Propagande et désinformation : en Russie seulement ?
J’ai entendu ou lu récemment trois idées s’exprimer, apparemment très répandues :
1. « La propagande et la désinformation russe » gagnent en influence et l’Europe doit y réagir. La contre-information s’organise.
2. La situation des médias en Russie évoque les prédictions d’Orwell.
3. La guerre froide est relancée par Moscou. Au risque d’une guerre « chaude ».
Trois réactions à ces trois idées
1. Propagande et désinformation ne sont le privilège d’aucune puissance et d’aucun grand groupe privé. La Russie s’y adonne bien entendu, sans gêne, l’Ukraine également – je parle ici des pouvoirs en place mais aussi des divers groupes d’intérêts qui, tant en Russie qu’en Ukraine, luttent pour le pouvoir et le partage des richesses. Pour ces pays comme pour les nôtres, les questions concernant les médias et les journalistes sont toujours les mêmes : qui en est propriétaire ? qui mène le bal ? qui paie qui (et combien) pour faire quoi ? qui roule pour qui ? Et dans tous les cas, les acteurs que ces questions dérangent protestent la main sur le cœur en assurant qu’ils ne font pas de propagande ni de désinformation. Seuls les Russes sont apparemment capables de telles vilenies. Les médias occidentaux n’ont pourtant pas été de reste, s’agissant par exemple de l’Ukraine. Les journalistes qui le contestent, se considérant comme « neutres et objectifs » font du déni de réalité ou sont sincèrement « dans les nuages ». Ce qu’il y a de neuf dans la propagande russe, via ses médias pour l’extérieur tels que RT (Russian Television) et Sputnik news, c’est qu’elle se met au diapason occidental : les contenus, le langage, le style se rapprochent de ce qui nous est familier et c’est justement ce qui fait leur succès. En plus d’être « alternatifs » à notre Pensée Unique sur certaines grandes crises. Ces médias russes parlent autant de la Grèce, par exemple, ou du monde musulman que des conflits en Ukraine et entre la Russie et l’Occident. A savoir : une information variée, touchant à maints aspects de notre actualité, exprimant des points de vue pluriels, de droite ou de gauche, ou de nulle part, parfois contradictoires, reflétant le débat interne en Russie, ou parmi les auteurs étrangers sollicités, « pourvu qu’ils ne touchent pas aux fondamentaux de nos intérêts d’état et à ce qui fait consensus dans nos sociétés ». Cette règle s’impose également chez nous. Qui s’attaque aux « fondamentaux » ou s’écarte du « grand consensus » n’a pas droit à la parole dans les grands médias officiels. Je le sais d’expérience. La Russie ne fait pas exception, mais s’ouvre partiellement au débat. C’est une façon pour l’ état russe d’être plus audible, de répliquer plus efficacement aux thèses des adversaires américains et européens qui, jusque récemment, disposaient d’une sorte de monopole d’audience internationale. Il y a un précédent : c’est l’expansion des télévisions arabes qui ont mis fin, dans le monde arabe, à la domination idéologique israélo-américaine. Sur ce plan, la Russie rattrape son retard, et non l’inverse – le « soft power » américain est infiniment plus puissant. Ce new look russe est assez différent de ce que produisaient auparavant les médias internationaux de ce pays. Sans parler de la propagande soviétique d’autrefois, qui était dogmatique, rigide, d’un langage fermé aux attentes des publics occidentaux.
2.« Orwell ». Si l’on entend pas là la tendance à la surveillance généralisée, au contrôle des pensées par les états et les conditionnements du marché et de la pub, la réponse est « oui, nous sommes en voie d’orwellisation ». Mais la Russie est encore en retard sur des puissances technologiquement plus avancées comme les Etats-Unis. A l’époque soviétique déjà, et contrairement aux idées reçues, il y avait moins de contrôle social « sophistiqué », plus de désordre, d’informel, de marginalités en URSS que dans nos sociétés les plus policées d’Europe. Je ne parle pas ici de l’Afrique ou de l’Amérique latine… Pour ce qui est des médias russes, actuellement, les chaînes de télévision sont sous contrôle du Kremlin, les grands titres de presse sont « conformes », il reste quelques titres « d’expertise » qui ne font pas de propagande stricto sensu, quelques journaux papier et en ligne d’opposition et un « océan » internet où l’on peut trouver tout et n’importe quoi, comme chez nous. Y a-t-il plus ou moins de « pensée unique » sur des thèmes fondamentaux, la question reste ouverte… Je constate qu’on peut lire en Russie des points de vue très contrastés sur l’économie et la société : il y a des néolibéraux, des conservateurs, des nationalistes, des eurasistes.. Le « grand consens » actueI n’est pas l’adhésion à une idéologie unique, mais bien la « défense de la patrie » face à l’agression occidentale et aux « fascistes ukrainiens ». Sur ces thèmes-là, il n’y a guère de nuances et tous les excès sont permis. On a l’impression d’une mobilisation patriotique face à laquelle tout désaccord a l’apparence d’une « trahison ». Le climat est sans doute plus tendu, plus « sur la défensive » voire obsidionial que chez nous. La Russie se sent « en danger » de guerre, exposée aux risques de déstabilisation et de démantèlement. Nombre de Russes imaginent, à tort ou à raison, que les plans de stratèges américains visant à morceler la Fédération de Russie sont en voie de se réaliser et que « l’attaque par l’Ukraine » en est le début. De leur côté, le pouvoir de Kiev, les nationalistes antirusses principalement soutenus à l’Ouest du pays et dont les bataillons sont aux avant-postes à l’Est, impatients de reprendre le combat, ces Ukrainiens imaginent que Moscou veut reprendre le contrôle de toute l’Ukraine, s’apprête à l’envahir, et font appel à l’intervention militaire de l’OTAN pour contrer « l’impérialisme russe ». Mais il n’y a pas de « pensée unique » en Ukraine non plus, la population est très partagée, l’opposition largement privée de liberté d’expression ou intimidée par la terreur des bataillons néonazis. Cet aspect des choses est très peu relaté chez nous… Désinformation ?
3.« Guerre froide ». Dans les années 1989-91, l’URSS a procédé à une sorte de « désarmement unilatéral », à un abandon de Puissance dans son hégémonie en Europe centrale, et au sein même de l’espace ex-soviétique et russe, dans les domaines militaire, industriel, culturel, idéologique. Une réaction s’est faite dans les années deux mille, sous Vladimir Poutine, dans le sens d’un redressement de cette Puissance affaiblie et largement marginalisée. Entretemps, les Etats-Unis et l’OTAN ont étendu à l’Est, au sein même de l’espace ex-soviétique et autour de la Russie leurs déploiements militaires et civils, leurs réseaux d’influence via les fondations qui financent des milliers d’associations, de mouvements de société civile et de formations politiques, des dizaines de milliers de militants etc… voués à « l’expansion de la Démocratie ». (cinq milliards de dollars dans la seule Ukraine, d’après Mme Nuland). La Russie n’a rien d’équivalent hors de ses frontières, si ce n’est sa présence plus ancienne (parfois millénaire) dans l’espace eurasien et spécialement dans l’antique « Rous » devenue « Ukraine ». Par contre, elle use de sa « puissance énergétique » pour développer son influence et ses pressions, de même que de son armement nucléaire qui, bien qu’inférieur en qualité à celui de l’OTAN, reste suffisant pour assurer à la Russie de ne pas subir le même sort que l’ex-Yougoslavie ou l’Irak. « Guerre froide » au sens ancien ? Non. Il n’y a plus d’opposition idéologique et politique, au sens où un « camp socialiste » (son idéologie et son mouvement communistes) combattait le « camp impérialiste » ou « capitaliste » que nous appelions le « monde libre ». Les enjeux des nouveaux affrontements entre l’Ouest et la Russie sont, essentiellement, la maîtrise des ressources, notamment gazières et pétrolières, et des « pivots » stratégiques de l’Eurasie. L’un de ces « pivots », l’Ukraine, a basculé dans le « camp occidental » du fait d’un coup de force international s’appuyant sur une fraction de la population ukrainienne, et sur des milices armées d’extrême-droite, et auquel la Russie a répliqué par l’annexion de la Crimée et le soutien à la rébellion séparatiste de l’Est ukrainien. Il n’y a d’ailleurs plus de « blocs » comme autrefois. Seule l’OTAN possède encore certaines caractéristiques de « bloc », qui paraît en train de se fissurer. La Russie n’a pas de « bloc » et diversifie ses relations afin de briser l’isolement dans lequel les puissances occidentales cherchent à l’acculer. C’est la Russie qui est agressée et « refoulée », non l’inverse. Cela ne la rend pas « vertueuse » pour autant. Ni n’assure qu’elle ne peut devenir « dangereuse » dans le contexte de ce qu’il faut plutôt appeler une « nouvelle » Guerre Froide. Qui peut dégénérer en conflit nucléaire si les bellicismes l’emportent sur les forces d’apaisement.
Jean-Marie Chauvier
19 juin 2015
MEDIAS RUSSES INTERNATIONAUX
RT en français http://francais.rt.com
Sputnik news en français http://fr.sputniknews.com
Site communiste russe en anglais http://english.pravda.ru
SITE INTERNET « prorusse » en anglais
« Nouvelle guerre froide »