Palestine : évacuation de Ghaza et occupation de la Cisjordanie

Chacun sait que, dans la vision du Premier ministre israélien Ariel Sharon, le «plan de désengagement» est, non seulement, une «mesure de sécurité», mais aussi une mesure politique avec des desseins stratégiques. D’une part, le «désengagement» militaire et le démantèlement des colonies obéissent à une stratégie face à l’Intifadha et à son coût militaire, notamment la difficulté d’assurer la sécurité sur le terrain aux colons. D’autre part, ce plan unilatéral permettra au gouvernement israélien de consolider son projet d’une Palestine sans souveraineté et continuité territoriales, en tirant profit des développements sur la scène régionale et internationale. En renonçant, au projet de Grand Israël défendu par l’extrême droite, Sharon réalise le programme des travaillistes dont la conception de la sécurité d’Israël diffère des extrémistes partisans de la solution militaire et de la colonisation. Entre la colonisation brutale et coûteuse, et le maintien de la domination politique via un accord avantageux, Ariel Sharon, connu pour ses positions radicales anti-palestiniennes, a fini par choisir le mode de gestion du conflit le plus profitable à long terme.

Premier gain de cette opération : le renforcement du contrôle sur la Cisjordanie, occupée par 240 000 colons. «La véritable actualité, c’est ça», estime un expert palestinien, Khalil Tofakji, en rappelant que le «ministère israélien du Logement a autorisé, à la veille du désengagement de Ghaza, la construction de 72 maisons nouvelles dans la colonie de Betar Illit où résident 20 000 personnes. Quelque 1 700 unités de logement seraient en voie de construction en Cisjordanie», selon M. Tofakji. Sans compter les hectares de terres agricoles redistribués tout autour de ces implantations.
A El Qods, coupée déjà du reste de la Cisjordanie par le mur et une ceinture de colonies en expansion, «l’objectif est de contrôler totalement l’espace et de réduire au minimum le pourcentage des Palestiniens». Ainsi, au moment des négociations sur le statut final de la ville, «les Israéliens, qui auront la majorité géographique et démographique, auront beau jeu de dire qu’il n’y a plus rien à négocier, à part peut-être quelque chose pour les Lieux saints chrétiens et musulmans». Une politique du fait accompli sans cesse utilisée.

Pour Mahmoud Abbas, le dit retrait de Ghaza ne peut être compris que comme une première étape dans la mise en œuvre de la feuille de route élaborée par le quartette Union européenne, Officiellement, Washington, aussi, souligne qu’il doit constituer le premier pas vers la reprise des pourparlers de paix.
Selon, Abdellah Al Efringui, membre du comité central du Fatah, «le retrait israélien est le fruit de plus de quatre ans de seconde Intifadha et aussi des énormes efforts politiques qu’a déployés le président défunt Yasser Arafat et que le président Mahmoud Abbas poursuit. Il y a aussi un troisième facteur : le contexte interne en Israël qui ne peut supporter la poursuite de l’occupation de la bande de Ghaza et garantir le maintien des colons. Sharon veut jeter de la poudre aux yeux du monde en prétendant qu’il veut parvenir à une entente avec les Palestiniens, en se retirant de Ghaza. Il est vrai qu’il va évacuer la bande de Ghaza, mais il œuvre clandestinement à propager le chaos dans ce territoire».

Et de préciser dans El Ahram : «Ce retrait ne doit pas se faire aux dépens de la Cisjordanie et de Jérusalem. Son objectif ne doit pas être de donner à Israël l’occasion de poursuivre la construction du mur de séparation et d’étendre les colonies en Cisjordanie. Nous œuvrons pour que le retrait de Ghaza soit une partie de la feuille de route et non une solution israélienne imposée par Sharon aux Palestiniens.»
Ainsi les Palestiniens ne nourrissent-ils guère d’illusions sur les objectifs d’Ariel Sharon, soutenu par une décision du Conseil de sécurité et des pressions internationales, au point d’espérer véritablement que le plan unilatéral de désengagement puisse constituer un pas vers l’application de la feuille de route.
La coordination elle-même du «désengagement» représente une entorse à la liberté de décision palestinienne, en ce sens qu’Israël ne se contente pas d’évacuer ses troupes, comme dans le cadre d’un vrai retrait, mais veut encore intervenir dans les affaires internes palestiniennes. «La domination israélienne se poursuit dans toute son étendue, sur toute la vie dans la bande de Ghaza, après le désengagement : le séjour ou non-séjour de tout citoyen palestinien dans la bande de Ghaza est lié à l’accord israélien. La remise de l’identité palestinienne est conditionnée par le fait d’avoir eu l’identité israélienne, ou par l’accord israélien de lui donner une identité. Le droit des Palestiniens à retourner dans la bande de Ghaza est rattaché à la coordination avec la partie israélienne», explique un cadre palestinien. «Ceci est également confirmé par l’accord palestinien sur la présence d’observateurs étrangers sur le point de passage entre la bande de Ghaza et la République arabe d’Egypte, qui auraient la responsabilité de contrôler l’identité de ceux qui y viennent, comme ils contrôleront tout corps ou produit de ravitaillement arrivant à la bande», ajoute cette même source.

Autre risque : «Si Israël exécute le retrait total, l’Autorité palestinienne aura l’entière responsabilité de l’administration des moindres détails, ce qui reste entièrement différent de l’implication palestinienne en cas d’accord sur le plan de désengagement qui fait porter à Israël la responsabilité de toute violation de la stabilité de la vie sociale palestinienne. C’est ce qui se passera immédiatement après le désengagement.»
En réaffirmant son attachement au principe d’unité géographique du Territoire palestinien dans la bande de Ghaza et en Cisjordanie, El Qods – Est y compris, conformément aux normes et traités internationaux et accords signés avec le gouvernement d’Israël qui s’est engagé à ne pas transgresser le statut légal des territoires où le retrait aurait lieu, l’Autorité nationale palestinienne a, dans un communiqué début août, appelé la communauté internationale «à engager Israël [force de l’occupation] dans l’obligation de respecter la juridiction de l’Autorité nationale dans le Territoire palestinien, y compris la liberté de mouvement des personnes et des marchandises, le contrôle des passages frontaliers, la mise en service de l’aéroport international et du port maritime ainsi que la continuité géographique entre la bande de Ghaza, le reste du Territoire palestinien et le monde extérieur».
 
C’est dire que l’opération d’évacuation de Ghaza, qui s’échelonnera jusqu’en octobre, laisse entière la résolution du conflit israélo-palestinien.
Les Palestiniens devront à la fois prouver leur unité sur le terrain en s’accordant sur une stratégie de lutte nationale pour poursuivre leur revendication d’un Etat indépendant et empêcher un chaos à Ghaza dont l’unique bénéficiaire serait Israël et son chef du gouvernement décidé à piloter l’évacuation de cette partie des terres palestiniennes comme une partie stratégique dans la résolution du dossier.



Articles Par : Chabha Bouslimani

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