Plaidoyer pour une autre société 

Je souhaite publier sur www.mondialisation.ca,  une série d’articles qui ont été édités dans le journal Le Pharandol, un journal qui fait le lien entre tous les collectifs de la résistance pour un monde nouveau, celui du « vivre autrement » et du « vivre bien », émancipé du système décadent qui va vers sa chute inévitable, malheureusement non sans fracas…

 https://lappeldularge.org/le-pharandol/

On est au Mexique, dans l’Etat du Chiapas.

Des hommes et des femmes sont en train de repeindre les murs extérieurs de la salle commune du « caracol » de San Cristobal de las Casas. Les symboles de la lutte qui dure depuis 25 ans, sont omniprésents pour rappeler à tous que rien n’a été donné gracieusement, que tout a été acquis par le combat et le sacrifice de soi. 

D’autres sont au champ, d’autres à l’hôpital, d’autres encore sont à l’école et d’autres sont en train de réparer les véhicules ou de vendre les produits des récoltes ou de l’artisanat sur un marché convivial dans le centre de San Cristobal en utilisant des moyens démonétarisés.

Le peuple du Chiapas autogouverné, rappelle au monde que leur seul ennemi a toujours été et demeure encore le Capitalisme parasitaire financier sous sa forme ultra libérale qui veut absolument s’imposer aux humbles en les prenant pour des serviteurs ou des esclaves tolérés dans la mesure ou leur force de travail sert à l’enrichissement des plus riches, logique perverse qui ne peut qu’appauvrir les plus pauvres…

Tous les symboles de la gouvernance partagée indiquent ici que l’Armée Zapatiste de Libération nationale (L’EZLN) et ses membres, « les zapatistes », n’ont pas attendu la permission du pouvoir central mexicain pour se donner le droit de vivre dignement et librement. Certes, ils ont « pris les armes » dès le début, non pas pour « prendre le pouvoir », puisque celui-ci devait être plutôt aboli selon eux, mais pour signifier au pouvoir central qu’il n’avait plus le droit d’imposer arbitrairement sa loi et de tyranniser les humbles au nom d’une « démocratie représentative » qui ne représentait que les plus riches au détriment des plus pauvres. 

La répression policière et militaire s’est donc abattue alors sur le peuple qui désirait le « vivre autrement » et le « vivre bien », car le pouvoir central voulait s’opposer à leur organisation en auto gouvernement. 

Si le Gouvernement du Chiapas est autonome aujourd’hui, c’est parce que le peuple s’est défendu par les armes sans avoir eu besoin de les utiliser vraiment, réellement dans la durée : il a d’emblée dissuadé le pouvoir central de s’engager dans la malheureuse aventure de la guérilla pour des années. Les représentants du peuple en position de force ont demandé la négociation avec le pouvoir central et ils ont expliqué qu’ils ne désiraient pas « prendre le pouvoir », mais obéir au peuple, car la véritable démocratie à laquelle ils aspiraient tous, disait que c’était « le peuple qui commandait et l’Etat qui obéissait ». Voilà pourquoi l’auto gouvernement allait mettre cet idéal en application. 

Depuis 20 ans, le Chiapas expérimente un autogouvernement, une « gouvernance partagée », organisée avec des principes, des valeurs, des tâches à assurer à tour de rôle pour la vie de la communauté. 

Il y a trois niveaux de gouvernance partagée : la communauté ou village appelé caracol ; la commune (comparable à un canton français) ; la zone (comparable à un département). A chacun de ces niveaux, existent des assemblées et des autorités élues pour des mandats de deux ou trois ans : agente municipal au niveau de la communauté, conseil municipal autonome, conseil de bon gouvernement pour chaque zone. Tout se décide à partir des communautés des caracoles. Les « autorités élues », « gouvernent en obéissant ».

Les mandats sont conçus comme des « charges » (cargos), accomplies sans rémunération ni aucun type d’avantage matériel. Personne ne « s’auto-propose » pour de telles fonctions ; ce sont les communautés elles-mêmes qui sollicitent ceux ou celles de ses membres qu’elles estiment en mesure de les exercer. Surtout, ces charges sont assumées sur la base d’une éthique effectivement vécue du service rendu à la collectivité. C’est ce qu’expriment les sept principes du mandar obedeciendo : (commander en obéissant) « servir et non se servir », « proposer et non imposer », « convaincre et non vaincre ». Les charges sont toujours exercées de manière collégiale, sans aucune professionnalisation de la vie politique, au sein des instances et sous le contrôle permanent d’une commission chargée de vérifier les comptes des différents conseils ainsi que de l’ensemble des communautés, puisque les mandats, non renouvelables, sont révocables à tout moment, « si les autorités ne font pas bien leur travail ».

Les hommes et les femmes qui exercent un mandat émanent des communautés et en demeurent des membres ordinaires. Personne ne revendique le fait d’être élu(e)s en raison de compétences particulières ou de dons personnels … L’exercice de l’autorité s’accomplit donc depuis une position de non-savoir. Les membres des conseils autonomes insistent sur le sentiment initial d’être démuni face à la tâche qui leur incombe, « personne n’est expert en politique et nous devons tous apprendre ». Et c’est précisément dans la mesure où chacun assume ne pas savoir que la personne qui a une fonction d’autorité peut être « une bonne autorité », elle s’efforcera d’écouter et d’apprendre de tous, elle saura reconnaître ses erreurs et permettra que la communauté la guide dans l’élaboration des décisions. Dans l’expérience zapatiste, confier des tâches de gouvernement à ceux et celles qui n’ont aucune capacité particulière à les exercer constitue l’originalité à partir de laquelle le mandar obedeciendo (le commander en obéissant) peut grandir et c’est en soi une solide défense contre le risque de séparation entre gouvernants et gouvernés.

Enfin, la manière dont les décisions sont élaborées est décisive. Pour s’en tenir à l’échelon le plus ample, le « conseil de bon gouvernement » soumet les principales décisions qu’il juge nécessaires à l’assemblée de zone ; s’il s’agit de projets importants ou si aucun accord clair ne se dégage, il revient aux représentants de toutes les communautés de la zone de mener une consultation dans leurs villages (caracoles) respectifs afin de faire part à l’assemblée suivante soit d’un accord, soit d’un refus, soit d’amendements. Le cas échéant, ces derniers sont discutés et l’assemblée élabore une nouvelle proposition, qui est à nouveau soumise aux communautés. Plusieurs allers-et-retours entre conseil, assemblée de zone et villages sont parfois nécessaires avant que la proposition puisse être considérée comme adoptée. Cette procédure peut présenter l’inconvénient d’être lente, mais les gens du Chiapas pensent que « un projet qui n’est pas analysé et discuté par les communautés est voué à l’échec. » C’est un constat de l’expérience, donc tous les projets sont discutés. (Cf., Fernandez Christlieb Paulina, Justicia Autónoma Zapatista. Zona Selva Tzeltal, Mexico, Edicion)

Les « conseils de bon gouvernement » sont ouverts en permanence aux demandes que leur présente le peuple. iIs reçoivent les visiteurs qui veulent en savoir plus sur cette expérience. Ils s’efforcent d’œuvrer à la coexistence entre les membres des caracoles et les autres mexicains, mais ils affrontent aussi les situations conflictuelles que le pouvoir central mexicain ne manque pas de provoquer, dans un contexte d’interventions contre-insurrectionnelles permanentes. 

Les autorités d’auto gouvernement du Chiapas tiennent leur propre registre d’état civil et exercent la justice, au niveau de la communauté comme celui du conseil municipal ou du « conseil de bon gouvernement ». Si les différents projets qui font exister l’autonomie (santé, éducation, production) se développent sous la conduite des collectifs concernés, les conseils municipaux et de bon gouvernement veillent à soutenir leurs efforts et contribuent à rechercher les adaptations et améliorations nécessaires. Ils ont le devoir de proposer et d’élaborer, en interaction avec les assemblées, de nouveaux projets contribuant à surmonter les difficultés de la vie collective, à encourager l’égale participation des femmes et à remédier concrètement à ce qui peut y faire obstacle, à défendre les territoires et à préserver l’environnement. Toute agriculture utilisant les pesticides chimiques est exclue. On peut se rendre compte que cette manière de voir est une exigence pour chacun des membres du peuple. 

Ils ont construit leurs propres écoles, leur propre système de justice, et aujourd’hui des Mexicains font souvent appel à la justice zapatiste pour régler des conflits, car le pays a reconnu que la justice du Chiapas est une justice plus juste qu’ailleurs au Mexique. Ils ont leurs centres de santé, avec des espaces d’apprentissage et de partage des savoir-faire en médecine.
Et puis depuis plusieurs années, ils accueillent, organisent des colloques, des rencontres avec les organisations du monde entier pour parler de la résistance, afin d’apprendre aux autres comment on doit s’y prendre pour combattre le capitalisme, comment il faut réinvestir les lieux pour une subversion du capitalisme, créer des espaces émancipés du capitalisme. C’est pourquoi, rien n’est monétarisé dans les communautés des caracoles. Tout passe par d’autres moyens pratiques que celui de la monnaie.

La place des femmes est déterminante dans la communauté zapatiste du Chiapas. L’humilité de ces gens tranche avec l’arrogance des riches et des puissants qui pensent que tout est à leur disposition parce que la richesse leur fait croire qu’ils sont dominants. L’humilité de ces personnes va jusqu’à affirmer qu’ils n’ont rien à apprendre aux autres. 

Le narcotrafic et les systèmes mafieux ne fonctionnent que par les alliances entre trafiquants et hommes politiques, entre le monde des entreprises et celui de la finance. C’est une coopération mafieuse très développée qui rend la vie des mexicains infernale.

Les compagnons zapatistes vont sans doute prochainement devoir reprendre les armes pour faire respecter leur volonté collective du « vivre autrement » car le pouvoir central mexicain a annoncé que le grand projet du président Lopez Obrador, appelé « le train Maya », passerait sur les territoires zapatistes.

Ce projet touristique pour européens et états-uniens, ne manquerait pas de détruire la biodiversité, la jungle, les forêts, les communautés, et installerait un tourisme de luxe dans le territoire du Chiapas.

Les zapatistes ne veulent pas de cette logique capitaliste sur leurs terres.
Des sociétés immobilières espagnoles commencent déjà à acheter des terres à bas prix pour y construire des hôtels de luxe.

Comment se fait-il qu’on regarde toujours la violence des opprimés, et jamais celle des États oppresseurs, des institutions, de l’ordre établi qui harcèle les humains, les communautés dans leur corps, dans leurs terres, dans leurs vies ? Pourquoi la violence d’Etat n’est-elle jamais condamnée ? Pourquoi ceux qui doivent défendre leur vie sont-ils toujours accusés de violence et pas ceux qui sont les véritables agresseurs ?

Les puissants, les riches, les nantis, sont ceux qui profitent du système capitaliste pour placer, engranger, spéculer, délocaliser, affamer !

A suivre…

Jean-Yves Jézéquel

Sources :

les ouvrages de Jérôme Baschet

la Voie du jaguarEnlace zapatista

Image en vedette : Murale sur le côté d’une école zapatiste, qualifiée d’ « École Primaire Zapatiste Rebelle ». La personne représentée tient un ouvrage sur lequel est écrit en espagnol, « L’éducation autonome construit différents mondes dans lesquels plusieurs mondes peuvent s’insérer ».Wikimedia, 2010



Articles Par : Jean-Yves Jézéquel

A propos :

Jean-Yves Jézéquel, philosophe et psychanalyste, diplômé du troisième cycle en sciences humaines, est l’auteur d’une trentaine d’essais en philosophie, spiritualité, religion, psychologie. Il publie également depuis 2014, une série d’analyses sur les grandes questions actuelles de société.

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