Pourquoi l’ONU s’acharne-t-elle contre la Côte d’Ivoire ?

L’Organisation des Nations Unies a été fondée, selon sa Charte, pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre ». Relever ce défi constitue la fonction la plus importante de l’Organisation et, dans une large mesure, le critère par rapport auquel elle est jugée par les peuples au service desquels elle se trouve.
Au cours de ces dernières années, l’ONU a connu plusieurs échecs face à ce défi, et elle n’est guère en mesure de faire mieux aujourd’hui. La situation actuelle de la crise ivoirienne risque de connaître des conséquences incalculables si la communauté internationale se hasardait à prendre à la légère le péril qu’elle fait peser sur la paix en Côte d’Ivoire et dans la sous région Ouest Africaine.
Alors que le peuple ivoirien est à la recherche de la paix après quatre années de crise, la question centrale qui préoccupe certains acteurs nationaux et leurs maîtres étrangers est la mise hors jeu du Président Laurent GBAGBO, à savoir le dépouiller de ses pouvoirs constitutionnels, le neutraliser et l’éliminer du jeu politique.
Cette préoccupation vise à briser l’obstacle majeur que constitue Laurent GBAGBO dans la mise en œuvre d’une stratégie d’ensemble des anciennes puissances coloniales qui dominent les Nations Unies et la Communauté internationale.
Cette stratégie consiste à :
endiguer les flux migratoires Sud-Nord, versant Afrique-Europe, en créant en Afrique même des espaces d’accueil, à travers quelques Etats riches comme la Côte d’Ivoire qui ont déjà reçu des immigrés qui constituent plus de 26% de sa population ;
défendre les intérêts économiques des superpuissances,
Ces intérêts économiques ont d’ailleurs été stigmatisés par Monsieur KOFI ANNAN, Secrétaire Général des Nations Unies dans un récent rapport intitulé : « Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique ».
En effet, au paragraphe 13 de ce rapport, le Secrétaire Général dit ceci : « Pendant la guerre froide, les interventions extérieures visant à soutenir ou affaiblir des gouvernements africains étaient une manifestation courante de la rivalité entre superpuissances. Lorsque la guerre froide a pris fin, ces interventions ont diminué, mais elles n’ont pas disparu. La rivalité se portant sur le pétrole et d’autres ressources précieuses de l’Afrique, les intérêts extérieurs à l’Afrique continuent de jouer un rôle important, parfois décisif s’agissant tant de prévenir les conflits que de les attiser. Ces interventions étrangères ne sont d’ailleurs pas limitées à des sources situées hors d’Afrique : les pays voisins, inévitablement touchés par les conflits qui éclatent à leurs portes, peuvent aussi avoir d’autres motivations, qui ne sont pas toutes nécessairement innocentes. Certes, les efforts de médiation et de maintien de la paix menés par des pays africains ont été plus fréquents ces dernières années, mais il faut bien reconnaître le rôle que certains gouvernements africains jouent pour soutenir, voire pour fomenter, des conflits chez leurs voisins. »
Le Président Laurent GBAGBO, pour la France et ses collaborateurs africains, est un obstacle à la mise en œuvre de cette stratégie, pour diverses raisons :
il défend l’existence de la nation ivoirienne et est opposé à l’abandon de souveraineté de l’Etat ; d’où son attachement à la Constitution qui les garantit ;
il incarne une nouvelle forme de patriotisme qui refuse les facilités d’une mondialisation anarchique ;
il n’est pas un homme du sérail franco-africain et refuse l’union du cheval et du cavalier ;
il est difficile à manœuvrer et se montre réfractaire à toute manipulation.
C’est précisément pour toutes ces raisons que le peuple ivoirien, dans sa grande majorité, est attaché à son Président qui apparaît comme le défenseur de l’unité et de la souveraineté nationales. Au-delà de son pays, il incarne, par son combat pour l’indépendance véritable des pays africains, l’espoir de la nouvelle Afrique.
C’est pourquoi, la Résolution 1633 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, en souscrivant à la décision de la 40ème Réunion du Conseil de Sécurité et de Paix de l’Union Africaine (UA), n’a pas hésité à aller dans le sens des dispositions constitutionnelles concernant la prolongation de son mandat.
Cette résolution n’était pas, en réalité, celle qu’attendait la France. En effet, entrée, après novembre 2004, dans une logique progressive de marginalisation radicale du régime ivoirien, la France pensait en finir avec Le Président Laurent GBAGBO, à travers un embargo drastique et sévère sur les armes à l‘encontre de la Côte d’Ivoire mais épargnant le Burkina Faso, fournisseur en équipements militaires de la rébellion. La France s’est également évertuée à proposer de nombreuses sanctions qui devaient jeter l’opprobre sur tous les piliers du camp présidentiel, y compris Laurent GBAGBO lui-même.
La médiation sud-africaine, en montrant la lourde responsabilité des rebelles dans l’impasse ivoirienne et en plaidant pour une bonne cohabitation au sommet de l’Etat entre le Président de la République et le Premier Ministre, a compliqué le plan français et a rendu la Résolution 1633 indigeste pour la France.
C’est donc pour faire droit aux prétentions de l’ancienne puissance coloniale que, de façon complaisante, le Groupe de Travail International (GTI), émanation de la Résolution 1633, et qui compte parmi ses membres la Ministre française, Madame GIRARDIN, Représentante de la France, s’est fixé pour objectif de prendre des libertés dans l’application de cette résolution. Aussi tout ce que Paris n’a pu imposer en 2005 au Conseil de Sécurité se retrouve-t-il dans le premier communiqué du GTI décidant, d’une part, la suspension de l’Assemblée nationale en demandant la gestion de la Côte d’Ivoire par des ordonnances, d’autre part, l’identification des populations avec pour corollaire la délivrance de la carte nationale d’identité en vue de l’inscription sur la liste électorale Pour le GTI et ses mandants, la crise ivoirienne serait une crise identitaire. Il faudrait donc procéder à l’identification des populations avant le désarmement des rebelles. L’objectif serait en réalité de dévoyer le processus électoral par l’établissement d’une nouvelle liste électorale qui prendrait en compte un électorat « étranger » connu pour être favorable au candidat du Rassemblement des Républicains (RDR), cheval de bataille de l’ancienne puissance coloniale. Le GTI refuse de voir que la rébellion fait obstruction à l’application de la Résolution 1633 qui, en son point 14 exige des Forces Nouvelles qu’elles appliquent sans délai le programme de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) afin de faciliter le rétablissement de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national, la réunification du pays et l’organisation d’élections dès que possible. Le GTI veut à tout prix opposer le Président de la République et le Premier Ministre en imaginant des entraves qui seraient posées par le Président de la République à l’action du Premier Ministre. Pour ce faire le GTI s’appuie sur les dispositions de la Résolution 1633 qui stipule que « le Premier Ministre doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires, conformément à l’Accord de Linas Marcoussis, ainsi que de toutes les ressources financières, matérielles et humaines voulues, en particulier dans les domaines de la sécurité, de la défense et des affaires électorales » Pourtant, le Premier ministre a demandé et obtenu du Président de la République qu’il nomme les responsables des Ministères de la Défense, de la Sécurité, de l’Economie et des Finances ainsi que de la Communication Recherchant toujours des moyens pour justifier cette opposition, le GTI ajoute dans le communiqué de sa 10ème réunion que les nominations aux emplois civils et militaires soient faites par le Premier Ministre. Choses contraires aux dispositions de la Constitution pour laquelle cette compétence relève du domaine du Président de la République qui est, seul, habilité à signer les décrets. Le GTI renie Linas Marcoussis, Pretoria et la résolution 1633. Il affirme, en substance, que c’est la Constitution qui a empêché l’application de la Résolution 1633, et demande de jeter la Loi fondamentale aux orties à travers « un nouveau cadre de transition ». Pourtant, la Résolution 1633, comme tous les autres Accords sur la Côte d’Ivoire, a également pris en compte la Constitution. Dire que c’est la Constitution qui pose problème, c’est affirmer que c’est à l’ONU qu’il revient de porter la responsabilité de l’échec éventuel de la Résolution 1633, qui résulte de ses propres contradictions. De plus, demander un nouveau cadre de résolution de la crise qui irait à l’encontre de la Constitution, la Loi fondamentale et des accords de paix, serait ni plus ni moins renoncer aux compromis antérieurs et par conséquent à leurs acquis. Linas-Marcoussis, qui crée le « Gouvernement de Réconciliation Nationale », repose sur la Constitution. Les Accords de Pretoria, qui rendent éligibles tous les signataires des Accords de Linas-Macoussis reconnaissent la Constitution. Si le cadre global de ces Accords est aboli, l’Etat de Côte d’Ivoire doit retourner à sa configuration d’avant Linas-Marcoussis. L’on pourrait s’interroger davantage sur le rôle de la Communauté Internationale dans la résolution de la crise que vit le peuple ivoirien depuis 2002. En effet, force est de constater que la communauté internationale dont Paris sert de guide, ne travaille pas dans le sens de ramener la paix en Côte d’Ivoire mais plutôt elle s’évertue à déposséder, par tous les moyens, le Président Laurent GBAGBO de son pouvoir. Dans cette logique la communauté internationale ne prépare ni la paix ni la réconciliation. Elle organise plutôt un coup d’Etat et met en place les ingrédients d’une guerre civile d’une guerre dont les conséquences seront sans doute incalculables pour la Côte d’Ivoire et les pays de la sous région ouest africaine. Au lieu de s’acharner sur la Côte d’Ivoire, l’ONU, pour réussir sa mission, devrait prendre en compte les interpellations ci-après : 1. ne pas se considérer comme une superpuissance capable d’imposer la paix à n’importe quel prix, mais au contraire rester modeste et chercher à respecter son mandat qui repose sur la neutralité et l’impartialité de ses interventions, 2. s’assurer que les partenaires étatiques sur lesquels elle veut s’appuyer sont crédibles et désintéressés 3. aider les Etats à se doter d’institutions démocratiques et indépendantes et œuvrer à la promotion d’hommes politiques libres et autonomes 4. ne pas faire le jeu des grandes puissances au détriment des pays les moins nantis pourtant membres à part entière de l’Organisation.