Pétrole au Québec : Pour une responsabilité collective en matière d’énergie

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Comme en témoigne le récent Manifeste pour tirer collectivement partie de notre pétrole, signé par des personnalités de la sphère politico-économique québécoise, le débat sur les questions énergétiques mérite toute l’attention d’une vigile citoyenne bien informée et engagée. Fort heureusement, au cours des dernières années, une telle vigile s’est développée et renforcée au sein de notre société civile.

Signalons d’abord que nous sommes en accord avec l’énoncé suivant de ce Manifeste : « Le débat doit avoir lieu ! Mais il doit se faire correctement et surtout, nous aurons tous avantage à ce qu’il repose sur des faits. ». Cependant, il aura vraisemblablement échappé aux signataires qu’une invitation crédible à un débat citoyen transparent ne saurait s’accommoder d’une affirmation aussi antinomique que « Fermer la porte à l’exploitation du pétrole québécois serait irresponsable ». Pour reprendre leurs propres mots, il importe que les promoteurs du projet pétrolier « fournissent des informations vérifiées » et évitent de « recourir à des stratégies de désinformation ». Or le Manifeste pro-pétrolier contrevient à l’exigence d’un débat éclairé par ses raccourcis simplistes, son manque de rigueur et ses silences.

Les arguments apportés dans ce Manifeste témoignent d’une confusion des genres : en particulier, l’équation non fondée entre la santé des finances publiques et la nécessité du développement pétrolier; entre l’investissement collectif dans le pétrole et la création d’emplois; entre l’exploitation pétrolière et une meilleure éducation, des soins de santé adéquats et la prise en charge d’une population vieillissante; entre la production accrue d’hydrocarbures et la transition énergétique; entre l’émergence de l’industrie pétrolière norvégienne en 1969 et la pertinence de s’inspirer de cette expérience pour le Québec contemporain; entre l’argent d’un « Fonds des générations » provenant des revenus du pétrole et l’héritage socio-écologique que nous devons léguer, lequel pourrait être largement compromis par de mauvais choix énergétiques. Par ailleurs, le déficit annuel de 11 milliards imputé à l’importation du pétrole peut-il – doit-il – être comblé par la production de « notre » pétrole si l’on considère, entre autres, les coûts d’investissement collectif pour un tel développement et ceux des diverses « externalités », la quantité réelle qu’on peut extraire, de même que les opportunités d’autres avenues de développement énergétique et économique ? Enfin, des mesures technologiques et législatives de prévention, d’encadrement et de mitigation peuvent-elles suffire à rendre le projet pétrolier socialement et écologiquement « responsable » dans un contexte où il importe de réduire considérablement la production de gaz à effet de serre et d’entrer dans une ère de l’après-pétrole?

On observe également un silence inquiétant dans le Manifeste : si tant est qu’une exploration des ressources pétrolières – dont les limites sont encore floues – pourrait apparaître nécessaire au terme de l’examen critique des besoins sociétaux et de celui du potentiel de l’alternative énergétique, et qu’elle n’entraînerait pas d’effets d’engrenage économique et juridique vers une phase d’exploitation, par qui seraient défrayés les coûts élevés de telles opérations? Qui en assumerait les risques majeurs et les impacts d’ordre financier, social, sanitaire, écologique ? De tels investissements seraient-ils mieux justifiés dans d’autres avenues de développement ?

S’appuyant sur les travaux de notre Collectif au fil des trois dernières années et reprenant l’essentiel des nos communiqués antérieurs[1] , nous souhaitons que le débat sur les hydrocarbures s’appuie sur des informations vérifiées, respecte l’intelligence collective, valorise nos avancées scientifiques et technologiques de même que nos diverses potentialités énergétiques. Ce débat doit contribuer au déploiement de notre imaginaire économique et énergétique collectif, actuellement paralysé par une enfilade d’exercices disjoints empêchant toute discussion efficace sur l’urgence de préparer le Québec à l’après-pétrole. En lien avec une politique énergétique responsable et d’avant-garde, nous souhaitons entre autres l’adoption des approches et stratégies suivantes :

● L’évaluation des réels besoins énergétiques du Québec au regard des diverses possibilités de les combler, soit les diverses sources d’approvisionnement potentielles, leur complémentarité et arrimage ainsi que les divers modes de gestion de la demande en énergie.

● La mise à plat rigoureuse des risques environnementaux, sociaux et économiques, ainsi que des effets collatéraux prévisibles et des passifs que le développement des hydrocarbures engendrera pour les Québécois, tant en ce qui concerne l’exploration, l’exploitation et le transport des hydrocarbures, en particulier à Anticosti et dans l’ensemble du golfe. Un bilan financier rigoureux permettra d’établir les exigences minimales d’une économie québécoise robuste appliquée à mettre ses meilleurs outils financiers au soutien efficace des scénarios énergétiques les plus viables et les plus souhaitables.

● L’examen critique et la reconstruction du cadre légal et réglementaire relatif à l’énergie, actuellement dysfonctionnel par ses incohérences dans le traitement des filières et des options énergétiques et dans son plan d’allocations des ressources. En particulier, l’adoption sans délai d’un cadre réglementaire contraignant permettant – avant toute autorisation de forage, dont celui visant à confirmer un potentiel d’exploitation sur le territoire québécois – la protection de l’environnement et de la santé publique et capables d’opérationnaliser les 16 principes qui fondent la Loi sur le développement durable adoptée par le Gouvernement du Québec le 19 avril 2006. Une attention particulière doit être portée à la législation relative à l’eau.

● La mise à profit de l’exceptionnel avantage de notre production hydro-électrique actuelle pour faire en sorte que le Québec devienne un leader de l’alternative énergétique et un exportateur de son expertise plutôt que de ses seules matières premières : vers un modèle endogène de l’après pétrole.

Ces différents éléments font appel à tout un chantier d’innovations écosociales dont le peuple québécois pourrait être champion.

Janvier 2014

 

Signataires :

Lucie Sauvé, Centr’ERE – UQAM

En collaboration avec Bernard Saulnier, Johanne Béliveau, Pierre Batellier, Robert Desjardins, Daniel Chapdelaine, Marc Brullemans, Kim Cornelisson

Membres du Comité de pilotage du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Québec



[1] Le site www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com comporte toutes les références en appui à ce commentaire.



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