Pourquoi l’Irak n’a-t-il pas riposté à Israël? Partie 1.

L’Irak et la Syrie ont rouvert le passage frontalier d’albu Kamal-al Qaem, une décision vitale pour les intérêts économiques des deux pays qui bénéficie grandement à l’”Axe de la Résistance” (Iran, Irak, Syrie et Hezbollah libanais). Vingt-quatre heures avant l’ouverture, une attaque a eu lieu contre des combattants irakiens positionnés du côté syrien de la frontière, faisant quelques victimes. Les forces de sécurité irakiennes Hashd al-Shaabi (“forces de mobilisation populaire”), ont accusé Israël de l’attaque, affirmant que ce pays avait envoyé plusieurs drones depuis des installations militaires basées dans le nord-est de la Syrie qui est occupé par les Etats-Unis. Les États-Unis ont en effet des positions fixes à quelques kilomètres d’Al-Qaem, en bordure de la ville. Leurs diplomates à Bagdad ont fait pression sur le gouvernement irakien pour qu’il maintienne la frontière fermée afin de forcer le président syrien Bachar al-Assad à démissionner ! Bagdad semble maintenant moins déterminé à rouvrir le point de passage et le Premier ministre Adel Abdel Mahdi n’a pas assez de soutien politique intérieur pour prendre des décisions indépendantes, ni pour protéger ses forces de sécurité contre les attaques, ni même pour demander aux forces américaines de ne pas utiliser Israël pour faire leur travail. L’autre facteur important qui met en danger Hashd al-Shaabi dans le pays est le fossé qui sépare les politiciens des dirigeants religieux en Irak.

Le mois dernier, Israël a violé l’espace aérien irakien et sa souveraineté, et pris pour cible ses forces de sécurité,  des entrepôts et même son commandant militaire. La raison pour laquelle Israël se sent autorisé à attaquer l’Irak, c’est tout simplement parce qu’il a de nombreux amis et qu’Israël et ses amis ont des ennemis et des opposants politiques communs parmi les politiciens irakiens et dans le monde arabe : Hashd notamment est leur ennemi commun.

De fait, le ministre des Affaires étrangères du Bahreïn a salué l’attaque israélienne contre Hashd, en utilisant l’argument que brandit Israël chaque fois qu’il attaque un pays ennemi ou une menace potentielle, celui de la “légitime défense”. Après tout, il s’agit d’une composante stratégique essentielle de la politique de dissuasion adoptée par Moshe Dayan depuis 1955.

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a confirmé l’attaque en Irak, et son ministre des Affaires étrangères, Yisrael Katz, cri à qui veut l’entendre qu’Israël “est le seul à œuvrer contre l’Iran en Irak”. Le Premier ministre Adel Abdel Mahdi n’a aucun pouvoir politique et il est par conséquent vu comme l’”auxiliaire” de Hashd. Bien que la Marjaiya à Najaf et d’autres leaders chiites importants s’opposent à Israël, eux-mêmes et de nombreux chiites, sunnites ainsi que beaucoup de kurdes d’Erbil aimeraient que Hashd échappe à l’influence de l’Iran, se mélange à d’autres forces de sécurité ou même disparaisse une fois pour toutes. De plus, la présence d’Israël au Kurdistan irakien n’est pas nouvelle et on parle souvent de la collaboration militaire israélo-kurde. En outre, pour frapper les alliés de l’Iran, Israël peut compter sur son allié inconditionnel à la Maison-Blanche, sur les moyens logistiques dont les forces américaines disposent en Irak, et sur les installations militaires américaines de la zone occupée du nord-est de la Syrie.

Le Premier ministre Adel Abdel Mahdi a ordonné la création de trois comités de sécurité pour enquêter sur les attaques contre les entrepôts et le commandement des forces de sécurité irakiennes. Des membres de ces commissions m’ont confirmé que des preuves solides révélant une implication israélienne avaient été recueillies et qu’elles étaient entre les mains d’Abdel Mahdi qui doit décider de faire ou pas une communication officielle à ce sujet.

Mais Hashd a décidé de former sa propre “unité de l’armée de l’air” dont la fonction est d’abattre les drones – qu’ils soient israéliens ou américains – et de s’opposer à Israël et à son allié, les Etats-Unis, lorsque l’occasion se présente. Il ne fait guère de doute parmi les responsables irakiens que les responsables étasuniens en Irak étaient informés à Bagdad des mouvements israéliens dans l’espace aérien irakien. Il n’y a pas non plus grand-chose que le gouvernement irakien puisse faire pour protéger les forces étasuniennes si les attaques contre Hashd se poursuivent. En fait, les Etats-Unis pourraient finir par payer le prix de l’aventure de Netanyahou en Irak.

Israël étend ses activités militaires et viole la souveraineté de plusieurs États en attaquant des cibles sélectionnées et en exécutant des assassinats ciblés au-delà de ses frontières, dans le but de “couper la tête du serpent (l’Iran).” Le gouvernement irakien du Premier ministre Abdel Mahdi – comme me l’a dit un officiel  de son entourage – “est convaincu qu’Israël était derrière l’attaque avec le soutien des Etats-Unis, mais il tente d’éviter une accusation directe pour s’épargner la honte supplémentaire de ne pas pouvoir riposter”. Adel Abdel Mahdi lui-même a déclaré lors d’une réunion privée que “le personnel de l’ambassade américaine est terrorisé à l’idée de devenir la cible de Hashd, assurant que ce n’est pas la faute des Etats-Unis, mais celle d’Israël, et promettant d’y mettre un terme”. Ce sont les mots exacts du Premier ministre. On peut se poser deux questions : pourquoi Israël croit-il pouvoir frapper l’Irak en toute impunité et quels sont les objectifs de l’Iran en Irak ?

L’objectif d’Israël et des Etats-Unis est de paralyser, d’affaiblir et d’assujettir l’Iran, ses alliés et tous les groupes et les pays qui rejettent l’hégémonie étasunienne au Moyen-Orient en particulier le Yémen, la Syrie, le Liban, la Palestine et l’Irak.

Le Hashd irakien, la “force de mobilisation populaire” a été créé en 2014 à l’appel du Grand Ayatollah Sayyed Ali Sistani pour le “Jihad Kifa’ei” (l’obligation collective du Jihad jusqu’à ce que soit atteint le nombre d’hommes nécessaire pour vaincre l’agresseur). Al-Hashd al-Shaabi s’est divisé en plusieurs branches sous la même direction : Hashd al-Ashaaaeri (la force de mobilisation tribale sunnite) et Hashd Babylone (la force de mobilisation chrétienne). La création de Hashd al-Shaabi a été essentielle pour stopper l’avancée de l’EI quand un tiers de l’Irak était occupé par l’EI et que l’armée irakienne se retirait en désordre (InsihabKay’fi) et en toute hâte de la plupart des provinces de Ninive, Salahuddin et Anbar.

En 2014, alors que l’EI occupait un tiers de l’Irak, le Premier ministre Nuri al-Maliki a demandé à l’Iran et au Hezbollah de fournir des entraîneurs pour deux raisons : les États-Unis refusaient d’aider (les États-Unis ne sont intervenus que deux mois après l’occupation de l’EI) et de livrer les armes déjà payées tout à la fois à Bagdad et Erbil ; l’Irak avait besoin d’une idéologie forte pour s’opposer à une idéologie similaire (EI) dans l’autre camp. Cela a en effet créé une idéologie solide et une plate-forme internationale pour le Hezbollah et pour l’Iran. Les Etats-Unis ont également réussi à se faire des alliés fiables au sein des “unités d’élite” antiterroristes irakiennes et d’autres unités de l’armée, en assurant la formation et la sécurité. En raison de sa forte présence dans le Hashd, l’Iran n’était pas apprécié par la Marjaiya à Nadjaf (un des centres théologiques chiites), ni par le puissant leader chiite Moqtada al-Sadr.

Elijah J. Magnier

 

 

Traduction de l’anglais: Dominique Muselet



Articles Par : Elijah J. Magnier

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