Palestine: Réflexions et interrogations sur un tournant historique

La presse a qualifié le résultat des élections palestiniennes de séisme – ou de tsunami – politique. Pour moi, c’est beaucoup plus que cela.

C’est l’écroulement du monde palestinien que j’ai connu, laïque, démocratique, « de gauche », socialisant, et qui, à partir de la fin des années 60, a tenté d’être non seulement un mouvement de libération pour la conquête d’une terre et d’une indépendance, mais aussi le « sel » de l’émancipation des peuples au Moyen-Orient, trouvant sur son chemin non seulement la politique coloniale israélienne mais aussi la dure opposition des régimes arabes. C’est l’écroulement des partis de l’OLP à commencer par le Fatah, avec, dans la foulée, la défaite de toutes les organisations de gauche et d’extrême gauche. C’est comme si Arafat était mort une deuxième fois.

Bien entendu, on ne peut séparer cet événement du contexte général du Moyen-Orient et du monde arabe caractérisé par l’affirmation de l’islamisme politique qui, en l’absence d’un processus de démocratisation, est apparu comme la seule alternative possible.

Pour mieux faire ressortir le tournant historique en Palestine, il faut évoquer – même rapidement – l’état du mouvement palestinien en 1970. A ce moment-là s’affirme le Fatah qui privilégie la thèse maoïste de la révolution ininterrompue à travers une « guerre populaire de longue durée » ; celle-ci devait déboucher sur une transformation de type socialiste des rapports de production qui abolirait les privilèges, dans le cadre d’une Palestine laïque et démocratique réunissant Juifs et Arabes. Pour leur part, le Front populaire et le Front démocratique insistaient sur la nécessité d’un parti révolutionnaire marxiste-léniniste pour mener à terme, sous direction prolétarienne, la révolution palestinienne. A ce moment-là, l’islamisme n’était plus le fondement culturel de l’identification nationale et ne pouvait exercer un rôle idéologique dominant.

Et maintenant survient ce qui, il y a 15 ans, au moment de la fin des blocs et de la conférence de Madrid était inimaginable (et qui finalement est devenu, avec le temps inévitable). Hamas est le produit de la guerre contre tout un peuple dans tous les moments de la vie quotidienne. C’est l’enfant du désespoir et de la liquidation du droit international, de l’indifférence de la communauté internationale face à la puissance d’Israël, dans un monde monopolaire où la « guerre préventive contre le terrorisme » a totalement remplacé le droit international. Et que personne ne vienne nous dire aujourd’hui que le dit processus de paix est bloqué parce que Hamas a gagné. Ce processus est mort en 1995 avec l’assassinat de Rabin.

Aujourd’hui le Fatah paie le prix d’avoir mal tenu à bouts de bras une Autorité palestinienne devenue une fiction juridique d’un pseudo-Etat qui n’a jamais trouvé depuis un interlocuteur de paix. Israël a tout fait pour délégitimer et décrédibiliser Arafat et a réduit Abou Mazen à une sorte de fantoche devant son peuple quand il a été mis devant le fait accompli du retrait unilatéral de Gaza. Le monde a beaucoup applaudi. Mais « unilatéral » voulait dire « aux conditions du vainqueur »…

La victoire du Hamas se produit alors que la Cisjordanie est militairement occupée. Historiquement, le mouvement islamique a tiré sa force d’avoir été favorisé par Israël dès sa naissance, en alternative au Fatah et à l’OLP. Il a tiré sa force ensuite de l’appauvrissement de la Palestine à laquelle il a apporté le secours d’un système de protection islamique issu de financements privés du monde musulman. En même temps, depuis l’éclatement de la deuxième intifada, s’accentuait la mise hors jeu par l’assassinat ou l’emprisonnement de la majorité des cadres moyens du Fatah mais aussi d’une partie de ses dirigeants à commencer par Yasser Arafat et Marwan Barghouti. Mais tant qu’Arafat était vivant, Hamas ne pouvait l’emporter. Une fois Arafat sorti de scène, il était la réponse à l’agressivité d’Israël.

Aujourd’hui, la droite israélienne n’est pas mécontente de ce résultat qu’elle a tout fait pour favoriser. Pour elle, les choses devraient devenir encore plus simples. On pourra en toute tranquillité compléter la construction du mur en Cisjordanie, enfermer tout Jérusalem, entamer de nouveaux plans unilatéraux : avec un gouvernement Hamas, personne au monde en dehors d’une partie des pays musulmans, espère-t-on, n’osera ouvrir la bouche.

Ce tournant historique impose une réflexion en forme de retour en arrière. Ceux qui, comme moi pendant un temps, ont partagé une vision idyllique d’une Palestine laïque et démocratique unitaire ou binationale, se sont peut-être mépris lourdement à la fois sur les objectifs réels du mouvement palestinien et sur les possibilités de mettre en œuvre cette vision. En fait, ce conflit, profond, total, est avant tout un conflit de délimitation de souveraineté sur une même terre entre deux peuples, l’un, économiquement développé, avec l’appui de l’Occident et l’autre économiquement sous-développé et éclaté, inséré dans un contexte de révolution arabe anti-coloniale et de reconquête d’une identité nationale bafouée qui a échoué.

Le lien entre gauche et sud du monde, mouvement de solidarité et sud du monde, est ancien mais pas toujours limpide ni surtout complètement élaboré. La gauche a oscillé entre incompréhension et soutien plus ou moins inconditionnel aux luttes des peuples du Tiers-monde (tiermondisme, la campagne qui va libérer la ville). Une partie de cette gauche a voulu croire, ou espérer, qu’un raïs ou qu’un imam ou qu’un caudillo populiste, suffirait pour court-circuiter l’Histoire, l’accélérer, servir de catalyseur positif pour l’émancipation des peuples et des individus. Aujourd’hui, le réveil est dur.



Articles Par : Bernard Ravenel

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