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Panamalgame – première assimilation abusive
Par Stratediplo
Mondialisation.ca, 07 avril 2016
stratediplo.blogspot.ca
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https://www.mondialisation.ca/panamalgame-premiere-assimilation-abusive/5519120

La campagne lancée par la presse occidentale, prétendument dirigée contre le Panama et la grande contrebande financière, va faire des vagues (et agiter des flux) pendant quelque temps encore, non pas pour son importance mais pour la nature de ses acteurs. La presse secondaire peut se permettre d’ignorer les Cyber Berkut que la presse des pays de l’OTAN occulte, elle peut se permettre de minimiser Wikileaks dont la grande presse ne retient que ce qui sert son ordre du jour, mais elle est obligée, sous peine de perdre sa clientèle, de répéter le mot d’ordre lancé simultanément par les quelques agences de presse atlantistes qui dictent les gros titres du monde entier.

Les moyens mis en oeuvre sont cependant tellement écrasants que la campagne se permet des approximations grossières et des amalgames fallacieux, qu’on peut prendre le temps d’exposer puisque le feuilleton sera dosé sur une certaine durée.

Tout d’abord la campagne Panamalgame confond volontairement sociétés offshore (non-résidentes en français) et comptes offshore.

Une société offshore est une société considérée comme non résidente par le pays dans lequel elle est enregistrée. C’est une facilité légale accordée pour faire s’enregistrer localement des sociétés d’origine étrangère, de la même manière que certains pays attirent des entreprises étrangères en offrant la possibilité de réexporter sans taxes (zones franches), encouragent l’initiative en simplifiant les procédures administratives ou en promettant des exonérations fiscales pendant les cinq premiers exercices (par exemple), ou favorisent l’embauche en allégeant temporairement les charges sociales. D’autres pays, faut-il le rappeler, se sont fait une spécialité de l’immatriculation navale, c’est-à-dire qu’une personne (physique ou morale) non-résidente peut y enregistrer légalement des navires lui appartenant, ce qui est franchement intéressant pour les ressortissants de pays sans accès à la mer, mais donne aussi lieu à des abus que les plus sérieux pavillons de complaisance sont les premiers à combattre.

Les sociétés offshore peuvent relever, suivant les pays, soit d’un registre des sociétés spécifique, soit du même registre que les entreprises locales, et être constituées sous le même type de statuts que les sociétés locales ou faire l’objet de règles particulières. Entre parenthèses, la plupart des pays pratiquant l’enregistrement de sociétés offshore appliquent le très lâche système juridique « common law » d’origine anglaise plutôt que le système latin d’origine française reposant sur un code civil et un code du commerce distincts.

Comme le fait remarquer la campagne Panamalgame actuelle, l’enregistrement de sociétés apporte du travail aux cabinets juridiques et comptables, ainsi qu’aux registres publics des sociétés commerciales ; elle apporte aussi des fonds aux banques puisque c’est au siège légal qu’il faut déposer le capital libéré (réellement présent et pas seulement promis) d’une société, et évidemment il y a des obligations légales quant au capital minimum à maintenir sur place.

Par définition ces pays d’accueil n’imposent pas, comme d’autres, d’obligation d’au moins un sociétaire local, ou la moitié des capitaux ou autre restriction, ils acceptent (voire imposent) que tous les associés soient étrangers non résidents et que tous les capitaux viennent de l’étranger, mais exigent évidemment la désignation d’un représentant local. En contrepartie de ce statut non-résident, la société enregistrée légalement de la sorte a moins de droits qu’une entreprise locale, par exemple elle ne peut pas acheter de bien foncier ou immobilier, ou seulement dans certaines limites de surface ou de valeur, et ne peut pas recruter de personnel local (le représentant local est un prestataire de services).

Sur le plan fiscal, ces entreprises paient une taxe forfaitaire annuelle, souvent présentée comme droit de maintien au registre des sociétés même si la société a été créée pour cinquante ou cent ans ou à durée indéterminée. Dans certains pays ce régime fiscal au forfait est temporaire, la personne morale devenant imposable à un impôt sur les bénéfices au bout de vingt ans par exemple. Dans tous les cas le régime non-résident interdit de se livrer à des opérations économiques (industrielles, commerciales, immobilières ou financières) sur le territoire du pays d’enregistrement, voire avec ses ressortissants à l’étranger. Si ultérieurement la société non-résidente commence à travailler localement, certains pays la déchoient immédiatement des privilèges non-résidents (elle rentre dans le droit commun ou elle est simplement bannie du registre et donc dissoute), d’autres lui demandent la tenue de comptabilités séparées afin d’imposer les activités réalisées dans le pays.

Certes toutes ces restrictions font que la plupart des grands groupes capitalistes qui enregistrent une société offshore dans ces pays ne le font que pour la doter de parts de sociétés de capitaux étrangères : si l’entreprise française filiale Dupuis Aspirateurs appartient pour moitié à Dupuis Panama et à Dupuis Bahamas, c’est vers ces pays que sera envoyée la part du bénéfice servant à rémunérer le capital apporté par ces deux maisons-mères. Mais de véritables entreprises sont également enregistrées comme sociétés offshore, pour diverses raisons comme l’association de partenaires résidant dans plusieurs pays ou l’impossibilité d’immatriculation dans le pays de résidence, et ont une activité véritable et licite… surtout à l’époque du télétravail. De même, les ressortissants de pays où n’existe pas d’équivalent de la Société Civile Immobilière peuvent en fonder une sous juridiction offshore pour lui faire jouer le même rôle (pérennité de la propriété d’un immeuble par-delà la mortalité des membres de la SCI), certes compliqué par le facteur international, mais dans beaucoup de pays un bien immobilier peut effectivement être possédé par une personne physique ou morale étrangère non résidente.

Une société offshore peut ouvrir un compte bancaire dans le pays où elle travaille réellement, du moins dans les pays qui autorisent leurs banques à ouvrir des comptes pour des personnes ou des entreprises non résidentes, et doit évidemment ouvrir un compte dans le pays où elle est enregistrée, qui l’oblige généralement à ouvrir un compte dans une banque offshore et non pas dans une banque nationale.

Un compte offshore est un compte ouvert dans une banque non-résidente de son pays d’enregistrement. Ce n’est pas simplement un compte à l’étranger, par exemple en Suisse ou à Singapour, pays qui (comme la France où d’ailleurs le dictateur panaméen Manuel Noriega eut plusieurs vrais comptes personnels, familiaux et de blanchiment) autorisent leurs banques à ouvrir des comptes aux noms de personnes, physiques ou morales, étrangères non résidentes. Les comptes en Suisse ou à Monaco sont des comptes réels dans des banques ayant pignon sur rue et travaillant également (voire principalement) pour des clients locaux, et peuvent même comporter un casier dans la salle des coffres pour y déposer physiquement des bijoux de famille, un lingot métallique ou des titres de propriété. Mais d’une part ces vraies banques ne se compromettent généralement pas à ouvrir des comptes pour des sociétés enregistrées en offshore à Panama ou aux Bahamas, d’autre part la plupart des pays offrant la possibilité d’enregistrer des sociétés offshore leur interdisent l’accès au secteur bancaire du pays, qu’il s’agisse de banques locales ou de filiales de banques étrangères. De même qu’une société offshore se voit interdire d’exercer une activité économique dans le pays qui lui a fourni une immatriculation comme société non-résidente, elle se voit aussi interdire d’y ouvrir un compte bancaire.

Ces pays-là, qui vivent du droit extra-territorial mais ont aussi un territoire avec des citoyens et une économie (pas toujours très développée) locale, veillent soigneusement à l’étanchéité entre les deux. Il est donc imposé aux sociétés offshore d’ouvrir un compte dans une banque offshore, qui est une banque virtuelle immatriculée également au registre des sociétés non-résidentes. Les juridictions offshore les moins avancées immatriculent des banques offshore dans le même registre que les autres sociétés non-résidentes, les juridictions les plus perfectionnées ont un registre distinct ou du moins imposent des statuts particuliers adaptés aux activités bancaires et spécifiant par exemple un capital minimal, un ratio fonds propres / dépôts minimal etc. Ces banques offshore sont dans le même cas de figure que les sociétés offshore, c’est-à-dire qu’il leur est interdit d’offrir leurs services dans le pays qui leur a accordé l’enregistrement non-résident. Elles n’ont donc pas de bureau physique dans le pays de leur nationalité. Certaines ouvrent des bureaux dans d’autres pays aux règlementations bancaires permissives (pas dans les pays respectables), c’est-à-dire pour l’essentiel des pays disposant également de registres offshore, ce qu’on peut interpréter comme un échange de bons procédés ; si la Banque Interplanétaire des Bahamas se voit autoriser l’ouverture d’un bureau à Ciudad de Panama, il n’est pas invraisemblable que le Comptoir Financier Universel de Panama puisse en ouvrir un à Nassau.

Ces banques offshore ont toujours des noms anglophones prestigieux et crédibles, et proposent leurs services par l’intermédiaire des conseillers en juridiction offshore, capables d’ouvrir ainsi immédiatement un compte bancaire offshore au nom de toute société offshore qu’ils immatriculent (ou au nom d’un particulier). Elles proposent également leurs services par internet. Mais, sauf erreur, même les rares d’entre elles qui ont des bureaux physiques n’ont pas de coffres. Elles n’ont pas non plus de numéro bancaire international.

Pour effectuer un virement vers un compte offshore, le titulaire du compte, ou son client souhaitant régler une facture, adresse le virement au numéro SWIFT d’une autre banque (non offshore), en précisant le nom de la banque offshore et le numéro de compte destinataires. En clair, un compte offshore est un compte virtuel, une simple ligne comptable gérée par une société bancaire offshore qui, elle, dispose d’un compte bancaire (un seul) réel, ouvert en dollars dans une banque ayant pignon sur rue et existant à l’annuaire international des banques géré par l’entreprise de compensation électronique SWIFT.

Cette pratique de la ligne comptable présentée comme un compte distinct par une entreprise qui n’est pas un établissement bancaire et qui ne dispose que d’un seul vrai compte dans une banque n’est pas exclusive des banques offshore, c’est aussi le mode opératoire des sociétés de services informatiques qui fournissent (sans licence bancaire) des prestations de télépaiement, dont la plus connue propose désormais ses services dans presque tous les pays du monde. Ainsi et pour revenir à l’affaire Panamalgame, lorsqu’un groupe financier londonien pense virer des livres sur le compte de sa société holding offshore au Panama, ou lorsqu’un narcotrafiquant colombien envoie son fils avec le yacht déposer une valise d’euros et de réals sur son compte personnel offshore aux Bahamas, ces fonds arrivent directement (dans le premier cas) ou sont immédiatement déposés (dans le deuxième) sur le compte unique en dollars ouvert par la banque offshore dans une grande banque d’un grand pays tiers complaisant, banque réelle dont le client est la banque offshore et qui ignore les dettes de celle-ci envers des clients finaux, c’est-à-dire la division comptable du compte réel en sous-comptes virtuels légalement inexistants dans le pays de la grande banque réelle mais théoriquement anotés comme lignes de débit au bilan de la banque offshore.

Quelques grandes banques (on ne citera pas de nom mais elles sont très connues) d’un grand pays ouvrent ainsi un compte aux banques offshore de toutes les juridictions offshore du monde, afin de leur permettre de procéder à leurs opérations virtuelles tandis que les fonds des clients de ces banques offshore ne quittent pas en réalité les comptes des grandes banques hôtes. Sauf erreur, toutes ces grandes banques bien réelles hébergeant les comptes des banques offshore sont situées aux Etats-Unis d’Amérique.

Il y a bien d’autres commentaires à apporter à cette campagne Panamalgame, mais l’un des premiers points était de mettre fin à la confusion volontaire entre société offshore, une réalité sociale légale, et compte offshore, un montage bancaire virtuel.

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