Paraguay : la militarisation comme recette pour la « paix sociale »

Sous prétexte de « combattre des groupes terroristes », le président Nicanor Duarte applique les instructions des Etats-Unis, donne à l’armée un pouvoir de police et finance des groupes qui agissent comme des paramilitaires. Des organisations dénoncent une stratégie pour réprimer les mouvements sociaux.

Quand on se promène dans les rues d’Asunción, la capitale du Paraguay, on a une forte sensation d’oppression. Dans certaines parties de la ville, notamment à l’approche des ceintures de pauvreté, il y a des militaires fortement armés et des policiers à presque tous les coins de rue. Comme si le pays était en guerre.

Depuis l’entrée en fonction, en août 2003, du président Nicanor Duarte Frutos, du Partido Colorado, qui contrôle la nation depuis soixante ans, la militarisation de la société paraguayenne augmente de jour en jour. A peine douze jours après son arrivée au pouvoir, Duarte a émis le décret 167, qui autorise les Forces armées à agir avec la Police nationale dans des actions de sécurité interne. Depuis lors, les mouvements sociaux, notamment les mouvements paysans, sont durement réprimés.

Les reporters de Brasil de Fato ont accompagné la mission d’observation internationale, convoquée par la Campagne pour la démilitarisation des Amériques (CADA) et par le Service Paix et Justice du Paraguay (SERPAJ-PY). Du 16 au 20 juillet, des observateurs sont allés au Paraguay pour vérifier des plaintes concernant des violations de droits humains et enquêter sur la possible relation entre ces actions et la signature d’une convention entre le Paraguay et les Etats-Unis, promulguée comme loi 2594 en mai 2005. Cet accord prévoit, entre autres, des exercices militaires états-uniens n’importe où sur le territoire paraguayen, la formation et l’entraînement des Forces armées du Paraguay par les troupes des Etats-Unis, et l’immunité judiciaire pour les soldats états-uniens.

Le guide d’instructions états-unien

Il y a constamment des actions dans la capitale, principalement contre des mouvements organisés des bañados, des zones où des baraquements s’érigent sur les rives du Fleuve Paraguay. Mais c’est dans les campagnes que la militarisation et la criminalisation qui s’ensuit des organisations sociales et de leurs leaders sont les plus graves. La délégation internationale a rencontré plusieurs représentants de mouvements paysans, qui ont dénoncé la terreur exercée par les forces conjointes contre les communautés rurales.

Ramon Medina, dirigeant de la Mesa Coordinadora Nacional de Organizaciones Campesinas (MCNOP – Table de coordination nationale d’organisations paysannes), une organisation membre de la Via Campesina, associe la convention signée entre les Etats-Unis et le Paraguay à l’augmentation de la répression et du « terrorisme d’Etat ». Selon lui, l’entraînement de l’armée paraguayenne par les Etats-Unis a pour objectif d’instruire les forces nationales à combattre le « terrorisme ». Dans les instructions états-uniennes données, se trouverait la méthode pour désarticuler et annihiler les mouvements sociaux. « Ce n’est pas autre chose qu’une forme de faire pression et de poursuivre les dirigeants de communautés et d’assentamientos [occupation de terre légalisée, ndlr] paysans », accuse Medina, pour qui le gouvernement « fasciste » de Nicanor Duarte a ramené des pratiques de la dictature (1954-1989). Des dirigeants entendus par les membres de la mission ont confirmé l’augmentation de la répression depuis la signature de la convention.

En plus des forces armées, les travailleurs ruraux doivent affronter les Conseils de sécurité citoyenne, créés en 2004 par le ministère de l’Intérieur paraguayen, prétendument pour combattre le crime. Dans la pratique, ces nouveaux corps – formés de citoyens financés et armés officiellement par le gouvernement, et officieusement par les grands propriétaires terriens – fonctionnent comme des groupes paramilitaires, qui oeuvrent à la protection de la propriété privée, autrement dit, du latifundio, notamment celui de l’éleveur de bétail et du producteur de soja. D’après les paysans, ces Conseils sont les principaux auteurs des répressions, expulsions, incendies des maisons et même de viols de femmes et des assassinats de dirigeants ou de membres d’organisations paysannes. Au cours des deux dernières années, il y a eu 49 morts et plusieurs disparus en milieu rural. Au Paraguay, près de deux mille paysans répondent à des procès devant la Justice (en détention ou en liberté).

Des leaders paysans estiment que les Conseils de sécurité citoyenne sont composés de 22 mille hommes, présents pour la plupart sur les territoires où il y a des conflits liés à la terre. Pour se faire une idée de ce que cela représente, selon la page Internet des Forces armées du Paraguay, l’armée compte entre 8 à 12 mille hommes.

Criminalisation

La décision du gouvernement de créer les Conseils de Sécurité, selon Medina, est liée à l’émergence, il y a deux ans, de deux fronts de lutte sociale : l’une menée par la MCNOP, et l’autre par la Fédération nationale paysanne (FNC). Toutes deux ont élaboré un plan d’action qui comprenait des occupations de terres et des manifestations pour la réforme agraire et contre les privatisations.

Le gouvernement justifie l’usage de l’armée dans des opérations policières et la création des corps de sécurité par le manque d’infrastructure et de moyens de la Police nationale, qui n’aurait pas la capacité de combattre le crime et notamment les prétendues guérillas et groupes terroristes. La stratégie est connue. Accuser les mouvements sociaux de lien avec le terrorisme et considérer comme étant des actes contre la sécurité nationale des actions telles que des marches, des blocages de route et des occupations de terres.

Tomas Zayas, secrétaire général de la Centrale nationale des organisations paysannes et indigènes du Paraguay (Cenocip) a vécu ce drame dans sa chair. En avril, il y a eu une tentative de lier son image aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) [principale guérilla colombienne, ndlr], par la fabrication d’un faux témoignage, par le biais d’une subornation qui prévoyait un paiement de 50 mille dollars immédiatement et 1 200 dollars mensuels. Par chance pour lui, Ciriaco Rotela Chaparro, qui aurait dû être celui qui allait être acheté, a dénoncé le plan et l’implication de fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et de l’Agriculture et d’un homme lié au Parti Colorado.

Le département de Concepción, dans le Nord, est la région du pays où se produit le plus grand nombre de violations des droits humains contre les paysans, considérés comme des guérilleros par la gouverneur, Ramona Mendoza. Cependant, des membres de la mission qui se sont rendus là-bas n’ont pas trouvé de traces de groupes de ce type dans la région. L’un d’eux, Aton Fon Filho, avocat de la Rede Social de Direitos Humanos do Brasil (Réseau social des droits humains du Brésil) raconte que « le chef de la police départementale a affirmé catégoriquement qu’il n’y pas dans la région de groupes guérilléros, il n’y a que des délinquants communs ».

Source : Brasil de fato, 24 juillet 2006.

Traduction : Isabelle Dos Reis, pour le RISAL.



Articles Par : Igor Ojeda

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