Panamalgame – dernière assimilation abusive

En assimilant abusivement une opération de diffamation ciblée et infondée à une enquête de fond, la campagne Panamalgame a sérieusement disqualifié la presse européenne.
On a déjà exposé comment la campagne Panamalgame a confondu intentionnellement sociétés offshore (personnes légales sous statut non résident) et comptes offshore (lignes comptables dans des comptes bancaires états-uniens), puis comment elle a mélangé volontairement expatriation légale de capitaux et fraude fiscale dans le pays d’origine, et comment elle a aussi pris les lecteurs des grands quotidiens sensationnalistes pour des ignorants du droit commercial et des sociétés.
Une autre assimilation abusive de cette campagne a consisté à présenter une diffamation ciblée et infondée comme une enquête de fond.
Le Consortium International des Journalistes Fouilleurs (www.icij.org) ne se cache pas d’être un « projet » du Centre pour l’Intégrité Publique états-unien (www.publicintegrity.org), sis à Washington, dont tous les administrateurs ont travaillé dans de grands médias états-uniens et dont le conseil consultatif compte parmi ses membres des personnalités comme Paul Volcker (Commission Trilatérale, Chase Manhattan, Federal Reserve, gouvernement états-unien…). Son Programme de Délation du Crime Organisé et de la Corruption (www.occrp.org) affiche clairement être financé par le gouvernement états-unien (USAID) et l’empire Soros (Open Society). Ce sont les journaux ayant accepté le rôle de relais étrangers (dont Le Monde pour la France) qui avaient omis ce petit détail au moment de diffuser les « conclusions » élaborées par ce programme après que le Süddeutsche Zeitung lui ait communiqué la dénonciation anonyme puis la documentation électronique qu’il dit avoir reçues.
Pour mémoire la presse occidentale a coutume de qualifier de « source non indépendante » toute source privée ou publique hors pays de l’OTAN, et de « information non confirmée » tout ce qui ne provient pas d’une agence de presse d’un pays de l’OTAN (AFP, AP et Reuters). Et il n’y a encore pas si longtemps la presse des pays libres exigeait que ses sources se présentent (quitte à protéger leur identité) pour prendre en compte ses informations, et les recoupait avec d’autres sources avant de les exploiter, sans préjudice de la déontologie du journalisme définie dans la Charte de Munich.
Sur le plan pénal, la plupart des pays n’acceptent pas les dénonciations anonymes, mais par ailleurs obligent toute personne ayant connaissance d’un délit à le dénoncer à la justice (du pays), tout en garantissant la présomption d’innocence à toute personne non encore condamnée. Le Süddeutsche Zeitung a cependant immédiatement annoncé qu’il garderait secrets la douzaine de millions de courriels qu’il prétend avoir reçus, et ne les communiquerait à aucune autorité judiciaire, interdisant illégalement toute enquête et poursuite judiciaire contre les personnes qu’il diffame, ainsi privées de droit de défense. Les accusations resteront donc infondées. Certes la justice des états de droit ne reconnaît aucune valeur aux supports électroniques, même si ceux électroniquement authentifiés peuvent souvent être présentés à titre indicatif (valeur d’indice). Dans certains pays les documents obtenus frauduleusement sont irrecevables, et dans d’autres les documents privés (notamment correspondance, dont l’interception est un délit) ne peuvent être produits qu’avec l’accord de leur auteur.
C’est d’ailleurs le cas en France, ce qui n’a pas empêché son gouvernement impulsif, dès le lancement de la campagne Panamalgame, d’annoncer immédiatement des sanctions contre le Panama, sans même s’interroger sur le caractère international (et authentique) des faits qu’un voleur anonyme de correspondance électronique (peut-être altérée) avait rapportés à un journal allemand au lieu de les dénoncer devant la justice panaméenne. Dès le 5 avril, le ministre Sapin a annoncé à l’assemblée nationale la décision du gouvernement français, accompagnée de qualificatifs peu diplomatiques à l’encontre du gouvernement panaméen, d’inscrire le Panama sur une « liste noire » franco-française distincte (et manifestement différente) de celle du GAFI. Le gouvernement panaméen a ainsi appris par la presse française que le gouvernement d’un pays ami, auquel il accorde d’ailleurs le libre passage des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (vecteurs nucléaires stratégiques) de l’Atlantique au Pacifique, allait lui appliquer sans document ni procès une série de « sanctions », hostilités contraires au droit international. D’autres gouvernements se sont joints au français pour annoncer d’une part des hostilités contre le Panama, et d’autre part une chasse indiscriminée aux sociétés offshore et surtout aux fonds offshore pas encore réfugiés aux Etats-Unis (soit une minorité).
Alors que le gouvernement français a récemment démontré ses prétentions à la juridiction universelle en faisant condamner par sa justice (dont la révocation de l’indépendance a été prononcée en août 1790 et confirmée en janvier 1987) le responsable belge d’un site internet belge dont le contenu pouvait heurter l’intolérance de mahométans francophones, on ignore comment il réagirait si l’Italie ou l’Allemagne lui appliquait des sanctions sans jugement au motif que le ministre français du budget a un compte bancaire clandestin en Suisse ou qu’un pirate informatique anonyme déclarait à un journal espagnol que le cabinet juridique Dupont & Dupuis aide des entreprises étrangères à ouvrir des comptes bancaires en France. On ignore aussi comment il réagirait si toute la presse unanime d’Asie ou d’Afrique déployait la photographie du président français en première page de numéros spéciaux rapportant les accusations anonymes d’un pirate informaticien contre le grand capitalisme américain, au motif que le président aurait côtoyé à l’école primaire un concitoyen, aujourd’hui homme d’affaires au casier judiciaire vierge, dont le nom apparaît à un titre ou un autre dans la correspondance électronique non authentifiée anonymement volée ou imputée à un cabinet de conseil singapourien. Au-delà des questions politiques et diplomatiques selon que ces gouvernements de pays asiatiques ou africains décideraient de soutenir ou de réprimer ces agissements de leur presse, le droit français définit cela comme propos injurieux s’ils ne contenaient aucune accusation précise (« M. Hollande est un vaurien et dans son pays il y a un citoyen qui… ») ou comme propos diffamatoires, donc portant atteinte à son honneur ou à sa considération, s’ils contenaient une accusation particulière (« M. Hollande est personnellement lié à un concitoyen qui… »).
Quant à la profondeur de la prétendue enquête de fond que la grande presse occidentale qualifie de journalisme d’investigation, elle a vite été ramenée à sa juste dimension méthodologique, en l’occurrence une recherche ciblée automatisée. Sur la base de données représentée par ces 11,5 millions de courriels, on a lancé sans même les ouvrir une recherche de 730 noms, à savoir une liste de 600 noms établie arbitrairement par les Etats-Unis pour l’imposition par les membres de l’OTAN et de l’UE de « sanctions » sans jugement préalable telles la confiscation illégale (vol) de comptes bancaires (ministres nord-coréens par exemple), et une liste de 130 noms établie par ledit Centre états-unien pour l’Intégrité Publique à l’étranger sur des critères inavoués mais prétextant des liens entre milieux d’affaires et politiques (présidents de clubs de football par exemple). Pour faire une comparaison, il ne s’agit ni d’une étude sociologique statistique sur l’infidélité conjugale, ni d’une enquête de police d’adultère nominatif, mais d’un rapport de détective privé répondant à la question « le prénom de Julie apparaît-il dans les courriels de mon mari ? » (sans demander ni si un autre prénom apparaît, ni si Julie apparaît dans la correspondance du fils, ni à quel titre, mentionné ou destinataire, ce prénom apparaît). C’est ainsi qu’on a la certitude que le nom du président du plus grand pays du monde (dont les journaux des pays membres de l’OTAN ont mis le portrait en première page) ne figure pas une seule fois dans la douzaine de millions de courriels, et que le nom du président du pays qui a financé (donc commandité) l’opération n’a pas été proposé au logiciel de recherche, pas plus d’ailleurs que le nom d’aucun dirigeant de ses grandes entreprises bancaires ou industrielles.
Même si la campagne Panamalgame orientée avait pour objectif principal de ramener au plus grand paradis fiscal mondial les fonds officiellement enregistrés dans ses petits concurrents, et pour objectif secondaire de discréditer, déshonorer et affaiblir le président du grand pays le plus probe, elle a aussi contribué, ce qui était peut-être un objectif subsidiaire, à disqualifier un peu plus la presse européenne qui a diffusé et démultiplié cette campagne. La publication sensationnaliste et délictuelle, ce 9 mai, de prétendus extraits choisis de ces documents volés ou fabriqués, non authentifiés (et réclamés en vain par la justice), n’arrange rien.


Articles Par : Stratediplo

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