Pesticides: biocide ou plan de sortie?

Sous prétexte de sécurité alimentaire, l’industrie des pesticides tue à petit feu tout ce qui vit sur la planète en imposant ses semences et ses modes de production. Les chiffres sont effarants et les preuves de toxicité, nombreuses et irréfutables.
Par vocation, les pesticides ont pour rôle de tuer les insectes, les plantes et les champignons considérés comme nuisibles. Depuis les années 1950, des centaines de ces substances sont utilisées chaque année en agriculture, en foresterie et dans les villes. Croissance et rendements obligent, l’industrie a réussi à imposer ses produits. Par exemple, depuis 1974, 8,6 milliards de kilos de glyphosate ont été épandus dans le monde. Les sols, l’air, l’eau et nos aliments en contiennent des quantités croissantes. Bon an mal an, les ventes de l’industrie des pesticides totalisent quelque 45 milliards de dollars.
Outre les cas de cancer, bien d’autres dérèglements et maladies chez l’humain sont associés à l’exposition chronique aux pesticides : infertilité, impuissance, fausses couches, malformations congénitales, etc. Un rapport de l’ONU évalue à 200 000 les décès annuels qui en découlent.
Les pesticides causent également des dommages irréparables au règne végétal, aux microbes bénéfiques de nos sols, aux poissons, aux amphibiens, aux mammifères, aux papillons, aux insectes et à la faune aviaire (comme en témoigne la disparition de 44 % des oiseaux des champs depuis 20 ans). Le cas des néonicotinoïdes et de ses effets ravageurs sur les insectes pollinisateurs est tragique. Nous assistons à la grandeur de la planète à un biocide silencieux. Quel tribunal entend leur cause ?
L’industrie des pesticides a réussi jusqu’ici à contrer les efforts pour les interdire. D’abord en niant leur toxicité, tout comme l’industrie du tabac l’a fait dans les années 1950 et 1960 avec la cigarette. Puis, sachant que les preuves sont très longues à établir, en effectuant un travail systématique de sape et en recourant aux semeurs de doute. Elle n’hésite pas non plus à recourir à la fraude scientifique pour camoufler les dangers de ses produits, comme l’ont révélé les Monsanto Papers. Ce travail est complété par un lobbying intense et très efficace auprès des législateurs et des agences de régulation.
Le Québec dans tout cela
On voudrait croire que le Québec ne participe pas à ce drame écologique, qu’il n’en subit pas les conséquences. Ce n’est pas du tout le cas. Les données et les chiffres sont alarmants : 4000 tonnes d’ingrédients actifs ont été épandues en 2015, alors que 99 % du maïs et plus de la moitié du soya proviennent de semences enrobées de néonicotinoïdes. Des pesticides sont présents dans près de la moitié de nos cours d’eau en milieu agricole, dans nos aliments et même dans l’eau potable
Après les promesses de réduction non tenues de 1992 (50 % avant 2002) et de 2011 (25 % avant 2021), le gouvernement du Québec vient d’adopter une nouvelle réglementation visant à restreindre et à mieux encadrer l’usage des pesticides. La plupart des analystes ont noté que cette initiative était nettement insuffisante et comportait de nombreuses lacunes, dont l’absence de mesures concernant le glyphosate, la non-responsabilisation des producteurs et utilisateurs eu égard à des obligations de résultats, et le conflit d’intérêts potentiel des agronomes employés dans la vente de pesticides. Les résultats seront tout aussi décevants.
Un plan de sortie s’impose
Devant une telle accumulation de risques et de preuves de toxicité des pesticides, les gouvernements ne peuvent plus se soustraire à leurs responsabilités et s’en remettre aux diktats d’une économie de marché qui, sans une régulation adéquate, n’a que faire du bien commun. Les lenteurs et la complaisance ne sont plus acceptables.
Le gouvernement du Québec doit donc envoyer un signal clair à tous les producteurs, vendeurs et utilisateurs de pesticides quant à sa volonté réelle de réduire progressivement leur importation, leur production et leur utilisation, jusqu’à leur élimination quasi complète dans un délai à la fois ambitieux et réaliste. L’expression formelle de cette volonté doit se concrétiser par la mise en oeuvre d’un plan de sortie progressif fondé sur une transparence complète en matière de prise de décisions, la responsabilisation et la mobilisation de tous les acteurs, l’aide à la transition ainsi que la mise à contribution de l’ensemble des ressources et des moyens de l’État québécois, du gouvernement fédéral et de la société civile.
Le chantier est considérable et présente de nombreux défis. Il faudra réviser les lois et règlements, identifier et généraliser les pratiques sans pesticides, réorienter la recherche, réaliser des projets pilotes, sensibiliser la population, former les utilisateurs et constituer un fonds de soutien à la transition, le tout en concertation avec le gouvernement fédéral.
Un engagement politique
Qu’il s’agisse de pesticides ou de changements climatiques, le temps nous est compté. Il n’y aura pas de plan B. Il ne restera plus rien à sauver dans 15 ans si nous continuons à utiliser le glyphosate, comme vient de l’autoriser le gouvernement fédéral. Le Québec peut montrer la voie en s’attelant, de toute urgence, à la préparation et à la mise en oeuvre d’un plan de sortie des pesticides. […]
Nos dirigeants politiques doivent prendre l’initiative d’une mobilisation générale à cet effet. Durant la prochaine campagne électorale, nous incitons les groupes concernés et tous nos concitoyens à se joindre à nous pour réclamer des partis politiques qu’ils s’engagent à réaliser un plan de sortie des pesticides. Et nous les invitons à voter en conséquence.
* Les cosignataires :
Michel Paradis, ex-sous-ministre adjoint, ministère québécois de l’Environnement et président du Groupe d’action en écologie intégrale ; André Comeau, généticien ; Sibi Bonfils, dr-ingénieur, ex-directeur adjoint de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable ; Christine Juge, chercheure en biofertilisation agricole et Lucien M. Bordeleau, agronome et microbiologiste.
Photo À la Une : Pesticides: biocide ou plan de sortie?, Equiterre, le 15 mars 2018