Pourquoi la communauté internationale reconnaît-elle maintenant l’état de Palestine?
Publié le 20 octobre 2014 par Russia Today dans le cadre de son émission Cross Talk. Norman Finkelstein a un débat avec le journaliste Amir Oran, du quotidien israélien Haaretz Daily, sur la reconnaissance d’un État palestinien.
Le Parlement suédois a reconnu l’Etat de Palestine, suivi, le 13 octobre, de la Chambre des communes britannique.
Sur 193 Etats qui composent les Nations Unies, 134 ont déjà reconnu formellement l’Etat palestinien.
Dans cette intervention, Norman Finkelstein rappelle qu’Israël n’a jamais accepté de conclure la paix avec les Palestiniens, même aux termes les plus favorables, ayant toujours privilégié l’expansion au détriment de la sécurité. Selon lui, si de plus en plus de pays reconnaissent unilatéralement l’Etat palestinien, c’est parce que la communauté internationale a compris qu’Israël ne reconnaîtra jamais la Palestine et s’opposera toujours à ce qu’un Etat palestinien viable voie le jour.
Extrait de l’émission :
Sous-titrage et mise en ligne réalisés par Sayed Hasan
Émission Cross Talk du 24 octobre dans son intégralité et sous-titré en français :
Retranscription des interventions de Norman Finkelstein
Introduction par Peter Lavelle : Le soi-disant processus de paix israélo-palestinien n’ayant rien résolu, la communauté internationale a commencé à prendre l’initiative. Répondant au droit universel à l’autodétermination, et s’appuyant sur le droit international, nombre de pays déclarent les uns après les autres qu’ils n’ont pas besoin d’Israël pour reconnaître un Etat Palestinien…
[…]
Peter Lavelle : Norman, je m’adresse d’abord à vous. Le gouvernement suédois a annoncé qu’il allait bientôt reconnaître un Etat Palestinien ; les Députés britanniques ont voté massivement en faveur de la reconnaissance d’un Etat palestinien. Pourquoi cela se passe-t-il maintenant ?
Norman Finkelstein : Je pense qu’il y a deux raisons principales à cela. La première est le dernier massacre israélien à Gaza. Les Européens, en particulier, sont maintenant las de ces massacres qui se produisent régulièrement : l’un en 2008-2009, l’Opération « Plomb durci », l’autre en 2012, l’Opération « Pilier de défense », et maintenant cette dernière explosion de furie israélienne, l’Opération « Bordure protectrice ». Ils en ont également assez car tandis qu’Israël détruit, ravage et saccage, c’est l’Europe qui est censée prendre en charge les factures et payer la note régulièrement.
Israël a cette étrange conception selon laquelle les seules personnes au monde qui méritent des réparations pour les crimes qu’ils ont subi sont les Israéliens ou les Juifs, alors que pour les crimes qu’ils infligent régulièrement aux Palestiniens, ceux de Gaza en particulier, les factures doivent être payées par d’autres pays, notamment les Européens.
La seconde raison est l’effondrement de l’initiative de paix de Kerry. Ce fut un épisode étrange, car de fait, Kerry offrait à Israël de satisfaire leurs propres revendications, à en juger par les négociations d’Annapolis de 2009. Et bien que Kerry ait offert à Israël tout ce qu’ils souhaitaient officiellement, à savoir l’annexion des principaux blocs de colonies, et la liquidation de la question des réfugiés palestiniens, Israël refusa l’offre dont les termes lui étaient si favorables.
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Peter Lavelle : Permettez-moi de revenir à Norman. Nous venons d’entendre les exigences d’Israël, alors qu’ils ont un Etat, une sécurité considérable, et de puissants alliés. Les Palestiniens n’ont rien de tout cela. Pourquoi est-ce que ces pays reconnaissent maintenant la Palestine ? Car je dirais que tout ce « processus de paix » – et je n’aime pas du tout employer cette expression maintenant – étant dans l’impasse, il doit y avoir quelque chose de nouveau.
Norman Finkelstein : Eh bien, je pense que le problème est que dans ce débat, jusqu’à présent, Amir ne cesse de se référer à ce que veulent les Israéliens, comme si les desideratas d’Israël constituaient ce qui doit être négocié. Mais ce n’est pas d’après ces termes que le conflit doit être résolu. Les termes qui doivent résoudre le conflit ne sont pas ce que les Israéliens veulent, pas plus d’ailleurs que ce que les Palestiniens veulent, mais bien ce que dit le droit international : quelles sont les exigences pour résoudre ce conflit, qu’est-ce que chacune des parties doit faire. Maintenant, Amir nous dit : « Israël veut ceci + cela +, +, +… ». Je n’ai aucun doute sur ces « +, +, +… » qui, je le suspecte, finiront un jour par inclure tout l’univers. Mais ce n’est pas ce que dit le droit international. Israël n’a droit qu’à ses frontières basées sur celles d’avant la guerre de juin 1967. Les colonies qu’Israël a implantées dans les Territoires Occupés, y compris les principaux blocs de colonies, sont illégales d’après le droit international. Plus encore, d’après le Statut de Rome, elles constituent un crime de guerre.
Vous demandez pourquoi est-ce que la communauté internationale réagit maintenant. Eh bien l’une des raisons, si vous avez suivi le débat de la Chambre des Communes (britannique) – et j’ai pour ma part suivi les cinq heures de ce débat en direct sur Internet – intervenant après intervenant, tous ne cessèrent de parler de ces colonies. Israël parle de paix mais persiste à étendre ses colonies. La plupart des êtres humains rationnels et prudents jugent d’après les actions, non d’après les paroles. Et les actions montrent que jour après jour, Israël persiste à étendre les colonies et à commettre, d’après les termes du droit international, des crimes de guerre.
Les faits qui importent, ce qu’il faut retenir est très simple : les Palestiniens, leurs dirigeants, durant les 20 dernières années déjà – en réalité plus de 20 ans –, ont exprimé leur accord aux termes du droit international pour la résolution du conflit. Israël, sous TOUS les gouvernements – pas seulement le gouvernement Netanyahu, le gouvernement Olmert ou le gouvernement Barak, même sous M. [Yitzhak] Rabin – Israël n’a jamais accepté un Etat Palestinien dans toute la Cisjordanie incluant Jérusalem-Est et Gaza, ce que le droit international détermine comme le territoire réservé à l’auto-détermination des Palestiniens. Aucun des gouvernements israéliens n’a accepté de solution juste à la question des réfugiés palestiniens conforme au droit international, qui a également reconnu cela.
Donc je pense que la seule manière de résoudre ce conflit est de se demander quel côté, selon le droit international, est le côté récalcitrant. Non pas ce qu’Israël veut, mais si Israël exige plus que ce à quoi il a droit selon le droit international, des sanctions devraient lui être imposées.
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Peter Lavelle : Avant de faire une courte pause, Norman, il me semble que dans le jargon politique qui nous parvient de Tel Aviv – non pas de notre invité, mais de la part du gouvernement –, « négociations » signifie « jamais ».
Norman Finkelstein : Eh bien, les négociations, d’après ce que vient de dire Amir, ne mèneront évidemment à rien. En particulier, deux de ses déclarations doivent être soumises à l’examen. Il a affirmé qu’Israël s’est retiré de Gaza en 2003. Israël ne s’est pas retiré de Gaza. Même le plus grand expert israélien en droit international, Yoram Dinstein, dans son ouvrage L’Occupation belligérante selon le droit international, il est la plus grande autorité sur cette question en Israël, et il déclare qu’Israël reste le pouvoir occupant à Gaza. Ils ne se sont pas retirés de Gaza. S’ils s’étaient retirés de Gaza, pourquoi y aurait-il un blocus à Gaza ?
Eh bien, j’ai traité la question de Gaza, regardons maintenant le problème des colonies. Amir déclare que concrètement, Israël va conserver les plus importants blocs de colonies. Cela signifie que pour satisfaire son « pragmatisme », Israël va conserver 10% de la Cisjordanie. Les blocs de colonies du Nord, les blocs de colonies d’Ariel et de Shomron, coupent l’Etat palestinien en deux au Nord. Le bloc de colonies du centre, Ma’ale Adumim, part de Jérusalem et va presque jusqu’à Jéricho, coupant encore l’Etat palestinien en deux. Ils annexent certaines des terres les plus arables de Cisjordanie. Ils annexent les ressources d’eau essentielles. Si Israël conserve ces blocs de colonies, il ne restera rien pour les Palestiniens.
Je ne veux pas m’étendre sur les détails car ce n’est pas le moment, mais ce qu’il faut retenir est simple : il faut respecter la loi, et il faut être raisonnable. Toutes les données démontrent que les Palestiniens ont déployé tous les efforts pour être raisonnables. Les propositions qu’ils ont faites en 2006 permettaient à Israël de maintenir – écoutez attentivement – 60% des colons en place. Ils ont déclaré qu’ils accepteraient un échange de territoires égalitaire, c’est-à-dire portant sur des terres de même taille et de même valeur. Ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour être raisonnables, mais tout ce qu’ils obtiennent d’Israël est non seulement un « Non ! Non ! Non ! », mais encore un engloutissement progressif et croissant de leur Etat.
C’est pourquoi les Suédois agissent de cette manière. C’est pourquoi les Français agissent de cette manière. C’est pourquoi la Chambre des Communes britannique agit de cette manière. Il est absolument évident que cet Etat n’a pas la moindre intention, alors que nous approchons de la date anniversaire d’un demi-siècle [depuis 1967], Israël n’a pas la moindre intention d’accorder aux Palestiniens LEUR droit à l’auto-détermination.
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Norman Finkelstein : Eh bien, comme Amir le sait très certainement, le problème est qu’Israël exècre les modérés, et qu’Israël désire et convoite ardemment les extrémistes.
Un politologue israélien, Avner Yaniv, avait trouvé une belle expression : il parlait des « offensives de paix » palestiniennes. Ce fut la volonté de paix palestinienne, qui s’exprimait déjà au début des années 1980, ce fut la volonté de paix palestinienne qui poussa Israël à attaquer l’OLP en 1982, tuant entre 15 et 20 000 Palestiniens et Libanais, dont une écrasante majorité de civils.
C’est lorsque le Hamas honora un cessez-le-feu qui fut négocié en Juin 2008, c’est lorsque le Hamas honora le cessez-le-feu qu’Israël l’attaqua, espérant provoquer une réaction qui puisse justifier une attaque contre Gaza.
C’est après que le Hamas ait rejoint le gouvernement de réconciliation, en avril 2014, il y a quelques mois de cela, c’est après que le Hamas ait rejoint le gouvernement de réconciliation et que [Mahmoud] Abbas ait accepté les termes de résolution du conflit, c’est à ce moment que Netanyahu s’est déchaîné, espérant provoquer une réaction violente de la part du Hamas.
Ce sont les « offensives de paix » palestiniennes, et non l’extrémisme, ce sont bien les « offensives de paix » palestiniennes qu’Israël exècre le plus.
[…]
Peter Lavelle : Norman, j’ai déjà entendu ce problème concernant le Hamas. On peut désigner le Hamas comme une organisation religieuse, mais c’est un parti politique, et je ne vois pas pourquoi un parti politique devrait reconnaître un Etat, je ne comprends pas la logique, ou peut-être que cela ne fait aucun sens.
Norman Finkelstein : Le Hamas a fait de nombreuses déclarations. Certaines sont conformes au droit international, d’autres ne le sont pas. Mais je pense qu’Amir ne comprend pas mon propos.
C’est précisément au moment où le Hamas est raisonnable et se conforme au droit international qu’Israël se met à paniquer. Car lorsque le Hamas agit raisonnablement, Israël n’a plus de prétexte ou d’excuse pour maintenir l’Occupation. Donc Israël fait avec le Hamas exactement la même chose qu’elle a fait avec l’OLP durant les années de Yasser Arafat : à chaque fois qu’Arafat devenait raisonnable, par exemple – et vous m’excuserez Peter, mais il est important d’évoquer l’Histoire – en juillet 1981, un cessez-le-feu fut signé entre l’OLP et Israël, ou du moins un accord fut conclu. Israël ne cessa pas de frapper l’OLP, encore et encore, mais l’OLP ne ripostait pas. Arafat était déterminé à obtenir une résolution diplomatique du conflit. Finalement, ils ont tant bombardé l’OLP, tué tellement de civils, que l’OLP a riposté.
Ce sont les « offensives de paix », c’est la modération qu’Israël redoute le plus car ils ne veulent pas se retirer (des territoires occupés) et ils ont besoin d’un prétexte. Et le prétexte est l’extrémisme palestinien qu’Israël créé lui-même.
[…]
Peter Lavelle : Vingt dernières secondes, qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Que doit-on faire ?
Norman Finkelstein : Je pense que ce qu’il faut faire est évident.
Premièrement, il doit y avoir une reconnaissance du droit des Palestiniens à l’auto-détermination et à avoir un Etat.
Deuxièmement, l’Occupation des Territoires palestiniens doit être déclarée illégale selon le droit international. Israël doit être mis en demeure du fait que s’il continue à violer le droit international, des sanctions vont être imposées contre Israël. Et je pense que c’est vers cela que nous nous dirigeons.