux bons citoyens irakiens de la ville de Falloujah.

Heureusement, nous avons aussi à notre disposition les rapports horaires de l’ambassade des Etats-Unis à Pékin, qui sont disponibles sur internet et qui nous disent ce qui s’est vraiment passé. Ils notent qu’au départ, les autorités de Pékin avaient voulu envoyer des troupes non-armées pour faire évacuer la place des étudiants qui y demeuraient toujours alors que les manifestants commençaient à diminuer. Bloquées par la foule, les troupes en armes arrivèrent par bus et cette fois furent accueillies et bloquées par une foule armées de bombes incendiaires, ce qui eu un résultat particulièrement laid et néfaste. Il y a eu des cas où certaines unités de l’armée essayèrent de calmer les soldats hors de contrôle. Le rapport d’une ambassade de la foule d’étudiants tuant un militaire qui essayait de pénétrer sur la place pourrait expliquer le carnage qui a eu lieu en périphérie.

En ce qui concerne “l’homme au tank”, nous savons maintenant par le photographe lui-même que sa photo devenue icône fut prise de la fenêtre de sa chambre d’hôtel le jour APRES les émeutes et que les chars n’essayaient pas d’entrer sur la place Tiananmen mais de sortir de la zone.

Un rapport détaillée émanant de la très respectée Columbia Journalist Review, “Le mythe du massacre de Tiananmen et le prix à payer pour une presse passive”, a depuis noté la préférence avérée des médias pour les histoires gore et bien sanglantes. Mais rien de tout ceci ne semble avoir édenté la crédibilité de l’histoire officielle du massacre de Tiananmen.

Il est vrai qu’une certaine responsabilité de ces évènement incombe à Pékin. Sa campagne de chasse des leaders de la protestation étudiante et de tout mettre sur le dos d’un complot contre le régime n’a pas créé une bonne impression. Mais il y a sans doute des raisons. Par frustration alors que leur longue manifestation tendait à se dissiper, quelques uns des leaders étudiants avaient été appelés à l’action par la foule en colère résidant toujours aux alentours de la place. Comment ces personnes dans la foule furent-elles armées et eurent-elles accès à des bombes incendiaires à essence, une arme qui n’est pas utilisée par les manifestants ou émeutiers chinois et qui furent responsables de quelques 400 véhicules détruits ?

Le régime avait toléré les manifestants en les autorisant à occuper la place centrale de Pékin pendant six semaines. Le secrétaire général du PCC (NdT: Zhao Ziyang) avait essayé en vain de négocier avec eux. Les autorités regrettèrent plus tard leur manque d’expertise dans le contrôle des foules ainsi que leur manque d’équipement adéquat, les forçant à se reposer sur des militaires inexpérimentés en la matière. Une fois encore, tout cela ne serait pas arrivé si le régime lui-même n’avait pas fauté dans le passé.

Les mots du célèbre écrivain taiwanese Hu Dedjian, qui se mit en grève de la faim sur la place en solidarité avec le mouvement étudiant expliquent tout: “Des gens disent que 200 personnes sont mortes sur la place et d’autres clâment que 2000 sont mortes. Il y a aussi des histoires de chars d’assaut écrasant des étudiants qui essayaient de partir. Je dois dire que je n’ai rien vu de tout cela. J’étais moi-même sur Tiananmen jusqu’à 6 heures et demie du matin cette nuit là.

“Je n’ai cessé de penser, allons-nous utiliser des mensonges pour attaquer un ennemi qui ment ?”

Gregory Clark

 

Article original en anglais :

The 1989 Tiananmen Square Massacre Is a Myth: British “Black Information Operation”

International Business Times, le 4 juin 2014

Traduction : Résistance71

 

Gregory Clark est un ancien diplomate australien, correspondant parlant mandarin et président d’université résident au Japon. On peut le joindre sur www.gregoryclark.net Les vues exprimées dans cet article ne représentent pas forcément celles d’IBTimes UK.

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« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la réaliser ou la trahir. » Frantz Fanon

Que dire sur ce rapport et sur les travaux de la commission des deux dernières années (l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées — ENFFADA) ? La commission a expérimenté plusieurs défis, tels qu’un mandat trop épars, des démissions multiples et des critiques concernant son manque d’indépendance et de transparence. La plus importante critique fut celle liée à sa méthode de travail. Après la remise de son rapport intérimaire le 1er novembre 2017, les familles et les experts réitéraient l’urgence d’adopter une approche basée sur les droits de la personne en enquêtant sur la faillite des institutions canadiennes et de la société à protéger les droits fondamentaux (droit à la vie, à la santé et à la sécurité) des femmes issues des Premiers Peuples.

Cette critique a finalement été entendue par les commissaires. Ces derniers ont mis en oeuvre le pouvoir d’enquêter de la commission afin d’accéder à 174 dossiers de la police, comme l’avait fait la commission Oppal, en Colombie-Britannique, entre 2010-2012. L’ENFFADA a également rencontré des experts, à travers le Canada, sur les questions entourant la violence sexuelle et coloniale, le racisme systémique, et a intensifié l’implication des familles directement touchées. La commission a donc fait un virage significatif au printemps 2018 dans ses travaux et son approche. Sur cette base, elle demandait une extension de son mandat à l’automne 2018, qui fut reconduit pour une période additionnelle de six mois seulement. Une période nettement insuffisante pour assumer un mandat d’une telle ampleur.

En dépit du manque de temps et des différents problèmes rencontrés, cette réinitialisation officieuse des travaux de la commission fut salutaire : elle apporte une crédibilité aux conclusions du rapport final et aux appels à la justice présentés lundi. La mise en oeuvre effective des recommandations visant à s’attaquer au racisme systémique, à la violence sexuelle et coloniale, déterminant majeur du génocide envers les Premiers Peuples au Canada, et qui touche particulièrement les femmes, demeure l’enjeu central soulevé dans l’histoire des commissions au Canada.

Malgré leur résistance continue et leur force, les femmes ne pourront déraciner seules les causes profondes de ce schéma génocidaire. Le niveau de violence sexuelle et coloniale qu’elles endurent au quotidien et depuis les premiers contacts sera compris le jour où le Québec et le Canada, et en particulier les hommes, auront la maturité d’assumer entièrement les formes de racisme et de misogynie qui subsistent au coeur de leur héritage. Au-delà de la culpabilisation, c’est sur la non-réception des vérités que portent les récits des femmes qu’il faut se questionner, pour que du mutisme forcé des femmes à la surdité des hommes soit tissée une passerelle faisant en sorte qu’elles soient enfin entendues et crues.

Génocide colonial

Les représentations, les stéréotypes et la misogynie touchant les femmes autochtones sont ainsi profondément enracinés dans la société et toujours enchâssés dans les politiques, les législations et les bureaucraties. Si ces constats peuvent sembler s’éloigner des définitions connues du terme « génocide », une connaissance minimale de la condition des Premiers Peuples au Canada, et en particulier de celle des femmes, efface le moindre doute quant à l’existence non seulement historique mais actuelle d’un génocide colonial.

Ce rapport impose l’équation de l’héritage colonial, sinon de l’esprit guidant les institutions canadiennes et causant directement la mort de filles et de femmes. Il appelle au démantèlement de mécanismes sophistiqués, conçus sur mesure au cours des siècles et généralement invisibles à la société dominante, enracinés dans les sphères culturelle, juridique, économique et politique au point qu’il apparaît invraisemblable au citoyen qu’il contribue, volontairement ou non, à perpétuer la condition humaine intenable d’une partie de ses semblables. Ce rapport nous montre le long et pénible chemin qu’il reste à parcourir afin de démystifier la faillite du corps policier à enquêter sur la mort de beaucoup de femmes et, dans certains cas, la participation d’agent de la paix dans la perpétration des crimes.

Le temps n’est plus aux débats sémantiques mais à l’impératif de solidarité et de protection des femmes, ainsi que de la terre qui les porte. Soyons clairs : même s’ils n’étaient pas entendus, les Premiers Peuples ont toujours dénoncé et résisté à ce génocide. Les femmes en particulier n’ont jamais cessé de dénoncer la violence sexuelle à des fins génocidaires dont elles sont la cible et leurs voix résonnent toujours.

Si l’époque requiert une métamorphose des relations mortifères que les sociétés coloniales québécoise et canadienne entretiennent avec les Premiers Peuples et la Terre, cette mutation doit aussi s’incarner dans le rapport de chacun à soi-même, lieux d’enracinement des représentations et des préjugés semés et nourris depuis des siècles. Est-il encore possible, à cette étape de notre histoire humaine et commune, de fermer les yeux et de faire la sourde oreille ? Nous sommes dorénavant devant le choix clair d’honorer ou de trahir notre propre humanité.

Nawel Hamidi et Pierrot Ross-Tremblay

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Les préoccupations des États-Unis au sujet d’une nouvelle installation appuyée par la Chine au Cambodge pourraient placer le pays au milieu d’une nouvelle guerre froide naissante.

Dans un refrain désormais commun, le ministre chinois de la Défense Wei Fenghe a publiquement nié lors d’un récent forum de défense que Pékin avait l’intention de construire une base navale au Cambodge.

C’était la dernière réponse de Pékin à la spéculation répandue selon laquelle un projet d’écotourisme soutenu par la Chine dans la province côtière de Koh Kong, au Cambodge, est secrètement conçu à des fins militaires.

« La Chine n’est pas en train d’établir sa présence militaire au Cambodge. Il n’y a rien de tel là-bas« , a déclaré M. Wei Lors du sommet sur la sécurité du Dialogue Shangri-La à Singapour le week-end dernier, un événement auquel le ministre cambodgien de la Défense Tea Banh a également participé.

Les débats sur la question font rage depuis novembre dernier, lorsqu’un journaliste a rédigé un article pour Asia Timesdans lequel le vice-président américain Mike Pence avait prédit avec justesse que le premier ministre Hun Sen soulèverait ces allégations dans une lettre adressée au Premier ministre Hun Sen lors de sa tournée dans la région.

Plusieurs responsables américains et un rapport du ministère de la défense publié en décembre dernier ont souligné que Washington prend ces allégations au sérieux.

Si elle est construite, une installation navale au Cambodge pourrait permettre à la Chine d’accéder à un nouveau flanc sud dans la mer de Chine méridionale, où la Chine est plongée dans un conflit croissant avec les États-Unis au sujet de la liberté de navigation.

L’intention spéculée de la Chine de baser ses troupes au Cambodge, fortement démentie par Phnom Penh, mettrait certainement la région sur les nerfs à un moment où la pression s’accroît pour prendre parti entre les États-Unis et la Chine.

Des soldats cambodgiens se tiennent prêts alors que des navires de la marine chinoise accostent à Sihanoukville, au Cambodge, en janvier 2019

La législation locale interdit actuellement le stationnement de troupes étrangères sur le sol cambodgien.

Mais si l’état fonctionnel des relations entre militaires de la Chine et du Cambodge est encore largement opaque, il est clair que Pékin est désormais le principal primus inter pares – en tête des alliés stratégiques de Phnom Penh.

Après la suspension des opérations militaires conjointes entre le Cambodge et les États-Unis en 2017, Pékin est devenu le principal créancier des Forces armées royales cambodgiennes (ARC). En juin dernier, Pékin a donné 100 millions de dollars d’aide militaire au Cambodge, en plus des généreux dons des années précédentes.

Sihanoukville, ville côtière, a accueilli trois navires de guerre chinois en janvier. Entre-temps, le plus grand exercice militaire conjoint entre les deux pays, baptisé Golden Dragon, a eu lieu dans la province de Kampot en mars.

La réorientation du Cambodge vers Pékin intervient alors que les États-Unis et la Chine intensifient leur guerre commerciale et se lancent dans une course aux armements beaucoup plus sérieuse sur la technologie et la puissance militaire.

La décision de la Chine d’envoyer son ministre de la défense au sommet du Dialogue Shangri-La de la semaine dernière pour la première fois en huit ans en dit long, tout comme les commentaires de Wei selon lesquels la Chine est prête à « lutter jusqu’au bout » contre les États-Unis.

Le ministre chinois de la Défense, Wei Fenghe, participe au sommet du dialogue Shangri-La de l’IISS à Singapour le 2 juin 2019

Bradley Murg, professeur adjoint de sciences politiques à l’université Seattle Pacific, estime que s’il y a « un intérêt extrêmement vif pour Washington » pour les affaires politiques du Cambodge, l’intérêt est surtout centré sur « le développement d’une base navale chinoise au Cambodge« .

Un rapport actualisé sur la Stratégie indo-pacifique publié par le Département de la Défense des États-Unis au début du mois de juin indique que Washington reste « préoccupé par les informations selon lesquelles la Chine cherche à établir des bases ou une présence militaire sur ses côtes[cambodgiennes], une évolution qui mettrait en cause la sécurité régionale et marquerait un changement clair dans l’orientation de la politique étrangère du Cambodge« .

Le dernier rapport annuel du bureau du directeur du renseignement national américain, Dan Coats, a également souligné que :

« Il semble que la Chine s’empresse d’achever son projet de Union Development Group à Koh Kong ; c’est un endroit très stratégique si elle devait devenir comme par magie une base opérationnelle avancée pour la marine chinoise« , a déclaré Sophal Ear, professeur associé de diplomatie et des affaires mondiales à l’Occidental College à Los Angeles.

Charles Edel, qui a fait partie de l’équipe de planification de la politique du Secrétaire d’État américain de 2015 à 2017, a écrit dans un article paru le 9 mai dans War On The Rocks que l’imagerie satellitaire semble montrer que :

De récentes images satellites montrant une piste d’atterrissage d’aéroport dans la province reculée de Koh Kong, au Cambodge, suffisamment longue pour soutenir les avions de reconnaissance, les chasseurs et les bombardiers militaires chinois

Asia Times a passé en revue les images satellite de cette région pendant des mois et, bien que le développement se soit accéléré, les entretiens avec des experts sur les installations militaires chinoises n’ont pas fourni de preuves suffisantes que le site est bien destiné à un usage militaire.

Certains experts affirment que la piste pourrait servir à la fois à des fins commerciales et militaires, tandis que d’autres affirment que ses caractéristiques distinctives, y compris sa longueur de piste surdimensionnée et ses juteux, pourraient n’être qu’une coïncidence et ne pas nécessairement indiquer des applications militaires.

Malgré les avertissements répétés de Washington, l’ambassadeur cambodgien auprès de l’organisation américaine Chum Sounry a déclaré dans une interview que « les liens de défense entre le Cambodge et les États-Unis ont été resserrés« , une déclaration qui contredit ce que beaucoup considèrent comme des relations encore glaciales après la cessation des exercices conjoints en 2017.

Chum Sounry a souligné les visites effectuées au Cambodge par Joseph Felter, secrétaire adjoint à la Défense pour l’Asie du Sud et du Sud-Est, en janvier, et par le colonel Scott Burnside, du US Indo-Pacific Command, en mars, comme preuve du réchauffement des liens.

Il a également fait remarquer que Hun Manet, le fils du premier ministre Hun Sen, qui a été promu l’an dernier commandant en chef adjoint des Forces Armées Royales Khmères (RCAF) et commandant de l’armée, a été invité aux États-Unis en avril pour participer à une conférence antiterroriste.

Le Premier ministre cambodgien Hun Sen, devant à gauche, et son fils, le général de corps d’armée Hun Manet, derrière à droite, Phnom Penh. Le 24 janvier 2019

Hun Manet, considéré par beaucoup comme l’héritier de Hun Sen lorsque le dirigeant de longue date finira par se retirer, a également rejoint pour la première fois l’année dernière le Comité Permanent du Parti Populaire cambodgien au pouvoir, qui compte 37 membres et qui est le principal organe décisionnel du parti.

L’ambassade des États-Unis à Phnom Penh, quant à elle, a maintenu une ligne dure à l’égard de la répression antidémocratique de Hun Sen, comme en témoigne la décision de 2017 de la Cour Suprême d’interdire la principale opposition du Parti du Sauvetage National du Cambodge (CNRP).

Kem Sokha, le président du CNRP, a été arrêté en septembre 2017 pour trahison pour avoir prétendument tenté de fomenter une « révolution de couleur » soutenue par les États-Unis pour renverser le gouvernement de Hun Sen. Il est toujours en détention provisoire.

Même si la pleine coopération militaire n’est pas à l’ordre du jour à court terme, il semble que les responsables américains considèrent les canaux militaires comme un moyen possible d’influencer la politique alors que les relations avec le gouvernement de Hun restent tendues.

Le porte-parole du gouvernement, Phay Siphan, a répondu avec colère après la visite de Felter en janvier, au cours de laquelle il aurait discuté de politique avec des responsables militaires cambodgiens.

Au cours de sa visite, Felter aurait également discuté des moyens de relancer les exercices militaires conjoints entre les États-Unis et le Cambodge.

Malgré cela, le Cambodge risque de plus en plus d’être considéré comme un satellite chinois à un moment où les pressions s’intensifient pour que les États de la région prennent le parti des superpuissances, en particulier pour ce qui concerne la mer de Chine méridionale.

Les forces armées cambodgiennes en démonstration à Phnom Penh, le 25 juillet 2018

Mais il n’y a pas que les États-Unis qui tentent de raviver les liens militaires avec le Cambodge pour réduire leur dépendance à l’égard de la Chine. En effet, Hun Manet semble prendre des paris stratégiques pour le pays alors que la rivalité sino-américaine menace de basculer vers le conflit.

Depuis février, Hun Manet a dirigé des délégations militaires en Chine, en Russie et en Thaïlande, participé à une conférence sur la lutte contre le terrorisme aux États-Unis et accompagné une délégation militaire lors d’une visite de quatre jours au Vietnam, où il a rencontré les plus hauts responsables de la défense à Hanoi.

Après la visite de Hun Manet au Vietnam le mois dernier, un organe du Parti Communiste a noté que le chef d’état-major général Phan Van Giang « a souligné que les relations de défense ont toujours été l’un des plus importants piliers des relations Vietnam-Cambodge« .

Cela intervient alors que le Vietnam, allié militaire historique du Cambodge, s’est rapproché des États-Unis pour se protéger contre la Chine, qui, selon Hanoi, militarise des parties contestées de la mer de Chine du Sud.

Pourtant, l’exaltation du gouvernement de Hun Sen en faveur de la « neutralité permanente et du non-alignement » apparaît souvent plus rhétorique que réelle à la lumière de l’ampleur de son pivot vers la Chine.

De toute évidence, Phnom Penh ne veut pas être assimilée à la mêlée des officiels de la défense de plus en plus bellicistes aux États-Unis et en Chine. Comme pour le Vietnam, il est clair que le Cambodge ne veut pas devenir un proxy dans une nouvelle guerre froide.

Mais comme la spéculation est forte autour de l’installation émergente soutenue par la Chine dans le sud-ouest du Cambodge, et à moins que Phnom Penh ne réoriente quelque peu ses liens vers les États-Unis, le risque augmente qu’il ne le devienne si les tensions entre les États-Unis et la Chine dégénèrent en conflit.

David Hutt

 

 

Article original en anglais : US, China tensions put Cambodia in potential peril

Traduit par Réseau International

Le vaccin contre l’hépatite B peut-il causer la sclérose en plaques et ouvrir droit à une réparation du préjudice? La Cour de Cassation hésitait à le dire… la Cour de Justice de l’Union Européenne vient de lui confirmer qu’elle avait le droit de le reconnaître. Une décision qui va compliquer l’entrée en vigueur de la vaccination obligatoire annoncée par la ministre Buzyn…

Agnès Buzyn se serait probablement bien passée de cette décision qui va compliquer la mise en oeuvre de sa politique de vaccination obligatoire. La Cour de Justice de l’Union Européenne vient de considérer, dans le cadre d’une question préjudicielle, qu’il était conforme au droit de l’Union Européenne de reconnaître un lien de causalité entre un vaccin de Sanofi Pasteur contre l’hépatite B et la sclérose en plaques.

L’affaire visait un cas français. Un homme en parfaite santé avait déclaré une sclérose après une vaccination. Il est décédé en 2011.

Jusqu’ici, la directive de l’Union sur le sujet imposait aux plaignants d’établir la preuve de la causalité entre la vaccination et la maladie. La CJUE vient de reconnaître que cette preuve ne supposait pas forcément un consensus scientifique, mais pouvait simplement s’appuyer sur des présomptions fortes et sérieuses. Il appartiendra à chaque juridiction nationale de vérifier ce sérieux.

Cette réponse ouvre la voie à une indemnisation des victimes par les fabricants de vaccins incriminés.

Une très mauvaise nouvelle pour Sanofi… et pour Agnès Buzyn.

Extrait du communiqué de presse de la Cour de justice de l’Union Européenne du 21 juin 2017:

« Dans son arrêt de ce jour, la Cour estime comme compatible avec la directive un régime probatoire qui autorise le juge, en l’absence de preuves certaines et irréfutables, à conclure au défaut d’un vaccin et à l’existence d’un lien causal entre celui-ci et une maladie sur la base d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants, dès lors que ce faisceau d’indices lui permet de considérer, avec un degré suffisamment élevé de probabilité, qu’une telle conclusion correspond à la réalité. En effet, un tel régime n’est pas de nature à entraîner un renversement de la charge de la preuve incombant à la victime, puisqu’il revient à cette dernière d’établir les différents indices dont la conjonction permettra au juge saisi de se convaincre de l’existence du défaut du vaccin et du lien de causalité entre celui-ci et le dommage subi.

 En outre, exclure tout mode de preuve autre que la preuve certaine issue de la recherche médicale aurait pour effet de rendre excessivement difficile voire, lorsque la recherche médicale ne permet pas d’établir ni d’infirmer l’existence d’un lien causal, impossible la mise en cause de la responsabilité du producteur, ce qui compromettrait l’effet utile de la directive ainsi que les objectifs de celle-ci (à savoir protéger la sécurité et la santé des consommateurs et assurer une juste répartition des risques inhérents à la production technique moderne entre la victime et le producteur).

La Cour précise néanmoins que les juridictions nationales doivent veiller à ce que les indices produits soient effectivement suffisamment graves, précis et concordants pour permettre de conclure que l’existence d’un défaut du produit apparaît, compte tenu également des éléments et des arguments présentés en défense par le producteur, comme étant l’explication la plus plausible de la survenance du dommage. Le juge national doit en outre préserver sa propre liberté d’appréciation quant au point de savoir si une telle preuve a ou non été apportée à suffisance de droit, jusqu’au moment où il se considère en mesure de former sa conviction définitive. »

 

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Le ministère américain de la Justice prépare plus d’accusations encore contre le journaliste et éditeur Julian Assange, a avertit WikiLeaks jeudi.

Ces accusations, dit WikiLeaks, reposeraient sur le témoignage de Sigurdur Thordarson, un informateur du FBI déjà reconnu coupable de fraude, qui s’est rendu aux États-Unis pour y être interrogé afin de préparer de nouvelles accusations.

«La chaîne publique néerlandaise NOS a rapporté qu’on avait fait venir Sigurdur Thordarson en avion aux États-Unis la semaine dernière. Là, il fut ‘interrogé en profondeur’, en vue du dépôt, contre Julian Assange, d’un nouvel acte d’accusation de remplacement à la fin de la semaine prochaine», fait remarquer WikiLeaks.

L’information est arrivée le même jour que de nouveaux avertissements relatifs à la dégradation de la santé d’Assange. Le père d’Assange, John Shipton, devait rendre visite à son fils à la prison de Belmarsh mais on l’a éconduit en lui disant qu’Assange voyait un médecin pour une visite apparemment urgente.

«Ma visite était fixée en même temps qu’un autre rendez-vous, elle a été annulée», a-t-il déclaré au journal australien Herald Sun. «[La visite du médecin] a du être arrangée d’urgence parce qu’il y a eu double rendez-vous».

Plus tôt cette semaine, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Nils Melzer, a averti que Julian Assange pouvait mourir en prison si on ne mettait pas immédiatement fin à sa persécution.

Lorsque le journaliste d’ABC Philip Williams a demandé à Melzer, «si vos appels sont ignorés, craignez-vous qu’il puisse mourir en prison? », celui-ci a répondu : « C’est une crainte qui, je pense, est très réelle».

L’Administration Trump a jusqu’au 14 juin pour présenter la demande d’extradition d’Assange à la Grande-Bretagne. L’acte d’accusation actuel comprend 18 chefs d’accusation relatifs au rôle d’Assange dans la révélation de crimes de guerre américains et de conspirations diplomatiques mondiales; il est assorti d’une peine maximale de 175 ans d’emprisonnement.

Le communiqué de presse de WikiLeaks indique que les États-Unis préparent probablement un acte d’accusation de remplacement. Il inclurait les accusations déjà dévoilées ainsi que de nouveaux chefs d’accusation.

«NOS a rapporté que l’agent spécial du FBI Megan Brown, qui dirige l’enquête du FBI contre Assange, s’est rendu en Islande le 6 mai avec le procureur Kellen Dwyer, du District Est de Virgine pour réinterroger Thordarson, l’informateur du FBI, avec l’aide de la police islandaise» poursuit le communiqué de WikiLeaks.

La collaboration entre le ministère de la Justice et Thordarson montre aussi que les tentatives américaines de poursuivre et d’extrader Assange constituent un complot politique mené en violation des normes juridiques fondamentales.

L’informateur du FBI n’a aucune crédibilité. Il est impliqué de longue date dans l’espionnage illégal et les provocations d’État, possède un casier judiciaire avec des condamnations pour détournement de fonds, fraude et crimes sexuels contre des mineurs. Thordarson ne pourrait être considéré comme un témoin fiable ou honnête dans aucun procès qui maintiendrait le droit de l’accusé à une procédure régulière.

Thordarson, un citoyen islandais, aurait cherché au début de 2010, alors agé de 17 ans, à s’attirer les bonnes grâces de WikiLeaks en faisant du travail volontaire pour cette organisation.

Un an après avoir proposé ses services, WikiLeaks soupçonnait déjà Thordarson de l’avoir volé. En 2014, un tribunal islandais a condamné celui-ci en vertu de 18 chefs d’accusation relatifs à des vols, notamment le transfert sur son compte bancaire privé de dons destinés à WikiLeaks. L’organisation a déclaré que Thordarson lui avait volé jusqu’à 50.000 dollars (44.375 euros).

En août 2011, Thordarson affirme avoir contacté l’ambassade des États-Unis à Reykjavik, offrant d’aider à «l’enquête criminelle en cours aux États-Unis» contre Assange. Il a rapidement été engagé comme informateur par le FBI.

De son propre aveu, Thordarson a rencontré plusieurs fois des agents du FBI à Reykjavik entre 2011 et 2012. Au cours de cette période, les autorités américaines l’ont envoyé trois fois au Danemark et une fois aux États-Unis pour des réunions secrètes sur WikiLeaks.

Thordarson a fourni au FBI huit disques durs dont il affirmait que le contenu provenait de WikiLeaks. Il a reçu des milliers de dollars du gouvernement américain.

Cet informateur du FBI fut impliqué dans un complot des autorités américaines visant à faire accuser Assange de piratage informatique. Il a affirmé qu’au début de 2011, il avait approché le groupe de piratage Lulzsec et lui a demandé de l’aider à pénétrer les systèmes informatiques d’organismes gouvernementaux et d’entreprises islandaises.

Au moment où Thordarson avait contacté Lulzsec, le chef de cette organisation, Hector Xavier Monsegur, connu sous le nom de «Sabu», avait déjà accepté de coopérer avec le FBI pour éviter une inculpation.

Les conversations entre Thordarson et Lulzsec ont donc eu lieu entre une organisation de pirates informatiques dirigée et contrôlée par le gouvernement américain et un adolescent islandais douteux, soupçonné déjà d’avoir volé WikiLeaks. Assange et WikiLeaks ont nié toute connaissance des démarches de Thordarson concernant Lulzsec.

Julian Assange en 2012

En juin 2011, les autorités américaines ont averti l’Islande qu’elle se trouvait devant une cyberattaque imminente. En août, un avion avec huit ou neuf agents du FBI est arrivé à Reykjavik, venant du District Est de Virginie, où les autorités judiciaires avaient constitué un grand jury secret contre WikiLeaks l’année précédente. Le ministre islandais de l’Intérieur de l’époque, Ögmundur Jonasson, a exigé leur départ.

Dans un entretien avec le site web Katoikos.eu en 2013, Jonasson a révélé que ces agents avaient été envoyés pour solliciter «notre coopération dans ce que j’ai compris comme une opération pour mettre en place un coup monté, une machination contre Julian Assange et WikiLeaks». Il a clairement indiqué que le piégeage d’Assange était lié aux mises en garde américaines contre des opérations de piratage informatique en 2011.

Jonasson a ajouté: «Puisqu’ils n’avaient pas été autorisés par les autorités islandaises à effectuer un travail de police en Islande… et qu’une répression contre WikiLeaks n’était pas à l’ordre du jour, pour dire le moins… J’ai ordonné que toute coopération avec eux soit rapidement interrompue et je leur ai aussi fait comprendre qu’ils devaient cesser immédiatement toute activité en Islande».

Interrogé par NOS, Thordarson a indiqué que les nouvelles accusations portées contre Assange, reposant sur son témoignage, concerneraient la machination tentée en 2011. Il a déclaré que ses récentes entrevues avec le FBI avaient porté sur ses contacts avec Monsegur.

WikiLeaks met en garde dans son communiqué: «Alors que l’affaire s’effondrerait aux États-Unis du fait que l’accusation s’appuie sur les témoignages de Thordarson et Monsegur, qui ne sont pas des témoins crédibles, les États-Unis peuvent cacher l’identité de leurs témoins pendant la procédure d’extradition britannique afin d’accroître leurs chances de gagner».

Et poursuit en disant: «Cela empêchera Assange de contester la crédibilité des témoins lors de la procédure d’extradition britannique, qui débutera le 14 juin».

Les préparatifs visant à porter des accusations supplémentaires contre Assange sont la dernière étape de ce que Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, a qualifié le 31 mai dans une déclaration, de « campagne implacable et sans retenue de harcèlement public, d’intimidation et de diffamation contre M. Assange, non seulement aux États-Unis, mais encore au Royaume-Uni, en Suède et, plus récemment, en Équateur».

Le communiqué de WikiLeaks confirme les avertissements de Melzer selon lesquels on bafoue les droits humains et juridiques fondamentaux d’Assange. Melzer a jugé qu’Assange avait été victime de «torture psychologique».

Dans des commentaires faites au site web the Canary jeudi, Melzer a ajouté: «Les preuves qui m’ont été communiquées suggèrent fortement que la responsabilité première des abus soutenus et concertés infligés à M. Assange incombe aux gouvernements du Royaume-Uni, de la Suède, des États-Unis et, plus récemment, de l’Équateur».

«En conséquence, ces gouvernements seraient conjointement responsables de l’effet cumulatif prévisible de leur conduite mais aussi chacun d’eux séparément pour leurs contributions respectives, que ce soit par perpétration directe, incitation, consentement ou acquiescement», a-t-il poursuivi.

Le Rapporteur a mentionné:

• l’enquête suédoise bidon sur les allégations d’inconduite sexuelle à l’encontre d’Assange.

• l’«accusation sécrète par un grand jury aux États-Unis», qui menace le fondateur de WikiLeaks d’emprisonnement à vie.

• l’abrogation illégale par l’Équateur de son asile politique.

• «la partialité manifeste dont font preuve les juges britanniques à l’encontre de M. Assange depuis son arrestation».

La campagne internationale contre Assange est le fer de lance des gouvernements à l’international pour abolir les normes démocratiques fondamentales y compris le droit à la liberté d’expression et la liberté de la presse.

Le dévoilement des accusations portées contre le fondateur de WikiLeaks en vertu de la loi américaine sur l’espionnage a ouvert la voie à des mesures similaires contre des organismes de presse dans le monde entier. En témoignent les descentes de la police australienne cette semaine contre des journalistes ayant révélé l’espionnage et les crimes de guerre du gouvernement australien.

Cela souligne l’importance cruciale de construire un mouvement international des travailleurs, des étudiants, des jeunes et de tous ceux qui défendent les libertés civiles, pour garantir la liberté immédiate d’Assange et défendre tous les droits démocratiques. Contactez le WSWS pour prendre part à ce combat crucial.

Oscar Grenfell

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 7 juin 2019

Cet article a été d’abord publié le 5 juin 2014.

«Soldats, marins et aviateurs des Forces expéditionnaires alliées! Vous êtes sur le point de vous embarquer pour la grande croisade vers laquelle ont tendu tous nos efforts pendant de longs mois. (…) Les espoirs, les prières de tous les peuples épris de liberté vous accompagnent. Vous apporterez la sécurité dans un monde libre. La fortune de la bataille a tourné! Les hommes libres du monde marchent ensemble vers la Victoire! Bonne chance!(…)  Implorons la bénédiction du Tout-Puissant sur cette grande et noble entreprise.»  (Message d’Eisenhower aux troupes d’assaut, le 5 juin 1944)

Nous avons toujours gardé une image fabuleuse du débarquement ; Notamment, nous fûmes subjugués pour ne pas dire conditionnés par le fim culte : « Le jour le plus long » , Ce ne sont pas moins de 5 réalisateurs de nationalités différentes qui nous font découvrir le débarquement allié en Normandie du 6 juin 1944. Nous vîmes et admirâmes une  pleiade d’acteurs tout aussi mythiques les uns que les autres  Un casting de haut vol s’y associe : John Wayne, Bourvil ou encore Sean Connery, Henry Fonda , Robert Mitchum mais aussi des milliers de figurants. Certains événements de cette campagne militaire historique ont été passés sous silence. Les fils connus de l’opération Overlord. Qui se souvient par exemple que les gros ballons des parades d’un grand magasin new-yorkais ont inspiré une supercherie à l’origine de la réussite du D-Day? Les Alliés ont en effet eu l’idée de faire appel à l’entreprise Goodyear pour créer une armée en caoutchouc. Des chars et des barges gonflables devaient faire croire à un débarquement dans le Pas-de-Calais et détourner l’attention d’Hitler.» (1)

L’opération Overlord

On sait que le 6 juin 1944, ils étaient 177 Français à débarquer sur les côtes de Normandie, auprès des Alliés: un abbé, un repris de justice, un ancien légionnaire, un jeune marié, un ouvrier, un gosse de 17 ans, originaires de la métropole, de la Tunisie, de l’Algérie ou de Madagascar. Recrutés en Grande-Bretagne au début de la guerre, ils ont été entraînés à la dure en Ecosse avant de porter fièrement le béret vert du commando Kieffer.

«Aujourd’hui, 70 ans après, l’opération Overlord reste la campagne militaire la plus héroïque de l’histoire. Retour sur des aspects méconnus du débarquement. C’est la phase d’assaut de l’opération Overlord qui vise à créer une tête de pont alliée de grande échelle dans le nord-ouest de l’Europe et l’ouverture d’un nouveau front à l’Ouest. Une fois les plages prises, l’opération se poursuit par la jonction des forces de débarquement et l’établissement d’une tête de pont sur la côte normande puis l’acheminement d’hommes et de matériels supplémentaires. L’opération cesse officiellement le 30 juin 1944. La flotte d’invasion était composée de 6939 navires (1213 navires de guerre, 4126 navires de transport et 1600 navires de soutien dont de nombreux navires marchands) provenant de huit marines différentes. (2)

La mise en place de cette énorme flotte s’effectua dans tous les ports de la côte sud de l’Angleterre, de Plymouth jusqu’à Newhaven.» (2)287.000 personnes embarquées à bord des navires alliés le Jour J dont 177 – Nombre de soldats du commando français Kieffer ayant débarqué sur Sword Beach. 200.000 obstacles de plage installés par les Allemands le long du Mur de l’Atlantique, 200.000 véhicules alliés de toutes sortes débarqués en Normandie le 6 juin 1944 à minuit. 11.590 appareils alliés (chasseurs, bombardiers, transport, reconnaissance et planeurs), 10.395 tonnes de bombes alliées larguées sur la Normandie toute la journée du 6 juin 1944, 9 500 – Nombre d’avions alliés d’attaque et d’appui en vol le Jour J.

7616 tonnes de bombes alliées larguées sur la Normandie dans la nuit du 5 au 6 juin 1944,11.085 missions effectuées par les forces aériennes alliées le 6 juin 1944. 10.750 sorties (aller-retour) de l’aviation alliée pendant les 24 heures du jour J. Nombre de sorties de la Luftwaffe (armée de l’air allemande) le 6 juin 1944». (2) Plusieurs milliers de morts sont aussi à compter parmi les civils.(2)

Opération Torch

Deux ans plus tôt l’opération Torch vit le débarquement des Alliés principalement en Afrique du Nord (Algérie). Les effectifs mobilisés furent moins importants Ce sont principalement des Français d’Alger sous la conduite de José Aboulker qui permirent pour une part importante l’opération de débarquement Opération Torch est le nom de code donné au débarquement des Alliés le 8 novembre 1942. La prise d’Alger se fait en un jour grâce à la Résistance française, alors qu’à Oran et au Maroc, les généraux du régime de Vichy accueillent les Alliés à coups de canon, tout en livrant la Tunisie aux Allemands sans aucune résistance, Si les Alliés réussissaient à y repousser les troupes de l’Afrikakorps de Rommel, l’Afrique du Nord permettrait ensuite de disposer d’une plate-forme pour un projet plus ambitieux qui concernerait l’Europe méridionale». (3)

L’opération qui comprenait 107.000 hommes s’effectua sur 200 bâtiments de guerre et 110 navires de transport. Elle se divisait en trois groupes ayant pour mission d’établir neuf têtes de pont sur près de 1500 km de côte. (…) Le 8 novembre 1942 à l’aube, les premiers vaisseaux de l’Opération Torch abordèrent les plages d’Afrique du Nord. Après une longue préparation, et en exécution d’accords passés secrètement à la conférence de Cherchell le 23 octobre 1942 entre la résistance algéroise et le commandement allié, 400 résistants français, dont les deux tiers étaient des Juifs ont neutralisé le 8 novembre 1942, les batteries côtières de Sidi-Ferruch et le 19e corps d’armée française d’Alger pendant une quinzaine d’heures. (…) Les diplomates et généraux américains ont eu tendance à omettre ou à minorer le rôle de la Résistance pieds noirs dans leurs relations ultérieures de l’opération Torch.» (3)

L’apport « réel » de la résistance lors du débarquement : Un tabou ?

Nous avons vu que les commandos du Commando Kieffer, des Français qui ont fait le débarquement, étaient composé de 177 volontaires sur un total de plus de 200.000 Américains, canadiens anglais et de plusieurs pays du Commonwealth. La doxa officielle  a toujours présenté la « Résistance » comme étant la cheville ouvrière de la réussite du débarquement. Qu’en est-il de l’apport de la résistance (Forces françaises de l’Intérieur)?.

Dans la publication suivante, nous verrons que l’apport est beaucoup plus discret que l’histoire officielle ne l’a présenté. Nous lisons: «Le mythe des maquisards qui auraient joué un rôle très important dans la victoire des Alliés a la vie dure. Dans son ouvrage: «La Résistance expliquée à mes petits-enfants», La résistante Lucie Aubrac déclare: «Dans cette prison qu’était devenue la France, la Résistance a renseigné efficacement les Alliés, a contribué avec peu d’armes à vaincre l’occupant, a libéré seule une partie de notre pays, a aidé les Alliés sur le sol français, a poursuivi avec eux l’armée allemande jusqu’à sa totale défaite, a débarrassé la Patrie du régime de collaboration» (…) Dans son livre intitulé: Les F.T.P.,l’ancien commandant en chef des Francs-Tireurs et Partisans français, Charles Tillon, va même plus loin: il attribue la réussite du Débarquement aux FFI qui, dans les premières heures du 6 juin 1944, auraient apporté à l’opération des moyens… deux fois supérieurs à ceux des Alliés. Sa démonstration vaut la peine d’être exposée. L’auteur s’appuie tout d’abord sur une note du QG allié en 1944 selon laquelle la force des FFI «représentait l’équivalent en hommes de quinze divisions» (…)» (4)

 «L’auteur «oublie» toutefois: -que les premières vagues d’assaut anglo-américaines n’étaient pas seules; elles reçurent l’appui décisif de la marine et de l’aviation qui pilonnèrent-que les «quinze divisions» FFI étaient non seulement peu armées, L. Aubrac avoue que la Résistance avait «peu d’armes» mais surtout, qu’elles n’étaient pas regroupées en Normandie pour attaquer Les forces allemandes présentes sur les lieux. Dans l’ouvrage d’Eisenhower, le satisfecit décerné à la Résistance arrive au seizième chapitre: Eh bien, dans ces 74 pages, seules… onze lignes sont consacrées à l’appui que pourrait fournir la Résistance. Et voici ce que D. Eisenhower écrit: «Notre plan reposait sur l’appoint considérable que nous escomptions de la part des mouvements des maquis en France. On savait qu’ils étaient particulièrement nombreux en Bretagne, et dans les montagnes et les collines proches de la côte méditerranéenne. […] Nous désirions particulièrement que, le Jour J, le général De Gaulle s’adressât avec moi par radio à la population française afin qu’elle ne se soulève pas et ne s’expose pas à des sacrifices inutiles qui n’avaient pas encore d’intérêt mais qu’elle se réservât pour le moment où nous lui demanderions son appui.» C’est net: pour débarquer, les Anglo-américains n’avaient nullement besoin de l’aide de la Résistance. Ils n’en voulaient pas. Ils considéraient que ce serait des «sacrifices inutiles». Les actions de harcèlement n’ont nullement pesé sur le cours des opérations.» (4)

A l’occasion du soixantième anniversaire du Débarquement, la question suivante a été posée à Jean Vanwelkenhuyzen, un historien de référence: «La résistance a-t-elle vraiment représenté un appoint pour les armées régulières?» Il a répondu: «Il y a une légende dorée française qui a été une manière de gommer la défaite de 1940. Les maquis locaux ont pu fournir des renseignements qui échappaient à la reconnaissance aérienne et aussi jouer un rôle dans certains combats. Mais dire que cela a changé les opérations, non».» (4)

Les « dépassements » des GI: un  autre vieux tabou

Un autre tabou « honteux » est la chape de plomb concernant les exactions sexuelles des GI’S autorisés à user et à abuser de leur position de sauveurs pour s’en prendre aux Françaises. Grégoire Kauffmann rapporte les écrits d’un ouvrage à ce propos: «Pour les GI, le Débarquement fut aussi un terrain dangereux d’aventures. Une historienne américaine s’attaque sans nuances au mythe du libérateur. De nombreux boys sont persuadés de la frivolité des Françaises. Le haut commandement US a voulu «vendre» le Débarquement comme une aventure érotique, seul moyen de galvaniser les soldats envoyés sous les orages d’acier d’Utah et Omaha Beach ».(5)

Une fois désinhibée, la libido des GI sera impossible à contenir. Le contraste entre l’indigence française et l’opulence yankee favorise toutes les combines (…) Par crainte des maladies vénériennes, les autorités américaines tenteront vainement d’encadrer le chaos. L’état-major fait des exemples en ordonnant la pendaison publique de soldats noirs accusés de viols – boucs émissaires d’une armée fondée sur la ségrégation raciale. Face à ce tsunami sexuel, une douloureuse «crise de la masculinité» s’empare du mâle français… L’historienne écorne singulièrement la geste héroïque du libérateur accueilli sous les vivats d’un peuple reconnaissant. Le recours péremptoire à la métaphore érotique, le mépris des nuances handicapent la démonstration, qui n’en décrypte pas moins l’un des derniers tabous de la Seconde Guerre.» (5)

De Gaulle tenu à l’écart du débarquement

Après la débâcle de mai-juin 40, l’armistice acceptée par le maréchal Pétain, réfugié en Angleterre dès le 17 juin 1940, De Gaulle lance sur les ondes de la radio britannique, la BBC, un appel à la Résistance le 18 juin 1940. Cela lui vaut le surnom de l’«homme du 18 juin». Rapidement avec le soutien de Winston Churchill, il fonde, à Londres, le Comité de la France libre. En juillet 1940, ils sont environ 7000. Les Alliés ont délibérément exclu De Gaulle qui n’a été informé que la veille du plan de débarquement. Ils l’ont écarté des opérations du 6 juin. De Gaulle, arrivé en Normandie le 14 juin, réussit pourtant à transformer cette humiliation en victoire politique. (6)

Tout a commencé  comme nous l’avons  écrit plutôt avec l’opération «Torch», le débarquement anglo-saxon, Une opération amphibie réussie militairement, qui débouche sur un véritable imbroglio politique: l’amiral Darlan, l’un des acteurs de la collaboration d’État, devient haut-commissaire en Afrique, avec l’assentiment des militaires américains et de Roosevelt. Les Américains imposent alors le général Henri Giraud, et les conflits entre De Gaulle et Guiraud ne tardèrent pas à naître. L’amiral Darlan fut éliminé.

Pourtant, à force d’opiniâtreté et d’indépendance, le 3 juin 1944, De Gaulle se légitimise graduellement malgré ses alliés Le Comité français de la Libération nationale (Cfln) que présidait le général De Gaulle devint Gouvernement provisoire de la République française (Gprf). Les Alliés anglo-saxons considéraient en effet, que, dans l’attente d’assurances démocratiques sur la représentativité du gouvernement, le rétablissement de la loi et de l’ordre dans la France libérée devrait se faire sous la supervision du général Eisenhower. Avec la création du Gprf s’ouvrait donc une période de fortes tensions qui ne prendraient fin qu’avec l’installation à Paris du gouvernement provisoire français, à la fin de l’été. Ces tensions connurent leur acmé dans les jours qui précédèrent le débarquement en Normandie. Tenu à l’écart par les Alliés de la préparation du débarquement, De Gaulle fut invité par Churchill à rejoindre Londres. Parvenu dans la capitale anglaise le 3 juin en fin de journée, il rencontra Churchill puis Eisenhower le 4. Les rencontres se passèrent très mal, De Gaulle refusant toute idée d’administration provisoire de la France par les Alliés. (…) L’opposition aux velléités alliées de prendre provisoirement les commandes en France est donc frontale. (7)

Les principaux acteurs du Jour J en Normandie

Eisenhower, Bradley, Montgomery, Churchill et De Gaulle pour les Alliés, Rommel et von Rundstedt pour les Allemands: même sans être tous en Normandie, ce 6 juin 1944, tous ont été les grandes figures du Jour J. Winston Churchill lancera son fameux appel: «Je n’ai à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur» pour un seul objectif: «la victoire, la victoire à tout prix». Charles de Gaulle tente de maintenir la France dans la guerre afin d’assurer sa présence parmi les vainqueurs. Mais il est tenu à l’écart par les Alliés de la préparation du débarquement. Début juin 1944, il refuse toute idée d’administration provisoire de la France par les Alliés. Il fait son entrée en France le 14 juin. «Depuis plusieurs jours, j’étais prêt à ce voyage. Mais les Alliés ne s’empressaient pas de me le faciliter»». (8)

Le triomphe du mythe de la libération américaine de l’Europe

Il est curieux de constater comment les médias épousant les thèses des pouvoirs peuvent changer du tout au tout. Ainsi, à titre d’exemple concernant le rôle de l’armée rouge vainqueur de Stalingrad, la première rentrée à Berlin, nous lisons: «En juin 2004, lors du 60e anniversaire du «débarquement allié» en Normandie, à la question «Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne» l’Ifop afficha une réponse strictement inverse de celle collectée en mai 1945: soit respectivement pour les États-Unis, 58 et 20%, et pour l’URSS, 20 et 57%. Du printemps à l’été 2004 avait été martelé que les soldats américains avaient, du 6 juin 1944 au 8 mai 1945, sillonné l’Europe «occidentale» pour lui rendre l’indépendance et la liberté que lui avait ravies l’occupant allemand et que menaçait l’avancée de l’armée rouge vers l’Ouest. Du rôle de l’Urss, il ne fut pas question. Le (70e) cru 2014 promet pire sur la présentation respective des «Alliés» sur fond d’invectives contre l’annexionnisme russe en Ukraine et ailleurs (9)…

La diabolisation de la Russie surtout avec l’affaire ukrainienne  ne  doit jamais nous faire oublier qu’il y eut plus de 25 millions de morts parmi les Russes, que la bataille de Stalingrad a marqué un tournant dans le conflit et que l’Allemagne après la débâcle de Von Paulus ,ne put jamais relever la tête.  Les médias et les pouvoirs occidentaux  devraient en toute objectivité que sans l’URSS, la guerre ne serait pas gagnée.

Enfin, l’impérialisme amérericano-britannique a tout fait pour marginaliser de Gaulle et aboutir à un protectorat sur la France. On comprend alors la position de  Gaulle qui avait une haute  idée de la France, de se retirer par la suite,  de l’OTAN, d’affermir la dimension nucléaire de la France quitte à saccager le Sahara avec une douzaine d’essais tout aussi catastrophiques les uns que les autres. Il se trouve encore des gens qui pensent que le gaz de schiste exploité par l’ancienne puissance – not in my back yard, pas chez elle-, n’abîmera pas une seconde fois, le Sahara cette fois-çi à Dieu ne plaise,  d’une façon irréversible car il aura touché au meillieur viatique : l’eau. Mais ceci est une autre histoire.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 

 

Notes :

1.http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/05/22/la-face-cachee-du-debarquement_4420232_3246.html

2.Opération Overlord: Encyclopédie Wikipédia

3.Opération Torch: «Encyclopédie Wikipédia

4. http://forumfrance-en-guerres.clicforum.fr/t2110-Le-mythe-de-la-Resistance-qui-aurait-permis-le-Debarquement-allie-en-Normandie.htm

5.Grégoire Kauffmann Amours… la face cachée du Débarquement L’Express 03/06/2014

6.Jean-Pierre Azéma 6 juin 1944: Opération overlord – 01/05/2004  htpp//histoire.presse.fr
7.http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00312/6-juin-1944-la-bataille-supreme-est-engagee.html

8.http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/05/23/les-principaux-acteurs-du_n_5377215.html

9.http://www.mondialisation.ca/le-debarquement-du-6-juin-1944-du-mythe-daujourdhui-a-la-realite-historique/5385061

 

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Une assemblée de politiciens sans scrupules et de bellicistes s’est réunie à Portsmouth, en Angleterre, pour le 75e anniversaire du débarquement de Normandie, la plus grande opération combinée terrestre, aérienne et navale de l’histoire ayant annoncé la défaite finale des armées fascistes de Hitler au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Le 6 juin 1944, les forces alliées, dirigées par la Grande-Bretagne et les États-Unis, ont débarqué à plusieurs endroits en Normandie, en France, dans la première étape de leur invasion réussie de l’Europe occidentale occupée par les nazis. L’opération a impliqué 160.000 soldats, près de 5000 barges et navires de débarquement, 277 dragueurs de mines et 289 vaisseaux escorteurs. Au cours du massacre de masse du jour J et des jours suivants, près de 20.000 soldats – alliés et allemands – ont perdu la vie.

Parmi les participants à l’événement figuraient: le président des États-Unis, Donald Trump, lors du dernier jour de sa visite d’État au Royaume-Uni; la première ministre Theresa May, qui quittera ses fonctions de chef du Parti conservateur aujourd’hui et de première ministre en juillet; le président français Emmanuel Macron; la chancelière allemande Angela Merkel et des dirigeants et représentants du Canada, de l’Australie, de la Belgique, de la République tchèque, du Danemark, de la Grèce, du Luxembourg, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande, de la Pologne et de la Slovaquie.

L’événement a été présenté comme un rassemblement de principales puissances mondiales, qui a entériné une proclamation s’engageant à garantir que «l’horreur inimaginable» de la guerre n’allait pas se reproduire. Mais rien ne pouvait occulter le fait que cette commémoration se déroulait sur fond de la rupture historique des relations entre les grandes puissances, avec le danger grandissant d’une guerre qui plane sur la politique mondiale.

Macron et Trump en Normandie [Source: C-Span]

La déclaration rédigée par Downing Street [résidence des premiers ministres britanniques] pour cet événement, la «Proclamation du jour J», se lit comme suit: «Au cours des 75 dernières années, nos nations se sont battues pour la paix en Europe et dans le monde, pour la démocratie, la tolérance et l’État de droit.» Par contre, Trump a profité de sa visite au Royaume-Uni pour dénoncer l’Union européenne, sautant sur toutes les occasions pour proclamer son soutien au Brexit dans le cadre des objectifs stratégiques de son administration visant à mettre fin au bloc.

Les ironies historiques étaient présentes en abondance lors des commémorations du 75e anniversaire.

Loin de fuir les horreurs de la guerre, cette fois-ci avec des armes nucléaires, Theresa May – lors d’un discours en juin 2016 devant le Parlement – avait répondu «Oui» à la question d’un député: «La première ministre est-elle personnellement prête à autoriser une frappe nucléaire qui pourrait tuer 100.000 hommes, femmes et enfants innocents?»

Depuis lors, May, en tant que chef d’une puissance de l’OTAN qui a soutenu toutes les guerres menées par l’impérialisme américain, y compris en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, prône une politique militariste dont la ligne directrice a été l’appel à une position plus agressive envers la Russie.

À Portsmouth, le président Emmanuel Macron a eu le culot de lire une lettre envoyée par un jeune combattant de la résistance, Henri Fertet, avant d’être exécuté par des soldats nazis à l’âge de 16 ans. La lettre disait: «Je vais mourir pour mon pays. Je veux que la France soit libre et que les Français soient heureux.»

Pourtant, ce n’est que l’année dernière que Macron, lors d’une tournée des champs de bataille de la Première Guerre mondiale, a salué le dictateur fasciste français, le maréchal Philippe Pétain. Pétain était le chef du régime collaborateur de Vichy, le plus sanglant et réactionnaire que la France ait connu. Les mêmes nazis qui ont exécuté Fertet ont bénéficié du plein soutien de Pétain. Macron a déclaré qu’il était «légitime» de qualifier Pétain de «grand soldat».

Les tensions entre les rivaux impérialistes se sont manifestées par la décision initiale de Macron de s’absenter de la commémoration jeudi à Courseulles-sur-Mer, située au centre de la plage Juno, l’une des cinq zones de débarquement de l’invasion de Normandie. Un porte-parole de l’Élysée avait déclaré que le premier ministre Édouard Philippe allait le remplacer.

Illustrant les relations tendues entre les puissances impérialistes, François Heisbourg, ancien diplomate français et directeur de l’Institut international d’études stratégiques, a déclaré à l’AFP: «Il existe un risque élevé que Donald Trump instrumentalise les cérémonies pour rappeler la dépendance des Européens vis-à-vis des États-Unis en matière de sécurité et de défense.»

Ce plan n’a été modifié qu’à la dernière minute avec l’annonce que Trump, Macron et May devaient tous assister à la cérémonie à Courseulles-sur-Mer.

La chancelière allemande Angela Merkel a également déclaré à Portsmouth qu’il était «un cadeau de l’histoire» de pouvoir y participer, car «cette opération militaire unique nous a finalement permis de nous libérer des nazis». Cela faisait suite à une déclaration mardi que «Nous pouvons être heureux qu’à la fin de cette terrible Seconde Guerre mondiale déclenchée par l’Allemagne, nous ayons établi un ordre donnant naissance à l’Union européenne, qui assure notre paix, qui assure notre stabilité.»

D’après ces paroles, jamais on ne pourrait deviner que Merkel est à la tête d’un gouvernement qui rebâtit la machine de guerre allemande à une époque de guerre commerciale en pleine expansion que le gouvernement Trump qualifie de «conflit de grande puissance». Rien que le mois dernier, Merkel a, dans une déclaration sans précédent, donné cours à une hostilité envers le gouvernement Trump: «Les anciennes certitudes de l’ordre d’après-guerre ne sont plus valables».

La Chine, la Russie et les États-Unis «nous obligent à trouver des positions communes» [au sein de l’UE], a ajouté Mme Merkel. En ce qui concerne l’objectif déclaré de l’Allemagne et de la France pour la construction d’une armée européenne, elle a déclaré: «En ce qui concerne la coopération en matière de défense, nous progressons de manière satisfaisante.»

Les félicitations de Merkel marquant la «libération» de l’Europe des nazis puaient l’hypocrisie. L’extrême droite, y compris les défenseurs ouverts des crimes hitlériens, s’est vue donner le feu vert par les gouvernements allemands successifs que Merkel a dirigés. L’Alternative pour l’Allemagne (AfD) est désormais le plus grand parti de l’opposition au Bundestag contre la Grande Coalition entre l’Union chrétienne-démocrate de Merkel et le Parti social-démocrate.

Citant le texte de la proclamation du jour J, le Guardian a déclaré que la section: «Nous nous engageons à travailler de manière constructive en tant qu’amis et alliés afin de trouver un terrain d’entente où nous avons des divergences d’opinion et de travailler ensemble pour résoudre pacifiquement les tensions internationales» était «une tentative de dissuader le président Trump à poursuivre son isolationnisme et à revenir à la défense de ce que l’on appelle un ordre international fondé sur des règles (RBIO)».

Toutefois, ce n’est qu’un élément de la proclamation – et un élément secondaire. Le Guardian a également noté une autre section qui dit: «Nous agirons résolument, avec courage et ténacité, pour protéger notre peuple contre les menaces à nos valeurs et les défis à la paix et à la stabilité».

Sans qu’elle soit nommée, tous les dirigeants impérialistes savent que la Russie est la principale «menace» à laquelle ils se sont engagés à faire face.

La majeure partie de la couverture médiatique des commémorations du débarquement de Normandie a été axée sur le fait que Trump se mêle de la politique européenne et exige que la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France s’alignent sur les États-Unis. Mais aucun commentaire n’a été fait sur le refus d’inviter la Russie aux commémorations, ni à Portsmouth ni à Courselles-sur-Mer.

Ce fut l’Union soviétique (1917-1991) qui a joué un rôle central dans la défaite des armées fascistes hitlériennes entre 1941 et 1945, face à des pertes dont l’ampleur est encore presque impossible à imaginer. L’Union soviétique a perdu 27 millions de personnes contre le fascisme, soit 14 pour cent de sa population. La porte-parole russe du ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a livré une vive critique mercredi, commentant que l’invasion des Alliés du Jour-J ne fut pas déterminante pour le cours de la Seconde Guerre mondiale et que ce fut les actions de l’Union soviétique qui avaient assuré la victoire.

Alors même qu’ils commémoraient les batailles qui ont conduit à la fin de la guerre la plus sanglante de l’histoire du monde, les puissances impérialistes cherchent à partager le monde à nouveau, ce qui prépare la voie à une nouvelle conflagration, encore plus meurtrière.

Robert Stevens

 

Article paru en anglais, WSWS, le 6 juin 2019

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Le storytelling occidental laisse entrevoir la situation au Venezuela comme un conflit interne où s’opposent deux armées, deux légitimités, deux présidents. D’un coté, les «défenseurs de la démocratie» de l’autre, les tenants de la «dictature maduriste», défendue par une armée en lambeaux et une garde prétorienne russo-cubaine (1). Ce récit médiatique permet de passer sous silence la robustesse des forces armées bolivariennes et le soutien non négligeable dont bénéficie le chavisme au sein de la population. Qui plus est, il élude complètement les enjeux géopolitiques et les ingérences prédatrices des Etats-Unis et de leurs complices internationaux.

Déserteurs et civils 

C’est dans cette optique qu’il convient de présenter une armée composée de vénézuéliens. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil caribéen où d’anciens membres des forces de sécurité publique et de défense ont déjà pris les armes contre leur Patrie. Depuis l’accession au pouvoir d’Hugo Chavez en 1999, l’histoire de la Révolution Bolivarienne a toujours été ponctuée de défections et de complots militaires. Du coup d’Etat d’avril 2002 à celui du 30 avril 2019, en passant par celui de l’ex colonel Palomo (2019), ou encore par les conspirations des généraux Baduel (2007) ou Rodrigues Torres (2018), par l’Opération Jericho (2015) ou par les actes terroristes perpétrés par d’ex militaires (2003), et par le commando de l’ancien policier Oscar Perez (2017), il a toujours existé – et existe encore certainement- des militaires et des policiers prêts à en découdre avec le pouvoir légitime du Venezuela (2).

S’il est évident que les déserteurs, même peu nombreux, constitueront le cœur visible de cette force militaire, ils auront certainement, de par leur expérience de combat, la tâche d’encadrer et de former des civils qui les rejoindront une fois démarré le tragique engrenage de la guerre.

A la différence de la guerre en Syrie et de son Armée Syrienne Libre, il n’existe pas au Venezuela de conflits interethniques, interreligieux ou régionaux significatifs qui puissent servir de catalyseur dans la création d’une armée « rebelle ». En revanche, d’autres dimensions -politiques, identitaires, émotionnelles- ne manqueront pas d’être mises à profit pour grossir les troupes de cette armée de l’ombre. La polarisation politique, la construction dans le temps d’une véritable identité chaviste et de son corollaire contrerévolutionnaire, les visions du monde qui en découlent, les sentiments de haine savamment entretenus par un appareil médiatique aux mains des groupes privés, la perte certaine d’une qualité de vie -acquise durant les premières années de la Révolution bolivarienne- due au blocus économique et aux multiples sabotages des services publics, devraient certainement avoir pour conséquence d’attirer de nombreux civils vénézuéliens dans une aventure guerrière. Sans compter sur ceux à qui on ne laissera pas le choix, et où le refus de combattre dans une zone contrôlée par l’opposition pourrait s’apparenter à une complicité avec le pouvoir légitime chaviste.

Nous avons pu avoir un rapide aperçu de ce type de mobilisations durant les guarimbas, ces épisodes insurrectionnels qu’a connus le Venezuela au cours des années 2014 et 2017. Nous reviendrons plus loin sur ces évènements, car à la lumière des faits récents, l’analyse des guarimbasacquiert une nouvelle dimension.

Ces combattants vénézuéliens recevront sans aucun doute l’appui de certains de leurs compatriotes : les bandes criminelles qui luttent déjà contre l’Etat pour le contrôle de couloirs stratégiques.

Implication des bandes criminelles vénézuéliennes

Si le noms d’El Picure, du Tren de Aragua, d’El Coporo, El Topo ou encore de la Guardia Territorial Pemon ne doivent pas dire grand’chose à nos lecteurs, ils s’agit pourtant de quelques unes des bandes criminelles qui opèrent –ou ont opéré- sur le territoire vénézuélien. Ces bandes armées se livrent à la vente de stupéfiants, au racket, aux kidnappings, ainsi qu’aux meurtres à gages. Mais surtout, elles effectuent un strict contrôle territorial et font régner la terreur dans les zones qu’elles contrôlent.

Ces organisations criminelles sont principalement installées dans les régions centrales du Venezuela (Aragua, Carabobo, Guárico), dans certains quartiers populaires des grandes villes, et dans le riche Etat du Bolivar, situé à la frontière brésilienne.

Les Etats de Guárico, Aragua et Carabobo sont les zones territoriales où transitent la plupart des marchandises produites au Venezuela et de nombreux biens importés soit depuis la Colombie, soit par voie maritime via le port de Puerto Cabello, situé dans l’Etat de Carabobo.

Par ailleurs, la présence de ces bandes criminelles dans ces Etats centraux leur confère une position stratégique sur les couloirs par lesquels s’achemine la drogue provenant de Colombie et destinés à sa revente au Venezuela. Par ce commerce illégal, les bandes criminelles vénézuéliennes entrent d’ailleurs en relation avec les narco-paramilitaires colombiens, un autre acteur de cette armée de l’ombre.

Il en est de même dans l’Etat du Bolivar, frontalier avec le Brésil. Le contrôle de ce territoire est stratégique en raison de sa richesse exceptionnelle en minerais mais aussi en production d’énergie. On y trouve les deuxièmes réserves d’or au monde, ainsi que la ceinture pétrolifère riche en hydrocarbure. Ajoutons à cela que les sous-sols regorgent de bauxite, de coltan, de thorium, de fer et d’autres minerais essentiels. L’Etat du Bolivar détient aussi 82% des réserves d’eau douce superficielles du pays (3), grâce notamment au fleuve de l’Orénoque (le deuxième plus important d’Amérique Latine après l’Amazone) et de son affluent principal la rivière Caroni. C’est sur cette dernière que sont construits les trois barrages qui alimentent à 70% le Venezuela en électricité (4). L’Etat du Bolivar a de quoi attiser les appétits prédateurs, tant de la puissance impériale que de la pègre locale.

Plusieurs groupes armés prétendent d’ailleurs s’arroger le contrôle de ce territoire, et se battent déjà contre l’Etat vénézuélien, pas disposé à laisser ces bandes criminelles se livrer au trafic d’or et d’autres minerais, au racket ou aux enlèvements.

Enfin, les organisations mafieuses des grandes villes, qui s’adonnent principalement à la distribution de la drogue, à la prostitution, au trafic d’armes, au vol de voitures et autres délits. Comme leurs « collègues » des champs, les malfrats des villes sont fortement installés dans certains quartiers populaires, les transformant en zone de « leur droit ». Lorsque la structure pyramidale d’une bande criminelle est déployée dans un barrio, le contrôle territorial est total, et la police locale repoussée hors du territoire. A Caracas, des bandes criminelles ont ainsi gagné le contrôle de certaines zones dans les barrios de Jose Felix Ribas, de la Cota 905, de Boquerón, del Valle et del Cementerio. De par leurs implantations dans les quartiers périphériques populaires, les bandes criminelles exercent ainsi un contrôle sur les voies d’entrée et de sortie des grandes villes, ainsi que sur certaines zones stratégiques à l’intérieur de métropoles.

Ces groupes criminels constituent un bataillon de réserve de poids, qui ne manquera pas de venir grossir les rangs de cette armée de l’ombre qui s’apprête à déferler sur le Venezuela. D’une part, elle est déjà en guerre avec l’Etat vénézuélien. Ce dernier ne se résout pas, à l’inverse de son voisin colombien, à céder des portions de son territoire. D’autre part, les autorités vénézuéliennes ont maintes fois dénoncé les liens qui unissent l’opposition politique à certaines bandes criminelles.

Lors des épisodes insurrectionnels des guarimbas, en 2014 et 2017, les barricades les plus exposées sont constituées par ces délinquants, qui n’hésitent pas à racketter tous ceux qui veulent franchir leurs barricades pour aller travailler ou rentrer chez eux (5).

Les bandes criminelles sont un des acteurs de la guerre qui vient. Leur présence dans les régions centrales et dans le bassin minier en font des alliés militaires de poids pour couper l’Etat vénézuélien de la gestion de ses richesses, et empêcher l’approvisionnement des grandes villes. La présence de membres de ces organisations dans les coups d’éclats les plus violents de l’opposition montre que certains comptent déjà sur leur collaboration, leurs troupes et leur arsenal pour renforcer la lutte militaire contre le gouvernement bolivarien.

Militaires déserteurs, militants de l’opposition, citoyen lambda pris entre deux feux, membres de la pègre… Il existe un vivier important de vénézuéliens prêts à en découdre militairement avec le pouvoir légitime de Nicolas Maduro. Ils constituent la force de frappe vénézuélienne des troupes de l’opposition, celle qui permettra de construire l’image d’un conflit interne que seule une ingérence étrangère pourrait arrêter. A cette façade vénézuélienne ne manqueront pas de s’ajouter de nombreux éléments étrangers, disposés à semer le chaos dans le pays bolivarien.

Romain Migus

Partie 1 : 

Venezuela. Comprendre la guerre qui vient: Le rôle des USA et de leurs alliés, 21 mai 2019

 

Partie 2 :

Venezuela – Comprendre la guerre qui vient: Constitution d’une armée parallèle, le 3 juin 2019

 

Partie 4:

Venezuela – Comprendre la guerre qui vient. Éléments étrangers de l’armée des ombres (paramilitaires, mercenaires et forces spéciales)

 

Notes:

(1) Exactement de la même manière, au début de la guerre en Syrie en 2011, les médias internationaux nous expliquaient que le président Assad ne restait au pouvoir uniquement grâce à sa garde prétorienne alaouite. 8 ans plus tard, on mesure le ridicule du mensonge. Mais celui-ci revient intact au Venezuela. Voir George Malbrunot, “60.000 centurions alaouites protègent le camp Assad”, Le Figaro, 01/08/2011. http://www.lefigaro.fr/international/2011/07/31/01003-20110731ARTFIG00201-60000-centurions-alaouites-protegent-le-clan-assad.php?redirect_premium

(2) En 2015, un projet de coup d’Etat est contré par les services de renseignement. Un groupe de militaires s’apprêtait à bombarder plusieurs endroits stratégiques dont le Palais Présidentiel et la chaine de télévision Telesur, c’est l’opération Jéricho. En janvier 2018, l’ancien policier Oscar Perez et son commando furent abattus lors d’un affrontement avec des militaires et policiers vénézuéliens dans les environs de Caracas. Au cours de l’année 2017, ces hommes avaient bombardé le Tribunal Suprême de Justice et attaqué un poste militaire à San Pedro de Los Altos pour y voler des armes. Plus récemment, en janvier 2019, l’ex colonel Oswaldo Palomo fut capturé par les services de renseignement de Caracas. Cet ancien militaire avait participé à la tentative d’attentat contre le président Maduro et les responsables des pouvoirs publics en août 2018, et préparait une tentative de coup d’Etat, prévue pour coïncider avec l’autoproclamation de Juan Guaido comme président.

(3) Ernesto José González, María Leny Matos, Eduardo Buroz, José Ochoa-Iturbe, Antonio Machado-Allison, Róger Martínez y Ramón Montero, “Agua urbana en Venezuela”, in  Desafíos del agua urbana en las Américas, Paris: ed. Unesco, page 578. Disponible sur https://ianas.org/docs/books/Desafios_Agua.html.

(4) Il s’agit des barrages du Guri, de Caruachi, et de Macagua, où opèrent les trois principales centrales hydroélectriques du pays. Ce sont ces centrales qui ont été hackées lors du sabotage du 7 mars 2019.

  (5)Voir Romain Migus, “2016 et 2017, le calme après la tempête (chronique d’en bas nº2), Venezuela en Vivo, 21/07/2018, https://www.romainmigus.info/2018/07/2016-et-2017-le-calme-apres-la-tempete.html

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Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Nils Melzer, a averti que Julian Assange pourrait mourir en prison si sa persécution ne cessait pas immédiatement lors d’une interview accordée le 1er juin à ABC Radio Adélaïde.

La semaine dernière, Melzer a dénoncé la persécution d’Assange, la qualifiant de «torture psychologique».

Le journaliste Philip Williams a demandé à Melzer: «Si vos appels sont ignorés, avez-vous peur qu’il meure en prison?» Melzer répondit: «Absolument, oui. C’est une crainte qui, à mon avis, est très réelle… les effets cumulatifs de cette pression constante font que son sort devient imprévisible. Ce que nous constatons, c’est que son état de santé se détériore au point où il ne peut même pas comparaître à une audience. Il ne s’agit pas de poursuites, il s’agit de persécution. Il faut que cela cesse immédiatement.»

L’interview radio complète de Melzer peut être entendue ici. Un tribunal britannique a condamné l’éditeur et journaliste de WikiLeaks, Julian Assange, à 50 semaines de prison le 1er mai lors d’un procès-spectacle vindicatif, sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces selon lesquelles il aurait «enfreint sa liberté sous caution». Après qu’on l’eut expulsé de l’ambassade de l’Équateur le 11 avril, où Assange avait demandé l’asile et où il s’est trouvé effectivement détenu pendant sept ans, les autorités britanniques l’ont sorti de force de l’ambassade et l’ont arrêté. Il est actuellement détenu à la prison de Belmarsh, au sud-est de Londres.

Le commentaire de Melzer au sujet de la situation désespérée d’Assange fait suite à une déclaration qu’il a publiée le 31 mai. Dans cette déclaration il demandait la fin immédiate de la «persécution collective» venant des États-Unis et de leurs alliés.

L’expert de l’ONU sur la torture a visité Assange dans la prison de Belmarsh le 9 mai en compagnie d’un médecin et d’un psychologue afin d’évaluer l’état du journaliste héroïque. Melzer a publié sa déclaration une semaine seulement après que le ministère américain de la Justice eut annoncé 17 chefs d’accusation pour violation de la loi sur l’espionnage. Ces nouveaux chefs prévoient jusqu’à 170 ans de prison en cas de condamnation. De surcroit, les États-Unis ont renouvelé la demande d’extradition d’Assange afin qu’il comparaisse à son procès.

Melzer a mis en garde que les neuf années d’«abus persistants et de plus en plus graves» commis envers Assange par les autorités américaines, britanniques et équatoriennes, combinés à la menace de son extradition vers les États-Unis, poseraient «un risque réel de violations graves de ses droits de l’homme, dont sa liberté d’expression et son droit à un procès équitable, et transgresseraient l’interdiction de torture ou autres traitements et peines cruels, inhumains ou dégradants».

S’exprimant depuis Genève lors de son entretien avec ABC Radio Adélaïde, Melzer a réitéré sa mise en garde selon laquelle Assange ne peut obtenir un procès équitable aux États-Unis «à la lumière des préjugés qui prévalent contre lui et de l’image de l’ennemi public qui est véhiculée».

En réponse à une question de Williams sur le rôle du gouvernement australien dans les attaques en cours contre Assange, Melzer a dit: «Le gouvernement australien a été l’absent flagrant dans cette affaire, de mon point de vue. Je me serais attendu à ce que l’Australie prenne des mesures pour protéger son ressortissant… pour le protéger de cette persécution excessive qu’il subit actuellement».

Assange est la cible d’une campagne internationale de diffamation, de persécution et de réduction au silence en raison des crimes de guerre de l’impérialisme américain et ses alliés que WikiLeaks a exposés aux peuples du monde.

L’avertissement de Melzer souligne le besoin urgent d’organiser une lutte pour défendre Assange. Nous exhortons tous nos lecteurs à mener ce combat.

Kevin Reed

 

Article paru en anglais, WSWS, le 6 juin 2019

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Israël prévoit de construire le plus long gazoduc sous-marin du monde avec Chypre et la Grèce pour acheminer le gaz de la Méditerranée orientale vers l’Italie et les États du Sud de l’Union européenne. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo vient de donner son soutien au projet. Il se heurtera à un gazoduc turco-russe concurrent, TurkStream, à un éventuel gazoduc Qatari-Iran-Syrie, ainsi qu’à une tentative de Washington d’acheminer davantage de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’UE pour réduire sa dépendance envers la Russie.

Le projet, en discussion depuis plusieurs années depuis qu’Israël a découvert les importantes réserves de gaz maritimes du gisement Leviathan, est connu sous le nom de projet de gazoduc EastMed. Le gaz naturel s’écoulera du Leviathan via Chypre, la Crète et la Grèce pour atteindre son terminal à Otrante dans le talon sud-est de l’Italie. Les plans prévoient un gazoduc de 2 100 kilomètres de long et de trois kilomètres de profondeur. Le coût est estimé à 7 milliards de dollars pour une période de construction de cinq ans.

Nouvelles lignes de faille

L’EastMed fait partie d’un complexe de nouvelles lignes de faille géopolitiques à travers tout le Moyen-Orient. Il convient de souligner que les Émirats arabes unis ont déjà investi 100 millions de dollars dans un projet que le Jerusalem Post qualifie de « pierre d’angle cachée qui sous-tend un changement des relations entre certaines parties du monde arabe et l’État juif ». Cette phrase semble faire référence à la proposition faite en 2017 par les États-Unis de créer un « OTAN arabe » avec l’Arabie saoudite et d’autres États arabes du Golfe, appuyés par les services de renseignement israéliens, pour contrecarrer l’influence de l’Iran dans la région. Aujourd’hui on parle peu de cet OTAN arabe, mais les liens entre l’Israël de Netanyahou et les principaux pays musulmans sunnites arabes demeurent solides.

Un acteur régional n’apprécie certainement pas l’idée d’East Med : c’est la Turquie d’Erdogan. Quand Israël a proposé pour la première fois EastMed il y a deux ans, Erdogan s’est rapidement tourné vers la Russie dans le but de signer un accord permettant de construire le TurkStream de Gazprom et de concurrencer Israël. EastMed serait connecté aux gisements de gaz de la partie grecque de Chypre – et donc de l’Union européenne. Au cours des derniers mois, Erdogan a rapproché la Turquie de l’Iran et surtout du Qatar, pays où se trouvent des personnalités importantes des Frères musulmans, alors que les tensions avec l’Arabie saoudite et Israël s’aggravent. Le conflit entre sunnites et chiites semble donc s’effacer devant les questions géopolitiques et le contrôle des gazoducs.

À l’été 2017, on a pu assister à une fracture spectaculaire entre les pays arabes du Golfe, l’Arabie saoudite ayant déclaré un embargo contre le Qatar pour son « soutien au terrorisme ». Mais en réalité, cette initiative visait à entraver les pourparlers en cours entre le Qatar et l’Iran, qui partagent tous deux le plus grand champ de gaz naturel du monde dans le golfe Persique. La partie qatarie s’appelle North Field et son GNL est considéré comme le plus économique au monde à extraire, ce qui a fait du Qatar, ces dernières années, le plus grand exportateur mondial de GNL. La partie voisine qui appartient à l’Iran a pour nom South Pars.

Après avoir dépensé la somme estimée de 3 milliards de dollars pour financer des groupes terroristes anti-Assad et anti-Iran en Syrie dans l’espoir futile d’y faire passer un gazoduc pour le faire déboucher en Turquie et accéder ainsi au gigantesque marché gazier de l’Union européenne, on dirait que les versatiles Qataris, au moment de l’intervention décisive des Russes en Syrie fin 2015, ont réalisé qu’ils auraient beaucoup à gagner à changer de camp et à travailler ouvertement avec l’Iran, Assad et Erdogan de manière à colporter conjointement leur gaz et le gaz iranien vers les marchés. Ce fut le motif de la cassure nette entre le Qatar et les Saoudiens. Il convient d’ailleurs de noter que l’Iran et la Turquie sont venus en aide aux Qataris lorsque les Saoudiens ont tenté de leur imposer un embargo.

Le Turk Stream russe

En supplément au cocktail géopolitique d’intérêts concurrents, les tronçons du gazoduc de la mer Noire entre Russie et Turquie ont été achevés à la fin de 2018 avec une pleine exploitation qui débutera en 2019, offrant ainsi 31,5 milliards de mètres cubes de gaz annuels dont la moitié, soit environ 16 milliards de mètres cubes, seront disponibles pour les marchés de l’UE. Le TurkStream, tout comme le NorthStream, convoient tous deux le gaz russe vers l’UE en évitant les trajets habituels qui passent par une Ukraine politiquement hostile. Depuis le terminal de Kiyikoy en Turquie, le gaz russe peut donc être acheminé soit vers la Bulgarie, soit vers la Grèce, soit vers les deux.

La Serbie, qui n’appartient pas à l’UE, vient juste de commencer à construire sa section du Turk Stream pour acheminer le gaz naturel russe vers l’Europe. Le ministre serbe des Affaires étrangères Ivica Dacic a souligné récemment à Moscou que les projets de la Serbie pour la construction du gazoduc ne dépendaient pas des travaux de la Bulgarie. Le TurkStream transportera le gaz russe à travers la Bulgarie, la Serbie et la Hongrie. Bruxelles n’en est pas enchanté.

Maintenant, c’est Israël qui entre en jeu, plus étroitement lié à l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, soutenu par Washington, financé par une société française, IGI Poseidon, une filiale d’Edison, et offrant ainsi une option rivale à celle du Qatar, de l’Iran, de la Turquie et de la Russie. La Turquie menace de faire des forages de pétrole et de gaz dans la partie turque de Chypre tandis que le Liban conteste le trajet du gazoduc d’Israël à Chypre. Enfin, ExxonMobil vient d’annoncer une découverte majeure de gaz dans les eaux territoriales de Chypre disputées par la Turquie et la Grèce qui appartient à l’Union européenne.
On n’a pas vraiment besoin d’une boule de cristal pour voir que les futurs conflits géopolitiques et énergétiques en Méditerranée orientale sont déjà programmés. Surveillez cette zone…

F. William Engdahl

 

Article original en anglais :

Ever More Complex EU Gas Pipeline Geopolitics, publié le 6 mai 2019

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

 


F. William Engdahl
 est consultant et conférencier en risques stratégiques, diplômé en politique de l’Université de Princeton et auteur de best-sellers sur le pétrole et la géopolitique, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook et collaborateur pour le CRM.

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Huit ans après la guerre de l’OTAN en Libye de 2011, alors que le pays entre dans une nouvelle phase de son conflit, j’ai fait le point sur le nombre de pays dans lesquels le terrorisme s’est propagé comme un produit direct de cette guerre. Le nombre est d’au moins 14. L’héritage de l’élimination du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi – par le Premier ministre britannique David Cameron, le Président français Nicolas Sarkozy et le Président américain Barack Obama – a été durement ressenti par les Européens et les Africains. Pourtant, la perspective de tenir ces dirigeants pour responsables de leur décision de partir en guerre est plus éloignée que jamais.

Portrait de Kadhafi, Ghadames, Libye, 2009. (Wikimedia Commons)

Le conflit de 2011, pendant lequel l’OTAN a collaboré avec des forces islamistes sur le terrain pour chasser Kadhafi, a fait une zone de non-droit de la Libye et un pays inondé d’armes, idéal pour que les groupes terroristes y prospèrent. Mais c’est la Syrie qui en a souffert en premier.

Après le début de la guerre civile au début de 2011, au même moment qu’en Libye, cette dernière était devenue un centre de facilitation et d’entraînement pour quelques 3 000 combattants en route vers la Syrie, dont bon nombre avaient rejoint Jabhat al-Nusra, affilié à Al-Qaida, et le Katibat al-Battar al-Libi (KBL), une entité affiliée à l’État islamique fondée par des militants de Libye.

En Libye même, le changement de nom des groupes liés à Al-Qaida dans le nord-est de Derna a donné naissance à la première branche officielle de l’État islamique dans le pays à la mi-2014, avec l’incorporation de membres de la KBL. En 2015, l’EI Libye a procédé à des attentats à la voiture piégée et à des décapitations et a établi un contrôle et une gouvernance territoriale sur certaines parties de Derna et Benghazi à l’est, et de Sabratha à l’ouest. C’est également devenu le seul organisme gouvernant la ville de Syrte, au centre-nord de la Libye, à travers une occupation comprenant jusqu’à 5 000 combattants sur le terrain.

Fin 2016, l’EI en Libye a été expulsée de ces zones, en grande partie à cause des frappes aériennes américaines, mais s’est retirée dans les zones désertiques au sud de Syrte, poursuivant des attaques de basse intensité. Au cours des deux dernières années, le groupe est réapparu comme une force insurrectionnelle redoutable et mène à nouveau des attaques très médiatisées contre des institutions d’État et des opérations régulières d’embuscades dans le sud-ouest du désert. En septembre dernier, le représentant spécial de l’ONU en Libye, Ghassan Salame, a déclaré au Conseil de sécurité de l’ONU que la présence et les opérations de l’EI « ne font que s’étendre en Libye ».

Terreur en Europe

Après la chute de Kadhafi, l’EI Libye a établi des camps d’entraînement près de Sabratha, qui sont liés à une série d’attaques et de complots terroristes. « La plupart du sang versé en Europe lors des attaques les plus spectaculaires, à l’aide d’armes à feu et de bombes, tout a commencé au moment où Katibat al-Battar est retourné en Libye », a déclaré Cameron Colquhoun, un ex-analyste antiterroriste au Centre britannique d’interception des télécommunications étrangères (GCHQ) au New York Times. « C’est là que la trajectoire de la menace pour l’Europe a commencé, quand ces hommes sont rentrés en Libye et ont pu prendre leurs aises. »

Hommages floraux aux victimes de l’attaque sur St Ann’s Square au centre de Manchester. (Tomasz “odder” Kozlowski via Wikimedia Commons)

Salman Abedi, qui a fait exploser 22 personnes lors d’un concert pop à Manchester en 2017, avait rencontré plusieurs fois des membres du Katibat al-Battar al-Libi, une faction de l’EI à Sabratha, où il avait probablement été formé. Parmi les autres membres du KBL figuraient Abdelhamid Abaaoud, le meneur des attentats de Paris de 2015 contre le Bataclan et le stade de France, qui ont fait 130 morts, et les militants impliqués dans le complot de Verviers contre la Belgique en 2015. L’auteur de l’attentat de Berlin de 2016, qui a fait 12 morts, a également eu des contacts avec des Libyens liés à l’EI. Il en va de même en Italie, où l’activité terroriste a été liée à l’EI Libye, avec plusieurs individus basés en Italie impliqués dans l’attaque du musée du Bardo à Tunis en 2015, qui a fait 22 morts.

Mémorial aux victimes de l’attaque du Musée national du Bardo en Tunisie. (Yamen via Wikimedia Commons)

 Les voisins de la Libye

La Tunisie a subi son attaque terroriste la plus meurtrière en 2015, lorsqu’un Tunisien de 23 ans armé d’une mitrailleuse a abattu 38 touristes, principalement des Britanniques, dans un hôtel sur la plage de Port El Kantaoui. L’auteur de l’attentat serait un membre de l’EI et, comme Salman Abedi, il aurait été entraîné dans le complexe du camp de Sabratha, d’où l’attentat avait été organisé.

La voisine orientale de la Libye, l’Égypte, a également été frappée par le terrorisme venu de ce pays. Les responsables de l’EI en Libye ont été reliés à, et peuvent avoir dirigé les activités de Wilayat Sinai, le groupe terroriste anciennement connu sous le nom d’Ansar Bayt al-Maqdis qui a perpétré plusieurs attentats meurtriers en Égypte. Après la chute de Kadhafi, le désert occidental est devenu un corridor de contrebande d’armes et d’agents en route vers le Sinaï. L’Égypte a mené des frappes aériennes contre des camps de militants en Libye en 2015, 2016 et de nouveau en 2017, ces dernières après le massacre de 29 chrétiens coptes près du Caire.

 Au Sahel

Mais la Libye est aussi devenue une plaque tournante pour les réseaux djihadistes qui s’étendent au sud jusqu’au Sahel, la zone de transition géographique, en Afrique, entre le désert du Sahara au nord et la savane soudanaise au sud.

Le soulèvement libyen de 2011 a ouvert un flux d’armes dans le nord du Mali, ce qui a contribué à relancer un conflit ethno-tribal qui couvait depuis les années 60. En 2012, les alliés locaux d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) avaient pris le contrôle de la gouvernance quotidienne dans les villes de Gao, Kidal et Tombouctou, au nord du Mali. Après l’intervention de la France au Mali, le vide persistant de pouvoir en Libye a poussé plusieurs groupes, y compris l’AQMI et sa filiale Al-Mourabitoun, à y transférer leurs centres opérationnels, parce que ces groupes allaient pouvoir y acquérir plus facilement des armes.

Avec la Libye comme base arrière, Al-Mourabitoun, sous la direction de son chef Mokhtar Belmokhtar, a été à l’origine de l’attaque contre le complexe d’hydrocarbures d’Amenas, dans l’est de l’Algérie, en janvier 2013, qui a fait 40 morts parmi les travailleurs étrangers ; de l’attaque armée contre le Radisson Blu à Bamako (Mali) en novembre 2015, qui a tué 22 personnes ; de l’attaque à Ouagadougou, au Burkina Faso, qui a tué 20 personnes en janvier 2016, à l’hôtel Splendid. Al-Mourabitoun a également attaqué une académie militaire et une mine d’uranium appartenant à des Français au Niger.

Une politique étrangère désastreuse

Les retombées de la Libye s’étendent cependant encore plus loin. En 2016, des responsables américains ont relevé des indications selon lesquelles les djihadistes nigérians de Boko Haram, responsables de nombreux attentats et enlèvements, envoyaient des combattants rejoindre l’EI en Libye, et que la coopération entre les deux groupes s’était accrue. L’International Crisis Group note que c’est l’arrivée d’armes et d’expertise de la Libye et du Sahel qui a permis à Boko Haram de conduire l’insurrection qui sévit actuellement dans le nord-ouest du Nigeria. Il y a même eu des allégations selon lesquelles Boko Haram rend des comptes à des commandants de l’EI en Libye.

Après des mois de captivité par des militants présumés de Boko Haram, des ex-otages arrivent à l’aéroport international de Nsimalen, à Yaoundé, au Cameroun. (VOA via Wikimedia Commons)

En plus de ces 14 pays, des combattants de plusieurs autres États ont rejoint les militants de l’EI en Libye ces dernières années. En effet, on estime que près de 80% des membres de l’EI en Libye ne sont pas libyens, et viennent de pays comme le Kenya, le Tchad, le Sénégal et le Soudan. Ces combattants étrangers peuvent retourner dans leur propre pays après avoir reçu une formation.

L’ampleur réelle des retombées de la guerre de Libye est extraordinaire : elle a stimulé le terrorisme en Europe, en Syrie, en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. L’État islamique, bien qu’aujourd’hui presque vaincu en Syrie et en Irak, est loin d’être mort. En effet, alors que les dirigeants occidentaux cherchent à vaincre le terrorisme par la force militaire dans certains endroits, leurs choix désastreux en matière de politique étrangère l’ont stimulé dans d’autres.

Mark Curtis

Article original en anglais :
Middle East Eye le 3 mai 2019

Traduction Entelekheia
Photo en vedette: Djihadistes en Libye

Mark Curtis est britannique, historien et analyste de la politique étrangère du Royaume-Uni et du développement international. Il a publié six livres, dont le dernier est une édition mise à jour de « Secret Affairs : Britain’s Collusion with Radical Islam » (« Affaire secrète : La collusion de la Grande-Bretagne avec l’islam radical. ») Son site, British Foreign Policy Declassified (la politique étrangère britannique, déclassifiée) fourmille d’informations importantes sur les dessous de l’histoire récente du Royaume-Uni. 

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Dans cet article, Tithi Bhattacharya se propose d’historiciser et donner une compréhension d’ensemble à la progression des crimes sexistes dans le monde depuis la crise économique. Mettant à profit les intuitions et les hypothèses du féminisme marxiste, elle expose les liens complexes entre l’idéologie de la tradition, les difficultés d’accès au produit social et les stratégies du capital à l’ère du néolibéralisme.

Commençons par cette scène : un homme blanc nu poursuit, dans les couloirs d’un hôtel hors-de-prix situé à Manhattan, une femme noire sous-payée, demandeuse d’asile, dans le but de la forcer à avoir une relation sexuelle avec lui. L’homme, vous l’aurez compris, est alors le directeur du Fonds Monétaire International (FMI), et l’homme politique français, Dominique Strauss-Kahn. La femme, qui a alors 33 ans, est bien Nafissatou Diallo, femme de chambre de l’hôtel où résidait Strauss-Kahn, et qui cherche alors asile aux États-Unis loin de sa Guinée natale, une ancienne colonie française.

Bien que toutes les accusations de viol et d’agression qui pesaient sur cet ancien chef du FMI aient été abandonnées, il a eu à en payer ce qu’on peut considérer comme un prix fort – ceci incluant, parmi bien d’autres choses, sa démission et un dédommagement financier conséquent versé à Mme Diallo. Justice a-t-elle été alors rendue ? La réponse à cette question devrait préoccuper tout•e révolutionnaire marxiste en cela qu’une véritable cartographie de la dépossession se dessine entre ces deux figures, et c’est bien le but de cet article que de la tracer [1].

Cette scène devrait constituer un symbole de notre temps. Elle est iconique en cela qu’elle fige cet instant où la distinction entre l’individu•e et le soci(ét)al s’évapore, et où les individu•e•s – l’homme blanc nu aisé et la femme noire sous-payée – apparaissent comme les parfaites allégories du soci(ét)al.

Nul besoin de le dire, la puissance représentative de l’image de Strauss-Kahn agressant Diallo sous-tend le pouvoir actuel qu’exercent des institutions financières telles que le FMI sur des pays du Sud tels que la Guinée. Des années 1980 jusqu’à aujourd’hui, la stratégie de relance keynésienne a été démantelée de façon systématique, à la faveur d’un nouveau régime d’accumulation. Cette nouvelle séquence, qu’on a choisi d’appeler a posteriori et à juste titre « néolibéralisme », a destitué, selon les termes de Nancy Fraser, « la vieille formule consistant à “utiliser la politique publique pour dompter les marchés” », et a institué un nouveau processus politique utilisant « les marchés pour dompter les politiques publiques ». Dans des pays comme celui dont Nafissatou Diallo a émigré, la Guinée, ce processus a pris la forme de programmes d’ajustement structurel, imposés par le FMI et la Banque mondiale, où la dette est pour ces pays « comme un fusil posé sur la tempe [2] ».

Quand ils abordent le néolibéralisme, les analystes habituels ont tendance à focaliser leurs discussions sur certains secteurs de l’économie formelle – pour la plupart, des sphères économiques sur lesquelles les gens ordinaires n’ont que peu de prise. Selon ce récit, les changements survenus au sein de l’économie mondiale depuis les années 1980 semblent se réduire au fonctionnement des marchés financiers et aux CDS (Credit Default Swap). En tant que marxistes révolutionnaires, notre conception du capitalisme ne se limite pas à l’analyse d’une série de phénomènes économiques, mais l’envisage comme un système intégré de rapports socio-économiques. Nous interprétons le néolibéralisme comme une stratégie spécifique menée par le capital dans l’après-guerre – une stratégie qui a une histoire plus riche et des conséquences plus vastes que la vente et l’achat de produits dérivés.

Dans un récent texte paru dans International Socialism Journal [3], Neil Davidson aborde l’histoire du néolibéralisme dans toute sa profondeur et sa complexité. Cet article décrit avec précision les processus souvent contradictoires qui ont donné lieu à la constitution du néolibéralisme comme stratégie « politico-économique » menée par les « avant-gardes » de la classe dominante (telle que Margaret Thatcher en Grande-Bretagne) en réponse à la crise de profitabilité du milieu des années 1970. Il montre que le néolibéralisme a été à la fois :

  • une nouvelle stratégie d’accumulation du capital mise en œuvre après la crise de 1973-1974
  • un ensemble de politiques économiques favorisant l’accumulation du capital tout en écrasant la classe ouvrière et ses organisations.

Au cours des quatre décennies couvertes par l’analyse de Davidson, il n’est pas rare de constater que les politiques des gouvernements élus à travers le monde n’ont pas toujours coïncidé avec les nouveaux besoins de la restructuration néolibérale du capitalisme. Du point de vue du système, il était devenu nécessaire qu’émergent des avant-gardes politiques de la classe dominante – ceux que Davidson appelle des « anti-Lénine » – et qu’elles remportent des confrontations de classe au sein de leurs économies nationales. Bien qu’il ait fallu du temps et quelques ajustements à la marge, la politique économique, la stratégie politique, et l’idéologie néolibérales sont devenues hégémoniques entre 1973-1974 et l’effondrement financier de 2008 :

  • Une fois que l’ordre néolibéral a été mis en place aux États-Unis et imposé aux institutions économiques transnationales qu’ils dirigent, son modèle a acquis une force cumulative : dans les pays développés, la nécessité de concurrencer les États-Unis a forcé les autres pays à adopter les formes organisationnelles qui semblaient avoir donné jusque là l’avantage économique aux Nord-Américains, tandis que les pays du Sud ont dû accepter les conditions des institutions créancières – restructurer les économies sous des auspices néolibérales – pour obtenir des aides et des financements [4].

Si le récit de Davidson n’aborde pas directement le caractère genré du néolibéralisme, il n’évoque pas moins, par une série d’observations affûtées, l’individualisation de la vie sociale opérée dans ce nouveau système. En premier lieu, il note que les services publics n’ont pas été abandonnés par l’État mais « reconfigurés » de telle manière que la petite enfance ou le troisième et quatrième âge ont été « progressivement […] transférés de l’État vers la famille – ce qui signifiait généralement vers les femmes –, par le biais d’arrangements “informels” soumis par la suite au contrôle des services sociaux. » Plus spécifiquement, dans l’optique de ce que j’aimerais avancer, Davidson nous rappelle à la suite des sociologues Richard Wilinson et Kate Pickett que le potentiel effondrement des rapports sociaux est l’une des conséquences non désirées du caractère inégalitaire de l’ordre néolibéral.

  • Bien qu’il n’y ait pas de volonté gouvernementale derrière ce phénomène, l’affaiblissement de la cohésion sociale, l’accroissement de la violence, des grossesses juvéniles, de l’obésité, de la toxicomanie […] sont les conséquences inattendues de la nouvelle répartition des revenus [5].

Cet article entend développer cette hypothèse. Comment les politiques néolibérales et l’idéologie qu’elles charrient ont-elles affecté les rapports de genre ? Peut-on considérer la violence sexiste comme un produit – souvent érigé en idéologie et en politique par la classe dominante – de processus socio-économiques ? Dans les pas de Davidson, dès lors que nous envisageons la consolidation de l’ordre néolibéral comme fragmenté et irrégulier dans l’espace (entre les États-Nations) et le temps (des années 1970 à nos jours), il est important de souligner que le sort des rapports de genre suit cette trajectoire combinée mais inégale. Cet article cherche à fournir les grandes lignes d’un cadre de compréhension des relations entre genre et politique économique, et non une prise en compte historique détaillée de pays ou de politiques spécifiques. Les éléments clefs de l’argumentation sont :

Premièrement, ces quatre décennies de néolibéralisme ont engendré une réelle escalade des crimes sexistes dans la plupart des pays. La crise financière de 2008 a exacerbé ce qui constituait déjà un sérieux problème ; nous ne pouvons plus faire comme si de rien n’était et les militant•e•s révolutionnaires doivent entamer une réflexion critique sur ce problème.

Deuxièmement, en tant que marxistes, il n’est pas suffisant pour nous de décrire les effets de l’intensification en cours de ces violences : nous devons en fournir une explication.

Troisièmement, le capitalisme, quand il fait face à une crise, s’efforce de trouver une solution qui passe par deux biais étroitement liés : (a) en essayant de restructurer la production, comme on peut en juger par les mesures d’austérité (b) en tentant de réorganiser la reproduction sociale, comme en témoignent la volonté de renforcer les identités de genre et le recyclage des idéologies sur la famille « ouvrière ». Si l’on veut comprendre cette simultanéité et cette unité dans la restructuration du capitalisme, alors nous devons revisiter l’analyse marxiste de l’oppression des femmes qui se voit abordée de meilleure façon par le cadre analytique proposé par la théorie de la reproduction sociale.


La reproduction sociale comme cadre d’analyse

La reproduction sociale est un concept clef de l’économie politique marxiste en ce qu’il permet de montrer en quoi « la production des conditions matérielles d’existence et la production des êtres humains eux-mêmes s’inscrivent dans un même processus d’ensemble. [6] » Selon Marx, le travail humain est la source de toute valeur (au sens économique). Lise Vogel, une importante théoricienne féministe de la « reproduction sociale », définit la force de travail à la suite de Marx comme « une capacité incorporée à un être humain, qui peut prendre une forme indépendante de l’existence physique et sociale de ce dernier [7]. » Dans les sociétés de classe, les classes dominantes parviennent à exploiter la force de travail – et sa capacité à produire des valeurs d’usage – à leur profit. En même temps, les « supports » de la force de travail sont des êtres humains – ils tombent malade, se blessent, vieillissent, finissent par mourir et doivent donc être remplacés. De ce fait, il est nécessaire qu’existe un processus permettant de reproduire la force de travail, de répondre à ses besoins quotidiens et de la renouveler sur le long terme.

Bien que Marx ait considéré la reproduction de la force de travail comme une dimension centrale de la reproduction de la société, il n’a pas rendu compte de toutes ses implications. Vogel propose d’énumérer les trois types de processus par lesquels s’opère la reproduction de la force de travail dans les sociétés de classe :

  • les diverses activités journalières qui rétablissent la capacité de travail des producteurs directs
  • les diverses activités similaires qui concernent les membres inaptes au travail parmi les classes dominées (les enfants, les plus âgés, les infirmes, ou les personnes qui ne font pas partie de la population active pour diverses raisons)
  • l’activité permettant de remplacer les membres des classes dominées qui ne peuvent plus travailler pour quelque raison que ce soit

La théorie de la reproduction sociale est dès lors essentielle pour comprendre des aspects majeurs au fonctionnement du système :

  1. L’unité de la totalité économique et sociale. Il est généralement vrai d’affirmer qu’au sein d’un régime capitaliste la majorité de la population assure sa subsistance et celle de leurs foyers à travers une combinaison de travail salarié et de travail domestique non rémunéré. Il est central d’envisager ces deux formes de travail comme des éléments d’un même processus.
  2. La contradiction entre l’accumulation du capital et la reproduction sociale. L’emprise du capital sur la reproduction sociale n’est pas sans limites. Effectivement, la reproduction fournit à la production ses matériaux essentiels, c’est-à-dire des êtres humains. Mais le développement des pratiques par lesquelles les êtres humains se reproduisent n’est pas sans entrer en conflit avec les impératifs de la production. Si les capitalistes tentent d’extraire autant de travail que possible des travailleurs, les travailleurs en retour essaient d’obtenir les meilleurs salaires et les meilleurs avantages sociaux pour pouvoir se reproduire, individuellement et de génération en génération, d’un jour sur l’autre.
  3. Les employeurs ont un intérêt dans la reproduction sociale. La reproduction sociale ne doit pas seulement se comprendre comme la tâche de la femme au foyer, seule à faire la cuisine et le ménage, pour que son mari salarié retourne au travail tous les matins « frais et dispos ». L’employeur s’intéresse dans le détail à la manière dont la force de travail est socialement reproduite. En ce sens, ce qui compte, ce n’est pas simplement les aliments cuisinés, les habits propres et le fait d’être prêt tous les matins à passer une nouvelle journée dans le sanctuaire du capital. Il s’agit de déterminer la qualité de la force de travail dans tous ses aspects, comme par exemple l’éducation, « les capacités de maniement de la langue […] la santé publique » et même les « prédispositions vis-à-vis du travail [8] ». Chaque capacité culturelle est déterminée par une situation historique et peut se voir renégociée aussi bien par les exploiteurs que les exploités. Le droit du travail, les politiques de santé publique et d’éducation, les aides de l’État aux chômeurs, tous ces aspects ne sont que quelques exemples des conséquences et des domaines de cette négociation.

C’est la raison pour laquelle nous devons penser la reproduction de la société comme une tâche qui se réalise de trois façons interdépendantes : a) comme travail non rémunéré dans la famille, de plus en plus effectué par les femmes et par les hommes b) comme services fournis par l’État sous la forme d’un « salaire social » pour atténuer dans une certaine mesure le travail non rémunéré dans le foyer c) comme services privés dispensés par des acteurs de marché.

Les politiques néolibérales, sous couvert d’une rhétorique de la responsabilité individuelle, ont entrepris de détruire les services publics et de faire basculer la reproduction sociale entièrement sur les foyers individuels ou sur les prestataires privés. Il est important de souligner que le capitalisme en tant que système bénéficie du travail de reproduction sociale non rémunéré au sein de la famille, et de la dépense (limitée) des gouvernements vers le salaire socialisé. Le système ne peut pas se passer de la reproduction sociale « à moins de mettre en danger le processus d’accumulation », dans la mesure où la reproduction assure l’existence continue d’une marchandise dont le capitalisme a besoin par dessus tout : la force de travail (humaine) [9]. Comprendre cette dépendance contradictoire entre production et reproduction sociale est essentiel pour appréhender l’économie politique des rapports de genre, y compris celle de la violence sexiste.

Mais avant d’examiner comment la théorie de la reproduction sociale permet d’expliquer les rapports de genre, nous devons rendre compte de l’ampleur de la violence sexiste qui s’est déployée ces dernières années, afin de saisir l’urgence qu’il y a à mener une telle recherche théorique. Le premier rapport publié par l’Organisation mondiale de la santé portant sur les violences faites aux femmes dans leur ensemble, publiée en 2013, fait état que plus d’un tiers des femmes du monde à l’échelle mondiale, 35,6 %, subiront des violences sexuelles ou physiques dans leur vie, le plus souvent de la part de leur compagnon. Le niveau le plus élevé de cette mesure est enregistré en Afrique, ou près de la moitié des femmes (45,6%), subiront des violences physiques ou sexuelles. Dans les pays d’Europe à PIB faible ou moyen, la proportion est de 27,2 % ; dans les pays d’Europe à PIB élevé, le même taux est de 32,7 % [10].

Il y aurait donc une corrélation entre pauvreté et violences sexistes. Mais quels sont les mécanismes expliquant ce lien ?

Nombreuses et nombreux sont ceux et celles qui ont cherché la réponse dans le concept marxien d’aliénation. À propos du viol, une autrice observe par exemple que :

  • Le viol n’est pas le fruit des instincts « naturels » de l’homme. Il est le produit de la distorsion de la sexualité et de l’aliénation provoquées par la société de classe […] Nous sommes aliéné⋅e⋅s les un⋅e⋅s et les autres. Le viol et la violence sexuelle sont les formes les plus extrêmes d’une telle aliénation [11].

Il est incontestable qu’en régime capitaliste, toutes les manifestation du sexe, de la sexualité et du genre sont aliénées. Marx ne conçoit cependant pas l’aliénation comme des frustrations, des déceptions individuelles ou contingentes – qui pourraient se renforcer ou diminuer dans une période ou une autre – mais comme une condition qui affecte tout le monde au sein de la société de classe, y compris les classes dominantes. L’aliénation, comme mécanisme explicatif en lui-même, ne saurait rendre pleinement compte du fait que la majorité des viols ou des actes de violences sexuelles sont commis par des hommes et non par des femmes. Pour le dire différemment, l’aliénation, telle qu’elle est comprise par les marxistes, est une condition totalement diffuse au sein de la société capitaliste, alors que la violence sexuelle est un phénomène bien plus spécifique – dans la mesure où chacun et chacune est aliéné⋅e par le capitalisme et à chaque instant, tandis que tout le monde ne souffre pas de la violence sexuelle au quotidien [12].

Plutôt que de partir du concept d’aliénation, je voudrais commencer par mettre en évidence les facteurs interdépendants qui permettent de penser les conditions de possibilité de la violence sexiste. Si ces facteurs ont un impact sur les relations genrées au sein de la famille, ils ne se limitent pourtant pas à la « sphère privée » de la vie sociale, hors de l’orbite de l’économie formelle. En effet, les trajectoires de la reproduction sociale sous le néolibéralisme montrent combien les dynamiques au sein de la production (économie formelle) déstabilisent les processus de reproduction sociale (« sphère privée »), et inversement.

La théorie de la reproduction sociale est notamment une théorie de la répartition du produit social (social provisioning), c’est-à-dire une analyse de la façon dont les hommes et les femmes accèdent aux moyens de subsistance, matériels et intellectuels, pour être à mêmes d’endurer une nouvelle journée de travail. Ces moyens sont déterminés historiquement et dépendent de circonstances sociales spécifiques, telles que le niveau général de développement (l’infrastructure) des sociétés et le niveau de vie que la classe ouvrière est parvenue à arracher au capital. Dans certaines sociétés, la montée des prix du pain ou du riz peuvent occasionner la crise de certaines familles ouvrières, tandis que dans d’autres circonstances, cette crise peut se produire en raison de la privatisation des services publics. Dans la mesure où les femmes ont toujours sur leurs épaules, au sein du foyer, le plus gros de l’activité permettant d’accéder au produit social, les rapports de genre sont nécessairement façonnés par les changements qui ont lieu dans le domaine de la répartition du produit social et le fait que celle-ci puisse ou ne puisse pas se dérouler dans un environnement protecteur et sécurisant.

Qu’est-ce que la répartition du produit social (social provisioning) ?

Quelles sont les composantes fondamentales du produit social pour la majorité des populations ? L’alimentation et le logement sont les deux nécessités élémentaires de la reproduction – et, pour continuer sur le même fil, tous les services socialisés nécessaire au maintien d’une vie humaine et digne tels que la santé, l’éducation, les crèches, les retraites, les transports publics.

Le foyer, ou littéralement la « résidence principale » – tout comme la famille – possèdent deux registres opposés en régime capitaliste. D’un côté, le foyer est apparemment l’endroit le plus sûr pour la plupart d’entre nous, par contraste avec la violence et l’incertitude que dégage l’espace public. D’authentiques relations humaines, faites d’amour et de coopération, peuvent s’épanouir entre les quatre murs d’un foyer – des relations que l’on peut discerner furtivement dans l’éclat de rire d’un enfant ou les baisers échangés par un couple. Mais le foyer, bien isolé du regard social, peut aussi être le théâtre de violences inter-personnelles et de secrets honteux. Quiconque a assisté au spectacle d’une femme essayant de cacher de ternes marques de coups avec une écharpe, ou d’un enfant devenant muet lorsqu’un oncle « aimant » est évoqué dans une conversation, quiconque a assisté à ces spectacles connaît l’ampleur de ces actes abjectes. Mais quelles que soient les manifestations psychologiques de la dynamique des institutions de la famille, il n’en reste pas moins que le foyer est un refuge en un sens beaucoup plus grossier et matérialiste. C’est littéralement le refuge physique permettant aux travailleurs et aux travailleuses de récupérer avant la prochaine journée de travail.

Il n’est pas surprenant que dans les pays du Nord, la pression financière liée aux hypothèques et aux saisies immobilières – c’est-à-dire dans les termes de la théorie de la reproduction, liée à la destruction d’un logement sécurisant comme dimension intrinsèque de la reproduction du corps des travailleurs et travailleuses – ait contribué significativement à l’accroissement des violences conjugales après 2008. Aux États-Unis, les données du recensement national des familles et des foyers ont définitivement prouvé que les femmes en général, les femmes africaines-américaines en particulier, sont les plus susceptibles d’être victimes à la fois d’emprunts toxiques et de violences conjugales à la suite d’expulsions et de saisies immobilières. Un rapport sur la récession paru dans le Centre de ressource national sur la violence conjugale décrit ces liens de façon très explicite :

  • Les femmes qui se séparent de leurs compagnons violents sont souvent hébergées par leurs familles et leurs ami⋅e⋅s. […] Si les membres de leurs familles ou leurs ami⋅e⋅s ne peuvent pas les accueillir, elles devront passer par des centres d’hébergement pour les personnes sans-abri ou victimes de violences. Les études indiquent que près d’un cinquième des survivantes de violences conjugales combinent les soutiens informels (famille, sociabilité) et formels (centres d’hébergement) quand elles se séparent de leur partenaire. […] Mais les mêmes études montrent que plus d’un tiers des survivantes de violences conjugales sont devenues SDF quand elles ont mis fin à leur relation. […] Ce pourcentage pourrait grimper dans le contexte actuel de récession économique […] Malheureusement […] les budgets (déjà serrés) des prestataires de service d’hébergement pour les victimes de violences ou pour les sans-abri sont réduits à l’heure où ils sont plus que jamais nécessaires [13].

Nombre d’événements témoignent de cette imbrication entre l’effondrement immobilier de 2008 et les violences conjugales. On peut par exemple citer le suicide en 2008 d’une femme et de son mari plus âgé en Oregon à la suite de la saisie de leur maison [14]. À Los Angeles, en Californie, un homme au chômage qui avait travaillé pour PricewaterhouseCoopers et Sony Pictures a assassiné sa femme, ses trois enfants, et sa belle mère avant de se suicider. Il a laissé une lettre de suicide disant qu’il était ruiné financièrement, qu’il avait envisagé le suicide mais trouvait plus « honorable » au bout du compte d’assassiner toute sa famille [15]. Gardons en tête ce terme « honorable ». Nous aurons des raisons d’y revenir par la suite.

Penchons-nous maintenant sur l’alimentation, l’eau, et les autres produits constitutifs des économies domestiques incarnées par le travail et la responsabilité des femmes. À ce stade, il est important de rappeler que les femmes ont longtemps produit des biens et des valeurs d’usage au sein du foyer. Avant les années 1920 dans les pays du Nord, on pouvait compter parmi ces biens les vêtements cousus à la main, la dentelle, les aliments panifiés, tandis que dans les pays du Sud, avant les plans d’ajustement structurels, les femmes fournissaient le carburant et procuraient les céréales alimentaires à leurs familles. Dans la mesure où ils étaient en dehors du circuit de l’économie marchande, les producteurs comme les produits de ces formes de travail étaient invisibles du point de vue de l’économie formelle. Dans les pays du Nord, à partir des années 1920 et 1930, l’expansion rapide de l’équipement des foyers en électricité et des aliments cuisinés ont radicalement changé cet état de fait. D’abord les femmes blanches de classe moyenne, puis toutes les femmes, ont accru leur participation à l’économie marchande.

Dans les pays du Sud, la destruction de l’économie de subsistance et l’intégration totale des femmes à l’économie marchande a abouti bien plus tard, sur ordre des politiques néolibérales. Dans de larges parties de l’Afrique de l’Ouest, par exemple, les accords SAP ont contraint les gouvernements à couper les financements pour les compagnies publiques d’acheminement de l’eau. Et l’eau, en tant qu’ingrédient essentiel de la cuisine, du ménage et du care, est la responsabilité des femmes. Dès lors, quand les gouvernements ne fournissent pas l’eau à cause des coupes budgétaires, les femmes remplissent cette tâche. Dans la campagne sénégalaise, les femmes marchent près de dix kilomètres pour ramener de l’eau à leurs familles.

Ce tableau est plus implacable encore du point de vue des questions alimentaires. La dévaluation de la monnaie a été l’une des réquisitions majeures du FMI auprès des économies du Sud. L’objectif d’une telle mesure était d’augmenter le prix des produits importés et ainsi de réduire la consommation de ces derniers. Évidemment, la nourriture, le carburant et les médicaments constituent la grande majorité des produits importés par les pays du Sud.

En régime capitaliste, les foyers sont embarqués dans deux types de processus. D’une part, le foyer demeure l’espace de « soin » (caring), de relations non instrumentales, dans un monde de plus en plus marchandisé et hostile. D’autre part, c’est aussi le lieu d’attentes et de rôles sociaux profondément genrés – où à la fin de la tyrannie de la journée de travail, on attend un plat chaud et un lit accueillant, les deux étant « exécutés » par les femmes. Cette contradiction est valable pour presque toutes les périodes de l’histoire du capitalisme. Mais dans les quatre décennies du néolibéralisme, le foyer a été vidé de toutes les ressources d’auto-subsistance – il n’existe plus de petit jardin de légumes derrière la maison, plus de terres communes pour stocker du bois pour se chauffer, et le seul moulin à riz a dû être vendu pour s’offrir du riz texan conditionné. Et pourtant, les besoins matériels du corps humain au travail, tels qu’ils peuvent être assouvis au sein du foyer, sont toujours là, associés aux attentes idéologiques que les femmes fournissent ce service sous la forme de nourriture, d’eau et de soins. Le réel besoin matériel en nourriture et en lieux de refuge et d’intimité, combiné aux rôles idéologiques dévolus aux femmes, selon lesquels ces dernières ont la responsabilité de répondre à ces besoins au sein du foyer, conditionnent et rendent possibles les violences sexistes.

L’offensive sur la répartition et l’accès au produit social

La restructuration du capitalisme mondial depuis les années 1980 a joué un rôle bien spécifique dans la trajectoire de la reproduction sociale en général et celle de l’accès et de la répartition du produit social en particulier. Il est important de comprendre que l’efficacité des politiques néolibérales dans la sphère de la production et du commerce s’expliquent par le fait que ces politiques ont en même temps éliminé les institutions qui soutenaient le travail de reproduction. De la santé publique à l’éducation, des services municipaux aux transports publics, l’infrastructure publique a été rapidement démantelée de façon assez similaire à la dépossession de nombreuses terres par les nouvelles industries extractivistes.

Comment ce processus est-il venu en aide au capital ? Le démantèlement des appuis institutionnels publics à la reproduction sociale n’impliquaient pas que les travailleurs et les travailleuses étaient désormais dispensé⋅e⋅s d’aller travailler dans la sphère productive. Au contraire, cette offensive a simplement signifié que tout l’appui autrefois assuré par les politiques publiques était soit répercuté sur les familles individuelles, ou privatisé et inabordable pour la grande majorité de la population. Les parcs publics, construits à l’aide des deniers publics, ont parfois reçu les fonds de bailleurs privés, de grandes entreprises, et fermé leurs portes aux enfants de la classe ouvrière. Il y a toujours des piscines, des programmes d’activités extra-scolaires, mais seulement pour ceux qui en ont les moyens.

  • Par défaut et donc par construction, les familles, et en particulier les femmes, durent prendre le relais des activités qui n’étaient plus publiques et qui étaient inabordables à l’échelle individuelle [16].

Ces attaques ont rendu la population laborieuse, homme et femme, plus vulnérable sur son lieu de travail et moins en capacité de résister.

Quand l’ère néolibérale traversa son ultime naufrage en 2008, la reproduction sociale pour la classe ouvrière du monde entier avait déjà subi de larges pressions.

Il est désormais incontestable que la crise financière a suscité une montée de la violence sexiste. En Grande-Bretagne, la violence conjugale a grimpé de 35 % en 2010. En Irlande, on a enregistré une hausse de 21 % de sollicitations de femmes auprès des services d’aide aux victimes de violences par rapport à 2007. Ce chiffre a encore atteint des sommets en 2009, décrivant une hausse de 43 % par rapport aux chiffres de 2007. Aux États-Unis, selon une étude privée de l’année 2011, 80 % des hébergements ont signalé une hausse des cas de violences conjugales pour la troisième année consécutive – 73 % de ces affaires étaient liés à des « questions financières » et notamment la perte d’un emploi. Je me réfère ici à la crise de 2008 en tant qu’exemple de crise capitaliste, en gardant bien en tête que ce n’est ni la dernière du genre, ni la première. En effet, certaine⋅e⋅s chercheurs et chercheuses se sont régulièrement tourné⋅e⋅s vers les chiffres produits pendant la Grande dépression des années 1930 en Occident pour favoriser la compréhension des crises économiques qui ont suivi. Comment une telle esquisse peut-elle étayer une hypothèse qui met l’accent sur la répartition et l’accès au produit social ?

Dans l’incapacité à subvenir aux besoins de leurs foyers, les femmes étaient souvent littéralement forcées à faire du glanage dans les rues. Une étude de la Banque mondiale et d’associations de la société civile ont établi qu’au cours de la crise économique, les plus pauvres « ont eu recours à une participation accrue des femmes et des enfants aux activités de subsistance, comme la collecte de déchets de carton » dans les rues [17].

La crise financière n’a pas seulement ajouté au fardeau de la reproduction : les pertes d’emploi à grande échelle et les baisses de salaires ont poussé les femmes à opter pour plusieurs activités salariées en même temps ou accepter de plus mauvaises conditions de travail dans leur activité.

Mais même alors que les femmes travaillaient toujours plus longtemps, et devenaient de véritables soutiens de famille, le travail des femmes dans la sphère publique est resté frappé du sceau du travail non rémunéré informel qu’elles effectuaient dans la sphère privée. Prenons le cas des États-Unis, quand 65 000 000 emplois ont été créés pendant la période de restructuration néolibérale et que les femmes en ont occupé 60 %, entre 1964 et 1997. De quels types d’emplois s’agissait-il ? La sociologue Susan Thistle montre combien :

  • les femmes ont été la pièce maîtresse de l’extension rapide du tiers le plus mal payé du secteur des services, fournissant la majorité de la force de travail dans la plus rapide et la plus grande niche d’emplois à bas salaires […] Les économistes ont depuis longtemps admis que […] le développement de nouveaux secteurs, et la conversion de travailleurs et de travailleuses non salarié⋅e⋅s en main d’œuvre salariée, sont la source de profits mirobolants, poussant les plus grandes entreprises à se délocaliser […] Il faut bien noter que cette même démarche lucrative était à l’œuvre dans les États-Unis mêmes […] Quand le marché a franchi les portes des cuisines et des chambres, transformant de nombreuses activités domestiques en travail rémunéré, la productivité a observé une forte progression [18].

Dans la mesure où c’est un secteur dépourvu de régulations et de droit du travail, la véritable infamie de ce soi-disant « secteur informel » consiste en ce que, comme le travail domestique dans la sphère privée, les activités qui s’y déroulent sont sans fin et peuvent se mener bien au-delà de ce qui est considéré socialement comme des horaires de travail décents. Deux récentes affaires de viol dans l’Inde néolibérale mettent en évidence le lien entre les politiques néolibérales et l’offensive contre les femmes.

Une méthode bien connue consistant à « blâmer » la victime de viol permet de faire porter les investigations davantage sur la femme victime que sur le violeur. En Inde, les femmes qui ont subi des viols ont été accusées de « sortir tard le soir » – ce qui, d’après les accusateurs, pouvait justifier le destin de ces femmes. À la cour, l’avocat de trois des cinq hommes accusés dans l’affaire de la femme violée et assassinée à Delhi en 2012 a affirmé que les femmes « respectables » n’étaient pas victimes de viol. « Je n’ai pas vu le moindre cas ou d’exemple de viol sur une femme respectable », a déclaré Manohar Lal Sharma à la cour, accusant la victime d’être sortie le soir avec un homme dont elle n’était pas l’épouse [19]. Les deux victimes des affaires les plus publicisées à Delhi – la femme tuée en décembre 2012 et la femme attaquée à Dhaula Kuan – travaillaient dans des centres d’appels délocalisés d’entreprises occidentales. Elles travaillaient de nuit pour pouvoir être au bout du fil pendant les horaires de travail de jour en Occident. À leur position précaire et faiblement rémunérée sur le marché du travail s’ajoute le risque de déplacements à pied, pour rejoindre ou quitter leur lieu de travail, dans une ville qui a par ailleurs un très mauvais bilan du point de vue des protections gouvernementales pour les femmes. À Lesotho, des femmes ont été victimes de viol en quittant leurs usines d’habillement tard le soir, tandis que des travailleuses du même secteur au Bangladesh expliquent que travailler aussi longtemps, et rentrer au foyer aussi tard que deux heures du matin, peut provoquer la suspicion et des attitudes menaçantes de la part de maris ou de parents masculins « en particulier quand leurs employeurs – cherchant à dissimuler les preuves d’une telle surexploitation – pointent leur […] carte de travail de sorte à afficher qu’elles quittent l’usine à 18h [20]. »

Comment comprendre cette anxiété si diffuse autour de la sexualité des femmes, qui est devenue la véritable ombre portée du néolibéralisme dans tous les domaines ? En un sens, c’est le résultat d’une vaste marchandisation de la sexualité, mais je voudrais suggérer que de telles anxiétés sont le reflet de mécanismes plus profonds liés à la discipline de travail et à la violence sociale.

Surveiller et punir dans les Export Processing Zones

Pour mieux évaluer les infamies de la discipline de travail en régime néolibéral, faisons un pas en arrière : revenons sur l’insistance que nous avions portée au début sur le capitalisme en tant que totalité socioéconomique unifiée. Si l’on ne comprend pas la nature mondiale et systémique des stratégies du capital, nos résistances contre lui resteront fragmentaires et incomplètes. Ainsi, les parties du globe où le capital semble moins dominer économiquement doivent être envisagés selon les mêmes critères d’analyse que ceux des économies capitalistes des pays du Nord. Comme David McNally l’affirme :

  • nous occultons une grande partie […] du scénario qui se déroule sous nos yeux si nous faisons l’impasse sur l’expansion phénoménale, sur toute la période néolibérale, des grandes économies est-asiatiques, qui ont bénéficié d’une croissance trois à quatre fois plus élevée que celle du centre économique capitaliste plus classique [21].

Les économies extérieures aux pays du centre économique jouent donc un rôle essentiel dans le processus global d’accumulation du capital. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible de parler de violence sexiste et de discipline de travail sans évoquer les Export Processing Zones (EPZ) – une conséquence unique et particulière de l’ordre néolibéral –, dont le lieu d’élection est en grande partie le Sud mondial.

L’instrumentalisation d’une force de travail féminine dans des « zones économiques spéciales », libérées de tout droit du travail par rapport au pays dans lequel elles sont mises en œuvre, a d’abord été tentée en Corée du Sud à l’occasion de son « miracle économique ». L’économiste Alice Amsden prétend que la clé du succès de la Corée du Sud a trait à l’écart salarial entre le travail féminin et le travail masculin [22]. Ces zones sont la réplique macabre du foyer domestique en régime capitaliste. Comme le foyer, il s’agit d’espaces privés, fermés à toute investigation sociale ou étatique, produisant des objets emblématiques du social provisioning (habillement, chaussures, aliments conditionnés, jouets), avec un travail prioritairement féminin, et qui sont le théâtre occulte d’une violence latente.

Les femmes travaillant dans les EPZ sont victimes de violences verbales diffuses, d’heures supplémentaires impayées, de harcèlement sexuel, de rapports sexuels contraints et de violences physiques. Les femmes qui souhaitent y être employées ont été forcées à subir des examens de santé, et notamment des examens de grossesse, examinées nues et interrogées, « avez-vous un petit ami ? », « à quelle fréquence avez-vous des rapports sexuels ? » Au Kenya plus de 40 EPZ employant plus de 40 000 travailleurs et travailleuses produisent près de 10 % des exportations du pays. Dans un contexte de concurrence face à l’emploi entre hommes et femmes, ces dernières sont fréquemment contraintes d’avoir des rapports sexuels – malgré les risques de transmission du VIH – pour être sûres d’être embauchées. L’International Labor Rights Fund a montré que 95 % des femmes kenyanes subissant des harcèlements au travail ne portent pas plainte ; les femmes travaillant dans les EPZ représentaient 90 % de la population de femmes étudiée dans ce rapport.

À Lesotho, les femmes des EPZ sont elles aussi fréquemment soumises à des fouilles au corps complètes, pour vérifier qu’elles n’ont rien volé sur leur lieu de travail, y compris jusqu’à leur demander de retirer leurs serviettes hygiéniques pendant qu’elles ont leurs règles. Aux abords des États-Unis, les usines maquiladoras sont les lieux d’une violence des plus brutales contre les femmes. Ces EPZ, mises en place dans le cadre des Accords de libre échange nord-américains (ALENA) en 1992, se trouvent à Ciudad Juarez à la frontière entre Mexico et les États-Unis. Depuis 1993, plus de 400 femmes travaillant dans ces EPZ ont soit « disparu » soit été assassinées, donnant à Ciudad Juarez le titre de « capitale du féminicide ». En 2003, les EPZ de 116 pays ont employé plus de 43 000 000 de personnes. Ces chiffre sont plus élevés encore aujourd’hui [23].

Le contrôle de la sexualité et le contrôle du travail sont donc les deux maillons inséparables d’une discipline qui contraint les franges les plus vulnérables du monde du travail. Mais qui est l’agent de ce contrôle ? Il est nécessaire de répondre à cette question complexe en distinguant bien les enjeux. Il faut d’abord relever que les salariés masculins ne sont en rien innocents dans ce processus. Une étude commandée par l’International Labor Rights Fund au Kenya a pu montrer que 70 % des hommes interrogés considéraient le harcèlement des travailleuses femmes comme un comportement « normal et naturel » [24]. Dans son étude désormais classique des travailleuses des maquiladoras, Maria Fernanddez-Kelly a réellement pris en considération les craintes diffuses autour de la sexualité des femmes à Juarez, et tisse un lien entre ces différentes paniques morales et la visibilité de plus en plus nette des femmes dans l’espace public. Dans la mesure où le travail salarié procurerait aux femmes un certain degré d’indépendance financière, travailler dans cette industrie, selon Fernandez-Kelly, constituerait pour le regard social une menace aux formes « traditionnelles » de l’autorité des hommes. Les craintes suscitées par cette remise en cause potentielle du contrôle social se « manifestent explicitement, bien que de façon incohérente », par des discours pointant du doigt l’intimité trop grande des femmes entre elles [25]. Nous aurons l’opportunité de mieux conceptualiser ce recours précis à la « tradition » dans la suite de cet article.

S’il convient d’affirmer que les hommes exercent un contrôle sur le temps et la sexualité des femmes prolétaires, ces derniers exercent ce pouvoir selon des règles édictées par le capitalisme. Comme Hester Eisenstein le montre, là où le travail est très mal payé, les femmes reçoivent un « salaire de femme » mais les hommes ne reçoivent pas ce qu’on pourrait appeler un « salaire d’homme » nettement plus élevé [26]. En 2003, le Business Week a publié sur le cas d’un certain Michael A. McLimans, qui travaille comme livreur motorisé pour Domino’s Pizza et Pizza Hut. Sa femme est réceptionniste dans une entreprise hôtelière. Ensemble ils « parviennent à obtenir dans les $40 000 par an – bien loin des $60 000 que le père de Michael, David I. McLimans, gagnait en étant un salarié de la métallurgie avec de l’ancienneté [27]. »

Les travaux de Leslie Salzinger sur les maquiladoras fournissent une explication remarquable et détaillée des raisons qui font de cette féminisation de la force de travail l’une des stratégies les plus efficaces de la discipline de travail du capital néolibéral. Salzinger tente de rendre compte de « l’image » diffuse de ce qu’elle appelle la « féminité productive » – c’est-à-dire « la représentation d’une femme “docile et habile” au travail » en tant que figure de prédilection et incarnation du travail orienté vers l’exportation. Salzinger montre que, tandis que ce lieu commun de la féminité productive semble s’appliquer sans souci à la main d’œuvre particulièrement genrée des maquiladoras, les maquilas ont toujours embauché une forte minorité d’hommes : cela conduit l’autrice à ne pas envisager la féminité productive comme un concept nécessairement lié au sexe de la main d’œuvre mais comme une discipline des corps agressive, affectant les hommes et les femmes de différentes manières, dans le but de constituer une armée de réserve « dédiée aux maquilas » [28].

Si les hommes de la classe ouvrière préfèrent garder des bas salaires plutôt que d’accepter le « travail des femmes » et se solidariser avec les femmes travailleuses, est-ce donc le patriarcat qui unit les hommes dans une conjuration silencieuse des dominants ? Peut-on parler d’une même fraternité masculine ? La suite de notre argumentation consistera à porter un regard neuf sur les questions « d’honneur » et de « tradition » qui apparaissent souvent parmi les justifications de la violence sexiste.

L’invention de la tradition

Un homme égyptien originaire de Borg Meghezel, une petite ville de pêcheurs de la vallée du Nil, a répondu à un questionnaire de la Banque mondiale par une explication matérialiste des violences faites aux femmes :

  • Les revenus trop faibles ont une grande influence sur les rapports hommes-femmes. Ma femme me réveille parfois le matin en me demandant cinq livres, et si je ne les ai pas, je déprime et quitte le domicile conjugal. Et dès mon retour, nous commençons à nous disputer [29].

Il va sans dire que cette partie de la vallée du Nil est en proie à une crise de l’eau depuis les empiétements de la Banque mondiale dans la région. Un homme originaire du Ghana a posé le problème de façon encore plus brutale :

  • C’est à cause du chômage et de la pauvreté que la plupart des hommes de la communauté battent leurs femmes. Nous n’avons pas l’argent pour prendre soin d’elles [30].

Dans ces témoignages directs et francs, on est confronté à la violence dans sa chronologie précise, et on se retrouve de nouveau accablé par une série de questions. Dès lors que l’on a évoqué le contexte des violences, comment les foyers et les communautés basées sur la subsistance sont-ils systématiquement dépossédés et privés de ressources ? Et alors que ce processus rend certainement compte des conditions de possibilité de la violence, nous sommes confronté⋅e⋅s au problème suivant : comment rendre compte de la rationalité historique des agresseurs ? Il n’est pas suffisant de dire que les hommes prolétaires rentrent à la maison après avoir été licenciés, trouvent un avis d’expulsion au lieu d’un bon repas chaud, et commencent alors à battre leur femme. Cette description en effet, bien qu’elle ait une certaine véracité à propos des événements liés à la crise, pose plus de questions qu’elle n’en résout. Par exemple, pourquoi les femmes de la classe ouvrière ne rentrent-elles pas à la maison pour battre leurs maris, à partir du moment où les licenciements sont loin d’être l’apanage des hommes et qu’en réalité plus de femmes que d’hommes ont perdu leur emploi pendant la récession ?

Il n’y a pas de véritable rationalité dans les violences faites aux femmes, et pourtant, les êtres humains sont capables de rationaliser ces actes pour eux-mêmes, y compris au moins a minima comme un comportement funeste mais signifiant. L’idéologie capitaliste cherche à donner du sens à ces violences de deux façons élémentaires :

Une première manière consiste à s’appuyer sur les idées sexistes de la division du travail genrée au sein de la famille. Malgré le fait qu’une vaste majorité de ménages ont besoin que les hommes et les femmes aillent effectuer un travail rémunéré en dehors du foyer, les attentes sexistes envers les femmes continuent à leur demander de prendre soin du domicile conjugal. Les raisons à cela sont complexes et ont suscité des discussions riches dans le marxisme. Pour répondre à notre problème, il faut noter que du point de vue de cet aspect du sexisme, si les femmes ont la responsabilité d’assurer l’accès de leur foyer au produit social, elles sont aussi tenues pour responsables de toute lacune dans cet approvisionnement.

Une deuxième manière dont les idées sexistes se donnent une légitimité consiste à en appeler à la tradition. C’est en quelque sorte une vieille astuce du capital. Dès 1852, Karl Marx explique que quand la bourgeoisie souhaite trouver une justification :

  • ils évoquent craintivement les esprits du passé, [ils] leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté. C’est ainsi que Luther prit le masque de l’apôtre Paul, que la Révolution de 1789 à 1814 se drapa successivement dans le costume de la République romaine, puis dans celui de l’Empire romain [31] […]

Ce « langage emprunté » dont parle Marx, trouve par ailleurs un usage bien spécifique. La plupart du temps, il se manifeste sous les oripeaux d’idéologies occultant les divisions de classe et accentuant ce que Benedict Anderson a appelé « une camaraderie horizontale [32] ». Les nations sont par exemple représentées comme étant dénuées de divisions de classe et les communautés religieuses dépeintes comme des groupes homogènes dans lesquels tous les membres ont des intérêts similaires, à l’exclusion de la classe. De façon comparable dans le cas du sexisme, de telles idées partent de l’hypothèse d’une fraternité masculine (probablement allant contre une sororité commune de toutes les femmes) qui dénie l’existence réelle de rapports de classe et d’exploitation entre les hommes. En quoi cette référence à une communauté mythique des hommes peut servir à justifier les violences faites aux femmes ? Il faut porter son attention sur les appels à la tradition et à la filiation dans le contexte des violences misogynes et des « crimes d’honneur ».

La pratique des crimes d’honneur, quand un parent assassine une femme accusée d’avoir dégradé l’honneur de la famille, a donné beaucoup d’eau au moulin impérialiste. Les racistes se servent des crimes d’honneur comme de preuves de l’arriération intrinsèque de tous les musulmans. Une source d’information sioniste a récemment titré l’une de ses principales tribunes, « Soyons honnêtes : les crimes d’honneur en Occident sont perpétrés par des musulmans [33]. » Et de la même manière, ces violences sont instrumentalisées pour justifier les interventions impérialistes occidentales au Moyen-Orient au nom de la libération des femmes.

Mais quelle explication donner aux crimes d’honneur ? Car il est indéniable que ceux-ci sont commis dans des familles le plus souvent non blanches et souvent originaires d’un certain nombre de pays du Sud.

Selon l’Organisation de défense des droits des femmes iraniennes et kurdes (IKWRO), plus de 2800 cas de violences « liées à un problème d’honneur » ont été signalés en Grande-Bretagne en 2010. Les chiffres de la police suggèrent une progression de 47 % depuis 2009.

La journaliste du Guardian, Fareena Alam, propose une analyse accablante mais matérialiste de ces meurtres. En 2004, elle écrivait avec justesse que 1°) « Les crimes d’honneur ne sont pas un problème “musulman” » et 2°) « Les crimes d’honneur n’ont pas de rapport avec la religiosité [34]. » Par contraste avec ce type d’explications, elle insiste sur le fait que « beaucoup des familles immigrées, y compris la mienne, sont restées très en lien avec des parents “restés là-bas”. » C’est un lien enrichissant qui procure un « filet de sécurité dans une société hostile. » Alam est pourtant loin de se faire des illusions sur ce type de réseaux :

  • Trop souvent ces réseaux familiaux sont sexistes, étouffent les moindres oppositions et requièrent une loyauté sans borne […] Les jeunes hommes sont autorisés à mener une vie sociale relativement à l’abri des regards – socialiser, boire et courir les femmes. La responsabilité des femmes est d’être les garantes de l’honneur familial, qui se rapporte lui-même au statut social et à la mobilité ascendante. Le simple soupçon d’un comportement impropre – comme le fait d’être vue avec un homme en dehors du réseau de la famille – peut dégrader la réputation d’une femme et conséquemment l’honneur de la famille […] Les crimes d’honneur ne sont ni seulement une thématique hommes-femmes ni une aberration individuelle. Ils sont le symptômes de ce que les familles immigrées ont dû faire pour s’intégrer à une urbanisation aliénante. Dans les villages « là-bas », la sphère de contrôle des hommes était plus large, avec de forts appuis et soutiens systématiques […] Des efforts déçus de reprendre le contrôle peuvent avoir des conséquences désastreuses – suffisamment funestes pour susciter l’incroyable rage nécessaire pour décider de tuer ses propres congénères [35].

De notre point de vue, il faut retenir les analyses d’Alam sur la perception de perte de contrôle qu’ont les hommes comme déclencheur des violences. Si les crimes d’honneur peuvent être considérés comme des exemples extrêmes, un large spectre de violences sexistes semble être perpétué au nom de la perte d’une autorité masculine « traditionnelle ».

Une étude publiée par le British Medical Journal en 2012 a mis en évidence que les taux de suicide en Europe ont fortement progressé de 2007 à 2009, au moment où la crise financière faisait grimper le chômage et cassait les salaires. Les pays les plus sévèrement touchés par ces violents ralentissements économiques, tels que la Grèce ou l’Irlande, ont observé les hausses les plus brutales. En Grande-Bretagne, les hommes sont trois fois plus susceptibles de commettre un suicide que les femmes. L’étude en conclut qu’« une grande partie de l’identité et du sens que donne la population masculine a sa vie est connectée au fait d’avoir un emploi en tantque source de revenu, de statut social et d’importance [36] […] » En 2011, le Time Magazine faisait écho à l’opinion que les rôles « traditionnels » des hommes ont été déstabilisés par la récession, produisant une montée des phénomènes de dépression dans la population masculine :

  • C’est que les hommes sont culturellement envisagés comme les premiers soutiens de famille, et l’un des facteurs de risque principaux de la dépression dans la population masculine dépend le plus souvent de ce rôle-là [37].

Le terme opérant dans ce contexte est celui d’être « culturellement envisagé » pour assouvir un certain rôle. Tous ces rapports et études indiquent que, bien que les hommes n’aient pas toujours historiquement été les principaux soutiens de famille, la population masculine croît ou attend d’elle-même de remplir ce rôle.

Aux États-Unis, comme dans le reste des pays industrialisés, la vérité est que, de plus en plus les hommes et les femmes font un travail salarié pour subvenir aux besoins de leurs foyers ; et les hommes et les femmes effectuent du travail domestique. Les plus récentes enquêtes étatsuniennes sur l’emploi mettent en évidence le fait que les femmes sont les principaux soutiens de 40 % des familles – une grande majorité d’entre elles sont des mères célibataires et des non-Blanches. Il faut présenter ces données en les accompagnant des chiffres de la participation des hommes aux tâches ménagères dans 20 pays industrialisés sur la période 1965-2003, qui indiquent bien une progression de cette contribution masculine.

La même chose se vérifie au sujet de la contribution des pères au sein du foyer. La sociologue Francine Deutsch a enregistré une contribution des pères, en termes d’heures consacrées aux enfants, plus élevée dans le cas des hommes de classes populaires que dans celui des cadre [38]. Selon une enquête de 2011 menée auprès de 963 pères salariés en col-blanc d’entreprises faisant partie du classement Fortune 500, 53 % d’entre eux prétendent qu’ils préféreraient être des parents dédiés au foyer conjugal si leur famille pouvait ne dépendre que du salaire de leur épouse [39]. Tandis que les élites reprochent aux hommes non blancs d’abandonner leurs familles, une étude l’American Psychological Association et l’Institut national de la santé infantile et du développement humain réfutent cette mystification raciste :

  • Les pères au revenu faible, issus de minorités, divorcés qui ont un travail et un bon niveau d’éducation sont plus susceptibles d’être aux côtés de leurs enfants. […] Les hommes africains-américains sont plus susceptibles de s’occuper, de nourrir et de cuisiner pour leurs enfants que les pères blancs ou hispaniques.

Certaines données ethnographiques ont révélé qu’un fort soutien financier paternel (en argent ou en nature) est probablement invisible du point de vue des mesures de l’économie formelle [40].

Voilà effectivement un bien étrange phénomène. Alors que la réalité matérielle pour la plupart des hommes est que les deux membres du couple d’une même famille travaillent pour des salaires de plus en plus faibles et de plus en plus longtemps, les rôles sociaux de genre semblent fondés sur le modèle mythique de l’heureuse épouse qui fait la cuisine en attendant le retour de son mari. Si la grande majorité des femmes travaillent dans des maquiladoras, à Wal-Mart et Starbucks, ou font des ménages pour les plus riches, alors qui servent les rêves que propagent ces images en carton de la féminité ? Nous devons examiner avec rigueur ces images en carton car, à partir du moment où l’on peut retracer leur véritable provenance, il est possible de saisir les liens entre la justification des violences sexistes et la combinaison des conditions matérielles et des idéologies du genre.

La juriste Joan C. Williams fait une observation importante sur la masculinité prolétarienne dans son travail récent sur les relations entre le genre et la classe en Amérique. Selon Wiliams, le genre fonctionne comme « une importante “blessure de classe dissimulée” » qui s’exprime dans « le sentiment d’inaptitude que ressentent les hommes de la classe ouvrière quand ils peuvent de moins en moins remplir leur rôle de soutien de famille [41]. » Il vaut la peine de citer tout le passage où Williams décrit la façon dont cette inaptitude ressentie se joue dans les termes de la classe :

Pour deux brèves générations dans l’après-guerre, cet idéal des deux sphères séparées s’est démocratisé. Mais aujourd’hui, l’accomplissement de l’idéal du soutien de famille est de nouveau un privilège de classe.

  • Dans la mesure où ce modèle de famille dual, avec un soutien de famille d’un côté et une ménagère de l’autre, est un marqueur du statut de la classe moyenne depuis les années 1780, parvenir à remplir ces rôles est vu comme un enjeu vital par les familles des classes populaires […] Les performances de genre conventionnelles sont donc, pour le dire brièvement, des performances de classe [42].

La chronologie adoptée par Williams, pour rendre compte du moment où le modèle « dual » est devenu impossible à assumer par la classe ouvrière, correspond exactement à la chronologie de Neil Davidson sur la mise en place d’un ordre néolibéral. Les rôles de soutien de famille et de ménagère et les rôles de genre qui en découlent, n’ont jamais été une tradition prolétarienne, pour commencer, mais ont été prêtés à la classe ouvrière par le capital. La force d’un tel modèle a précisément la capacité de a) effacer les différences de classe réellement existantes en proposant une fraternité masculine universelle et b) diviser les classes populaires sur des clivages de genre en faisant peser des attentes genrées irréalistes sur les hommes comme sur les femmes – des attentes qui doivent nécessairement être déçues par le cours réel des choses.

Revenons maintenant à notre image en carton. La femme idéale de la famille idéale, qu’on la voie préparer un dîner parfait à New York ou à New Delhi, est en réalité la combattante d’une classe. Sa famille idéale est une relique conservée des temps immémoriaux des heures glorieuses du capital, un temps où les hommes seront toujours des hommes, les syndicats seront toujours invisibles et les esclaves ou castes subalternes devront toujours apporter le coton pour la maison du maître.

Les voies de la résistance

Dans la crise actuelle du capitalisme, le genre est une arme idéologique essentielle pour dissimuler les lignes de fractures de classe. La montée des figures autorisées qui excusent le viol, l’avalanche de décrets et de lois qui s’attaquent aux droits reproductifs et aux droits des personnes LGBTQ, le slut shaming, l’accusation portée sur les victimes de violences, tous ces éléments sont les différentes façons de réorganiser la féminité et réinvoquer la mythique famille duale du soutien de famille et de la ménagère, alimentant des attentes genrées et des modèles irréalistes pour les hommes et les femmes de la classe ouvrière.

Comment combattre les valeurs familialistes du capitalisme ? Pour conclure, il vaut la peine d’examiner les défis auxquels nous sommes confronté⋅e⋅s aujourd’hui pour régénérer notre analyse marxiste de la société et du monde actuel.

Il y a principalement trois défis interdépendants que nous avons à traverser aujourd’hui en tant que militant⋅e⋅s révolutionnaires : 1°) comprendre la nature précise du capitalisme comme système de production ; 2°) identifier le sujet de la transformation révolutionnaire du système ; et 3°) déterminer la nature de ce processus de transformation – qu’est-ce qui initie ce changement, quels sont les lieux qu’il investit, etc. Répondre à ces trois questions doit nous aider à déterminer si l’on peut et comment changer la trajectoire du genre dans le monde actuel.

Le néolibéralisme comme nouvelle manière d’organiser l’accumulation du capital est en place depuis déjà un certain temps. Mais il est nécessaire de clarifier l’ampleur et les limites de cette nouveauté. Nous devons aussi bien débattre des nouvelles formes d’arrangement économiques et de rapports sociaux que la nouvelle configuration du capital nous a imposées, que de souligner les continuités importantes qui demeurent entre une configuration et une autre. L’économie néolibérale, bien qu’ayant des manifestations nationales assez variées, n’a pas vocation à faire naître un capitalisme entièrement nouveau, mais plutôt un ensemble de tentatives hétérogènes, initialement expérimentales puis systématisées, de la part des classes dominantes pour surmonter la crise de rentabilité que doit périodiquement affronter le capitalisme. En d’autres termes, et contrairement à ce qu’en disent certains chercheurs et certaines chercheuses, il ne s’agit pas d’un nouveau capitalisme mais plutôt d’une nouvelle forme par laquelle le capitalisme s’évertue à recouvrir et maintenir ses profits. Cela signifie que les intuitions fondamentales du marxisme classique sur la nature du système capitaliste sont toujours valables, tout comme ses hypothèses sur la manière de combattre ce système – c’est-à-dire par l’auto-activité de la classe ouvrière.

Comme nous l’avons vu tout au long de ce texte, l’une des dimensions clés du triomphe du néolibéralisme a été et demeure une offensive victorieuse et genrée sur la classe ouvrière du monde entier. En fin de compte, c’est un ordre qui s’est construit avant tout par des défaites de notre camp, dont les plus spectaculaires ont été celles des contrôleurs aériens aux États-Unis (1981), des mineurs en Inde (1982) et des mineurs en Grande-Bretagne (1984-1985) [43]. Les syndicats, qui demeurent l’une, sinon la seule, des formes d’organisation du prolétariat et de ses outils pour combattre, continuent d’être l’objet des attaques néolibérales. Mais la longue histoire des défaites et les rares exemples de contre-offensives victorieuses par le monde du travail dans la même période ont conduit certains chercheurs à remettre en question la centralité de la classe ouvrière dans le changement social et à mettre en doute le fait que les travailleurs et les travailleuses aient encore la capacité de briser ce système et de construire une nouvelle société. Par contraste, beaucoup ont cherché le nouveau sujet révolutionnaire dans des collectivités plus amorphes – la plus fameuse étant la notion de multitude forgée par Negri et Hardt [44].

Entre temps, le printemps arabe et le mouvement Occupy aux États-Unis ont mis sur la table une autre remise en question potentielle du marxisme classique, cette fois sur le lieu privilégié de la lutte. Dans la mesure où les mouvements des places – en Espagne, à Tahrir, au parc de Zucotti, et plus récemment le parc de Gezi – ont été les luttes les plus militantes et massives des dernières années, il est tout à fait compréhensible que beaucoup considèrent que la forme politique de mouvements urbains représente un nouveau et meilleur chemin pour renverser le capitalisme, en lieu et place des grèves et de l’agitation des travailleurs et des travailleuse sur le lieu de production [45].

La tâche du marxisme n’est pas de jouer les devins. Il ne s’agit pas de prévoir où la prochaine étape de la lutte aura lieu, ni de dire à l’avance quelle lutte particulière prendra une forme généralisée et s’attaquera au système. Dans le cas de la Grande-Bretagne thatchérienne, le combat le plus attendu était celui des mineurs, précisément sur le lieu de travail. Mais tandis que la lutte des mineurs s’est soldée par un échec, un mouvement plus inattendu, cette fois extérieur au lieu de travail – les émeutes contre la poll tax – ont eu un impact beaucoup plus grand sur le régime de Thatcher. La force des concepts autour de la reproduction sociale est dans leur capacité à comprendre le capitalisme comme un système unitaire où production et reproduction, bien que situées dans des sphères séparées spatialement, sont dans le cours réel des choses totalement interdépendantes. Comme l’affirme Miriam Glucksman, « la nécessité d’analyser chaque pôle de ces deux termes de façon autonome ne doit pas nous faire oublier que leur spécificité se comprend à partir de leur relation mutuelle et de la structure totalisante qui les intègre tous les deux [46]. » À l’heure où nous entendons reconstruire et renforcer nos organisations pour résister à l’ordre néolibéral – qu’il s’agisse des syndicats ou d’organisations marxistes révolutionnaires – nous devons garder à l’esprit cette unité de la production et de la reproduction. Le syndicat des enseignant⋅e⋅s de Chicago (CTU) applique un syndicalisme axé sur la justice sociale dont les principes doivent nous inspirer et être repris plus largement, car c’est justement cette intuition sur la reproduction qu’il tente de mettre en pratique. La grève des enseignant⋅e⋅s de Chicago menée par le CTU n’était pas seulement une grève pour obtenir de meilleures conditions de travail pour les membres du syndicat. La grève s’est construite de manière à relier des questions plus larges au-delà du lieu de travail – les politiques racistes de fermetures des écoles, la situation économique des élèves et de leurs familles, l’histoire urbaine – avec les questions posées au sein du lieu de travail, comme les salaires ou les avantages des enseignant⋅e⋅s [47].

Le combat pour des centres d’aides pour les victimes de viol beaucoup plus accessibles ne peut dès lors pas être séparés de la défense des services publics qui facilitent la répartition du produit social et de nos combat pour de meilleurs salaires et la justice reproductive. Mais la victoire finale contre l’injustice du genre sera remportée quand nous nous rebellerons contre la tyrannie fondamentale du capital qui vole notre travail pour faire des profits. La bataille peut démarrer partout dans la société, mais elle devra être victorieuse sur le lieu de travail, sur nos lieux de travail et sur les barricades, là où par l’unité des trajectoires de nos luttes spécifiques nous pourront faire le fameux saut « à l’air libre de l’histoire [48]. »

Tithi Bhattacharya

 

Ce texte a été initialement publié en anglais dans le n° 91 de International Socialist Review. Traduction de Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem avec l’aimable autorisation de l’autrice.

Source la version française : revueperiode.net via le CADTM

illustration : http://trasvorder.tumblr.com/

Notes :

[1Je souhaite remercier ici Snehal Shingavi, Ashley Smith et Bill V. Mullen pour leurs précieux commentaires sur les premières versions de ce texte

[2Nancy Fraser, Fortunes of Feminism (London : Verso, 2013), p. 218.

[3Neil Davidson, « The Neoliberal Era in Britain : Historical Developments and Current Perspectives », International Socialism, n° 139, Juillet 2013.

[4Ibid.

[5Cité in Ibid.

[6Meg Luxton, “Feminist Political Economy in Canada and the Politics of Social Reproduction,” in Kate Bezanson, Meg Luxton (coord.), Social Reproduction : Feminist Political Economy Challenges Neo-Liberalism, McGill-Queens University Press, Toronto, 2006, p. 36.

[7Lise Vogel, « Domestic Labor Revisited », Science and Society, vol. 64, n°2, été 2000, p. 156.

[8Cité in Davidson.

[9Meg Luxton, “Feminist Political Economy in Canada and the Politics of Social Reproduction,” in Kate Bezanson, Meg Luxton eds, Social Reproduction : Feminist Political Economy Challenges Neo-Liberalism (Toronto : McGill-Queens University Press, 2006), p. 36.

[10Sarah Boseley, “One in Three Women Suffers Violence, Global Study Finds,” Guardian (UK), June 20, 2013.

[11Sadie Robinson, « What Causes Rape ? », Socialist Worker [UK], 7 Juin 2011.

[12Je tiens à remercier Colin Barker et Phil Gasper pour avoir évoqué cet argument lors de notre échange.

[13Claire M. Renzetti & Vivian M. Larkin, « Economic Stress and Domestic Violence, » rapport du National Resource Center on Domestic Violence, 2011.

[14Stephanie Armour, « Foreclosures Take an Emotional Toll on Many Homeowners », USA Today, 16 mai 2008.

[15Christina Hoag, « 6 Die in Family Murder-Suicide in Los Angeles, » USA Today, 7 Octobre 2008. Le New York Times a rapporté cette actualité avec le titre bien choisi « Man Kills His Family and Himself Over Market. » Voir Rebecca Cathcart, « Man Kills His Family and Himself Over Market », New York Times, 7 octobre 2008.

[16Kate Bezanson and Meg Luxton, eds., Social Reproduction : Feminist Political Economy Challenges Neo-Liberalism(Toronto : McGill-Queen’s University Press, 2006), p. 5.

[17Rapport de la banque mondiale de 2003, cité in Marianne Fay, Lorena Cohan, & Karla McEvoy, « Public Social Safety Nets and the Urban Poor », in Marianne Fay ed., The Urban Poor in Latin America (Washington D.C. : The World Bank, 2005), p. 244.

[18Susan Thistle, From Marriage to the Market : The Transformation of Women’s Lives and Work (Berkeley : University of California Press, 2006), p. 110, p. 112.

[19Andrew MacAskil, « Delhi Rape Victims Are to Blame, Defendants’ Lawyer Says », Bloomberg News, 10 janvier 2013. Voir aussi mon article dans le Socialist Worker [US], du 10 janvier 2013.

[20Kate Raworth, Trading Away Our Rights : Women Working in Global Supply Chains (Oxford : Oxfam Publishing, 2004), p. 28.

[21David McNally, Global Slump : the Economics and Politics of Crisis and Resistance (Oakland : PM Press, 2011), p. 37.

[22Alice H. Amsden, Asia’s Next Giant : South Korea and Late Industrialization (New York : Oxford University Press, 1989), p. 204.

[23Pour plus de détails, voir Jacqui True, The Political Economy of Violence Against Women (New York : Oxford University Press, 2012).

[24Regina G. M. Karega, Violence Against Women in the Workplace in Kenya : Assessment of Workplace Sexual Harassment in the Commercial, Agriculture and Textile Manufacturing Sectors in Kenya, International Labor Rights Fund, 2002.

[25Maria Patricia Fernandez-Kelly, For We Are Sold, I and My People : Women and Industry in Mexico’s Frontier (Albany : State University of New York Press, 1983), p. 141.

[26Hester Eisenstein, Feminism Seduced : How Global Elites Use Women’s Labor and Ideas to Exploit the World (Boulder, London : Paradigm, Publishers, 2009), p. 151.

[27« Waking Up From The American Dream », Business Week, 30 novembre 2003.

[28Leslie Salzinger, Genders in Production : Making Workers in Mexico’s Global Factories (Berkeley : University of California Press, 2003), p. 10.

[29Deepa Narayan et al., Voices of the Poor Crying Out for Change, publié par Oxford University Press pour la Banque mondiale (New York : Oxford University Press, 2000), p. 110.

[30Ibid, p. 123.

[32Benedict Anderson, Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism (Londres & New York : Verso, 2006), p. 50.

[33« Let’s Admit It : Honor Killings in the West is by Muslims », tribune, Israel National News, 3 février 2012.

[34Fareena Alam, « Take the Honor out of Killing », The Guardian, juillet 2004.

[35Ibid.

[36Kate Kelland, « Study links British recession to 1,000 suicides », Reuters, 15 août 2012.

[37Alice Park, « Why the Recession May Trigger More Depression Among Men », Time Magazine, 1e mars, 2011

[38Francine Deutsch, Halving It All : How Equally Shared Parenting Works (Cambridge, MA : Harvard University Press, 1999), p. 180–94.

[39B. Harrington, F. Van Deusen, and B. Humberd, The New Dad : Caring, Committed and Conflicted (Chestnut Hill : MS : Boston College Center for Work and Family), 2011.

[40« The Changing Role of the Modern Day Father », Report of the American Psychological Association, 2012.

[41Joan C. Williams, Reshaping the Work-Family Debate : Why Men and Class Matter (Cambridge, MA : Harvard University Press, 2010), p. 59, p. 158.

[42Ibid.

[43Paul Volcker, qui a introduit le néolibéralisme aux États-Unis, a explicité ce lien entre la mise en place du néolibéralisme et le démantèlement des syndicats. « La plus importante action de l’administration [Reagan] pour combattre l’inflation a été de briser la grève des contrôleurs aériens », cité in David McNally, op. cit., p. 35.

[44Pour une critique de Negri et Hardt, voir Tom Lewis, « Empire Strikes Out », International Socialist Review, n° 24, 2002

[45David Harvey représente probablement la plus enthousiaste et créative approche de ces mouvements qui résistent à la « dépossession ». Voir Rebel Cities : From the Right to the City to the Urban Revolution (London : Verso, 2013). Pour une critique charitable du travail de Harvey, on peut écouter l’enregistrement audio de Geoff Bailey, « Accumulation by Dispossession » sur WeAreMany.org.

[46Miriam Glucksman, Women Assemble : Women Workers and the New Industries in Inter-War Britain (London : Routledge, 1990), p. 258.

[47Voir Lee Sustar, Striking Back in Chicago : How Teachers Took on City Hall and Pushed Back Education “Reform.,à paraître chez Haymarket

[48Walter Benjamin, « Theses on the Philosophy of History », in Illuminations : Essays and Reflections (New York : Schocken Books, 1969), p. 261.

 

Tithi Bhattacharya enseigne l’histoire à Purdue University. Son premier livre porte le titre de The Sentinels of Culture : Class, Education, and the Colonial Intellectual in Bengal et Social reproduction theory : remapping class, recentering oppression(Pluto press, 2017). Elle est membre du mouvement International Women’s Strike aux Etats-unis.

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Venezuela: 40 opposants veulent la présidence

juin 7th, 2019 by Alba Ciudad

Le journal étasunien The Washington Post a révélé mercredi le profond mécontentement du secrétaire d’État des États-Unis (USA) Mike Pompeo concernant l’opposition vénézuélienne dont il a dit qu’il a été « diablement difficile » de la garder unie. Il a affirmé qu’au cas où l’opposition prendrait le pouvoir, il y a « plus de 40 personnes » qui se croient « les successeurs légitimes » du président Nicolás Maduro. Les experts cités signalent que les opposants sont tellement éloignés les uns des autres qu’ils « ne se re-twittent même pas » entre eux.

The Washington Post a fait un reportage à partir d’un enregistrement audio de cette réunion.

Pompeo a aussi déclaré que maintenir la cohésion de l’opposition est un problème pour lui depuis le jour où il est devenu directeur de la CIA. Pour résoudre ce problème, le fonctionnaire a expliqué que le Gouvernement de Donald Trump cherche à soutenir des institutions religieuses pour « que l’opposition s’unisse. »

Il a aussi affirmé que consolider le soutien au député d’opposition Juan Guaidó que Washington reconnaît comme « président par interim » du Venezuela dans les rangs de l’opposition « a pris beaucoup de temps » aux États-Unis mais que la situation « continue à être faible. »

Les déclarations de Pompeo arrivent au moment même où divers agents de l’opposition vénézuélienne ont manifesté publiquement leurs différends, surtout après la seconde ronde de conversations en Norvège entre le Gouvernement et les envoyés de Guaidó.

Dans ce contexte, les nouvelles failles de l’opposition se focalisent sur le soutien ou non à d’éventuelles élections et même la reconnaissance ou la non reconnaissance du processus de dialogue à Oslo où les parties ont démontré leur « volonté d’avancer » pour trouver une solution à la crise qui comprend justement « le problème des élections » selon un communiqué du Gouvernement de Norvège.

Pompeo a aussi déclaré qu’il serait difficile de maintenir la droite au pouvoir au Venezuela même si Maduro était renversé :

D’autre part, il a déploré l’échec du coup d’État perpétré par l’opposition au mois d’avril dernier contre le Président Nicolás Maduro. Il reconnaît ainsi une fois de plus sa participation au coup d’État raté qui a fait 5 morts et provoqua plus de 200 arrestations.

Shannon O’Neil, une spécialiste du Venezuela au Conseil des Relations Extérieures interviewée par The Washington Post, a signalé que :

« Pompeo est le premier fonctionnaire de haut rang qu’elle a entendu être aussi sincère publiquement à propos de la faiblesse de l’opposition ».

Article original en espagnol : Pompeo muy molesto por divisiones de la oposición: Aseguró que 40 personas desean la Presidencia de Venezuela

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

Photo en vedette : Le secrétaire d’état américain Mike Pompeo à Berlin, Allemagne, le 31 mai 2019 (capture d’écran, source: Fabrizio Bensch / Reuters)

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Y-a-t-il une révolution au Vénézuela?

juin 7th, 2019 by Atilio A. Boron

Quelques voyages récents en Espagne et en Italie m’ont donné l’occasion de m’entretenir avec de nombreux intellectuels, universitaires et politiciens progressistes existant encore dans ces pays. Après avoir passé en revue la situation européenne inquiétante et l’avancée de l’extrême droite, mes interlocuteurs m’ont demandé de leur parler de l’actualité latino-américaine, car, m’ont-ils assuré, ils avaient du mal à comprendre ce qui s’y passait. J’ai commencé par passer en revue l’offensive brutale du gouvernement de Donald Trump contre le Venezuela et Cuba ; j’ai poursuivi en passant en revue l’involution politique malheureuse subie par l’Argentine et le Brésil aux mains de Macri et Bolsonaro et les vents encourageants de changement qui sont venus du Mexique ; le caractère central des prochaines élections présidentielles qui auront lieu en octobre en Argentine, en Bolivie et en Uruguay clôturant ainsi ce premier panorama de la politique régionale, dénonçant la perpétuation du terrorisme d’Etat en Colombie, avec un nombre choquant d’assassinats de dirigeants politiques et sociaux qui ont surpris mes interlocuteurs parce qu’ils étaient presque totalement ignorés en Europe, ce qui en dit long sur les médias déjà définitivement convertis en organes de propagande de droite et impérialiste. Lorsque je me suis arrêté pour donner des informations plus détaillées sur l’ampleur criminelle de l’agression perpétrée contre la République bolivarienne du Venezuela, surgissait, telle un coup de tonnerre, la question :  » peut-on vraiment parler d’une révolution au Venezuela ? »

Ma réponse a toujours été oui, bien qu’il faille la nuancer car les révolutions – et pas seulement au Venezuela – sont toujours des processus, jamais des actes consommés une bonne fois pour toutes. Impressionné par une visite à la Chapelle Sixtine pour contempler, une fois de plus, l’œuvre géniale de Michel-Ange, il m’est venu à l’esprit que pour beaucoup de mes interlocuteurs – et pas seulement européens – la révolution est quelque chose comme le peintre florentin a représenté la création des hommes ou des étoiles : Dieu, avec un geste, le sourcil froncé, un doigt qui montre un lieu et là est l’homme, là est Jupiter, là est la révolution ! Ce « créationnisme révolutionnaire » soutenu avec une ardeur religieuse même par les athées – qui à la place de Dieu installent l’Histoire avec un H majuscule, bien hégelienne – contraste avec l’analyse marxiste des révolutions qui à partir de Marx, Engels et Lénine ont toujours été interprétées comme des processus et jamais comme des éclairs divins qui, un jour tranquille, tournent irrémédiablement une page de l’histoire. Poursuivant l’analogie inspirée par la Chapelle Sixtine, on pourrait dire que contre le « créationnisme révolutionnaire », expression d’un idéalisme résiduel profondément anti-matérialiste, s’impose le « darwinisme révolutionnaire », c’est-à-dire une révolution conçue comme un processus continu et évolutif de changements et réformes économiques, sociaux, culturels et politiques qui aboutit à la création d’un nouveau type historique de société. En d’autres termes, la révolution est une longue construction dans le temps, où la lutte de classe est exacerbée jusqu’à l’inimaginable. Un processus qui remet en cause le déterminisme triomphaliste des « créationnistes » et qui a toujours une fin ouverte, car chaque révolution porte en son sein les germes de la contre-révolution, qui ne peut être neutralisée que par la conscience et l’organisation des forces révolutionnaires. Ce serait la conception séculière et darwinienne – c’est-à-dire marxiste – de la révolution, et non théologique. Et ce n’est pas trop, anticipant mes critiques habituels, de se rappeler que ce n’est pas par hasard que Marx a dédié le premier volume de Capital à Charles Darwin.

Les révolutions sociales sont donc des processus accélérés de changement dans la structure et aussi, ne l’oublions pas, dans la superstructure culturelle et politique des sociétés. Des processus difficiles, jamais linéaires, toujours soumis à d’énormes pressions et devant faire face à d’immenses obstacles de la part des forces intérieures mais surtout de l’impérialisme américain, gardien suprême de l’ordre capitaliste international. Cela s’est produit avec la Grande Révolution d’Octobre puis avec les révolutions en Chine, au Vietnam, à Cuba, au Nicaragua, en Afrique du Sud, en Indonésie, en Corée. L’image vulgarisée, malheureusement dominante dans une grande partie des militants et de l’intellectualité de la gauche, d’une révolution comme une flèche s’élevant en ligne droite vers le ciel du socialisme est d’une grande beauté poétique mais n’a rien à voir avec la réalité. Les révolutions sont des processus dans lesquels les confrontations sociales acquièrent une brutalité singulière parce que les classes et les institutions qui défendent l’ordre ancien font feu de tout bois pour avorter ou noyer dans leur berceau les sujets sociaux porteurs de la nouvelle société. La violence est imposée par ceux qui défendent un ordre social fondamentalement injuste et non par ceux qui luttent pour se libérer de leurs chaînes. Nous le constatons aujourd’hui au Venezuela, à Cuba et dans tant d’autres pays de Notre Amérique.

Cela dit, quelle a été ma réponse à mes interlocuteurs ? Oui, il y a une révolution en cours au Venezuela et la meilleure preuve en est que les forces de la contre-révolution se sont déchaînées dans ce pays avec une intensité inhabituelle. Une véritable tempête d’agressions et d’attaques de toutes sortes, qui ne peut être comprise que comme la réponse dialectique à la présence d’une révolution dans le processus de construction, avec ses contradictions inévitables. C’est pourquoi un test infaillible pour savoir si un processus révolutionnaire est en cours dans un pays est fourni par l’existence de la contre-révolution, c’est-à-dire d’une attaque, ouverte ou cachée, plus ou moins violente selon les cas, destinée à détruire un processus que certains « docteurs ès révolution » considèrent inoffensif, réformiste ou même pas. Mais les sujets de la contre-révolution et de l’impérialisme, comme leur grand chef d’orchestre, ne commettent pas de telles erreurs grossières et avec un certain instinct ils essaient par tous les moyens de mettre un terme à ce processus car ils savent très bien que, une fois franchie une mince ligne sans retour, le rétablissement de l’ancien ordre avec ses exactions, privilèges et prérogatives serait impossible. Ils ont appris de ce qui s’est passé à Cuba et ils ne veulent pas prendre le moindre risque. La révolution est-elle toujours inachevée au Venezuela ? Sans aucun doute. Elle fait face à des défis très sérieux en raison des pressions de l’impérialisme et de ses propres faiblesses, du cancer de la corruption ou de certaines politiques gouvernementales mal conçues et mal exécutées ? Sans aucun doute. Mais c’est un processus révolutionnaire qui tend vers une fin inacceptable pour la droite et l’impérialisme, et c’est pourquoi il est combattu avec fureur.

En Colombie, par contre, les forces de la contre-révolution agissent de concert avec le gouvernement pour tenter d’écraser la révolution naissante qui frémit de l’autre côté de la frontière. Ces forces visent-elles à renverser les gouvernements du Honduras, du Guatemala, du Pérou, du Chili, de l’Argentine, du Brésil ? Non, parce que dans ces pays il n’y a pas de gouvernements révolutionnaires et donc l’empire et ses pions ne ménagent pas leurs efforts pour soutenir ces gouvernements lamentables. Ils attaquent le Venezuela ?. Oui, et aussi durement que possible, en appliquant chacune des recettes des guerres de cinquième génération, parce qu’ils savent qu’une révolution s’y déroule. Et pourquoi tant de colère contre le gouvernement de Nicolas Maduro ? Facile : parce que le Venezuela possède la plus grande réserve de pétrole de la planète et est, avec le Mexique, l’un des deux pays les plus importants au monde pour les Etats-Unis, même si ses diplomates, son académie et ses « paniaguados » des médias rejettent avec moquerie cet argument. C’est fatigant de les combattre parce que ces gens remplissent simplement le rôle qui leur est assigné et pour lequel ils sont généreusement récompensés. Le Venezuela a plus de pétrole que l’Arabie Saoudite, et beaucoup plus d’eau, de minéraux stratégiques et de biodiversité. Et tout cela à trois ou quatre jours de navigation des ports américains. Et le Mexique a aussi du pétrole, de l’eau (surtout au Chiapas), de grandes réserves de minéraux stratégiques et, comme si cela ne suffisait pas, c’est un pays frontalier avec les États-Unis. Un empire qui se croit imprenable parce qu’il est protégé par deux grands océans mais qui se sent vulnérable par le sud, où une longue frontière de 3169 kilomètres est son talon d’Achille irrémédiable qui le place face à une Amérique latine en perpétuelle fermentation politique en quête de sa seconde et définitive indépendance. D’où l’importance absolument exceptionnelle que revêtent ces deux pays, une question qui est incompréhensiblement sous-estimée, même par la gauche. Et Cuba ? Comment expliquer les plus de soixante ans de harcèlement contre cette île rebelle héroïque ? Parce que depuis 1783, John Adams, deuxième président des Etats-Unis, affirmait dans une lettre de Londres (où il avait été envoyé pour rétablir des liens commerciaux avec le Royaume-Uni) qu’étant donné le grand nombre de colonies que la Couronne britannique possédait dans les Caraïbes, Cuba devait être annexée sans plus attendre afin de contrôler la porte d’entrée au bassin des Caraïbes. Cuba, enclave géopolitique exceptionnelle, est une vieille et maladive obsession américaine qui commence bien avant le triomphe de la Révolution cubaine.

Mais l’offensive contre-révolutionnaire ne s’arrête pas dans les trois pays mentionnés ci-dessus. C’est aussi contre le gouvernement d’Evo Morales en Bolivie, qui a réalisé une prodigieuse transformation économique, sociale, culturelle et politique, faisant de l’un des trois pays les plus pauvres de l’hémisphère occidental (avec Haïti et le Nicaragua) l’un des plus prospères de la région, selon des organisations comme la CEPAL, la Banque mondiale et la presse financière mondiale. Il a repris le contrôle de ses richesses naturelles, a sorti des millions de personnes de l’extrême pauvreté et il l’a fait avec Evo Morales, membre d’un de ces groupes ethniques autochtones qui est devenu président, un exploit historique sans pareil dans cette partie du monde. Et le Nicaragua est aussi dans la ligne de mire, parce que peu importe le nombre de défauts ou d’erreurs que peut avoir la révolution sandiniste, la simple présence d’un gouvernement qui ne veut pas s’agenouiller devant le Caligula américain (comme le font Macri, Bolsonaro, Duque et compagnie) est plus que suffisante pour déchaîner les furies de l’enfer contre son gouvernement. Et, en outre, il y a la question cruciale – en termes géopolitiques – du nouveau canal inter-océanique que les Chinois pourraient construire et qui constitue un véritable crachat sur le visage de ceux qui se sont emparés à nouveau du canal de Panama et l’ont saturé, une fois encore, de bases militaires prêtes à semer la mort et la destruction dans nos pays.

Je termine en rappelant une phrase sage de Fidel quand il a dit que  » la principale erreur que nous avons faite à Cuba a été de croire qu’il y avait quelqu’un qui savait comment faire une révolution « . Il n’y a pas de manuel ou de livre de recettes. Il s’agit de processus continus. Il est nécessaire de fixer nos regards non seulement sur le moment présent, sur la foudre déconcertante de la situation qui accable aujourd’hui le Venezuela, mais aussi de visualiser la direction du mouvement historique et de prendre en compte toutes ses contradictions. Ce faisant, il ne fait aucun doute que le Venezuela est au milieu d’un processus révolutionnaire convulsé qui, espérons-le, et « pour le bien de tous », comme l’a dit Martí, finira par l’emporter sur les forces de l’empire et la réaction. Notre Amérique a besoin de cette victoire. Tout effort pour faciliter un résultat aussi heureux sera bienvenu.

Atilio Boron

Article original en espagnol : ¿Hay una revolución en Venezuela? Diálogos con la izquierda europea, Le blog d’Atilio Boron, le 2 juin 2019.

Traduit par Réseau International

Il est étonnant de voir combien de fois on entend encore des gens bien informés, raisonnables par ailleurs, dire de Julian Assange : « Mais il a fui les accusations de viol en se cachant à l’ambassade de l’Equateur à Londres. »

Cette courte phrase comporte au moins trois erreurs factuelles. En fait, pour la répéter, comme tant de gens le font, il faut au moins avoir vécu sur une île déserte ces dix dernières années ou, ce qui revient à peu près au même, compter sur les grands médias pour obtenir des informations sur Assange, y compris des médias supposément progressistes tels que The Guardian et la BBC.

Ce week-end, un éditorial du Guardian – la voix officielle du journal et probablement la rubrique la plus suivie par ses cadres dirigeants – a fait une déclaration tout aussi fausse :

Il y a ensuite l’accusation de viol à laquelle M. Assange était confronté en Suède et qui l’a conduit à se réfugier à l’ambassade de l’Équateur en premier lieu.

Le fait que le Guardian, soi-disant le principal défenseur des valeurs progressistes des médias britanniques, puisse faire cette déclaration erronée après près d’une décennie de couverture sur Assange est tout simplement stupéfiant. Et qu’il puisse faire une telle déclaration quelques jours après que les Etats-Unis aient finalement admis qu’ils voulaient enfermer Assange pendant 175 ans pour de fausses accusations d’ »espionnage » – il fallait être volontairement aveugle pour ne pas comprendre que les Etats-Unis avaient l’intention de le faire depuis le début – est encore plus choquant.

Assange n’est pas accusé en Suède, pas encore, et encore moins accusé de « viol ». Comme l’a récemment expliqué l’ancien ambassadeur du Royaume-Uni Craig Murray, le Guardian a induit ses lecteurs en erreur en prétendant à tort qu’une tentative d’extradition d’Assange par une procureure suédoise – même si elle n’a pas reçu l’approbation de la justice suédoise – équivaut à son arrestation pour viol. Ce n’est pas le cas.

En outre, Assange n’a pas cherché refuge dans l’ambassade pour échapper à l’enquête suédoise. Aucun État au monde n’accorde l’asile politique à un non-ressortissant pour éviter un procès pour viol. L’asile a été accordé pour des raisons politiques. L’Équateur a accepté à juste titre les préoccupations formulées par Assange selon lesquelles les États-Unis demanderaient son extradition et l’enfermeraient à l’abri des regards pour le reste de sa vie.

Eu égard aux récents développements, l’Histoire, bien-sûr, a donné raison, une fois de plus, à Assange.

Coincés dans leur pensée grégaire

Il y a une explication très évidente pour laquelle tant de gens ordinaires continuent de commettre ces erreurs fondamentales : c’est parce que les grands médias persistent à les répéter.

Ce ne sont pas des erreurs que l’on peut expliquer par ce qu’un journaliste a décrit comme du « journalisme d’abattage » : le fait que les journalistes, à la poursuite des toutes dernières infos et travaillant dans des bureaux dégarnis par des compressions budgétaires, sont trop surmenés pour couvrir correctement leurs sujets.

Les journalistes ont eu de nombreuses années pour mettre leurs dossiers à jour. À l’ère des médias sociaux, les journalistes du Guardian et de la BBC ont été bombardés de messages par les lecteurs et les militants leur expliquant en quoi ils se trompaient sur les faits fondamentaux dans l’affaire Assange. Mais les journalistes persistent malgré tout. Ils sont coincés dans pensée grégaire totalement coupée de la réalité.

Plutôt que d’écouter les experts, ou le bon sens, ces « journalistes » continuent de régurgiter le discours de l’État sécuritaire britannique, similaire à celui de l’État sécuritaire US.

Ce qui est si frappant dans l’affaire d’Assange, c’est le nombre d’anomalies juridiques qui se sont accumulées sans cesse depuis le premier jour. Presque rien dans cette affaire ne s’est déroulé selon les règles normales d’une procédure judiciaire. Et pourtant, ce fait très révélateur n’est jamais souligné ou commenté par les grands médias. Il faut avoir un angle mort de la taille de Langley [siège de la CIA – NDT], en Virginie, pour ne pas le remarquer.

Si Assange n’avait pas dirigé Wikileaks, s’il n’avait pas embarrassé les États occidentaux les plus importants et leurs dirigeants en divulguant leurs secrets et leurs crimes, s’il n’avait pas créé une plate-forme permettant aux lanceurs d’alerte de révéler les outrages commis par l’establishment occidental, s’il n’avait pas sapé le contrôle exercé par cet establishment sur la diffusion de l’information, ces dix dernières années se seraient déroulées de manière bien différente.

Si Assange ne nous avait pas fourni une révolution de l’information qui sape la matrice narrative créée pour servir l’État sécuritaire US, deux Suédoises – mécontentes de la sexualité d’Assange – auraient obtenu exactement ce qu’elles demandaient dans leurs déclarations : la pression des autorités suédoises pour lui faire passer un test de dépistage du Sida [ce qu’il fit, volontairement – NdT], pour avoir l’esprit tranquille.

Il aurait été autorisé à retourner au Royaume-Uni (comme le procureur suédois l’avait d’ailleurs autorisé à le faire) et aurait poursuivi le développement et le perfectionnement du projet Wikileaks. Cela nous aurait tous aidés à prendre conscience de manière plus aiguë de la manière dont nous sommes manipulés – non seulement par nos services de sécurité, mais aussi par les grand médias qui agissent souvent comme leur porte-parole.

C’est précisément la raison pour laquelle cela ne s’est pas produit et pourquoi Assange est sous une forme ou une autre en détention depuis 2010. Depuis lors, sa capacité à jouer son rôle de dénonciateur de crimes d’État en série de haut niveau a été de plus en plus entravée, au point qu’il ne sera peut-être plus jamais capable de superviser et diriger Wikileaks.

Sa situation actuelle – enfermé dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, à l’isolement et privé d’accès à un ordinateur et de tout contact significatif avec le monde extérieur – repose jusqu’à présent uniquement sur le fait qu’il a commis une infraction mineure en violant les conditions de sa liberté surveillée. Une telle violation, commise par quelqu’un d’autre, ne donne presque jamais lieu à des poursuites et encore moins à une longue peine d’emprisonnement.

Voici donc une liste, loin d’être exhaustive, de certaines des anomalies les plus flagrantes des problèmes juridiques rencontrés par Assange – liste alimentée par les recherches de John Pilger, Craig Murray et Caitlin Johnstone, et le travail d’enquête original de la journaliste italienne Stefania Maurizi. Il y en a 17. Chacune, prise individuellement, aurait pu être concevable. Mais ensemble, elles constituent une preuve accablante qu’il n’a jamais été question d’appliquer la loi. Dès le début, Assange a été confronté à une persécution politique.

Aucune autorité judiciaire

  • A la fin de l’été 2010, aucune des deux Suédoises n’a accusé Assange de les avoir violées lorsqu’elles firent leurs déclarations à la police. Elles se rendirent ensemble au poste de police après avoir appris qu’Assange avait couché avec elles à quelques jours d’intervalle et voulaient l’obliger à passer un test de dépistage du Sida. Une des femmes, SW, refusa de signer la déclaration de la police lorsqu’elle a compris que la police cherchait à obtenir un acte d’accusation pour viol. L’enquête relative à la deuxième femme, AA, portait sur une agression sexuelle propre à la Suède. On a découvert qu’un préservatif produit par AA que, selon elle, Assange avait déchiré pendant les rapports sexuels, ne contenait ni son ADN ni celui d’Assange, ce qui nuit à sa crédibilité.
  • Les médias suédois ont violé les lois suédoises strictes qui protègent les suspects pendant les enquêtes préliminaires en qualifiant Assange de violeur. En réponse, la procureure générale de Stockholm, Eva Finne, prit en charge l’enquête et l’a rapidement clos : « Je ne crois pas qu’il y ait de raison de suspecter qu’il a commis un viol. » Elle a conclu plus tard : « Il n’y a aucun soupçon de crime. »
  • L’affaire fut relancée par une autre procureure, Marianne Ny, bien qu’elle n’ait jamais interrogé Assange. Ce dernier passa plus d’un mois en Suède en attendant l’évolution de l’affaire, mais les procureurs lui ont ensuite dit qu’il était libre de partir pour le Royaume-Uni, laissant entendre que les soupçons à son encontre n’étaient pas considérés comme suffisamment graves pour le détenir en Suède. Néanmoins, peu après, Interpol émit une alerte rouge – généralement réserveé aux terroristes et aux criminels dangereux – contre Assange,.
  • La Cour suprême du Royaume-Uni approuva une extradition vers la Suède sur la base d’un mandat d’arrêt européen (MAE) en 2010, bien que le mandat n’avait pas été signé par une « autorité judiciaire », mais seulement par la procureure suédoise. Peu après l’arrestation d’Assange, les termes de l’accord MAE furent modifiés par le gouvernement britannique pour faire en sorte qu’un tel abus de procédure judiciaire ne se reproduisent plus.
  • La Cour suprême du Royaume-Uni approuva également l’extradition d’Assange, même si les autorités suédoises refusaient d’assurer qu’il ne serait pas extradé vers les États-Unis, où un grand jury préparait déjà des accusations draconiennes en secret contre lui en vertu du « Espionage Act ». De même, les États-Unis refusaient de donner l’assurance qu’ils ne demanderaient pas son extradition.
  • Après que la procureure Marianne Ny ait bloqué la possibilité pour Assange de faire appel devant la Cour européenne des droits de l’homme, Assange se réfugia à l’ambassade de l’Équateur à Londres à l’été 2012, pour demander l’asile politique.
  • Non seulement l’Australie a refusé toute aide à Assange, un citoyen, pendant sa longue épreuve, mais le premier ministre Julia Gillard a même menacé de lui retirer sa citoyenneté, jusqu’à ce qu’on lui fasse remarquer qu’il serait illégal pour l’Australie de le faire.
  • La Grande-Bretagne, quant à elle, a non seulement encerclé l’ambassade d’une importante force de police aux frais de l’État, mais William Hague, ministre des Affaires étrangères, menaça de déchirer la Convention de Vienne et de violer le territoire diplomatique de l’Équateur en envoyant la police britannique à l’ambassade pour arrêter Assange.

Un affaire qu’on a volontairement laissé traîner pendant six années

  • Bien qu’Assange faisait toujours officiellement l’objet d’une enquête, Ny refusait de se rendre à Londres pour l’interroger, alors que des entretiens similaires ont été menés 44 fois au Royaume-Uni par des procureurs suédois pendant la période où Assange s’est vu refuser ce droit.
  • En 2016, des experts juridiques internationaux du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, qui décide si les gouvernements se sont conformés à leurs obligations en matière de droits de l’homme, jugèrent que M. Assange était détenu illégalement par la Grande-Bretagne et la Suède. Bien que les deux pays participèrent à l’enquête de l’ONU et qu’ils aient déjà appuyé le tribunal lorsque d’autres pays étaient reconnus coupables de violations des droits de la personne, ils ont constamment ignoré sa décision en faveur d’Assange. Le ministre britannique des Affaires étrangères, Phillip Hammond, a menti en affirmant que le panel de l’ONU était « composé de gens ordinaires et non de juristes ». Le tribunal est composé d’experts de premier plan en droit international, comme il ressort clairement de leur curriculum vitae. Néanmoins, le mensonge est devenu la réponse officielle de la Grande-Bretagne à la décision de l’ONU. Les médias britanniques n’ont pas fait mieux. Un éditorial du Guardian rejeta le verdict comme n’étant rien de plus qu’un « coup de pub ».
  • Ny accepta finalement qu’Assange soit interviewé en novembre 2016, avec un procureur suédois envoyé à Londres après six années d’atermoiements. Cependant, la présence de l’avocat suédois d’Assange fut refusé. Ny elle-même devait être interrogée par un juge de Stockholm en mai 2017 au sujet de l’interview, mais elle décida de clore le jour même son enquête sur Assange.
  • En fait, la correspondance qui fut révélée plus tard dans le cadre d’une demande d’accès à l’information – effectuée par la journaliste d’investigation italienne Stefania Maurizi – montre que le parquet britannique avait fait pression sur la procureure suédoise pour qu’elle ne se rende pas à Londres pour interroger Assange en 2010 et 2011, créant ainsi une impasse.
  • De plus, le parquet britannique, pour esquiver les demandes d’accès à l’information, avait détruit la plupart de la correspondance. Les courriels retrouvés ne l’ont été que parce que certaines copies avaient été accidentellement oubliées lors de la destruction. Ces copies étaient déjà assez gênants. Elles montrent qu’en 2013, la Suède voulait abandonner les poursuites contre Assange, mais qu’elle avait subi de fortes pressions de la part des Britanniques pour continuer à faire semblant de demander son extradition. Il y a des courriels du parquet qui disent : « Ne vous avisez pas » d’abandonner l’affaire, et le plus révélateur de tous : « Ne croyez pas que cette affaire soit traitée comme une simple extradition de plus ».
  • Malgré son entrevue avec un procureur suédois à la fin de 2016, M. Assange n’a pas été inculpé par contumace par la suite – une option que la Suède aurait pu prendre si elle avait pensé que les preuves étaient suffisamment solides.
  • Après l’abandon par la Suède de l’enquête contre Assange, ses avocats ont cherché l’année dernière à faire annuler le mandat d’arrêt britannique émis pour violation de sa liberté sous caution. Ils avaient de bonnes raisons de le faire, à la fois parce que les allégations pour lesquelles il avait été libéré sous caution avaient été abandonnées par la Suède et parce qu’il avait des raisons valables de demander l’asile étant donné l’intérêt évident des États-Unis à l’extrader et à l’enfermer à vie pour des crimes politiques. Ses avocats pouvaient également soutenir de façon convaincante que le temps qu’il avait passé en détention, d’abord en résidence surveillée, puis à l’ambassade, était plus qu’équivalent au temps qu’il aurait du accomplir suite à l’infraction de sa liberté surveillée. Cependant, la juge, Emma Arbuthnot, rejeta les solides arguments juridiques de l’équipe Assange. Elle n’était guère une juge impartiale. En fait, dans un monde bien ordonné, elle aurait dû se récuser, puisqu’elle est l’épouse d’un dirigeant du gouvernement qui était également partenaire d’affaires d’un ancien chef du MI6, la version britannique de la CIA.
  • Les droits d’Assange furent de nouveau violés de manière flagrante la semaine dernière, avec la collusion de l’Équateur et du Royaume-Uni, lorsque les procureurs US furent autorisés à saisir les affaires personnelles d’Assange à l’ambassade alors que ses avocats et les fonctionnaires des Nations unies se virent refuser le droit d’être présents.

L’ère sombre de l’information

Même aujourd’hui, alors que les Etats-Unis préparent leur dossier pour enfermer Assange pour le reste de sa vie, la plupart des gens refusent toujours de faire le lien. Chelsea Manning a été emprisonnée à plusieurs reprises et fait face à des amendes ruineuses chaque jour où elle refuse de témoigner contre Assange alors que les États-Unis cherchent désespérément à soutenir leurs fausses accusations d’espionnage. Au Moyen-age, les autorités étaient plus honnêtes : elles se contentaient de torturer.

En 2017, alors que les médias prétendaient encore qu’Assange fuyait la « justice » suédoise, John Pilger déclara :

En 2008, un document secret du Pentagone préparé par la « Cyber Counterintelligence Assessments Branch » présenta un plan détaillé pour discréditer WikiLeaks et salir personnellement Assange. La « mission » était de détruire la « confiance » qui était le « centre de gravité » de WikiLeaks. Ce qui serait réalisé par des menaces d’ »poursuites pénales ». L’objectif était de réduire au silence et de criminaliser une source aussi imprévisible de vérité. » …

Selon les câbles diplomatiques australiens, la tentative de Washington de mettre la main sur Assange est « sans précédent par son ampleur et sa nature ». …

Le ministère US de la Justice a inventé des accusations d’ »espionnage », de « conspiration en vue de commettre des actes d’espionnage », de « vol de biens publics », de « fraude et abus informatiques » (piratage informatique) et de « conspiration » en général. La loi sur l’espionnage, qui visait à dissuader les pacifistes et les objecteurs de conscience pendant la Première Guerre mondiale, prévoit l’emprisonnement à vie et la peine de mort. …

En 2015, un tribunal fédéral de Washington bloqua la divulgation de toutes les informations relatives à l’enquête de « sécurité nationale » contre WikiLeaks, parce qu’elle était « active et en cours » et que cela nuirait « aux poursuites en cours » contre Assange. La juge, Barbara J. Rothstein, déclara qu’il était nécessaire de faire preuve de « déférence appropriée à l’égard de l’exécutif en matière de sécurité nationale ». C’est un tribunal fantoche.

L’ensemble de ces informations était à la disposition de tout journaliste ou journal qui souhaitait les chercher et les faire connaître. Pourtant, aucun grand média – à l’exception de Stefania Maurizi – ne l’a fait au cours des neuf dernières années. Au lieu de cela, ils ont diffusé une série de récits grotesques de l’État américain et britannique conçus pour maintenir Assange derrière les barreaux et nous propulser dans l’ère sombre de l’information.

Jonathan Cook

 

 

Article original en anglais :

Endless Procedural Abuses Show Julian Assange Case Was Never About Law, publié en anglais le 29 mai 2019.

Traduction par VD pour le Grand Soir.

Note du traducteur : « Si la presse ne fait pas son boulot, on essayera de la faire modestement à sa place » 

Note de l’auteur: Toute cette information était à la disposition de tout journaliste ou journal soucieux de la rechercher et de le publier. Et pourtant, aucun média d’entreprise ne l’a fait au cours des neuf dernières années. Au lieu de cela, ils ont couvert une série de récits insensés des États-Unis et du Royaume-Uni, conçus pour maintenir Assange derrière les barreaux et propulser le reste d’entre nous dans le noir de l’information.

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  • Commentaires fermés sur Les abus contre Assange montrent qu’il n’a jamais été question d’appliquer la loi

Les premiers commentaires chinois concernant le résultat des élections générales en Inde ont été publiés. Le moment est important, car le décompte des voix n’a pas encore eu lieu en Inde. Cependant, les commentaires ont présumé que le résultat ne pouvait pas être contraire à la tendance indiquée par les sondages à la sortie des urnes, à savoir que le Premier ministre Modi se voit confier un mandat renouvelé pour présider un nouveau gouvernement.

Cette présomption est globalement conforme aux estimations des commentateurs chinois des dernières semaines et des derniers mois. Ces derniers n’ont pas ménagé leur enthousiasme pour le gouvernement Modi. Contrairement à l’opinion répandue parmi les Indiens selon laquelle le gouvernement Modi a montré une inclination pro-américaine en politique étrangère, l’opinion chinoise – et russe – s’est montrée globalement favorable à la politique indienne au cours des cinq dernières années.

La Chine n’a pas été particulièrement troublée par le fait que l’Inde a renforcé ses relations avec les États-Unis ou que son non-alignement est en grand danger. Cette opinion a été renforcée après le sommet informel de Modi avec le président chinois Xi Jinping en avril à Wuhan et avec le président russe Vladimir Poutine un mois plus tard à Sochi. On peut raisonnablement considérer que Xi et Poutine ont côtoyé Modi de très près, intimement, et ont décidé de faire affaire avec lui, même dans les nouvelles conditions de la guerre froide.

En fait, dans un geste extraordinaire de camaraderie, le Kremlin a annoncé la décision de conférer à Modi le prix national le plus prestigieux de Russie, après le début des élections indiennes.

Un commentaire de l’Observer dans le journal du parti communiste chinois Global Times du 20 mai révèle de manière éloquente le soulagement de savoir que Modi sera à la barre des affaires à Delhi à un moment critique de la géopolitique dans la région. Les extraits suivants sont intéressants :

1. « La réélection de Modi stabilisera et améliorera davantage les relations sino-indiennes. Pendant le mandat de Modi, les relations entre l’Inde et la Chine ont témoigné d’une tendance au développement soutenu. La rencontre entre le président Xi Jinping et Modi en 2018 a ouvert un nouveau chapitre pour les relations bilatérales des deux pays et jeté les bases des relations futures. »

2. Certes, les actions de Modi ont également suscité la controverse en Chine – comme sa bonhomie initiale avec la direction tibétaine basée à Dharamsala, ses trois visites à l’État du Arunachal Pradesh ou la montée du nationalisme hindou qui « restreignait en quelque sorte la politique de Modi à l’égard de la Chine ». Mais c’étaient là des actes en direction de la politique intérieure de l’Inde dans le but de « rallier du soutien » au parti Bharatiya Janata, alors que « de manière générale, la politique de Modi était saine ».

3. « Modi a séparé les conflits politiques de la coopération économique, un geste judicieux qui produit des résultats réciproques pour les deux pays – Inde et Chine. Modi sait que les relations tendues avec la Chine ne vont pas dans le sens des intérêts de l’Inde. »

4. « L’Inde a rejoint la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures bien que les États-Unis et le Japon s’y soient fermement opposés… L’Inde a maintenu sa politique de non-alignement et n’a pas ajusté ses politiques chinoises conformément à la stratégie de Washington pour Beijing. Ce sont toutes des réalisations diplomatiques positives de l’administration Modi. »

5. À l’avenir, « Ces politiques se poursuivront si Modi est réélu… La réélection de Modi est bénéfique pour la continuité de ses politiques à l’égard de la Chine et la confiance mutuelle des deux pays ».

6. « Le conflit entre l’Inde et le Pakistan est un facteur important qui influence les relations entre la Chine et l’Inde. La Chine encourage toujours les deux pays à établir une confiance réciproque par le biais d’une coopération dans les domaines du commerce, de l’économie, de la lutte contre le terrorisme et dans d’autres domaines. Comme le Pakistan et l’Inde sont tous deux membres de l‘Organisation de coopération de Shanghai, ils auront davantage de coopération dans ce cadre ».

WuhanLe Premier ministre Narendra Modi et le président chinois Xi Jinping lors du sommet informel à Wuhan, Chine, en avril 2019

Le commentaire se félicite de la tendance récente, selon laquelle le déficit de l’Inde dans les échanges commerciaux bilatéraux se réduit progressivement. Et il envisage que la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine « offre plus de probabilité… que la Chine se tourne vers l’Inde lorsqu’elle cherche un substitut aux importations ». Les produits pharmaceutiques et les logiciels informatiques sont des domaines particulièrement prometteurs. De même, le commentaire est optimiste quant à la possibilité que l’Inde envisage de nouveau les projets Belt and Road [Nouvelle Route de la Soie] en Asie du Sud.

Les commentateurs chinois ont toujours salué Modi en tant que « réformateur » qui entraîne l’Inde sur la voie de la modernisation et de la croissance rapide. Selon eux, Modi est loin d’être dogmatique en matière de politique étrangère, il est ouvert au développement de la coopération avec la Chine, conscient des avantages qu’une telle coopération peut apporter pour faire avancer son programme de développement.

Sur le plan stratégique, la Chine ne craint pas ouvertement que, sous la direction de Modi, l’Inde continue à étendre son soi-disant « partenariat clé » avec les États-Unis. Mais la « ligne rouge » sera l’autonomie stratégique de l’Inde, qui, dans le contexte Indo-Pacifique, se réduit au fait que Modi place ses chariots en cercle  face aux stratégies régionales de Trump. Dans l’évaluation chinoise, Washington souhaite ardemment attirer l’Inde dans son mouvement, mais Modi a agi intelligemment en prenant toutes les bonnes choses venant des grandes puissances sans rien perdre de ce qui pourrait nuire à la liberté de pensée et d’action de l’Inde.

Curieusement, la Russie partage également le point de vue chinois. Nous ignorons dans quelle mesure les politiques indiennes ont figuré dans les discours sino-russes – et nous risquons de ne jamais le savoir. Mais l’Inde étant un « État pivot » dans la situation mondiale actuelle, ses politiques ont un impact sur le processus d’intégration eurasienne, qui est au cœur des stratégies russe et chinoise. Il est donc tout à fait concevable que Moscou ait joué un rôle important en coulisses pour obtenir la suppression du blocage chinois sur le dénouement de l’affaire Masood Azhar.

Sans aucun doute, le règlement de la controverse sur Azhar dans la litanie des discordes entre l’Inde et la Chine est un moment décisif dans la trajectoire des relations entre les deux pays. Il est concevable qu’une période de diplomatie créative s’annonce alors que la Chine assume la présidence du Financial Action Task Force (GAFI) pour la prochaine année, à compter de juillet – Xiangmin Liu, actuellement directeur général du département juridique de la Banque centrale de Chine et en même temps vice-président du GAFI, prend le relais de la présidence, pour un mandat d’un an, des mains de l’Américain Marshall Billingslea à la réunion du groupe d’Orlando, en Floride.

Entre l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et le GAFI, une réflexion dialectique pourrait aboutir à un règlement raisonnable du problème apparemment contradictoire et insoluble du terrorisme dans les relations indo-pakistanaises. C’est là que la position unique de la Chine pour promouvoir la réconciliation entre en jeu. La réunion plénière du GAFI revêt une importance vitale pour le Pakistan, car il sera décidé si le pays doit être retiré de la « liste grise » [du terrorisme] ou maintenu sur cette liste en raison d’éventuelles lacunes résiduelles. Bien entendu, cela pèsera beaucoup pour améliorer la réputation du Pakistan vis-à-vis des prêteurs multilatéraux tels que le FMI, la Banque mondiale, la BAD, etc., ainsi que sur la notation du risque par des agences telles que Moody’s, S & P et Fitch. Islamabad attache une grande importance à la décision du GAFI.

De manière significative, Sushma Swaraj participe à la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OCS à Bichkek le 20 mai. Swaraj rencontrera certainement ses homologues chinois et pakistanais à Bichkek. La réunion au sommet de l’OCS doit avoir lieu les 13 et 14 juin. Autant dire que si la Chine réussit à trancher le nœud gordien du terrorisme dans les relations indo-pakistanaises, une nouvelle perspective s’ouvre dans les relations sino-indiennes et nous verrons peut-être une nouvelle ère dans la politique de la région.

De toute évidence, la Chine est consciente que le triangle Chine-Pakistan-Inde est à un point d’inflexion. Ma Jiali, chercheur principal à l’Institute of Contemporary International Relations, a été cité dans un article paru hier dans Global Times : « La présence croissante des États-Unis aura une influence limitée sur l’ensemble des relations sino-indiennes » et dans le domaine de la sécurité régionale, il a souligné que la Chine continuerait à jouer un rôle de médiation dans les relations indo-pakistanaises. Ma a ajouté que la Chine accordait une grande importance à ses relations avec l’Inde et le Pakistan. La Chine poursuivra ses relations avec le Pakistan et accordera une grande importance aux préoccupations de l’Inde.

M.K. Bhadrakumar

 

Article original en anglais : China hails Modi victory. This is why., Indian Punchline, le 21 mai 2019.

Traduit par jj, relu par San pour le Saker Francophone

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Alors que le président américain Donald Trump arrivait en Grande-Bretagne lundi pour une visite d’État et les célébrations du 75e anniversaire du débarquement de Normandie durant la Seconde Guerre mondiale, la presse espagnole faisait état de nouvelles menaces américaines contre le projet de construction d’une armée européenne.

Un conflit acerbe entre Washington et ses alliés impérialistes européens au sujet du plan d’une armée européenne avait déjà éclaté le mois dernier. Le 13 mai, le quotidien espagnol El Pais relatait que le Pentagone avait écrit à Federica Mogherini, la responsable de la politique étrangère de l’UE et averti que ce plan endommagerait les relations entre les États-Unis et l’UE. Selon l’Institut international d’études stratégiques de Londres, l’Europe pourrait dépenser 110 milliards de dollars en forces navales et 357 milliards en forces terrestres dans le cadre d’un renforcement militaire massif si Washington se retirait de l’OTAN.

Dimanche soir, El Pais publia un autre article citant les procès-verbaux d’une réunion «explosive» du 22 mai entre des responsables de la sécurité de l’UE non identifiés et le sous-secrétaire d’État adjoint américain aux affaires européennes et eurasiatiques, Michael Murphy. Selon le journal, Murphy a lancé «un ultimatum à l’Europe pour rectifier ses plans de défense».

Murphy a apparemment menacé l’UE et dit que si elle ne changeait pas ses projets militaires pour permettre aux entreprises américaines de défense de participer aux appels d’offres de l’UE, les États-Unis pourraient ne pas défendre l’UE contre une hypothétique attaque russe. Cela contrevient à l’article 5 du Traité de l’Alliance atlantique qui dit que l’OTAN doit répondre collectivement à toute agression militaire contre un État membre.

Dans son discours du 22 mai à Washington, Murphy s’en est pris au Fonds européen de défense (FED) et au PESCO (Coopération structurée permanente, le nom bureaucratique de l’armée européenne). «Si le libellé de la législation sur le FED et les lignes directrices du PESCO ne changent pas », a déclaré Murphy, l’UE «devra alors faire un choix. Soit elle renonce à utiliser les meilleures technologies existantes, soit elle devra développer les siennes».

Murphy a accusé sans ambages les puissances de l’UE d’avoir induit Washington en erreur sur la nature du plan PESCO. «L’UE et beaucoup de ses gouvernements ont présenté des initiatives européennes de défense dans le cadre d’une politique de sécurité européenne, et nous vous avons cru» a-t-il dit. Il ajouta toutefois, «Certains d’entre vous du moins développent une politique industrielle sous couvert d’une politique de sécurité».

Dans un encadré, le journal espagnol notait l’âpre lutte entre entrepreneurs américains et européens de la défense pour le contrôle des marchés mondiaux d’armement. En 2016, les exportations d’armements des États-Unis se sont élevées à 135 milliards d’euros, un montant qui éclipse les exportations d’armements de l’UE (16 milliards d’euros). «Les États-Unis semblent craindre une répétition du phénomène d’Airbus», le géant franco-allemand de l’aérospatiale, fondé en 1969 pour concurrencer la firme américaine Boeing. Maintenant, il «s’est emparé de 50 pour cent du marché de Boeing», écrit-il.

Murphy a rejeté les arguments des responsables de l’UE selon lesquels l’armée européenne serait compatible avec l’OTAN, accusant à nouveau l’UE de mentir à Washington: «Certaines des réponses que nous avons reçues sont basées sur des informations incorrectes. Je vais être clair avec vous. Les États-Unis ne peuvent soutenir ni le FED ni PESCO s’ils évoluent comme ils semblent le faire d’après ce que les textes législatifs et réglementaires actuels indiquent clairement».

Selon El Pais, Murphy a affirmé que «l’Occident est de nouveau confronté, après la fin de la guerre froide, à des nations hostiles». L’une d’entre elle, que Murphy n’a apparemment pas nommé mais que El Pais a identifié comme étant la Russie « a une frontière physique avec l’UE et constitue une menace physique directe pour ses États membres», dit-il.

El Pais cite Murphy ainsi: «Toute crise importante en Europe nécessitera inévitablement une réponse commune avec les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et la Norvège». Si l’UE développait une industrie de défense séparée «nos armées pourraient devenir moins inter-opérationnelles et ne pourraient pas combattre ensemble» a-t-il ajouté.

C’était là d’une menace à peine voilée: la poursuite de la construction d’une armée européenne pourrait mener à une rupture totale des relations avec Washington. Résumant les commentaires de Murphy, El Pais conclut: «Les États-Unis ont dit très clairement que si le projet continuait sur sa base actuelle, l’UE devrait se défendre avec ses propres armes, ce qui mettrait l’Europe dans une position d’infériorité évidente» et ajoute, «Ses paroles constituent la plus grande menace que Washington ait faite depuis que Bruxelles a commencé à élaborer une politique de défense commune».

Ces menaces jettent une lumière crue sur la visite officielle de Donald Trump en Grande-Bretagne. Non seulement Trump a soutenu des politiciens britanniques comme Boris Johnson qui préconisent un Brexit dur et une rupture avec l’UE, il a encore pris la décision singulière de ne pas commémorer officiellement le débarquement de Normandie le 6 juin, date du débarquement des troupes américaines et britanniques en France en 1944. La commémoration internationale officielle a eu lieu le 5 juin à Portsmouth, en Grande-Bretagne, d’où partirent les navires américains et britanniques pour débarquer sur les plages normandes.

Ces décisions sont liées à des conflits géopolitiques historiques profonds entre les États-Unis et les puissances continentales européennes alors que Berlin et Paris ont pris la tête d’efforts pour construire une armée européenne indépendante. Le vote de 2016 pour le Brexit, retirant la Grande-Bretagne de l’UE, a fait que Londres ne peut plus opposer son veto aux projets d’armée européenne indépendante au nom de Washington. Aujourd’hui, la menace américaine de se débarrasser du traité de l’Atlantique reflète des rivalités commerciales et militaires entre puissances impérialistes qui ont par deux fois au XXe siècle, dégénéré en guerre mondiale.

Le fait que les conflits éclatent autour de l’armée de l’UE – qu’on veut construire avec des centaines de milliards d’euros soutirés à la classe ouvrière au moyen de l’austérité sociale et pour entreprendre des opérations sanglantes comme la guerre et l’occupation franco-allemande du Mali – souligne le caractère de classe de ces conflits. Ce sont d’âpres luttes entre puissances impérialistes rivales pour le butin à piller à l’économie mondiale, piétinant le sentiment anti-guerre croissant dans la classe ouvrière.

Alors que l’Administration Trump menace de faire la guerre à l’Iran et impose des droits de douane à la Chine dans une guerre commerciale de plus en plus intense, Washington se heurte de plus en plus aux ambitions commerciales et militaires des puissances européennes menées par l’Allemagne. Celles-ci ont critiqué les déploiements d’armes nucléaires américaines en Europe après que Washington eut annulé le Traité des Forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) avec la Russie ; elles intègrent l’entreprise chinoise Huawei dans les réseaux de télécommunications de l’UE malgré les objections américaines.

Les puissances de l’UE continuent de soutenir le traité nucléaire iranien de 2015 longtemps après que Trump l’ait mis au rebut, alors que les sociétés pétrolières, automobiles et d’ingénierie européennes cherchent à conquérir les marchés aux dépens de leur rival américain.

Les révélations d’El Pais le mois dernier avaient paru au moment où les responsables américains cherchaient à intimider les européens pour qu’ils soutiennent la campagne guerrière de Trump contre l’Iran. Ce mois-ci, son article parait au moment où la tournée outre-mer de Trump rappelle étrangement les alignements stratégiques d’il y a 75 ans – le président américain portant depuis la Grande-Bretagne, par-dessus la Manche, un regard noir sur le continent européen

Alex Lantier

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 4 juin 2019

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Dernière minute

Un conseiller du prince héritier d’Abou Dhabi incuclpé aux Etats Unis pour détention de matériel pornographique.
Coup dur pour la stratégie d’endiguement de l’Iran, un des missi dominici américain en direction de l’Arabie saoudite et des Emirats Arabes Unis, Georges Nader, homme d’affaires américain d’origine libanaise, a été inculpé pour détention de matériel pornographique.

Son arrestation est intervenue le 4 juin 2019 une semaine après l’échec du triple sommet de la Mecque (islamique, arabe et Golfe), fin mai, et la décision de Benyamin Netanyahu d’organiser de nouvelles élections législatives israéliennes en septmebre, faute de pouvoir former un gouvernement. Deux echecs qui ont renvoyé aux calendes grecques le lancement de la transaction du siècle, conconctée sous l’égide de Jared Kusgner, le gendre présidentiel américain.

Agé de 60 ans, Georges Nader a été conseiller du prince héritier d’Abou Dhabi, Mohamamd Ben Zayed et son chargé de mission auprès de l’équipe de campagne présidentielle de Donald Trump, en vue d’établir un partenariat privilégié entre les Emirats arabes Unis et les Etats Unis.
L’intermédiaire libano américain avait entrepris des démarches similaires auprès d’Israël, la Russie et l’Arabie saoudite.
Georges Nader avait été entendu par Robert Mueller chargé de l’enquête sur les interérecnes russes de la campagne présidentielle américaine.
Objet d’une première interpellation en 1987, il a été arrêté le 4 juin 2019 à son arrivée à l’aéroport John F. Kennedy de New York, en vertu d’un mandat d’arrêt délivré en 2018, en raison du fait que «sur son portable, il conservait des photos de mineurs en position obscène».

BREAKING: George Nader, figure linked to Trump transition, charged with transporting child pornography https://www.washingtonpost.com/world/national-security/figure-linked-to-trump-transition-charged-with-transporting-child-pornography/2019/06/03/caee8aca-862a-11e9-98c1-e945ae5db8fb_story.html?tid=ss_tw&utm_term=.86e3ed82509c …


L’offre globale saoudienne
  • Une paix permanente au Moyen Orient.
  • Une base américaine sur la Mer Rouge
  • Instrumentalisation de la religion musulmane et du secteur de l’information dans la lutte contre l’extrémisme.

Dès l’élection de Donald Trump en Novembre 2016, une équipe saoudienne s’est envolée vers les Etats Unis. Le prince Mohamad Ben Salmane n’avait pas de temps à perdre; pressé de faire acte d’allégeance au président élu, sans attendre son entrée en fonction, en janvier 2017.

MBS était porteur d’un document secret que le journal libanais «Al Akhbar» s’est réussi à se procurer, dont les grandes lignes sont révélées ci-joint.

Riyad n’était pas l’unique capitale à chercher à s’attirer les bonnes grâces du nouveau président américain, mais l’offre saoudienne ne se limitait pas à un catalogue d’initiatives visant à renforcer la coopération saoudo-américaine.

Par son offre globale, MBS livrait en fait les clés du Royaume, dans ses deux volets internes et externes, aux mains de Donald Trump, jusqu’alors très critique à l’égard du partenariat stratégique saoudo américain, avant son élection.

Intitulé «Vision saoudienne pour un partenariat stratégique avec les Etats-Unis sur le plan politique, sécuritaire, militaire, économique et culturel», le document préconise de RENFORCER LA POSITION DES ETATS UNIS DANS SES NEGOCIATIONS AVEC LA RUSSIE EN FAISANT ALLUSION AUX MENACES AMERICAINES DE CONTRAINDRE L’ARABIE SAOUDITE D’ACCROITRE SA PRODUCTION DE PETROLE JUSQU’A HAUTEUR DE 15 MILLIONS DE BARILS PAR JOUR.

POLITIQUE : Engagement de faire usage de son influence au sein du Monde arabe et musulman en vue de satisfaire les objectifs communs, notamment l’établissement d’une paix permanente au Moyen orient et le règlement du conflit israélo-palestinien.

ECONOMIQUE: Aménagement d’une zone franche commerciale américaine sur les rivages de la Mer Rouge qui fasse office de porte d’entrée des Etats Unis vers l’Afrique et le Moyen Orient.

-Création d’un fond d’investissement commun aux pétromonarchies pour le développement de l’Afrique au capital de 50 milliards de dollars.

MILITAIRE: Aménagement d’une base militaire américaine sur la Mer Rouge. Faire pression sur le Soudan en vue de le contraindre à accepter l’installation d’une base américaine sur son territoire et œuvrer en vue de limiter la coopération militaire entre l’Egypte et la Russie et entraver l’édification d‘une base russe sur le territoire du plus grand pays arabe.

Œuvrer en vue du développement des relations entre les Etats Unis st les pays musulmans, notamment sur le plan militaire avec le Pakistan.

Riyad promet en outre d’affecter un budget de 50 milliards de dollars échelonnés sur 4 ans, dans le cadre des efforts visant à amplifier la coopération saoudo américaine en matière de défense. En sus de la contribution financière, le Royaume s’engage à mettre à la disposition du président des Etats Unis un contingent en provenance des pays arabes et musulmans, dont les effectifs se situeraient entre 34.000 à 58.000 membres provenant de 37 pays, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, sous la conduite des Etats Unis. Ce contingent déjà disponible est d’ores et déjà à la disposition du président élu pour peu qu’il en fasse la demande.

Saoud Al Qahtani est passé par là

La lune de miel se déroulait en toute harmonie jusqu’au surgissement de l’affaire Jamal Khashoggi.

Une des rencontres majeures du périple américain du prince saoudien aura été son entretien avec les dirigeants du CSIS., au siège de l’institution.

Le Center for Strategic and International Studies (CSIS), basé à Washington DC est un cercle de réflexion, d’influence et de conseil américain en matière de politique étrangère, fondé en 1962 par l’amiral Arleigh Burke et l’historien David Manker Abshire, originellement dans l’enceinte de l’Université de Georgetown.

Le centre conduit des études politiques et des analyses stratégiques sur de nombreux sujets en relation avec la politique, l‘économie, la sécurité, la finance la technologie et l’énergie.

Le centre fut originellement crée dans le cadre de la Guerre froide, avec pour objectif d’encourager et renforcer un lien fort entre Européens et Américains face à l’URSS. Il compte dans son conseil d’administration Zbigniew Brzezinski (Conseiller sécurité de Jimmy Carter) et Henry Kissinger (Conseiller sécurité Richard Nixon).

MBS y rencontra Frank A. Verrastro, vice-président du CSIS et John Alterman, directeur des programmes pour le Moyen Orient. Le CSIS a fait état d’une requête de Saoud Al Qahtani.

Saoud Al Qahtani

En sa qualité de superviseur du «Centre des Etudes pour les Affaires de Communication auprès du cabinet royal», Saoud Al Qahtani était en charge de la bonification de l’image du prince hériter auprès de l’opinion internationale, particulièrement américaine.

Ce titre pompeux cachait en fait une réalité hideuse. Chef de la brigade cybernétique royale, il était chargé de traquer la messagerie hostile à MBS et au Royaume. Il passe à ce titre pour être l’ordonnateur des basses œuvres du Prince.

En collaboration avec la firme israélienne NSO, Saoud Al Qahtani avait mis au point un système de repérage et de traque des opposants saoudiens au Moyen orient et en Europe notamment au Qatar, en Turquie, en France et au Royaume Uni. Opérationnel depuis fin 2017, ce dispositif fonctionnait parallèlement au projet « Dark Matter», mis sur pied par Abou Dhabi, dès 2015, en collaboration avec d’anciens fonctionnaires de la CIA.

Le nom de Saoud Al Qahtani a été mêlé à l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul, le 2 octobre 2018.

Objet d’un mandat d’arrêt de la part de la Turquie, il sera le premier bouc émissaire de Mohamad Ben Salmane, sacrifié sur l’autel de la raison d’état pour disculper le prince héritier de sa responsabilité dans l’élimination de Jamal Khashooggi, point de départ d’un scandale médiatique mondial qui pourrait mettre à mal tout l’édifice patiemment construit par MBS pour hisser l’Arabie saoudite au rang de partenaire stratégique des Etats Unis au même rang qu’Israël.

Pour aller plus loin sur l’affaire Jamal Khashoggi, cf ces liens : https://www.madaniya.info/2018/10/10/la-dynastie-wahhabite-la-version-bedouine-des-borgia-au-21-me-siecle/

https://www.madaniya.info/2018/10/19/arabie-saoudite-jamal-khashoggi-non-un-parangon-de-la-liberte-de-la-presse-mais-un-pur-produit-de-la-matrice-wahhabite-takfiriste/

Epilogue de cette idylle: Des concessions arabes sans contrepartie israélienne

La «transaction du siècle», visant à régler a minima la question palestinienne pour solde de tout compte, repose sur un principe basique: Des concessions arabes sans contrepartie israélienne, selon le schéma imaginé par Jared Kushner, un membre actif du lobby juif américain, qui en est le maître d’œuvre, selon les révélations contenues dans l’ouvrage de la journaliste Vicky Ward «Jared Kushner and inc: Greed, ambition and corruption».

https://www.democracynow.org/2019/3/21/kushner_inc_vicky_ward_on_how

La transaction reposerait sur les principales articulations suivantes :

  • Israël conservera la totalité des terres qu’il juge nécessaire à sa sécurité.
  • La Jordanie a refusé l’idée de confédération tripartite Jordano- israélo-palestinienne de crainte que la souche bédouine de la population originelle de la Transjordanie ne soit submergée par la densité démographique palestinienne sur les deux rives du Jourdain. Le Royaume Hachémite s’est borné à réclamer une cogestion des Lieux Saints Musulmans de Jérusalem (Al Aqsa) et devrait céder une parcelle de son territoire aux Palestiniens afin de permettre l’édification d’un «état palestinien» sur le reliquat de la Cisjordanie non annexé par Israël. (NDLR Curieux procédé qui consiste à céder à la Jordanie une portion de la Palestine pour édifier un royaume hachémite à la solde d’Israël et de l’Occident, avant de rétrocéder une parcelle de la terre palestinienne spoliée aux Palestiniens, ses propriétaires originels, afin de consolider la sécurité d’Israël) .
L’Arabie Saoudite compensera à la Jordanie la portion de son territoire cédé aux Palestiniens, par une superficie équivalente du territoire du Royaume wahhabite.

Le prince héritier Mohamad Ben Salmane a proposé à Mahmoud Abbas la somme de dix milliards de dollars pour emporter l’adhésion du président de l’Autorité Palestinienne à cette transaction ainsi que l’installation d’une ambassade saoudienne à Abou Diss, la capitale de substitution à Jérusalem du futur état fantoche palestinien.

L’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis s’engagent à construire un oléoduc reliant Gaza au Royaume wahhabite ainsi qu’une raffinerie de manière à y créer des emplois et à réduire le taux de chômage élevé dans l‘enclave.

Des dizaines de milliards de dollars seront déversés par les pétromonarchies du Golfe notamment à l’Egypte et à la Jordanie, les deux autres pays arabes parties prenantes à la transaction en vue de relancer leur économie.

Un sommet économique devrait se tenir le 25 et 26 juin 2019, à Manama, point d’ancrage de la V me flotte américaine dans la zone Golfe Océan indien, en vue de dégager la voie à l’aide économique des pétromonarchies aux Palestiniens en compensation de la perte de leur identité et de leur souveraineté.

GAZA

L’Egypte a refusé de céder une portion du Sinaï à l’état palestinien croupion en vue d’élargir la superficie l’enclave palestinienne de Gaza pour la rendre viable. L’Egypte a donné à savoir qu’elle n’était pas disposée à s’encombrer des Frères Musulmans Palestiniens, majoritaires sous le Hamas à Gaza, alors qu’elle menait un combat sans répit contre les Frères Musulmans égyptiens.

Sur les suggestions du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, Donald Trump a accepté que la transaction du siècle ne soit pas sous le parrainage exclusive de l‘Arabie saoudite, discréditée depuis l’affaire Khashoggi, mais qu’elle soit coparrainée par le président égyptien Abdel Fattah Al Sissi, afin de la rendre acceptable par la grande majorité des états sunnites arabes.

Pour une étude plus détaillée de la «Transaction du siècle», cf à ce propos l’analyse de l’influent journaliste Abdel Bari Atwane.

https://www.madaniya.info/2019/02/01/palestine-la-transaction-du-siecle-a-l-oeuvre/

Au début du XX me siècle, Abdel Aziz, fondateur du Royaume wahhabite, à l‘époque sultan du Najd, avait renoncé à la Palestine la cédant aux Juifs pour prix de son accession au trône. Un siècle plus tard, son fils et lointain successeur, le Roi Salmane en tandem avec son fils le prince héritier Mohamad Ben Salmane, bradait la question palestinienne pour solde de tout compte à leurs turpitudes: le Roi pour son rôle de collecteur de fonds du djihad afghan et du terrorisme islamique, son héritier, pour son rôle d’exterminateur de l’opposition saoudienne, glanant au passage l’un comme l’autre le qualificatif de porte étendard de l’«Islam des Lumières».

Auteur de deux plans de paix du conflit israélo-arabe, le chef de file du Monde sunnite n’a jamais pu freiner la colonisation de la Palestine, en dépit de toutes les prosternations du meilleur allié des Etats Unis dans le Monde arabe. La dynastie wahhabite mérite à ce titre la «laisse d’or de la servilité». Pour la postérité.

La dynastie wahhabite et le bradage de la Palestine https://www.madaniya.info/2017/12/06/la-dynastie-wahhabite-et-le-bradage-de-la-palestine-1-2/

As Charq al Awsat, le journal du Roi Salmane, le plus grand collecteur de fonds du djihad Afghan

https://www.madaniya.info/2016/03/08/salmane-israel-2-3-moujtahed-acte-3/

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Cette interview d’Eric Toussaint a été réalisée par Wilder Pérez Varona, sous-directeur scientifique de l’Institut de Philosophie de La Havane pendant la conférence internationale dédiée à Trotsky qui s’est déroulée pendant trois jours dans la capitale de Cuba du 6 au 8 mai 2019. Une quarantaine d’invités étrangers parmi lesquels Robert Brenner, Suzi Weissman, Paul Le Blanc, Dan La Botz, Gabriela Pérez Noriega, directrice du Musée Léon Trotsky à Mexico, Eric Toussaint, Gabriel Garcia y ont présenté des contributions, de même qu’une douzaine d’intervenants cubains. Cette interview porte principalement sur le sens de la lutte anti bureaucratique.

Wilder Pérez Varona (WPV) : Avant 1917 le thème de la transition socialiste est une chose : depuis la Révolution de 1848, le Commune de Paris (qui est un épisode fondamental, mais de caractère éphémère) il s’est trouvé toujours limité au mieux à des questions de théorie, de principes, d’hypothèse (nous savons que Marx et Engels étaient réticents à en donner des descriptions détaillées). La Révolution de 1917 a posé cette problématique de la transition dans d’autres termes, sur un autre plan ; sur un plan qui revêt des éléments pratiques fondamentaux. L’un d’eux se rapporte au thème de la bureaucratie qui est apparu progressivement tout au long des années 1920. Comment définissez-vous cette fonction de la bureaucratie en lui donnant un rôle en tant qu’acteur éminent, au niveau de la triade classique : classe ouvrière / paysannerie / bourgeoisie ? Pourquoi lui attribuer une place aussi importante ? J’aimerais aussi que vous vous expliquiez sur sa caractérisation comme « classe ». Vous êtes très réticent à considérer la bureaucratie comme une classe, alors que d’autres auteurs n’hésitent pas à le faire.

Eric Toussaint (ET) : Effectivement, l’expérience de la Révolution Russe et ensuite de l’Union Soviétique est pour ainsi dire la deuxième expérience de tentative de prendre le pouvoir pour engager une transition de rupture avec le capitalisme. La première est celle de la Commune de Paris, qui a duré trois mois en 1871, limitée géographiquement à Paris proprement dit, isolée du reste de la France et confrontée à ses agresseurs. Il est donc clair que les révolutionnaires comme Lénine, Trotsky et les autres dirigeants du Parti Bolchevique n’avaient pas de point de comparaison et concevaient le problème de la transition, comme je l’ai exposé dans ma communication[1] dans une relation triangulaire, le prolétariat et la paysannerie devant s’allier pour mettre en échec la bourgeoisie, et résister à l’agression impérialiste après la prise du pouvoir.

La question de la survivance et du poids de l’appareil d’État tsariste, de sa bureaucratie, et par là-même de la lutte contre la bureaucratie et le bureaucratisme était plutôt conçue au départ comme un legs du passé, un héritage du tsarisme. Avec le développement de la phase de transition, dès les premières années, Lénine aussi bien que Trotsky et d’autres, se sont trouvés confrontés à un problème nouveau et ils ont dû commencer à l’analyser et  à le cerner. Lénine n’a pas pu élaborer, à proprement parler, une théorie de la bureaucratie  avant sa mort en janvier 1924, mais ce qui est absolument certain c’est que Lénine a dénoncé la déformation bureaucratique de l’État ouvrier en construction, à l’occasion d’interventions extrêmement claires et catégoriques. Déjà lors de la discussion sur les syndicats en 1920-1921, il a affirmé que l’État ouvrier dirigé par le Parti Bolchevique avait des déformations bureaucratiques et que, de ce fait, les ouvriers et leurs syndicats devaient garder un certain degré d’indépendance vis-à-vis de l’État ouvrier bureaucratiquement déformé. Cela me paraît très important.

Un autre aspect de la position de Lénine fin 1922 et début 1923 se trouve dans sa critique d’une institution créée par le gouvernement lui-même, l’Inspection Ouvrière et  Paysanne, dont Lénine dit qu’elle est censée servir à la lutte contre le bureaucratisme et que chaque citoyen (prolétaire ou paysan) doit pouvoir s’y présenter pour dénoncer des comportements bureaucratiques, mais qu’elle est elle-même totalement bureaucratisée. Et cet organisme qui comptait douze mille fonctionnaires était dirigé par Joseph Staline. Lénine propose de le réformer complètement car l’IOP qui était supposée lutter contre le bureaucratisme contribuait en réalité au développement de l’emprise de celle-ci. Cela a aggravé le problème auquel l’État ouvrier bureaucratiquement déformé devait déjà faire face. Il faut également relever, parce que c’est peu connu, que Staline a fait tout son possible pour faire disparaître et empêcher même que soient connues les lettres de Lénine qui affirmaient qu’il fallait relever Staline de sa charge de Secrétaire général du Parti.

Voilà pour ce qui concerne Lénine. Dans mon exposé j’ai expliqué ensuite que le problème de la transition au socialisme ne se limite pas au triangle bourgeoisie / prolétariat /paysannerie, et qu’intervient un quatrième acteur, la bureaucratie.  La bureaucratie n’est pas seulement un héritage du passé, du passé tsariste pour ce qui concerne la Russie, elle se développe aussi au sein même du processus de transition et se consolide en tant qu’acteur qui prend progressivement confiance de ses intérêts propres.  Ses intérêts ont commencé à s’éloigner de ceux  du prolétariat aussi bien que de la paysannerie et même, d’une certaine manière de la bourgeoisie, dans le sens où la bureaucratie n’avait pas pour objectif conscient la restauration du capitalisme et du pouvoir de la bourgeoisie. Je dirais que la bureaucratie n’était pas favorable à la restauration du capitalisme et qu’elle défendait ses propres intérêts ; en l’occurrence, ses intérêts étaient de s’assurer le monopole du pouvoir politique et, en s’appuyant sur l’appareil d’État, de diriger et orienter le processus. D’une certaine façon, il s’est agi de transformer le Parti en instrument de la bureaucratie, de transformer les syndicats en courroie de transmission du pouvoir bureaucratique vers la base, et de mettre en place un type de développement économique dans lequel ni le prolétariat ni la paysannerie ne peuvent assurer véritablement la défense de leurs intérêts, et se retrouvent bientôt (dans le cas de la Russie) exploités par la bureaucratie. La bureaucratie sous la direction de Staline a instauré non seulement un régime autoritaire mais une véritable dictature sur le peuple travailleur aussi bien dans les campagnes que dans les entreprises industrielles et dans d’autres secteurs économiques contrôlés par l’État.

Néanmoins la bureaucratie ne génère pas à proprement parler une nouvelle idéologie. Elle ne peut pas s’approprier et assumer l’idéologie de la bourgeoise alors qu’elle est censée l’affronter. Elle prend donc, en général, comme couverture idéologique et comme programme le programme « officiel » du socialisme, et parle au nom de l’approfondissement du processus de construction d’une société socialiste.  Si la bureaucratie se dotait d’une idéologie propre, cela la conduirait à s’éloigner du programme officiel de la Révolution. D’une certaine façon elle opère masquée en faveur de ses propres intérêts, et elle peut en arriver à détruire aussi bien les personnes que les organismes qui sont réellement favorables à un approfondissement du processus, à les détruire en prétendant le faire au nom de la défense du socialisme.

Au cours des années 1920, des dirigeants comme Christian Rakovsky, un révolutionnaire bolchevique de premier plan qui a écrit en 1928 « Les Dangers professionnels du Pouvoir » https://www.marxists.org/francais/rakovsky/works/kr28dang.htm[2], et ensuite Trotsky, ont commencé à comprendre la spécificité de la bureaucratie. Il a fallu des années pour comprendre réellement de quoi il s’agissait et c’est, en 1935, avec la rédacton de La Révolution trahie que Trotsky a abouti à une analyse complète de ce qu’était un État ouvrier bureaucratique, non seulement déformé mais dégénéré. En 1935, les liens qu’entretenait le régime de l’Union Soviétique avec la Révolution et les années qui ont suivi la prise du pouvoir se sont totalement distendus. Restait une société qui n’était plus capitaliste, il n’y avait plus de capitalistes en Union soviétique, mais la transition vers le socialisme qui exigeait la démocratie, le contrôle ouvrier, des formes d’autogestion, une création culturelle indépendante et libre, la possibilité de débats entre révolutionnaires, de débats ouverts, s’était dégradée et totalement rétractée et ces espaces n’existaient plus. C’est pourquoi Trotsky a appelé à une « révolution politique » en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’une révolution sociale pour changer des rapports de propriété dans le secteur de la production, qu’il ne s’agissait pas d’une révolution de caractère anticapitaliste qui transforme les rapports sociaux. La révolution politique est une nécessité pour permettre au prolétariat, à la paysannerie, à l’ensemble des travailleurs qui produisent des richesses et au peuple en général de se réapproprier le pouvoir politique. C’est ce que signifie le concept de révolution politique. Il en découle des revendications qui sont avant tout politiques : liberté d’expression, liberté d’organisation, contrôle ouvrier, autogestion, pluralisme des partis qui respectent la constitution.

Trotsky a également ouvert la discussion sur la nécessité ou non d’étendre la révolution : à l’échelle internationale : dans quel but ? quel est le rôle de l’Internationale Communiste ? Trotsky était partisan de l’extension de la révolution à l’échelle internationale et de la révolution permanente. Il faut rappeler qu’avait été créée en 1919 une Internationale Communiste, la IIIe Internationale, dirigée alors par Lénine, Trotsky, Zinoviev, Radek (au début, Staline n’y jouait aucun rôle dirigeant et n’était pas un responsable reconnu internationalement de la politique d’extension de la révolution). C’est seulement après que Staline a réussi à exclure Trotsky du Parti Communiste en 1927 et à l’expulser du pays en 1929, qu’il a commencé à diriger seul la IIIe Internationale stalinisée et qu’il a mis cette Internationale au service des propres intérêts de la bureaucratie de l’Union soviétique, et plus du tout au service du développement réel de la révolution à l’échelle internationale.

WPV : Même si la bureaucratie ne génère pas sa propre idéologie, pourtant, en pratique (si on considère le devenir historique de ce qu’on appelle les « socialismes réellement existants »), elle a assuré la restauration capitaliste dans ces pays. Vous dites qu’en outre elle exploitait les classes ouvrière et paysanne, les producteurs en général : comment distinguer alors cette gestion et cette exploitation bureaucratiques d’une exploitation capitaliste, celle réalisée par la bureaucratie et celle réalisée par la bourgeoisie ?

ET : Cela tient au fait que pendant toute cette longue période de monopolisation du pouvoir à son profit, la bureaucratie a considéré que les conditions n’étaient pas réunies pour passer à un processus qui lui permettrait en tant que couche sociale de se transformer en une classe vouée à l’accumulation privée de richesses. Ce qui est, je pense, typique de la classe capitaliste : une accumulation privée de richesses.

Mais par ailleurs la leçon qu’apporte l’Union Soviétique, c’est que, au bout du compte, cette bureaucratie qui ne s’est pas livrée à l’édification d’un nouveau type de système, a fini par opter pour la restauration capitaliste et les bureaucrates eux-mêmes se sont transformés en capitalistes. D’une certaine façon, ils franchissent les limites liées à leur nature de couche sociale et se transforment en classe capitaliste.

En tant que bureaucrates, avant cette restauration capitaliste, ils peuvent accumuler un certain niveau de richesse, des privilèges, etc., mais ces avantages proviennent de la gestion d’une société où la grande propriété privée, la propriété capitaliste, n’existe pas ou est totalement marginale. Cette situation n’a pas d’avenir mais elle peut durer des décennies jusqu’à ce que, à un moment donné, cette couche sociale considère que le moment est venu de restaurer le capitalisme. C’est ce qui s’est produit à la fin des années 80 et au début des années 90 du siècle dernier en Union Soviétique. Je pense que cela s’est également produit en Chine à partir des réformes de Den Xiaoping à la fin des années 80, et nous avons connu également la même évolution au Vietnam.

Bien sûr, l’histoire aurait pu suivre un autre cours, si les producteurs (prolétariat, paysannerie et travailleurs intellectuels) avaient pu reprendre le pouvoir au prix d’une révolution politique, mais ce n’est pas ce qui s’est produit et ce n’était pas l’objectif de Gorbatchev. Il a préconisé la Glasnost, en faveur de la liberté du débat politique, mais dans le même temps la Perestroïka visait à introduire des réformes permettant la restauration progressive du capitalisme. C’est le grand défi d’une société de transition : comment faire face au problème de la bureaucratisation et de la consolidation de la bureaucratie en tant que couche sociale dirigeante et dominante, et d’autant plus quand le pays est isolé, et rencontre de graves difficultés pour développer sa production et son développement endogène et pour satisfaire les besoins des travailleurs.

WPV : Dans une large mesure, les réformes des années 80 ont également été menées sous le slogan de la démocratisation du socialisme bureaucratisé. Pourtant, l’histoire du rapport entre Socialisme et Démocratie a produit de nombreux conflits, de nombreuses contradictions, de nombreux malentendus…

ET : C’est une question particulièrement complexe (à Cuba vous en êtes parfaitement conscients) parce que la transition au socialisme conduit l’impérialisme à une politique d’agression qui peut prendre diverses formes. Cette politique agressive rend difficile une totale liberté d’expression dans le cadre du processus. L’agression en elle-même produit des réactions de limitation des possibilités de débat, etc. Mais il est clair qu’à un moment donné la bureaucratie utilise la menace extérieure pour imposer une restriction du débat politique parce qu’elle n’est pas intéressée à permettre que le peuple s’engage dans un tel débat politique qui pourrait fragiliser le contrôle exercé par elle sur la société.

C’est ce qui rend la question si complexe. Je crois que la nécessité de faire face à une agression extérieure, aux formes multiples, ne doit pas conduire, sous ces conditions d’agression, à limiter drastiquement la liberté d’expression, d’organisation, de manifestation, etc.

Dans ma communication, j’ai fait référence à Rosa Luxemburg qui a soutenu totalement la Révolution Bolchevique. Comme vous le savez, c’est sous les ordres de ministres sociaux-démocrates qu’elle a été assassinée en janvier 1919. Mais au cours de l’année 1918 elle a écrit plusieurs lettre aux Bolcheviques, qu’elle a rendues publiques, pour dire « camarades Lénine et Trotsky, attention aux mesures que vous prenez concernant la restriction des libertés politiques », parce que cela peut conduire à un processus qui sera fatal à la Révolution Soviétique.

Quel équilibre doit-on alors trouver pendant la période de transition ? Sur cette question il faut également rediscuter des positions de Lénine, de Trotsky et d’autres. Que s’est-il passé à Kronstadt lors de la révolte des marins dans les environs de Pétrograd ? Que s’est-il passé avec la police secrète (la Tchéka) qui avait la possibilité de se livrer à des exécutions extra-judiciaires, de procéder à l’emprisonnement d’opposants ? Et la question des syndicats ? C’est important d’être capables de revenir sur ces questions.

C’est important pour nous aussi de revenir sur ce qui s’est passé dans un pays comme Cuba. Toute la problématique des libertés dans les années 1960 à Cuba, suivie par l’accroissement de l’influence négative de la bureaucratie de l’URSS à partir, notamment, des difficultés économiques postérieures à la zafra de 1970[3], tout cela exige une analyse qui permette de tirer des leçons de l’expérience cubaine. C’est également très important.

WPV : Il faut évidemment analyser les processus dans leur contexte particulier, mais il faut aussi prendre en compte certaines contraintes dans les prérogatives qui relèvent du gouvernement révolutionnaire lui-même dans son rôle, disons, de direction et de contrôle du processus. En ce qui concerne les rapports entre Socialisme et Démocratie, vous êtes favorable à fixer les caractéristiques de la démocratie. Autrement dit, il ne s’agit pas de la Démocratie sans plus, ce n’est pas la démocratie qui a été surdéterminée par les perspectives capitalistes, mais une démocratie avec ses spécificités (démocratie socialiste, ou autre, démocratie des travailleurs).

ET : Pour moi, une des leçons de l’expérience russe est la nécessité du pluripartisme, autrement dit la possibilité qu’existent différents partis pour autant qu’ils acceptent et respectent la Constitution socialiste, ouvrière. Dans la société de transition au socialisme on ne peut pas laisser agir un parti pro-impérialiste qui en appelle à une intervention étrangère, ou s’en fasse le complice, ni le laisser s’organiser librement, recruter des adhérents et faire le lit de l’impérialisme. Mais il peut y avoir plusieurs partis qui coexistent, avec une conception différente de la transition, et le peuple doit avoir la capacité, grâce à sa formation politique et en l’approfondissant, de choisir entre les différentes options. Il faut favoriser le débat et organiser des consultations sur les décisions à prendre.

Une autre leçon qu’il est important de tirer de l’expérience des sociétés dites « du socialisme réel » du XXe siècle, c’est que, et cela me paraît fondamental, elles doivent préserver dans leur système économique un secteur important de propriété privée, la petite propriété privée. La petite propriété privée de la terre, des ateliers, des restaurants, des commerces. L’expérience soviétique qui a procédé à une étatisation pratiquement totale à un moment donné, a influencé Cuba et cela a eu des conséquences négatives sur le processus. Je me trouvais à Cuba quand a été annoncée en 1993 la possibilité de travailler en tant que petit producteur indépendant, ou encore l’ouverture des marchés libres paysans où les paysans peuvent venir vendre eux-mêmes leurs produits en ville, et cela m’a paru de bonnes mesures. Il aurait fallu maintenir cet espace en Union Soviétique, où la collectivisation forcée imposée par Staline à partir de 1929 a été un désastre, avec des conséquences catastrophiques pour l’agriculture. Il y a donc d’une part la question de la démocratie politique et, d’autre part, la question de la différences de statut des producteurs et de la petite production privée ; la petite propriété privée ou production privée doit être garantie pendant le processus.

Dans le cas de la Chine, du Vietnam et de l’Union Soviétique jusqu’à sa dislocation en 1991, puis de la Fédération de Russie, de l’Ukraine, etc., aucune limite n’a été imposée à la propriété privée et la grande propriété privée capitaliste a été restaurée. Les bureaucrates et leurs amis se sont transformés en oligarques et ont accumulé une fortune colossale en tant que nouveaux capitalistes, souvent en s’opposant de façon très agressive aux travailleurs et en volant à la collectivité nationale une grande partie de la richesse créée par les producteurs.

Le débat ne concerne donc pas seulement la démocratie mais également les réformes économiques et le contenu social des réformes économiques.

WPV : Sur la question des limites du marché, des limites de l’entreprise privée, dans ces expériences socialistes (y compris à Cuba), la discussion a souvent porté sur le rapport planification/marché. Jusqu’où l’État planificateur doit-il intervenir, fixer des limites au développement du marché ? La nécessité d’un Plan central est quelque chose d’implicite, qui n’est pas remis en cause. A ce sujet, la planification ainsi conçue n’est-elle pas aussi un des instruments les plus efficaces aux mains de la bureaucratie ?

ET : Je me souviens de discussions à Cuba sur le rôle du marché, à commencer par le débat qui s’est développé quand le Che était ministre de l’Industrie en 1963-1964[4]. Dans les années 1990, la question a de nouveau été débattue. J’ai été invité à toutes les conférences sur la globalisation financière et la mondialisation entre 1999 et 2008-2009. Fidel Castro a participé à toutes ces conférences qui réunissaient pendant 3 voir 4 jours au Palais des Congrès à La Havane de mille à mille deux cents invités cubains et étrangers. Fidel à plusieurs occasions a posé précisément cette question du rôle du marché et des limites qu’il faut lui fixer[5].

De mon point de vue, il est fondamental d’autoriser et de soutenir la petite entreprise privée, la petite production agricole, qui peut même être majoritaire tout en restant de taille modeste, s’il y a par exemple une majorité de familles paysannes qui assurent la plus grande partie de la production agricole. C’est un stimulant pour augmenter la production et atteindre la souveraineté alimentaire, et pour améliorer le niveau de vie en augmentant la production et en vendant davantage ; et c’est aussi un stimulant puissant pour améliorer la qualité, parce que le paysan sait que s’il ne fournit pas des produits de qualité il n’arrivera pas à les vendre sur le marché ou à l’Etat.

Je crois donc qu’il y a eu sur ce plan de graves erreurs dans la conduite de la politique agricole de nombreux pays dits socialistes, qui ont voulu nationaliser ou imposer des coopératives qui n’étaient pas vraiment efficaces. Pour autant je considère que la planification est fondamentale et j’ajouterai qu’elle l’est d’autant plus dans les économies modernes. Imaginons un instant une révolution socialiste en Europe ou aux États-Unis. La planification est fondamentale. Comment imaginer la lutte contre le changement climatique si on ne définit pas un plan pour en finir avec les centrales à charbon, pétrole ou gaz et les remplacer par des formes d’énergie renouvelables ? Cela exige un plan, parce que ce ne sont pas les communautés locales, les familles, qui peuvent prendre de telles décisions, parce que la production d’énergie aujourd’hui se fait à grande échelle. Néanmoins, la lutte contre le changement climatique est aussi liée au mode de production familial qui recourt à des méthodes organiques de production agricole, capables de combattre le changement climatique ou d’en limiter les effets déjà à l’œuvre.

La planification est donc essentielle. La question est de comment faire pour que le peuple, les citoyens puissent peser sur les mesures fixées dans le plan. Nous disposons aujourd’hui de nouveaux outils pour ça : Internet, la télévision, les nouveaux moyens de communication, etc. Différentes options peuvent être présentées à la population et les décisions peuvent être prises par elle en prenant en compte leurs conséquences sur les conditions de vie. Il s’agit de permettre le débat sur ces différentes options et, le moment venu, que les gens se prononcent en regard des priorités du Plan quinquennal, décennal, etc.

La leçon des expériences dites socialistes du siècle dernier, pour moi, c’est qu’il s’agissait d’une planification dirigée par des appareils bureaucratiques qui décidaient de ce qui était intéressant et imposaient leurs priorités. Il aurait fallu, au contraire, soumettre au débat différentes options. Il ne faut donc pas renoncer à la planification, mais il faut démocratiser la planification.

Nous avons besoin d’une nouvelle option socialiste, autogestionnaire, écologique, féministe. Nous devons défendre cette perspective.

WPV : Pour terminer, revenons au cadre de cette conférence, qui a offert l’opportunité de  vous interviewer : quelle importance donnez-vous à ce que se réalise à Cuba cette rencontre internationale autour de la figure de Trotsky ? Quelle importance y a-t-il pour vous de dialoguer avec Trotsky aujourd’hui ?

Je trouve cette initiative de tenir une conférence sur Trotsky très positive. C’est une conférence de nature académique, ce n’est pas une tribune pour des organisations politiques qui voudraient faire du prosélytisme, il y a d’autres lieux pour cela, mais bien un débat sur de nombreux aspects de l’élaboration, de l’apport et du combat de Léon Trotsky. Elle a permis de revenir sur la lutte de Trotsky contre la bureaucratie, la lutte pour l’extension de la révolution, la lutte pour faire face à l’agression extérieure. Trotsky, ne l’oublions pas, était le chef de l’Armée Rouge qui a réussi à mettre en échec la contre-révolution et l’agression extérieure en 1919-1920 en Russie Soviétique. Ont également été abordés dans cette conférence les apports de Trotsky sur les problèmes de la vie quotidienne, dans le domaine de la littérature, de la culture (un thème très présent), la réalité de la société soviétique dans les années 1920…

Et en quoi est-ce important qu’elle se soit tenue à Cuba ? Cuba est, pour moi, le seul pays de ceux qu’on appelait « pays socialistes » où le capitalisme n’a pas été restauré (la Corée du Nord constituant un cas à part vu la dictature qui y règne). C’est une question essentielle pour Cuba que de prendre en compte les leçons du siècle dernier, les luttes internes en Union Soviétique dans les années 1920 et 1930 d’une part, et les expériences récentes de restauration capitaliste en Russie, en Chine et dans d’autres pays, pour que les Cubains puissent définir souverainement leur voie et construire leur futur.

C’est évidemment compliqué parce que l’agression externe perdure. Il y a Trump, qui réduit le peu d’espace qui avait été ouvert pour Cuba durant le mandat d’Obama, certes limité mais qui marquait une ouverture. Avec Trump aujourd’hui, ces espaces se referment de nouveau. Les enjeux pour le peuple cubain et les défis pour le socialisme cubain sont très importants.

Internationaliste convaincu, j’ai toujours soutenu la Révolution cubaine, j’ai soutenu activement la lutte contre le blocus imposé à Cuba et je continue de le faire. Constater qu’il y a un espace à Cuba pour repenser les apports de Trotsky, l’importance qu’ils peuvent avoir dans les débats actuels à Cuba, c’est pour moi une grande joie. Parmi les participants, il y a ici des dizaines de camarades qui sont des révolutionnaires dans leurs pays respectifs, qui peuvent avoir des positions différentes, des vues différentes sur le trotskysme, évidemment, des visions différentes du marxisme, des visions différentes du léninisme, du fidélisme, du guévarisme, il n’y a pas une vision unique. Les débats sont ouverts, mais je ressens l’enthousiasme de ces camarades engagées dans la lutte depuis des décennies et qui voient dans cette initiative à Cuba un événement très positif.

 

Cette interview a été publiée en premier lieu en espagnol sur le blog cubain La Tizza le 31 mai 2019: https://medium.com/la-tiza/la-lecci%C3%B3n-de-la-uni%C3%B3n-sovi%C3%A9tica-es-que-la-burocracia-elige-la-restauraci%C3%B3n-capitalista-be801bb25126  Voir aussi : https://medium.com/la-tiza L’interview a ensuite été reproduite par les sites Rebelion.org, VientoSur, etc.

La traduction en français a été réalisée par Robert March.

 

 

Notes 

[1] La communication faite par Eric Toussaint à la conférence de La Havane s’appuyait sur Lénine et Trotsky face à la bureaucratie – Révolution russe et société de transition,  http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37007 Pour un court compte-rendu de cette conférence de La Havane voir : Les idées de Trotsky ont été débattues à Cuba, https://www.revolutionpermanente.fr/Les-idees-de-Trotsky-ont-ete-debattues-a-Cuba

[2] Deux extraits de ce texte : « Quand une classe s’est emparée du pouvoir, une certaine partie de cette classe devient l’agent de ce pouvoir. C’est ainsi qu’apparaît la bureaucratie. Dans un Etat prolétarien, où l’accumulation capitaliste est interdite aux membres du parti dirigeant, cette différenciation commence par être fonctionnelle, par la suite elle devient sociale. Je ne dis pas de classe, mais sociale. Je pense ici à la position sociale d’un communiste qui dispose d’une voiture, d’un bon appartement, de vacances régulières, et qui perçoit le salaire maximum autorisé par le parti. Sa position diffère de celle du communiste qui travaille dans les mines de charbon et qui reçoit un salaire de 50 à 60 roubles par mois (parce que ce dont nous discutons ici, c’est des ouvriers et des employés, et vous savez qu’on les a classés en dix-huit catégories différentes) » (…) « La bureaucratie des soviets et du parti constitue un phénomène d’un nouvel ordre. Il ne s’agit pas de faits isolés ou passagers, de lacunes individuelles, de défaillances dans la conduite de tel ou tel camarade, mais plutôt d’une nouvelle catégorie sociologique, à laquelle il faudrait consacrer tout un traité. » https://www.marxists.org/francais/rakovsky/works/kr28dang.htm

[3] Voir Fernando Martinez Heredia interviewé par Eric Toussaint « Du 19e au 21e siècle : une mise en perspective historique de la Révolution cubaine »  – CONTRETEMPS, https://www.contretemps.eu/martinez-heredia-revolution-cubaine/

[4] Che Guevara, El Gran Debate – Ocean Sur, https://oceansur.com/catalogo/titulos/el-gran-debate-2

[5] Voir par exemple : http://www.fidelcastro.cu/es/discursos/discurso-en-la-clausura-del-v-encuentro-sobre-globalizacion-y-problemas-del-desarrollo-en

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Le tragique décès de Kamel Eddine Fekhar a suscité beaucoup d’émoi et a fait couler beaucoup d’encre.

De nombreux articles ont été consacrés à ce triste événement et de multiples pancartes à son effigie ont été brandies lors des dernières manifestations.

Mais ce qui attire l’attention, c’est cette déclaration conjointe publiée sur le site de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH):

Déclaration conjointe

Bruxelles, 31 mai 2019

EuroMed Droits, Front Line Defenders, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), SOS DisparusCFDA (Collectif des familles de disparus en Algérie), le Syndicat National Autonome des Personnels de l’Administration Publique (SNAPAP)et le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ) condamnent de la manière la plus ferme les mauvais traitements infligés à Kamel Eddine Fekhar lors de sa détention arbitraire, qui ont entraîné son décès le 28 mai 2019 à l’hôpital Frantz Fanon de Blida. C’est un fait d’une gravité extrême qui témoigne des conséquences de la répression de la liberté d’expression, de l’instrumentalisation de la justice, et du mépris de la vie humaine. Nos organisations présentent leurs plus sincères condoléances à sa famille. […]

Source

 

En effet, tous les organismes algériens (sans exception) qui sont mentionnés dans cette déclaration, sont ou ont été en relation avec la principale organisation étasunienne en charge de  l’exportation de la démocratie: la NED (National Endowment for Democracy)[1] .

Cliquez sur les hyperliens pour consulter les documents

Organismes Relation avec la NED
LADDH Financement:

Année

Montant ($)

2002

20 000

2004

N/A

2005

20 000

2006

40 000

2010

37 000

CFDA Financement:

Année

Montant ($)

2005

40 000

2006

43 500

2007

46 200

2009 38 200

2010

40 000

2011 40 000
2012 à 2017 ?
2018 30 000 [2]
SOS Disparus Organisme financé à travers:

RAJ Financement:

Année

Montant ($)

2011

25 000

Autre relation:

Lire cet article

SNAPAP Relation avec le Solidarity Center

(un des 4 satellites de la NED)[5]

Lettres de Kathy Feingold,

directrice du Département International

 

Autre précision: en 2011, tous ces organismes ont été membres de la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la démocratie) qui avait pour objectif de « printaniser » l’Algérie.

Simple coïncidence?

Ahmed Bensaada


Notes

[1], [3] et [5] Pour plus de détails, consultez cette référence.

[2] et [4] À travers le financement de la FEMED (Fédération Euro-Méditerranéenne Contre les Disparitions Forcées)

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Le bellicisme de Trump assure la vente d’armes, mais sert aussi la cause de l’Iran et des Palestiniens

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Lorsque le groupe armé « État islamique » (Daech) occupait des pans entiers de l’Irak et de la Syrie, l’attention du Moyen-Orient et du reste du monde s’est tournée vers lui, au détriment de la cause palestinienne. Les pays touchés par l’horreur daéchienne se sont alors employés à reprendre les territoires occupés du Levant et de la Mésopotamie, en éliminant l’infrastructure du groupe terroriste et en stoppant le recrutement de combattants nationaux et étrangers.

 

Contre-analyse des dernières élections européennes

Par Daniel Vanhove, 05 juin 2019

Difficile pour toute analyse des élections européennes du dernier week-end de mai d’aborder les résultats sans tomber dans le travers d’une approche aux couleurs plus nationales que strictement européennes. A suivre les médias – presse, radio, télé – tout observateur a pu s’en rendre compte. Et le plus cocasse lors de ces élections dites ‘européennes’ en est leur interprétation par les ténors politiques eux-mêmes.

 

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Difficile pour toute analyse des élections européennes du dernier week-end de mai d’aborder les résultats sans tomber dans le travers d’une approche aux couleurs plus nationales que strictement européennes. A suivre les médias – presse, radio, télé – tout observateur a pu s’en rendre compte. Et le plus cocasse lors de ces élections dites ‘européennes’ en est leur interprétation par les ténors politiques eux-mêmes. La plupart d’entre eux se sont poussés au-devant de la scène sur base de leur politique nationale, et au soir des résultats même s’ils ont perdu des points, comme le président Macron, ils l’évaluent comme un blanc-seing pour poursuivre leur politique pourtant décriée par les urnes.

Sans aborder le cas de chacun des pays qui constituent l’UE, je n’en prendrai que quelques-uns pour illustrer mon propos. De manière globale, si l’on constate une augmentation générale de participation des électeurs, celle-ci reste marquée par une abstention majeure – près de 50% des citoyens européens se sont abstenus – soit, un électeur sur deux, ce qui en dit long sur l’intérêt que les citoyens portent à une institution dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Et au vu des résultats, cela en dit long également sur la notion de « démocratie » dont je parlais dans mon précédent billet (https://www.mondialisation.ca/avant-les-elections-dans-lue-arret-sur-la-notion-de-democratie/5633570). 

Ainsi, un parti et/ou un candidat qui se proclame vainqueur en arrivant autour de 20% des voix sur 50% de participation implique qu’environ 10% d’électeurs imposent leurs choix aux 90% des autres. En termes de « démocratie », c’est effectivement brillant !

A ce stade, je rappelle aussi qu’il n’existe pas un ‘peuple européen’, quoi qu’en prétendent certains ‘eurolâtres’ qui veulent à tout prix s’en persuader. De façon très prosaïque, sans même aborder la question des 24 langues officielles (!) reconnues dans l’UE, comment par exemple, penser qu’un Lituanien ait les mêmes repères qu’un Portugais ou qu’un Finlandais se reconnaisse dans les critères d’un Chypriote ou d’un Maltais ?! Bonne chance à ceux qui tentent d’y croire ! 

N’est qu’à voir à l’intérieur de certains Etats les dissensions qui animent parfois leurs citoyens (en Espagne avec les Catalans et les Basques contre l’Etat central ; en Belgique entre les Wallons et les Flamands avec l’épineuse question de Bruxelles ; en Italie entre ceux du Nord et du Sud ; sans oublier l’Irlande où les tensions restent à fleur de peau ; ni la France où la Corse n’est pas en reste, etc… dans une liste où les particularités régionales ne manquent pas d’exacerber les tensions)… sans aborder l’épineuse question du Kosovo imposé à la Serbie, au cœur de l’Europe et qui pourrait à tout moment déstabiliser la région et ses voisins ; ni de l’ombre de l’Ukraine dont les mêmes cinglés voudraient la rattacher à l’UE comme ils l’ont fait avec empressement avec les pays de l’Est, plus en conformité avec l’agenda de l’OTAN qu’avec celui des citoyens européens, pourtant premiers concernés et plus que réservés sur la question. 

Par ailleurs, l’augmentation relative de participation dont on nous a parlé s’explique en partie par le fait que dans plusieurs Etats étaient organisés des scrutins régionaux voire nationaux, comme en Belgique, Espagne, Grèce, Irlande, Lituanie et Roumanie. Si ces scrutins intérieurs n’avaient pas été couplés aux élections européennes, on peut raisonnablement penser que l’abstention à ces dernières eût été plus forte.

Mais soit, que peut-on malgré tout retenir de ces élections ? Que dans la majorité des cas, ce que l’on observe de manière nationale se répand comme une tache d’huile : l’Europe vire à droite toute et la plupart des pays semblent opter pour un repli sur soi. Les partis qui l’emportent sont souvent ceux qui ont prôné une autre Europe, moins ouverte, plus nationaliste, quand ce n’est pas une sortie de celle-ci. En effet, les plus gros scores sont réalisés par les responsables politiques qui n’ont cessé de critiquer la politique européenne menée jusqu’à présent, et pour preuve, la chute des deux partis majoritaires au Parlement européen que sont le PPE (Parti populaire européen) et le S&D (Sociaux-Démocrates) furieux adeptes d’un libéralisme débridé, qui perdent ensemble plus de 50 sièges et n’ont plus la confortable majorité qui était la leur.

Les technocrates peuvent bien se féliciter d’une meilleure participation à ces élections et trompeter que ‘les peuples européens’ sont plus que jamais attachés à l’idée d’Europe, en fait elles consacrent exactement le contraire, à savoir le rejet des électeurs de l’Europe qui leur est proposée. Après ces élections, les eurosceptiques devraient donc être plus nombreux au sein du Parlement européen. Que ce soit en Grande-Bretagne où le parti de N. Farage culmine et entérine donc un Brexit que le parti de Th. May tentait par tous les moyens d’empêcher avec l’interminable mauvais feuilleton que l’on a vu ; que ce soit en Pologne où le PiS conservateur rejette nombre de directives européennes au point que le pays se fait régulièrement remonter les bretelles par les responsables de Bruxelles ; que ce soit l’Italie avec la victoire de M. Salvini qui défie la politique d’austérité de l’Europe à chaque occasion et risque de se voir imposer des mesures disciplinaires pour non-respect des normes budgétaires ; ou de la Hongrie avec le triomphe du parti de V. Orban, qui défie lui aussi nombre de directives, sans parler de la France où le RN dépasse le parti du président en place, et ainsi de suite…

La leçon à retenir de ces élections est donc un mouvement de rejet de cette Europe au profit d’un repli national identitaire bien à droite. A force de ne pas entendre la volonté et les souhaits des citoyens, quoi d’étonnant à ce que ceux-ci choisissent les partis les plus réticents à une Union Européenne dans laquelle ils ne se reconnaissent pas tant leurs acquis sociaux sont lentement mais sûrement détricotés ? Le meilleur exemple en est le ‘Brexit’… qui pourrait à terme, faire des émules.

Un arrêt cependant sur le cas de la France, pour pointer le peu de conscience et de lucidité politique de l’électorat, et la manipulation grossière dont il est l’objet. Plusieurs enquêtes ont tenté de déterminer quel était le profil des électeurs du FN/RN de M. Le Pen. Et il semble que bon nombre des forces de l’ordre – police, gendarmerie, armée, CRS, … – y soient favorables. Certains ‘Gilets Jaunes’ – dont deux listes se présentaient à ces élections avec à peine 1% de votes – se sont ouvertement déclarés sympathisants du FN/RN et se heurtent donc de face lors des manifestations hebdomadaires, à ceux qui se trouvent du même côté qu’eux dans l’isoloir. Quelle farce ! Pour une analyse plus détaillée des votes français, en fonction de la classe sociale, lire : https://lemediapresse.fr/politique/elections-europeennes-un-vote-de-classe-avant-tout/

L’un des problèmes majeurs de l’Europe, est qu’en-dehors de rares cas – Espagne, Portugal – les ‘gauches’ nationales européennes n’existent quasiment plus. Elles ont lentement glissé au centre, par de minables calculs électoralistes et de malheureux compromis – pour ne pas dire ‘compromissions’ – avec pour résultat leur effondrement dans nombre de pays européens au profit d’une droite plus dure, plus nationaliste, souvent raciste et tendant vers l’extrême. 

Dès lors que les soi-disant ‘partis de gauches’ ont entériné la privatisation de tous les secteurs de l’économie, reprenant en chœur le mensonge des « Etats désargentés », les citoyens ont malgré eux assisté au fait que même l’information se privatise avec les résultats que l’on sait : en France les médias sont aux mains d’une poignée de milliardaires qui font donc passer l’info qui convient le mieux à leurs affaires. En Italie, S. Berlusconi avait fait pareil. On en a vu l’imposture après quelques années.

A force de répéter sans discontinuer des mensonges sur les ondes, ceux-ci rentrent lentement dans l’inconscient collectif et devient ‘vérité’. C’est une technique vieille comme le monde qui fait toujours recette. D’autant plus aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux et de la surinformation. Or cette info est complètement fausse : les Etats sont désargentés par la faute de leurs choix. S’ils voulaient vraiment récupérer l’argent là où il coule en abondance, ils devraient s’en prendre aux paradis fiscaux où des milliards sont recyclés, y compris l’argent le plus sale qui soit. Le problème est que les responsables devraient sans doute s’en prendre à leurs pratiques personnelles… ce qui ne leur convient pas vraiment.

Ensuite, ils devraient arrêter leur fuite en avant de guerres qu’ils alimentent loin de chez eux, mais qui les ruinent. Voyez les budgets des Ministères de la Défense qui en réalité s’appuient là-aussi sur des mensonges. Non, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, la Palestine, le Yémen, le Soudan, l’Iran, la Russie, la Chine, la Corée du Nord ne nous menacent pas, bien au contraire, par nos méthodes néocoloniales beaucoup de ces pays participent, malgré eux, à notre propre confort. Mais le lobby de l’armement agite des menaces inexistantes sur base de ‘fake news’ répétées, là aussi en boucle, dont on finit par voir l’imposture. En attendant, nos Etats ‘ruinés’ multiplient taxes et impôts pour financer ces budgets guerriers au profit d’une poignée de nantis qui s’engraissent sur les cadavres d’innocents, bien éloignés de leurs lieux de vie !

Cette orientation débridée vers un libéralisme à tout crin, sans prendre garde aux effets collatéraux d’élus se liant de la sorte aux principaux acteurs financiers – puisque là aussi, les campagnes électorales voient affluer des donations privées – est d’une dangerosité extrême : vous voulez notre argent, faites tourner nos usines, et de préférence à moindre coût. Si la boucle semble ainsi bouclée, ces politiques mettent véritablement la vie de tous les citoyens en danger. Parce qu’à terme, la réponse des pays que ces politiques dévastent finira par nous revenir en pleine figure. 

Ce n’est pas un scénario pessimiste, c’est ce que l’Histoire nous enseigne. Mais comme le résume très justement Bruno Guigue : « Avec le totalitarisme dans les médias, difficile d’avoir la démocratie dans les urnes ». 

Fait à noter : cette droite dure qui s’affirme ouvertement a la particularité d’être en parfaite symbiose avec l’actuel gouvernement du régime d’apartheid israélien. Ce qui d’une part, illustre l’esprit qui anime ce beau monde, et d’autre part présage que rien ne sera fait au niveau européen pour empêcher l’occupant sioniste qui se sent, avec l’appui inédit du gouvernement de D. Trump, les coudées décidément franches pour poursuivre le démantèlement de ce qui reste de la Palestine historique.

Les analyses de ces ‘euroïnomanes’ proclamés sont donc étranges voire amusantes à lire, avant de devenir sans doute dramatiques dans le quotidien des citoyens qui par manque de lucidité et de réflexion se seront fait berner, une fois de plus !

Daniel Vanhove

 

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Quelle que soit la lenteur de son agonie, le destin de la démocratie représentative (ou république parlementaire) en Algérie semble scellé.
Tous les partis politiques algériens sans exception, du plus gros au plus petit, ont déclaré boycotter l’élection présidentielle. Si soixante-dix-sept formulaires de candidature ont paraîf-il été retirés, seuls deux ont été remplis et déposés. C’est évidemment suite à une entente interpartisane générale, et avec une assurance mutuelle de non participation, que chaque parti a pu décider de ne pas présenter de candidat en étant certain que les autres partis feraient de même. Cela ne les empêche cependant pas, aujourd’hui, de critiquer non seulement l’annonce d’un nouveau scrutin (évidemment) mais également l’annulation de l’élection du 4 juillet (bizarrement) faute de candidats. Les mêmes partis qui déclaraient hier qu’une élection était impossible et indésirable reprochent aujourd’hui au Conseil Constitutionnel d’officialiser ce constat, et le caractérisent de reculade du « pouvoir ».
Quand aux deux malheureux candidats non partisans, il est plus que vraisemblable qu’ils ne s’attendaient pas à être les seuls, mais ils ont été pris au piège puisque si leur candidature avait été agréée par le Conseil Constitutionnel ils n’auraient pas pu la retirer jusqu’à la tenue du second tour. L’un d’entre eux aurait nécessairement été élu, car la loi organique électorale d’août 2016 ne dicte aucun quorum ou aucune participation minimum pour la validité d’une élection présidentielle. Ainsi quel que soit le taux de participation électorale, si aucun candidat n’obtient la majorité absolue des suffrages au premier tour les deux candidats ayant réuni le plus de voix sont proposés au deuxième tour, où celui réunissant le plus de voix est alors élu, le retrait d’un candidat étant interdit après l’agrément de sa candidature. Une démission présidentielle n’aurait pu intervenir qu’après l’investiture, donc en août, et le nouveau président aurait été obligé de rester en fonction jusqu’à l’intronisation du prochain président (article 103 de la constitution).
Cette solution d’un président électoralement peu représentatif, bien qu’élu de la manière la plus régulière possible dans les conditions actuelles, aurait permis de remettre les partis politiques en face de leurs responsabilités nationales. Pour leur part les deux petits candidats inconnus au mandat suprême, entrepreneurs, chefs d’entreprise et déjà candidats à des mandats électifs, sont certainement des hommes responsables (quelles que soient leurs capacités politiques), conscients des devoirs d’un volontaire investi envers la collectivité, et qui n’ont certainement aucune leçon de civisme, ou de sens du service public, à recevoir des chefs de partis déserteurs. Il est vraisemblable qu’ils avaient chacun réuni les six cents parrainages d’élus ou soixante mille soutiens de citoyens, faute de quoi ils n’auraient pas déposé leurs dossier, mais le Conseil Constitutionnel a dû leur trouver un défaut de l’une des nombreuses conditions subsidiaires (conformité politique des parents…).
En annonçant ce 2 juin le rejet des deux candidatures, le Conseil Constitutionnel a également enjoint au chef de l’Etat par interim, le président du sénat dit Conseil de la Nation, de convoquer de nouveau une élection présidentielle, en application de son mandat essentiel. Interprète suprême de la constitution, le Conseil Constitutionnel juge donc que l’organisation d’une élection présidentielle valable prime sur le délai initialement accordé au chef de l’Etat par interim pour ce faire, en l’occurrence quatre-vingt-dix jours. Abdelkader Bensalah ne saurait rentrer chez lui (ou au sénat) le 8 juillet en se lavant les mains du futur du pays, et tous ceux, chefs de partis irresponsables et journalistes ignares, qui jubilaient bruyamment de la prochaine chute de l’Etat par péremption de la légitimité de son chef intérimaire, peuvent tempérer leur empressement anarchiste. Comme disait Charles Maurras, la république gouverne mal mais elle se défend bien. La deuxième république algérienne, comme la vingtaine de nouveaux régimes français depuis un peu plus de deux siècles, ne peut advenir que par un véritable coup d’Etat contre le régime antérieur. C’est justement ce que n’ont pas compris, ou pas voulu assumer en 2017, les admirables et consciencieux constitutionnalistes constructeurs de la république catalane, capables de construire un Etat de droit imparable et accompli, mais incapables de prononcer la simple mais fondamentale phrase de déclaration de sécession de l’Espagne.
Alors que les apparatchiks de partis politiques algériens croient se gagner les faveurs de « la rue » en refusant l’exercice de la démocratie représentative organisée, au prétexte de rejeter « le système » et sans réaliser qu’ils disqualifient irrémédiablement leurs partis, une poignée d’hommes d’Etat avisés et expérimentés ont tenté il y a deux mois de confier, anticonstitutionnellement certes, la direction de la nécessaire transition à un intérimaire aux pouvoirs limités mais exceptionnels. L’homme pressenti pour être investi de cette dictature de salut public, l’ancien président de la république Liamine Zéroual, a refusé ce mandat, puis le chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la Défense, dernier rempart actuel de la légalité, a fait arrêter ces « comploteurs ». Ce fut d’ailleurs la plus grande faute du général Ahmed Gaïd Salah jusqu’à présent. Le général Mohamed Mediène, ancien homme le plus puissant d’Afrique bien que dénué d’ambition personnelle, n’a plus aucun pouvoir ou soutien et ne représentait certainement pas un danger pour l’Algérie, mais son trop facile défèrement à la justice, sans protestation d’aucun défenseur, éteindra sûrement la vocation de tout homme providentiel qui aurait pu espérer trouver des soutiens pour tenter de sauver l’Etat pour le salut du pays.
La justice algérienne, de son côté, ne chôme pas. Contrairement aux accusations infondées, le chef d’état-major n’a pas pris le pouvoir et ne donne pas d’ordre à la justice. Mais celle-ci a été libérée du joug des gérontocrates FLN corrompus, et a pu commencer à lancer une opération « mains propres » contre la nomenklatura dont les détournements saignaient le pays. Des dizaines de parasites voleurs, aux confins des milieux politique et économique, sont déjà sous les verrous. C’est d’ailleurs le signe principal montrant que l’oligarchie FLN est bien tombée et qu’il n’est pas nécessaire de poursuivre la révolution jusqu’à la destruction de l’Etat et de la jeune démocratie. Le nettoyage judiciaire de la haute direction des entreprises publiques ou parapubliques n’a d’ailleurs pas entraîné, pour l’instant, l’arrêt immédiat du peu d’activité économique algérienne et l’arrêt du versement des salaires et des prestations sociales, nécessaire au déversement de la population par-delà la Méditerranée. Au contraire la réduction sensible de l’émigration, depuis le début du mouvement, semble indiquer que les Algériens ont une certaine foi en l’avenir de leur pays, et pas encore de sentiment d’insécurité. Les instigateurs discrets n’arrêteront donc pas le hirak (« mouvement ») avant l’épuisement des belles réserves financières du pays, et le désordre social complet.
Contrairement aux titres inflammatoires de certaine presse étrangère anglophone ou arabophone, il n’y a pas de répression en Algérie. Certes la police est parfois intervenue face aux provocateurs infiltrés pour déstabiliser par la violence les manifestations pacifiques, certes aussi la gendarmerie a parfois tenté d’empêcher l’entrée à Alger de manifestants amenés d’ailleurs en autobus (dont on ignore qui les a commandés), mais aucun pouvoir sécuritaire n’a cherché à faire appliquer l’interdiction légale de manifestation dans la capitale, dont les habitants sont ainsi de facto autorisés à manifester comme leurs concitoyens. Pour filmer de la violence provocative ou répressive quelque part entre Dunkerque et Tamanrasset, il est plus productif de couvrir les manifestations de quelques milliers de participants au nord de la Méditerranée que celles de plusieurs millions au sud.
L’un des derniers thèmes spontanément brandis par les manifestants du vendredi à la sortie de la mosquée consiste, sous des libellés divers, à refuser un pouvoir militaire et exiger un « Etat civil ». En réalité, le refus de toute tentative de transition ordonnée le montre bien, c’est tout forme d’Etat, civil ou pas, que les ressorts cachés du hirak rejettent. On a rejeté la proposition de conférence nationale constituante faite, sous peu discret parrainage international (onusien et panafricain), aux derniers jours de la présidence Bouteflika. On a rejeté l’idée de transition constituante sous régime d’exception préparée par Toufik. Et on rejette la solution constitutionnelle de changement démocratique de chef d’Etat puis de lancement du chantier constituant organisé, toujours soutenue par le chef d’état-major et dernier vrai ministre respecté. Et maintenant on accuse celui-ci de militarisation du régime, ce qui est bien la dernière de ses intentions. C’est aussi la dernière des aspirations d’une armée algérienne suffisamment occupée à protéger les frontières des infiltrations atlantico-islamistes, et dernièrement préoccupée par l’annonce du parachutage du chef de l’Etat Islamique (surnommé al-Baghdadi) en ex-Libye, après qu’il ait été exfiltré par ses protecteurs de sa précédente zone d’opérations, la Syrie orientale sous occupation étatsunienne.
En fait il était évident, lorsque les chefs des trois principaux partis islamistes d’Algérie ont déclaré ne plus avoir confiance en aucune institution sauf l’Armée Nationale Populaire, et publiquement appelé celle-ci à diriger la transition, il y a un mois, qu’ils en attendaient bien sûr la liquidation de l’Etat, mais surtout l’incarnation d’un dernier représentant de la légalité, en l’occurrence le chef d’état-major, afin de le blâmer ensuite et disqualifier la dernière institution solide, si possible après l’avoir amenée à une confrontation violente avec « la rue ». On n’a pas réussi à faire mal réagir l’armée, mais on accuse le très légaliste général Gaïd Salah de despotisme et dictature militaire, dont on aurait du mal à déceler la moindre trace dans les rues d’Algérie, certainement bien moins patrouillées que les lieux publics de France et de Navarre par exemple.
Les politiciens déserteurs, répétés par la presse inconséquente, appellent maintenant « solution politique » ce qu’ils appelaient initialement « solution consensuelle », c’est-à-dire avant tout anticonstitutionnelle et anarchique. Cela ne les amène par pour autant à proposer le moindre schéma de nature politique, ni à s’engager personnellement, comme politiciens expérimentés dans la gestion de l’Etat ou dans la collecte des suffrages, dans le règlement de la crise. Tous n’ont comme référence que l’article 7 de la constitution (qu’ils rejettent pourtant), selon lequel « le peuple est la source de tout pouvoir », en omettant l’article 8 selon lequel sa souveraineté, et son pouvoir constituant, s’exercent « par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne […] par voie de referendum et par l’intermédiaire de ses représentants élus ». Dans leurs discours consciemment révolutionnaires et inconsciemment anarchiques, le fameux rejet du système signifie le rejet de tout processus organisé de solution. Une soixantaine de coordinations estudiantines, syndicats de salariés et ordres professionnels tentent bien de se proclamer collectivement « société civile », mais il apparaîtra inévitablement qu’ils ne représentent que leurs adhérents, une fraction de la petite population active. Même s’ils arrivent à élaborer un schéma commun de sortie de crise ou de processus constitutionnel, d’abord ils seront à leur tour accusés de confiscation par les chefs islamistes, et ensuite et surtout ils n’arriveront pas à faire légitimer et valider leur projet par un plébiscite.
Les très irresponsables chefs de partis politiques ont réussi à discréditer non seulement le gouvernement déchu mais également tout processus électoral, qu’ils assimilent au « système », alors qu’un accord des partis d’opposition, voire mieux de tous les partis, aurait permis d’organiser et de superviser un scrutin libre d’ingérence gouvernementale. Lorsque des urnes existent il ne se pose que la question de l’emplacement et la sécurité des isoloirs, et du contrôle du vote libre et unique de chaque électeur. Mais en Algérie les hommes politiques de tout niveau ont, cette année, unanimement rejeté l’exercice de la démocratie représentative. Or, si la démocratie directe est possible à l’échelon d’une petite cité, aucune place publique d’Algérie ne peut accueillir vingt millions d’électeurs, et aucune personne physique ou morale n’a la capacité et la crédibilité (encore moins la légitimité) d’effectuer en temps réel le décompte du vote à main levée de millions de personnes.
Le 30 mai, par un communiqué très largement diffusé, l’association des oulémas (dignitaires mahométans), silencieuse depuis l’explosion spontanée massive de la contestation à la sortie des mosquées le 22 février, a enfin publié sa préconisation. Les oulémas veulent eux aussi une conférence nationale, mais moins pour rédiger une constitution que pour établir des règles contre le « pourrissement politique, économique, social et culturel ». Ensuite, comme tout le monde ils voient une période de transition politique, à commencer dès juillet, avant l’avènement du prochain régime. Ils demandent que cette transition soit dirigée par une « personnalité consensuelle » non élue, comme l’avaient déjà réclamé les chefs des partis islamistes début avril, en l’occurrence une personne non préalablement compromise dans la politique sous l’ancien régime. Ils estiment que le peuple s’est déjà assez exprimé, ou plus précisément que « le referendum fait par le peuple durant les vendredis du hirak suffit à lui-même ». Après la période de transition, c’est une « compétition saine entre les acteurs de la scène politique » (pas un processus électoral) qui déterminera l’avenir du pays. A ce stade des recommandations, les oulémas ne précisent pas la procédure de détermination des acteurs de la scène politique, non compromis sous l’ancien régime, aptes à la saine compétition dans le futur contexte épuré de pourrissement politique, économique, social et culturel. Les oulémas ne font pas non plus, pour l’instant, de suggestion quant à la personnalité à désigner comme chef de l’Etat, par un « consensus » non électoral entre des décideurs pour l’instant indéfinis.
A titre anecdotique on remarquera que la mobilisation des masses est entretenue avec des thèmes nouveaux chaque vendredi, spontanément exhibés à la sortie des mosquées. Tour à tour le rejet de la candidature de Bouteflika, le rejet du scrutin du 18 avril, le rejet de la conférence nationale constituante, le rejet du gouvernement Bedoui, le rejet (en Kabylie) du totalitarisme arabe, le rejet du scrutin du 4 juillet, le rejet du « pouvoir militaire », la libération de Louisa Hanoune, la vérité sur le décès en prison de Kamal-Eddine Fekhar, et toujours bien sûr la mise à bas du système et le départ des politiciens. Mais tout cela reste informel et personne n’a présenté de processus fiable pour le décompte des manifestants du vendredi ou des opposants à telle ou telle option, aussi est-il facile de dire que le peuple refuse ceci ou cela, sans risquer de démenti. Si, vu d’hélicoptère, on peut estimer que quelques millions de personnes rejettent la politique du FLN, vu d’un balcon d’El Mouradia ou des Tagarins rien ne permet d’assurer que la majorité des vingt millions d’électeurs refusent tout processus démocratique représentatif.
Par ailleurs on notera aussi, après la désertion collective des politiciens (et l’absence du parlement dont les députés du peuple touchent pourtant leur salaire), l’écrasant silence du seul corps incontestablement élu, représentatif et proche des électeurs, à savoir les dizaines de milliers de maires et conseillers municipaux, seul corps qui serait pourtant capable, lorsque l’armée aura pris acte de la chute de l’Etat, d’organiser un chantier constituant national. Quant aux deux grands commis de l’étranger, discrètement retirés en mars, ils attendent peut-être qu’un carnage supérieur à celui de la décennie quatre-vingt-dix débouche, après effacement de l’armée algérienne, sur un mandat international.
Finalement, tout ce que l’on a anticipé ou exposé sur le sujet depuis octobre dernier se confirme, tant sur la décision de déstabilisation (http://stratediplo.blogspot.com/2018/10/tant-qua-destabiliser.html), que sur son déclenchement sans surprise (http://stratediplo.blogspot.com/2019/03/destabilisation-de-lalgerie.html) et sur son apparente irréversibilité (http://stratediplo.blogspot.com/2019/04/loffensive-de-destabilisation-de.html).
Note : il ne faut pas voir dans ces lignes un plaidoyer en faveur de la démocratie mais une étude de cas de science politique.
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