Plan Nord: Transformer le conflit de valeurs en opportunités

Région :

T’inquiète j’ai compris, c’est une question de business

Vous gouvernez un territoire rempli de richesses

Vous pensez refaire le monde avec votre projet de loi

Mais un jour vous comprendrez que l’argent ne se mange pas…

 

Avez-vous pensé aux gens qui habitent ces forêts?

Vous avez mal calculé l’impact de votre projet

Cette terre est fragile, sauvage et indemne

Aussi riche et fertile qu’une terre africaine

On ne peut la posséder cette terre nous a élevé

On doit la protéger elle est mère de l’humanité

Le plan nord repose sur une génération

Je m’y oppose au nom de toute la nation! – Samian, rappeur algonquin dénonçant le Plan Nord

Un proverbe inuit dit : « Si tu es pressé, fais un détour. » De toute évidence, le gouvernement du Québec ignore la sagesse des autochtones qui ont accueilli ses ancêtres sur leur territoire. « Mettre la charrue devant les bœufs », voilà l’expression qui résume le mieux le Plan Nord de Jean Charest du point de vue des participants au forum « Ne perdons pas le Nord » qui s’est tenu à Québec les 2 et 3 mai dernier.

Ce plan n’en est pas un, ont dénoncé à maintes reprises participants et conférenciers, et ce en raison d’un ensemble de lacunes : un contenu nébuleux, une perspective purement industrielle et une absence d’intérêts pour les enjeux sociaux et environnementaux. Au cœur du Plan Nord, deux visions et leurs valeurs s’affrontent : celle du capitalisme sauvage où la Terre nous appartient et celle de la sagesse autochtone où, au contraire, nous lui appartenons.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le Plan Nord est déjà en place. S’il a créé des emplois, il a également entraîné des besoins urgents pour lesquels les collectivités manquent cruellement de ressources humaines et financières.

Mais au-delà des nombreuses doléances laissant présager un avenir sombre dans ce que le gouvernement appelle « le chantier d’une génération », le forum s’est terminé sur une note optimiste et une piste de solutions incontournables pour faire de ce projet une réussite collective.

Joindre l’utile à l’agréable

« Le Plan Nord? Quel plan? Il n’y a pas de plan. Il n’y pas de cadre, comment peut-il y avoir un projet. Cette vision du développement nous fait régresser », déplore Carole Lévesque, chercheure à l’INRS et directrice du réseau DIALOG.

Mme Lévesque soutient que l’idée que nous nous faisons du Nord est « pleine de préjugés ethnocentristes ». « On ignore les autochtones, mais on veut les aider. Il ne faut pas les aider, il faut les connaître et les reconnaître. Il faut laisser les leaders autochtones parler, et non parler à leur place et tomber dans le paternalisme. »

Pour les Premières nations et les Inuits, la Plan Nord constitue une occasion en or d’épanouissement collectif et de valorisation de leur culture et de leur connaissance. « Il faut faire du Plan Nord une occasion de se doter d’un véritable pouvoir de négociation », selon Rémy Kurtness cofondateur de l’Institut de développement durable des Premières nations du Québec et du Labrador.

Pour ce dernier, les conditions du développement durable reposent d’abord sur l’équilibre entre les aspects économique, social, environnemental et culturel. « Or, dans le Plan Nord de Jean Charest l’économie est prépondérante », dénonce-t-il.

Par ailleurs, pour qu’il y ait développement durable, il faut en respecter les valeurs et les principes : le respect, le partage et l’entraide. « Un ensemble de facteurs démontre que ces valeurs ne sont pas prises en compte dans les décisions. Il faut aussi penser à planifier l’après Plan Nord. »

À l’instar de nombreux intervenants, Thibault Martin, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la gouvernance autochtone du territoire (UQO), insiste lui aussi sur la reconnaissance des droits ancestraux et l’importance d’appliquer le droit international et de faire respecter la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et tribaux (Convention 169 de l’Organisation internationale du travail), laquelle stipule que les gouvernements doivent non seulement consulter et faire participer les peuples autochtones à de tels projets, mais également obtenir leur consentement libre et éclairé.

Il suggère au gouvernement d’obliger les minières à respecter des règles de type ISO, de redéfinir la loi sur les mines avec la contribution des autochtones et rappelle aux médias qu’ils doivent relayer adéquatement les demandes de ces derniers. Un militant autochtone a suggéré que le Plan Nord soit renommé le Plan Québec-Nitassinan. Il souligne que « Québec doit accepter de donner aux Innus la responsabilité de gérer les risques environnementaux liés au projet. Le Plan Nord passe par la reconnaissance du droit des autochtones à la gestion du territoire. »

« Il y a un véritable malaise collectif : on nous impose un plan sans aucun processus démocratique, un plan qui ne représente pas les valeurs et les principes populaires mais bien la vision d’une élite économique », constate Ugo Lapointe cofondateur et porte-parole du regroupement Pour que le Québec ait meilleure mine!

« L’information, la consultation et la transparence sont nécessaires pour établir les conditions environnementales de ce développement et protéger des joyaux environnementaux et culturels. Il est urgent d’encadrer les projets et de faire des choix stratégiques concernant les ressources à exploiter ou protéger », poursuit-il en expliquant qu’il faudrait « justifier la nécessité d’harnacher des rivières ou d’extraire de l’uranium ».

Au sujet des redevances, l’idée récurrente amenée par divers participants et conférenciers est de maximiser le partage des ressources et exiger des redevances sur le produit brut plutôt que sur les profits, assurant ainsi un meilleur contrôle des revenus. Une redevance sur les profits donne le beau jeu à l’entreprise qui peut ainsi manipuler les chiffres à sa guise et réduire les redevances.

« Pourquoi ne pas combiner la stratégie énergétique à celle des ressources minérales et exiger que les 2e et 3e transformations se fassent ici », propose Daniel Roy, président du Syndicat des métallos de la FTQ. « On extrait du fer, pourquoi ne pas l’utiliser pour la fabrication d’éoliennes? Actuellement, notre matière première est envoyée dans les pays émergents pour les 2e et 3e transformations. C’est inconcevable! En 10 ans nous avons perdu environ 60 % des emplois dans ces secteurs. »

« Les solutions sont là, il suffit de convaincre ceux qui peuvent les appliquer », avance Hugo Asselin, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en foresterie autochtone. « Il faut prendre le temps d’intégrer tout le monde dans le processus, travailler avec les gens plutôt que diviser pour régner. Le développement se fait du bas vers le haut, pas du haut vers le bas. Le Plan Nord actuel est un plan d’exploitation des ressources. »

Il propose la stratégie de la matrice inversée : des îlots de développement contrairement à des îlots protégés. « On doit faire des efforts pour rehausser les conditions socio-économiques et calculer les impacts du développement sur ces conditions. »

Christian Simard, directeur général de Nature Québec déplore pour sa part le manque d’accès à l’information liée au Plan Nord. « L’information doit être accessible, sinon comment voulez-vous qu’il y ait un débat? »

Une foule d’autres idées sont sorties de ce forum. « Pourquoi ne pas en profiter pour développer le tourisme dans le Nord », demande un Nord-Côtier. Toutes ces idées ne semblent pourtant pas applicables tant que la loi des mines ne sera pas modifiée.

L’encadrement du projet du Plan Nord, la planification et l’évaluation sont les lacunes dénoncées par tous les participants. Celles-ci sont dues à l’empressement du gouvernement à mettre en place son plan qui repose sur l’enrichissement d’une élite économique au détriment des populations touchées et de tous les Québécois, autochtones et allochtones, qui se font littéralement voler leurs ressources et assistent à la dégradation de leur milieu de vie.

En résumé, les quelque 300 participants du forum sont unanimes : le gouvernement doit revoir ce projet et « répondre aux besoins du milieu plutôt qu’à ceux de l’industrie », recommande Stéphanie Prévost, directrice générale de la Corporation de l’environnement de la Ville de Sept-Îles. Elle ajoute que ce projet doit « mettre l’accent sur l’humain, valoriser le patrimoine culturel, prioriser l’épanouissement collectif, définir la responsabilité sociale des entreprise, planifier l’employabilité, favoriser la main d’œuvre locale et enfin, stimuler les échanges entre les communautés ».

Toute la documentation des conférenciers sera disponible sous peu sur le site du forum la semaine prochaine.

Julie Lévesque

Journaliste, Mondialisation.ca 

Sur le même sujet, voir :


Le Plan Nord : une violation des droits autochtones
– par Julie Lévesque – 2012-05-03

Le développement du Plan Nord, envisagé sous un angle strictement économique, fait preuve d’un manque total de planification et ignore totalement les enjeux sociaux et environnementaux.



Articles Par : Julie Lévesque

A propos :

Julie Lévesque is a journalist and researcher with the Centre for Research on Globalization (CRG), Montreal. She was among the first independent journalists to visit Haiti in the wake of the January 2010 earthquake. In 2011, she was on board "The Spirit of Rachel Corrie", the only humanitarian vessel which penetrated Gaza territorial waters before being shot at by the Israeli Navy.

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