Plaidoyer pour une sortie de crise: ce que je crois
« Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » Lao-Tseu
Dans un communiqué de presse mon nom est cité pour apporter ma contribution à une sortie de crise. De ce fait, au-delà de mon double étonnement de n’avoir pas été averti et par la suite, de n’avoir pas réagi à une première contribution sur le site TSA où je formulais les conditions d’une réussite, je prends ma plume une fois de plus pour expliquer d’abord le sens des propositions que je fais depuis le début de la Révolution tranquille du 22 février 2019. Devant la dangerosité de la situation notamment depuis le tournant de ce vendredi dernier où pour la première fois, on a fait scandé à la foule un slogan dangereux et qui peut à Dieu ne plaise ouvrir la boite de Pandore de l’émiettement voulu il faut bien le dire par des officines externes.
Le dialogue semble en panne. Certes, depuis le mois de juin, nous avons des initiatives louables de contribution au dialogue. En gros, toutes les sphères dialoguistes – dont on a peine à cerner les contours – sont d’accord sur la nécessité de l’apaisement par la libération des détenus – ce serait de mon point de vue, un premier pas vers une atmosphère propice au dialogue.
Le monde ne nous attend pas
S’il est important de dégager un consensus pour rebâtir une nation après 57 ans d’errance multidimensionnelle, le monde nous regarde, ne nous attend pas et nous ne sommes pas sortis de l’ornière. On a beau louer nos qualités de civisme de par le monde, mais les mêmes pays qui ont admiré le jaillissement de la belle révolution tranquille du 22 février, seront aussi les mêmes qui attendent leur heure pour nous imposer une nouvelle vision du futur où nous interrogations, nos atermoiements ne pèseront pas lourd devant la réalité amère ; Savons-nous, pour faire court, que nous risquons de tomber sous les fourches caudines du FMI dans les deux prochaines années pour n’avoir pas joué la prudence et l’intelligence quand nous avions un matelas de devises conséquent ?
Je rappelle que toutes mes interventions à travers la presse et les médias lourds ont surtout porté sur la nécessité de nous mettre rapidement au travail, car l’Algérie est dans une situation délicate et la situation ne sera que plus délicate, à la fois sur le plan social, sur le plan même de cette lutte tranquille pour un meilleur avenir pour les jeunes, car la lassitude de « ne rien voir venir » de concret peut se transformer en colère. De plus, un élément important de la problématique est que nous ne sommes pas seuls à décider de nous-mêmes. Tous les regards extérieurs sont braqués sur nous. Chaque partie faisant malheureusement ce qu’il faut pour maintenir indirectement son hégémonie. Plus nous tardons, plus nous serons vulnérables !
Comme tout un chacun, j’étais de ceux qui disaient par colère « Ga3eItnahaoue », mais une analyse objective de la situation m’amène à dire que si la superstructure de l’Etat fonctionne encore c’est grâce aux fonctionnaires qui ont fonctionné, il serait donc hasardeux dans un premier temps de tout raser. Je pense que celles et ceux qui maximalisent les revendications devraient mesurer les conséquences du jusqu’au-boutisme.
Ce que pourrait faire le panel
Peut-on continuer ainsi ? Les partis politiques ont-ils été à la hauteur du défi actuel ? Force est de constater que la plupart d’entre eux donnent l’impression de ne pas savoir la réalité du tsunami qui nous attend alors que nous nous noyons dans un verre d’eau ! Les choses étant ce qu’elles sont et me dit-on – il ne faut pas sortir de la Constitution – pour « ne pas aller vers l’inconnu inconstitutionnel, mais nous y sommes déjà ! Même si le président qui représente l’Etat parle d’une indépendance totale de la commission (panel) pour arriver aux élections, nous n’avons aucune certitude que les élections se dérouleront dans de bonnes conditions.
Il me paraît important pour la réussite de la démarche de ne pas faire dans la surenchère et sans vouloir donner l’impression de donner des leçons de patriotisme, je m’adresse en définitive au bon sens, au cœur de chacun, pour mettre de côté toutes les rancoeurs et les stratégies individuelles car s’il est vrai que certaines personnalités du panel ont à un moment ou un autre occupé des fonctions politiques, nous devons avoir en vue que le mandat de ce panel cessera avec l’élection présidentielle. Il s’agit de sauver le pays.
Je verrai alors cette commission de sages, « le panel », réfléchir à formuler les principes d’une Constitution ouverte sur la modernité, qui ne renie rien des fondamentaux du pays mais qui donne à chaque Algérien d’abord, la liberté de penser, d’agir et de créer. Ces résolutions qui seront cautionnées par le peuple du 22 février feront partie des conditions que devra respecter le futur président qui aura à cœur de les graver dans le marbre d’une nouvelle Constitution votée par le peuple.
Il va sans dire que des rapports d’étape seront soumis au peuple en essayant pédagogiquement d’expliquer la démarche. Il nous faut bien comprendre qu’une négociation implique de part et d’autre des compromis – non pas au niveau des fondamentaux qui font partie des premières conditions – de la confiance et de la sérénité. Il pourra s’avérer nécessaire que certaines exigences légitimes soient différées dans le temps. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de continuer à avoir un gouvernement en apesanteur, le pays est en danger. Les préalables sur les libertés et l’élargissement des détenus devraient être acceptés au nom de l’amour du pays, l’ouverture du champ médiatique, les libertés de circulation sont autant de signes qui seront bien perçus par le peuple.
Nécessité d’une nouvelle équipe
Malgré le refus actuel de l’institution militaire, il me paraît important si on veut aller dans le sens de l’apaisement que le gouvernement actuel, reliquat de l’ancien système, soit remplacé dans les meilleurs délais par un gouvernement de technocrates qui aura à cœur d’assainir le fichier électoral, prendre les dispositions les plus contraignantes et rapides pour des élections propres et transparentes. De plus, ce gouvernement aura la charge de la remise en marche de l’Etat en évitant les actions de temps longs qui demandent de la maturité, de la sérénité, et serait du strict ressort du nouveau président qui sera élu démocratiquement. Enfin, un pouvoir légitime, accepté par le peuple, donnera en externe un signe de légitimité de l’action de l’Etat.
Le gouvernement actuel devrait donc rapidement laisser place à un gouvernement de technocrates restreint qui devrait avoir une double mission, celle de préparer les élections dans un délai aussi court que possible, mais dans le même temps remettre le pays en marche.
Ce qui pourrait sauver le pays, ce n’est pas uniquement l’engagement formel, ce sont les compétences qui sont dans l’ombre qui n’ont pas les faveurs des décideurs et même de la presse qui préfèrent de loin les hauts parleurs idéologiques que les intellectuels et scientifiques qui ont des choses à dire pour faire avancer le pays. Pour le moment, les partis politiques qui ont amené ce pays à ce degré de déliquescence ne représentent qu’eux-mêmes en l’absence de surface électorale réelle, il ne reste pas d’interlocuteurs représentatifs de cette révolution tranquille Qu’entend-on par représentant du peuple ? Quelle est la feuille de route en terme de proposition en dehors du « Ga3tinahaoue » ?
Ce que nous attendons des jeunes
On peut comprendre que de hautes personnalités s’en tiennent à une vision binaire de la situation actuelle, mais le monde a profondément changé, nous sommes au XXIe siècle et il nous faut faire émerger à côté des légitimités révolutionnaires icones, d’autres légitimités, celle d’une jeunesse bien formée, plus sûre défense immunitaire quand la rente ne sera plus qu’un souvenir. Pour affronter le XXIe siècle et tenant compte des avancées scientifiques qui, pour certaines , pourraient problématiser la condition humaine, il nous faut sans perdre de temps investir à marche forcée sur l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche. Il faut au préalable tout faire, pour protéger l’école des idéologies et changer totalement de paradigme. Cela ne peut se faire qu’avec un consensus global de la société. Définir ce que nous sommes, il n’y aura ni tabou ni certitude, ni approximation ni sentimentalisme la réalité doit prévaloir
Nous sommes au XXIe siècle , c’est le siècle de la déconstruction. Nous ne pouvons pas y échapper car nous ne sommes ni puissants financièrement ni scientifiquement ni encore moins de la puissance militaire . Nous ne sommes à l’heure du drone guidé par satellite pour frapper une cible désigné par un « militaire » à partir d’une salle climatisée du fin fond du pays agresseur. On ne voit plus son ennemi, les vertus anciennes de la guerre disparaissent au profit des vertus de l’intelligence artificielle. Un exemple frappant nous est donné en Palestine, d’un côté des jeunes « gonflés » que l’on envoie à la boucherie s’agissant qu’ils n’ont aucune chance devant des snipers israéliens qui utilisent la réalité augmentée le positionnement satellitaire, les lunettes de vision nocturnes..
Nous devons faire la paix avec nous même et nous ’accepter comme nous sommes sans rien attendre de l’extérieur. et surtout en étant sourds aux diviseurs et semeurs de haine Ce vivre ensemble cote à cote et non pas face à face, permettra de faire émerger cette nation algérienne ancrée dans un récit national œcuménique et nous mettre rapidement au travail en réhabilitant l’effort l’endurance la tâche bien faite.
Il est dans l’air du temps encore après le 22 février d’utiliser un langage démagogie comme le font certains hauts parleurs idéologiques qui brassent du vent mais n’apportent rien de constructif si ce n’est le nihilisme: » Ga » itnahaoue » Et après peut on compter sur ces lumières pour faire sortir le pays de l’impasse actuelle et plus grave aussi de l’impasse économique scientifique de l’éducation dans lequel il est englué? Je suis sûr qu’à la première alerte, ils mettront les voiles !
Pour ma part je ne vais pas hurler avec les loups, je ne dirais pas aux jeunes, c’est vous les chefs. Ce serait une grande erreur que de dire aux jeunes que l’on peut tout faire, tout de suite avec des approximations ! Nous devons les inciter à apprendre pour avoir une bonne éducation et pour cela l’Etat doit leur garantir les clés d’une saine compétition sans qu’il ne forme des assistés mais des citoyennes et des citoyens qui vont à la conquête du savoir avec une mentalité de vainqueur.
A cette jeunesse éduquée, le peuple peut confier en toute confiance les clés de la maison Algérie. Pour cela, seule l’incitation au travail, à l’effort, à l’endurance, permettra de sauver le pays. Le ballon certes, mais il ne donne pas à manger. Pour s’imposer et simplement garder la tête hors de l’eau, l’Algérie devra déployer d’immenses efforts à faire pour sortir du trou noir actuel. Plus que jamais le pays a besoin de ses élites scientifiques en dehors de toute démagogie. C’est en tout cas le sens d’une conférence que j’ai donnée à HEC Montréal à la demande de notre diaspora expatriée qui demande aussi à participer au chantier d’une Algérie du savoir, de la rationalité. J’y reviendrai.
En définitive nous devons démarrer pour couper court à l’aventure qui nous fragilise de semaine en semaine et à Dieu ne plaise nous risquons d’avoir de moins en moins de marge de manoeuvre. La dimension sociale du modèle malgré sa perversion démagogique risque de passer à la trappe avec les adeptes d’un néolibéralisme sauvage ! Il faut bien sortir des extrêmes et miser aussi sur l’intelligence! Nous devons changer totalement de paradigme et ne pas perdre de temps.
Ce qu’il faut graver dans le marbre se résume ainsi : la démocratie réelle, l’alternance les libertés publiques et individuelles et l’indépendance de la justice. Bref un Etat de droit. Tout le reste devrait faire l’objet d’accommodements raisonnables. Si ces requêtes sont acceptées avec les parties intéressées, le dialogue pourra rapidement démarrer sur des bases saines adoptées par le peuple et nous sommes nombreux à nous mettre à la disposition de notre pays.
Chems Eddine Chitour
Professeur, Ecole Polytechnique Alger
Article de référence http://www.lequotidien-oran.com/?news=5279688