Pleins feux sur les OGM en Asie

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Les plans mis en oeuvre par Monsanto pour promouvoir les cultures alimentaires génétiquement modifiées (GM) en Asie ont heurté une barrière insurmontable le 9 février 2010, quand le ministre de l’Environnement indien a décidé d’imposer un moratoire sur l’introduction d’une variété de brinjal (aubergine) Bt contenant un gène Bt breveté par Monsanto. La Chine, de même, hésite à autoriser les cultures alimentaires GM, en particulier le riz GM. Ces gouvernements asiatiques, tous deux partisans avérés de l’agriculture GM, semblent non seulement être gênés par l’ardeur de la résistance de leurs peuples,  mais aussi devoir y réfléchir à deux fois avant de livrer leurs stocks de semences à Monsanto et aux autres transnationales étrangères qui contrôlent le marché mondial des semences. Ils semblent dire « Oui, nous voulons des semences GM, mais nous tenons à ce que nos instituts publics soient impliqués dans leur développement afin de sauvegarder l’intérêt national ». L’argument est bien faible quand on sait que la recherche dite publique n’a pas de scrupule à se lier avec les intérêts des grandes entreprises et que l’agriculture GM est bien éloignée des besoins des paysans d’Asie. Pour les petits agriculteurs asiatiques, y a-t-il vraiment une différence entre une plante GM nationale et une transnationale ?

En Chine la ligne entre public et privé est bien floue

Dans son rapport destiné à imposer un moratoire sur le brinjal Bt, le ministre de l’Environnement indien faisait, entre autres, une allusion particulière à l’absence, en Inde, d’un « effort important de recherche en biotechnologies agricoles qui serait soutenu par des fonds publics » pour servir de contrepoids à Monsanto. Il soulignait par contraste le programme GM de la Chine, financé par les deniers publics et qui, selon lui, est très en avance sur le programme indien. 1 Le moratoire est donc en partie destiné à donner le temps à l’Inde de rattraper les transnationales et son voisin et à long terme, les OGM restent l’objectif. Mais ce n’était pas du tout le sens des manifestations contre le brinjal Bt qui ont eu lieu dans tout le pays : les manifestants protestaient contre les cultures GM en soi et pas seulement contre la version Monsanto. Pour eux, ce n’est pas un programme national de biotechnologie, aussi solide soit-il, qui pourra protéger les paysans indiens contre la cupidité des multinationales et tous les pièges des OGM, comme on le voit fort bien en Chine.


Manifestation populaire à Bangalore, capitale de l’État indien de Karnataka, contre le brinjal (aubergine) Bt et les OGM alimentaires.
Crédit:Coalition for GM-free India

Les efforts de la Chine en matière de biotechnologie datent du “programme 863”, le Programme national de recherche et de développement des hautes technologies, lancé en 1986 et qui a marqué le changement d’orientation de la recherche agricole : le pays s’est alors tourné vers la commercialisation et le brevetage des résultats de la recherche en biotechnologie. Grâce à ce programme, l’Institut de recherche en biotechnologie de l’Académie chinoise des sciences agricoles (CAAS) a développé dès le début des années 1990 un gène Bt résistant aux insectes qu’il a inséré dans le coton. Les droits de ce gène Bt ont alors fait l’objet d’une licence exclusive accordée à une entreprise dérivée et appelée Biocentury Transgene ; celle-ci est sous le contrôle du Shanghai Oriental Pearl Group, l’un des plus gros conglomérats chinois des médias et de l’immobilier et de Origin Agritech, un fabricant chinois de semences et de pesticides, enregistré aux Îles Vierges britanniques et coté au NASDAQ. Origin Agritech a récemment obtenu la licence exclusive sur un gène résistant au glyphosate qui a été développé par le CAAS pour être inséré dans le soja, le maïs, le coton, le riz et le canola, pour faire concurrence aux produits Roundup Ready de Monsanto.

La grande différence entre le coton Bt de Biocentury Transgene et celui de Monsanto, qui fut commercialisé en Chine en 1997, c’est le prix. Avec ses semences moins chères, Biocentury Transgene a pris le contrôle de 80 % du marché chinois du coton Bt et la société est en pleine expansion au Vietnam, en Inde, au Pakistan et aux Philippines. Mais dans ses transactions avec les paysans, Biocentury Transgene a su faire preuve du même manque de scrupules que n’importe quelle multinationale. Selon l’entreprise, « [elle a]fondé sa  réputation dans l’industrie semencière …autour des mécanismes de licences technologiques et de collecte des coûts de ces licences, ainsi que sur ses actions novatrices pour  contrôler les violations des droits de propriété intellectuelle sur ses technologies en Chine ». Ses produits ne diffèrent en rien de ceux des multinationales étrangères ; en effet, ses semences Bt causent les mêmes problèmes chez les paysans chinois que les semences Bt de Monsanto chez les paysans indiens. Des chercheurs ont établi que la plantation de coton BT sur de grandes surfaces  provoque en Chine de terribles invasions de ravageurs secondaires, augmentent l’usage de pesticides et impose des coûts plus élevés aux paysans. De fait, en raison des problèmes de ravageurs secondaires dus au passage au coton Bt, les producteurs chinois de coton Bt dépensaient, en 2004, autant en pesticides que les paysans n’utilisant pas le coton Bt, et deux à trois fois plus en semences. 2

Et maintenant, la Chine s’intéresse au riz GM. À la fin de 2009, le Comité pour la biosécurité du ministère de l’Agriculture chinois a annoncé l’autorisation d’un riz Bt  pour la culture commerciale. La principale variété étudiée était un riz Bt développé par l’Université agricole de Huazhong (HAU) qui fait des recherches sur le riz GM depuis 1998 dans le cadre du programme 863. L’Université a encore besoin de deux certificats des autorités chinoises avant de pouvoir introduire son riz sur le marché ; et le processus final de commercialisation n’a pas encore été décidé. Il y a de fortes chances que l’Université choisisse pour ce faire un partenaire parmi les entreprises privées et qu’il s’agisse de Monsanto. En octobre 2009, HAU et Monsanto ont en effet signé un partenariat important pour la commercialisation des cultures GM.

« Monsanto a fait les preuves de sa capacité à commercialiser et à promouvoir les nouvelles technologies, ce qui pourrait permettre à notre recherche de passer de façon accélérée du stade de concepts de laboratoire à celui de produits sur le marché mondial », a expliqué le Professeur Qifa Zhang, qui dirige le développement du riz BT à l’Université de Huazhong.

Des partenariats pour faire passer les OGM en Inde

En Inde, la frontière qui sépare public et privé, ou national et transnational, est tout aussi floue. Début mai 2010, par exemple, des multinationales semencières, des semenciers indiens et la National Seeds Corporation du gouvernement se sont unis pour lutter contre la tentative du gouvernement de l’État d’Andhra Pradesh d’imposer des limites aux royalties que peuvent réclamer les entreprises aux paysans sur les semences GM en tant que coûts de “transfert technologique ”.3 Avec la promotion et la vente des semences de coton Bt, tous ces acteurs engrangent les bénéfices, alors même que les paysans ont du mal à se maintenir en vie.

Quant au brinjal Bt, il a toujours été le parfait exemple du modèle de partenariat  public-privé et de la coopération Nord-Sud prônés par les partisans des OGM. Le projet émane initialement du gouvernement américain par le biais d’un programme financé par l’USAID et mené par l’Université Cornell, sous le nom de Programme de soutien à la biotechnologie en agriculture ou ABSP II. 4  Parmi les partenaires, on trouve l’avatar indien de Monsanto,  MAHYCO, 5 qui a fourni aux partenaires du projet les licences des gènes Bt brevetés de Monsanto , l’Université agricole du Tamil Nadu (TNAU), l’Université des sciences agricoles (UAS) de Dharwad et l’Institut indien de recherche sur les légumes (IIVR) de Varasani. Le projet inclut aussi le Bangladesh, où l’Institut de recherche agricole du Bangladesh et l’Université des Philippines-Los Baños ont mené des essais en plein champ avec le brinjal Bt, dans le cadre de protocoles d’accord (MOU) avec MAHYCO.

Le principe du partenariat public-privé fait qu’en fin de compte ce sont les compagnies comme Monsanto qui gardent les rênes en main. L’accord de transfert de matériel biologique (MTA) entre la TNAU et Mahyco en mars 2005 montre que les partenaires publics fournissent le germoplasme  local qui peut être utilisé librement, tandis que MAHYCO/Monsanto fournit ses transgènes , qui font tous l’objet de brevets. Quand, dans son laboratoire, MAHYCO croise ses lignées propriétaires d’aubergine Bt tolérante aux insectes avec les variétés des paysans locaux  fournies par la TNAU, ce qui en résulte devient le “produit” de l’entreprise. La TNAU obtient des droits de sélection limités pour adapter le nouveau “produit”GM, pour qu’il  puisse être cultivé par les paysans locaux, mais interdiction est faite à l’Université d’utiliser le “produit” de Monsanto comme matériel parental pour produire des hybrides commerciaux. 6 En réalité, par le biais du projet de brinjal Bt, le secteur privé parvient à exploiter l’accès privilégié aux variétés paysannes qui était réservé aux instituts de recherche publics et à partir de là, à développer ses propres produits GM. Les universités peuvent obtenir des financements ou des moyens de formation pour poursuivre leur recherche en biotechnologie. Quant aux paysans, qui n’ont jamais été consultés à propos de cette recherche, ils sont complètement hors-jeu et ne peuvent que constater la façon dont leurs variétés locales sont modifiées génétiquement, bloquées par des brevets et livrées à une entreprise semencière  transnationale.


L’une des nombreuses variétés bio de talong (aubergine) aux Philippines

De surcroît, l’objectif du projet ABSP II a toujours été au moins autant de changer les politiques publiques, que de développer la technologie. Étroitement lié à ce projet, le Programme de biosécurité en Asie du Sud financé par l’USAID, aide les gouvernements du Bangladesh et de l’Inde à “rationaliser” leurs principes de gouvernance en matière de biotechnologie. 7 Le parlement indien doit bientôt étudier deux textes législatifs sur les OGM émanant de ce Programme : le premier est un projet de loi sur les semences qui permettrait l’enregistrement et la mise sur le marché des semences GM ; le second mettrait en place une autorité de régulation des biotechnologies composée de trois membres qui accélérerait systématiquement les autorisations d’OGM. Au Bangladesh, le Programme a hâté le développement d’un projet d’Institut national de biotechnologie qui a été déposé devant le parlement en février 2010. L’adoption de ces lois faciliterait les autorisations pour toutes sortes d’autres cultures GM.

Le projet brinjal Bt et les autres programmes de coopération internationale sur les OGM , qui ont modifié de façon délibérée la culture de la recherche publique, auront le même effet. Ils ont favorisé l’évolution de la recherche publique en partenariats avec les entreprises et le brevetage  des résultats de la recherche. L’Inde est ainsi en train de mettre au point une législation qui encouragerait les scientifiques du secteur public à demander des droits de propriété intellectuelle sur les variétés de plantes qui ont été développées dans le cadre de leurs programmes de recherche publique, sur la base du modèle américain activement soutenu dans le pays par le projet ABSP II et d’autres opérations financées par les États-Unis. 8

Les instituts publics de recherche agricole d’Asie se muent en entreprises privées et leur raison d’être principale, qui est d’être au service des paysans de leur pays, ne sera bientôt plus qu’un vague concept.

“Public” ou “du peuple”?

La participation de programmes publics à la promotion active des cultures GM ranime la discussion sur la recherche publique en Asie et soulève des questions fondamentales : Quels intérêts servent les instituts de recherche publique quand ils consacrent leurs ressources limitées aux cultures GM ? Qui est le propriétaire des variétés collectées et conservées par les universités agricoles d’État et les banques de gènes nationales ? On avait pu penser que dans le système national les variétés paysannes  seraient à l’abri des entreprises privées. Or dans le cas du brinjal Bt, ce sont des universités agricoles nationales qui fournissent le germoplasme d’aubergines locales à une entreprise semencière qui est de mèche avec Monsanto. De plus, en vertu d’un MTA et de l’insertion d’un gène Bt breveté par Monsanto, ce matériel devient la propriété de l’entreprise! L’université agricole est alors un simple moyen pour Monsanto et les autres grands semenciers de prendre le contrôle des variétés paysannes, en les livrant à des entreprises qui ont  de par leur  nature intérêt à faire de la source de ces semences – les paysans – des utilisateurs finaux et des consommateurs perpétuels de leurs produits GM. Pas étonnant qu’au cours d’un forum public organisé pour Earth Day 2010 à Makati City contre le talong (aubergine)Bt, un paysan bio philippin ait posé cette question tout à fait pertinente : « Mais pourquoi nos propres scientifiques ne sont-ils pas de notre côté ? »

Jusqu’à présent, la résistance des populations a réussi à protéger dans une large mesure les champs des paysans asiatiques contre les cultures alimentaires GM. Mais il n’a pas été possible d’empêcher les cultures GM d’envahir les champs et les laboratoires des instituts publics de recherche du continent. Ces espaces publics sont donc devenus des têtes de pont pour les multinationales qui visent à détruire les nombreuses variétés locales dont les petits producteurs et leurs pratiques culturelles ont assuré la survie. Ces variétés forment le fondement d’un système alimentaire futur, capable d’assurer la subsistance et de subvenir aux besoins alimentaires des populations. Le temps est venu de replanter ces champs qui appartiennent au peuple, avec toute la diversité des variétés locales développées par les paysans (parfois avec la contribution de chercheurs publics) et de se diriger vers un partenariat public-peuple en vue d’une recherche qui soutiendrait des solutions agricoles non OGM.

Grain, mai 2010.

Lectures complémentaires :

GRAIN, “Les paysans indiens s’organisent pour faire barrage au brinjal Bt”, Seedling, janvier 2010: http://www.grain.org/seedling/?id=669

UBINIG, “Bangladesh approving Bt brinjal!” 18 April 2010: http://www.ubinig.org/index.php/home/showAerticle/18/english%5Cnshared

Déclaration de plus de  600 participants à l’Archidiocèse de Manille (célébration de la Journée de l’écologie) et Forum public sur les OGM tenu le 22 avril 2010 au Don Bosco Technical Institute, à Makati City, aux Philippines:
http://www.rcam.org/Homilies/2010/ the_promotion_and_promulgation_of_genetically_modified_organism.html [en anglais seulement]

GRAIN, “Le coton Bt : les faits derrière le battage publicitaire”, Seedling, janvier 2007: http://www.grain.org/seedling/?id=457

“L’USAID:Comment faire pour que le monde ait faim de culture génétiquement modifiées”, Les rapports de GRAIN, avril 2005: http://www.grain.org/briefings/?id=191

1 Jairam Ramesh, Decision on Commercialisation of Bt-Brinjal, Indian Ministry of Environment and Forests, 9 February 2010, http://moef.nic.in/downloads/public-information/minister_REPORT.pdf

2 GRAIN, “Le coton Bt : les faits derrière le battage publicitaire, Seedling, janvier 2007: http://www.grain.org/seedling/?id=475 ;
 Karen Kaplan, “Genetically modified cotton stops one bug but fosters others”, Los Angeles Times, 16 May 2010: http://www.latimes.com/news/nationworld/nation/la-sci-cotton-bugs-20100516,0,49640,full.story

3 Par un décret du 24 avril 2010, le gouvernement de l’État d’Andhra Pradesh impose un prix-plafond sur les semences de coton hybrides  Bollgard-I et Bollgard-II pour la saison  2010–2011, fixant le coût du trait (royalty) payé par les fabricants de semences à MAHYCO. http://goir.ap.gov.in/

4 Cornell University, Agricultural Biotechnology Support Project II, see: http://www.absp2.cornell.edu/

5 Monsanto possède 26 % de MAHYCO, et les deux entreprises ont un partenariat indien moitié-moitié pour la commercialisation des cultures GM.

6 Dans un contrat de sous-licence daté du 2 avril 2005, duquel MAHYCO/MHSCL et UAS sont parties, l’article 1.19 définit les “droits de propriété intellectuelle de Monsanto/MHSCL” comme “tous les droits de propriété intellectuelle que possèdent ou contrôlent Monsanto ou  MHSCL et qui seraient enfreints par la fabrication, l’utilisation ou la vente de produits à base d’aubergine nationale  contenant une technologie MHSCL ou Monsanto ” (c.à.d. le gène Bt).

7 South Asia Biosafety Program , see: http://www.agbios.com/sabp_main.php

8 Un projet de loi pour la protection et l’utilisation de la propriété intellectuelle financée par des fonds publics est en cours d’élaboration par le ministère des Sciences et de la Technologie qui supervise les biotechnologies en agriculture.



Articles Par : Global Research

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