Pendant que les résistants meurent, les collabos prospèrent.

Akram Abu Sba’ est mort le 05 septembre  à Jénine « dans un affrontement inter palestinien » nous apprennent les communiqués de presse.

 Une déclaration de l’ISM confirme qu’il a été tué « alors qu’il faisait son devoir et qu’il essayait de faire baisser les tensions entre des membres des services de sécurité et des membres du Jihad islamique » (1)

Au-delà de celles et ceux qui l’avaient rencontré au camp de Jénine, témoin infatigable de la lutte menée par les réfugiés du camp contre les incursions quasi quotidiennes de l’armée israélienne et défenseur acharné des droits des résistants emprisonnés dans les geôles israéliennes, Akram était connu pour son apparition dans le film de Bakri, « Jénine Jénine ».

Je l’ai rencontré  pour la première fois en juillet 2006, chez lui, au camp de Jénine.

Il se remettait d’une blessure dont il avait été victime lors d’une récente attaque israélienne. Ce jour là l’armée israélienne avait effectué une opération visant apparemment à atteindre Zacharia Zubeidi, un dirigeant charismatique des brigades des martyrs Al Aksa à Jénine.

Une fois de plus, et assez miraculeusement, Zubeidi en avait réchappé et Akram était intarissable sur la capacité tout à fait extraordinaire de Zubeidi à survivre à toutes les tentatives d’assassinat israéliennes.

Nous avons enregistré cet entretien et Akram est l’un des témoins importants du film Samidoun, où il s’exprime notamment sur la question des prisonniers palestiniens.

Akram était membre de l’ISM et je peux comprendre que ses camarades aient fait le choix de rester évasifs sur les circonstances qui ont entouré sa mort.

Mais je crois que le soutien à la lutte du Peuple palestinien et la défense de la mémoire de tous ceux qui ont été directement ou indirectement victimes de l’occupation coloniale sioniste de la Palestine nous imposent un devoir de vérité et de clarté, au service de la poursuite de la lutte et de la solidarité avec cette lutte.

Peu de temps avant sa mort Akram a été directement impliqué dans une affaire qui a suscité beaucoup de réactions en Palestine mais assez peu de commentaires ici.

Le 27 août, un officier israélien en uniforme s’est introduit avec son véhicule privé dans les rues de Jénine.

Il a été repéré et un groupe du Jihad s’apprêtait à l’emmener (l’enlever ?) quand des forces de sécurité palestiniennes sont intervenues, l’ont pris en charge et l’ont ensuite remis à l’armée israélienne après coordination. Des dizaines de Palestiniens en colère ont alors brûlé la voiture restée dans Jénine.

Akram a participé à ce « sauvetage » en sa qualité d’officier de la garde présidentielle.

Dans ce contexte, l’incident dans lequel Akram a été tué prend une autre dimension.

Des militants abandonnés et trahis.

Sur le fond je partage totalement l’appréciation suivant laquelle ce comportement des forces de sécurité palestiniennes « fidèles au Président Abbas » est de « la collaboration pure et simple » (2)

Mais ce qui m’intéresse ici, c’est de tenter de répondre à une question : Comment un militant comme Akram a-t-il pu en arriver là ? Et au-delà, comment des militants honnêtes et ayant participé sans ambiguïté à la résistance à l’occupation en arrivent-ils à participer ou à cautionner de telles actions et pour certains, parfois, à renoncer à la lutte ?

Une réponse facile est évidemment de dire que toute situation d’occupation durable d’un territoire par une force armée étrangère génère non seulement la résistance d’une partie de la population mais aussi la collaboration d’une autre partie.

Mais ce constat n’est guère opérationnel s’agissant de résistants aguerris, militants politiques engagés de longue date et dont la réalité de l’engagement passé dans la lutte est indiscutable.

La collaboration plonge ses racines dans l’accord politique signé par la direction palestinienne avec l’Etat d’Israël dit « accords d’Oslo ».

On trouve dans ces accords, passés avec la force occupante, un engagement palestinien à renoncer à la résistance alors que l’occupation coloniale se poursuit !

Abbas, qui a condamné les « attentats suicide » et qui vient de prendre une série de décrets déclarant « illégale » toute action de résistance, a signé en mai 1994 un accord qui précisait :

« …la partie palestinienne prendra toutes les mesures nécessaires pour empêcher tout acte d’hostilité à l’encontre des implantations, des infrastructures les desservant et de la zone d’installation militaire… »

On ne dira jamais trop l’incroyable capitulation de la direction palestinienne, de Arafat et d’Abbas en particulier, consistant à accepter une « autonomie provisoire » en échange d’un engagement à protéger les forces occupantes et les colonies israéliennes.

Le peuple palestinien en général et les militants qui on renoué avec différentes formes de résistance armée, notamment après octobre 2000, paient le prix de cette capitulation et de cette tromperie, victimes du piège de l’autonomie qui devait mener à l’état indépendant palestinien.

En fait de conquêtes de droits et de conditions de vie meilleures, l’immense majorité de la population a trouvé plus de répression, plus de colonisations détruisant les terres, moins d’emplois (sauf à devenir fonctionnaire, dépendant de l’Autorité et affilié à la faction politique et/ou au clan qui contrôlait l’accès à ces emploi « privilégiés »), plus de corruption etc.

L’échec programmé de la « deuxième Intifada », inévitable dès lors que les dirigeants de l’Autorité et de tous les partis palestiniens ont renoncé à construire une mobilisation populaire sur la base d’une remise  en cause explicite des accords d’Oslo, a laissé les militants de la lutte armée de plus en plus isolés et exposés à la répression féroce de l’armée d’occupation.

En Cisjordanie notamment, de par l’omniprésence de l’armée à proximité des zones habitées et le quadrillage policier de tous les axes de circulation, toute action de résistance exposait ses auteurs à la mort ou à l’arrestation et leur faisait endosser la responsabilité de mesures répressives exercées à l’encontre de leurs proches : destruction des maisons familiales, arrestations de pères et frères, mises en danger de quiconque se proposait de les cacher ou de les héberger etc.

Dans un entretien accordé en juillet 2007 et qui suivait de peu l’annonce de son ralliement à l’accord signé par Abbas avec Olmert qui acceptait d’amnistier ( !) 178 combattants recherchés par les Israéliens à condition que ceux-ci renoncent à la lutte armée contre Israël et intègrent les forces régulières sous l’autorité d’Abbas, Zaccharia Zubeidi déclarait   « pour l’instant ce que j’espère le plus c’est de réussir au moins dans mon travail ou ma carrière » (3)

Peu de temps après il expliquait qu’il était las et qu’il souhaitait tout simplement pouvoir vivre, étudier etc.

On imagine ici difficilement ce que signifie vivre pourchassé, sachant qu’on figure sur une liste de militants recherchés, avec pour seule perspective la mort ou l’emprisonnement…

Surtout quand la conviction de servir les intérêts de son peuple et de bénéficier de sa pleine sympathie se heurte aux hésitations bien légitimes d’une population qui entend ses propres dirigeants condamner  les attaques contre l’armée israélienne !

En juillet Abbas a multiplié les déclarations condamnant les actes de résistance, il a signé un décret déclarant illégales les actions des groupes armés et Fayyad a présenté un programme de gouvernement qui ne mentionnait même pas le droit de résister à l’occupation coloniale.

Pour celles et ceux qui ont vu ou verront le film Samidoun, je veux dire ici que les militants des brigades des martyrs al Aqsa partent dormir à la Muqata de Naplouse, non seulement parce qu’ils ne veulent plus mettre en danger les gens qui les hébergent (ce que dit le commentaire), mais aussi parce que de moins en moins d’habitants le leur proposent …

On était alors en juillet 2006 et ce processus de désagrégation politique s’est approfondi et a désormais gagné les dernières zones de résistance qui tenaient encore en Cisjordanie, notamment à Naplouse et à Jénine.

Une victoire électorale illusoire.

En votant majoritairement pour le Hamas en janvier 2006, la population de Cisjordanie et de Gaza  a fait une nouvelle tentative de sortir du piège d’Oslo, une « intifada électorale » vouée hélas à un échec similaire à celui du soulèvement de 2000, dès lors que l’élection d’une majorité différente ne pouvait pas prétendre inverser la logique infernale d’un dispositif qui livre les Palestiniens pieds et poings liés à l’occupant et accroît sa dépendance à l’égard de la manne financière de l’impérialisme

La prétention du Hamas à faire jouer en faveur de la population « un appareil d’état sans état » (4) dont la mission est de favoriser la liquidation de la cause nationale palestinienne, a fait long feu face à la réalité du blocus imposé par les puissances occidentales bien décidées à infliger une leçon à ces Palestiniens qui refusaient d’abdiquer et tentaient de détourner un processus électoral destiné à normaliser la situation d’occupation coloniale.

A son tour, tout en maintenant son refus des compromissions et son refus d’abandonner les revendications nationales, le Hamas n’a pu que prendre ses distances à l’égard des actions de résistance menées par d’autres forces politiques et par des groupes assez peu contrôlés par le niveau politique.

La vie quotidienne de la population a continué de se dégrader, à ses yeux les clivages politiques sont apparus n’être que des batailles pour le pouvoir et pour le contrôle de l’argent venu de l’extérieur.

Cet échec inévitable a suscité une nouvelle vague de frustration dans la population palestinienne qui s’est ajoutée à la désastreuse expérience de la déliquescence de l’OLP et notamment de la corruption du Fatah au cours des années Oslo.

Si on ajoute à ce tableau déjà sombre la faillite totale de la gauche palestinienne à proposer la refondation d’un projet politique de combat unifiant, collectivement discuté au sein de l’ensemble du Peuple palestinien, on a tous les éléments permettant de comprendre que de nombreuses hésitations et dérives individuelles sont avant tout le résultat des trahisons ou des faillites collectives des différents courants politiques palestiniens.

S’agissant de combattants armés, des questions lancinantes ont peu à peu émergé chez la plupart de ces militants jeunes et sincères : Pourquoi continuer à risquer la prison ou la vie si tous ces sacrifices ne mènent à rien ? Pourquoi mettre ma famille et mes proches en danger par mes actions de résistance si celles-ci sont désormais systématiquement condamnées par les dirigeants politiques ?  Pourquoi devrais-je être en permanence une cible menacée ou même un clandestin incapable de nourrir sa famille quand je vois mes  anciens amis reconvertis en « professionnels » d’ONG régulièrement payés et d’autres amasser en peu de temps quelques jolies sommes à l’occasion de campagnes électorales en faveur de tel ou tel dirigeant ?  Pourquoi ne pas accepter de devenir un membre des forces de sécurité « régulières » si ça me permet de survivre ?

Et plus généralement pourquoi combattre, quand mes représentants adoubés par les puissances occidentales et soutenus par les institutions internationales déclarent qu’aujourd’hui, « résister, c’est  d’abord négocier » ? Déjà en 2005 on pouvait, dans un spot tournant sur les télés israéliennes, voir Erekat déclarant aux spectateurs israéliens  « aidez-nous à vaincre les extrémistes palestiniens » !

Suite à l’éviction, par le Hamas, des milices du Fatah liées à Dahlan, Abbas a réaffirmé son  engagement, auprès d’Israël et des pays impérialistes, à mettre tous les moyens en son pouvoir pour neutraliser toute résistance en Cisjordanie. La principale conséquence de cet engagement suivi d’effets est le renforcement de la contradiction, pour de nombreux militants du Fatah, entre la fidélité à la direction historique de l’OLP et la poursuite du combat contre l’occupation.

C’est ainsi que des militants authentiques se retrouvent à participer ou à cautionner des agissements qui participent de l’affaiblissement de la lutte du peuple palestinien et renforcent les divisions entre ceux qui ont combattu ensemble l’ennemi israélien.

Pas de connivence avec les liquidateurs de la cause palestinienne !

 

Cette semaine, en France et dans d’autres pays européens, des organisations politiques qui se disent solidaires des revendications du Peuple palestinien et des associations du mouvement de solidarité vont rencontrer  Abdallah Al Frangi, responsable des relations extérieures du Fatah.

Au-delà de la trajectoire assez controversée de l’intéressé qui fait partie de ceux qui ont opportunément quitté la bande de Gaza avant « les  évènements de l’été  », il est clair que Al Frangi est envoyé en Europe par Abbas pour redorer le blason du Fatah et légitimer l’ensemble des mesures anti-démocratiques du gouvernement de Fayyad.

Rencontrer cet individu, même pour simplement « échanger avec lui », c’est ni plus ni moins  légitimer le coup d’état rampant de Abbas et de la direction du Fatah : une direction de plus en plus sous la coupe du courant des collaborateurs, à l’image de Dahlan ou de Al Frangi.

Cette semaine aussi, Kouchner est au Moyen-Orient. Son programme ne prévoit pas d’aller à Gaza.

Abbas cautionne expressément ce boycott.

Dans le même temps, en France, des militants s’apprêtent à rencontrer le représentant d’Abbas !

Les mouvements de solidarité avec les luttes des peuples pour leur indépendance n’avaient pas pour habitude de rencontrer les représentants des régimes fantoches, inféodés à l’occupant et soumis aux plans de l’Impérialisme.

Ceux qui, comme Akram, sont morts ces derniers mois dans « des affrontements inter palestiniens », ceux qui sont morts en allant se faire exploser en Israël ou près des colonies, ceux qui par milliers croupissent dans les prisons israéliennes pendant qu’Abbas, Fayyad, Abed Rabbo et Erekat trinquent avec Olmert et autres assassins du Peuple palestinien , ceux qui hésitent à rendre les armes et ceux qui refusent encore, tous ceux là sont les victimes de la soumission de la clique capitularde d’Oslo, dont la corruption et le clientélisme ont défiguré la lutte de libération et détruit la perspective et la volonté de combat collectif.

A tout le moins, l’affirmation d’une solidarité réelle avec le combat palestinien exige de se tenir à distance des représentants de cette maffia. 

 

 (1)   Article consultable à http://www.ism-france.org/news/article.php?id=7409&type=temoignage&lesujet=Victimes%20ISM

(2)   Article de Julien Salingue consultable à http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=4130
(3
)   Article consultable à   Ism.
(4)   Voir article Julien Salingue  http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=4130



Articles Par : Pierre-Yves Salingue

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