Pour un droit d’ingérence humanitaire en Palestine
Le prétexte de l’offensive israélienne sur Gaza est la violation de la trêve de six mois expirée le 19 décembre dernier. Le Hamas, qui a gagné l’élection législative de janvier 2006, est classé parmi les organisations terroristes par l’Occident qui ne le considère pas comme interlocuteur. Est-ce que le lancement des roquettes sur le nord d’Israël peut-il justifier des raids aériens et une invasion terrestre contre le territoire de la Bande de Gaza ?
En effet, 64 avions de guerre ont tiré des centaines de missiles, plus de cent tonnes d’explosifs visant plus de deux cent trente objectifs : sites de lancement de roquettes, infrastructures de l’autorité palestinienne, symboles de l’Etat (ministères, parlements, sites militaires et de sécurité). Les infrastructures religieuses, culturelles et d’informations ne sont pas épargnées. Ainsi, les mosquées, l’université islamique, le siège de la télévision al-Akhsa sont des cibles privilégiées du Tsahal.
Au moment où les Palestiniens enterraient leurs morts dans la consternation, dans l’indifférence de la communauté dite «internationale», l’Etat hébreu lançait l’offensive terrestre, tuant plus de soixante quinze personnes qui priaient dans la mosquée de Jabalia.
Cette offensive terrestre et aérienne a déjà fait plus de cinq cent morts en dix jours, aggravant une situation humanitaire déjà catastrophique à Gaza. Cette bande de terre est habitée par 1,5 million d’habitants qui vivent sur une superficie de 3 600 km?. La densité y est de 4,100 hts/km?, l’une des plus élevées au monde ; le taux de chômage atteint 34% ; celui de la pauvreté avoisine 65% selon les sources de la Cia et de la Banque mondiale. Les organisations humanitaires ont appelé, en vain, à la levée du blocus israélien afin d’assurer l’approvisionnement des hôpitaux en médicaments, en électricité et en eau. La Bande de Gaza est privée de tout (nourritures et soins) et dépend quasi entièrement de l’aide humanitaire internationale qui tarde à lui parvenir. Les Ong font état d’une «situation humanitaire épouvantable» qui pourrait tourner à la tragédie.
Où sont les auteurs de la théorie du droit «d’ingérence humanitaire» ? Tout se passe comme s’il y avait une complicité passive pour justifier le terrorisme d’Etat exercé par Israël sur la Palestine, faisant des victimes civiles dont des femmes et des enfants. L’Etat hébreu tente de faire croire que son offensive n’est pas dirigée contre le peuple palestinien, mais, contre le Hamas, pour assurer sa sécurité. Le communiqué de l’ambassade d’Israël lu à la télévision nationale, suite à une condamnation très ferme de l’invasion de Tsahal par le président de la République du Sénégal, président en exercice de l’Oci, tente de légitimer l’offensive de l’Etat hébreu. C’est incompréhensible. Les organisations juives qui ont manifesté à Paris, dimanche dernier, ont aussi tenté d’accréditer la thèse de la légitime défense contre le Hamas.
Les bombes, les missiles et les chars israéliens ne distinguent évidement pas les militants du Hamas de ceux du Fatah. Les infrastructures détruites n’appartiennent pas à l’un ou l’autre, mais à l’Autorité palestinienne.
Est-ce-que l’offensive meurtrière d’Israël pourrait atteindre ses objectifs qui consistent à enrayer les potentialités offensives du Hamas ? Le chef politique de cette organisation, Khaled Méchaal, a affirmé sans hésiter que la résistance allait s’intensifier et que les opérations suicides allaient reprendre. Ce propos est confirmé par le porte-parole du Hamas, déclarant, que son organisation «ne lèvera jamais un drapeau blanc en signe de soumission, quelle que soit l’intensité de l’agression israélienne».
L’invasion israélienne affaiblit davantage l’autorité de Mahmoud Abass. Le président de l’Autorité palestinienne a fait beaucoup de compromis à l’égard d’Israël sans obtenir de concessions significatives. Le Hamas en sortira renforcé auprès des populations avec ses 15 000 combattants. Il dispose, par ailleurs, de plus 20 000 roquettes et des centaines de candidats aux opérations kamikazes. On peut craindre que le Hezbollah du Liban lui prête main forte si le conflit perdure. L’Autorité palestinienne a besoin d’un soutien plus conséquent ; sinon son leadership risque de s’effriter, elle perdrait définitivement la confiance des Palestiniens.
La communauté internationale, à commencer par le Conseil de sécurité, est incapable de se mettre d’accord sur une déclaration appelant à un cessez-le-feu immédiat. Les Etats-Unis de Bush considèrent qu’Israël est menacé dans sa sécurité et qu’il a le droit de se défendre.
L’Union européenne se contente d’une condamnation de principe tout en soulignant la lourde responsabilité du Hamas dans la souffrance du peuple palestinien. Son ballet diplomatique, croisé à la tournée du Président Sarkozy au Moyen-Orient, n’a d’autres objectifs que d’occuper l’espace vide que pourrait créer la période de transition entre le Président Bush et le Président élu, Barack Obama, qui, prendra le pouvoir officiellement le 20 janvier prochain.
La nouvelle administration américaine de Barack Obama va-t-elle être prisonnière de la politique déséquilibrée de Bush vis-à-vis des parties en conflits ? Va-t-elle s’inscrire dans la dynamique de recherche de solutions de ses prédécesseurs démocrates, Jimmy Carter et Bill Clinton ? Pour l’instant, Obama adopte une attitude prudente et n’a pas encore dévoilé sa politique au sujet du conflit Israélo-palestinien, comme il l’a déjà fait, concernant l’Irak et l’Afghanistan. Ce conflit le place au pied du mur. Sa réaction est très attendue par les hommes épris de paix. D’autant plus qu’il jouit d’un préjugé favorable dans le monde musulman. Quant à Bush, il avait pris un engagement solennel à Annapolis, pour la proclamation d’un Etat palestinien indépendant avant la fin de son mandat en décembre 2008. Le traitement qu’il a réservé à la question palestinienne aura été désastreux.
S’agissant des pays arabes, certes ils ont fermement condamné l’agression israélienne individuellement, mais ni la conférence des ministres des Affaires étrangères de la Ligue des Etats arabes au Caire, le 29 décembre dernier, ni le sommet de Doha, le 2 janvier, n’ont abouti à aucune décision majeure. La Mauritanie est le seul pays, parmi ceux qui entretiennent des relations diplomatiques avec Israël, à rappeler son ambassadeur à Tel Aviv et à expulser celui d’Israël à Nouakchott. Non satisfaites, les populations Arabes continuent à crier leur indignation dans les rues car, ces importantes réunions arabes n’ont pas empêché l’Etat hébreu de poursuivre ses opérations militaires à Gaza et d’imposer un blocus économique sur l’aide alimentaire destinée aux Palestiniens.
Enfin, l’Oci qui regroupe les pays de la Umma islamique n’échappe pas aux condamnations de principe. EIle a appelé au cessez-le-feu, exprimé ses sentiments de douleur et sa solidarité avec le peuple palestinien. Mais, à défaut de convoquer un mini-sommet, une réunion du comité Al-Qods al Sharif s’impose pour étudier des voies et moyens pour rendre la solidarité du monde islamique plus effective. Par ailleurs, le président en exercice de l’Oci, le Président Abdoulaye Wade, ne devrait-il pas prendre des initiatives en faveur de la paix afin que cette importante organisation puisse peser de tout son poids dans la recherche de solutions justes et durables du conflit Israélo arabe ?
Dans tous les cas, la solution ne peut pas être militaire. Toute recherche de solutions devra prendre en considération le fait que la sécurité d’Israël est indissociablement liée à la garantie de la sécurité d’un Etat palestinien indépendant.
Ambassadeur Babacar SAMB – Professeur Département d’Arabe/ Flsh/ Ucad/